HISTOIRE GÉNÉRALE DE LA GUERRE DE 1870-1871

TOME PREMIER

 

CHAPITRE X. — LE 31 OCTOBRE. - CAPITULATION DE PARIS.

 

 

Le 31 octobre, le parti de la Commune se souleva pour la quatrième fois contre le gouvernement du 4 Septembre. Il avait mieux pris ses mesures, et l'attaque faillit réussir et réaliser enfin l'espoir de M. de Bismarck.

Après le 4 septembre, les maires de Paris avaient été nommés au nom du gouvernement par M. Gambetta, ministre de l'Intérieur. Les révolutionnaires demandaient depuis longtemps que l'on procédât immédiatement aux élections, afin de mettre à la tête des mairies et dans le conseil municipal leurs principaux chefs. Après cela, ils comptaient établir facilement la Commune, c'est-à-dire leur gouvernement, et en attendant ils soulevaient contre l'Hôtel de Ville une partie de la population, qui croyait qu'il s'agissait seulement de rendre à Paris ses libertés municipales, ses franchises communales.

Le 31 octobre, les bandes communardes et jacobines, sous les ordres de Blanqui, Flourens, Millière, Delescluze, Tibaldi, se réunirent sur la place de l'Hôtel de Ville au cri de : la Commune ! Bientôt elles entrèrent dans l'Hôtel de Ville, en devinrent maîtresses sans coup férir, et firent prisonniers la plupart des membres du gouvernement et le général Tamisier, commandant en chef de la garde nationale, qui furent gardés comme otages dans la salle du conseil et menacés de mort, s'ils ne donnaient leur démission. Tous refusèrent courageusement. Les chefs de l'insurrection cherchaient, au milieu du désordre, à composer le nouveau gouvernement : ce qui n'était pas facile, à cause des prétentions nombreuses qu'il fallait satisfaire. La Commune était proclamée, et, avec un personnel moins aviné et moins tumultueux, elle était établie.

Quoique le rappel battît de tous côtés, la garde nationale ne bougeait pas : elle laissait renverser le gouvernement du général Trochu, dont elle était mécontente ; elle acceptait, comme toujours, le fait accompli, et s'attendait à faire, le lendemain, des élections pour installer un nouveau gouvernement sous la présidence de M. Dorian, l'idole du moment. Mais quand la bourgeoisie parisienne sut que Blanqui allait être nommé dictateur et que la ville était sur le point de tomber aux mains de ses bandes, elle se ravisa et se leva en masse. La garde nationale répondit enfin à l'appel de M. Ernest Picard et marcha sur l'Hôtel de Ville pour en chasser les insurgés. Il était sept heures du soir. Les membres du gouvernement étaient toujours prisonniers[1], outragés et menacés de mort ; la salle du conseil était remplie par les tirailleurs de Flourens ; leurs chefs, Flourens et Millière, piétinaient sur la table et proclamaient la déchéance du gouvernement, quand le commandant Ibos, qui venait d'entrer, à l'Hôtel de Ville[2], pénétra dans la salle du conseil à la tête d'une centaine de gardes nationaux. Se croisant les bras devant Flourens, il s'écria : Vive Trochu ! vive le gouvernement de la Défense nationale ! Aussi énergique en action qu'en paroles, le brave commandant Ibos et ses hommes se jetèrent sur les tirailleurs et leur arrachèrent le général Trochu[3], Emmanuel Arago et Jules Ferry, qu'ils mirent en liberté. Jules Favre, Jules Simon, Garnier-Pagès, Pelletan, les généraux Le Flô et Tamisier restèrent prisonniers. Après le vigoureux coup de main du commandant Ibos, la garde nationale, conduite par M. Jules Ferry[4] et les colonels Roger (du Nord) et Ferri-Pisani, allait forcer les portes de l'Hôtel de Ville, lorsque Delescluze, accompagné de M. Dorian, se présenta et dit à M. J. Ferry : Les gens qui sont dans l'Hôtel de Ville sentent qu'ils ne sont pas les plus forts, mais ils tiennent vos collègues et peuvent les tuer. Le plus sage est d'obtenir que l'Hôtel de Ville soit évacué purement et simplement ; je m'en charge. La transaction fut acceptée sans autre engagement, disent les uns ; ce qui est démenti par d'autres, qui affirment qu'on s'engagea à mettre en liberté les chefs de l'insurrection et à faire sans délai les élections municipales. Quoi qu'il en soit, cette transaction eut pour conséquence d'assurer plus tard l'impunité des coupables en arrêtant l'action de la justice ou en l'atténuant.

Pendant ce temps, plusieurs bataillons de mobiles entraient dans l'Hôtel de Ville par un souterrain et ouvraient les portes à la colonne de M. Jules Ferry. Au moment d'être délivré, le général Le Flô, craignant d'être fusillé, empoigna Millière au collet et le menaça de le jeter par la fenêtre si on tirait sur les otages, qui furent enfin mis en liberté ; mais en même temps on laissait partir Millière, Flourens et les ignobles cohues qui encombraient l'Hôtel de Ville[5]. M. Ernest Picard et le général Trochu voulaient que l'on agît avec vigueur contre les Rouges ; M. Rochefort, qui plus d'une fois a fait preuve d'intelligence et de bon sens dans le conseil, demanda aussi une répression énergique de l'attentat[6]. Aucune punition, disait-il, ne pouvait être assez rigoureuse contre des hommes qui ont quitté leur poste devant l'ennemi pour venir renverser violemment le gouvernement. Mais MM. Jules Simon et Garnier-Pagès parlèrent contre la répression, montrèrent le danger de la guerre civile, qui ouvrait, prétendaient-ils, Paris aux Prussiens ; bref, six voix contre quatre repoussèrent l'arrestation des chefs de l'insurrection, arrestation qui fut enfin ordonnée le 2 novembre. Vingt des principaux meneurs furent livrés à la justice, mais ils furent acquittés par les conseils de guerre.

Le 3 novembre, la population et l'armée furent appelées à déclarer, par un vote plébiscitaire, si elles voulaient conserver le gouvernement du 4 Septembre. 558.000 oui contre 62.000 non lui donnèrent un éclatant témoignage de confiance, mais ne purent lui donner l'intelligence de la situation et l'énergie qui lui manquaient. On peut juger de l'incurable aveuglement des membres de la Défense nationale, en lisant l'histoire de ce gouvernement publiée par M. J. Favre ; on y trouve des euphémismes prodigieux pour désigner les abominables sectaires qui paralysaient la défense. Le subtil académicien les appelle des agitateurs, des égarés, et leurs criminelles attaques ne sont plus que de généreuses colères ! Aussi les factieux recommencèrent-ils bientôt leurs complots.

Après le plébiscite, on procéda aux élections municipales. La population nomma les maires et les adjoints des divers arrondissements ; les choix furent en général assez bons, mais dans plusieurs arrondissements les mairies tombèrent au pouvoir des communards, qui y préparèrent la future insurrection.

Pendant ce temps, des négociations s'ouvraient à Versailles. Nous avons dit que M. Thiers avait été envoyé à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Vienne et à Florence pour y demander une médiation armée ou au moins une intervention des puissances en notre faveur. Parti de Paris le 12 septembre, M. Thiers était revenu à Tours le 20 octobre, sans avoir obtenu ce qu'il désirait, c'est-à-dire un secours par les armes. L'Angleterre et la Russie, de qui tout dépendait, étaient résolues à laisser les événements s'accomplir et à permettre à la Prusse, en écrasant la France, de détruire l'équilibre de l'Europe. Quant à l'Autriche, menacée de la guerre par la Russie, elle ne pouvait rien faire de décisif, et l'Italie, qui, paraît-il, était bien disposée, ne pouvait agir seule. M. Thiers avait obtenu cependant, à Saint-Pétersbourg, l'appui du Czar pour négocier un armistice. L'Angleterre, afin de ne pas rester en deçà de la Russie, l'Autriche et l'Italie, par bon vouloir, se réunirent à la Russie et demandèrent à la Prusse qu'elle consentît à négocier un armistice rendant possible la convocation d'une assemblée nationale chargée de décider de la paix ou de la guerre, le gouvernement français, après l'entrevue de Ferrières, ne pouvant plus faire de lui-même de nouvelles ouvertures à M. de Bismarck.

L'opinion publique en Europe, depuis cette entrevue, se prononçait de plus en plus contre l'ambition de l'Allemagne ; la courageuse résistance de Paris réveillait partout les sympathies en notre faveur. M. de Bismarck, bien que décidé à repousser toute intervention des neutres et à conserver à la Prusse sa liberté d'action complète, accorda l'armistice que les puissances demandaient au nom de la France ; il accorda également, sur la demande de lord Granville, un sauf-conduit à M. Thiers pour traverser les lignes prussiennes et venir à Paris conférer avec les membres de la Défense nationale.

Au fond, la Prusse désirait finir la guerre le plus tôt possible, afin que ses conquêtes lui coûtassent moins d'hommes. La résistance opiniâtre de Paris, la formation des armées de Paris et de la Loire, la crainte de voir durer encore deux mois une situation inquiétante, sinon dangereuse, tout nous servait encore, comme au 9 octobre. Mais notre situation avait diminué ; nous n'avions plus Metz, et sa chute ignominieuse avait exaspéré nos sentiments patriotiques ; on voulait lutter encore et vaincre l'ennemi, dont l'orgueil et les exigences s'accroissaient naturellement à chaque nouveau succès. Dans de pareilles conditions, il était difficile de se mettre d'accord, le vaincu ne l'étant pas assez pour se résigner à l'avouer.

M. Thiers arriva à Versailles le 29 octobre, et se rendit à Paris. Il insista auprès du gouvernement sur la nécessité d'élire une assemblée et de procéder aux élections, que demandaient les départements ; il combattit l'opinion de M. Gambetta, qui, à Tours, s'opposait de tout son pouvoir à l'armistice et à la convocation d'une assemblée. M. Thiers engageait le gouvernement à accepter l'armistice, parce qu'une fois la négociation nouée, on pourrait peut-être obtenir l'intervention des puissances. Le gouvernement fut convaincu et chargea M. Thiers d'aller à Versailles négocier avec M. de Bismarck. Il partit le 31 octobre, au moment même où l'insurrection éclatait. Aussi, à la première entrevue, M. de Bismarck annonçait à M. Thiers que le gouvernement de Septembre, au nom duquel il venait traiter, était probablement renversé. Quand on connut la défaite des Rouges, les négociations s'ouvrirent. M. Thiers demandait un armistice de vingt-cinq jours, pendant lequel on ferait les élections à l'Assemblée nationale ; il demandait aussi que Paris pût se ravitailler et recevoir la quantité de vivres qu'il consommerait pendant l'armistice. Pour consentir à cette seconde demande, M. de Bismarck, faisant valoir les raisons militaires, exigeait qu'on lui remît un des forts de Paris, parce que, disait-il, l'armistice prolongerait notre résistance. En effet, l'armée du prince Frédéric-Charles aurait été immobilisée à Metz pendant vingt-cinq à trente jours, ainsi que l'armée du prince royal autour de Paris, et pendant ce temps notre armée de la Loire achèverait de s'organiser, et les armes achetées à l'étranger arriveraient en France. On ne put s'entendre, et, le 6 novembre, les négociations furent rompues.

On a regretté que la paix n'ait pas été conclue à ce moment. On a dit qu'on pouvait la faire alors en cédant seulement l'Alsace et en payant deux milliards ; mais cette assertion est absolument fausse, et il est certain que, dès leur victoire de Sedan, les Prussiens étaient résolus à garder l'Alsace et la Lorraine allemande, Strasbourg et Metz. L'indemnité seule eût été probablement moins forte. Nous n'hésitons pas à nous ranger à l'opinion de ceux qui croyaient alors que la France ne pouvait pas signer la paix sous le coup de la honte de Metz, pas plus qu'elle n'avait pu la conclure sous le coup de la honte de Sedan. Un grand pays surpris par l'invasion, mais pouvant encore se défendre, même sans espoir d'être complètement victorieux, devait combattre et sauver son honneur, au lieu d'abdiquer militairement, parce que, comme l'a si bien dit le général Ducrot : Une nation comme la nôtre se relève toujours de ses ruines matérielles ; elle ne se relève jamais de ses ruines morales. Notre génération souffrira peut-être plus de cette ruine, mais nos enfants bénéficieront de l'honneur que nous aurons sauvé.

A ce moment, les forces de Paris étaient organisées et pourvues d'artillerie. On avait 200.000 hommes en état de combattre. Je ne parle pas de la garde nationale, placée sous les ordres supérieurs du général Clément Thomas ; elle avait la garde de la ville et des bastions de l'enceinte ; j'arrive à l'armée régulière. Elle se divisait en deux masses. L'armée active comptait 100.000 hommes et se composait d'anciens régiments, de régiments de marche et de régiments de mobiles ; elle était commandée par le général Ducrot et se divisait en trois corps d'armée (Blanchard, Renault, d'Exéa) ; elle comptait aussi une division de cavalerie et une artillerie nombreuse et solide. Le général Vinoy était à la tête d'une seconde armée, de 100.000 hommes également, répartie en six divisions et composée de régiments de marche et de mobiles, de marins, de douaniers, de forestiers, de gendarmes, de sergents de ville et de gardes nationaux mobilisés. Vinoy était chargé de la défense des forts et de faire les sorties locales. Il y avait encore le corps d'armée de Saint-Denis, placé sous les ordres de l'amiral La Roncière.

Les troupes avaient bien été aguerries dans les nombreux engagements qu'elles avaient eus avec les Prussiens ; mais, en général, elles manquaient de discipline, d'obéissance, d'esprit militaire, et une partie de la garde nationale était, comme nous l'avons dit, bien plus l'ennemie de la société française que de l'armée prussienne.

Au moment où le général Trochu allait lancer l'armée de Ducrot sur la route de Rouen et mettre son projet à exécution, on apprit à Paris la victoire de Coulmiers. Population et gouvernants s'imaginèrent aussitôt que l'armée de la Loire arrivait ; on voulut absolument que le général Trochu marchât à sa rencontre, et, sous cette pression irrésistible de l'opinion, il fallut renoncer à un projet bien étudié, et dont les préparatifs devinrent inutiles, pour combiner un nouveau mouvement.

Une armée, forte d'environ 100.000 hommes, fut rassemblée à l'est de Paris, sur la Marne. Elle devait franchir cette rivière, enlever les hauteurs de Villiers, de Cœuilly, de Chennevières, et, si elle réussissait, se porter sur Lagny et de là au-devant de l'armée de la Loire. L'attaque débuta le 28 novembre par l'occupation du plateau d'Avron, que l'amiral Saisset couvrit de canons de marine, à l'aide desquels il menaçait au loin les positions de l'ennemi à Chelles et à Gournay. Les forts de Rosny, de Nogent et de Charenton, ainsi-que la redoute de la Faisanderie et les ouvrages de la presqu'île de Saint-Maur allaient appuyer de leur puissante artillerie les opérations prochaines. Le passage de la Marne devait avoir lieu le 29 et la bataille s'engager aussitôt. Ce jour-là, pour faire diversion, on attaquerait les Prussiens : au nord, à Epinay et à Drancy ; à l'ouest, à Malmaison ; au sud, à l'Hay.

Le général Ducrot avait donné l'ordre de jeter les ponts sur la Marne dans la nuit du 28 au 29. M. Krantz, ingénieur en chef de la navigation, était chargé de cette opération. Le matériel, rassemblé à Paris, fut amené par eau à Saint-Maur ; le convoi de bateaux et de pontons était remorqué par des bateaux à vapeur. Le souterrain de Saint-Maur fut franchi. mais, arrivé au pont de Joinville, on fut obligé de s'arrêter : le pont de Joinville avait été détruit en partie et ses matériaux encombraient le lit de la Marne ; les arches non détruites laissaient seules passage à la rivière, qui sous ces arches avait un courant très-fort. Le hasard voulut qu'une crue subite et éphémère se déclarât dans la Marne le 28 ; le courant était devenu si violent, que M. Krantz ne parvint à franchir le pont de Joinville qu'après avoir perdu beaucoup de temps et avoir failli faire sombrer ses pontons. Les ponts, à cause de ce retard, ne purent être jetés pendant la nuit ; il fallut remettre l'opération au lendemain.

Pour tromper l'ennemi, qui était informé de notre mouvement sur la Marne, Trochu laissa le général Vinoy faire l'attaque sur l'Hay. L'amiral Pothuau, avec ses marins et deux bataillons de la garde nationale, enlevèrent vivement la Gare-aux-Bœufs, près de Choisy-le-Roi ; l'Hay fut attaqué et allait être occupé quand l'ordre de battre en retraite fut donné. A l'ouest, le général de Beaufort fit une grande reconnaissance sur la Malmaison et Buzenval. La diversion sur Épinay et Drancy fut remise au lendemain 30.

La bataille principale s'engagea le 30. Le général Ducrot passa la Marne sur douze ponts, entre Joinville et Brie-sur-Marne, pendant que la division Susbielle traversait la rivière à Charenton.

La journée du 29 avait donné aux Prussiens le temps de rassembler des forces assez considérables devant la Marne. Quand la bataille s'engagea, le général Ducrot avait devant lui environ 55.000 hommes (Wurtembergeois, Saxons, Prussiens) et 150 canons, sous les ordres du général de Tumpling. Le premier corps (Blanchard) enleva Champigny ; le deuxième corps (Renault) se porta sur Villiers, fut repoussé un moment, mais notre artillerie écrasa celle des Prussiens et nos troupes purent reprendre leurs positions sur le plateau de Villiers ; le troisième corps (d'Exéa) s'empara de Brie[7]. Alors toute l'armée se porta en avant et refoula les Prussiens dans leurs retranchements de Noisy-le-Grand, de Villiers et de Cœuilly. Cette journée du 30 novembre, appelée la bataille de Villiers, était un succès, incomplet il est vrai, mais certain.

Pendant ce temps, la division Susbielle, partie de Charenton, attaquait Montmesly et était repoussée sur Créteil, protégée dans sa retraite par le général Vinoy. Ce même jour 30, l'amiral La Roncière faisait attaquer Drancy, qu'il occupait, ainsi que la ferme de Groslay, l'ennemi n'osant pas bouger de ses retranchements. La brigade Hanrion[8] attaquait le village d'Épinay, l'enlevait avec entrain, mais l'évacuait aussitôt après. Ces reculades continuelles brisaient le ressort du soldat, qui s'irritait de voir sans cesse ses efforts et ses succès ne produire aucun résultat.

Le 1er décembre, le général Ducrot resta dans l'inaction ; il se contenta de fortifier les villages de Brie et de Champigny. Notre artillerie était excellente, mais notre infanterie avait plus d'élan que de solidité et de discipline. Avec de meilleures troupes, le général Ducrot aurait obtenu un succès décisif, parce qu'il aurait pu recommencer le combat le 1er décembre, tandis qu'il fut obligé de consacrer cette journée à remettre l'ordre dans son armée, assez ébranlée par la lutte, le froid et le manque de solidité. Les Prussiens profitèrent du temps qu'on leur accordait : ils envoyèrent des renforts aux troupes qui avaient combattu le 30, et chargèrent le général de Fransecky de recommencer le combat le 2 décembre. Nos troupes furent attaquées à l'improviste, mais les Allemands furent repoussés malgré leurs efforts. Cette journée est celle de Champigny. Malgré la retraite des Prussiens, la question n'était pas résolue ; il fallait leur enlever les hauteurs fortifiées sur lesquelles ils s'étaient repliés. Devant l'impossibilité de s'emparer de ces retranchements, le général Ducrot se décida à repasser la Marne ; ce qu'il fit, le 3, sans être inquiété par les 80.000 hommes qu'il avait devant lui. Nos pertes dans ces deux journées sont d'environ 8.000 hommes, celles des Prussiens, de 5.000 hommes, la plupart atteints par nos obus.

M. Gambetta, en annonçant cette bataille à la France, publia les télégrammes les plus invraisemblables. Soit parti pris de ne pas dire la vérité, soit ignorance de la géographie, le général Trochu, disait-il, avait pris Épinay-sur-Orge, au sud de Longjumeau ; et, changeant les distances, il en concluait que Trochu et d'Aurelle n'étaient plus qu'à 12 ou 13 lieues l'un de l'autre. Paris était débloqué, les deux armées allaient se réunir, et la victoire serait complète. Beaucoup de gens, même à Versailles, crurent à ces étranges assertions ; et quand on leur disait qu'il fallait y prendre garde, et que si le roi de Prusse restait bien tranquillement à Versailles, c'est qu'évidemment Paris n'était pas débloqué, ils répondaient que si le roi de Prusse ne s'en allait pas, c'était parce qu'il ne le pouvait plus, et qu'il était prisonnier. Le dictateur de Tours avait des lecteurs dignes de ses télégrammes.

Non seulement Paris n'était pas débloqué, mais l'armée de la Loire, pendant ce temps-là, venait d'être battue à Loigny, devant Orléans, le 2 décembre, comme on le verra plus loin.

Sur ces entrefaites, un parlementaire de M. de Moltke apportait au général Trochu une lettre par laquelle on l'informait qu'Orléans était retombé au pouvoir des Allemands ; M. de Moltke lui proposait d'envoyer un de ses officiers pour vérifier ce fait. Le général Ducrot dit au général Trochu qu'il pensait que les Prussiens en avaient assez, qu'ils voulaient traiter, et il engagea le gouverneur de Paris à s'en assurer. Le général Trochu crut au contraire que c'était un piège et que les Prussiens voulaient seulement le compromettre, comme ils avaient fait de Bazaine. Il coupa court à ces ouvertures en écrivant à M. de Moltke une lettre qui fut très-approuvée par la population parisienne. Cependant le général Ducrot, et MM. J. Favre et E. Picard, qui pensaient comme lui, avaient raison. Les Prussiens en avaient assez, et leurs alliés en avaient trop. Hanovriens, Saxons, Wurtembergeois, Bavarois, tous détestaient les Prussiens et avaient hâte de voir finir la guerre, dont tout le poids tombait principalement sur eux, qui cependant n'avaient pas grand' chose à y gagner. Un Saxon nous disait un jour : Vous êtes plus heureux que nous, vous autres Français : quand la guerre sera finie, vous serez débarrassés des Prussiens, tandis que nous Saxons, nous serons sous leur domination plus encore qu'avant la guerre. Les Wurtembergeois disaient à nos officiers, après Champigny, que le général Trochu ferait la paix, s'il le voulait, et à d'honorables conditions. La Prusse était obligée jusqu'à un certain point de tenir compte du mécontentement de ses alliés et de leur désir de voir finir la guerre. Pour nous, l'armée de Ducrot venait d'obtenir un demi-succès ; nous avions encore les armées de la Loire, du Nord et de Paris, qui nous permettaient de discuter les conditions de la paix, de dire non si elles étaient trop dures, et de continuer la lutte ; tandis que plus tard, quand toutes les armées eurent été battues et que Paris se trouva sans pain, il fallut accepter, la corde au cou, les conditions imposées par l'ennemi. L'honneur exigeait que l'on continuât à combattre après Sedan, encore après Metz ; mais après Champigny et Orléans, la raison et l'intérêt du pays exigeaient que l'on fit la paix, au moins que l'on tentât de la faire, surtout, je le répète, après le demi-succès de Champigny.

Mais le général Trochu s'y opposa, en faisant valoir qu'on ne savait pas au juste ce qui se passait en province ; qu'on pouvait peut-être sauver Paris en combattant, parce que la résistance de Paris permettait à la province de tenter un dernier effort ; qu'on ne pouvait capituler tant qu'on avait des vivres et tant que la province combattait : car, ajoutait-il, si on capitule, la province pourra dire : Si vous aviez tenu huit jours de plus, tout était sauvé. Ces raisons étaient irréfutables, parce que le devoir d'une place forte assiégée est de tenir jusqu'au bout. Mais alors il ne faut pas que le gouvernement soit renfermé dans Paris. Paris, grande mais simple place forte, pourra alors jouer son rôle de place forte sans enchaîner fatalement la France entière à sa destinée.

Le 21 décembre, on fit une grande sortie au nord pour appuyer les opérations du général Faidherbe dans les départements du nord. Mais, comme toujours, la lenteur de nos mouvements et le peu de ténacité de notre armée firent échouer cette entreprise[9]. On attaqua le Bourget sans pouvoir l'enlever, mais on resta maître de Drancy. Pendant ce temps, on faisait deux diversions : l'une à l'est, à la Ville-Évrard, qu'on enleva aux Saxons ; l'autre, à l'ouest, à Buzenval.

A quelques jours de là, le 27, les Prussiens commencèrent le bombardement de Paris. Avant d'en parler, il faut donner quelques détails sur l'état de la ville à ce moment. Les désordres que nous avons signalés et flétris tout à l'heure se continuaient ; mais ce n'est pas ce tableau honteux que nous voulons remettre sous les yeux du lecteur : il faut, au contraire, opposer au Paris communard le Paris honnête, dévoué, patriote et faisant noblement son devoir.

Les bataillons composés de gardes nationaux des quartiers du centre formaient un contraste complet avec ceux des faubourgs : ici, des hommes souvent ivres et lâches, débraillés et criards ; là, des hommes sérieux, tenaces, disciplinés, voulant défendre Paris, supportant avec courage et résignation les rudes épreuves du blocus, le froid, les privations, les fatigues du service, et allant au feu, quand on les y menait, au moins avec un véritable entrain, sinon avec la solidité de vieilles troupes[10].

La population, réduite d'abord à une ration quotidienne de 100 grammes de viande de cheval, puis à 60, et, dès le 14 novembre, à 30 grammes, supportait la disette sans se plaindre[11]. Après les bœufs, les vaches, les moutons, les porcs, le lard, les salaisons, les conserves, on mangea les chevaux, les mulets, les ânes, les chiens, les chats, les rats, les moineaux, les bêtes du jardin des plantes, le sang des animaux de toute espèce transformé en boudin, toutes les graisses et moelles des os transformées par des procédés nouveaux en beurre dit de Paris, les intestins, les tendons et les rognures de peaux rendus comestibles, etc. Le vin ne manquait pas ; le blé non plus. La difficulté était de le moudre et de le convertir en farine. On établit des moulins (système Falker) dans toutes les gares des chemins de fer, et M. Cail fabriqua en un mois 300 paires de meules. Sans ce prodige, qui lui a coûté la santé et la vie, Paris mourait de faim sur des tas de blé non moulus. On consommait chaque jour 6.368 quintaux de farines, soit de 810 à 820.000 kilogrammes de pain. Quand la farine de froment diminua, au lieu de rationner et de diminuer la quantité de pain distribuée, on changea la qualité du pain, en mêlant d'autres farines à celle du blé. Cependant, dès le milieu de décembre, quelques mairies commencèrent le rationnement du pain, et la ration varia suivant les arrondissements. Le rationnement fut général à partir du 19 janvier, et la ration ne fut plus que de 300 grammes. Déjà depuis plusieurs jours le pain était noir, détestable, malsain et composé d'un peu de blé et de seigle, surtout d'orge, d'avoine, de riz, de vermicelle, d'amidon et de débris divers.

Les maladresses de l'administration dirigée par M. Jules Ferry augmentèrent considérablement les souffrances de la population. Dès le mois d'octobre, elle supprima les trois quarts des boucheries pour établir quelques boucheries municipales, où l'on recevait, en montrant sa carte, les rations auxquelles on avait droit. C'est cette incomparable faute qui amena les encombrements à la porte des bouchers, et qui força les femmes à y faire queue pendant une partie de la nuit. C'est parmi ces malheureuses femmes, soumises aux obus, au froid et à la pluie, que la mort frappa ses plus nombreuses victimes ; et cependant la volonté de résister était si générale et si forte, qu'on n'entendit jamais une plainte dans ces foules. Le 11 janvier, M. Jules Ferry, ayant trouvé mauvais que la vente du pain fût libre, ordonna que les boulangeries seraient fermées à neuf heures du matin : il fallut encore faire queue à la porte des boulangers pour avoir son pain. M. Jules Ferry eut aussi l'idée de réglementer la vente des pommes de terre ; il les réquisitionna, les entassa dans les caves des Halles, où elles pourrirent complètement.

Le bois et le charbon manquèrent aussi. Malgré es souffrances, malgré les maladies[12], la population ne se décourageait pas. Les pauvres, qui touchaient de la ville 2 francs 25, et qui se nourrissaient aux cantines municipales et aux fourneaux économiques de l'Assistance publique[13], avaient, comme les riches, de quoi manger ; mais la population moyenne, les petites gens, les employés renvoyés par leurs patrons, les réfugiés de la banlieue, etc., étaient dépourvus de ressources et cruellement atteints. La charité faisait des merveilles et soulageait le plus de victimes qu'elle pouvait. On ne saurait trop louer les femmes qui se sont consacrées à soigner les blessés et les malades, et le courageux dévouement des Frères de la Doctrine chrétienne devenus brancardiers. Que n'aurait pas fait Paris avec un gouvernement plus intelligent et plus énergique, qui aurait comprimé par un joug de fer les mauvaises passions, qui aurait donné aux forces vives de la défense le nerf qui leur a manqué, et qui aurait su développer et utiliser la totalité des ressources que lui offrait la grande ville ?

Le crédit public se maintint avec une grande fermeté ; il n'y a pas eu, dans cette crise formidable, de désastres financiers comme en 1848 ; le 29 décembre, le trois pour cent valait encore 52 francs ; les obligations de chemins de fer étaient cotées à la  Bourse de 290 à 304 francs. Le capital subordonna son intérêt à son patriotisme. Le 15 octobre, 90 millions du dernier emprunt furent versés par anticipation, et le 9 janvier les banquiers de Paris offrirent à l'Etat 400 millions. On se plaît à constater que tous les honnêtes gens faisaient leur devoir.

Malgré le blocus étroit, Paris resta en relations avec la province, d'abord par un câble télégraphique posé dans la Seine et par un fil placé sous la voie du chemin de fer de Paris à Lyon, à un mètre de profondeur. On signala, dit-on, aux Prussiens le câble de la Seine, qui fut coupé par l'ennemi, le 27 septembre, à l'écluse de Bougival. Un autre traître révéla, un peu plus tard, aux Prussiens l'existence du fil du chemin de fer de Lyon[14]. Quand l'ennemi eut détruit nos communications télégraphiques, Paris fut réduit à envoyer des ballons à Tours et à Bordeaux ; il recevait les nouvelles par les pigeons que les ballons avaient emmenés de Paris, et qui y revenaient portant les dépêches photo-microscopiques. Soixante-quatre ballons sont partis de Paris pendant le siège[15], emportant 155 personnes, 363 pigeons voyageurs[16] et 3 millions de lettres ; les pigeons ont rapporté à Paris 2 millions et demi de dépêches.

L'armée, loin de devenir meilleure, avait perdu de sa solidité ; à l'exception de - quelques anciens régiments (le 35e, le 42e) et de quelques corps d'élite, elle n'avait pas l'énergie et la discipline nécessaires, et elle manquait de confiance dans ses chefs. On entendit plus d'une fois la troupe crier : Vive la paix !

Le bombardement allait encore augmenter les souffrances et les dangers de la population. Les Prussiens eurent d'énormes difficultés à vaincre pour amener à Paris les 275 pièces de grosse artillerie (canons de 24 et de 12, mortiers et canons à bombes) et les 150.000 projectiles qui formaient leur approvisionnement. Mais la résistance de la France tenait à la résistance de Paris, et il fallait la faire cesser. Le bombardement eut pour but de produire un dernier effet moral sur les défenseurs et la population de Paris, et non pas, disent eux-mêmes les Prussiens, de commencer les opérations d'un siège régulier, qu'ils étaient hors d'état d'entreprendre. Le bombardement fut une cruauté inutile et ne produisit aucun résultat. Cette attaque d'artillerie, comme dit le major Blume, fut un échec complet pour l'assiégeant.

Les Prussiens commencèrent à bombarder le plateau d'Avron, le 21 ; on l'évacua le 29[17]. Le 30, les forts de l'est furent bombardés à leur tour ; le 5 janvier, les batteries ennemies lancèrent leurs obus sur les forts du sud et sur Paris, dont toute la partie méridionale fut atteinte[18]. Les forts du sud[19] furent criblés d'obus par 132 pièces de gros calibre ; mais les dégâts furent en réalité si peu graves, qu'il fallut plus tard un mois à l'armée de Versailles pour réduire le fort d'Issy, le plus maltraité de tous.

On a dit que le roi de Prusse était opposé au bombardement et qu'il avait dû céder aux demandes de ses généraux, qui croyaient que ce procédé odieux ferait fléchir la résistance opiniâtre de Paris. Il est certain que tous ont été entraînés par les exigences de la presse de Berlin et par les clameurs du parti gallophage, composé de ces philosophes et de ces professeurs que nous avions proclamés les plus intelligents des hommes, et dont on s'était fait trop longtemps les admirateurs, les traducteurs ou les plagiaires, en répudiant les traditions de l'érudition et de la philosophie françaises.

Il faut encore interrompre le récit du blocus de Paris pour parler de l'incident de la mer Noire et de la conférence de Londres, à laquelle notre ministre des Affaires étrangères était invité à venir représenter la France.

Le 31 octobre, le prince Gortschakoff, chancelier de l'empire russe, adressait aux divers agents diplomatiques de la Russie accrédités auprès des cabinets européens une circulaire annonçant que le gouvernement du Czar déclarait caduques et ayant cessé d'exister les stipulations du 30 mars 1856, qui, après la guerre de Crimée, avaient limité les forces navales -de la Russie et restreint ses droits de souveraineté dans la mer Noire. Le Czar entendait reprendre sa liberté d'action et ordonnait à ses ambassadeurs de prévenir les cabinets étrangers de sa décision. La Russie profitait de son alliance avec la Prusse, des défaites de la France et de l'isolement de l'Angleterre pour déchirer les traités de 1856, par cette seule raison qu'ils la gênaient et qu'elle était en position de le faire.

L'Angleterre, profondément irritée, mais hors d'état de faire la guerre sans l'appui de la France, fut obligée de supporter l'insulte. Lord Granville en fut réduit à dire que la Russie n'avait pas le droit de se délier seule des engagements qu'elle avait contractés, et que ce droit n'appartenait qu'aux divers gouvernements signataires du traité de 1856.

C'était dire assez piteusement qu'on céderait, si une conférence se réunissait pour résoudre la question d'une façon à peu près décente. La conférence fut aussitôt proposée par la Prusse, acceptée par les puissances et s'ouvrit à Londres en janvier 1871. Elle reconnut purement et simplement les prétentions de la Russie et les sanctionna. L'Angleterre, bien que n'ayant pas reconnu officiellement le gouvernement du 4 Septembre, avait insisté pour que la France fût représentée à la conférence ; mais au lieu d'envoyer de Bordeaux un négociateur, M. Gambetta fit décider que ce serait M. Jules Favre qui irait à Londres.

M. J. Favre demanda donc, le 13 décembre, un sauf-conduit à M. de Bismarck pour traverser les lignes prussiennes. M. de Bismarck fit attendre un mois sa réponse[20] et refusa le sauf-conduit sous divers prétextes, disant entre autres choses que le gouvernement de la Défense nationale n'était pas reconnu par la France, et qu'en conséquence le représentant de la Prusse pourrait être embarrassé de décider si les déclarations de M. J. Favre seraient revêtues de l'autorité de déclarations officielles de la France. En réalité, M. de Bismarck se donnait la satisfaction d'empêcher la France d'être représentée pour la première fois dans une réunion des grandes puissances de l'Europe. M. de Bismarck terminait brutalement sa lettre en disant à M. Jules Favre : Je ne puis m'empêcher de vous demander s'il serait utile que Votre Excellence quitte Paris et son poste de membre du gouvernement actuel dans cette ville pour prendre une part personnelle[21] aux travaux de la conférence sur la mer Noire, dans un moment où il s'agit à Paris même d'intérêts bien plus importants pour nos deux pays que l'article 2 des stipulations de 1856.

En effet, il allait bientôt s'agir de la destinée de la France, et malheureusement c'était M. J. Favre qui allait être chargé de ses intérêts.

Pendant ce temps, un événement non moins grave pour l'Europe s'accomplissait à Versailles. L'empire d'Allemagne y était proclamé le 18 janvier 1871[22], dans le château même de Louis XIV, dont les Allemands prenaient plaisir à humilier la mémoire. Le roi de Prusse accepta solennellement la couronne de l'empire d'Allemagne, que lui apportaient les députés du parlement allemand.

Les Etats du sud de l'Allemagne[23] étaient restés après Sadowa en dehors de la confédération de l'Allemagne du Nord, tout en contractant avec le roi Guillaume des traités qui mettaient, en cas de guerre, leurs armées aux ordres de la Prusse. Dès la fin de novembre 1870, ces Etats avaient signé, à Versailles, de nouveaux traités par lesquels ils entraient dans la Confédération et complétaient ainsi l'unité de l'Allemagne. Le parlement de la Confédération, composé dès lors de tous les Etats allemands, décréta le rétablissement de l'empire d'Allemagne, détruit en 1806, après la bataille d'Austerlitz et le traité de Presbourg, et envoya des députés à Versailles offrir la couronne au roi de Prusse.

En présence d'une cour nombreuse, réunie dans la galerie des glaces et composée des princes de la famille royale, des principaux princes de la Confédération et d'un nombreux état-major, le roi de Prusse déclara qu'il acceptait la dignité impériale allemande en la rattachant à la couronne de Prusse[24] ; puis il fit lire par le chancelier de l'empire, M. de Bismarck, une proclamation adressée au peuple allemand dans laquelle on remarque surtout ce passage : Nous acceptons la dignité impériale dans l'espoir qu'il sera permis au peuple allemand de jouir de la récompense de ses luttes ardentes et héroïques dans une paix durable et protégée par des frontières capables d'assurer à la patrie des garanties contre de nouvelles attaques de la France, et dont elle a été privée depuis des siècles. Après cette menace, venaient les phrases de rigueur sur les bienfaits de la paix, de la liberté et de la morale[25].

Mais il faut reprendre l'histoire de la guerre sous Paris.

Après l'échec du 21 décembre, le général Trochu commença à être sérieusement discuté au sein même du gouvernement. M. J. Favre aurait voulu sagement qu'on informât le public de la situation militaire et que l'on détruisît les illusions qui devenaient dangereuses ; il aurait désiré aussi un changement dans les opérations militaires et qu'on abandonnât le système d'inaction et de chicane ; il alla jusqu'à demander la révocation du général Trochu[26]. M. Ernest Picard déclarait aussi que le général n'était pas l'homme de la situation ; qu'il avait eu trois mois de dictature militaire, qu'il n'avait rien fait et qu'il fallait la lui retirer. De son côté, M. Gambetta se plaignait, dans ses dépêches, de l'inaction du général Trochu et demandait que Paris fît une grande sortie. Sortez, sortez, disait-il, si vous ne voulez pas laisser périr la France : car, je ne saurais me lasser de le redire, vous n'avez autour de vous qu'un simple cercle de feu, derrière lequel nos audacieux et habiles ennemis dérobent tous leurs mouvements. La province fait d'ailleurs écho au cri unanime de Paris et se demande à son tour pourquoi cette persistante inaction.

Ainsi pressé, le général Trochu se défendit. Il prétendit que, sauf le corps du général Vinoy, l'armée était mauvaise, fatiguée, épuisée de froid et de misère ; qu'elle était réduite à 10.000 hommes et qu'elle avait perdu presque tous ses officiers ; que la mobile était à refaire ; qu'il fallait aux troupes du repos et des vêtements chauds ; qu'on ne percerait pas les lignes prussiennes ; que l'ennemi ne tiendrait pas devant Paris plus d'un mois, et qu'avant tout il voulait éviter un désastre. Le général Le Flô répondit[27] qu'il n'était pas possible cependant que 300.000 hommes, avec 300 pièces attelées, missent bas les armes sans combattre. Le général Trochu insista sur la nécessité de durer et d'éviter un désastre tant qu'agissaient les armées de province. Les discussions continuèrent, les uns voulant combattre, les autres seulement durer, tous convenant que l'armée était mauvaise et que la garde nationale ne devait pas inspirer une confiance absolue ; le général Clément Thomas disait même qu'il y avait beaucoup d'étalage dans son enthousiasme. Une partie des raisons que le général Trochu invoquait pour ne pas combattre était fondée ; mais que d'exagérations renfermaient ses réponses ! et quelle faute avait-il commise d'épuiser ainsi l'armée dans une guerre de chicane sans résultat ! Si l'on admet la vérité complète du tableau présenté par le général Trochu, on sera d'autant plus fondé à lui reprocher d'avoir refusé de faire la paix avec les Prussiens quelques jours auparavant : car durer pour se rendre un jour à discrétion, et livrer la France écrasée et sans aucun moyen de discuter les conditions de la paix imposée par le vainqueur, c'est une bien grande faute.

Malgré tout, le système ne fut pas changé. On fit deux petites sorties : le 12 janvier, contre Clamart et Châtillon ; le 16, contre le Bourget. Enfin tout le monde, jusqu'à l'Institut, voulant combattre, le général Trochu se décida à livrer bataille. Il proposa de marcher sur Châtillon et d'enlever d'assaut la position. Il n'y avait pas autre chose à tenter, et le général Trochu avait bien choisi le point d'attaque. Mais, en présence des dangers qu'offrait cette opération difficile, surtout pendant la retraite, si l'on venait à échouer, le général Trochu fut seul de son avis, et le conseil de guerre décida qu'on attaquerait les Prussiens du côté de Saint-Cloud. Le 19 janvier fut le jour fixé pour faire cette dernière tentative de rompre le blocus, et surtout pour donner une suprême satisfaction à la population parisienne, qui voulait absolument se battre avant de capituler.

On allait essayer avec 100.000 hommes de forcer la ligne d'investissement entre Saint-Cloud et Bougival, et, si l'on réussissait, on se jetterait sur Versailles. Mais la situation était changée depuis le combat du 21 octobre ; et les Prussiens, après la panique que le combat de la Malmaison leur avait causée, avaient couvert de batteries et de défenses cette partie si importante de leurs lignes. Le déploiement de nos colonnes d'attaque se fit avec lenteur et sans ensemble ; la plus grande partie de nos forces et presque toute notre artillerie ne furent pas engagées. La droite, aux ordres du général Ducrot, était chargée d'enlever le château de Buzenval et le parc de Longboyau ; elle n'entra en ligne que trois heures après le centre et la gauche, et échoua dans son attaque. Le centre, commandé par le général de Bellemare, fut lancé contre Garches et le plateau de la Bergerie ; la gauche sous les ordres du général Vinoy, dut attaquer les-hauteurs de Montretout. Bellemare et Vinoy culbutèrent l'ennemi et s'emparèrent des positions qu'ils avaient l'ordre d'enlever ; mais ils furent obligés de s'arrêter et d'attendre le général Ducrot, pour ne pas être débordés sur leur droite. Les Prussiens profitèrent de ce temps d'arrêt, réunirent leurs réserves à Garches, où un violent combat s'engagea, et firent venir des renforts ; nous eûmes bientôt 30.000 hommes à combattre, et le soir 50.000. Il fallut battre en retraite avec une perte d'environ 4000 hommes, dont 500 gardes nationaux.

La garde nationale s'était généralement bien conduite au feu ; elle avait eu, suivant l'expression du général Trochu, une attitude à la fois énergique et étonnée. Quelques bataillons avaient cependant gagné au pied pendant l'affaire. On eut le tort d'exagérer la valeur de la milice citoyenne et de laisser croire à la population parisienne que ses bataillons étaient assez solides pour venir à bout des Prussiens retranchés et qu'ils valaient de bonnes troupes. C'est cette erreur, acceptée par tout le monde, qui a fait croire à la trahison et qui a troublé tant d'esprits.

Cette nouvelle retraite indigna Paris, qui ne se rendait pas compte de la cause de nos échecs. Les positions que nous avions attaquées de vive force étaient du nombre de celles qu'il aurait fallu, en vraies citadelles qu'elles étaient, attaquer avec la pioche et la pelle, pour les aborder ensuite et les enlever à coup sûr.

Toutefois, on avait combattu. Le système était mauvais, le général insuffisant, les efforts mal dirigés, l'ordre et la discipline manquaient ; mais on se battait, et la reddition de Metz sans combat, heureusement pour notre renom militaire, devait être le seul fait de ce genre pendant cette guerre, comme il est l'unique dans notre histoire.

La perte de la bataille de Buzenval souleva la population de Paris et le gouvernement contre le général Trochu ; il y eut une explosion de mécontentement telle, qu'il donna sa démission de commandant en chef de l'armée. Le gouvernement de la Défense décida que le commandement en chef de l'armée de Paris serait désormais séparé de la présidence du gouvernement, et que le titre et les fonctions de gouverneur de Paris seraient supprimés. Le général Trochu resta président du gouvernement, et le général Vinoy le remplaça à la tête de l'armée.

Les Rouges profitèrent encore de nos malheurs pour essayer de s'emparer du pouvoir et établir la Commune. L'insurrection avait été annoncée par les Prussiens, et elle éclata le 22, comme ils l'avaient dit. Les factieux attaquèrent l'Hôtel de Ville ; mais le général Vinoy comprima immédiatement la révolte, et le lendemain il fit fermer les clubs, et supprima les journaux les plus séditieux.

Enfin, la famine força le gouvernement de Paris à capituler. D'ailleurs, nos armées de province étaient battues, et Paris n'avait plus d'espoir d'être secouru. La France allait se rendre à merci et subir sans discussion la loi du vainqueur. Ainsi qu'il le disait avec emphase, M. Jules Favre allait partir, comme Eustache de Saint-Pierre, pour capituler à discrétion. M. Jules Favre vint à Versailles, le 23 janvier, commencer avec M. de Bismarck les négociations qui allaient amener l'armistice du 28 janvier 1871.

M. Jules Favre fut assisté, le 27, par le général de Beaufort-d'Hautpoul pour la discussion des questions militaires. Le général s'acquitta de sa mission avec fermeté et fierté ; ce que voyant, M. de Moltke remit au lendemain ce qui était relatif à l'armée de l'Est, faute de renseignements, disait-il. Le lendemain, le général de Beaufort ne voulut pas revenir à Versailles, parce qu'il ne consentait pas à signer la capitulation et à terminer sa vie militaire par un acte de cette sorte, et que ce devoir incombait au général de Valdan, chef d'état-major du général Vinoy, qui commandait alors l'armée de Paris.

Le lendemain 28, quand le général de Valdan vint à Versailles, la question de l'Est et celle du désarmement étaient résolues : M. Jules Favre avait décidé à lui seul de ces graves questions et était tombé dans tous les pièges que la perfidie prussienne avait tendus à son ignorance présomptueuse. M. J. Favre, croyant Bourbaki vainqueur, avait excepté l'armée de l'Est, tandis que les Prussiens la sachant battue voulaient l'achever à l'aide de cette inexplicable exception. Certes M. J. Favre est coupable de légèreté, d'ignorance et de présomption ; mais que dire du général Trochu, président du gouvernement, qui confie à M. J. Favre une mission qu'il était incapable de remplir ? et pourquoi le général Trochu n'est-il pas intervenu personnellement dans ces graves négociations ? La commission d'enquête l'a blâmé, et avec raison, de cette abstention.

La durée de l'armistice était de vingt et un jours. Il commençait à Paris le 28, mais il ne devait commencer en province que dans un délai de trois jours. M. Jules Favre oublia de le dire dans la dépêche qu'il adressa à la Délégation de Bordeaux.

L'armistice s'étendait à toute la France, excepté à l'armée de l'Est et à Bel fort, qui continuait à se défendre vaillamment. Cette exception fut demandée par M. Jules Favre, qui oublia encore de la faire connaître à la Délégation. Cet oubli impardonnable eut pour conséquence, ainsi qu'on le verra plus loin, d'achever la perte de notre armée de l'Est, et la força de se réfugier en Suisse.

On devait procéder à l'élection d'une assemblée nationale, qui se réunirait à Bordeaux pour décider si la guerre serait continuée ou à quelles conditions la paix serait faite. — Les forts de Paris, à l'exception du fort de Vincennes, devaient être remis aux Allemands et l'enceinte de la ville désarmée, mais les Prussiens n'entreraient pas dans Paris. — L'armée[28], déclarée prisonnière de guerre, devait être désarmée, mais elle resterait dans Paris. Je ne vous fais pas une grande concession, disait M. de Bismarck, car nous avons déjà beaucoup de prisonniers. MM. de Bismarck et de Moltke voulaient que l'armée prisonnière fût campée à Saint-Maur et à Gennevilliers ; M. Jules Favre s'y opposa, ne voulant pas, disait-il, infliger à Paris le triste spectacle d'une armée prisonnière sous ses murs[29]. Ce fut en vain que les négociateurs prussiens lui signalèrent le danger qu'il y avait à laisser les soldats désarmés errer dans les rues de Paris, au milieu d'une population troublée par le siège ou démoralisée par les doctrines révolutionnaires, et l'engagèrent à ne pas prendre légèrement une résolution si grave. M. Jules Favre refusa ; il aima mieux achever de désorganiser l'armée, tout en sachant qu'il aurait bientôt besoin d'elle, car il prévoyait la lutte avec les sectaires ; il le disait aux Prussiens et ajoutait qu'il voulait faire sans eux cette liquidation sanglante.

M. Jules Favre a dit dans son livre (p. 363) qu'on ne lui avait jamais offert de laisser à l'armée ses armes, s'il désarmait la garde nationale. Cependant on lit, dans le procès-verbal de la séance du conseil à l'Hôtel de Ville, le 27 janvier[30], les lignes suivantes, qui démentent de la façon la plus complète l'affirmation précédente : M. Jules Favre dit que M. de Moltke consentait à laisser les armes à l'armée, si toute la garde nationale était désarmée. M. de Bismarck engageait M. Jules Favre à désarmer la garde nationale tout entière ; M. J. Favre refusa et obtint qu'elle conserverait ses armes. Quand il rendit compte au conseil[31] de cette partie de la négociation, le général Trochu, bien avisé cette fois, regretta vivement qu'on n'eût point exigé que la garde nationale fût dissoute et réorganisée de manière à en éliminer tous les éléments perturbateurs, et ajouta qu'il n'y avait pas de gouvernement possible avec cette garde nationale. Le conseil protesta contre les sages paroles du général Trochu. C'est ainsi que les procès-verbaux du gouvernement de la Défense nous montrent sans cesse le bon sens honni et repoussé, d'où qu'il vienne. Le désarmement de la garde nationale n'était pas chose facile : il fallait s'attendre à une lutte contre les Rouges ; et, pour soutenir cette lutte, le gouvernement ne pouvait compter ni sur l'armée ni sur la bonne garde nationale, parce que celle-ci était exaspérée de la capitulation, parce qu'elle était convaincue qu'elle avait été trahie et qu'elle aurait battu les Prussiens si on l'avait laissé faire Restaient, pour désarmer la garde nationale, les Prussiens ; mais ils n'avaient aucune envie d'entrer dans Paris, de se donner les charges et les périls de l'occupation d'une ville si agitée, et d'opérer le désarmement de la population. Aussi M. de Bismarck proposait-il pour résoudre la question de ne donner du pain à la garde nationale que contre la remise d'une arme brisée ou entière. Enfin l'on décida que la garde nationale conserverait ses armes, et qu'elle serait chargée de la garde de la ville et du maintien de l'ordre avec une division de l'armée, forte de 12.000 hommes, et avec la gendarmerie. La France allait bientôt subir les conséquences fatales de la coupable faiblesse des hommes du 4 Septembre, qui avaient laissé s'organiser depuis cinq mois une force révolutionnaire dont ils n'étaient pas les maîtres, et qui attendait la fin de la guerre pour s'emparer du pouvoir et établir la Commune. — Paris devait payer une contribution de guerre de 200 millions de francs[32] et devait être immédiatement ravitaillé. — Enfin, pour couronner son œuvre d'ineptie, M. Jules Favre, qui ne savait que très-imparfaitement ce qui se passait dans nos armées de province, laissa M. de Moltke décider à son gré les questions militaires, tracer les lignes de démarcation entre les armées belligérantes, et s'emparer ainsi sans combat de plusieurs départements occupés par nos troupes, qui y tenaient les Prussiens en échec.

On avait attendu trop tard pour capituler, c'est-à-dire pour faire la paix : car la capitulation de Paris n'était pas une simple reddition de place forte. Arrivé au moment de manquer de pain et de faire mourir de faim deux millions d'hommes, M. Jules Favre était obligé de se hâter, de tout concéder ; il n'avait pas le temps de s'informer au dehors et de prendre des renseignements ; il lui fallait subir sans examen les conditions que dictait le vainqueur, parce qu'il lui fallait du pain pour nourrir Paris. Enfin, par oubli ou par ignorance, M. Jules Favre laissa les Prussiens continuer leurs exactions et leurs violences, et ne fit rien pour les empêcher de continuer à lever des impôts et à frapper de réquisitions les départements envahis.

M. Jules Favre avait caché la vérité à M. de Bismarck à l'endroit des approvisionnements de Paris[33]. Quand le chancelier allemand sut la vérité, le 29, il en fut vivement impressionné : car tout le monde pensait qu'il faudrait bien quinze jours pour ravitailler Paris et éviter la famine. M. de Bismarck mit à la disposition du gouvernement, des vivres qui servirent à l'alimentation de la ville pendant un jour et demi, et il permit que les vivres entrassent dans Paris avant la remise des forts et le désarmement de l'enceinte et de l'armée, ce qui était prescrit par l'armistice. Les compagnies de chemins de fer déployèrent un zèle admirable à rétablir les voies et à reprendre leur service. Le télégraphe demanda des vivres à Londres, à Anvers, à Dieppe. Bref, on eut un tel succès que le 4 février, trois convois de vivres, de farine et de charbon arrivèrent de Londres et de Lille à la gare du Nord[34]. Paris n'avait plus à craindre la famine, mais il était temps de signer l'armistice, et il est vrai de dire que Paris s'est défendu jusqu'à sa dernière bouchée de pain.

Enfin, pour terminer ce qui est relatif au ravitaillement, nous nous plaisons à dire ici que, le 29 janvier 1871, M. de Rothschild, de Londres, mit sa fortune entière à la disposition de Paris pour le ravitaillement de la ville[35].

Le 29, Saint-Denis et les forts furent occupés par les Prussiens, auxquels on remit 602 canons de campagne et 1.302 pièces de siège.

En résumé, cette capitulation était assez honorable pour Paris[36] ; les conditions en étaient inespérées, et, si l'on n'avait pas eu affaire à l'ignoble canaille parisienne, la conservation des armes à la garde nationale n'aurait eu aucun mauvais résultat. Il faut donc insister tout spécialement sur l'infamie des révolutionnaires, qui vont abuser aussitôt des clauses de cette capitulation, et qui vont tourner contre la France les armes que M. de Bismarck voulait leur enlever et que M. Jules Favre leur a conservées.

Quoi qu'il en soit, la résistance de Paris pendant 132 jours, résistance à laquelle personne ne s'attendait, et qui fait tant d'honneur à Paris, occupa une grande partie des forces allemandes[37] et permit à la Délégation de Tours de lever plusieurs armées et de tenter la délivrance de la capitale.

 

FIN DU TOME PREMIER

 

 

 



[1] L'Hôtel de Ville avait été occupé par les insurgés vers une heure.

[2] Avec les 17e et 106e bataillons.

[3] Qui s'en alla dîner. (Déposition du général Ducrot devant la commission d'enquête, p. 89.)

[4] M. Roger (du Nord) venait d'être nommé commandant de la garde nationale par le général Trochu, quand M. J. Ferry arriva auprès du gouverneur et le décida à partager le commandement de la garde nationale entre M. Roger (du Nord) et lui, J. Ferry.

[5] M. J. Ferry fit mettre en liberté 280 prisonniers et les renvoya avec leurs armes. (Déposition du général Ducrot, p. 92.)

[6] Voir le rapport de M. Chaper.

[7] Le 3e corps devait tourner Villiers et Cœuilly, et appuyer l'attaque du 2e corps ; il arriva trop tard, et ce retard est une des principales causes de notre échec. (Déposition du général Ducrot, p. 96.)

[8] Le 135e de marche, trois bataillons de mobiles de la Seine et deux compagnies de marins-fusiliers.

[9] L'ennemi avait, comme toujours, été prévenu de cette attaque : ses espions, les déserteurs, la fermeture des portes de Paris deux jours à l'avance, les reconnaissances faites par un très-nombreux état-major, indiquaient aux Prussiens que quelque chose se préparait. L'assiégé, dit le major Blume, mettait fort peu d'adresse à dissimuler ses projets. Qu'on nous permette de citer à ce sujet un détail fort curieux : longtemps avant le commencement de chaque opération offensive, on hissait sur le Mont-Valérien un pavillon-signal, dont le sens était bien connu de nos avant-postes ; naturellement, ceux-ci prenaient aussitôt toutes leurs dispositions pour être prêts au combat. (Page 255 de la traduction française.)

[10] Le général Trochu était absolument opposé à l'idée d'employer la garde nationale comme troupe de guerre.

[11] L'armée avait ses vivres à elle, et la ration de pain fut toujours de 750 grammes, sans compter le biscuit.

[12] Angine, bronchite, fluxion de poitrine, petite vérole, fièvre typhoïde, diarrhée, dysenterie. Dans les dernières semaines du blocus, la mortalité fut effrayante et s'éleva à 4 et 5.000 décès par semaine ; les femmes et les enfants surtout moururent en grand nombre. — Il est mort à Paris, du 17 septembre 1870 au 28 janvier 1871, 65.294 personnes, dont 13.000 tuées par l'ennemi ou mortes de leurs blessures.

[13] On pouvait y faire deux repas par jour pour 40 ou 50 centimes.

[14] A ces traîtres on peut opposer le brave jardinier de Bougival, Debergue, qui coupa à plus d'une reprise les fils télégraphiques de l'ennemi, et fut condamné à mort. On lui offrit sa grâce s'il voulait prendre l'engagement de ne plus recommencer ; Debergue refusa et fut fusillé.

[15] Cinq furent pris par les Prussiens et deux se perdirent en mer.

[16] Dont 57 seulement revinrent à Paris.

[17] On ne comprend pas que le général Trochu n'ait pas blindé les batteries du plateau d'Avron, afin de s'assurer la conservation d'une position aussi importante.

[18] On lançait sur Paris 2 ou 300 obus par jour, nombre que l'ennemi crut suffisant pour abattre l'esprit de résistance et amener le moment psychologique. Ce fut le contraire qui arriva : le bombardement excita tout le monde à résister jusqu'au bout.

[19] Le fort de Montrouge fut vigoureusement bombardé pendant 25 jours et reçut plus de 18.000 obus. La résistance du capitaine de vaisseau, M. Amet, fut très-énergique ; on réparait la nuit les parties du rempart démolies pendant le jour. Le souvenir de cette belle défense doit être conservé.

[20] Elle est du 16 janvier 1871.

[21] Encore une leçon ! En effet, M. J. Favre aurait pu et dû déléguer quelqu'un pour le représenter à Londres ; et, en faisant partir de Bordeaux ce représentant, on n'avait pas besoin du bon plaisir de M. de Bismarck.

[22] Le 18 janvier est l'anniversaire du couronnement du premier roi de Prusse, Frédéric Ier, en 1701.

[23] Bade, Wurtemberg, Bavière et Hesse.

[24] Avant 1806, la dignité impériale appartenait à la maison d'Autriche.

[25] Voir à la fin de l'ouvrage, sur la constitution actuelle de l'empire d'Allemagne, l'appendice n° 3.

[26] Rapport de M. Chaper, séance du 25 décembre.

[27] Le 26 décembre.

[28] L'armée comptait alors 131.000 hommes de ligne, 105.000 mobiles, 14.000 marins, 32.000 blessés et 8.000 malades.

[29] Le général de Beaufort nous donne une meilleure raison de ce refus. On ne pouvait, à cause du froid, faire camper nos soldats dans les presqu'îles de Gennevilliers et de Saint- Maur ; quant à les baraquer, il n'y fallait pas songer. (Déposition du général de Beaufort devant la commission d'enquête.)

[30] Rapport de M. Chaper.

[31] Rapport de M. Chaper.

[32] M. de Bismarck avait d'abord demandé un milliard.

[33] Le 25 janvier, il n'y avait plus de pain que pour dix jours, et il restait seulement 19.000 chevaux à abattre. En distribuant 30 grammes de viande par jour, on consommait 650 chevaux journellement ; mais il aurait fallu en tuer 3.000 par jour, si le pain avait fait défaut. Ce n'est que le 4 février qu'il entra de la farine à Paris, juste le jour où elle allait manquer.

[34] Paris fut ravitaillé par les chemins de fer et aussi par la batellerie, grâce à l'admirable réseau de voies navigables qui lient la Seine à tous les bassins voisins, et au bon système de voies navigables qui convergent à Paris.

[35] Rapport de M. Chaper.

[36] Mais M. Jules Favre sacrifia tout à Paris. M. Gambetta, dans ses reproches au gouvernement de Paris, ne fut ce jour-là ni injuste ni téméraire. Il avait raison de se plaindre à la face de la France et d'écrire : On a signé à notre insu, sans nous avertir, sans nous consulter, un armistice dont nous n'avons connu que tardivement la légèreté... La Délégation avait encore raison de dire : Quand la vérité se fit et que le texte fatal fut communiqué, il était trop tard. (Rapport de M. de Rainneville.)

[37] A la fin du siège, les corps allemands enveloppant Paris étaient : les 4e, 5e, 6e, 11e corps prussiens, une division du 2e corps (la 4e), la garde, le 12e corps (Saxons), le 1er corps bavarois, la division wurtembergeoise et quelques régiments de landwehr.