Procès de
Fouquier-Tinville, des juges et des jurés du Tribunal de la Terreur. — Vilate
au banc des accusés. — Témoignages produits contre lui. — Ses réponses. — Il
est condamné à mort et exécuté en place de Grève.
Cependant,
le procès de Fouquier-Tinville, celui des juges et des jurés du Tribunal de
la Terreur s'instruisait lentement, minutieusement, sûrement. La
Convention reprenait l'affaire des anciens comités de Salut public et de
Sûreté générale. Billaud-Varenne, Collot d'Herbois, Barère et Vadier étaient,
après Robespierre, Saint-Just, Couthon, reconnus responsables du régime de la
Terreur. Dans la nuit du 12 au 13 germinal, (1er-2 avril 1795), sur la proposition d'André
Dumont[1], ils furent condamnés à être
déportés. Le 8
germinal, Fouquier et vingt-trois juges et jurés du Tribunal révolutionnaire
comparaissaient devant le nouveau Tribunal[2]. Vilate s'asseyait au banc des
accusés avec Trinchard, Leroy surnommé Dix-Août, Renaudin, Chrétien, Duplay,
Prieur, Châtelet, Brochet, Girard, Trey, Pigeot et Aubri, dans cette ancienne
Grand'Chambre du Parlement de Paris où il avait siégé comme juré. Liger
de Verdigny présidait. Les
débats s'ouvrirent par un discours du substitut Cambon qui, s'adressant aux
jurés, leur dit : « Citoyens
jurés, je viens au nom de la vindicte publique dévoiler de grands crimes,
dénoncer de grands coupables. Ces crimes tiennent à ceux de la faction
liberticide qui, par ses infâmes complots, sut, pendant près de dix-huit
mois, abattre tous les courages, comprimer jusqu'à l'énergie de la
représentation nationale, répandre la terreur et la consternation sur le sol
de la liberté[3]... » Il
accuse Fouquier-Tinville ; il accumule les griefs contre lui, contre les
juges. Passant aux jurés, il dit : « La sublime institution des jurés est un
objet digne de la vénération publique. Scruter, rechercher la conscience des
jurés, leur demander compte du motif qui décida leur opinion, serait une
violation de nos devoirs si ces fonctions avaient été confiées à des hommes
vertueux et sans reproches. Mais, quand des êtres immoraux et vicieux sont
appelés pour prononcer, en leur âme et conscience, sur la vie et l'honneur
des citoyens, on voit clairement qu'ils ont cédé à des considérations
particulières et méprisables. Alors, cette belle et touchante institution
devient, entre leurs mains, le fléau de l'humanité. « C'est
une épreuve que la société vient malheureusement de faire. Les jurés que
j'accuse étaient d'une immoralité reconnue ; ils étaient vendus à la faction
Robespierre, Hanriot, Couthon, Saint-Just, Fleuriot et Fouquier. Celui-ci les
appelait les solides ; c'est au milieu des orgies qu'ils supputaient avec lui
le nombre des victimes à immoler. C'était dans leurs sections respectives
qu'ils demandaient, à verser le sang humain et à anéantir la liberté
individuelle... Les uns jouaient tout à la fois le rôle de dénonciateurs et
de juges, parce qu'ils occupaient, cumulativement, la place de président des
commissions populaires et celle de juré ; les autres ne venaient siéger,
disaient-ils, que pour faire feu de file... » Selon
quelques-uns, les prêtres et les nobles étaient des gibiers à guillotine. Au
dire des autres, « il leur suffisait de voir les gens pour assurer leur
jugement ; la seule inspection du physique les déterminait à voter la mort ».
Ces jurés solides faisaient semblant de se retirer dans leur chambre pour
délibérer et, au bout de quatre à cinq minutes, d'un quart d'heure, d'une
heure au plus, ils venaient prononcer la mort contre une foule d'accusés.
Tandis qu'ils délibéraient, les étrangers venaient influencer leur opinion ;
Fouquier-Tinville venait, ainsi, très fréquemment prendre part aux
délibérations et dire son mot. Les
moyens de défense de ces jurés sont identiques. Ils nient tout. Ils déclarent
qu'ils n'ont jamais émis leur opinion que d'après leur intime conviction et
qu'ils « ont toujours prononcé en leur âme et conscience ». Cambon
termine son acte d'accusation en requérant la mise en jugement des prévenus. Boutroue,
défenseur, proteste. Il demande que tous les anciens jurés du Tribunal de la
Terreur soient mis en cause ou qu'on relâche les autres. Un de
ceux-là, le cafetier Chrétien, déclare alors : « Aucun
des jurés qui sont ici ne veulent sortir des débats ; ils y resteront, afin
que leur conduite soit épurée devant le peuple. » Des
murmures s'élèvent ; le peuple proteste contre ces paroles. Dès le
9 germinal, les dépositions commencent à la charge de Vilate. Gabriel-Jérôme
Sénar, homme de loi, l'accuse d'avoir dit que le Tribunal révolutionnaire
était « un tribunal politique qui devait justifier ceux qui lui étaient
présentés ». Vilate lui aurait déclaré, en parlant des Causes secrètes, qu'il
avait eu des raisons pour attaquer Barère, et que cela le sauverait. Vilate
ne répond pas, d'abord, à cette déclaration de Sénar ; mais, après une
discussion entre le témoin, Cambon et Fouquier-Tinville, il prend la parole
et dit ce qu'il pense de Sénar[4]. « Le
témoin était l'agent actif de la tyrannie décemvirale ; il m'a outragé ; il a
dit que j'étais un scélérat, que Tallien était un scélérat ; qu'il y
passerait ; que Cambon se repentirait de n'avoir pas accueilli sa
dénonciation contre Tallien ; que cette faction disparaîtrait devant le
peuple ; que Barère triompherait ; que je serais guillotiné. Je ne comptais
guère être traduit devant le Tribunal. Arrêté le 3 thermidor, je n'ai siégé
que peu de fois depuis le 22 prairial. Sénar.
— Je déclare que Dossonville[5] porte des pièces qui prouvent
que Vilate était complice de la Commune du 9 thermidor. Vilate.
— Je répondrai à Dossonville et à ses pièces. Sénar.
— Je déclare que j'ai dit la vérité. Dans la
même audience, Richelot, commis-greffier de la Force, déclare que
Ferrière-Sauvebœuf[6] avait avec Vilate des
entretiens, qu'il lui témoignait sa surprise de ce qu'un homme instruit,
comme lui, eût accepté une place de juré au Tribunal révolutionnaire. Vilate
aurait alors répondu : « Je ne sais pourquoi on me retient en prison sous le
prétexte que j'ai été juré. Il n'y a jamais eu de grandes fournées de mon
temps ; toutes les fois que j'ai siégé, il n'y avait que sept ou huit
individus condamnés à mort. » — « Je
vous avouerai, dit le témoin, que de telles expressions ne m'ont paru rien
moins que plaisantes. » Vilate.
— Je ne me souviens pas d'avoir tenu ce propos. Cependant, il est possible
que Ferrière ayant été étonné qu'un homme qui avait reçu de l'éducation eût
été juré au Tribunal, j'ai pu lui répondre que j'avais eu le bonheur de ne
pas me trouver aux grandes fournées où l'on jugeait, à la fois, jusqu'à
soixante et quelques accusés. Mais cela ne signifiait pas que j 'aie regardé
comme peu de chose d'avoir donné mes opinions dans une affaire où il y avait
eu sept à huit personnes condamnées. Un
homme de loi, Germain-André Goureau, témoin, déclare, « d'après ce qu'on lui
a dit », que Vilate n'était jamais embarrassé et qu'il se vantait d'être
toujours convaincu. Vilate.
— C'est faux. Fouquier-Tinville.
— J'ai appris qu'il existe au tribunal du troisième arrondissement des pièces
contre Goureau. Goureau
nie le fait. A
l'audience du 15 germinal, Ferrière-Sauvebœuf, au cours de sa longue
déposition, raconte : « Le
4 thermidor, rentra à la Force Vilate, prêtre et juré au Tribunal
révolutionnaire ; on le voyait de mauvais œil et, pendant plusieurs jours, on
fuyait sa rencontre ; il m'aborda cependant. Je lui dis : « Comment peut-il
se faire que le ministre d'un Dieu de paix se soit rendu l'instrument de tant
de massacres ? » Vilate me répondit : « Je n'ai siégé que pour des misères ;
je n'ai jamais assisté aux grandes fournées et simplement pour cinq ou six,
mais ce n'étaient que des sans-culottes et pas des gros. » J'observe que
Vilate a répété plusieurs fois ces expressions dans la cour en présence des
détenus. J'ajoute que j'ai su au greffe du Tribunal que Vilate avait été juré
dans la fournée des soixante chemises rouges. Le 9 thermidor, Vilate venait
d'être appelé pour être mis en liberté, conjointement avec Boulanger et
Lavalette, décrétés d'accusation par la Convention nationale ; l'ordre
indiquait en même temps un rendez-vous à la Commune. Ce mot de ralliement,
d'après tout ce qui se passait, fit qu'ayant moi-même annoncé à Vilate sa
liberté, je fis faire au concierge la réflexion que, sur un ordre de la
police, il ne pouvait mettre en liberté un homme arrêté par le comité de
Sûreté générale ; le concierge adhéra à mon avis et, un moment après, arriva
l'ordre de le retenir ainsi que ses deux acolytes, Boulanger et Lavalette.
C'est par l'intrépidité que j'ai montrée pendant plus d'un mois — et
notamment le 9 thermidor — que tous les préposés à la garde de la maison
d'arrêt de la Force ont attesté que j'avais sauvé les détenus du massacre
dont ils avaient été menacés. » Vilate,
interpellé de dire s'il est prêtre, répond « qu'il n'en a pas rempli les
fonctions ; que le titre de prêtre n'avilit pas plus que celui de noble ». Il
prétend n'avoir pas tenu les propos qu'on lui prête. Il dit n'avoir siégé «
que pour des misères, comme cinq à six accusés ». Il fait observer que son
mandat de sortie de la Force, le 9 thermidor, était signé de deux membres de
la Commune. Le
président. — Il résulte de la déposition du témoin que le porteur de votre
mandat de mise en liberté vous a dit : « Tu sais où est le rendez-vous ? » et
que vous lui avez répondu : « Je le sais, c'est la Commune. » Vilate.
— On me lut le mandat chez le concierge ; il y était dit que je me
transporterais à la Commune. J'ai pu dire que je m'y rendrais ; j'étais bien
aise de sortir. J'ignorais tout ce qui se passait. Je ne connaissais pas les
administrateurs ; si je les eusse connus, ils ne m'auraient pas enlevé tous
mes papiers, tous mes assignats, ou ils me les auraient rendus. Les complices
de Robespierre furent arrachés de la Force à neuf heures du soir. S'ils
m'avaient emmené avec eux, Collot et Barère m'auraient fait mettre hors la
loi. Le témoin prétend qu'on voulait aussi faire sortir Lavalette et
Boulanger. Jè ne connaissais ni l'un ni l'autre. D'ailleurs ce mandat n'était
pas mon fait. Je n'ai pas siégé dans l'affaire des chemises rouges. Le témoin
a été dénoncé par Lecointre. Lorsque j'entrai à la Force, on me dit que
Ferrière-Sauvebœuf était en relations avec le comité de Sûreté générale et
avec Fouquier-Tinville. Le témoin est entré, une fois, dans ma chambre, a lu
ce que j'écrivais contre Barère, m'a fait craindre d'en trop dire sur son
compte. » Ferrière-Sauvebœuf.
— Vilate attaque ma moralité. Les
juges le rassurent et lui disent qu'il n'en est rien. Ferrière-Sauvebœuf.
— Vilate m'accuse d'avoir des relations avec le comité de Sûreté générale ;
j'ai démontré que j'avais osé combattre les administrateurs qui opprimaient
les détenus. Moi seul, j'ai eu le courage de me raidir contre leur barbarie ;
mes relations avec Fouquier ont été également connues par les lettres qu'il
convient avoir reçues et qui n'avaient d'autre but que de faire cesser les
atrocités commises dans les prisons ; Vilate a déclaré que je disais, au
passage des détenus allant au Tribunal révolutionnaire : « A telle heure, ils
ne seront plus. » Eh ! qui doutait qu'ils ne fussent envoyés à la
boucherie ? « Citoyens
jurés ! j'ai été calomnié par Lecointre, de Versailles. Quand un représentant
du peuple devient calomnisateur à la tribune, il doit descendre dans l'arène
avec celui qui se justifie. Lecointre est revenu sur ses pas dans une lettre
où il me promet de solliciter lui-même ma liberté au comité de Sûreté
générale ; ce n'est point à l'intrigue, ni aux faveurs de quelques membres de
ce comité à qui j'ai dû ma liberté ; c'est lui qui m'avait traduit au
Tribunal révolutionnaire ; c'est un jugement authentique qui m'a rendu à la
société. » A
l'audience du 24 germinal, la femme Morizan, buvetière du Tribunal, déclare
que Vilate ne buvait que du lait et qu'elle ignore qu'il soit entré des
étrangers dans la chambre des jurés pendant leurs délibérations. L'un d'eux,
Ganney, ôtait la clef de la porte. Mais, à
l'audience du 29 germinal, Tirrard, ex-huissier du Tribunal révolutionnaire,
de qui Vilate a reçu sa première convocation comme « juré de jugement » dans
l'affaire des hommes d'Hazebrouck, le jeudi 3 octobre 1793, vient affirmer
que « Vilate se déclarait toujours convaincu, qu'il ne l'a jamais vu
acquitter un accusé ; qu'il avait un cure-dents à la bouche et ne restait pas
quatre minutes à la chambre des jurés ; qu'il se promenait dans les couloirs,
vint un jour au bureau des huissiers, et qu'il monta dans un fauteuil pour
voir par-dessus la cloison les malheureuses victimes qu'il allait vouer à la
mort ». —
Vilate : « Ces allégations sont fausses[7]. » Il se tait et le témoin
Perdrix prend la parole pour dire que lorsque lui, Perdrix, était détenu,
Lanne, le commissaire-adjoint des administrations civiles, police et
tribunaux, se servait de son cabriolet pour faire ses courses dans les
prisons et dresser des listes. Les noms des jurés portés sur ces listes
étaient, le lendemain, imprimés dans les journaux. A
l'audience du 1er floréal, Étienne Masson, ex-greffier du tribunal de la
Terreur, déclare : « Je
regarde comme les plus intrépides des chefs de file : Renaudin, Dix-Août,
Trinchard, Châtelet, Gérard, Vilate et Prieur. — J'ai entendu rapporter le
propos suivant de Vilate : « Il est quatre heures, les accusés sont
doublement convaincus ; ils conspirent contre mon ventre. » Ce même
1er floréal, à l'audience du soir, Julien de Carentan, professeur de
l'Université de Paris, ex-secrétaire général de l'ancien comité de Sûreté
générale, prisonnier depuis dix-sept mois, dépose. —
Julien de Carentan : « J'ai entendu dire à Aubry que Vilate lui avait tenu le
propos suivant : « Dans les temps de révolution, tous ceux qui sont traduits
au Tribunal révolutionnaire doivent être condamnés. » —
Desgaigniers, ex-huissier du Tribunal de la Terreur, « actuellement rentier
», déclare : « J'ai vu fort souvent Vilate, lorsqu'il siégeait dans une
affaire, ne pas monter avec ses collègues dans la chambre des délibérations,
mais courir dans les différentes salles du Tribunal, en attendant que les
autres jurés rentrassent à l'audience pour y faire leur délibération. » —
Vilate : « Je montais toujours à la chambre des jurés, mais il a pu arriver
que, quelquefois, je sois sorti avant mes collègues. » Le 12
floréal, à deux heures après midi, les débats de ce grand procès furent clos. L'immense
réaction commençait. C'était « l'explosion de la vie après le règne de
la mort, la revanche de la nature après cette compression monstrueuse et
dénaturée[8] » que fut la Terreur. Ce
fut aussi une terrible liquidation judiciaire. Depuis
le 1er floréal jusqu'au jugement, les audiences durent douze heures par jour.
Fouquier se défend avec une présence d'esprit, une force d'argumentation qui
dénotent l'ancien procureur et aussi une terrible et formidable aptitude à la
lutte, à la vie. Il a suivi tous les détails, noté tous les griefs, répondu à
tout, de point en point, nié quand il le fallait, s'est retranché derrière
cet argument : « J'étais le serviteur de la loi. » Vilate,
moins brillant dans la défense, a cependant fait tête à ceux qui le
chargeaient. Il attend le verdict avec confiance. Le 12,
à cinq heures du soir, Cambon, substitut de l'accusateur public, fait son
résumé. A sept heures et demie, Fouquier est entendu dans sa défense générale
jusqu'à dix heures. Le 13,
de neuf heures du matin à onze heures, Fouquier continue à être entendu.
Naulin et Herman sont également entendus. La séance est levée à deux heures. Le 13,
l'ancien marquis de Montflabert, surnommé Dix-Août, Lanne, l'ancien
commissaire aux administrations de police civile et tribunaux, Sellier,
Chrétien, Vilate sont entendus dans leur défense générale. Le 14,
toute la journée, les autres accusés sont entendus. Le 15,
les avocats prennent la parole. Gaillard de la Ferrière pour Fouquier,
Cressend pour Boyenval et Verney, Vilain pour Benoit et Valagnos, Boutroue
pour les juges et les jurés en masse ; Gobert pour Herman, Lanne et Beausire.
Le soir, Cressend reprend la parole et plaide pour Dupaumier, Quenaud pour
Guyard, Domanget pour chacun des ex-jurés et ex-experts. Le 16,
à neuf heures du matin, Domanget continue son plaidoyer. Dix-Août,
Fouquier-Tinville, Gannay et Valagnos, font quelques observations pour
compléter leur défense. Le
Tribunal se retire en chambre du conseil. A une heure et quart, Cambon
prononce son réquisitoire et le Tribunal déclare que les accusés seront jugés
sans désemparer. Le président résume l'affaire. Les jurés se retirent dans
leurs chambres de délibérations. Le 17,
à midi, ils rentrent pour faire leur déclaration. Elle dure trois heures. Le
Tribunal se retire dans la chambre du conseil pour y délibérer. Vers
cinq heures, les jurés rendent leur verdict. Vilate est convaincu d'avoir été
« complice des manœuvres et complots tendant à favoriser les projets
liberticides des ennemis du peuple et de la République, à provoquer la
dissolution de la représentation nationale et le renversement du régime
républicain, à exciter l'armement des citoyens les uns contre les autres,
notamment en faisant périr, sous la forme déguisée d'un jugement, une foule
innombrable de Français de tout âge et de tout sexe ». — De plus, il est
convaincu « d'avoir agi avec de mauvaises intentions ». Deux voix seulement
se sont prononcées en sa faveur, pour la négative, sur la question
intentionnelle. Avec
Fouquier-Tinville, avec Foucault, Sellier, Garnier-Launay, Dix-Août,
Renaudin, Prieur, Châtelet, Girard, Boyaval, Benoît, Lanne, Verney,
Dupaumier, Herman, il est condamné à mort. En
entendant sa condamnation, ce petit-maître, cet admirateur passionné de
Salluste et de Tacite, ce néo-Romain qui a cru vivre au temps des Brutus et
des Publicola, dans l'antique Capitole, perd toute tenue. Il s'emporte. Le
sage Moniteur, journal officiel, devenu réactionnaire et thermidorien dès la
chute de Robespierre, le traitera « d'énergumène, gonflé de vanité
autant que de colère[9] ». Joachim
Vilate a un mot impertinent à l'adresse de Fouquier-Tinville : « Il
est bien inconcevable qu'on soit assez injuste pour me confondre avec un
individu tel qu'un Fouquier. » Mais
Fouquier ne parait pas sensible à cet outrage. Le président continue sa
lecture, au milieu des cris que poussent les condamnés lorsqu'ils s'entendent
nommer. Scellier, ancien juge et ancien président du Tribunal de la Terreur,
Scellier, maladif et rageur, traite de menteurs les jurés qui l'ont déclaré
coupable. Et, comme un gendarme veut lui ôter son chapeau, il le lance par la
fenêtre. Foucault et Garnier-Launay crient : « Vive la République ! »
L'ex-président Herman jette un livre à la tête de Liger de Verdigny, qui
préside le nouveau Tribunal. Le
Moniteur affirme que cette scène fut « hideuse ». Le
lendemain matin[10], une foule immense s'amassait
sur la place de Grève, autour de l'échafaud, dressé dans la radieuse lumière
de floréal. — Innombrable, grouillante, bien disciplinée d'ailleurs, comme
toutes les fois qu'il s'agit d'un spectacle en perspective, cette foule
arrivait de toutes les rues et s'écrasait « pour voir ». Gouailleuse,
elle se divertissait. Dans les groupes, on n'entendait que ces mots : « Il ne
l'a pas volé ! On lui a laissé tout le temps et les moyens de se défendre. »
Lui, c'était Fouquier-Tinville, l'ancien accusateur public. On allait se
régaler. Une voix cria : « Vive la Justice ! » Mille voix répétèrent ce cri. Les
croisées étaient bondées « de curieux et de curieuses ». La foule riait et
s'impatientait. Onze heures allaient sonner. Tout à
coup, les charrettes parurent au tournant du quai. Elles étaient trois.
Fouquier était sur la troisième. Des huées immenses retentirent. Le peuple
criait : « On va t'ôter la parole... Dans deux minutes tu seras hors des
débats... Ta conscience est-elle assez éclairée ?... Le peuple va faire feu
de file à son tour... Va rejoindre tes victimes, scélérat !... Rends-moi mon
père !... Rends-moi ma famille !... Rends-moi mon frère !... Rends-moi mon
ami, ma femme, ma sœur, mon épouse, ma mère, mes enfants[11]. » Les
charrettes avançaient lentement. Elles s'arrêtèrent devant l'échafaud. Les
seize condamnés en descendirent. La foule les vit, l'un après l'autre,
surgir, apparaître un instant et basculer. Le lourd triangle luisant et
sanglant s'activait, tombait, montait et retombait, hachant les nuques
livides. Fouquier-Tinville
fut exécuté le dernier. Le peuple voulut voir sa tête. Le bourreau la saisit
aux cheveux et la lui montra. Des applaudissements éclatèrent. L'élégant Vilate avait précédé dans la mort son terrible chef de file. — Il n'était âgé que de vingt-six ans. |
[1]
Député à la Convention.
[2]
Arch. nat. W, 499, n° 550.
[3]
Buchez et Roux. Histoire parlementaire de la Révolution française, ou
Journal des Assemblées nationales depuis 1789 jusqu'en 1815, t. XXXIV, p.
292.
[4]
Sénar (Gabriel-Jérôme), secrétaire et agent secret du comité de Sûreté
générale, interrogeait les suspects et dirigeait les arrestations, On ne le
laissait pas sortir sans être accompagné d'un gendarme qui le protégeait et le
surveillait. Emprisonné comme terroriste après le 9 thermidor, il troubla
souvent de ses dénonciations le triomphe des thermidoriens, Tallien et autres,
qu'il accusa de n'avoir renversé Robespierre que pour s'emparer du pouvoir. Sa
détention dura un an. Il mourut à trente-six ans, le 10 mars 1796.
[5]
Qui avait arrêté Vilate.
[6]
Ferrière-Sauvebœuf, ancien officier, avait été en 1782, diplomate à
Constantinople et à Ispahan ; après avoir parcouru la Turquie, la Perse et
l'Arabie, il revint en France en 1789. Il fit montre de principes
ultra-révolutionnaires et devint membre de la Société des Jacobins. Dénoncé en
1794, exclu de la société et traduit devant le comité de Sûreté générale, il
fut écroué au Luxembourg, où il eut la réputation d'agent provocateur auprès de
ses compagnons de prison. En 1799, le Directoire l'envoya en mission secrète
dans la Cisalpine auprès de l'armée de Schérer. Ce général le fit arrêter, à
Milan. Il s'évada. — Après le 18 brumaire, il se retira en Champagne où il
vécut jusqu'en 1814. Il leva un corps franc pour combattre l'invasion. Il
mourut assassiné.
[7]
Elles le sont, tout au moins en partie. Après avoir noté une par une, dans les
dossiers du Tribunal révolutionnaire, les affaires où Vilate était entré à
l'audience comme juré de jugement, j'ai constaté que, dans plusieurs, les
accusés avaient été acquittés à l'unanimité des jurés.
[8]
Michelet.
[9]
Moniteur, n° du 21 floréal an III.
[10]
18 floréal an III (7 mai 1794).
[11]
Messager du soir, du 19 floréal.