DEUX JURÉS DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE

DEUXIÈME PARTIE. — LE CITOYEN TRINCHARD « HOMME DE LA NATURE »

 

CHAPITRE III.

 

 

Trinchard juré au procès de Danton. — Lettre de félicitations de Ploton à Trinchard. — Réponse de Trinchard. —Projets d'avenir. — Trinchard juré au procès Chaumette, Gobel, Dillon, etc. — Réquisitoire de Naulin. — Lettre de Montpellier. — Trinchard membre et président de la commission populaire du muséum. — Distractions qu'il procure à son « épouge ». — Il est maintenu au jury par la loi du 20 prairial.

 

Aristophane a vu dans les jurés citoyens d'Athènes des magistrats volontaires et bien rétribués par le triobole qui dormaient, « collés comme des huîtres au pied de la colonne ».

Trinchard ne dormait pas. Personnage important et redoutable, il ne connaissait que la Loi. La Loi ne lui laissait pas de repos. Et, comme elle changeait souvent, sous le régime de la Terreur, Trinchard, lorsqu'il était du jury, se voyait obligé de déclarer coupables et conspirateurs des hommes que, la veille, il estimait de purs patriotes. Alors, il ne connaissait plus personne. C'est ce qui arriva au procès de Danton et des dantonistes.

Il était, ce jour-là, du jury — bien trié avant l'audience'. Le choix de Fouquier-Tinville et de Lescot-Fleuriot, chargés de soutenir l'accusation, s'était porté- sur lui, sur Lumière, Renaudin, Desboisseaux, Leroi surnommé Dix-Août, Souberbielle, l'officier de santé qui avait soigné Marie-Antoinette à la Conciergerie et qui l'avait, ensuite, comme juré, condamnée à mort. On avait pensé à Vilate ; mais ses relations avec Danton et Camille Desmoulins étaient connues : il avait été éliminé.

Trinchard ne dut pas comprendre grand'chose au coup d'état judiciaire que fut le procès de Danton.

Sa conscience de juré ne se sentit ébranlée ni par les protestations de Danton et de Chabot, qui réclamaient des témoins, ni par l'interruption du président Herman, coupant la parole à Danton et lui disant : « Tu es fatigué, cède la parole à un autre », ni par la voix tonnante de l'accusé, cette voix formidable qui dépassait l'enceinte de la salle d'audience et s'entendait des quais, dans la foule anxieuse et houleuse, ni par le décret de circonstance rendu à la Convention, annoncé au Tribunal à quatre heures de l'après-midi et qui était, purement et simplement, la mise hors des débats des accusés, ni par le résumé que l'honnête Naulin fit en leur faveur.

Trinchard et les autres se déclarèrent suffisamment instruits. Les accusés ne reparurent plus à l'audience ; ils furent enfermés chacun séparément dans la prison. Pendant que les jurés délibéraient, on entendit du bruit du côté de l'escalier qui conduisait à leur chambre. Pâris, le greffier, dit Eabricius, raconta plus tard, au procès de Fouquier-Tinville, qu'il s'était porté alors vers l'entrée du greffe. Il avait vu plusieurs jurés à la tête desquels était Trinchard s'agiter comme des « forcenés ». « La rage et la colère étaient peintes sur leurs visages. » Trinchard, s'approchant de Fabricius, d'un « air furieux » et faisant un geste du bras qui « annonçait la passion la plus outrée », disait : « Les scélérats vont périr[1]. »

Le citoyen Trinchard s'était bien pénétré des paroles de Saint-Just, à la Convention, peu auparavant : « La Révolution est dans le peuple et non point dans la renommée de quelques hommes... Il y a quelque chose de terrible dans l'amour sacré de la Patrie ; il est même tellement exclusif qu'il immole tout, sans pitié, sans frayeur, sans respect humain, à l'intérêt public... Danton ! tu as servi la tyrannie ! Danton ! tu t'accommodas à tout ! Tu fus le complice de Mirabeau, de d'Orléans, de Dumouriez, de Brissot ! Mauvais citoyen, tu as conspiré ! Faux ami, tu disais, il y a deux jours, du mal de Desmoulins, instrument que tu as perdu !... Les jours du crime sont passés ! Malheur à ceux qui soutiendraient ta cause !... »

Le 16 germinal (5 avril 1794), les quinze condamnés montèrent à l'échafaud.

Peut-être, après la terrible audience finale, Trinchard éprouva-t-il le besoin d'aller prendre l'air, par ce beau dimanche de printemps et de se promener, sa jolie épouse au bras, perdu dans la foule énorme, du côté de la place de la Révolution, au jour tombant. Peut-être vit-il, à l'heure crépusculaire, se dresser, sur un ciel aux nuages mauve et soufre, éclairé par le soleil mourant, la silhouette colossale du tribun dont le profil défiait la guillotine et dont « la tête prête à tomber, paraissait encore dicter des lois ».

Comme la province « retardait » sur Paris, ce n'est que le 16 germinal, le jour de l'exécution des Dantonistes que Ploton écrivit à Trinchard pour le féliciter de l'exécution des Hébertistes. A Paris, la marche des événements devenait si rapide qu'en dépit de tout son zèle, l'ami Ploton avait de la peine à les suivre. Les nouvelles, à son gré, étaient trop lentes à lui parvenir.

Montpellier, le 16 germinal, l'an 2 de la République française

« J'ai reçu mon cher ami, ta lettre du 4 germinal avec l'acte d'accusation contre les provocateurs d'insurrection. Je l'ai lu à la société populaire ; elle applaudit aux mesures sages que tous les vrais amis de la patrie ont pris pour arrêter le poignard qui devait nous plonger dans un deuil éternel. Et si les directeurs ou les agents particuliers de cette tramme infernale ont quelque regret de n'avoir pas eu tout le succès qu'ils s'étaient promis de leur longs travaux, ils peuvent en référer au père Duchêne qui ne manquera pas de leur donner pour conseil de rester tranquilles et de continuer leur commerce en fourneaux ; car lorsque la probité et la vertu ne gissent pas dans l'esprit de cet homme qui se dit à haute voix : « Je suis bon patriote », et que, d'autre part, il soient de conivance avec Pit et autres sellérats de son espèce, je dis, moi, que ce n'est pas un patriote mais un gibier de guillotine et qu'il faut bien -vitte bannir pour toujours de la terre de la liberté.

« Tu auras vu plusieurs de nos bons amis et notamment Michel et Franc qui étoient porteur de l'urne renfermant les cendres du brave Beauvais[2]. Je t'ai envoyé l'oraison civique de ce grand homme. Tu sais que la calomnie n'a pu l'atteindre.

« Demain, le tribunal criminel doient juger onze aristo de cette ville qui, cellon eux, nous ne pouvions pas nous soustraire à la famine qui nous menaçaient ; et eux, pour s'y soustraire, ils avaient fait fabriquer 20 quintaux de gallette que nous avons trouvée dans des caves ou dans la terre. Je me trouve juré dans cette affaire. Je te promets que la patrie et le peuple seront vangés. Je t'observent que partie de ladite gallete se trouve moissie ou pourrie. J'en frémis d'orreur. Fais en part à nos amis et dit leur que notre société est au grand pas. Hier, un séllérat qui a joué le rolle de patriote depuis la Révolution provoquaient l'avillissement des autorités constituées à cause qu'elles ont fait faire un versement général de tous les blés et farines dans un grenier commun. Ce séllérat ne crai-gnoient pas de dire que ce verssement n'étoient opéré que pour enrechir les magistrats, calomnie la plus atrosse qu'il soit possible d'immaginer. La société populaire a demandé, toute entièrre, la tête de ce second Hébert, J'espère qu'elle tombera avec celle des marchands de galette.

« Vive la République une et impérissable.

« PLOTON.

« Ne soit pas si Ion à me répondre. Ambrasse ta femme et tous nos amis. »

 

A cette lettre Trinchard répond le 24 germinal.

Au citoyen Ploton, au distric, à Montpellier.

« Tu n'est plus étonné, mon ami de l'ainsu-rection qui devait avoir lieu. Tu ne dois plus en douter et une nouvelle preuve de la conspiration [est] qu'il a été arrêté 25 miles poniards à Lile qui venoit à Paris et tu dois bien penser contre qui ils étais dirigés. Aujourdeui ont étés jugés et vont paier de leurs têtes 21 de ses conspirateurs. Ne doute pas de la confiense que nous avons mis dans nos reprégentens ; ils en sont dignes. Quant, à nous, soions tousjoour fermes aux postes qui nous sont confiés. S'est de la fermeté des vrais républicains que dépent l'afiermisement de la république. Jé remis les disquours que tu m'as envoié. Ils les ont resu avec bien de reconesense dans des aucagions critiques où l'on voudrait nous ainduirre en hereur. Continue de t'adresser à moi avec la même confiense et sois seur que la coresponde des patriotes vrais amis de la patrie déjouera tousjeour les infâmes complots des conspirateurs. Depuis que nous avons fait justice des traîtres nous sommes bien tranquilles ici ; abugiés par des hommes qui nous avoit trompé nous aprenons que le seul patriote est celui qui est animé par les sentimens de la nature et qu'il n'a rien en veue que l'amour et la prospérité de son peis. Hereux pour nous si nous avons un jeour le plegir de nous entretenir la même corespondense d'amitié, tranquilles au sein de nos famillies (sic) et de nos enfans jouiront du plegir de la liberté furit (fruit) de nos traveaux. L'idée est bien consolente. Est sest là la plus belle récompense que doivet atendre les vrais républiquains. Quant le régumé de toutes conspirations sera ainprimé, je vous le fairé paser. Mon épouge t'asure des mêmes sentimens d'amitié que moi.

« Tu asureras tous les amis qui sont digne de nos amitiés des mêmes sentimens. Amitiés aux républiquains être un devoir sacré. Salut et fraternité. Ton ami,

« TRINCHARD.

« A Paris, le 24 germinal 2e de la république une et indivigible[3]. »

 

Les traîtres auxquels il fait allusion dans cette lettre sont, non seulement Danton et les Dantonistes, mais encore toute une fournée assez disparate d'accusés qu'il avait, ce jour-là, expédiés à l'échafaud : Chaumette, le procureur de la Commune de Paris ; Gobel, l'évêque de Paris ; le général Dillon ; le député Simond ; le général Beysser ; le lieutenant de gendarmerie Lebrasse qui avait accompagné Louis XVI au supplice ; Grammont père, ancien acteur, officier de l'armée révolutionnaire qui avait insulté Marie-Antoinette pendant le trajet de la Conciergerie à l'échafaud ; la veuve d'Hébert, la veuve de Camille Desmoulins... En tout dix-neuf condamnés.

Trinchard avait entendu, ce jour-là, un long morceau d'éloquence où Naulin, substitut de l'accusateur public, avait mis tous ses soins : a La confiance dont m'ont honoré mes concitoyens me condamne à remuer le bourbier fangeux du crime, à parcourir et examiner avec l'attention la plus scrupuleuse la longue galerie des conspirateurs dont l'horloge patriotique a sonné l'agonie.

« Ce n'est point dans les angoisses de l'oppression qu'il faut se livrer à des discussions méthodiques et rhétoriciennes.

« L'ordre des révolutions, les événements qui en sont inséparables, ont confondu dans la même masse le patriote pur qui veut sincèrement le bien général et qui professe du cœur l'abnégation de lui-même, avec l'intrigant ou l'égoïste qui ne voient qu'eux seuls dans la marche des événements publics.

« Cette masse de vertus, de crimes et d'insouciance coupable bouillonne bientôt sur le brasier du patriotisme. Une portion immonde s'évapore d'elle-même par l'ébullition ; la raison et la vertu écument ce que l'évaporation n'a pu purger et, bientôt, un résidu pur et limpide présente un miroir consolant à ceux qui ont su se dire : « J'achèterai par tous les sacrifices, par toutes les privations, la liberté et l'égalité qui assureront le bonheur de la génération naissante, qui seule doit recueillir les sueurs et les travaux de celle actuelle. »

« Citoyens jurés, j'ai à partager avec vous une tâche pénible et rigoureuse. Mais ainsi que vous, je laisse l'homme à la porte de cette enceinte sacrée ; mon cœur, mon cœur seul, dévoré du brûlant amour de la liberté, essaye de faire retentir ces voûtes redoutables et c'est avec l'impassibilité du marbre que je vais retracer les preuves qu'ont, selon moi, fourni les débats.

« Né bon, confiant, généreux, le peuple français n'a pas même conçu de soupçons contre les loups et les vautours qui se sont, par instinct, rassemblés autour du cadavre du despotisme et qui, saturés de son sang immonde, ont bientôt voulu s'abreuver de celui de la liberté.

« Les lions avaient égorgé cet animal que l'on nommait roi et qui, trop longtemps, les avait traités comme de stupides moutons ; il répugnait à leur courage de se nourrir de cette proie infecte ; ils l'abandonnèrent aux animaux immondes et voraces ; mais les renards vinrent bientôt s'associer à la curée.

« Diverses factions se montrèrent, et dans toutes l'on trouva des renards. Les lions sommeillaient ; étrangers au crime, ils ne pouvaient même le soupçonner ; un léger frémissement de chaîne les réveille et, bientôt, Brissot et l'astucieuse Gironde ont cessé d'exister.

« Cet exemple terrible et sévère de la justice d'un peuple doux et bon n'effraye pas les lâches conspirateurs ; l'or de Pitt atténue leur crainte ; la fièvre ardente de l'ambition dérobe à leurs yeux l'échafaud qui les attend ; ils comptent sur les phalanges nombreuses des rois ; ils forment mille et un complots. Paris, Paris surtout, est le centre de leurs espérances coupables. Ils lui ont suscité des ennemis nombreux par un acte de justice nationale qu'ils ont souillé du manteau de l'assassinat. Ils ont calculé les besoins immenses de son innombrable population. Affamons le peuple, se sont-ils dit, et bientôt la faim fera de lui une bête féroce qui étranglera. Et nous, nous dévorerons.

« Ce moyen infâme ne leur a pas présenté un espoir suffisant ; ils ont cherché des ennemis à la liberté et parmi les adorateurs aveugles et crédules du presbytérianisme et parmi les plus infâmes prostituées. Ainsi donc le papisme et la débauche, soulevés, excités par la même main, devaient tirer en sens contraire la scie de l'intrigue sur le tronc de l'arbre de la liberté ; ainsi le crime préparait une Vendée générale, ainsi la scélératesse humaine convertissait tout en torches ardentes, et, bientôt, l'embrasement universel eût rassasié la férocité des monstres qui, stupidement, comptaient s'y soustraire. Ils ont été déçus de leurs criminelles espérances et l'horloge patriotique a sonné l'agonie des conspirateurs.

« Quels étaient ceux qui froidement calculaient et préparaient ce malheur universel ? Ceux-là que le peuple avait investi de sa confiance, ceux-là qui, nés sans espoir, devaient tout au recouvrement des droits du peuple. Un Hébert qui n'avait échappé à la justice qu'à la faveur de la Révolution ; un Chaumette que la mer eût englouti dès longtemps si la divinité eût été aussi vindicative que l'ont peinte les prêtres. « Dieu sait tout », disent-ils. Et Chaumette vit encore !

« Je ne salirai pas vos oreilles du nom des conspirateurs déjà punis et de ceux qu'attend la justice nationale. L'opinion publique a frappé Chaumette ; ses intrigues sont dévoilées ; ses réponses aux débats vous ont laissé entrevoir son âme, ses réquisitoires imprimés la mettront à nu ! Vous calculerez froidement sa conduite avant et après l'établissement du gouvernement révolutionnaire. Apôtre de l'athéisme à l'instant où il pouvait servir ses projets contre-révolutionnaires, il change de langage à la séance du 8 frimaire ; il réclame l'article 1222 de l'acte constitutionnel qui garantit aux Français le libre exercice des cultes. Cet homme qui avait, cinq ans auparavant, provoqué la fermeture des églises, parce qu'alors il calculait la force électrique d'une habitude puissante, associe les catins aux prêtres ; il trouve dans les certificats de civisme et dans tout ce qui tient à son ministère des moyens de se faire des partisans ou d'accroître la masse des mécontents, et il insulte sans pudeur à la disette factice qui est son ouvrage en proposant des fêtes au temple de la Raison, en parlant des cocardes des femmes, alors qu'on lui demande du pain.

« Gobel suit de bien près Chaumette, s'il ne marche sur la même ligne ; cet étranger, venu l'on ne sait comment à l'Assemblée Constituante, n'a su se masquer longtemps ; les débats vous ont dévoilé toute la turpitude de ses intrigues. Honoré par le choix d'une grande peuplade, il pouvait, il devait l'éclairer, l'instruire ; il devait préparer le jour de la Raison, et il a voulu amener celui de la contre-révolution. Instrument mobile de Clootz, de Momoro, de Chaumette, il a bassement consenti à se déclarer un charlatan, et c'est l'intérêt et non sa conscience qui lui ont inspiré une démarche brusque et de là dangereuse, lorsque amenée avec douceur, elle pouvait devenir aussi utile que ses moteurs l'avaient préjugée funeste à la liberté et favorable à leurs complots.

« La veuve Hébert a, je ne dirai pas, perverti son mari, dont l'immoralité vous a été démontrée lors des débats qui lui ont été personnels, mais secondé de tous ses moyens les projets liberticides de ce monstre qui, n'écoutant que son intérêt personnel, voulait assassiner le peuple dont il avait la confiance. Le journal le plus obscène était en partie l'ouvrage de cette religieuse ; elle était l'agent infatigable des complots de son mari et, tournant les dons de la nature contre une nation à laquelle elle devait et la liberté et le titre sacré de mère, elle employait et son esprit et ses charmes à recruter des conjurateurs contre sa patrie ![4] »

 

* * * * *

 

Le 20 germinal, Boudon, « commissaire des guerres à Montpellier », avait, écrit à son ami Trinchard pour lui annoncer que le Tribunal criminel de l'Hérault venait de rendre un jugement « dans les formes du tribunal révolutionnaire de Paris. Il se flatte « d'avoir été un des dénonciateurs ».

« Il y avait douze accusés. La séance a duré pendant quarante heures, sans désemparé. Jamais audience plus belle et plus frapante que celle-là. C'éttait dans la salle d'espectacle. Le peuple de la Citté y étoit venu en foule. Le plus grand calme régnoit. Il fallu déposé contre douze sélérat. Tu vois combien je dois être fatigué... Si tu avais vu la fermeté des jurés et des juges tu aurais vu des Brutus... Nous fûmes à la place de la Révolution. Là, tout le peuple cy rendit au moment ou le Glaive de la Loy alait le fraper. Le cri de Vive la République ce foisoit entendre de toute part. Celui qui fut le premier guilhotiné cria en plusieurs reprise ce cri infâme de : Vive le Roy ! Voilà cher amy à peu près la journée du 18 et 19. Tu vois combien la Terreur est à l'ordre du jour. Vive la Montagne ! Boudon. »

Il ajoute en post-scriptum, après avoir envoyé ses compliments à l'épouse de Trinchard : « J'oublie de te dire que Ploton a été juré dans le jugement. »

 

De floréal aux événements du 9 thermidor, Trinchard goûta la douceur de vivre et la volupté du succès. Il avait été nommé membre de la Commission populaire du Muséum. Bientôt, il en fut promu le président. Le drapeau de la section lui avait été confié. il le portait dans les cérémonies. La notoriété dont il jouissait lui avait procuré d'importants travaux[5]. Et ses fonctions de juré l'absorbaient de plus en plus. Le 1er floréal, il condamne à mort des magistrats, anciens membres des parlements de Paris et de Toulouse qui ont protesté contre les décrets de l'Assemblée Nationale : les Lepeletier-Rosambo, les Bourrée-Corberon, les Bochart de Saron, les Molé de Champlâtreux, les Lefèvre d'Ormesson, les Pasquier, etc.

En époux aimable et qui ne voulait pas laisser sa jeune femme s'ennuyer au logis, il lui avait envoyé ce billet[6] :

A la citoyenne Trinchard, rue de la Monnaye, n° 19, à Paris.

« Si tu n'est pas toute seulle et que le compagnion soit à travalier tu peus, ma chaire amie, venir voir juger 24 mesieux tous si deven présidents ou conseliers au parlement de Toulouse et de Paris. Je t'ainvite à prendre quelque choge avant de venir parche que nous n'aurons pas fini de 3 hures. Je t'embrasse ma chaire amie et épouge. Ton mari Trinchard. »

Le 21 floréal, il jugeait et condamnait vingt-trois accusés parmi lesquels cinq membres de la famille Loménie de Brienne ; Mme veuve de Montmorin et son fils ; Madame Elisabeth.

Le 20 prairial, il assistait à la fête de l'Être Suprême comme porte-drapeau de la section du Muséum[7].

Sa correspondance avec son frère le canonnier et avec ses amis de Montpellier nous manque pour cette période. Mais, après le 22 prairial, nous le retrouvons sur la liste des jurés du Tribunal révolutionnaire reconstitué., avec le luthier Renaudin, avec Vilate, avec Duplay, cet autre menuisier, l'hôte de Robespierre, avec Pigeot, l'ancien laquais, avec le perruquier Ganney, le peintre Topino Lebrun, avec l'imprimeur du Tribunal, Nicolas, d'autres encore. Ils étaient cinquante.

 

 

 



[1] Déposition de Nicolas-Joseph Pâris, greffier du Tribunal révolutionnaire au procès de Fouquier-Tinville (58e témoin).

[2] Beauvais, député de l'Assemblée législative ; membre de la Convention. - Représentant du peuple à l'armée d'Italie, il avait été pris par les Anglais qui lui avaient fait subir de durs traitements. Le bruit, avait même couru qu'il avait été pendu. C’était un faux bruit. La prise de Toulon par Dugommier (19 décembre 1793) le délivra. Il alla mourir à Montpellier. Ses cendres eurent les honneurs d'une « pompe funèbre » ; elles furent envoyées à la Convention où deux députés de la Société populaire de Montpellier les présentèrent.

[3] Archives nationales, W. 500, pièce 161.

[4] Archives nationales, W. 345, n° 676.

[5] Une note du juré Aigoin, son ami, adressée à Trinchard le 7 germinal, l'invitait à se rendre chez le citoyen Jaunès, architecte de la Trésorerie nationale qui lui délivrerait « une partie des ouvrages de son art dans cet établissement républicain ». Archives nationales, W. 500, pièce 159.

[6] Archives nationales, W. 500, pièce 152.

[7] Voici la teneur du billet de convocation qui lui fut adressé

Au citoyen Trinchard porte-drapeau de la section du Muséum.

« Tu te rendra décadi 20 prairial au gazon du Louvre à sept heures pour prendre le drapeau et le porter à la cérémonie qui doit avoir lieu le dit jour. Salut et fraternité. Collinct adjudant. » Archives nationales, W. 500, pièce 138.