Nous savons quels matériaux Auguste léguait en mourant au futur historien de son règne. Avant d’examiner le reste de la littérature historique contemporaine, il importe de voir quelle fut, pendant ce demi-siècle, la condition des lettres, et en particulier de l’histoire, sous l’influence nouvelle du principat ; sujet que de savants et ingénieux travaux[1] n’ont pas épuisé, et qui, du point de vue où nous nous plaçons dans ce mémoire, nous présente encore un très sérieux intérêt. Sous la république, les lettres comptaient peu dans la vie des Romains, et, si modeste que fût leur influence, le pouvoir, mobile et divisé, ne sut pas mieux la combattre que s’en servir. Pendant qu’il chassait les philosophes, il souffrait qu’Ennius publiât sa traduction d’Évhémère ; et Lucrèce, écrivant son poème, jouissait à Rome de la même sécurité que l’auteur dit livre le plus orthodoxe sur les augures on la divination. En général, les corps politiques et les magistrats annuels sont également inhabiles à diriger les relations délicates de la littérature avec l’État. Il faut la perpétuité d’un pouvoir unique, pour exercer sur les lettres une action efficace et durable. Il faut surtout que la monarchie soit réelle ; sous quelque nom d’ailleurs qu’elle se déguise, il faut qu’elle soit reconnue, acceptée par l’esprit public ; et alors, mais alors seulement, tout ce que les lettres gagnent en éclat et en puissance peut tourner au profit du prince : c’est une arme de plus, un levier politique entre ses mains, s’il sait comprendre et agir. Après les guerres des deux triumvirats, Rome en offrit un exemple mémorable. Comme plus tard en France, après nos guerres de religion, la fatigue des discordes civiles avait préparé les esprits à recevoir la loi et l’impulsion d’un maître : les événements appelaient Octave ; et sa gloire est d’avoir compris cet appel. Mais, pour être national, son rôle n’en était pas moins difficile. Aussi, pendant ce règne si long, souvent si agité, la politique du triumvir et du prince offre des vicissitudes bien dignes de l’observation. Ce qui me frappe d’abord, c’est que les grands génies qui illustrent l’époque du second triumvirat et le commencement du principat, appartiennent tous ou presque tous à la génération précédente. Nés pendant les derniers jours de la république, ils ont grandi pendant la lutte des Pompée, des César et des Cicéron. Un vieux levain de liberté fermente dans ces âmes, encore rebelles aux séductions d’un brillant esclavage.. Aussi nous voyons, par l’exemple de Virgile, de Varius et d’Horace, combien Octave est jaloux de s’attacher des talents généreux, mais incertains de l’avenir, et comme embarrassés de leur foi au milieu de la discorde universelle ; combien Mécène est habile à le seconder ; comme tout est mis en œuvre pour faire bénir le pouvoir d’Octave à celui dont les premiers vers l’avaient maudit, pour convertir à la cause du vainqueur de Philippes un tribun de l’armée vaincue ; pour gagner, en un mot, le suffrage de ces grands arbitres de l’opinion, sans rien ôter à leur voix de son assurance et de sa dignité. Traitée peut-être avec moins de sollicitude, l’histoire trouve néanmoins, sous la protection du prince, une sécurité honorable. Tite-Live le Pompéien sauve son repos par quelques flatteries qui ne descendent pas jusqu’à la bassesse[2]. Pollion, spectateur impartial de la guerre d’Actium, ne craint pas d’en écrire le récit sous les yeux d’Octave[3] ; et l’un de ses esclaves, ce Timagène que Quintilien proclame le restaurateur de l’histoire en Grèce, reçoit, malgré l’imprudence de ses satires, une hospitalité bienveillante dans la maison impériale[4]. Cependant arrive d’Halicarnasse un rhéteur qui payera mieux l’accueil de ses hôtes en rédigeant pour eux, avec une érudition facile, son roman des origines de Rome. Jamais les temps ne furent meilleurs pour ces savants émigrés des écoles grecques : tout les encourage depuis un généreux décret de Jules César[5]. Ils n’ont plus d’ennemis dans le sénat, ils comptent même des collègues parmi les chevaliers romains[6]. Leur condition est aussi douce que leur science est honorée : même pendant une famine, Rome se fait un devoir de les nourrir[7] ; de toutes parts vient se presser à leurs leçons l’élite de la jeunesse, avec les plus grands personnages de l’État[8]. Mais déjà tant de plaisirs ingénieux ne suffisent plus à l’inquiète activité de ce peuple de lecteurs et d’écrivains. Nous savons les efforts inutiles de Jules César et de Varron pour fonder à Rome une bibliothèque publique. En quelques années trois bibliothèques vont s’ouvrir à la foule studieuse : celle de l’Atrium Libertatis, due à la générosité d’Asinius Pollion ; celle du temple d’Apollon Palatin, construite et richement dotée parle vainqueur d’Actium ; enfin celle des portiques d’Octavius, dont Auguste est aussi le véritable fondateur[9]. Là, viennent se réunir les trésors de deux littératures, dont la plus jeune rivalise déjà avec ses maîtres ; là sont rangés les portraits des grands hommes à côté de leurs ouvrages. A chacun de ces dépôts préside un grammairien qui reçoit et classe les livres, pour les communiquer aux curieux. L’historien et le philosophe y trouvent sans doute tout ce qui honore, à quelque titre, la langue latine et le peuple romain ; au moins les poésies de Catulle et de Bibaculus n’en sont pas exclues, malgré les injures qu’elles contiennent contre la famille des Césars[10]. Quand Auguste écrit à Pompéius Macer[11] de ne pas livrer au public, dans les bibliothèques dont l’organisation lui est confiée, quelques opuscules de la jeunesse du dictateur, cette défense ne cache aucune raison politique. César était fort sévère sur la correction du style ; Auguste se piquait des mêmes scrupules ; on le sait par le témoignage de Suétone et par plusieurs citations des grammairiens[12] : il voulait donc simplement soustraire aux malignités de la critique les premiers essais d’un grand homme. Je ne puis voir non plus une intention jalouse dans la censure confiée au célèbre Sp. Mæcius Tarpa[13]. On a beau tourmenter un passage d’Horace, il faut reconnaître que Moccius exerça, en effet, des fonctions de censeur auprès d’une bibliothèque publique de’ Rome ; rien même n’autorise à éluder le témoignage du scoliaste qui lui adjoint cinq commissaires assesseurs ; mais ce témoignage même et celui de Cicéron prouvent qu’il ne s’agissait là que de poèmes dramatiques, et dont le mérite littéraire était seul mis en question[14]. Durant cette première période, Auguste se montre partout protecteur généreux et libéral du génie littéraire. A peine répond-il par des plaisanteries aux injures dirigées contre sa personne. La victoire d’Actium et la pacification du monde le plaçaient assez haut, lui et les siens, pour mépriser de pareilles attaques. S’il avait permis de rechercher et de poursuivre les auteurs de vers et de pamphlets pseudonymes[15], il refusait sagement de réprimer un autre genre de licence plus étranger à nos habitudes ; je veux parler de ces invectives que l’on adressait, dans les testaments, aux puissants du jour. C’était assez d’avoir à sévir contre des conspirateurs ; on aimait. à trouver ailleurs des occasions de clémence. Tel est, si je ne me trompe, l’état des lettres romaines jusqu’à la mort d’Horace ou environ. La liberté n’a guère d’autres limites que certaines convenances que l’on peut enfreindre impunément. La flatterie et l’obéissance conservent une certaine noblesse, parce qu’elles s’adressent au fondateur d’un ordre nouveau, que l’on aime pour ses bienfaits, en dépit des souvenirs de l’ancienne liberté. Mais une sorte de nécessité fatale, jointe à des malheurs imprévus, entraînera bientôt le principat sur la pente de la tyrannie. Plus le pouvoir se resserrait entre les mains d’un seul, plus l’esprit national allait s’affaiblissant. Les comices étaient réduits à une vaine cérémonie ; le peuple ne s’assemblait guère que pour des fêtes. Le Forum romanum perdait insensiblement son éclat et sa grandeur, depuis que s’étaient ouverts un Forum Cœsaris, un Forum Augusti ; depuis que l’éloquence désertait ces rostres teints du sang de Cicéron, et souillés même (on osait le dire) par les débauches d’une petite-fille de César : ce n’était plus le sanctuaire des traditions du génie, le centre de l’empire du monde. Cependant le respect des nations se tournait peu à peu vers la modeste maison du Palatin, où se formait déjà, autour du prince, ce qui devait bientôt s’appeler une cour. Auguste, de son côté, s’accoutumait mieux chaque jour à l’exercice de ses droits nouveaux, sanctionnés par la volonté publique ; et chaque jour lui rendait son rôle plus facile, en le délivrant des bornoies qui avaient vu Rome libre La génération républicaine, décimée par les guerres civiles, par les proscriptions, par les conspirations, par le temps enfin, disparaissait rapidement de la scène, quotusquisque qui rempublicam vidisset. Les poètes de ce temps, même les plus amis du principat, semblaient destinés à mourir jeunes. C’est Cornélius Gallus[16], puis Varius, puis Horace, et après eux Mécène leur protecteur. Dans sa propre famille, l’empereur a vu les rangs s’éclaircir. Le jeune Marcellus, et, après un intervalle de dix ans, Agrippa, la première Octavie, Drusus, la seconde Octavie, lui sont successivement enlevés. Aux conseils de deux amis sévères va succéder, l’influence justement suspecte de Tibère et de Livie ; aux consolations d’une franche et libre intimité, les intrigues de famille, les soucis de l’éducation de Caïus et de Lucius César, et enfin les désordres de leur mère, que leur soeur imitera bientôt. L’amour de Rome s’était porté d’abord sur le jeune Marcellus, puis sur Drusus. A la mort de ce dernier, Germanicus et les fils d’Agrippa étaient trop jeunes pour succéder à sa popularité. Devant les honteuses plaies de la maison impériale, l’esprit public, déchu dé tant d’espérances ; se réveille par la satire, et le pouvoir ne se sent plus assez fort pour la mépriser. Timagène, chassé de la maison d’Auguste, trouve encore dans celle de Pollion un asile et l’impunité[17] ; mais le rhéteur Porcius Latro va expier dans une longue disgrâce le malheur d’avoir blessé l’illustre héritier du loin obscur des Vipsanius[18] ; un autre rhéteur, Albutius Silon, paye d’une mort volontaire sa complaisance pour certains souvenirs de la république[19]. Alors un historien et un orateur célèbres s’élevèrent contre les vices des grands et la servitude générale avec une étrange licence. C’étaient des annales qu’on n’osait lire en public sans supprimer les pages les plus dangereuses[20] ; c’étaient des libelles diffamatoires lancés contre de hauts personnages, surtout contre des femmes. L’histoire ne nomme pas les victimes[21] ; mais ce qu’on sait de Cassius Sévérus, par exemple, dans la cause de Nonius Asprénas, peut faire deviner jusqu’où s’emportait la médisance[22]. Longtemps le prince avait ri de cette audace. Cassius était malheureux dans ses accusations. Je voudrais bien, dit un jour Auguste[23], que Cassius accusât mon Forum ; il serait achevé (absolutum, absous ou achevé, jeu de mots intraduisible). Mais la modération ne tarda pas à devenir inutile. Vraies ou fausses, de pareilles invectives ne pouvaient plus rester impunies, sans compromettre la dignité, peut-être le salut du principat. Voyons comment et à quelle époque on essaya de les réprimer. Il faut remarquer d’abord due les premières tentatives de la législation romaine contre la liberté d’écrire remontent jusqu’aux Douze Tables, ou du moins jusqu’à une loi Cornelia, à laquelle Horace faisait allusion dès l’an de Rome 726[24]. En apparence, Auguste ne fait donc qu’user, et bien tardivement, du secours que les lois pouvaient lui offrir ; mais, en réalité, il dénature ces anciennes lois par une application clé plus en plus arbitraire. En 751, la première Julie subit avec de nombreux complices la peine de ses dérèglements criminels[25] ; mais, bien que le scandale de cette affaire eût rempli toute la ville avant que l’empereur en publiât l’aveu, ce n’est que sept ou huit ans plus tard que le sénat est appelé à sévir contre les auteurs de libelles diffamatoires. Encore la condamnation ne s’étend-elle pas à leurs écrits ; au moins ceux de Cassius Sévérus ne sont l’objet d’aucune mesure particulière[26], l’auteur seul est exilé. Déjà bien cruel dans quelques écrits publiés de son vivant[27], l’historien Labienus promettait de l’être plus encore dans ceux qu’il réservait au jugement de l’avenir[28]. Lorsque furent connues les pages secrètes que son imprudence trahissait en voulant les cacher, on frémit du danger que courrait le pouvoir qui les laisserait publier : le livre fut condamné au feu. Or, cet arrêt, on le voit ; n’eût pu atteindre les écrits de Cassius Sévérus, déjà répandus partout lors de l’exil de leur auteur. Labienus, ara contraire, n’avait lu son ouvrage qu’à un auditoire d’amis : il était temps encore d’en prévenir le dangereux éclat. Cassius, avant son exil, avait pu être un de ces auditeurs, puisqu’il savait par cœur les écrits que le sénat voulait anéantir ; de là, le mot célèbre que Sénèque nous a conservé. Jusqu’ici nous avons vu le sénat condamner, sur un rapport du prince, d’abord les auteurs, puis les livres ; d’autres malheurs domestiques vont amener des rigueurs plus arbitraires et plus violentes. En 761, la seconde Julie, digne élève de sa mère, s’attire
le même châtiment ; et une opinion que tout semble appuyer place à la même
époque l’exil d’Ovide, dont la cause se rattache aussi à cette triste et
mystérieuse affaire[29], et dont
quelques détails ont ici une singulière signification. Dans les Tristes,
Ovide s’accuse de deux crimes : 1° d’avoir trop vu, 2° d’avoir écrit
l’Art d’aimer ; et quoiqu’il adresse à plusieurs grands personnages, à
César même, de longues supplications, on voit que déjà il lui reste bien peu
d’amis à Rome ; tant est puissante la volonté qui l’opprime ! Or, cette
volonté, c’est uniquement celle de l’empereur ; car ni le sénat ni aucun
autre tribunal n’ont pris la moindre part à cet arrêt ; la divinité
d’Auguste s’est chargée seule de sa propre vengeance. Ovide se félicite,
comme d’un honneur, de cette circonstance, où nous reconnaissons un nouveau
progrès de la persécution[30]. Le prince, qui
a d’abord soumis ses rigueurs à la sanction du sénat ; se dispense maintenant
de cette formalité, Un ordre de sa main envoie, sans procès, un citoyen
vieillir au milieu des glaces de Maintenant, avons-nous besoin de réfuter en détail un anachronisme de Dion Cassius[31], qui parle pour la première fois, sous la date de 764, des poursuites dirigées contre les libelles et. les libellistes ? Il vaut mieux signaler, avant de finir ; un fait jusqu’ici inaperçu, et qui semble appartenir à l’histoire de ces persécutions. Le grammairien Hygin avait été, au rapport de Suétone[32] ; préposé par Auguste à la bibliothèque d’Apollon Palatin ; cependant il mourut dans une extrême pauvreté, soutenu par les secours d’un Caïus Licinius, consulaire et historien, à qui Suétone emprunte ce renseignement. Le bibliothécaire de l’empereur était-il donc tombé dans la disgrâce ? et comment l’avait-il mérité ? Voici du moins ce qu’on peut conjecturer à ce sujet. Hygin était fort lié avec Ovide (familiarissimus, dit Suétone) ; or, celui-ci, quand il énumère les trois bibliothèques publiques de Rome, où ses livres n’espéraient plus trouver un asile[33], ne dit pas un mot de son ami. Hygin ne présidait donc plus à la bibliothèque d’Apollon ; et sa retraite sans doute n’avait pas été volontaire, puisqu’il passa dans l’abandon les dernières années de sa vie. ide plus, dans une inscription contemporaine, où figure à côté d’un affranchi d’Auguste un C. Julius Hyginus[34], le titre Augusti libertus n’est pas joint à ce nom comme à celui de C. Julius Dionysius. Comme Timagène, Hygin aura donc encouru, par quelque imprudence, la sévérité d’Auguste, qui., au lieu de ramener son affranchi à la servitude, ainsi que les lois l’autorisaient à le faire, lui aura du moins retiré toutes ses faveurs. Je n’oserais, sans preuve, rapporter cet événement à la même date et à la même cause que la proscription d’Ovide ; j’observe seulement que le témoignage de saint Jérôme, qui fait fleurir Hygin vers l’an 8 avant notre ère, laisse, à cet égard, un champ fort libre aux conjectures ; et si le C. Licinius de Suétone était C. Clodius Licinius, consul en 756, le synchronisme que j’indique deviendrait plus probable encore. Quoi qu’il en soit de ces conjectures, qu’il serait possible de multiplier[35], tant d’atteintes portées par le pouvoir à l’indépendance de la pensée assombrissent un peu le tableau des gloires littéraires de ce siècle. On est réduit à se consoler par cette réflexion d’un contemporain, qu’heureusement le génie ne commença d’être opprimé qu’au temps où il devenait plus rare, eo seculo ea ingeniorum supplicia cœperunt, quo et ingenia desierunt[36]. En effet, les décrets du sénat ou du prince n’atteignirent le plus souvent que d’odieux déclamateurs. La véritable éloquence historique avait su mieux protester par le silence. Tite-Live arrêta son récit à la mort de Drusus ; et il semble que Tacite pensât à son illustre modèle, en écrivant les simples mais profondes paroles qui répondent si bien à celles de Sénèque : Temporibus Augusti dicendis non defuere decora ingenia, donec gliscente adulatione deterrerentur[37]. Tel fut le sort des livres. Mais les monuments, les actes officiels furent-ils toujours respectés durant cette longue période de guerres civiles, où tant de péripéties violentes changèrent brusquement les intérêts des partis ? Un seul texte dans toute l’antiquité nous paraît fournir sur ce point une réponse bien incomplète, mais qu’il faut pourtant mentionner ici. Après la défaite et la fuite de Sextus Pompée, tournant toutes ses pensées vers le rétablissement de l’ordre et le bonheur de l’Italie, Octave, nous dit Appien, permit aux magistrats annuels de reprendre leurs fonctions, brûla toutes les pièces qui pouvaient rappeler des dissensions éteintes, et promit de rendre à la république son ancienne constitution[38]. S’il était permis de suppléer à la brièveté de ce témoignage parles détails que l’histoire de France nous fournit[39] sur une opération analogue, après la victoire de Henri IV sur les ligueurs, nous pourrions demander compte à Octave de bien des lacunes dans Histoire contemporaine ; mais le préambule des tables de proscription ; mais tant d’autres monuments dont nous avons déjà parlé, ou dont nous retrouverons bientôt la trace, surtout dans Pline, Appien et Suétone, prouvent abondamment que la destruction ordonnée par le triumvir n’eut pas de sérieuses conséquences. On serait même tenté d’y voir quelque adroite comédie, quand on lit dans Dion Cassius, sous la date de 723 : Octave, remarquant que plusieurs sénateurs et autres citoyens, anciens partisans d’Antoine, se a méfiaient de lui, et craignant de leur part quelque tentative de révolution, déclara avoir livré au feu tous les papiers trouvés chez Antoine. Il est certain qu’il en avait détruit quelques-uns ; mais il gardait le reste, et avec beaucoup de soin, et il ne craignit pas, plus tard, de s’en servir[40]. La vraie clémence n’a pas besoin de brûler de vieux titres pour oublier ce qu’ils contiennent. Octave lui-même l’a montré dans plus d’une occasion. Mais, après la bataille d’Actium, il n’avait pas encore complètement dépouillé le triumvir ; et la clémence était moins une de ses vertus, qu’un des moyens de sa politique nouvelle. |
[1] Voyez surtout : 1° Horace et l’empereur Auguste, ou
observations qui peuvent servir de complément aux commentaires sur Horace,
par Eusèbe Salverte, Paris, 1823, in-8°. Appréciation trop sévère des rapports
de l’empereur et du poète. 2° Sur
[2] Voy. plus bas, chap. III, sect. II.
[3] Voy. ci-dessous, chap. III, sect. I.
[4] Ibid. n. 19.
[5] Suétone, J. Cœs. 42. Cf. Strabon, Geogr. XIV, 4, § 14.
[6] Par exemple, le rhéteur Blandus, plusieurs fois cité par Sénèque le père. Voy. Controv. lib. II, Prœf.
[7] Suétone, Aug. 42.
[8] Suétone, Aug. 89. Cf. plus bas, chap. IV.
[9] Voy. plus bas, chap. VI.
[10] Tacite, Ann. IV, 34.
[11] Fragment dans Suétone, J. Cœs. 56.
[12] Suétone, Aug. 86 sqq. Cf. Fabricius, l. c.
[13] V. Cicéron, Epist. ad Div. VII, 1 ; Horace, Satir. I, 10, 36 sqq. ibique Sehol. ; ad Pis. 387. Parmi les commentateurs modernes, je citerai seulement M. Weichert, Reliq. poet. lat. p. 334 sqq., et M. G. Lille, de Horatiana ad Pisones epistola, Breslau, 1838, in-8°, p.14 sqq. ; et je n’ajouterai à ces discussions qu’une seule remarque. Le vers 38 de la satire citée est le principal argument sur lequel on s’appuie pour attribuer ce morceau à l’an 724, ou, tout au plus, à l’an 723, époque de la construction du temple d’Apollon Palatin. Mais les mots in œde, que le scoliaste explique par in œde Apollinis sine Musarum, pourraient bien se rapporter à l’œdes Herculis Musarum, située dans le champ de Mars, et où Fulvius Nobilior avait déposé ces fastes dont parle Macrobe (Saturn. I, 12, 13. Cf. Pline, Hist. nat. XXXV, 36 ; Eumenius, Orat. Pro rest. schol. 7 ; Ovide, Fast. VI, 799). Suétone (Aug. 29) nous apprend que ce temple fut au moins restauré par L. Marcius Philippus, beau-père d’Octave : dès lors la date en question redevient fort incertaine.
[14] Remarquez qu’on explique fort bien en ce sens les vers cités d’Horace dans la dixième satire du premier livre :
Hæc
ego ludo
Quæ
nec in œde sonent certantia judice Tarpa,
Nec
redeant iterum atque iterum spectauda theatris.
Le premier vers fait allusion à la censure théâtrale,
le second à la représentation. Voy. un excellent morceau de M. Magnin, sur la
mise en scène chez les anciens, dans
[15] Suétone, Aug. 55.
[16] Il est vrai que la trahison de Gallus, si toutefois elle est bien avérée, dé-mentit son premier rôle (Dion Cassius, 53, 23. Cf. Gallus, ou scènes romaines du temps d’Auguste, par W. A. Becker, Leipzig, 1838, in-8°, en allemand, p. 49 et suiv.).
[17] Nous savons que Timagène mourut dans une maison de campagne de son protecteur : or, celui-ci vécut jusqu’en 757. Nous sommes donc autorisé à rapprocher de cette dernière date la retraite de Timagène. Cf. plus bas, chap. III, sect. I, n. 20.
[18] Saint Jérôme, Chron. Euseb. olymp. 194, 1 : M. Porcius Latro, latinus declamator, tædio duplicis quartanœ semet interficit. Cf. Sénèque, Controv. 12, p. 178, Bip. Il nous apprend la véritable cause de cette fièvre double-quarte.
[19] Sénèque, Suasor., p. 37, parlant d’Albutius : Hœc insectatio temporum fuit. Cf. Suétone, de Clar. rhet. 6 : In cognitione cædis, Mediolani, apud T. Pisonem proconsulem defendens reum, quum, cohibente lictore nimias laudantium votes, ita excanduisset, ut et deplorato Italia ; statu, quasi iterum in formam provinciœ redigeretur, Marcum insuper Brutum, cujus statua in conspectu erat, invocaret legunt ac libertatis auctorem ac vindicem, pœne pœnas luit, etc.
[20] Sénèque, Controv. lib. V, Præf. p. 330, Bip.
[21] Tacite, Ann.1, 72 ; cf. IV, 21. Voy. pourtant plus bas la note 27.
[22] Weichert, de Vario et Cassio, p. 198, 303.
[23] Macrobe, Saturn. II, 4.
[24] Horace, Satir. II, 1, 82, et la note de M. Orelli sur ce passage.
[25] Dion Cassius, 55, 10 ; cf. Weichert, de Vario et Cassio, p. 358 sqq.
[26] Sénèque, Controv.
lib. V, Prœf. Saint Jérôme, dans
[27] Il avait attaqué Bathylle, le favori de Mécène, honoré même de quelque considération par l’empereur (Tacite, Ann. I, 54) ; mais cette attaque ne lui valut, à ce qu’il paraît, qu’une réponse du rhéteur Junius Gallion (rescriptum Labieno pro Bathylle Mœcenatis. Sénèque, Controv. lib. V, Prœf.).
[28] Sénèque, l. c. : Memini aliquando, cum recitaret historiam, magnum partem convolvisse et dixisse : Hæc quæ transeo post mortem meam legentur. Quanta in illis libertas fuit, quam etiam Labienus extimuit !
[29] Voy. J. Masson, P. Ovidii Nasonis Vita, etc., Amstelod. 1708, in-8°, réimprimée avec des additions de l’auteur, dans l’Ovide de Bormann, Amstelod. 1727, t. IV, p. 29-120. Cf. Noris, Cenotaphia Pis., p. 202 sq.
[30] Trist. II, 1, 130 :
Nec
mea decreto damuasti facta senatus,
Nec
mea selecto judice jussa fuga est.
Tristibus
invectus verbis (ita principe dignum)
Ultus
es offensas, ut decet, ipse tuas.
...
tu n'as pas confisqué mon patrimoine ; tu n'as pas fait décréter ma
condamnation par un sénatus-consulte ; un tribunal spécial n'a pas prononcé mon
exil, l'arrêt (ainsi doit agir un prince) est sorti de ta bouche : tu as vengé
toi-même, comme il convenait de le faire, tes injures personnelles.
Suétone (Auq. 51) cite un trait de clémence qui convenait beaucoup mieux au maître du monde.
[31] 56, 27 (u. c. 764). Il est probable que Dion Cassius réunit ici, à l’occasion d’un fait de ce genre, ce qu’il savait de tous les autres.
[32] De Illustr. gramm. 20.
[33] Trist. III, 1, 60. Cf. Fast. IV, 624 ; A. Am. I, 69 ; II, 495.
[34] C. Julius Hy[ginus], dans Muratori, p. 298, 3 ; et déjà dans Reinesius, X, 3, mais d’après Pighius, où certainement cette inscription a souffert une grave interpolation. Les mots divi Aug. L., joints au nom de C. Julius Dionysius, peuvent étonner au premier abord dans un monument qui porte le nom de trois collèges de consuls antérieurs à la mort d’Auguste (752, 753, 754) ; mais il faut observer qu’une liste d’affranchis, un fragment de registre, comme celui que nous offre la présente inscription, a pu être recopié après la mort d’Auguste. Alors le copiste aura naturellement substitué divi à Cœsaris. Maffei, avec sa légèreté accoutumée, attaque, sans fournir de preuves, l’authenticité de ce fragment (Ars crit. Lapid., p. 457).
[35] Ainsi, quand Sénèque, après le récit de la mort de Labienus, ajoute (l. l.) : Ejus qui banc in scripta Labieni sententiam dixerat, postea uiaentis adhuc scripta combusta sunt, le nom de ce personnage et la date de sa condamnation sont encore inconnus ; mais des rapprochements analogues à ceux qu’on vient de lire permettront peut-être un jour d’indiquer l’un et l’autre avec quelque vraisemblance.
[36] Sénèque, l. l.
[37] On voit pourquoi nous préférons la leçon deterrerentur à detererentur, qui est celle du manuscrit.
[38] Guerres civiles, V, 132.
[39] S. de Sismondi, Hist.
des Français, tome XXI, p. 270 (1594) : La
première pensée du roi et de ses ministres fut de faire disparaître de tous les
monuments publics tous les actes qui attestaient la résistance de la
magistrature et du peuple de Paris à l’autorité royale. Tandis que le
lieutenant civil, J. Seguier, faisait détruire chez tous les libraires les
libelles publiés contre le feu roi et contre le roi régnant, le chancelier
Cheverny, et, par ses ordres, Pierre Pithou, procureur général, compulsaient
les registres du parlement de Paris, pour biffer tout ce qu’ils contenaient
d’injurieux à la majesté royale ; puis Pithou et Loisel, avocat général,
répétèrent la même opération dans les autres toms, et firent aussi ôter des
églises, cloîtres, monastères, collèges, maisons communes, lieux et endroits
publics, les tableaux, inscriptions et autres marques qui pouvaient conserver
la mémoire de ce qui s’est passé à Paris pendant qu’il a été au pouvoir de
[40] Dion, 52 ; 42. La traduction latine rend ici γράμματα par epistolas ; mais il est clair que la correspondance d’Antoine ne devait pas renfermer les seuls titres dont la conservation inquiétât les nouveaux amis d’Auguste. Comme dans le passage d’Appien cité plus haut, il s’agit ici de tout ce que nous appelons les papiers. Dion lui-même (72, 24) appelle γράμματα τά τή άρχή προσήxοντα toutes les pièces que pouvaient contenir les bureaux de l’administration impériale, sur le Palatin. Cf. l’Index de Reimar, au mot γράμματα.