EXAMEN DES HISTORIENS D’AUGUSTE

 

CHAPITRE VIII — DION CASSIUS.

 

 

Dion Cassius Coccéius ou Coccéianus[1], né vers l’an 155 de notre ère, à Nicée en Bithynie, avait pour père Cassius Apronianus, qui, étant venu à Rome peu après cette époque, fut admis dans le sénat, puis nommé successivement gouverneur de Cilicie et de Dalmatie. Dion, qui avait suivi son père en Cilicie, était de retour à Rome, et déjà sénateur au commencement du règne de Commode, pendant lequel il paraît avoir exercé la questure et l’édilité, car il fut désigné préteur sous Pertinax, en 193. Ces treize années furent consacrées en partie à ses devoirs de magistrat, en partie au forum, peut-être à la rédaction de l’histoire contemporaine. Admis au nombre des amis du vieil empereur, il put assister à son assassinat par les prétoriens, et au scandaleux spectacle de l’empire mis à l’encan, spectacle dont il nous a laissé un curieux récit[2].

Le succès d’un livre sur les prodiges et sur les songes qui avaient annoncé l’avènement de Septime Sévère, lui inspira l’idée d’écrire l’histoire de son temps ; et la narration qu’il publia du règne de Commode, vers 196, fut si bien accueillie, qu’il résolut d’entreprendre aussitôt une histoire générale de Rome. Il mit dix ans à en recueillir les matériaux[3], puis douze ans à la rédiger jusqu’au règne d’Alexandre Sévère. Mais cette période de sa vie ne fut pas exempte d’embarras et d’inquiétudes. Septime avait brusquement changé à l’égard de Commode, son prédécesseur : il prenait plaisir à restaurer la mémoire de l’indigne fils de Marc-Aurèle. Victime de cette réaction bizarre, le biographe de Commode fut retenu en Italie, loin des affaires publiques, et le découragement retarda presque de six années l’exécution de son vaste projet ; mais enfin, décidé par les conseils de sa déesse tutélaire, il reprit l’ouvrage, que de fréquents séjours à Capoue lui permirent dès lors de continuer avec activité.

Malgré de brillants préludes, on a vu que le règne dé Septime n’avait apporté à Dion aucune dignité nouvelle. Lors de l’avènement de Caracalla, il lui fallut faire en Asie, avec le jeune empereur, un voyage fort onéreux pour sa fortune. On le retrouve à Rome avant la mort de Caracalla et après l’usurpation de Macrin ; puis, vers 218, à Pergame, et peut-être à Smyrne, où il resta pendant les premières années d’Élagabale. D’Asie il était revenu, vers 221, en Bithynie, où il tomba malade ; il en repartit bientôt pour aller prendre le proconsulat d’Afrique, vers 224. C’est probablement entre ces deux voyages qu’il faut placer son premier consulat, qu’il aura dû à la faveur d’Alexandre Sévère. D’Afrique il se rendit en Italie, pour être envoyé d’abord en Dalmatie, dans l’ancien gouvernement de son père, puis dans la Pannonie supérieure, où sa sévérité envers une soldatesque sans discipline lui mérita l’estime de l’empereur, qui le fit, au retour, en 229, consul pour la seconde fois. Alexandre Sévère ajouta même à cet honneur la dispense des frais, ce qui indisposa plus encore les prétoriens contre Dion ; au point que celui-ci dut, par prudence, passer loin de Rome le temps de son consulat. Le terme de ses fonctions étant expiré, il osa braver encore la présence des soldats, et remercier en personne son bienfaiteur ; mais, craignant sans doute un retour de fortune, il prétexta un mal de pied pour obtenir la permission de retourner à Nicée, et il y mourut dans un âge fort avancé. On ne connaît pas la date précise de sa mort, qui toutefois paraît avoir précédé celle d’Alexandre Sévère[4]. Tout ce qu’on sait de ses affaires domestiques, c’est qu’il était riche, et qu’il se maria. La mention d’un Cassius Dio dans les Fastes, à l’an 291, permet de supposer sans invraisemblance qu’il laissa des enfants. Les ouvrages qu’on lui attribue sont :

1° Un livre sur les songes et les prodiges qui avaient annoncé l’élévation de Septime Sévère : nous avons indiqué plus haut la date de cette composition, qui n’est connue que par le témoignage de l’auteur lui-même dans son Histoire romaine ;

2° Un récit du règne de Commode, que probablement il inséra plus tard dans sa grande histoire ;

3° Un récit du règne de Trajan, mentionné par Suidas ; mais il y a peut-être confusion avec quelque livre de Dion Chrysostome, contemporain, admirateur et ami de ce prince. Au reste, la biographie de Trajan, si elle est réellement de notre Dion, aura eu le même sort que l’ouvrage précédent ;

4° Un livre intitulé Persica ; mais Suidas paraît encore se tromper ici, et confondre Ilion avec un certain Dinon, souvent cité par les anciens comme historien de la Perse ;

5° Une biographie du philosophe Arrien (Suidas) ;

6° Des Getica, cités par Jornandès, par Suidas et Fréculphe, mais que Philostrate attribue à Dion Chrysostome le sophiste ;

7° Un Itinéraire, probablement de son voyage avec Caracalla, ou, si l’on veut, de ses divers voyages (Suidas) ;

8° Enfin, une histoire complète de Rome en quatre-vingts livres qui, suivant le témoignage de Suidas et de Photius, se divisaient aussi en décades ou συντάξεις, comme ceux de Tite-Live. Au reste, les traces de la division ancienne ont disparu pour nous à partir du livre soixantième, parce que Xiphilin, abréviateur de Dion, a coutume de faire un livre de la biographie de chaque empereur.

Quand on admettrait la tradition si douteuse qui fait de Plutarque le précepteur de Trajan, et qu’on attribuerait au modeste Appien un rôle vraiment politique, Dion Cassius serait encore le premier annaliste grec de Home qui pût être comparé aux annalistes latins de la grande école, et par le plan de son travail, et par la haute position qu’il occupait dans la société romaine. Polybe, malgré son savoir et son crédit, ne fut jamais, aux yeux des Romains, plus qu’un étranger savant, que le client honorable d’une famille puissante. On le voit surtout à la manière dont le traitent Cicéron et Tite-Live. Théophane de Mitylène, dont nous avons retrouvé plus haut un petit-fils parmi les poètes protégés de Tibère, n’était qu’un simple affranchi[5] ; Timagène, qu’un pauvre esclave parvenu, dont le mérite même demeure toujours un peu suspect, malgré les éloges que lui donnent Ammien et Quintilien. Denys d’Halicarnasse vécut à Rome dans la plus humble condition, à ce qu’il semble ; il en est de même de son contemporain Nicolas Damascène. Quant à Juba le jeune, nous ne savons pas bien ce qu’étaient ses Antiquités ; mais le Numide, gouverneur de la Numidie, était trop nouveau dans la cité romaine pour être un véritable historien de Rome ; il fallait du temps, bien du temps encore, pour que la Grèce eût le droit de donner des rivaux et clés successeurs à Tite-Live et à Tacite. Fronton, recommandant Appien à l’empereur, ne parle pas même des études historiques de son ami, qui cependant doivent remonter plus haut que l’année où il obtint une charge de procurateur. Ces mots qui disaient tant pour un Romain, res romanas scribere, conservaient une partie de leur prestige, et ne s’appliquaient pas encore à l’érudition modeste d’un étranger, esclave, affranchi, secrétaire ou même procurateur impérial. Dion Cassius est le premier historien grec de Rome chez qui la dignité de l’homme réponde aux prétentions de l’écrivain. Voici en effet un sénateur, fils de sénateur, ami de trois empereurs, successivement gouvernent de quatre provinces, qui se fait historien de sa patrie adoptive. Son nom seul est un frappant exemple de ce mélange des racés et des nationalités, commencé dès la république, et que doit violemment achever l’invasion barbare. Dion est un Grec de Bithynie, mais dont la famille fut sans doute (on ne sait à quelle époque) entée sur quelque famille romaine. Il entreprend son livre d’après les conseils d’un empereur ; et, malgré le silence de l’Histoire Auguste, d’innombrables citations, répandues dans les auteurs plus récents, prouvent que ce travail fut reçu avec la même faveur que jadis les grandes compositions des Tite-Live et des Trogue Pompée. Comme eux, Dion eut ses abréviateurs. Rome avait enfin accepté un Grec pour annaliste officiel. C’est de ce nouveau point de vue qu’il faut considérer Dion Cassius ; pour l’apprécier avec justice, il faut lui tenir compte de son ambition comme de ses avantages.

L’histoire de Dion Cassius commençait à l’arrivée des Troyens en Italie, et se continuait jusqu’au règne d’Alexandre Sévère, époque oit s’arrêtent et les détails que l’auteur nous donne sur sa biographie, et son livre quatre-vingtième[6]. Les temps antérieurs à la fondation de Rome, le gouvernement des rois et la république, étaient brièvement résumés ; depuis les guerres de Marius et de Sylla jusqu’à la bataille d’Actium, le récit était plus développé. A partir de ce point, il se resserre de nouveau jusqu’à l’époque dont l’auteur avait été témoin oculaire. Malgré leur brièveté relative, les premiers livres contenaient, comme ceux qui font l’objet de notre examen, des harangues et des digressions ; on peut s’en convaincre par de nombreux fragments de la collection de Reimar et de Sturz, et par quelques-uns de ceux qu’a récemment publiés M. A. Mai[7]. Conformément à l’usage ancien, Dion Cassius nommait, au commencement de chaque année, les consuls ordinaires ; mais il ne mentionnait qu’accidentellement les consuls suffecti[8]. Je ne pense pas d’ailleurs qu’il ait rédigé lui-même les listes des consuls qui se trouvent au commencement de chaque livre de son histoire. Il eût plutôt fait un livre à part de ces sommaires chronologiques, comme Pline et Aulu-Gelle avaient placé en tête de l’Histoire naturelle et des Nuits attiques la table des chapitres contenus dans ces deux ouvrages. Quoi qu’il en soit, la partie des annales de Dion qui nous a été conservée dans le meilleur état est celle qui s’étend entre le premier triumvirat et le règne dé Claude. C’est un peu plus que la période qu’il nous importe surtout d’étudier ; nous nous bornerons donc aux livres XLV-LVI, qui renferment le règne d’Auguste, et nous entrerons dans cet examen par un simple calcul que l’exemple des anciens critiques pourrait, au besoin, facilement justifier[9].

Les onze livres en question se divisent, sous le rapport du contenu, en deux parties inégales : La première comprend vingt et un ans et neuf livres, formant un total de trois cent quatre-vingt-huit chapitres, dont cent dix-neuf remplis par des discours.

La seconde comprend trente-six ans partagés en trois livres, formant un total de cent un chapitres, dont vingt-quatre remplis par des discours. Si nous avions compris dans notre calcul le livre XLV, qui ne contient, à vrai dire, que des événements antérieurs à l’apparition d’Octave sur la scène politique, nous y trouverions encore vingt-sept chapitres sur cinquante-trois, remplis par une longue harangue de Cicéron sur la concorde, et par l’oraison funèbre de César.

D’un autre côté, le LVe livre offre entre les chapitres 9 et 10 une grande lacune que ne comblent pas entièrement les pages publiées par Morelli, puisqu’elles nous laissent encore à désirer neuf collèges de consuls, à savoir, ceux des années 748-753 et 755-756 ; période sur laquelle nous sommes réduits aux maigres témoignages de Velleius Paterculus (II, 99, 100), gêné en cet endroit par le souvenir de l’exil de Tibère ; de Florus (IV, 12), qui n’a pas assez de place pour les détails ; d’Orose (VI, 21), assez indifférent sur ce qui touche l’administration, ou les malheurs de la famille d’Auguste ; de Zonaras, qui morcelle au lieu de résumer, et saute sans façon plusieurs pages du manuscrit qu’il abrège[10]. Comme il est probable que les pages qui manquent encore au texte de Dion ne formeraient pas plus de quatre ou cinq chapitres (c’est à peu près autant que peut en renfermer le supplément de Morelli), le LVe livre parait ainsi atteindre la moyenne étendue des dix précédents. Du reste, tout permet de supposer qu’il ne renfermait pas d’autres discours que ceux de Livie et d’Auguste, à l’occasion de Cornélius Cinna. Mais en revanche le livre LII offre, entre les chapitres 13 et 14, une lacune qui nous enlève la fin d’un discours d’Agrippa et le commencement de la réponse de Mécène. Ainsi, partout se retrouve environ la même proportion entre le récit et les harangues. Quelques autres lacunes dans ces derniers livres sont évidemment trop courtes pour nous importer ici.

Il y a plusieurs conclusions à tirer de notre calcul.

D’abord, la période des guerres civiles est beaucoup plus développée dans le récit de Dion que celle du principat, sans doute parce qu’elle est plus riche en péripéties intéressantes et en contrastes dramatiques. Mais il semble donner lui-même une autre raison de ce silence dans un passage du livre LIII[11], ou il explique le changement opéré dans la condition de l’histoire par l’établissement clé la monarchie. Après un exposé assez habile des principales réformes du nouveau gouvernement, il ajoute qu’on ne peut désormais écrire l’histoire avec la même exactitude. Tant que Rome fut une démocratie, tous les faits étaient rapportés au sénat et au peuple ; chacun pouvait les connaître, beaucoup les écrivaient. Mais maintenant presque tout se passe en secret ; le peu de choses qui se publient manquent d’autorité comme de contrôle : d’ailleurs, on accorde naturellement une grande part à l’influence du prince sur les récits et sur les actions elles-mêmes. Enfin, l’immensité même de l’empire ne permet guère à l’historien de tout embrasser, de tout recueillir, etc. Ces plaintes, il faut l’avouer, sont spécieuses : Montesquieu, du moins, les a prises au sérieux[12] ; mais, à y regarder de près, on les trouve fort exagérées. Comment croire, en effet, que Dion manquât de matériaux pour la seconde partie du règne d’Auguste, quand on songe aux nombreux ouvrages énumérés dans les premiers chapitres de ce Mémoire, et dont la plupart étaient à sa disposition dans les bibliothèques ? Bien des erreurs, bien des lacunes, lui peuvent donc être justement imputées.

En second lieu, si les documents authentiques devenaient de plus en plus rares, plus difficiles à consulter, où donc, alors, notre annaliste avait-il pris la matière de ces longs discours qui occupent presque un tiers de son histoire de la vie d’Auguste ? N’y avait-il pas dans Suétone, dans Sénèque, dans Pline, dans Tacite et ailleurs, de quoi remplir plus utilement cent quarante-trois chapitres presque perdus aujourd’hui pour nous ?

Photius, il est vrai, trouve les harangues de Dion Cassius excellentes, habilement imitées de Thucydide, plus claires même que celles du grand historien. On sait que (voyez Appendice I), sur ce point, la critique ancienne avait ses préjugés ; le bon goût de Photius est d’ailleurs un peu suspect. Mais, chez nous, les plus courageux admirateurs des harangues historiques ont perdu patience à celles de Dion Cassius. Lamothe le Vayer, dans son livre assez médiocre sur les principaux historiens grecs et latins[13], ne peut s’empêcher d’en relever les invraisemblances et les longueurs. J. Rutgers, qui le premier recueillit les fragments d’Auguste dans ses Variœ lectiones, n’ose pas y joindre le discours que Dion lui prête avant la bataille d’Actium ; et Fabricius approuva plus tard ce scrupule, sans condamner toutefois ouvertement tous les autres morceaux du même genre. Montesquieu[14] abrége la harangue d’Auguste contre le célibat (Dion, 50, 2-10), qu’il trouve d’une longueur accablante ; et, malgré l’à-propos et l’importance du sujet, il ne cite pas même une seule fois, à l’occasion du gouvernement monarchique, les deux dissertations d’Agrippa et de Mécène, qui, sans compter une lacune, occupent encore quarante chapitres sur quarante-trois dans le LIIe livre, et qui contiennent, du moins, beaucoup de faits historiques et d’indications précieuses.

Cependant, la seconde de ces deux harangues venait d’être déclarée un véritable code monarchique, et commente avec un magnifique appareil d’érudition par Fr. Barneveck, dont la dissertation a été imprimée sous le nom et avec quelques additions de Boecler, son maître et ami[15]. Là, on démontrait comment le conseiller royal s’était préparé à son noble rôle, comment il l’avait exercé selon les préceptes d’Aristote et de la saine politique, comment il avait mérité la faveur d’Auguste, comment celui-ci avait récompensé tant de franchise et d’amitié ; mais on oubliait de comparer sérieusement le vrai Mécène de Sénèque avec le faux Mécène de Dion Cassius. On ne remarquait pas que toute cette éloquence ressemble un peu trop aux savantes discussions que Denys d’Halicarnasse prête à Romulus, sur les avantages des trois gouvernements monarchique, aristocratique et républicain. Il eût été plus intéressant de faire, dans les conseils de Mécène, la part des mesures réalisées dès cette époque, ou plus tard par Auguste[16], et celle des réformes dont personne alors n’avait peut-être l’idée. Ainsi, l’idée de ne pas permettre à toutes les villes de provinces de battre monnaie fut sans doute appliquée de bonne heure[17] ; la nomination de deux préfets des gardes prétoriennes (c. 24) n’eut lieu qu’en 751, suivant Dion Cassius lui-même[18] ; mais l’extension du droit de cité romaine à tous les habitants de l’empire (c. 19) est un projet qui pouvait à peine venir à l’esprit d’un conseiller d’Auguste. C’est la grande réforme que Dion avait vu autrefois accomplir sous ses yeux par un rescrit célèbre de Caracalla ; mais était-il autorisé à en reporter l’origine aux premiers temps du principat[19] ? Il est vrai de dire aussi que certains articles du discours de Mécène ont pour nous une utilité accidentelle, bien qu’ils ne soient confirmés par aucun témoignage positif de l’histoire contemporaine. Ainsi, quand Mécène propose de fixer à trois ou cinq ans au plus la durée des fonctions des gouverneurs des provinces, Noris peut, sur cette indication, soupçonner avec vraisemblance, dans la liste des gouverneurs de Syrie, une lacune[20] que plus tard San Clemente devait combler par le nom de Saturninus Volusius. Au reste, si la sage disposition des matières et l’élégance du style expliquent l’estime que de bons critiques ont faite de ce morceau, comment défendre les trente pages d’injures débitées contre Cicéron par Q. Fufius Calénus, qu’aucun autre témoignage n’autorise à placer au nombre des ennemis acharnés du vieux consulaire ? Le discours de Cicéron, auquel répond Calénus, pourrait du moins passer pour une sorte de résumé des quatorze Philippiques, dont on retrouve en effet quelques lignes sous le texte de Dion Cassius[21]. Mais les Antiphilippiques d’Antoine n’ont pas fourni toute la matière des invectives que Dion met dans la bouche de Calénus ; l’artifice de cette composition est trop grossier[22], et l’on ne sait s’il faut, pour l’honneur de l’écrivain, l’attribuer plutôt à une colère jalouse contre Cicéron, qu’à l’amour des amplifications sophistiques. Au moins, la déclamation attribuée à Salluste, et les plus mauvaises déclamations des recueils de Sénèque et de Quintilien, n’offrent rien de pareil à cette étrange diatribe[23].

Dion se montre beaucoup plus sage dans d’autres discours de sa composition. Cependant, on n’attendra pas de nous un examen détaillé, ni du discours d’Auguste au sénat sur le projet de quitter l’empire, ni des conversations d’Auguste et de Livie sur le complot de Cinna (nous les avons comparées plus haut avec le récit de Sénèque (ch. V, s. 1)), ni de l’oraison funèbre d’Auguste par Tibère[24]. Quoique l’auteur, dans ces divers morceaux, observe assez bien les usages et l’esprit du temps, il n’est pas moins évident que sur cinq cents chapitres environ qui composent chez lui l’histoire du règne d’Auguste, cent cinquante sont ou déplacés, ou inutiles, ou d’une faible autorité.

On perdrait peu à retrancher encore bien des récits de prodiges qu’il semble allonger et multiplier à plaisir, et des déclamations philosophiques aussi froides de pensée que de style[25].

Mais enfin, acceptons saris plus de réserve ce qui nous reste de ces douze livres, et ce qui fait le fond du récit de Dion Cassius, entre l’an 711 et l’an 767 de Rome.

Dion semble d’ordinaire parler d’après la tradition ; il rapporte ce qu’il a entendu dire, comme par exemple à l’occasion d’une manœuvre d’Octave qui eut lieu avant la bataille d’Actium (50, 12). Il ne cite proprement que deux autorités pour toute cette période, les Actes et les Mémoires d’Auguste ; encore n’est-il pas sûr qu’il en eût le texte même sous les yeux. Il mentionne quelque part un ouvrage satirique de Varron, et l’on voit par un autre passage (46, 38) qu’il a consulté la XIVe Philippique de Cicéron, ou du moins quelque auteur qui avait puisé dans ce discours, et mal interprété le décret en l’honneur du jeune Octane. Mais cette excessive sobriété de citations, qui est le défaut de tous les historiens anciens, et les plaintes de l’auteur lui-même sur les nouvelles difficultés de son travail à partir de la fondation du principat, doivent-elles, comme le pense M. Wilmans (diss. citée), nous faire renoncer à toute recherche sur les sources et la valeur de son récit ? Non, sans doute ; on va voir qu’il y a encore pour nous des principes de critique et des moyens de contrôle au milieu de tant d’incertitudes et d’obscurités.

Commençons par les monuments.

Paul Orose[26] et Dion Cassius sont les deux seuls écrivains de l’antiquité qui mentionnent séparément les trois fermetures du temple de Janus, indiquées par Suétone et le marbre d’Ancyre. De ces trois dates, deux sont assez faciles à vérifier, parce qu’elles se rapportent à des événements bien connus, la bataille d’Actium et la guerre des Cantabres ; triais la troisième est fort incertaine, parce que les deux témoignages diffèrent de dis ans, et que ni l’un ni l’autre n’est confirmé d’une manière positive par quelque monument ou quelque fait d’une date et d’une authenticité incontestables. Justement convaincu par la discussion de Noris contre la date adoptée par Paul Orose, J. Masson[27] essaye de défendre celle de Dion Cassius ; et comme cette dernière date est subordonnée dans notre auteur à celle du second cens accompli par Auguste l’an 745 (Censorino et Asinio cos., suivant le marbre d’Ancyre), Masson est forcé d’attaquer l’autorité de l’inscription, un peu mutilée en cet endroit, par des arguments qui tombent d’eux-mêmes devant une Copie plus exacte que celle qu’il avait sous les yeux. Dion Cassius reste donc convaincu d’un anachronisme de trois ans[28]. Cela seul pourrait nous inspirer quelque défiance sur les autres dates de ce genre, si nous le trouvions plus d’accord avec les Fastes et le monument d’Ancyre sur plusieurs points d’une égale importance ; par exemple : l. 48, 31, sur une ovation de l’an 713 ; l. 54, 2, sur la censure de Munatius Plancus et d’Æmilius Lepidus, en 731 ; l. 52, 41 (cf. 58, 1), sur la date du premier cens accompli par Octave, consul avec Agrippa, après quarante et un ans d’interruption. Quant au troisième cens, celui de l’an 766, il paraît l’avoir négligé ; car on ne peut guère voir (nous l’avons déjà remarqué) qu’une opération exceptionnelle dans ce qu’il raconte (56, 58) d’une commission envoyée par Auguste pour le cadastre des propriétés. En revanche, c’est lui qui nous fournit la date du recensement exécuté en Gaule l’an 726[29], et d’un autre recensement en Italie en 756 (55, 13), dont nous avons parlé plus haut. Si pour ces deux dates on manque de contrôle, celle de 746, à laquelle il rapporte la division de Rome en régions et quartiers, et la création d’une nouvelle espèce de magistrats municipaux (55, 8), est confirmée de la manière la plus précise par les monuments (Appendice II, § 2). Celle de la conspiration de Cinna, sur laquelle nous avons remarqué un singulier anachronisme de Sénèque le Philosophe (ch. V, sect. I), était bien facile à déterminer pour un annaliste, puisque le consulat de Cinna est placé par les Fastes en 757[30]. En effet, Dion ne s’y trompe pas, quoique d’ailleurs il altère la vérité de ce curieux épisode par la suppression des plus intéressants détails, et par des interpolations oratoires qui n’ont pas même le mérite de la vraisemblance.

Le témoignage relatif à la fondation de la colonie lyonnaise par L. Munatius Plancus[31], n’est pas contredit par une inscription de Gaëte[32], comme le pensait un savant historien de la ville de Lyon, le père Menestrier, dont il faut lire cependant les recherches sur ce point si intéressant de nos antiquités nationales[33]. Mais il y a au moins erreur d’un an dans la date de 741, assignée à l’érection de l’autel d’Auguste à Lyon (54, 32) ; puisque, selon Suétone, Claude naquit aux calendes d’août, sous le consulat de Julus Antonius et de Fabius Africanus (c’est-à-dire en 743), l’année même où cet autel fut dédié. La chronique de Cassiodore rapproche même encore d’un an la date de cette fondation[34]. Le texte de Dion Cassius fournit d’ailleurs, avec ceux de Strabon et de Tite-Live[35], les seuls documents précis que nous possédions sur les honneurs rendus à la divinité d’Auguste par les soixante nations gauloises. Quelques prêtres du temple Romæ et Augusti ad confluentem Araris et Rhodani sont mentionnés par les inscriptions[36].

En général, Dion paraît avoir peu songé à ces témoins immuables de la chronologie, qui nous ont aussi conservé des faits historiques d’une haute importance. Quoiqu’il parle (47, 25) des monnaies de Brutus et de Cassius, il n’est pas toujours d’accord avec les médailles, à l’aide desquelles on peut le convaincre d’anachronisme ; par exemple, sur les dictatures et les consulats de César[37], sur l’époque où Octave quitta sa longue barbe[38], sur les constructions de la voie Flaminienne[39]. Sur ce dernier point, il semble encore contredit par l’inscription de l’arc de Rimini[40], que probablement il n’avait pas vue, ou que, du moins, il n’avait pas observée avec attention.

On peut conjecturer aussi qu’il connaissait peu le Testament politique d’Auguste, dont il néglige souvent l’autorité. On en a déjà vu plusieurs exemples, auxquels on peut ajouter les suivants

L. 55, 12. Sur les dons militaires offerts aux jeunes fils d’Agrippa. Dion Cassius dit que c’étaient des lances et des boucliers d’or. Auguste lui-même a écrit parmis et hastis argenteis.

L. 55, 9. Sur quelques détails de la biographie de ces jeunes princes[41].

L. 55, 10. Sur le nombre de citoyens qui reçurent leur part d’un congiaire[42].

L. 53, 22. Sur des statues d’argent transformées en monnaies. Suétone et l’Index rerum gestarum leur attribuent une tout autre destination.

L. 49, 36. Il convient qu’une guerre de Pannonie fut entreprise sans raison. Auguste, dans le même Index, se vante de n’avoir fait aucune guerre injuste ; et Suétone souscrit à cet éloge, en le répétant (Aug. 21) presque dans les mêmes termes. Il faut louer ici notre auteur d’avoir dit simplement une vérité très évidente pour tout juge impartial de la politique romaine.

L. 54, 8. Sur la position du temple de Jupiter Vengeur.

L. 49, 43. Sur la construction des portiques auxquels Octavie, sœur d’Auguste, donna son nom. Il y a ici une difficulté, et le monument d’Ancyre ne suffirait pas pour la résoudre, sans un passage de Festus (au mot Octaviœ Porticus), où nous apprenons que l’un des deux porticus Octaviœ devait ce nom à un Octavius qui avait triomphé du roi Persée ; c’est ce portique qui avait été incendié, et qu’Auguste, dans l’Index rerum gestarum, se vante d’avoir fait rétablir sous le nom du premier fondateur ; probablement c’est aussi le seul que Dion Cassius aurait dû nommer sous la date de 720 ; car pour le second, qui réellement doit son nom à la sœur d’Auguste, il est bien plus naturel d’en placer la construction, comme fait Plutarque, après la mort du jeune Marcellus. Le genre féminin du mot porticus en latin a causé la confusion qui se retrouve à peu près chez tous les auteurs romains qui dut cité ces monuments. Si la date de Plutarque était admise, il y aurait dans Dion Cassius à la fois erreur de fait et anachronisme.

Ce dernier, reproche nous conduit à une question plus intéressante, mais plus obscure encore, et sur laquelle le témoignage de Dion Cassius est ‘mêlé de notices exactes et de graves erreurs. Les guerres de Rome avec les habitants des Alpes remontent à la plus belle époque de la république romaine. Malgré la soumission définitive de la Gaule et plusieurs victoires sur les Germains, elles se prolongent, avec des alternatives de succès et de révoltes, jusqu’au milieu du règne d’Auguste. Des montagnards, dont Strabon (IV, 6) nous a peint la vie et les tueurs sauvages, occupaient toutes les issues du nord de l’Italie, et, par de continuelles rébellions, interceptaient les communications parterre avec la Gaule et la Bretagne. Entre 711 et 745, ils reparaissent tour à tour sous les noms souvent confondus de Salasses, Iapodes, Rhétiens, Delmates, Illuriens, etc. Mais, malgré ces fréquentes mentions, un grand nombre des peuplades alpines ou inalpines seraient inconnues aujourd’hui, sans les deux inscriptions de l’arc triomphal de Suze et du trophée des Alpes[43].

Dion est le seul auteur ancien qui rappelle (54, 20), avec quelques détails, l’expédition dirigée contre une partie des nations alpines par Publius Silius Nerva, dont les Fastes rapportent en effet le triomphe à l’année gui suit immédiatement celle qu’il assigne à l’expédition. Seul aussi il fournit (54, 22) une relation incomplète, mais utile, des campagnes des deux Drusus, si pompeusement louées par Horace (Ode IV, 4 et 14) et si brièvement indiquées par Suétone (Aug. 21. Tib. 9) et les abréviateurs. Mais on attribue ordinairement à la grande lacune qui reste encore dans le livre LV, son silence sur la conclusion définitive de toutes les guerres des Alpes. Or Dion Cassius écrit (53, 26) sous la date de 728 : Vers ce temps, M. Vinicius, vengeant sur les Germains la mort de quelques marchands romains qu’ils avaient massacrés, valut aussi à Auguste le nom d’Imperator. Les honneurs du triomphe lui furent aussi décernés à cette occasion, et pour les autres victoires remportées à la même époque. Mais, sur son refus, on lui éleva dans les Alpes un arc triomphal, et on lui permit de porter tous les ans, aux calendes de janvier, la couronne et la robe de triomphateur. Tel fut le résultat des guerres d’Auguste ; alors il ferma le temple de Janus, qu’elles avaient fait rouvrir. On a depuis longtemps rapproché de ce passage celui ou Velleius Paterculus, s’adressant au consul Vinicius (II, 104), lui rappelle la guerre de M. Vinicius, son aïeul, contre les Germains, trois ans avant l’adoption de Tibère[44], par conséquent en 753. Mais on s’est laissé tromper par la ressemblance des mots : eoque nornine decreta ei cum speciosissima inscriptione operum ornamenta triumphalia, avec ceux de Dion Cassius, que nous venons de traduire : άψίς τε έν τοϊς Άλπεσι τροπαιοφόρος οί ώxοδομήθη. Il fallait remarquer la distance de vingt-cinq ans entre 728 et 753, l’invraisemblance de l’érection d’un trophée dans les Alpes en l’honneur de victoires remportées sur les Germains, le caractère particulier des honneurs décernés, selon Dion Cassius, au triomphateur ; il fallait observer que Velleius ne parle pas d’un triomphe offert par le sénat à Vinicius, cet usage ayant en effet cessé, d’après Dion lui-même (54, 24), dès l’année 739. Enfin il fallait remarquer le sens des mots έπί τούτοις xαί τοϊς άλλοις τοϊς τότε γενομένοις, répondant si bien à ceux du résumé qui suit : Αϋγουστος μέν ταΰτά τε έν τοϊς πολέμοις έπραξε (c’est-à-dire et par lui-même et par ses lieutenants). De toutes ces différences, il résulte, ce nous semble, que le premier αύτώ, dans Dion Cassius, désigne déjà Auguste et non pas Vinicius[45], et que, par conséquent, le monument dont il parle n’est pas le même que celui dont parle Velleius. Cela posé, si on songe que l’érection du trophée cité par Pline est certainement postérieure à celle de l’arc de Suze, c’est-à-dire à 745 ; que même si le chiffre XVII, ajouté après les mots tribunitiœ potestatis, par quelques manuscrits de Pline[46], était bien authentique, l’inscription du trophée serait authentiquement de l’an 747, époque où les calculs les plus probables placent la troisième fermeture du temple de Janus, que Dion (54, 36) attribue à l’an 743, par suite d’une erreur déjà relevée, on conclura avec beaucoup de vraisemblance :

1° Que Dion Cassius rapporte ici par inadvertance à l’an 728, un peu avant la deuxième fermeture du temple de Janus, la conclusion de la guerre des Alpes, et l’érection du célèbre trophée dont il reste, encore quelques pierres. Ces deux événements seraient, au contraire, de l’an 747 ou 748, époque où Dion n’en parle pas ;

2° Qu’il donne pour l’occasion de ces honneurs rendus à Auguste une guerre sans importance, que Velleius lui-même n’a pas mentionnée, Velleius si soigneux pourtant de rappeler tous les exploits militaires qui honoraient la famille de ses protecteurs.

3° Quant à la campagne du même Marcus Vinicius en Germanie, l’an 753, et qui valait à ce général les honneurs rappelés par Velleius, on ne peut dire si Dion l’avait racontée quelque part. Ce qui est certain, c’est que, dans le fragment du livre LV, publié par Morelli[47], on trouve seulement dix lignes relatives à l’expédition d’un certain Domitius sur les bords du Rhin ; l’auteur affirme ensuite que les affaires d’Orient détournèrent les romains de celles de Germanie, et l’on ne sait plus quel parti prendre entre cette brièveté dédaigneuse et l’évidente exagération des flatteries de Velleius.

Quoi qu’il en soit, les erreurs comme celles que nous venons de signaler, et qui suffiraient pour décréditer complètement un historien moderne, doivent être beaucoup plus fréquentes qu’on ne le pense dans les textes historiques de l’antiquité. L’aversion qu’on avait pour les chiffres et les calculs devait exposer à de continuelles méprises ; or, cette aversion, notre historien ne la dissimule même pas. Il va presque jusqu’à s’excuser[48] de donner la date précise de la bataille d’Actium ; il mentionne rarement les consules suffecti, dont il faut avouer que le nombre pouvait bien quelquefois lasser un peu sa patience, depuis que le caprice des empereurs avait partagé l’année entre plusieurs collèges de consuls, pour multiplier les faveurs. Dans un des nouveaux fragments du livre LV (p. 358, Sturz), il raconte qu’Auguste, avant accepté le consulat, le rendit peu de jours après à un autre : il ne se donne pas la peine de nommer Q. Fabricius. Il est vrai qu’un peu plus bas il a soin, de transcrire les noms des deux premiers préfets des prétoriens, Q. Ostorius Scapula et P. Salvius Aper[49].

Un autre genre de négligence consiste à empiéter d’une année sur l’autre, quelquefois sans en prévenir le lecteur[50] ; à donner pour nouveaux des faits dont il y a déjà des exemples[51] ; à exprimer son embarras sur certains points d’archéologie ou d’histoire politique qu’il lui était facile d’éclaircir. Il semble, à l’occasion des funérailles d’Agrippa, ignorer pourquoi Auguste, prononçant l’oraison funèbre de son gendre, était séparé du cadavre par un voile. Un magistrat romain devait-il oublier ainsi les lois qui interdisaient au grand pontife le contact et même la vue des morts[52] ?

L. 55, 23. Sur quelques parties de la statistique militaire de l’empire, on croirait, à lire Dion, qu’il n’existait plus, au commencement du troisième siècle, un seul exemplaire du Rationarium.

Ailleurs, il est vrai, en parlant des guerres de Germanie (56, 18 sqq.), il se plaint du défaut de documents sur la soumission successive des différentes peuplades germaines ; et il se dispense de nommer le lieu de la défaite de Varus, que pourtant il décrit en détail. Mais Velleius Paterculus (II, 117, 120) suffit pour le convaincre de négligence. Que serait-ce, si nous avions encore les livres d’Aufidius Bassus et de Pline sur les guerres de Germanie ?

Au contraire, il faut louer Dion d’avoir su raconter simplement la fuite de Drusus Néron (48, 15), dont Velleius a pompeusement exagéré le récit pour flatter la famille de Tibère. En général, il paraît fort impartial sur tout ce qui tient à la personne, à la famille et aux actions d’Auguste. S’il n’a pas une profonde intelligence de la politique des guerres civiles (46, 34), des intérêts de Rome de son avenir et de sa position présente en face des barbares[53], il n’a pas non plus d’illusion sur quelques fictions du gouvernement impérial ; il ne comprend pas, sous un tel régime, la différence du fisc et du trésor public (53, 16 & 22) ; il ne croit pas aux intentions républicaines d’Octave (46, 48), dont il justifie passablement bien l’alliance avec Antoine et Lépide (47, 7), quoiqu’il semble n’avoir pas connu (47, 18) le préambule des tables de proscription transcrit dans Appien. il en est de même de la Loi royale, qu’il n’avait pas sous les yeux quand il disait des empereurs (53, 18), sans bien comprendre le sens de ces mots : Ils sont dispensés des lois. Plus haut (48, 24), il a mieux compris une plaisanterie toute latine de Sextus Pompée.

Bien que le sénateur Dion Cassius dût savoir le latin mieux que Plutarque, on peut, d’après tout ce qui précède, le soupçonner d’avoir trop peu étudié les monuments nationaux ; et même, lorsqu’il avait sous la main de riches matériaux, il les résume souvent en quelques mots vagues, et inexacts à force de brièveté ; on en jugera par les exemples qui suivent :

L. 48, 24. Les Aradiens, dit notre auteur, refusent obéissance à l’officier romain chargé de la levée des impôts dans leur île, et ils tuent quelques-uns de leurs oppresseurs. Un article de la Chronique d’Eusèbe nous apprend que ce percepteur, nommé Curtius Salassius, fut brûle vif avec quatre cohortes : voilà la vérité ; elle est expressive.

L. 48, 2. Le partage des terres en Italie entre les soldats des triumvirs fut une opération bien autrement difficile que ne semblent l’indiquer les paroles de Dion. On en jugera surtout par le monument d’Ancyre, qui résume ce sujet avec une précision instructive[54].

L. 46, 57. Après la mort de César, Lépide, apprenant l’alliance d’Octave et d’Antoine, se décide à entrer en pourparler avec ce dernier, συνηνέχθη, dit Dion Cassius ; mais nous voyons dans Appien et Plutarque ce qu’ils ont entendu par ce mot, qui rappelle la brièveté de Suétone[55], suivi, à tort, par Montesquieu. Le rôle de Lépide est beaucoup moins honorable dans cette affaire qu’on ne le jugerait d’après notre historien.

L. 47, 13. A leur entrée dans Rome, les triumvirs défendent aux citoyens de se montrer tristes, sous peine de mort. Appien (B. civ. V, 31) est plus précis et plus vrai. Ici encore Montesquieu a tort de ne citer que Dion.

L. 54, 2. Octave supprima quelques dépenses de table, en restreignit quelques autres (U. C. 731). Est-ce ainsi qu’on résume les dispositions d’une loi somptuaire ? Aulu-Gelle, simple compilateur d’anecdotes et de curiosités littéraires, nous instruira beaucoup mieux sur ce sujet que l’historien d’un prince législateur (II, 24 ; XVII, 21 ; XX, 1).

L. 56, 1-10. Digression sur les lois portées par Auguste contre le célibat. Même brièveté inexacte[56].

L. 56, 27. Quelques poursuites contre les libelles diffamatoires sont rapportées à une fausse date, comme nous l’avons fait voir dans notre deuxième chapitre ; et cependant, sur tous ces points, il semble que les matériaux ne pouvaient manquer à l’auteur. Du reste, il convient quelquefois des omissions qui peuvent lui échapper, et il s’en excuse sur l’étendue et l’excessive variété du sujet[57]. Quelquefois aussi le désaccord même des écrivains contemporains, et l’obscurité des faits, expliquent naturellement son silence ou les variantes de sa relation. Cela s’applique surtout

1° Aux proscriptions du second triumvirat, pour lesquelles le récit d’Appien est en général plus développé et plus complet. Dion peut cependant, sur ce point même, fournir d’utiles additions au récit de son devancier ; par exemple, lorsqu’il raconte la merveilleuse popularité d’un certain Oppius, fils d’un proscrit du même nom (48, 53) ;

2° A certaines parties de la guerre de Sextus Pompée. Un général de Sextus, Papias, n’est nommé que par Appien ; mais, à son tour, Appien ne parle pas des beaux travaux du Lucrin, que Dion décrit avec assez de soin (48, 50 sq.), quoiqu’il n’emprunte peut-être pas directement sa description aux Mémoires d’Agrippa[58].

Pour le récit de la guerre de Pannonie, en 718 (49, 36 sq.), rien ne prouve qu’il ait consulté les Mémoires d’Octave ; mais, comme témoin oculaire, il a pu nous donner quelques détails uniques sur les habitants de ce pays ; il fait même, au sujet du nom de Pannonie ; la remarque judicieuse que les Grecs, en appelant Pœoniens ceux qu’à Rome on appelait plus exactement Pannoniens, les laissent ainsi confondre avec les habitants d’une autre contrée voisine du mont Rhodope et de la Macédoine. On a ici un exemple des erreurs que l’amour de l’euphonie a pu introduire dans la géographie ancienne[59]. Dion est assez attentif à consigner bien des faits d’histoire intérieure et de statistique, souvent résumés avec une excessive brièveté ; sans indication de date, par Suétone, souvent omis par tous les autres historiens, comme, par exemple, la mort de l’infâme Védius Pollion (54, 23), dont la date (U. C. 738) s’accorde avec une inscription de Bénévent (Orelli, n. 2509), et l’incendie du Palatin en 755 (55, 12). Plusieurs chapitres du livre LIII, sur les réformes introduites dans la constitution politique et l’administration de l’empire, après la bataille d’Actium, et sur l’état de ses forces militaires, sont des documents d’une importance plus grande encore.

Mais l’historien se montre peu digne de son sujet, dans un résumé de la vie d’Auguste, qu’il ne faut pas lire après celui de Tacite, ni même après celui de Pline ; dans le récit des derniers moments de l’empereur, où il condamne, sans discussion, plusieurs historiens qu’il ne nomme pas, et parmi lesquels nous devons, par malheur pour Dion, compter Suétone[60]. Il eût mieux fait aussi de suivre le témoignage de cet exact grammairien au sujet de la mort d’Aquilius Florus. Ce trait de cruauté, qui convient à Octave triumvir, après la bataille de Philippes, devient absurde et inadmissible si on l’attribue au vainqueur d’Actium[61]. Il est vrai que Dion s’accorde avec Suétone sur les articles principaux du testament d’Auguste, et que même il nous offre seul, sur les ouvrages de l’empereur, une indication que nous avons appréciée plus haut. Mais, en général, nous ne saurions trop regretter tant de peine et d’espace perdus pour de longs morceaux déclamatoires, comme l’oraison funèbre prononcée par Tibère, surtout quand ces morceaux n’ont pas le mérite d’une parfaite vraisemblance. Ainsi, après avoir fait déclarer Octave préteur, au lieu de propréteur, par le sénat en 711 (46, 29), il place dans la bouche de Tibère la même erreur, que le traducteur latin dissimule en traduisant (55, 36) par belli ducem le mot στρατηγόν. Mais, sur ce point, l’autorité d’une expression assez vague de Tacite (jus prœtoris) ne saurait prévaloir contre celle des textes contemporains[62].

On pourrait multiplier ces critiques de détail[63] ; mais il est temps de nous résumer.

Dix ans de travaux consacrés à recueillir et à coordonner les annales de Rome, douze ans consacrés à la rédaction de ce vaste ouvrage, sont sans doute des titres à l’estime de la postérité ; quatre-vingts livres écrits par un seul homme d’après tant d’auteurs, de traditions divergentes, au milieu d’une vie si occupée, et quelquefois menacée parles soupçons d’un despotisme ombrageux[64], voilà sans doute une œuvre méritoire s’il en fut dans l’antiquité ; et cela nous explique la réputation de Dion Cassius jusque dans le moyen age ; cela nous imposait à son égard le devoir d’un examen sévère et consciencieux. Il faut avouer que Dion perd beaucoup il cet examen.

Celui qu’une vie mêlée aux événements politiques de son siècle devait préparer à comprendre et à peindre fidèlement les grandes scènes de l’histoire nationale, n’est guère dans ses écrits qu’un rhéteur bien élevé, un philosophe honnête, mais superstitieux et timide[65], avec de singuliers écarts d’esprit et d’éloquence. Il a rapporté de l’école un grand amour pour les faux ornements de la déclamation ; il a recueilli dans ses lectures ou ses méditations une ample provision de sentences religieuses et morales[66] ; il a même fait des études toutes spéciales sur Thucydide et les meilleurs auteurs attiques, pour se perfectionner dans l’art d’écrire[67] ; et en effet, on retrouve dans son histoire des discours, des portraits, des digressions à la manière antique[68], moins la mesure et le bon goût ; des descriptions de batailles assez vives et brillantes ; des réflexions politiques à la fois graves et justes. Son style est sévère, égal, et ordinairement plus clair que celui de Thucydide[69], mais bien éloigné du pur atticisme et pour le choix des mots et pour l’art de la période. Les grammairiens qui se réfèrent à des exemples de Dion Cassius, le citent moins souvent pour le louer que pour l’opposer aux anciens modèles. L’économie générale de cette histoire est rarement savante, quelquefois peu raisonnable, quand l’auteur s’abandonne à sa manie pour les harangues[70] ; la science très réelle dont il fait preuve ne l’a pas préservé de fautes grossières, que nous pouvons encore démontrer aujourd’hui, à la distance de seize siècles. Et cependant nous l’avons jugé sur une période dont les historiens originaux sont rares, concis et mutilés. Que serait-ce si, sortant des limites qui nous sont imposées, nous venions à le comparer avec Tacite, qu’il semble souvent avoir eu sous les yeux[71] ? Que retrouverions-nous de Tacite dans la description des moeurs de Tibère ou de la mort de Germanicus ; dans le récit des exploits et de la mort d’Agricola ? Il faut vraiment écarter les grands annalistes de Nome ; il faut oublier aussi Thucydide, Xénophon, nous oserons dire Appien lui-même, heureux imitateur de Xénophon, pour conserver à Dion Cassius la place éminente et presque officielle qu’on lui attribue depuis si longtemps parmi les historiens grecs[72].

Après Dion Cassius, il n’y a plus, soit en grec, soit en latin, que des abrégés de l’histoire d’Auguste. Nous pouvons donc affirmer, au point où nous sommes parvenus de ces recherches, que l’époque la plus mémorable peut-être des annales romaines n’avait pas trouvé, dans l’antiquité, un digne historien.

 

 

 

 



[1] Les renseignements qui nous restent sur la vie de Dion Cassius sont réunis et discutés avec beaucoup de soin par Sam. Reimar, de Vita et scriptis Cassii Dionis (t. VII, p. 506-572, éd. Sturz), que nous avons pu nous contenter de résumer ici.

[2] 74, 13. Cf. Hérodien, II, 6. Spart., D. Jul. 2.

[3] De 201 à 211, mort de Septime Sévère.

[4] Voyez le témoignage d’un Anonyme, dans l’éd. de Sturz, t. VII, p. 432 sq.

[5] V. l’intéressante notice de Visconti dans son Iconographie grecque.

[6] Photius en cite les dernières lignes.  

[7] Scriptorum vet. nova collectio, t. II, fragments réimprimés à Leipzig en 1836, pour former le neuvième volume de l’édition de Sturz.

[8] Voyez l’Index de Reimar au mot Consules suffecti.

[9] Voyez Denys d’Halicarnasse, Lettre à Pompée, c. 11, 19, 33 ; sur Démosthène, c. 57. Cf. Cicéron, ad Div. XI, 25 ; ad Att. V, 4 ; XIII, 34, et surtout M. Fr. Ritschl, Die Alexandrin. Bibliotheken, etc., p. 90-136 : Die Stichometrie de Alten.

[10] Voyez les notes de Morelli et de Sturz sur cette partie du livre LV, et plus bas chap. VIII, sect. II, fin.

[11] C. 19, passage souvent cité par les critiques modernes.

[12] Grandeur et Décadence des Romains, ch. XIII.

[13] Jugements sur les principaux historiens. Paris, 1646, p. 132.

[14] Esprit des Lois, XXIII, 21.

[15] Boecleri opp. Argentor. 1712, in-4°, t. II, p. 701-775. Voyez surtout p. 707-710. Cf. Visconti, Iconogr. Rom., I, p. 134, à l’article Agrippa. M. D. de la Malle, Écon. pol. des Rom. (t. II, p. 331), signale dans ces deux discours quelques traits d’une valeur tout historique.

[16] Suivant la distinction établie par Dion lui-même, au chap. 41.

[17] Voyez Eckhel. D. N. V. t. I, p. 84 ; VI, p. 154-156.

[18] Fragm. de Morelli, t. III, p. 338, Sturz.

[19] Voyez les interprètes sur ce passage.

[20] Entre Quintilius Varus et Sulpicius Quirinus, 749-759.

[21] Remarquez que l’historien joue de malheur quand il veut faire parler Cicéron ; déjà (38, 18) il lui a prêté plus haut de puériles dissertations au sujet de son exil. Combien on aimerait mieux, en de pareilles occasions, quelques ex-traits habilement traduits d’une correspondance originale ! Celle de Cicéron offrait d’admirables pages à celui qui eût voulu la consulter.

[22] Voyez Wilmans, de Fontibus hist. Dionis Cassii, Berol. 1836, in-8°, c. VI. Cf. de Moulines, sur Dion Cassius, dans les mémoires de l’Académie de Berlin, 1790-1791.

[23] Le même Dion tient pour suspectes d’exagération et de malveillance les Catilinaires de Cicéron (37, 42).

[24] 56, 34 et suiv. Cette oraison funèbre fut prononcée dans le Forum romanum, du haut des nouvelles rostres (cf. Dion, 51, 9), qui étaient situées devant le temple de Jules César, pro æde Divi Julii, comme on le voit par Suétone, Auguste, 100 (Cf. Frontin., de Aquæd. 129, et Reliq. lat. serin. p. 331). Ainsi, nous ne devions pas parler plus haut, p. 89, de la tribune du Forum Julium. Il n’y avait point de rostres dans ce second forum, non plus que dans celui d’Auguste. M. Dézobry, si versé dans l’archéologie romaine, nous a signalé cette erreur, que nous sommes heureux de réparer ici. M. W. A. Becker pouvait aussi nous éclairer sur ce point, Handbuch der rom. Alterth. I, p. 337.

[25] Par exemple, 46, 34, avant la guerre de Modène.

[26] III, 8 ; IV, 12 ; VI, 22.

[27] Jan. reser., p. 195 sqq.

[28] L. 54, 35 sq. Cf. 51, 20 pour la première fermeture, 53, 26 pour la seconde.

[29] 53, 22. Cf. Tite-Live, Epit. 134.

[30] Voyez le fragment cité par Marini, Atti, etc., p. 24 ; Dion, 55, 14-22.

[31] 46, 50, U. C. 710. Cf. Eusèbe, Chron. ad h. a. Sénèque, Ep. 91. Tacite, Ann., XVI, 13. Grégoire de Tours, 1, 18.

[32] Orelli, n. 590. Cf. Onomast. Tull., au mot L. Munatius Plancus ; Weichert, Reliq. poet. p. 377. Morcelli, I, p. 269.

[33] Voyez deux dissertations imprimées d’abord dans son Introduction à la lecture de l’histoire, puis reproduites avec quelques changements dans son Histoire consulaire.

[34] U. C. 744, Druso Nerone et L. Quinctio cos.

[35] IV, 3. Tite-Live, Epit. 137. Strabon, IV, 3, § 2. Cf. César dans Pétrone, de Bello civili : Sexagintaque triumphis esse nocens cœpi. Menestrier, Hist. consul. I, p. 18, 75, 76. F. Artaud, Disc. sur les médailles d’Auguste et de Tibère ; Lyon, 1820, in-4°. W. de Taillefer, Antiquités de Vesone, p. 236 et 315.

[36] Voyez Grut. 58, 5 ; 320, 8. Menestrier, l. c. Artaud, l. c. n. 56. Le même, Notice du Musée de Lyon, n. 4, et le Journal philologique de Darmstadt, 1837, n. 47.

[37] Eckhel, VI, p. 14.

[38] 48, 34. Cf. Eckhel, VI, p. 76.

[39] 53, 22, et les interprètes. Cf. Eckhel, VI, p. 105. J’admets toutefois une conciliation sur ce point entre Dion, qui rapporte cette restauration à l’an 727, et les médailles, qui la placent en 738. Le travail a pu durer plusieurs années.

[40] Orelli, Inscr. lat. n. 604 ; par où l’on voit que le pont de Rimini, qui continuait la voie Flaminienne, fut au moins réparé par Auguste en 766, et par Tibère en 773. Cf. Bergier, Hist. des gr. chemins, IV, 36, § 5.

[41] Cf. Tacite, Ann., I, 2.

[42] Cf. Suétone, Auguste, 41.

[43] V. l’inscription de Suze dans Orelli, B. 626. Cf. Maffei, Antiq. Galliœ, p. 16 sqq. Storia diplom. pl. XIV sqq. Morcelli, de St. inscr. I, p. 82. Celle du trophée des Alpes dans Pline, III, 24. Grut. p. 220, 7. Morcelli, I, p. 96 sq. Voyez, sur les débris qui subsistent encore de ce monument, Millin, Voyage dans le Midi de la France, t. II, p. 578 ; Walckenaer, Géographie ancienne, historique et comparée des Gaules cisalpine et transalpine, t. II, p. 44. Le dernier travail critique sur ce sujet est celui de M. H. Meyer : Soumission des nations alpines sous le règne d’Auguste, dans la Gazette philologique de Marburg, 1843, n. 57 et suivants.

[44] U. C. 736. Ælio Cato Sentio cos. Velleius, II, 103, et Dion, 53, 13.

[45] C’est ainsi en effet que le traducteur latin paraît avoir compris.

[46] Entre autres, par le Ms. royal 6795, qui est du neuvième siècle.

[47] P. 363 Sturz. Cf. Velleius, ibid.

[48] 51, 1. Cf. les nouveaux extraits publiés par M. Mai, p. 156, éd. Sturz.

[49] Cf. Lydus, de Magistr. rom. II, 6.

[50] Voyez surtout J. Masson, l. c. passim, et 48, 15 ; 49, 34 ; 53, 30 ; 54, 23.

[51] 51, 22, où il parle de la première apparition d’un rhinocéros dans les jeux publics à Rome ; 55, 7, où il attribue à Agrippa la première invention des notes tironiennes ; 49, 14, sur la couronne navale décernée à Agrippa.

[52] 54, 28, et les interprètes sur ce passage.

[53] Voyez les fragments de M. Mai, p. 143 (p. 10 sq., éd. Sturz), et comparez Tacite, de Mor. Germ. c. 33.

[54] Cf. Florus, IV, 5. Suétone, Auguste, 13. Appien, B. civ. V, 46, 51.

[55] Auguste, 12 : Lorsqu'il apprit qu'Antoine avait été reçu dans le camp de Lépide. Cf. Montesquieu, Grand. et Décad. des Romains, c. 12.

[56] Voyez Montesquieu, Esprit des lois, XXXI Il, 21. Fabricius, Notatio, etc., p. 203 sq. Bach., hist. jurisprud. rom. III, 1, 2, p. 309-332, éd. Stockmann, et les fragments des lois Julia et Papia Poppæa dans Den Tex : Fontes juris Civilis romani, p. 30 sqq.

[57] Par exemple, 54, 23, fin.

[58] Philarg. ad Virgile, Georg. II, 162.

[59] Δι' εύφωνίαν xαί φυγήν Βαρβαρισμοΰ, dit précisément Laur. Lydus, de Mag. rom. III, 32, parlant de cette même confusion.

[60] 51, 1. Cf. Suétone, Auguste, 13. Velleius, II, 86.

[61] Voyez encore 49, 36, et comparez Suétone, Auguste, 21, sur les causes de la guerre de Pannonie.

[62] Cicéron, Philipp. V, 17 ; XIV, 8 ; suivi avec raison par Appien, Bell. civ. III, 51 sqq. Cf. Tacite, Ann. I, 10.

[63] Voyez Fabricius ad 45, 9, et passim Noris, Cenot. Pis., p. 145-148, 262-314, etc.

[64] Voyez t. VII, p. 484-504, éd. Sturz : Dio, de se et sua historia.

[65] Xiphilin, son abréviateur, va même jusqu’à l’accuser de mensonge prémédité ; accusation qu’il ne justifie pas. Mais il lui reproche avec plus de raison une superstition puérile à l’endroit des prédictions et des prodiges : en effet, contre une foule de passages où Dion Cassius mérite ce reproche, on en citerait à peine un seul où sa raison semble douter de la vérité des prophéties païennes. Voyez les fragments publiés par M. A. Mai, t. IX, p. 195, éd. Sturz. Cf. Ulrici, Charakteristik der antiken Historiographie, p. 243.

[66] Les grammairiens du moyen âge se sont plu à extraire ces sortes de maximes. De là le grand nombre qui s’en retrouve parmi les petits fragments de Dion.

[67] Voyez l’édition de Sturz, t. VII, p. 488. Cf. la Préface de Reimar, § 20.

[68] Voyez, par exemple, 48, 28, le tableau de Rome au moment de l’arrivée de César ; 44, 2, une comparaison des gouvernements monarchique et républicain ; 46, 33, de longues et froides réflexions avant la bataille de Modène. L’auteur nous a fait grâce des harangues avant la bataille de Pharsale, mais il nous en récompense à celle d’Actium. Toutefois, parmi les portraits, nous aimons à remarquer celui de Viriathe (t. IX, p. 76), morceau vraiment digne du sujet.

[69] C’est l’opinion de Photius dans un passage déjà cité, et qu’a traduit la Mothe le Vayer dans son Jugement sur Dion Cassius.

[70] On a vu que la Mothe le Vayer, malgré son humeur assez bénigne envers les vieux historiens, n’a pu sur ce point retenir son impatience.

[71] Comparez surtout le résumé du règne d’Auguste au livre 56, et le commencement des Annales de Tacite.

[72] Ce jugement, que j’ai fort peu modifié depuis la première rédaction de mon Examen, a pu paraître trop sévère ; j’attendrai les critiques, pour l’adoucir un jour, s’il y a lieu. Nul doute, d’ailleurs, que le texte de Dion Cassius, surtout dans les fragments, ne doive encore gagner beaucoup aux travaux de la critique ; et, sous ce rapport, je regrette de n’avoir pu attendre la publication des savantes recherches entreprises sur les manuscrits de Dion Cassius par mon ancien maître et ami, M. E. Gros.