L'auteur de cette Histoire secrète du Directoire est mort en 1832, de la maladie funeste qui désole la France et l'Europe. Placé par sa position dans les sommités de la société, il a parcouru avec honneur la carrière que la Providence lui traça. En fonctions élevées depuis le commencement du directoire, il a toujours continué à en remplir d'éminentes ; et nous ne savons pourquoi, dans son ouvrage, il cache qu'il faisait partie du conseil des cinq- cents depuis sa première installation. Cher à ses amis, estimé de ses concitoyens, il laisse un nom que ses descendants devront soutenir par des actions dignes des siennes. Occupé à des travaux majeurs, chargé d décider des plus grands intérêts il n'a transmis aux siens, à la fin de sa carrière, qu'une fortune modeste, preuve incontestable de sa probité ; il aurait pu l'augmenter, et souvent il refusa de le faire, par délicatesse excessive de conscience. Auteur d'un ouvrage très-important, fort volumineux, et encore inédit, il se délassait, depuis plusieurs années, dans la retraite où il s'était en quelque sorte renfermé, en écrivant ses souvenirs, en retraçant avec assez de bonheur, de profondeur de pensée et de vivacité de style, les événements particuliers et publics dont il avait été acteur ou témoin. Il se complaisait à ce crayonnage du passé, selon son expression favorite ; ses amis tenaient à bonheur d'obtenir la communication de quelques-uns de ses chapitres. On recollait le prix qu'il y attachait lui-même au soin avec lequel il les a rédigés. Ils commencent vers l'époque du directoire, à la journée du 13 vendémiaire, qu'il peint particulièrement. avec des couleurs aussi neuves que brillantes. ils sont continués pendant le consulat et l'empire, poursuivis durant la restauration et terminés par une catastrophe non moins dramatique que celle de leur ouverture, puisque les trois journées de juillet 1830 les ter minent presque. Jamais il ne fut cadre plus vaste et aussi heureusement rempli ; c'est de l'histoire, mais rapide, chaude, anecdotique, montrant à nu les hommes, creusant au fond des événements, peignant les premiers dans leurs passions au moyen de leurs propres paroles, et retraçant les autres plus encore dans leurs parties secrètes que dans ce qu'ils ont eu de public. Tous les personnages célèbres du temps, politiques, militaires, administrateurs, législateurs, savarts, littérateurs, artistes, prennent rang dans cette galerie vaste et si variée ; on entend leurs opinions, on voit leurs portraits, on assiste à leurs actions ; ils nous sont rendus présents ; c'est au moins l'impression que j'ai éprouvée en relisant ce manuscrit immense, où il y a tant de faits, d'anecdotes, de tableaux, de récits inconnus de documents ignorés, et où ce qui est déjà connu est encadré de manière à lui donner l'apparence de la nouveauté. On ne craint pas que le public infirme le jugement que nous portons sur cette production extraordinaire ; production d'un mérite supérieur, elle se recommande d'ailleurs assez par elle-même pour qu'il soit besoin de la relever ; sa forme est peu commune ; il y a du drame, du récit, des lettres, des narrations que font les acteurs eux-mêmes, des dialogues ; en un mot, de tout ce qui repose par la diversité. Le début est bizarre, il n'est pas du moins en usage dans les histoires ; peut être que l'auteur avait l'intention de commencer autrement, on ne sait rien de certain là-dessus. On aurait pu remanier cette portion de l'ouvrage ; on s'est fait un scrupule d'y mettre la main ; on a respecté, dans son ensemble, un travail qu'on a tenu à publier sous sa forme primitive. Paris est plein, pour le malheur des hommes qui aiment à avoir affaire à un auteur seul, d'une foule d'écrivains faméliques et mercenaires qui, se parant du nom d'arrangeurs, gâtent tout ce qu'ils touchent, à la manière des harpies. Gens sans génie., sans imagination, sans goût véritable, tout ce qui est en dehors de leurs proportions mesquines les effraie ; ils poussent des cris à la plus légère hardiesse, et leur scalpel méticuleux enlève la vigueur des portraits, la profondeur des aperçus et l'énergie des pensées ; ils enluminent au lieu de colorier, et ils font des pastiches des œuvres pittoresques qu'on leur livre. Figurez-vous Lamotte-Houdard ou Florian accommodant l'Iliade et Don Quichotte à leur petitesse glacée. C’eût été tomber dans une ornière où ce livre aurait trouvé la mort. Nous le produisons avec sa physionomie particulière, sa marche véhémente et déréglée ; persuadés que le lecteur l'aimera bien mieux que paré à la mode écourtée des eunuques de la littérature actuelle, qui, ne pouvant rien faire, se ruent sur ce que les autres font ; qui s'adjugent tout ouvrage anonyme-, et qui sont incapables d'en publier un passable avec leur nom. Celui de l'auteur de l’Histoire secrète du Directoire ne sera pas connu cependant. Sa famille, en ceci, est en opposition à sa volonté ; elle ne croit pas convenable, lorsque plusieurs de ceux dont il parle sont pleins de vie, de se brouiller avec eux, ou de mutiler l'écrit d'un homme qui lui est si cher. Celui-ci était libre d'assumer sur sa tête toute la responsabilité du fait, de braver la colère des amours-propres, l'indignation des importances pygmées, et la réciprocité de sarcasmes et d'épigrammes. Ses héritiers qui ne font pas des livres, reculent à la pensée de prendre à sa place leur part d'injures, de malices, de mauvaises humeurs, que des gens tarés, ou ceux qu'on accuse de l'être, ne manqueront pas de répandre contre l'Histoire secrète du Directoire ; leur devoir est de la publier, et non de se charger de son poids. Ils croient d'ailleurs, et de nombreux exemples justifient leur opinion, que tous les ouvrages sur les événements contemporains, histoires, mémoires, souvenirs, anecdotes, portraits caractères, revues, etc., qui paraissent avec un nom d'auteur, ou sont des mystifications dont on joue le public, ou ne contiennent qu'une ombre de vérité. Il est là de règle que les amis, les bienfaiteurs, les simples alliés de Fauteur, possèdent tous des qualités supérieures, et que tous ceux ou qui n'ont pas connu son mérite, ou qui ne l'ont pas servi, sont nécessairement dépourvus eux-mêmes de goût, de qualités, et ont escamoté leur réputation si par malheur pour l'écrivain ils en ont une. De quelle garantie est un nom aujourd'hui, lorsque des forbans, brocanteurs de livres, s'emparent du premier qu'on leur vend, et sur ce thème bref brodent six, ou huit ou dix volumes ? lorsqu'on retrouve dans ces ouvrages tous les mots connus ; les anecdotes qui tombent de chapitre en chapitre, depuis trente ou quarante ans ; où l'auteur prétendu a autant de styles que de volumes, et où ses opinions en politique en sciences, en morale, varient à chaque cent pages, à la fantaisie du manœuvre au rabais, qui tient cette fois la plume à sa place ? N'est-ce pas pitié que ce trafic de réalité menteuse, que cette bonne foi apparente unie à cette fourberie de fond Piron disait à un évêque qui lui demandait s'il avait lu son mandement : Non, monseigneur ; et vous ? — Certes, on peut, par le temps qui court, adresser la même réponse à une multitude de faiseurs prétendus de leurs propres mémoires, dont ils ne connaissent l'existence que lorsque les journaux la révèlent au public. Que signifie maintenant un nom en tête d'un livre ? Une spéculation de libraire, voilà tout. Il y en a mille preuves, et nous pourrions désigner si la chose était plus cachée. Mais si par cas, ainsi que l'ont fait madame de Genlis, le duc de R*** et autres, on a tenu à être soi, ou à peu près l'auteur de ses mémoires, on tombe dans un autre excès, dans un autre écueil, celai de remplacer par le roman les récits sincères que l'on a promis. On n'y reconnaît plus les figures, les opinions, les faits ; c'est de l'histoire de convention ; c'est un parti pris de se jouer de ceux qui lisent ; c'est faire un monde idéal du monde positif dans lequel nous sommes ; il est impossible d'être sincère en se nommant. — Mais, nous dira-t-on, le serez-vous davantage sous le voile de l'anonyme ? — Oui, au moins sur les trois quarts de ce qu'on racontera ; car on ne sera retenu ni par la crainte de déplaire ni par l'envie de flatter ; et, affranchi de toute contrainte, on avancera librement dans le sentier qu'on se sera tracé. Nous livrons cette assertion à la sagacité des lecteurs. L'auteur de l’Histoire secrète du Directoire a traité de la même manière les époques du consulat, de l'empire, de la restauration, du ministère Polignac, et des événements qui se sont écoulés depuis le 1er août 1830 au mois de mars 1832. Chacune de ces parties forme un tout séparé, et qui se détache des autres. Si la portion de ce manuscrit important que nous imprimons aujourd'hui plait au public, nous prenons l'engagement de publier pareillement les autres, sans peut-être nous assujettir à l'ordre des temps, que nous intervertirons à notre fantaisie, dirigée toujours par le désir de mieux faire et de contenter les lecteurs. Paris, ce 17 septembre 1832. X. H. A. DE BELVIÈRES-DOSEL. |