Vilate change de
prisons. — Il écrit son troisième Mémoire : les Mystères de la mère de Dieu
dévoilés. — Analyse de ce pamphlet. — L'auteur du rapport fait à la
Convention sur Catherine Théot est, d’après Vilate, Barère et non Vadier. —
Son opinion est suspecte. — Il s'acharne contre Barère qui l'a abandonné. —
Anecdotes curieuses. — Robespierre et les femmes. — L'attitude de Maximilien
à la fête do l'Etre Suprême. — Robespierre est le « Verbe divin ». —
Liturgies. — Vilate dévoile les Mystères.
Les
mois se succédaient et Vilate était toujours prisonnier. Il changeait de
prisons — et c'était tout. De la
Force, il avait été transféré au Luxembourg. En ventôse, nous le trouverons
détenu à la Bourbe. Le 1er
nivôse an III, il écrit du Luxembourg aux « citoyens composant le comité de
Sûreté générale : « Le
citoyen Vilate, âgé de vingt-six ans, du département de la Creuse, incarcéré
le 3 thermidor, par ordre du comité de Sûreté générale, sur une dénonciation
vague et insignifiante de Billaud-Varenne, réclame de la justice du comité de
Sûreté générale d'être mis en liberté. Il croit avoir assez prouvé qu'il
n'est ni suspect, ni coupable. Il a donc lieu d'espérer sa rentrée prochaine
au sein de la société. Si la calomnie avait pu pénétrer dans le comité, je
demande à être entendu pour la pulvériser. « VILATE1[1]. » Le même
jour, il envoie à Regnauld (de la Manche), député à la Convention, le billet suivant : « Au
citoyen Regnauld (de la Manche) député à la Convention, rue de Seine, n° 32,
à Paris. « Il me
seroit difficile de vous exprimer ma sensibilité pour les marques
d'attachement que vous me témoignés. Vos désirs et les miens ne ne (sic) peuvent qu'être bientôt
réalisés. J'attribue la lenteur de la justice à la foule d'affaires dont est
environné le comité de Sûreté générale. Avec le zèle d 'un bon citoyen, on
lève aisément cet obstacle. Il est tems que les hommes probes sentent enfin le
besoin de se réunir. Leur salut dépend de leur union. Quand la malveillance
s'agite, la vertu, le courage doivent être là pour la contenir et la
renverser. Je n'ai d'ennemis que les hommes à qui j'ai arraché le masque.
Leurs affidés sont connus. Je laisse à votre sagesse de décider le choix des
personnes qu'elle croira devoir intéresser. « Ma
pétition est ci-incluse. Je suis, avec les sentiments que vous m'avez
inspirés, votre concitoyen, « VILATE It[2]. » « Du Luxembourg, 1er nivôse, l'an III. » Le 20
nivôse, il réclame des vêtements et du linge, « dont il a le plus pressant
besoin ». Il a toujours tardé, depuis le 3 thermidor, jour de son
arrestation, à faire cette demande, « dans l'espérance d'avoir sa liberté ». Il
écrit de nouveau, le 28 nivôse, au député Regnauld : « Je
vous prie, citoyen, de voir Merlin de Thionville. Il m'a montré plus d'une
fois de l'amitié. Je le crois disposé à m'être utile. Les obstacles doivent
avoir cessés d'exister. On ne peut, sans une injustice révoltante, me retenir
ici plus longtems. Je vois sortir tous les jours des billotins, des
baréristes, des amis de la tête et de la queue. Et moi, qui n'appartins ni à
l'une ni à l'autre, on me laisse captif depuis le 3 thermidor. Voilà plus
d'un mois que j'ai terminé un troisième ouvrage contenant six fois plus de
faits que les deux premiers. Les preuves de ceux-ci sont incontestables.
L'impression de cet écrit ferait jaillir de nouvelles lumières. Voilà plus de
deux décades que j'ai écrit à mon imprimeur, qui me laisse sans le sol, de
venir chercher le fruit de quelques veilles. Il n'a répondu à mes lettres que
par de vaines promesses. Je suis sans linge, sans vêtemens, dénué de tout.
Vous avez l'âme compatissante ; vous aimez votre pays ; voilà pour moi de
bien douces espérances. Un brave soldat est plus affligé de son absence du
combat que des maux sous le poids desquels le fait gémir la tyrannie' encore
respirante. Ne vous laissez pas décourager par la calomnie. Je me suis rendu
digne d'en mériter l'honneur. Je vous salue avec les sentimens que vous
m'avez inspirés. « Du Luxembourg, 28 nivôse,
l'an III de la République une et indivisible, « VILATE[3]. » L'œuvre
à laquelle Vilate fait allusion dans cette lettre, ce sont les Mystères de la
mère de Dieu dévoilés, datés du palais du Luxembourg, le 8 pluviôse an 111 de
la République française, une et indivisible. Ce
curieux ouvrage, auquel le prisonnier consacra les longues veilles de ses
soirées d'hiver, n'eut pas l'effet qu'il en attendait ; il ne fit pas
« jaillir la lumière ». Et, s'il contenait « six fois plus de faits
» que les précédents, la divulgation de ces faits était de nature à inquiéter
des hommes qui préféraient les laisser enveloppés d'obscurité et d'oubli. Vilate
savait trop de choses qu'on ne lui demandait pas de dire. Ce fut sa perte que
de les divulguer. Il m'a
paru intéressant et curieux d'analyser ce pamphlet violent, obscur, haineux,
dirigé contre Barère surtout, contre Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne,
Dupin, Vadier et Robespierre. Vilate
commence par un avant-propos, où il déclare que son innocence ne peut être
douteuse. Il répète ce qu'il a déjà dit, qu'il n'a assisté que très rarement
aux audiences du Tribunal révolutionnaire[4]. Il rappelle ses maladies
occasionnées par une « sensibilité trop affectée du malheur d'être condamné à
siéger ». Il rappelle aussi son « indignation du sacrifice
contre-révolutionnaire des plus zélés défenseurs des droits de l'homme et de
la liberté, Philippeaux, Camille Desmoulins et autres ». Il ne nomme pas
Danton. Si,
malgré son horreur pour les tyrans, il a continué à « les fréquenter », c'est
qu'une fois admis auprès d'eux, il dépendait de sa vie de ne pas s'en
éloigner. « Il était précieux pour l'intérêt sacré de la liberté qu'un
citoyen se dévouât au supplice affreux de les observer, de les suivre dans
leurs marches légères et tortueuses. » Il va
dévoiler « une intrigue profonde et d'un genre nouveau ; la vérité qui en
jaillira ne fera qu'ajouter au mépris, à la honte dont les tyrans sont déjà
couverts tous ensemble, Robespierre, Barère, Billaud, Collot, Vadier, comme
une tourbe vile et audacieuse, hypocrite et superbe, ridicule et atroce ». Après
avoir demandé au lecteur de ne pas s'en prendre à lui, Vilate, si les faits
qu'il va révéler sont indignes de « la gravité révolutionnaire », il déclare
qu'il n'a pas tout dit et qu'il faudrait « vingt volumes » pour tout dire. On se
rappelle le rapport présenté par Vadier le 27 prairial, à la Convention, sur
l'affaire Catherine Théot, cette ancienne domestique à demi folle chez
laquelle se réunissaient un certain nombre d'illuminés, parmi lesquels Dom
Gerle, ex-chartreux, ancien collègue de Robespierre à l'Assemblée
Constituante ; le médecin de la famille d'Orléans, Quesvremont, dit Lamotte,
et la marquise de Chastenois. On sait que ce rapport de Vadier avait servi
aux ennemis de Robespierre, pour détruire l'effet, incontestablement très
grand, produit par la fête du 20 prairial vouée au culte de l'Etre suprême. Vilate
nous dit : « On
se tromperait si l'on croyait avoir connu l'affaire de Catherine Théot par le
rapport de Vadier, du 27 prairial. Les mystères de la mère de Dieu et la
conspiration qui semblait en découler sont les moindres sujets dignes de la
curiosité ; il est d'autres mystères politiques, voilés à dessein par la
plume de paon[5]. » Vilate
dévoile donc les dessous de cette affaire Catherine Théot qui ne fut que le
prologue comique du grand drame foudroyant du 9 thermidor. « Il est parvenu,
dit-il, dans le silence de la retraite, à dissiper tous les nuag-es. » Voyons s'il y a réussi. Comme
il prévoit qu'on pourra douter de sa véracité, il répond d'avance aux
objections. « Les
tyrans essaieront de changer en fictions les faits de ce nouvel ouvrage. Ils
sont accoutumés à vouloir dénaturer l'essence des choses. Mais je continuerai
à les démasquer... Pygmées politiques, leur art perfide fut de magnétiser
toute la France, de la plonger dans cette extase trompeuse qui lui faisait
envisager la mort comme la félicité. » Il
dénonce Vadier, qui, dans une brochure, attaqua ses deux premiers récits. « Faudrait-il
entendre en témoignage les habitants de Clichy, rappeler à leur mémoire non
seulement les plaisirs de Versailles et de Trianon, mais encore les scènes
royales de Louis XIV avec ses brillantes maîtresses dont ce village fut le
théâtre scandaleux ?... Voici, sans doute, quelles seraient leurs
dépositions. Les mêmes bosquets, les mêmes berceaux, les mêmes lits de
verdure ont ombragé les tendres soupirs de la cour du superbe despote et la
société des destructeurs du trône qu'il croyait avoir assuré à sa postérité.
Si Vadier n'eût pas partagé les habitudes, les jouissances des décemvirs ;
s'il eût observé les mœurs sévères que lui commandaient la gravité de son
caractère et ses soixante années de vertu, l'austérité que la nature marâtre
a donnée à ses dehors et à ses manières, il pourrait se défendre de la fausse
honte d'avoir figuré dans les cercles où son aspect repoussant et rébarbatif
ombrait la gaîté des jeux volages, effrayait les plaisirs et les grâces.
Moderne Polyphème, pour ainsi dire, ne semblait-il pas les rechercher avec le
désir d'y rencontrer quelques Galathées ? » On a
quelque peine à suivre Vilate dans son argumentation des Mystères de la
mère de Dieu dévoilés, tant il s'écarte souvent du sujet pour raconter
des anecdotes. Il nous apprend ainsi qu'au Luxembourg, c'est la célèbre
artiste Lacombe, « présidente de la Société fraternelle des amazones
révolutionnaires », qui tient « l'échoppe des menus-plaisirs destinés aux
prisonniers ». Simple, gracieuse aux acheteurs, cette reine de théâtre «
n'est plus qu'une petite bourgeoise modeste « tirée à quatre épingles » et qui
sait débiter sa marchandise au plus haut prix ». Elle enveloppe « par
politesse » la bougie que chaque soir lui achète Vilate d'un « chiffon de
papier qui vaut, à lui seul, les cinquante sous qu'elle la vend ; il faut
payer, chaque soir, cette somme sans compter le prix de quelques petites
pommes de reinette à sept sous la pièce. Avec quelle grâce encore dit-elle :
« Le tout pour obliger les citoyens ! » Un
soir, en développant ce chiffon de papier, Vilate y lit ce passage : «
Supposez que les ambassadeurs de Typpo-Saïb arrivés en France en...
[6], n'y fussent venus que dans ces
temps calamiteux où les places publiques sont couvertes d'échafauds, ignorant
notre langue, nos mœurs, nos lois, notre Révolution. Qu'auraient-ils rapporté
à leur retour au fond des grandes Indes ? Il me semble lire sur leur
itinéraire cette relation : « Les Français, dont la gloire est venue jusqu'à
ces contrées, sacrifient leurs semblables, par centaines, à deux divinités
appelées : Liberté, Égalité, sur un autel élevé entre leurs statues. » Il
revient ensuite aux Mystères. Il prétend que le « Verbe Divin » n'est
autre que Robespierre. « Les
doctes connaissent l'histoire de Psaphon, libyen. Voulant passer pour dieu,
il apprit à un essaim d'oiseaux à répéter ces paroles : « Psaphon est un
grand dieu ». Une fois instruits, il les lâcha dans le pays où ils
firent retentir leur leçon. Les habitants de Libye, frappés de surprise,
décernèrent à Psaphon les honneurs divins. Robespierre, au lieu d'oiseaux,
avait une nuée de femmes ; une vieille baronne, espèce de coryphée,
continuellement chez lui, donnait le ton aux adorations. Sans cesse elles avaient
à la bouche : « Ce Robespierre ! c'est un Dieu ; il est sans pareil ; c'est
l'homme divin, c'est le fils de l'Être Suprême... Par quel prestige certains
hommes parviennent-ils à inspirer, surtout au sexe, cette idée surnaturelle
qui semblé les faire participer de la Divinité ? » Vilate
rappelle alors avec quelle « affectation » Robespierre se servait du mot
providence, tandis que Guadet[7] ne parlait que de fatalité. Il
invite les lecteurs à se reporter à la définition « réfléchie » de la
liberté, inscrite dans la Déclaration des Droits de l'homme et qui correspond
à la maxime évangélique : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez
pas qui vous fût fait. » « On
n'oubliera pas son discours aux Jacobins contre la faction des Hébertistes
proclamant l'athéisme, dans lequel il disait : « Si Dieu n'existait pas, il
faudrait l'inventer... » De bonne heure, il avait préparé la fondation de
l'Être Suprême. Il serait trop long de rapporter tous les traits singuliers
de spéculation religieuse, appliqués à la République française, que son
projet de décret offre à la méditation. Sans cesse chatouillé par des lettres
qui lui arrivaient de tous les coins du monde, où on le traitait réellement
d'envoyé du Ciel, de Fils de Dieu, de Sauveur de la France, de fondateur de
la République naturelle. Sa vanité et son orgueil savouraient avec
complaisance les flatteries ridicules de dom Gerle, introduit quelquefois
dans sa maison, lui annonçant que la Mère de Dieu l'avait choisi pour en
faire son Verbe divin, que sa mission auguste est prophétisée clairement par
l'Écriture dans l'annonciation d'un envoyé de l'Être Suprême, de l'oint du
Seigneur, du Vengeur céleste, renversant les idoles de pierre et de bois et
lançant la foudre, au milieu des éclairs, sur les Titans orgueilleux, sur la
partie enragée de la nation... Dans son domestique, attentions recherchées,
caresses louangeuses, désirs prévenus, sollicitude craintive, soupirs recueillis,
mignardises flatteuses. Toutes les voluptés de la mysticité semblaient
environner le tyran ; et nul directeur de nonnes ne fut jadis davantage le
tendre et précieux objet de plus douces inquiétudes et de soins plus
affectueux de la part des chères mères en Dieu... Avec quelle joie
orgueilleuse, marchant à la tête de la Convention nationale, entouré d'un
peuple immense, répondant par l'élégance de la parure à l'éclat pur et
radieux d'un si beau jour, il se pavanait, pour la première fois, revêtu de
l'écharpe tricolore de représentant du peuple et la tête ombragée de panaches
flottants ! Tout le monde remarqua son ivresse. Mais, tandis que la foule,
enthousiasmée, faisait retentir les cris de : « Vive Robespierre ! » qui,
dans une République, sont des cris de mort, ses collègues, effrayés de ses
prétentions audacieuses, incommodaient ses oreilles, comme il s'en est plaint
depuis, de traits satiriques, de sarcasmes piquants : « Voyez-vous comme on
l'applaudit ? ne veut-il pas faire le Dieu ? n'est-ce pas le grand prêtre de
l'Être Suprême... ? » A cet égard, ce mot lui est échappé : « On aurait cru
voir les Pygmées renouveler la conspiration des Titans. » Alexandre, se
faisant déclarer par l'oracle d'Àmmon fils de Jupiter, n'était pas plus
superbe... Non seulement les membres de la Convention devinaient ses projets
théocratiques ; je tiens d'une personne, pour l'avoir entendu aux Tuileries,
ce mot énergique d'un vrai sans-culotte : « Voyez ce bougre-là ; ce n'est pas
assez d'être le maître, il faut encore qu'il soit un dieu[8] ! » Donc,
Robespierre était le Verbe divin des Mystères. Invention machiavélique
de Barère pour perdre Maximilien, cette affaire sensationnelle avait été
présentée « seulement de profil » à la Convention, « avec ce talent agréable
et léger, habitué à transformer en carmagnoles les victoires des armées de la
République ». C'est ainsi que l'organisateur de la fête de l'Etre Suprême «
devait entrer dans le système général de la contre-révolution sacerdotale ». Vilate
objectait à Barère : « Comment peut-on prendre au sérieux cette idée ? — Les
hommes, répondait Barère, sont si faibles, si peu faits pour les spéculations
métaphysiques que, par un penchant naturel, ils se livrent à tout ce qui
tombe sous leurs sens et flatte leurs craintes ou leurs espérances. C'est
surtout en temps de Révolution que le danger des impostures religieuses
devient extrêmement grave et doit exciter une attention sévère ; parce que le
peuple, privé de ses pratiques de dévotion habituelle, s'abandonne au vague
incertain d'idées morales, de principes de conduite, de sentiment et
d'opinion. Dans ces temps difficiles, les hommes, presque tous malheureux et
accablés, portant sur leurs visages les traits des maux qu'ils endurent et du
trouble de leurs pensées, cherchent leurs consolations dans une cause
supérieure. Ne sont-ce pas les persécutions qui rendent sacrés les infortunés
et en font des dieux ? Jupiter n'eut-il pas sa chèvre qui le nourrit ? Moïse,
dans son berceau d'osier, échappa aux flots de la mer. Osiris n'eut-il pas
son bœuf Apis ? Hercule, à la mamelle, triompha de deux serpents. Romulus ne
fut-il pas allaité par une louve ? Le fils de Marie eut l'étable de Bethléem
contre la proscription d'Hérode. » Si
l'affaire Catherine Théot avait été jugée au Tribunal révolutionnaire, on eût
recueilli tous les faits qui, de la part de Robespierre, auraient prouvé «
son attachement au système de la Divinité ». On eût fait comparaître « les
saintes bigotes dont il était environné, si enthousiastes que, comme les
femmes de la Passion, elles ne sont pas dans ce moment sans espérer sa
résurrection ». C'est
l'infernal génie de Barère qui a perdu Robespierre. Vilate pense que « la
division dans le décemvirat remonte à la fête de l'Être Suprême ». Barère,
Collot d'Herbois, Billaud-Varenne, Vadier se sont emparés des Mystères pour
le renverser. Robespierre a « travaillé, de son côté, la Société des Jacobins
». Les deux partis se sont livré une lutte suprême et décisive. Ainsi,
d'après lui, ils ont préparé « l'heureuse révolution du 9 thermidor » «
Robespierre, alors, marche insensiblement au pouvoir suprême, prétendant à la
gloire de réparer les calamités de la France après les avoir provoquées. Ses
adversaires tentent de prendre sa place. Mais, on remarquera cette différence
qu'il osa les attaquer de front, tandis qu'eux ne l'attaquèrent que dans
l'ombre, d'une manière vile et basse, même en le flagornant publiquement
jusqu'à sa défaite ; conduite qui prouve, de sa part, son audace et, de la
part des autres, leur turpitude... « Est-ce
bien le peuple français, si grand dans l'Univers par ses lumières, par ses
armes, par son étonnante Révolution, qui est devenu le jouet et la victime
d'une poignée de tyranneaux, naguère inconnus sous d'autres rapports que ceux
de la nullité, appréciés entre eux par cette vérité sortie de leurs bouches
au milieu de leurs querelles... Pygmées politiques, auxquels ce serait trop
confier que donner une basse-cour à gouverner ![9] » Tel est
ce pamphlet en trois parties où Vilate mit en œuvre les dons d'observation
qu'il avait reçus de la nature et les citations de l'antiquité classique
qu'on lui avait enseignées dans ses collèges. L'auteur des Causes secrètes et
des Mystères démêle dans l'œuvre des hommes qu'il a fréquentés et servis bien
des germes de mort. Par moments, il entrevoit l'avenir. Mais il ne peut
s'empêcher de céder à ses haines. Il sacrifie aux besoins de sa défense. Pour
se disculper, il accuse. Et son œuvre en est gâtée et amoindrie. Tel qu'il
est, cependant, cet important travail de rédaction où il employait les
longues veilles de, ses nuits de prisonnier est intéressant. En dépit de bien
des obscurités — voulues pour la plupart — les événements n'y sont pas si
dénaturés ni les hommes si travestis qu'on ne les sente pris sur le vif, dans
leurs attitudes familières, avec leurs gestes habituels. Il les a bien
connus. Il a vécu dans leur intimité. Il se soucie assez peu de la précision
historique, on le sent ; et, pourtant, il a de ces mots qui éclairent tout un
caractère, de ces traits qui peignent toute une scène ; il les sème un peu au
hasard, parce qu'ils lui viennent naturellement. Personne ne passe des sujets
graves aux familiers avec plus d'aisance Il se laisse conduire au gré de ses
souvenirs et on l'écoute volontiers — en se méfiant parfois, il est vrai.
Mais c'est un écrivain qui a su voir et rendre ce qu'il voyait. Il
termine son troisième Mémoire par cet épilogue mélancolique et prudent : « Ainsi
je charme les ennuis de ma longue détention en dévoilant les tyrans qui m'ont
plongé dans les fers, pour avoir- commencé à venter leurs complots. Puissent
tous ceux qui leur ressemblent pâlir d'effroi et s'arrêter dans la carrière
du crime ! Les tyrans peuvent induire en erreur la jeunesse, d'autant plus
facile à tromper qu'elle croit à la vertu ; mais ils apprennent, par mon
exemple, que, bientôt désabusée, indignée d'avoir été aveuglée, elle se fait
un devoir honorable de les démasquer dans l'opinion publique. Mon cœur
approcha du crime ; il n'en est pas flétri. « Qu'on
ne dise pas que je trahis leur confiance. Je ne fus par dépositaire de leurs
secrets. Ils ont voulu faire de moi une dupe avant d'en faire une victime. Ce
que mes yeux dessillés ont surpris dans les occasions rapides comme l'éclair,
je ne dois point le taire en faveur des oppresseurs de ma patrie quand elle
peut en tirer quelque utilité. Je crois à la morale, et, jamais je n'ai trahi
et ne trahirai les épanchements du cœur. On avait beau exciter les
dénonciations, dire qu'on n'était pas patriote quand on n'avait pas dénoncé
et fait incarcérer, j'ai toujours gardé, dans mon intérieur, les confidences,
les indiscrétions échappées. Je ne peux pas me tromper ; j'ai du moins le
sentiment de bien mériter des gens honnêtes. Quoi qu'en fassent les tyrans
passés et à venir, la liberté de la presse sera éternellement l'aurore de la
vérité et rien de leurs infamies ne restera caché. La vérité sortira du fond
des cachots pour les vouer à l'opprobre. Puisse chacun se pénétrer de la
nécessité d'être de bonne foi et vertueux ! Les crimes les plus secrets
seront publiés sur les toits... » «
J'ignore pourquoi je reste toujours captif. La justice exige ma liberté. Quoi
qu'il en soit des motifs de détention trop prolongée, je respecte la
négligence du comité de Sûreté générale à mon égard. La Convention nationale
et les autorités de gouvernement qui en émanent n'en sont pas moins l'objet
de ma vénération ; mais je dirai qu'il est cruel de n'être pas témoin des
espérances de bonheur dont elle console la France éplorée, tandis qu'on l'a
été, malgré soi, des ravages qu'elle vient d'éprouver et de ne pouvoir
concourir de toutes ses forces aux mesures de restauration, après tant de
malheurs. « Du palais du Luxembourg, le 8 pluviôse, an
IIIE de la République française, une et indivisible, « VILATE[10]. » |
[1]
Archives nationales, W. 500, p. 167.
[2]
Archives nationales, W. 500, p. 168.
[3]
Archives nationales, W. 500, p. 164.
[4]
Nous avons vu qu'il y était entré comme juré de jugement soixante-quatre fois.
[5]
Barère.
[6]
Vilate ne donne pas la date de cette ambassade. Il dit qu'à cet endroit. « il y a un trou dans le papier ». — Il s'agit de l'ambassade
envoyée à Louis XVI, en 1788, par le successeur d'Hyder-Ali, le sultan
Typpo-Saïb, roi de Mysore, qui excita vivement la curiosité en France. — « Les
mœurs, les habitudes, les costumes de ces Indiens furent longtemps le sujet de
nos conversations, le type de nos modes. » (Souvenirs d'un page de la cour
de Louis XVI, publiés par M. le comte d'Herecques. Perrin, 1895.)
[7]
Guadet (Marguerite-Élie) député de la Gironde. Membre de l'Assemblée
législative de la Convention nationale et du club des Jacobins ; — Guillotiné à
Bordeaux le 16 juin 1794. Dans le procès de Louis XVI, il avait voté pour
l'appel au peuple et pour la mort avec sursis.
[8]
Causes secrètes, p. 310 à 314.
[9]
Causes secrètes, p. 333.
[10]
Causes secrètes, p. 335.