EXAMEN DES HISTORIENS D’AUGUSTE

 

CHAPITRE IX — LES ABRÉVIATEURS.

 

 

SECTION PREMIÈRE — PAUL OROSE[1].

Entre Velleius qui résume l’histoire par impatience, Florus qui abrège pour le plaisir d’abréger, et les chronographes qui abrègent faute de livres ou par insouciance, dans des siècles de misère et d’oppression, Paul Orose est, sans contredit, un abréviateur original ; il résume l’histoire en vue d’une pensée philosophique, essai qu’on n’avait pas tenté avant lui, et que le christianisme seul pouvait dignement autoriser[2].

Le titre de son livre varie dans les manuscrits[3] ; l’objet n’en est pas douteux, car il se montre dès la préface, et reparaît ensuite à chaque page. Ce livre est moins une histoire qu’un long raisonnement soutenu de preuves historiques en faveur de la religion chrétienne. Contre le précepte de Quintilien, Orose écrit pour démontrer, non pour raconter, ad probandum, non ad narrandum. Depuis longtemps le paganisme vaincu accusait une religion rivale des désordres qui déchiraient le monde ; au milieu des rigueurs de la vie présente, les âmes incrédules ou mal affermies dans la foi doutaient de la Providence, et lui demandaient compte d’une inexplicable contradiction. Saint Augustin répondit par la Cité de Dieu[4] à ces plaintes encore appuyées d’un reste de puissance, qui pouvait même inquiéter les chrétiens, dans leur triomphe ; mais si les majestueuses proportions de son ouvrage, si ce parallèle de nos destinées sur la terre et dans le ciel, cette description d’une autre vie qui n’a pour nous de réalité que par la foi, frappèrent vivement les hommes dignes de converser avec le génie, il semble que le vulgaire ne devait pas atteindre à ces hautes vues. L’Histoire Universelle de Bossuet n’est pas le livre des petits et des faibles ; ainsi la Cité de Dieu n’était pas écrite pour le commun des hommes. Pour achever la conversion dés païens sincères, mais ignorants et obstinés, il fallait une histoire où la doctrine de la Providence fût plus intelligible à tous ; c’est dans ce dessein que Paul Orose, d’après les conseils de saint Augustin, entreprit de réfuter ceux que n’avaient pu convaincre quatre siècles de prédications sanctifiées par le martyre, et couronnées par l’imposante démonstration de la Cité de Dieu. Saint Augustin parle et commande en prince de l’Église, en prophète ; Orose, simple prêtre, discute avec la patience d’un dialecticien populaire ; ses arguments, plus grossiers, plus palpables, sont des analyses, des additions de désastres, de batailles, de persécutions sanglantes que l’humanité, que Rome subit avant les malheurs récents de l’invasion barbare. Cette étrange érudition, cette statistique funèbre de toutes les douleurs du paganisme, est animée, chez lui, d’une logique puissante. Ici Justin, là Tite-Live, Tacite ou Florus, ont fourni une phrase, une page entière ; mais de lui-même Orose est un écrivain ; on voit seulement qu’il a quelquefois dédaigné d’écrire. Rédigeant à la hâte un véritable plaidoyer, il n’est pas difficile sur le choix des expédients. Résumer, souvent, lui coûterait trop de temps et de peine ; il s’en dispense en copiant les résumes tout faits qu’il trouve sous sa main. Peu lui importe, pourvu qu’il accumule les douleurs de la société païenne, et les ramasse à la fin de chaque siècle, pour demander compte à ses adversaires de cet âge d’or que leur mauvaise foi ou leur ignorance reporte complaisamment dans le passé. Alors surtout éclate le talent d’Orose, la vivacité de sa conviction chrétienne. La peinture de l’empire romain après la mort de César est, en ce genre, un morceau d’une grande beauté ; nulle part on n’a mieux commenté le victum ulciscitur orbem. Rome donnant en spectacle aux vaincus, sur les points extrêmes de sa domination, des couples de gladiateurs romains, César et Pompée, Octave et Antoine : c’est là une vive image que Bossuet eût adoucie peut-être, mais qu’il n’eût pas effacée[5].

Il manque sans doute à ces pages, pleines de verve et de chaleur, une certaine émotion de charité évangélique. Orose regrette trop peu les nécessités du rôle qu’il a choisi[6] ; et sa profession de chrétien, qu’il exprime quelque part[7] avec éloquence, adoucit rarement le ton austère de ses récits. Du moins n’est-ce plus la composition artificielle et froide de Florus, ni le faux enthousiasme des courtisans de Tibère ; il y a du rhéteur dans Paul Orose, mais le rhéteur a sa foi ; s’il déclame, c’est pour convaincre. Après tout, c’est à cette condition que l’éloquence renaissait en devenant chrétienne. L’atticisme et l’urbanité, fleur exquise du goût aux belles époques de la Grèce et de Rome, ne devaient pas revivre dans le siècle anarchique de saint Chrysostome, de saint Augustin et d’Orose. Les illustres écrivains de cette école ont leurs moments d’inspiration comme de forte logique, mais ils n’ont point la sûreté de méthode qui produit les chefs-d’œuvre sans reproche. Les grandes beautés, chez eux, sont au prix de grands défauts. Les déclamateurs de l’empire avaient desséché l’éloquence, les Pères de l’Église la raniment d’un souffle nouveau, sans pouvoir effacer toutes les taches d’une longue corruption[8].

La première impression que laisse la lecture d’Orose est donc une impression de surprise à la fois et de respect : on sent que l’histoire est renouvelée sous la lumière du christianisme. On se laisse entraîner au mouvement rapide d’une narration, de temps à autre précipitée plutôt qu’interrompue par des digressions oratoires, où l’auteur fait appel à la conscience du lecteur, et, dans chaque période historique, nous montre un progrès vers la rédemption de l’humanité déchue[9]. On oublie volontiers que, dans l’histoire grecque, il méconnaît et défigure Alexandre[10], l’un des plus visibles instruments de la Providence ; que, dans l’histoire romaine, il semble ignorer jusqu’au nom des Commentaires de César[11] : les grands. traits du tableau en font négliger les détails. Mais un examen plus attentif et plus réfléchi nous découvre bientôt dans Orose des omissions et des hyperboles imprudentes, avec d’impardonnables abus de logique. Il est surtout un point où il ne cesse de tendre, autour duquel il a dû réunir tous les efforts de sa science, l’avènement de Jésus-Christ. Si cette époque décisive est représentée sous de fausses couleurs, si les dates y sont interverties, si les événements y sont mal interprétés, Orose restera convaincu, sinon de sophisme, au moins d’une étrange précipitation. Or, l’époque de Jésus-Christ est précisément celle d’Auguste ; de façon que considérer dans l’ouvrage d’Orose les chapitres qui s’y rapportent, c’est étudier ce qu’il a de plus caractéristique, ce qui en fait l’intérêt principal ; et juger l’auteur d’après ces chapitres, quelque courts qu’ils soient, c’est à peu près le juger sur l’ensemble de son livre. Un tel examen touche aux origines mêmes de la religion chrétienne, qu’il serait téméraire d’effleurer ici comme un accessoire ; nous nous renfermerons, à cet égard, dans les limites de notre sujet.

Paul Orose nomme rarement et discute peu ses autorités[12] ; c’est le droit, sans doute, d’un abréviateur. Un droit plus contestable est celui de tout abréger. On a beau faire, certains événements historiques ont besoin d’être librement exposés. À les résumer, on les défigure ; à les observer de trop loin, on en méconnaît le véritable caractère. Tel est le défaut d’Orose dans ce qu’il nous raconte des affaires de la Judée, durant le deuxième triumvirat ; on dirait que Josèphe n’existait pas pour lui[13]. La brièveté de son style dissimule à nos yeux l’importance d’une double expédition d’Antoine, dont Plutarque nous offre une description véridique et animée[14] ; même inexactitude dans la relation d’un incendie dont Auguste répara les ravages[15] ; enfin, il diffère, on ne sait pourquoi, d’historiens recommandables, sur le nombre de proscrits et sur la manière dont furent publiées les tables de proscription[16]. Je le blâmerais peu de toutes ces fautes qui portent sur des détails secondaires à ses yeux, et quelquefois sur des questions difficiles à résoudre avec les témoignages divers ou contradictoires des auteurs contemporains[17] ; je ne Je louerai pas lion plus de nous avoir conservé, par hasard, quelques faits qu’on ne retrouve plus ailleurs : par exemple, la punition de Q. Ovinius, exécuté par ordre d’Octave après la prise d’Alexandrie, pour s’être fait le vil complaisant d’une reine égyptienne ; le nombre des esclaves mis à mort ou rendus à leurs maîtres, après la défaite de Sextus Pompée[18] ; une sédition excitée à Athènes vers le même temps que la guerre des Daces, et qui fit rouvrir le temple de Janus, pour la troisième fois sous Auguste[19]. Il y a pour nous de ces reliques précieuses, jusque dans les plus pauvres chronographes du moyen âge. Rome possédait encore tant de richesses au quatrième siècle de notre ère, que ce serait merveille qu’un auteur de ce temps ne suppléât pas, sur quelques points, au manque de plus anciens témoignages. Tacite et Tite-Live, dont on retrouve tour à tour l’énergie ou la noble candeur dans le récit de Paul Orose, étaient, à eux seuls, deux trésors d’érudition facilement ouverts au plus médiocre compilateur. Si donc on trouve Orose d’accord, sur certains faits, avec des textes plus rares et moins connus, tels que les Mémoires d’Auguste, ou Index rerum gestarum[20], on ne se hâtera pas d’en faire honneur à sa critique. Beaucoup d’autres historiens, avant lui, avaient profité de ces monuments originaux, et lui épargnaient la peine d’y recourir.

Quant aux faits qui tiennent à l’histoire du christianisme, Orose ne pouvait être trop scrupuleux sur le choix des autorités, trop attentif à contrôler les témoignages l’un par l’autre, et à établir solidement sa chronologie. Voyons comment il a rempli ce devoir.

Que le monde fût, à l’époque d’Auguste, tourmenté d’un vague et douloureux besoin de réforme sociale, et que le Christ fiât attendu de ceux même qui devaient le renier longtemps encore après les miracles de la prédication évangélique, c’est une thèse où il était facile de triompher en orateur : pourquoi faut-il que l’historien la compromette par des erreurs de tout genre, et que le théologien l’embarrasse de subtilités puériles ?

L’Évangile dit que le Sauveur naquit sous le règne d’Auguste, dans un temps de paix profonde, l’année d’un recensement général de l’empire romain. Or, trois fois sous le règne d’Auguste le temple de Janus fut fermé ; ces trois dates ont une haute importance, comme on le voit, la dernière surtout, qui doit coïncider avec la naissance du Christ. D’accord avec Dion Cassius sur la première[21], Orose place un peu vaguement la seconde après la guerre des Cantabres[22] ; et quant à la troisième, en suivant sans discussion l’autorité de Tertullien, il se met volontairement en contradiction avec tous les monuments, avec tous les témoignages de l’antiquité païenne[23]. Dion Cassius peut avoir tort d’assigner à l’an 743 la dernière fermeture du temple de Janus par Auguste ; mais il est certain que cet événement ne fut pas suivi de douze années d’une paix générale, bonheur bien rare pour les Romains, et dont on ne trouverait pas un autre exemple dans leur histoire, à moins de remonter jusqu’aux fabuleuses années de Numa. Pour justifier cette supposition, qui nous semble aujourd’hui fort gratuite, Orose est obligé de bouleverser l’ordre des événements dans la seconde moitié du principat d’Auguste. Abusant d’une phrase ou plutôt d’un mot de Tacite[24], il rapporte à l’extrême vieillesse d’Auguste les guerres qui ont fait rouvrir, pour la troisième fois, le temple de Janus ; comme s’il ignorait qu’un prince mort à soixante-seize ans, en 767, était déjà vieux, selon le sens du mot senex chez les Romains, vers l’an 746 ou 747. Puis, reportant sans discussion les autres guerres aux années comprises entre 729 et 752 ; rapprochant, par exemple, au moyen d’un anachronisme de plus de vingt ans, le désastre de Varus et la victoire d’Agrippa sur les habitants du Bosphore, il se fait ainsi le champ libre pour placer après 752 une espèce d’âge d’or, dont il décrit complaisamment la béatitude[25]. Ainsi, pour attendre l’avènement divin, toutes les nations ennemies de Rome se sont assuré le repos par une prudente retraite ou par des alliances. Du fond de l’Orient, les Indiens et les Scythes envoient leurs ambassadeurs rendre hommage à Auguste à Tarragone, dans l’Espagne citérieure[26] : c’était plus qu’ils n’avaient fait pour Alexandre ; enfin les Parthes, honteux de résister seuls au milieu de la soumission universelle, et tremblant de voir tourner contre eux les forces de tout l’empire, offrent d’eux-mêmes les aigles de Crassus, avec des otages royaux et des promesses d’obéissance fidèle. Ici Orose ne fait guère que commenter une hyperbole de Florus[27], qu’il copie souvent. De retour à Rome après tant d’exploits accomplis, soit par lui-même, soit par ses lieutenants, César a fermé le temple de Janus ; il a publié des lois qui doivent rendre le genre humain librement docile au joug de la discipline (per quas humanum genus libera reverentita disciplinœ morem gereret) ; mais il refuse encore le nom de maître, Dominus, ce nom que Dieu seul doit porter, et qu’un Dieu va bientôt prendre en venant sur la terre. Il le refuse ut homo ; le fond du récit est copié dans Suétone[28], Orose ajoute une pensée chrétienne aux paroles du biographe païen. Il faut que César ait conscience de sa divine prédestination ; tout le siècle en a conscience ; le recensement ordonné par l’empereur doit apprendre au monde combien il a de maîtres, et quels maîtres ; et ce sera dans les plus humbles rangs de l’humanité soumise que le Verbe viendra revêtir une chair mortelle.

Il ne manque à ce tableau qu’un souvenir de la quatrième églogue de Virgile, qui pourtant comptait déjà, au temps d’Orose, parmi les prédictions de la venue du Christ[29].

Orose n’est guère plus exact pour le synchronisme des événements voisins de cette grande époque. Il avance de deux ans la date bien connue du décret qui conférait à Octave le titre d’Auguste, et, sur une coïncidence accidentelle, il rattache cet événement à la fête chrétienne de l’Épiphanie[30]. C’est ainsi encore qu’il voit un présage du christ dans le prodige tout païen qui accompagne l’entrée d’Octave à Rome après l’assassinat de César. Mais voici le plus curieux exemple de ces interprétations arbitraires. Au retour du prince après la défaite de Sextus Pompée, selon les chronographes chrétiens[31], une fontaine d’huile jaillit naturellement dans Rome, et coula tout un jour, symbole irrécusable, dit notre historien, de l’oint du Seigneur, car l’huile servait à l’onction sacrée. L’huile jaillit d’une boutique de pauvres journaliers, pour montrer que l’Église devait recevoir et purifier les pauvres comme les riches, les maîtres comme les esclaves ; et César lui-même complétait alors ces prédictions merveilleuses en condamnant à mort les esclaves sans maître que le sort de la guerre avait mis entre ses mains, et en restituant les autres à leurs anciens possesseurs[32] ! De telles puérilités ne méritent pas les honneurs de la critique.

Paul Orose a parlé ailleurs de ce fléau de l’esclavage et des guerres qu’il fit naître, et il en a parlé avec force et raison[33]. Il prenait alors son paru d’expliquer humainement les événements humains ; il acceptait des contradictions et des mystères, dont l’histoire ne saurait rendre compte. En général, tant qu’il n’invoque la Providence que pour des révolutions dignes d’elle, tant qu’il laisse aux autres événements leur apparence irrégulière et fortuite, Orose est éloquent et vrai. La suite des empires est esquissée par lui d’une manière ferme, rapide, persuasive ; le règne du successeur d’Auguste est peint en quelques mots dignes de Tacite[34] ; mais sa logique s’embrouille à vouloir concilier, dans les desseins de Dieu, Pilate et le sénat, Jésus-Christ et Tibère[35].

C’est qu’en histoire, l’art de tout concilier n’est souvent que l’art de tout confondre, et qu’on rapetisse la Providence à la commettre imprudemment dans le détail de notre vie[36]. On peut le dire aujourd’hui sans passion comme sans crainte, la société païenne a longtemps vécu insouciante du christianisme, qu’elle ne distinguait pas de tant d’autres nouveautés politiques facilement comprimées par le despotisme des empereurs. Au second siècle seulement, la rivalité commence, et bientôt la lutte, entre deux religions. Mais la passion, quelque noble qu’en soit l’objet, aveugle toujours et dérobe aux plus fermes esprits le vrai sens des choses : l’intérêt présent rend peu scrupuleux sur le choix des preuves. Les premiers écrivains chrétiens, ceux qui défendent encore leur culte menacé, en même temps qu’ils en écrivent l’histoire, semblent croire que leur cause a besoin des petites ressources du merveilleux ; s’ils n’inventent pas le prodige, ils l’acceptent sans examen, et ne songent pas qu’ils rabaissent ainsi ce qu’ils veulent grandir. Un grand événement signale le principat d’Auguste, ce sera le germe de toute une civilisation nouvelle, germinantia tempora christiana, comme dit Orose dans son langage expressif ; mais ce germe n’était pas visible encore aux yeux des païens, lorsque le jeune Octave triomphait à Rome de Cléopâtre et de Pompée, lorsqu’il pacifiait l’empire par une politique habile. La merveille de ce temps, ce n’est pas une comète radieuse, illuminant les funérailles de César ; ce n’est pas la fontaine d’huile qui jaillit d’un coin obscur de Rome, c’est là transformation des moeurs républicaines, c’est l’union de trois parties du monde sous un pouvoir modérateur, c’est l’achèvement des immenses projets de Jules César. Laissez donc aux païens ce vain jeu de prodiges imaginaires : que Tite-Live, que Dion Cassius enregistrent des naissances monstrueuses et des apparitions de météores[37] ; le chrétien peut annoncer par de plus sûrs indices l’imminente apparition de sa foi. Qu’il étudie l’humanité en elle-même, qu’il la voie sourdement travaillée du sentiment de sa corruption croissante, épuisant, pour se ranimer, toutes les ressources de la liberté et du despotisme, tous les prestiges d’un culte sensuel, et n’aboutissant, en politique, qu’au désordre, en morale qu’au suicide, en religion qu’à l’indifférence[38]. Voilà pour le philosophe chrétien les vrais symptômes du Dieu nouveau, les vrais signes de sa venue au sein de la société romaine.

C’est ce que Paul Orose a compris quelquefois : de là le mérite et l’intérêt durable de son Histoire. Mais l’ardeur de la dispute l’égare trop souvent, et l’on ne voit pas sans une sorte de pitié sa forte et noble intelligence se perdre dans les jeux d’une sophistique stérile.

Je ne voudrais pas étendre davantage mes réflexions sur cet écrivain ; mais je les ramènerai, en terminant ; à deux points principaux.

La fixation de l’ère chrétienne à l’an 752 de Rome, paraît remonter à Tertullien et à Eusèbe. Paul Orose est le premier, peut-être le seul auteur ancien qui la défende[39] : on a vu par quelles preuves ; et pourtant l’erreur, augmentée d’un an par Denys le Petit, a longtemps triomphé chez les chronologistes modernes.

La chronologie du règne d’Auguste est plus obscurcie qu’éclairée par les doutes et les discussions des savants sur cette date importante, et c’est une des périodes qui réclament le plus aujourd’hui l’attention des critiques. Au fond, de telles questions intéressent peu le christianisme. Il n’en est pas de même de cette méthode déjà si ancienne qui consiste à défigurer l’histoire parle merveilleux, sous prétexte de l’enrichir. Les écrivains de la primitive Église l’ont héritée des païens leurs maîtres ; ils n’auraient pas dû la transmettre aux chrétiens d’un autre âge.

 

SECTION II — LES AUTRES ABRÉVIATEURS GRECS ET LATINS.

Nous avons certainement perdu beaucoup d’abréviateurs de l’Histoire romaine appartenant aux deux derniers siècles de l’empire. Tels sont :

1° Dexippe, que lisait encore Photius, et que Capitolin loue pour son exactitude[40] ;

2° Charax de Pergame, auteur d’un ouvrage en quarante livres, où il parlait certainement d’Auguste et de ses successeurs, selon le témoignage précis de Suidas[41] ;

3° Asinius Quadratus, dont l’ouvrage intitulé Χιλιάς ou Χιλιαρχία ou 'Ρωμαϊxά, paraît avoir contenu dix siècles des annales de Rome[42] ;

4° Un certain Clément, qui, selon Suidas, rédigea aussi l’histoire des rois et des empereurs romains[43] ;

5° Un Théodore, le septième de ceux qu’énumère Diogène Laërce[44].

On doit peu regretter la perte de ces livres, à en juger du moins par les autres abrégés qui nous sont parvenus, et qui ont pour auteurs soit des contemporains de Paul Orose, soit des écrivains plus récents encore.

Figurons-nous qu’un jour les riches matériaux de l’histoire moderne viennent à se perdre, et qu’il t’aille recourir, pour connaître Charles-Quint ou Louis XIV, à des cahiers de collèges, à des rédactions d’écolier ; et nous aurons une idée assez exacte de ce que devient l’histoire d’Auguste chez les rédacteurs d’abrégés et de tables chronologiques, depuis Orose jusqu’à la renaissance des lettres. Triste spectacle, s’il en fut jamais, que celui de la vérité qui s’en va, comme disait Sénèque, de ce trésor qui s’amoindrit et s’altère entre des mains négligentes ou superstitieuses.

On lit encore, non sans profit, dans l’auteur qui, sous le nom d’Aurelius Victor, nous a laissé les deux livres de Cæsaribus et de Vita et moribus Imperatorum, quelques pages où la vie d’Auguste est résumée avec une brièveté passablement élégante ; dans le Breviarium d’Eutrope, un tableau assez exact des guerres civiles et étrangères entre 710 et 766 ; dans le Breviarium de Sextus Rufus, quelques détails omis par les autres historiens. Enfin la Chronique d’Eusèbe avec les additions du traducteur latin saint Jérôme, que nous pouvons mesurer aujourd’hui par la comparaison du texte arménien, est un guide fort utile pour la chronologie, et nous a fourni, dans le cours de nos recherches, plusieurs dates et plusieurs faits curieux[45]. Mais comment juger sérieusement, dans une revue des historiens, le petit livre de Viris illustribus urbis Romœ ; le misérable catalogue de L. Ampélius, intitulé Liber memorialis ; le recueil de Julius Obsequens, de Prodigiis ; les trois ou quatre chroniques, comme celle de Cassiodore, où la série des consuls est à peine interrompue çà et là par l’indication de quelques faits historiques. Sous les ténèbres de l’oppression barbare, voici que tout se brouille et se confond : le Goth Jordanes ou Jornandès, auteur de l’ouvrage qui a pour titre de Regnorum successione, copiant mot pour mot dans son chapitre XXXVe le texte même de Florus, arrête tout court à la bataille d’Actium le récit des événements militaires du règne d’Auguste, et place après l’an 793 de Rome une longue période de paix qui dure jusqu’à la mort de ce prince. Bientôt Paul Warnfried, ou le Diacre, va altérer par des interpolations chrétiennes le manuel d’Eutrope ; ruse innocente à quelques égards, mais qui a pu faire croire que la méthode de Paul Orose avait eu des modèles[46].

Même insouciance chez les compilateurs grecs. Au VIe siècle, Laurent Lydus, rédigeant un traité sur les Magistratures romaines, semble croire que chez les Romains l’hérédité régla de tout temps la succession à l’empire, et il compare cet usage à celui qui régnait alors en Perse[47]. Procope nous transmet un récit tout oriental et romanesque sur l’amitié d’Auguste pour Abgar, gouverneur de la ville d’Édesse[48]. Jean Malalas raconte, d’après un certain Timothée, que la cinquante-quatrième année de son règne, au mois d’octobre, Auguste alla consulter la Pythie pour savoir quel serait son successeur : la Pythie ne répondit pas ; interrogée de nouveau sur son silence, elle prononça trois vers dont le sens est : Un enfant juif m’ordonne de rentrer dans les enfers, d’où je suis venue ; toi, sors de cette demeure. Dès son retour à Rome, Auguste fonda, sur le Capitole, un autel avec cette inscription : Deo primogenito[49]. Cédrénus rapporte la même prédiction.

Au VIIIe siècle, George le Syncelle réunit sous la même date la mort de Cicéron et de Lepidus avec la fin des royaumes de Pergame et d’Épire ; selon-lui, Cicéron fut peut-être empoisonné, et Lepidus mourut de la main d’Octave[50]. Ces étranges erreurs rie méritent pas d’être discutées. Il serait plus utile d’en chercher l’origine, et de mesurer siècle par siècle le rapide affaiblissement des connaissances historiques. Tuais à cet égard on ne peut guère hasarder que des conjectures. Le faux oracle de Delphes, que transcrivent Malalas et Cédrénus, paraît appartenir à cette classe de prédictions apocryphes plus tard réunies sous le nom de la Sibylle[51]. La mauvaise foi les produisit d’abord, pour aider au triomphe du christianisme par des témoignages qu’elle supposait antérieurs à la venue du Christ ; depuis, chaque génération les a grossies d’oracles fabriqués pour consacrer de même d’autres événements qui avaient frappé l’imagination populaire ; et la naïveté des annalistes ne s’est pas tenue en garde contre ces fraudes poétiques. Nous avons déjà vu comment Paul Orose accepte sans contrôle tous les arguments qui peuvent appuyer sa cause. Chez les pauvres moines byzantins, cette facilité est souvent bien innocente, et trouve son excuse dans le goût des fables, si naturel au génie oriental, et développé d’ailleurs par les progrès de l’ignorance. Ainsi, lorsque Cédrénus raconte longuement les deux songes du père et de la mère d’Auguste, avec l’explication qu’en donnait Nigidius Figulus, le fameux astrologue ami de César[52], on voit que l’amour du merveilleux embellit déjà, par des rapprochements forcés ou des inventions gratuites, la biographie des grands hommes. Un songe de Cicéron, rapporté dans Plutarque, est reproduit par le même chroniqueur, qui le surcharge de détails nouveaux. Ainsi, encore, s’est altéré un récit de Plutarque sur la jonction de l’île du Phare au continent par Marc-Antoine ; peut-être aussi l’auteur, quel qu’il soit, de cette tradition bizarre se souvenait d’un travail analogue que Vitruve a décrit, mais qui avait eu lieu plusieurs siècles avant dans la ville d’Halicarnasse[53].

C’est par ce procédé d’assimilation grossière que se forment au moyen âge les légendes de quelques grands personnages de l’antiquité. Hippocrate, Alexandre et Virgile allaient avoir leur biographie romanesque[54]. Si Auguste n’eut pas le même honneur, le hasard peut en être accusé sans doute. (A quoi tenait-il en effet que le médecin de Cos et le poète de Mantoue devinssent des héros de roman pour l’Europe barbare[55] ?) Néanmoins il ne faut pas oublier non plus que la froide gravité du caractère d’Octave prêtait bien peu à l’enthousiasme et aux jeux de la poésie populaire ; l’histoire d’un tel prince pouvait se perdre avec le temps, elle ne pouvait se transformer.

Aussi les Cédrénus et les Syncelle n’ont pas, quand ils parlent d’Octave, à se défendre de la séduction de fables déjà consacrées par la croyance naïve de leurs contemporains ; seulement ils s’attachent de préférence aux faits merveilleux, comme les songes que nous avons rappelés ; ou aux anecdotes morales qui peuvent surtout édifier leurs lecteurs, comme celle d’Athénodore, tant de fois reproduite depuis Dion Cassius[56] ; comme la célèbre parole de Mécène à Octave, qui siégeait en bourreau sur son tribunal de triumvir[57]. Enfin, l’étrangeté seule des détails suffisait à recommander certains faits qui ont ainsi échappé à l’oubli. Telle est, par exemple, l’arrivée à Rome d’un vaisseau d’Alexandrie qui portait, outre douze cents soldats, deux cents matelots, un obélisque de quatre-vingt-sept pieds de long, et un grand nombre de denrées égyptiennes. C’est un des principaux témoignages que nous possédons et sur la marine de ce temps et sur le transport des obélisques dans cette ville, dont ils sont encore aujourd’hui l’ornement[58].

Mais à part ces bonnes fortunes que l’on rencontre çà et là dans la lecture des chroniqueurs chrétiens[59], la suite des temps, comme l’appelle Bossuet, l’histoire du monde entier, depuis sa création jusqu’à l’année où chacun d’eux s’arrête, voilà surtout ce qu’on trouve dans leurs chroniques ; et le règne même d’Auguste y serait quelquefois entièrement oublié, s’il ne fallait rappeler au moins les deux consuls sous lesquels se place la naissance de Jésus-Christ. C’est ce qui arrive en effet dans l’Histoire ecclésiastique de Sulpice Sévère[60], dont le style, cependant, reflète heureusement, au milieu de la barbarie contemporaine, l’élégance d’un siècle bien oublié. C’est par là seulement que le nom d’Auguste est demeuré populaire durant tout le moyen âge[61]. Il rappelait le souvenir de la paix universelle qui régna dans le monde à la venue du Christ, et cette dernière date fait, pour les chroniqueurs, presque tout l’intérêt d’un si long règne. Le calcul de la Pâque et du jour de Noël, qui n’est plus aujourd’hui qu’un problème scientifique, sans intérêt pour les consciences, était pour les chrétiens d’alors l’objet d’un pieux scrupule. De là tant de supputes ou de dissertations pascales chez les Byzantins ; de là, entre autres, le titre même d’un livre célèbre, le Chronicon Paschale, qui nous a conservé plusieurs fragments de la haute antiquité.

Ainsi, dans Paul Orose, l’histoire romaine perdait déjà quelque chose de sa grandeur et de ses proportions en se mêlant à l’histoire générale du monde ; chez les chroniqueurs du moyen âge, elle se réduit aux faits qui intéressent le christianisme, c’est-à-dire pour l’époque d’Auguste, à la naissance du Sauveur[62]. Autour de ce fait se rangent quelques anecdotes, quelques souvenirs confus, quelques traditions fabuleuses accréditées par l’ignorance ou l’esprit de parti.

Cette date même, sur laquelle repose toute la chronologie des peuples chrétiens, sera bientôt méconnue par l’insouciance d’un chroniqueur arabe. Abul-Féda n’osera décider si le Christ naquit soixante-cinq ans ou trois cent trois ans après Alexandre[63]. Pour expliquer la division du monde en tant de royaumes, il nous apprendra que le fils du conquérant macédonien, ayant renoncé au trône pour embrasser la vie religieuse, livra ainsi à l’anarchie, et bientôt à l’ambition des autres rois, ce vaste empire demeuré sans maître. Ici la tradition a fait place au roman, qui du moins amusera, ne pouvant plus instruire. La poésie germe et fleurit, si je puis ainsi dire, sur les ruines de l’histoire ; elle les anime d’une vie nouvelle ; ce n’est plus désormais qu’une révélation naïve des mœurs et des croyances du peuple qui l’a créée, qui la transforme sans cesse et la multiplie avec une admirable fécondité.

Telle n’est pas l’histoire romaine dans les cloîtres et à la cour de Byzance ; toujours sérieuse, mais incomplète, mutilée, elle ne présente partout que l’image de la misère et de la destruction. Une seule fois peut-être dans le cours de ces dix siècles, on croit rencontrer un annaliste véritable : c’est Jean Zonaras, que l’on compte vulgairement parmi les historiens du siècle d’Auguste, parce qu’il ne s’est pas donné, comme Xiphilin, pour un simple abréviateur ; mais on s’aperçoit bientôt que tout son mérite se borne à avoir lu, dans des manuscrits quelquefois plus complets que les nôtres, Dion et Plutarque, dont il nous à transmis des fragments, tant bien que mal recousus l’un à l’autre par des transitions de sa façon. Le dixième livre de son ouvrage commence avec l’histoire de Pompée, et se termine à la mort d’Auguste. Il raconte les faits de cette longue période, d’abord d’après Plutarque (Vies de César et de Pompée), puis d’après Plutarque et Dion Cassius, qu’il compare même à l’occasion des dernières paroles de Brutus[64] ; enfin d’après Dion seul, qu’il copie d’ordinaire sans prendre la peine de le citer[65], encore moins celle de le résumer ; et en supprimant la plupart des digressions et des harangues[66] ; et ce qui est beaucoup plus grave,en négligeant presque partout le nom des consuls, en omettant des séries entières d’événements, là même où il n’a pas pour excuse l’insuffisance des matériaux sur lesquels il travaille[67].

Après quelques lignes[68] sur un monument de Nicopolis transporté à Constantinople, sur la naissance de Jésus-Christ, et une bonne remarque sur le nom de Pæoniens que les Grecs donnaient aux Pannoniens, on ne trouve rien dans tout ce dixième livre qui mérite une attention sérieuse. Zonaras est le plus long, mais, à coup sûr, le moins original des abréviateurs[69]. Sa place est au-dessous de Photius et à côté de Xiphilin.

Tant de pénurie, une méthode si grossière ont droit de nous surprendre, si nous songeons que Zonaras vivait à la fin du Xe siècle. En effet, quelques années auparavant, un empereur érudit, Constantin Porphyrogénète, avait conçu et exécuté le projet d’une grande encyclopédie historique par ordre de matières, formant plus de cinquante gros volumes[70]. Mais, faut-il le dire, ce travail même n’était qu’un triste témoignage de la décadence des études historiques ; et peut-être il l’accéléra encore. Que devenait l’histoire des empires dans un recueil où l’on avait classé méthodiquement des extraits de Polybe, de Diodore, d’Appien et de Dion Cassius, sous les diverses rubriques des Ambassades, des Vertus et des vices, des Sentences, des Harangues, etc. ? Et d’ailleurs, n’est-il pas évident que le travail fait sous les ordres de Constantin devait nuire aux manuscrits originaux des historiens qui en furent l’objet ? Ainsi, dans ces temps malheureux, tout semblait tourner au détriment des sciences, même le zèle de leurs plus actifs protecteurs. A leur tour, les Extraits de Porphyrogénète devinrent trop volumineux pour la pauvreté ou l’indolence des Byzantins : à peine un seul volume en est-il parvenu jusqu’à nous.

De toutes ces collections anecdotiques et morales, la seule qui se soit conservée à peu près intacte est une des plus courtes, l’Anthologie de Stobée : c’est précisément celle qui offrait le moins d’intérêt pour l’objet de nos recherches.

Lorsque Nicéphore Grégoras, au commencement du XIVe siècle, écrivait, en tête de ses annales de Byzance, un préambule presque éloquent sur la dignité du genre historique[71], l’histoire contemporaine était donc seule possible : il a fallu le réveil de l’esprit moderne pour que les antiquités de la Grèce et de Rome fussent restaurées, d’après des ruines, par la critique et l’érudition.

 

Fin de l’Examen des historiens d’Auguste

 

 

 

 



[1] Il existe bien peu de travaux critiques sur cet historien, et le texte même de son ouvrage attend, après Havercamp, un commentateur moins capricieux. Voyez Bæhr, Geschichte der rœm. Lit., § 238 ; Sainte-Croix, Examen critique des hist. d’Al., p. 122. M. Dureau de la Malle a indiqué les principales sources du récit de P. Orose dans une note substantielle de ses Recherches sur la topographie de Carthage, p. 255 et suiv. La dissertation spéciale de H. Beck, de Orosii fontibus et auctoritate (Gotha, 1834, in-8°), effleure à peine le sujet, et n’offre guère plus que la nomenclature, en deux pages, des auteurs consultés par notre historien ; nous n’avons pu consulter la dissertation de Moller, de Paulo Orosio, Altorf, 1689.

[2] Voyez M. de Barante, Mélanges historiques et littéraires, II, p. 14.

[3] Historiarum libri VII adversus Paganos. — De cladibus et miseriis mundi. — De totius mundi calamitatibus, etc. Voyez Funccius, de Vegeta ling. lat. senectute, § 86, et Bæhr, l. c., § 238, note 4.

[4] Voyez surtout le livre III. Un passage remarquable du livre Ier (chap. 35) contient le germe des doctrines de Salvien et d’Orose sur le même sujet : Tels sont les moyens de défense que nous pouvons opposer à nos ennemis, nous enfants du Seigneur Jésus, rachetés de son sang et membres de la cité ici-bas étrangère, de la cité royale du Christ. N’oublions pas toutefois qu’au milieu de ces ennemis mêmes se cache plus d’un concitoyen futur, ce qui doit nous faire voir qu’il n’est pas sans avantage de supporter patiemment comme adversaire de notre foi celui qui peut en devenir confesseur. Cf. Villemain, Nouveaux mélanges, p. 473 et suiv.

[5] VI, 17 : Percensuit latitudinem regni sui Roma cladibus suis, atque in suam conversa cædem, singulas quasque gentes ibidem, ubi domuit, vindicavit. Asiæ, Europæ atque Africae, non dico tribus mundi partibus, sed totis trium partium angulis, edidit gladiatores suos, feriatisque inimicis spectaculum miseræ ultionis ingessit.

[6] Voyez cependant, V, 19, où il se repent, et s’excuse presque, de l’exactitude même de son récit sur les guerres civiles de Marius et de Sylla.

[7] V, 2 ; fort beau chapitre qui a pour titre : Orosio, utpote christiano, ubique patria et quovis securus accessus.

[8] Voyez Érasme Müller, de Genio œvi Theodosiani (Havniæ, 1797), chap. X.

[9] Voyez, par exemple, III, 8 ; V, 1, 22, 24.

[10] III, 7 : Alexander Magnus, magnus vere ille gurges miseriarum atque atrocissimus turbo totius Orientis. Cf. c. 20, et VI, 21.

[11] Au moins il déclare écrire d’après Suétone son résumé de la guerre des Gaules, VI, 7.

[12] Cependant au livre IV, ch. 5, il discute les autorités de Polybe, de Valérios d’Antium et de Claudius.

[13] VI, 18 et 19. Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, livres XIV et XV.

[14] Plutarque, Antoine, c. 34, 35. Cf. Velleius, II, 82.

[15] VII, 2 : DCC conditionis suæ anno, quatuordecim vicos ejus (Romæ), incertum unde consurgens, flamina consompsit, nec unquam, ut ait Livius, majore incendio vastata est, adeo ut post aliquot annos Cæsar Augustus ad reparationem eorum quæ tunc exusta erant, magnam vim pecuniæ ex ærario publico largitus sit. Cf. VI, 14.

[16] Voyez VI, 18, et les interprètes sur ce passage.

[17] VI, 18, 19. cf. plus haut les articles Appien et Dion Cassius.

[18] On lit, à cet égard, une réflexion curieuse dans le plus grave et le plus savant historien des empereurs, Tillemont, Préface, p. 13 : Cette vérité n’est pas assurément la plus importante, surtout quand elle ne regarde que des païens ; tels sont presque tous ceux dont on parlera dans les trois premiers volumes : elle a néanmoins son utilité pour ceux qui savent profiter de tout ; et si tout ce qu’on peut dire des païens est peu important, il n’est pas peu important d’aimer la vérité jusque dans les plus petites choses.

[19] VI, 22. Cf. Ahrens, de Statu Athenarum politico (Göttingue, 1829, in-4°), Proœm. § 5 ; et saint Jérôme dans la Chronique d’Eusèbe, Ol. 197, 1.

[20] Voyez, par exemple, VI, 20, au sujet du prodige qui signala l’arrivée d’Octave à Rome, et que Pline l’Ancien avait déjà rappelé d’après le texte même des Mémoires d’Auguste ; VI, 21, au sujet des ambassades envoyées à Auguste par des nations barbares. Cf. Florus, IV, 12, § 62.

[21] Dion, 31,20 ; Orose, VI, 20.

[22] Orose, VI, 21. Cf. Dion, 53, 36.

[23] Orose, VI, 22, place cette fermeture l’an de Rome 752 ; Dion, 54, 36, l’an de Rome 743. Saint Jérôme, dans la Chronique d’Eusèbe, ad Olymp. 194, 2 : Tertullianus in eo libre quem contra Judæos scripsit, affirmat Jesum Christurn XLI° anno Augusti natum esse et XV° Tiberii esse passum. Dans le texte arménien de la Chronique d’Eusèbe, la naissance de Jésus-Christ est rapportée au commencement de la 195e olympiade, peut-être par suite d’une de ces erreurs si faciles et si fréquentes dans les anciens ouvrages de chronologie (voyez la Préface d’Eusèbe et la prière qui termine sa traduction). Ce qui est certain, c’est que la date de 752 (41e année du règne d’Auguste, à partir des ides de mars) est adoptée par le plus grand nombre des chronographes du moyen âge. Sulpice Sévère, (Hist. sacra, II, 39) adopte celle de 749 (consulat de Calvisius Sabinus et de Pissienus Rufus).

[24] VII, 3 : Deinde, ut vernis Cornelii Taciti loquar, serre Auqusto Janus patefactus, dum apud extremos tertæ terminus novæ gentes sæpe ex usu et aliquando cum damno quæruntur, osque ad Vespasiani duravit imperium. Huc usque Cornelius.

[25] VI, 22 ; VIL, 2 et 3. Cf. III, 8 ; V, 1.

[26] V. saint Jérôme dans la Chronique d’Eusèbe, Olymp. 188, 2.

[27] Florus, IV, 12, § 63 : Parthi quoque, quasi victoriæ pœniteret, etc. Orose, VI, 21 s. finem : Parthi, quasi toto terrarum orbe vel domito vel pacato, omnium oculis signarentur, atque in se solos omnis vigor Romani imperii vertendus esset ; quippe quos pristina ulciscendæ Crassianæ cædis conscientia mordebat, ultro signa quæ Crasso interfecto abstulerant, ad Cæsarem remiserunt, etc.

[28] Suétone, Auguste, 53 : Domini appellationem, ut opprobrium et maledictum semper exhorruit (Il eut toujours horreur du nom de maître qu'il regardait comme une injure et un opprobre). Orose, VI, 22 : Domini appellationem, ut homo, recusavit. L’anecdote bien connue que Suétone rapporte ensuite, se retrouve mot pour mot dans Orose. Au livre VII, c. 3, il abuse de même du récit de Suétone sur le voyage du jeune Caïus en Orient.

[29] Voyez l’ancienne traduction grecque de ce morceau dans Eusèbe.

[30] VI, 20. Cf. Dion, 53, 16 ; Censorinus, de Die natali, c. 21 ; Suétone, Auguste, c. 7 ; Eusèbe, ad olymp. 188, et le témoignage d’Auguste lui-même dans le monument d’Ancyre, table sixième.

[31] On ne trouve ce prodige ni dans Eusèbe, ni dans saint Jérôme ; mais il est souvent reproduit après Orose, avec des variantes plus ou moins curieuses. Voyez, par exemple, Martini Poloni Chronicon (Cologne, 1616), p. 5.

[32] VI, 20 : Romœ fons olei per totum diem fluxit... hoc est, per omne Romani tempus imperii, christum et ex eo christianos, id est, unctum atque ex eo unctos ; de meritoria taberna, hoc est, de hospita largaque Ecclesia affluenter atque incessabiliter processuros, restituendosque per Cæsarem omnes servos, qui tamen cognoscerent dominum suum, ceterosque, qui sine domino invenirentur, morti supplicioque dedendos, remittendaque sub Cæsare debita peccatorum in ea urbe, in qua spontaneum fluxisset oleum, evidentissima his qui prophetarum votes non audiebant, signa in cœlo et in terra prodigia prodiderunt.

[33] V, 9 : Misera profecto talis belli et inextricabilis causa. Pereundum utique dominis erat, nisi insolescentibus servis ferro obviam iretur.

[34] VII, 4 : Tiberius plurima imperii sui parte cum magna et gravi modestia reipublicæ præfuit.

[35] On peut comparer sur ce sujet les sages réflexions de Tillemont, Hist. des Emp. t. I, p. 115.

[36] Tite-Live, XXVI4, 6. 23 : tant la religion mal comprise mêle les dieux aux moindres faits.

[37] Le moine chrétien Xiphilin reproche déjà à Dion Cassius l’attention qu’il donne aux prodiges, et il lui oppose l’exemple de Polybe, qui les a négligés dans son histoire, ou qui du moins ne les rappelle qu’en les comptant parmi les moyens employés par la politique romaine pour dominer les esprits par la superstition.

[38] Voyez Villemain, Nouveaux Mélanges : du Polythéisme dans le premier siècle de notre ère.

[39] Voyez P. Dom. Magnan, Problema de anno nativitatis Christi (Rome, 1772), p. 349. Ce livre offre un minutieux errata de toutes les fautes commises par les chronologistes anciens et modernes, relativement à la date de la naissance de Jésus-Christ et des événements contemporains. On s’étonne de n’y pas trouver l’opinion de Paul Orose, qui est pourtant loin de s’accorder avec celle du savant italien.

[40] Photius, Cod. 82 ; Capitolin, Gord. 2.

[41] Vossius, de Hist. gr. III, p. 414, éd. Westermann.

[42] Vossius, ibid. II, 16.

[43] Vossius, ibid. III, p. 416.

[44] II, 104. Si toutefois Vossius (p. 503) ne suit pas trop complaisamment la traduction latine des mots grecs ό τά περί 'Ρωμαίων πεπραγματευένος, qui romanas res conscripsit. On peut ajouter encore à ces cinq noms, mais sur de simples conjectures, Arrien (Photius, Cod. 56) et Tatius ou Statius Cyrillus (Capitol. Maximini duo, c. 1). Cf. plus haut les auteurs cités à la fin du chap. VIII.

[45] Voyez surtout l’édition de Venise par les Méchitaristes, et celle que M. A. Mai a donnée dans le VIIIe volume de sa collection in-4°, intitulée Scriptorum veterum nova collectio, 1825-1838.

[46] Voyez Bæhr, Gesch. der rœm. Lit. § 234.

[47] II, 1 et 2. Cf. de Mensibus, III, 39 ; IV, 86.

[48] De Bello Persico, II, 12.

[49] P. 231, éd. Bonn. Cf. Cédrénus, t. I, p. 321, éd. Bonn.

[50] T. I, p. 577-579. éd. Bonn.

[51] Voyez au commencement du troisième livre des Oracula Sibyllina (t. I, p. 97, éd. Alexandre), les prédictions relatives au triumvirat et à l’empire des Césars. Cf. Michel Glycas, p. 380, éd. Bonn.

[52] T.1, p. 300, 301, éd. Bonn. Cf. Plutarque, Cicéron, 41.

[53] Cédrénus, ibid. Cf. Chron. Pasch. 1, p. 363 ; Plutarque, Anton. 78 ; Vitruve, II, 8, § 13.

[54] Voyez le Mémoire de M. Berger de Xivrey sur le Pseudo-Callisthène, dans le t. XIII des Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque royale ; le Livre des Légendes, par M. Le Roux de Lincy, tome II ; le Ms. français, Supplément, B. 618, de la Bibliothèque royale, qui contient un recueil de prétendus oracles sibyllins en vers ; dans la partie de ces oracles qui concerne le siècle d’Auguste, l’auteur ne fait guère que transcrire et commenter les vers de Virgile : Ultima Cumœi, etc.

[55] Au reste, quelques scènes de la Légende d’Hippocrate, publiée par M. Le Roux de Lincy (Revue française, 1839, mai et juin), se passent à la cour d’Auguste, et rappellent peut-être la maladie du jeune Marcellus. Comparez la Vie de Virgile par le faux Donat.

[56] Voyez Weichert, de Cœs. Aug. scriptis, I, p. 44 sqq.

[57] Cédrénus, t. I, p. 300. Constantin Manassès, vers 1861 et suiv. Mais ce n’est pas sans doute pour édifier son lecteur que Manassès délaye en trois vers les fameuses paroles d’Auguste à ses derniers moments.

[58] Cédrénus, ibid. Cf. Pline, Hist. nat. XXXVI, 10 ; Zoëga, de Usu obel. p. 31 sq., 51 sq., 609, 643 ; Orelli, Inscr. lat. n. 37.

[59] Voyez encore Agathias, p. 100, sur la destruction de Tralles ; J. Malalas, p. 187, sur le Calendrier ; Chronicon Paschale, p. 364, et Malalas, p. 224, sur un certain Sosibius d’Antioche.

[60] II, 39 : Sub hoc Herode, anno imperii ejus XXXIII, Christus natus est, Sabino et Rufino consulibus, VIII Kat. Jan.

[61] Voyez, entre autres, Chron. Pasch. p. 116-118 ; Julius Pollux, Historia physica (c’est-à-dire, Histoire du monde), p. 154 sqq., édition de Hardt, Munich, 1792, in-8°) ; Joel, Chronogr. Compendiosa, p. 24, 25, éd. Bonn.

[62] Voyez, outre les Byzantins déjà cités, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, VI, 71 (Cf. VI, 87), qui n’offre qu’un court extrait du chapitre de Paul Orose sur les circonstances de la venue du Messie.

[63] Chronique, liv. I, p. 5, éd. Fleischer (Leipzig, 1831, in-4°). Cf. Evangelium infantiæ Servatoris c. 2, ap. Thilo, Codex apocryphus Novi Testamenti (t. I, Lips. 1832), et p. 135, la note de l’éditeur.

[64] T. I, p. 508, de l’édition du Louvre.

[65] Il faut excepter deux passages, p. 530, 540.

[66] Toutefois, il analyse (p. 532) la conférence entre Auguste, Agrippa et Mécène, racontée par Dion dans son livre 52e.

[67] Voyez IX, 31, p. 471. il s’arrête brusquement à la destruction de Corinthe, faute de livres.

[68] P. 526, 544 et 521. Avec ce dernier passage, comparer Laurent Lydus, de Magistr. III, 32, qui explique cette altération, du mot Pannonie chez les Grecs.

[69] Cette conclusion est précisément celle des recherches sur les sources de Zonaras, récemment publiées par M. W. Ad. Schmidt (Journal philologique de Darmstadt, 1839, n. 30-36), et que nous ne pouvions connaître lors de la première rédaction de ce mémoire.

[70] Voyez H. Valois, Préface de son édition des Excerpta, Paris, 1634, in-4°, et Ang. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. II (Rome, 1825.1838, in-4°). M. Minoïde Minas a récemment découvert en Grèce quelques pages inédites des extraits de Constantin Porphyrogénète. Cf. Hancke : De Byzantinarum rerum scriptoribus græcis, I, 25, § 14, 15.

[71] Insérons ici, puisque l’espace nous le permet, un essai de traduction de ce morceau curieux et peu connu, où nous conserverons, autant qu’il nous est possible, les formes ambitieuses du style byzantin : En lisant les livres destinés à éterniser la mémoire des hommes de l’ancien temps ou de nos ; jours, voyant les auteurs avouer tous qu’une inspiration divine les a poussés à cette entreprise, je condamnais cette étrange ambition, et je taxais leurs paroles d’arrogance. Mais, plus tard, je m’aperçus que ces hommes étaient bien des initiés aux mystères de la vérité, que leur œuvre était réellement celle de Dieu lui-même, conduisant leur main, et révélant par là, avec autant d’éloquence que par le spectacle du ciel et de la terre, les plus grandes et les premières de ses créations, ce qui peut se révéler des secrets de sa gloire. Le ciel et la terre, traversant les âges comme des témoins silencieux de sa puissance créatrice, ne frappent que nos sens. Mais l’histoire, voix parlante et vivante, témoin sonore et animé de la création divine, traverse les siècles en montrant comme sur une table universelle le passé aux générations nouvelles, ce qu’ont produit avec le temps les sociétés humaines, ce que les sages ont pensé de la nature des choses, ce qu’ils en ont compris, ce qui leur en a échappé, quels obstacles ils ont rencontrés chacun sur leur route, de quelle jouissance Dieu les a rassasiés, et quels bienfaits inattendus sa main a versés sur eux. L’histoire semble même rehausser la gloire du ciel et de la terre, et en rendre, s’il faut le dire, l’éclat plus éclatant encore. Sans l’histoire, en effet, comment les hommes sauraient-ils que le ciel, mu, depuis le commencement des siècles, d’un mouvement invariable, entraîne le soleil, la lune et les astres dans leurs révolutions diversement régulières et harmonieuses, et, le jour comme la nuit, raconte, à jamais la gloire de Dieu ? que la terre tournant aussi depuis l’origine des temps sur son axe immobile, annonce aux générations successives de l’humanité les mêmes vicissitudes de naissance et de mort ? De sorte que tout homme raisonnable doit autant admirer l’histoire, la doit plus admirer peut-être, qu’il ne fait la création manie. Car celle-ci semblerait incomplète, s’il n’y avait encore quelque chose pour nous apprendre et nous démontrer que d’autres générations ont vécu comme nous sur la terre, et combien, et combien de temps, et ce qu’elles ont fait ici-bas, et ce qui leur a été départi des bienfaits de la nature ou de la Providence. Bien plus, l’histoire rend en quelque sorte prophètes ceux qui s’en occupent ; elle leur fait prévoir l’avenir par le passé. Qui procure à l’homme confiné dans un coin de la terre, l’avantage d’en connaître les extrémités, de savoir la hauteur des montagnes et l’étendue des mers, les fleuves et les marais, le caractère des peuples et des lieux, la différence des saisons et ries temps ? qui nous procure enfin tant d’autres avantages ? n’est-ce point l’histoire ? Voilà pourquoi je n’aime point et je me soucie peu d’imiter ceux qui ont dépensé leurs paroles en drames comiques, en tragédies, en belles flatteries oratoires ; mais bien ceux qui ont étudié de tout leur pouvoir les réalités de ce monde, et ceux qui, réunissant à travers l’histoire toutes tes paroles, tous les exemples de courage et de prudence, ont consacré ces résultats de leurs travaux à l’utilité de l’avenir. C’est cet amour, c’est cette émulation qui m’a persuadé de suivre la même route, et m’a inspiré l’entreprise que je commence, etc.