FOUQUIER-TINVILLE

 

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

Fouquier-Tinville, accusateur public, recevait une correspondance énorme et très variée. Voici, sous les numéros I à VI, quelques spécimens des lettres qui lui étaient adressées.

 

1. — LETTRES À FOUQUIER

Le citoyen Falempin, détenu au Luxembourg « pour un mouvement de vivacité qui lui a échappé involontairement, le 27 prairial, au poste du Pont-Neuf, à 11 heures du soir », écrit à Fouquier pour lui demander sa mise en liberté. Il attribue à « un instant d'ivresse » l'oubli de son devoir ; et il lui dit :

« Tu es un patriote trop éclairé et trop juste pour ne pas accueillir avec humanité la prière que je te fais avec une entière confiance de me faire obtenir ma liberté prochaine. Je suis sans fortune, au moment de me marier à une citoyenne aimable et patriote. Je suis le seul soutien de mes sœurs et de l’établissement qui nous fait subsister. C'est en toy que j'aispère trouver un apuy, espoir d'autan mieux fondé que tu m 'a à 1 heure même de ma faute pardonner et traiter en frère. Tes moment son précieux. Je me borne à cette exposés de ma situation et j'atens ma promte liberté de la bonté de ton cœur. »

Salut et fraternité

FALEMPIN

 

Fouquier a écrit en tête de cette lettre :

« Ce citoyen a été arresté par ordre [du] Comité de sûreté généralle et sa liberté a été réclamée par moy. »

A. Q. FOUQUIER

(Arch. Nat. W. 500. 2e dossier p. 72.)

 

Il. — LETTRES À FOUQUIER

Au citoyen Fouquier accusateur public au tribunal révolutionnaire.

Paris, le 8 germinal l'an 2me de la république française démocratique.

Citoyen,

Pierre Benoît, traduit au tribunal révolutionnaire est mort à l'Hospice ces jours derniers. Sa femme demeurant à Sceaux, chargé de 3 enfants, réduit à la misère, s'est adressé à moi pour lui faire sçavoir de quelle manière elle doit si (sic) prendre pour faire lever les scellé qui ont été apposé sur ses meubles et effets.

Je m'adresse à toi avec confiance, sachant que ton cœur sensible se plaît à soulager les malheureux ; je te prie de me faire sçavoir le plutôt possible ce que je peut répondre à cette famille désolé.

Salut et fraternité

TOUTIN

Président du tribunal du VIe arrondissement

(Arch. Nat., W. 500. 4me dossier, pièce 43).

 

III. — LETTRES A FOUQUIER

Au citoyen, citoyen (sic) Fouquier-Tinville, accusateur public, au Palais[1].

LIBERTÉ — ÉGALITÉ.

Citoyen,

C’est avec peine et douleur que je vous importune au sujet de mon mari qui s'appelle Jean Huet, canonnier de la section des Tuileries. Il est dans l'affaire de Lapeyre et Laville. Citoyen, c'est pour vous prier, de grâce, de décider de son sort le plus tôt possible ; car il gémit à la Force et rien ne se décide contre lui. C'est bien ce qui le chagrine. Il voit que son ouvrage est perdu et, malheureusement, nous ne sommes pas riches, car nous sommes des vrais sans-culottes. Citoyen, l'on m'a dit qu'il n'y avait qu'à vous à qui je pouvais m'adresser. C'est pourquoi j'implore votre bonté et votre justice qui [sera ?] bien grande pour mon mari et pour moi en lui donnant sa liberté, si vous le jugez à propos. Comme je sais que vous la rendez à celui qui la mérite, c'est pour cela qu'il désire que vous ayez la bonté de le juger. Il n'attend qu'après cela pour que vous l'entendiez. Aussi, citoyen, jetez votre regard sur lui. Pitié d'un pauvre malheureux qui attend sa liberté de votre part. Citoyen, délivrez-lui. Rendez ce père infortuné à sa famille qui [mot illisible] de voir leur père ; et moi, qui en est la mère a ca (sic) bien de la peine à élever mes républicains qui implorent votre indulgence et toute votre justice pour mon mari. Citoyens, rendez-moi ce mari qui m'est si cher à ma vie et n'oubliez pas la pauvre malheureuse [?] qui se permet de vous écrire pour penser à ce qu’elle a de plus cher dans le monde et qui vous et fraternité (sic).

Femme citoyenne

HUET

 

Citoyen, son défenseur s'appelle le citoyen Boutroue, rue Pierre au lard, n° 387.

Citoyen, de grâce, n'oubliez pas mon petit mari[2].

(Arch. Nat. W., 500. 4e dossier, pièce 26.)

 

IV. — LETTRES À FOUQUIER.

Au citoyen Fouquier, accusateur public près le tribunal révolutionnaire de Paris, en son cabinet au Palais, à Paris. A lui-même.

Des prisons de sainte Pélagie, le tridi de la 3e décade de germinal de l'an 2e de la République Françoise, une et indivisible.

Citoyen,

Je viens d'apprendre la fatale nouvelle de la mort de mon père ; ma famille est dans la plus grande désolation et mon épouse dont la maladie devient plus sérieuse de jour en jour me demande à grands cris et ma présence devient absolument nécessaire pour l'arrangement de mes affaires. La grande confiance que j'ai dans ta justice et ton humanité font que j'ose encore t'adresser la présente pour te prier instamment de vouloir bien accélerer mon jugement. C'est un vrai sans-culotte qui, au nom de son innocence et de ses malheurs, te conjure de vouloir bien ne pas rendre vaine l'espérance qui le console, que tu voudras bien accorder à sa demande, en le faisant paraître au plus tôt devant ses juges.

Salut et fraternité

PITOY, citoyen de Nancy[3].

(Arch. Nat. W. 500. 4me dossier, pièce 43.)

 

V. — LETTRES À FOUQUIER

Lettre de Bonnet, substitut de l’accusateur public du Tribunal révolutionnaire de Brest, établi « à l'instar de Paris » à Fouquier-Tinville pour lui demander des conseils et lui dénoncer ses collègues[4].

 

Brest, ce 14 floréal, l'an II.

Citoyen Accusateur,

Trouve bon que je joigne deux mots à la lettre que je t'écris pour Verteuil. — Réflexion faite, je t'écris à part.

Je fais, en ce moment, encaisser et j'enverrai demain pour toi, sous un nom qui dispensera des frais de port, six bouteilles de rhum, que je te prie de recevoir comme une marque, la plus légère possible, de ma reconnaissance. J'en adresse autant à Coffinhal.

D'un côté, j 'ai vu ici, avec bien de la satisfaction, qu'on y savoit apprécier le travail ; car, sur mon refus d'une place déjugé, le Représentant a voulu que je fusse payé comme tel, et, par un arrêté dont je ne t'envoye pas copie, en ce qu'il me flate trop, il a fixé mon traitement à 18 l. par jour. C'est beaucoup, sans doute, pour ne pas dire trop : 6.480 l. par année sont plus qu'il ne faut pour faire vivre à l'aise un véritable sans culotte. Mais, en comparant ce traitement avec celui du président et celui de mon autre compagnon de voyage, payés l'un et l'autre sur le pied de 8.000 l., si je considère mon travail, et que je le compare au leur, je vois que je gagne mes 18 francs, et alors adieu ma modestie.

Si, d 'un côté, j'ai à me féliciter de mon sort, sous le raport du produit et de quelque considération de la part de gens qui s 'y connoissent, j'ai, en revanche, à me plaindre sous un autre raport plus essentiel ; et ce seroit trahir et la République et ton choix, que de me taire sur cet article.

Oui, mon cher patron, je le dis avec regret ; mais la vérité m'y force ; l'un, avec une sorte de capacité, ne fait rien ; des amusemens, des parties de plaisir ; des femmes, voilà ce qui l'occupe ; une maîtresse connue publiquement et d'autres Laïs trop exercées pour craindre la critique, l'obsèdent sans cesse ou le sont sans cesse par lui. Tout en parle, tout se flate d'arriver jusqu'à lui par ces canaux et de séduire, pour ne pas dire corrompre le Tribunal.

L'autre, doué d'une nullité radicale, ne fait précisément que le contraire de tout ce qu'il devroit faire. S'il touche à une affaire, c'est pour l'embrouiller. On s'adresse à lui : alors la Loi qui interdit aux détenus toute communication verbale ou par écrit devient illusoire. Si je parle, on me dit : « Je me charge de tout ; tout est sous ma responsabilité ». Un prisonnier veut-il mettre la main sur des objets qui sont sous les scellés, il s'adresse à lui ; sur sa parole les scellés se lèvent, sans ordonnance qui le permette. Je représente, je crie, et toujours on me dit : « Je me charge de tout ; tout est sous ma responsabilité. » Enfin, dans tout ce qu'il fait, les formes, la Loi, tout est violé. Des sollicitations continuelles sont souffertes, accueillies, etc.

Et quand l'intérêt de la République me permettroit de me taire sur de tels abus, n'ai-je donc pas été nommé par le Comité de Salut public sur ta présentation ? Est-ce que je ne dois pas envisager d'ici tous ceux qui contemplent le Tribunal de Brest ? A Paris on sait que j'y suis ; (sic) on sait que j'y suis le seul qui sache son métier ; hé bien, dans cette persuasion, imaginant que je dirige tout, aussitôt qu'une sottise sera apperçue, elle sera mise sur mon compte. Et cependant non seulement je l'aurai condamnée, mais j'aurai fait pour l'empêcher, tout ce qui aura été en mon pouvoir. Ajoute au tableau que je te fais de l'homme nul et nuisible, que depuis qu'il est à Brest, il n'a pas été trois jours sans être ivre, et même quelquefois au point de tomber. C'est qu'en considération d'un certain frère, qu'à bon droit je nomme Tartuffe, les vins et les liqueurs d'autrui pleurent et ne coûtent rien.

Mon cher patron, mes besoins sont bien réels ; ils sont au-dessus de toute expression ; j'ai un grand intérêt à conserver ma place ; mais il faut que je. vive ici avec les deux êtres que tu connois, je te demande en grâce de me faire rappeler au plutôt. Dussé-je périr de misère, je ne veux pas être réputé complice de gens qui se conduisent aussi mal.

Salut et fraternité

BONNET

Secrétaire de l'acc. public.

(Arch. Nat. W. 500 2me dossier, pièce 120).

 

VI. — LETTRES À FOUQUIER

Le 21 messidor, Bonnet écrit à Fouquier-Tinville :

« Citoyen mon patron.

« Pas un mot, de ta part, ne m'est encore parvenu ici ; cependant je t'ai écrit plusieurs fois, ainsi qu'à Coffinhal ; je vous ai même envoyé, par l'huissier Auvray, 6 bouteilles de rhum à chacun. Vous ont-elles été remises ? Je les avais encaissées avec soin. Votre silence, à l'un et à l'autre, m'étonne et m'afflige. Que vous ai-je donc fait à tous deux pour me priver ainsi de vos nouvelles ?...

« Quel tribunal, bon Dieu, que le nôtre J'y suis, je le jure, le seul homme révolutionnaire. Que de coupables, acquittés et libres ! Est-ce par le fait du jury ? Non. C'est l’ouvrage de celui qui pose la question, et tu sais bien qui... Pourquoi la question est-elle toujours l'ouvrage du seul président ?... Je pense que la question doit être posée, après avoir été délibérée, arrêtée et signée en Conseil, par le président et l’accusateur public. Le concours de l'accusateur me parait là d'autant plus nécessaire, que non seulement il est le procureur de la République, partie essentiellement intéressée ; mais encore plus en état que les juges, d’apprécier à sa valeur une affaire qu'il a examinée, qu'il a traitée et dont il connaît parfaitement les circonstances.

« Cependant quand je parle du concours de l'accusateur, j'entends un accusateur qui ait une opinion à lui ; j'entends moi, par exemple... »

« ... Que ferois tu à ma place ? Voyant autour de toi, 4 juges, un accusateur et deux autres substituts ; voyant faire tout le contraire de ce qui doit être fait, tu dirois : « Je ne veux pas rester plus longtemps avec les sept péchés mortels ; tu demanderais ton rappel... »

 

Et il lui demande de le tirer « de l'enfer où il est. » Puis il s'entretient de l'affaire de l'escadre de Quiberon pour laquelle Donzé-Verteuil entretient à Brest, depuis quatre mois, « environ 60 témoins à 9 livres par jour chacun ; et les frais de route pour l'arrivée d'un seul ont coûté 4.000 livres. »

(Arch. Nat. W. 500 — 2e dossier pièce 121.)

 

* * * * * * * * * *

 

VII. — PROCÈS DANTON

Extrait du procès-verbal de la Convention nationale du quinzième jour de germinal l'an II de la République française une et indivisible.

 

Rapport fait au nom des Comités de Salut public et de Sûreté générale.

L'accusateur public du tribunal révolutionnaire nous a mandé que la révolte des coupables avait fait suspendre les débats de la justice jusqu'à ce que la Convention Nationale ait statué.

Vous avez échappé aux dangers le plus grand (sic) qui jamais ait menacé la Liberté ; maintenant tous les complices sont découverts et la révolte de ces criminels aux pieds de la justice même intimidés par la Loi explique le secret de leur conscience, leur désespoir, leur fureur tout annonce que la bonhomie qu'ils faisoient paroître étoit le piège le plus hypocrite qui ait été tendu à la Révolution. Quel innocent s'est jamais révolté devant la Loi ! Il ne faut plus d'autres preuves de leurs attentats que leur audace. Quoi ? ceux que nous avons accusés d'avoir été les complices de Dumouriez et d'Orléans, ceux qui n'ont fait une révolution qu'en faveur d'une dynastie nouvelle, ceux-là qui ont conspiré pour le malheur et l'esclavage du peuple mettent le comble à leur infarnie.

S'il est des hommes véritablement amis de la Liberté, si l'énergie qui convient à ceux qui ont entrepris d'affranchir leur pays est dans leurs cœurs, vous verrez qu'il n'y a plus de conspirateurs cachés à punir, mais des conspirateurs à front découvert qui, comptant sur l'aristocratie avec laquelle ils ont marché depuis plusieurs années, appellent sur le peuple la vengeance du crime. Non, la Liberté ne reculera pas devant ses ennemis et leur coalition découverte. Dillon, qui ordonna à son armée de marcher sur Paris, a déclaré que la femme de Desmoulins avoit touché de l'argent pour exciter un mouvement pour assassiner les patriotes et le Tribunal révolutionnaire.

Nous vous remercions de nous avoir placé au poste d'honneur. Comme vous, nous couvrirons :la patrie de nos corps. Mourir n'est rien pourvu que la Révolution triomphe. Voilà le jour de gloire. Voilà le jour où le Sénat romain lutta contre Catilina. Voilà le jour de consolider pour jamais la Liberté publique.

Vos Comités vous répondent d'une surveillance héroïque. Qui peut vous refuser sa vénération dans ce moment terrible où vous combattez pour la dernière fois contre la faction qui fut indulgente pour vos ennemis et qui aujourd'hui retrouve sa fureur pour combattre la Liberté.

Vos Comités estiment peu la vie. Ils font cas de l'honneur. Peuple tu triompheras. Mais puisse cette expérience te faire aimer la Révolution par les périls auxquels elle expose tes amis. Il était sans exemple que la justice eût été insultée. Et si elle le fut, ce n'a jamais été que par des émigrés insensés prophétisant la tyrannie. Hé bien ! les nouveaux conspirateurs ont récusé la Conscience publique. Que faut-il de plus pour achever de nous convaincre de leurs attentats ? Les malheureux, ils avouent leurs crimes en résistant aux loix. Il n'y a que les criminels que l'équité terrible épouvante. Combien étoit-il (sic) dangereux tous ceux qui sous des formes simples cachoient leurs complots et leur audace. En ce moment on conspire dans les prisons en leur faveur ; en ce moment l'aristocratie se remue. Les lettres que l'on va vous lire vous démontreront vos dangers.

Est-ce par privilège que les accusés se montrent insolents ? Qu'on rappelle donc le Tyran, Custine et Brissot du tombeau ? Car ils n'ont point le privilège épouvantable d'insulter leurs juges.

Dans le péril de la patrie, dans le degré de majesté où nous a placé le peuple, marquez la distance qui vous sépare des coupables. C'est dans ces vues que vos comités vous proposent le décret suivant.

Et, sur la motion d'un membre, la Convention nationale décrète que le rapport du Comité de Salut public, le procès-verbal des administrateurs au département de police de la commune de Paris seront envoyés au tribunal révolutionnaire avec injonction au président d'en donner lecture pendant la séance.

Décrète en outre que le rapport et les pièces seront imprimées et insérées au bulletin.

Visé par l'Inspecteur

Signé : AUGER.

 

Collationné à l'original par nous, secrétaires de la Convention, à Paris, le 15 germinal l'an II de la République. Signé : PEYSSARD. LEGRIS. BEZARD et BAUDOT.

(Arch. Nat. W. 500 2e dossier pièce 27.)

 

VIII. — PROCÈS DANTON

Décret du 15 germinal de l'an deuxième de la République française une et indivisible portant que tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera à la justice nationale sera mis hors des débats et jugé sur-le-champ.

 

La Convention nationale décrète que le tribunal révolutionnaire continuera l'instruction relative à la conjuration de Lacroix, Danton, Chabot et autres ; que le président employera tous les moyens que la loi lui donne pour faire respecter son autorité et celle du tribunal révolutionnaire et pour réprimer toute tentative de la part des accusés pour la tranquillité publique et entraver la marche de la justice.

Décrète que tout prévenu de conspiration qui résistera ou insultera à la justice nationale sera mis hors des débats et jugé sur-le-champ.

(Arch. nat. W. 500. 2e dossier pièce 26).

 

IX. LA « CONSPIRATION » DILLON AU LUXEMBOURG DÉNONCÉE PAR LE « MOUTON » LAFLOTTE.

 

Le 14 germinal, entre six et sept heures du soir, étant entré dans une chambre occupée par plusieurs détenus et entr'autres par Dillon, je trouvai ce dernier assis à un bureau, occupé à écrire. Un quart d'heure après, Dillon, que je ne connais que depuis huit jours que je suis détenu au Luxembourg, s'approcha de moi et, me tirant à part, me demanda si j'avois connaissance de ce qui s'était passé au tribunal révolutionnaire. Sur une réponse négative de ma part, il me dit alors que Danton, Lacroix, Hérault, etc., avoient dit. ne vouloir parler qu'en présence de Robespierre, Barère, Saint-Just et autres membres, que le peuple avoit applaudi, mais que le jury avait écrit à la Convention nationale à ce sujet ; elle avoit passé à l'ordre du jour ; que le peuple, à la lecture du décret, avoit donné des marques éclatantes d'improbation. Il ajouta qu 'il venait d'écrire une lettre à la femme de Camille Desmoulins ; qu'il mettoit mille écus à sa disposition pour pouvoir soudoyer du monde pour entourer le tribunal révolutionnaire. Il m'ajouta que ce qu 'il craignoit étoit que les comités de Salut public et de Sûreté générale ne fissent enfoncer la Conciergerie et assassiner tous les prisonniers et que, de là, on ne se portât aux autres prisons pour égorger les détenus, qu'il falloit en conséquence que les gens de tête et de cœur prissent des mesures rigoureuses de défense ; que le plus saint des devoirs étoit de réprimer l'oppression ; qu'il falloit la République, mais la République libre. Il m'ajouta : « J'ai un projet concerté avec Simon[5] le député qui est une bonne tête. Je vous l'amènerai et je tâcherai d'amener aussi Thouret. Prévoyant alors que je pourrois découvrir leur plan et être utile à la chose publique et peut-être sauver la liberté, j'eus l'air d'abonder dans leur sens. Je convins de me trouver dans ma chambre, seul, à les attendre. Alors Dillon remit au garde-clefs nommé Lambert la lettre pour la femme de Camille Desmoulins, après avoir préalablement coupé sa signature, précaution exigée par le porte-clefs. Je sortis de la chambre de Dillon et me retirai dans la mienne pour les y attendre. Là, rendu à mes réflexions, je sentis de nouveau l'importance qu'il y avoit de surprendre le plan de deux audacieux qui, n'ayant plus rien à ménager, pouvoient tout oser. Je me préparai donc à dissimuler et les attendis.

A huit heures et demie entrèrent dans ma chambre Simon et Dillon. Ce dernier me répéta les nouvelles du tribunal révolutionnaire. Il m'ajouta que 27 sections demandoient les assemblées primaires et que l'ont crioit dans Paris : A bas la dictature ! à bas la tyrannie ! Simon confirma ces nouvelles et il ajouta que la femme Chaumette venoit de passer par le Luxembourg et y avoit fait des signes de contentement à son mari, en battant des mains. Alors Dillon, prenant la parole, mit en mouvement toutes les passions qui peuvent flatter l'amour-propre et exciter l'ambition qu'ils me supposoient sans doute, m'appellant le restaurateur de la liberté, m'assurant que Danton et Hérault ne voulaient que la République. Quand il crut m avoir bien convaincu, il me dit : « Il faut que cette nuit décide de notre liberté. » Il ajouta qu'il avait 200 hommes dans la prison à ses ordres et que Simon en avait une quarantaine. Je l'interrompis et lui dit que trop de précipitation gâteroit tout ; qu'un mouvement partiel, dans une prison, ne serviroit qu'à faire des victimes sans rien opérer ; qu'il falloit, pour bien faire, ne forcer la prison que lorsque le mouvement du dehors prouveroit que l'on le pourroit faire avec fruit et qu'alors on pourroit se mettre à la tête du peuple. Simon prit la parole et dit que la chose pouvoit se faire de nuit,qu'alors, au lieu de se porter vers le tribunal, il faudrait aller vers le Comité de Salut public et l'égorger. Il nous détailla ensuite son plan. Il falloit d'abord mettre l'alarme dans la prison, réunir les prisonniers, leur faire voir la Conciergerie égorgée, les entraîner dehors. Dillon deyoit se charger de la conduite de la force armée. Il prétendoit avoir à lui l'écrivain et un guichetier, par leur moyen auroit forcé la garde, obligé l'officier de déclarer le mot de l'ordre et marché sur le champ vers le Comité. La troupe l'auroit entouré et gardé les trois issues. Alors Simon entra dans le détail du local. Une quantité d'hommes déterminés devoit entrer dans la première salle où sont les garçons de bureau, passer outre, se disant chargés de commissions importantes, passer également dans la seconde où on pourroit trouver quelques députés ; enfin, pénétrer dans la salle du Comité et poignarder les membres qui siégeroient ; de là, sortir et crier dans les rues et aux sections : « Vive (sic) les fondateurs de la République ! A bas la dictature et la tyrannie ! » Dillon vouloit exécuter ce plan la nuit même. Alors, ayant l'air de combattre quelques idées et d'en approuver d'autres, je fis ajourner le plan au lendemain. Simon fut de mon avis. Nous nous quittâmes en nous promettant un secret inviolable. Le même soir, pour ne pas donner de suspicion à Dillon, je suis descendu chez lui et j'ai fait deux robes de wisk. J'ai passé une nuit très agitée et l'œil ouvert, craignant qu'il ne prît fantaisie à Dillon d'exécuter son plan au milieu de la nuit. Ce matin, je me suis levé au jour. J'ai été avertir le concierge par l'entremise de Cambors de ce qui se passait. Là, j'ai su d'un autre détenu nommé Meunier que Dillon lui avoit débité les mêmes nouvelles et l'avoit présenté, mais que ne l'ayant pas trouvé disposé à l'écouter, iljlui avait dit : « Eh bien ! je vais me consulter avec Simon, Thouret et Laflotte fils.

Signé : Alex. LAFLOTTE

ministre résident de la République ci-devant à Florence.

(Plus bas est écrit) : « Déclaration à remettre au Comité de Salut public[6]. »

 

X. — RÉCLAMATIONS DES PRISONNIERS AU SUJET DE LEURS DÉCADES

Au citoyen Fouquier Tainville accusateur public.

En faisant la visite du Plessis, je viens, mon camarade, de recevoir une foule de réclamations de la part des détenus qui attendent leurs 50d depuis 6 jours. Ces individus meurent de faim et se plaignent avec raison de la négligence de tes subordonnés. Je sais qu'il n'y a pas de ta faute dans ce retard. Mais donne encore de nouveaux ordres pour qu'on t'obéisse une bonne fois.

Salut et fraternité.

GRANDPRÉ[7].

Ce 26 germinal l'an II de la rép. fr.

(Arch. Nat. W. 500. 4e dossier, p. 37).

 

XI. — PIÈCE PROUVANT QUE FOUQUIER-TINVILLE ALLAIT DANS LES PRISONS ET QU'IL DRESSAIT DES LISTES.

Paris, 26 prairial an second de la République française une et indivisible, 10 heures du soir.

L'accusateur public près le tribunal révolutionnaire au citoyen Lanne adjoint de la Commission des administrations civiles de police et tribunaux.

Citoyen,

Cy-joint l'état des prévenus trouvés dans notre opération faite aujourd'hui à Bicêtre. Je t'invite à me faire passer demain à 10 ou 11 heures au plus tard toutes les pièces de cette affaire, notament les arrêtés.

Salut et fraternité

A.-Q. FOUQUIER.

Au citoyen Lanne adjoint de la Commission des administrations civiles de police et tribunaux.

(Arch. Nat. W. 500, 1er dossier, pièce 5).

 

XII. — SUBLEYRAS, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION POPULAIRE DU MUSÉUM, ÉCRIT A FOUQUIER-TINVILLE POUR LUI ANNONCER SA VISITE ET LUI DIRE QU'IL ENTEND SE CONCERTER AVEC LUI AU SUJET DE CERTAINES MISES EN JUGEMENT. IL LUI CONSEILLE DE SE TENIR EN RAPPORTS ÉTROITS AVEC LES COMITÉS RÉVOLUTIONNAIRES.

Paris, le 7 thermidor l'an II de la République à onze et demie du soir.

La Commission populaire au citoyen Fouquier accusateur public près le tribunal révolutionnaire.

Citoyen,

En réponse à ta lettre de ce jour d'hui qui vient de m'être remise je commence par te dire que jusqu'à hier nous avons remis au bureau des détenus du Comité de Salut public, avec les feuilles de nos jugements, les pièces que nous avons eues relativement à chacun des détenus de manière qu'il nous est impossible de te rien envoyer pour ceux que tu nous a indiqués.

En second lieu, nous avons fixé nos décisions surtout au commencement de nos travaux, soit sur les tableaux remis par les Comités révolutionnaires et pièces y jointes, soit sur les renseignements que nous prenions auprès de ces Comités. C'est donc là que tu pourras puiser les renseignements et pièces dont tu auras besoin. Il est des affaires et beaucoup où l'assertion signée des Comités, surtout lorsque nous avons été persuadés de leur patriotisme, a suffi pour nous décider à renvoyer au Tribunal. Il en est encore où, certains de l'existence de telle pièce dans un Comité révolutionnaire, nous n'avons pas cru devoir retarder notre jugement pour en attendre l'expédition. Eh bien ! dans tous les cas, je le répète, tu trouveras les renseignemens nécessaires dans les comités. Appelle-les auprès de toi ; donne-leur la note des détenus. Exhorte-les à te porter les pièces ou originales ou par copie qu'ils ont en main et à renvoyer les membres des Comités les plus instruits pour déposer sur les faits que le Comité aura assuré dans son tableau ; par exemple, pour la femme Quérouan[8] qui a suivi les fédéralistes dans le département du Calvados, il y a dans le Comité révolutionnaire de la section du Bonnet rouge deux membres qui, ayant été commissaires dans ce pays rebelle, ont appris sur cette femme des faits très graves. Je crois que nous les avons indiqués et nous avons fait tout notre possible pour te faciliter dans tes opérations. Je ne puis pas t'en dire davantage ce soir. Demain matin je viendray te voir de bonne heure et nous nous concerterons sur le tout. Il est intéressant que nous établissions un moyen de correspondre avec exactitude et rapidité.

Bonsoir

SUBLEYRAS.

(Arch. nat. W. 501. 1er dossier, p. 32.)

 

XIII. —LA CONDAMNATION DE M. PUY-DE-VERINE 9 THERMIDOR AN II.

Tribunal révolutionnaire. — Jugement du 26 pluviôse an 3. — En la chambre du Conseil. Pour Puy-Rony.

Vu par le Tribunal révolutionnaire, établi au Palais de Justice à Paris, la requête à lui présentée par Jean-François-Pierre Puy-Rony, par laquelle il expose que, par jugement de ce tribunal en date du 9 thermidor dernier, il eut le malheur de perdre les citoyen et citoyenne Puy de Vérine, ses père et mère, le premier âgé de soixante-dix ans, sourd et aveugle depuis trois années ; qu'il ne lui avoit été délivré par le greffier que des extraits informes de ces jugemens qui semblent impliquer des contradictions évidentes ; qu'il lui importe essentiellement pour apuyer les réclamations qu'il est dans le cas de faire, d'avoir une connaissance détaillée et exacte, tant des dix jugements que des pièces à l'appuy d'iceux, pourquoi il requiéroit qu'il plût au tribunal autoriser son greffier à lui délivrer une copie figurée du procès verbal d'audience, de l'acte d'accusation, des questions et du jugement de ses dits père et mère pour lui servir au besoin ; la dite requête duement signée J. P. F. Puy Rony. L'ordonnance de soit communiquée à l'accusateur étant ensuite en date du vingt-trois du présent. Signée Agier président. Les conclusions du substitut de l'accusateur public étant en marge du même jour. Signée Ardenne et tout considéré.

Le Tribunal, après en avoir délibéré en la chambre du conseil fesant droit sur la demande attendu que les greffe est un dépôt public où les familles intéressés ont incontestablement le droit de prendre tous les renseignements et actes qui leur sont nécessaires, autorise son greffier à délivrer au réquérant expéditions figurées des procès-verbal d'audience, de l'acte d'accusation, des questions et du jugement des dits Puy-de-Verine et sa femme, ses père et mère.

Fait et jugé en la Chambre du conseil, le vingt-six pluviôse l'an troisième de la république française. Présents les citoyens

AGIER. PISSIS. ARDINET.

(Arch. Nat. W. 433, n° 973, pièce 1.)

 

XIV. — ACTE CERTIFIANT L'ÉTAT DE SANTÉ OU SE TROUVAIT M. DURAND PUY DE VÉRINE, AGÉ DE 70 ANS, LORSQU'IL FUT COMDAMNÉ A MORT COMME « CONSPIRATEUR », LE 9 THERMIDOR AN II.

Aujourd'hui vingt-neuf nivôse an troisième de la république française une et indivisible.

Est comparut par devant nous Claude-Charles Pointard, juge de paix de la section des Droits de l'homme en la Commune de Paris y demeurant rue Pavée n° 1er.

Jean-François-Pierre Puy de Rony, citoyen, demeurant rue des Francs Bourgeois dans l'étendue de notre section, fils de Durand-Pierre Puy-de-Verine et de Marie-Marguerite Barckaus son épouse, demeurant susdite section, rue des Francs-Bourgeois.

Lequel nous a requis de recevoir les déclarations des citoyens témoins ici présents pour constater l'état où étoit le feu citoyen Puy-de-Verine son père depuis nombre d'années et notament lors de son jugement par le tribunal révolutionnaire en date du neuf thermidor dernier.

A quoi obtempérant, nous avons reçu les déclarations des citoyens cy après nommés.

1° Jean-Nicolas-François Vauguyon, citoyen, demeurant maison dudit feu citoyen Puy-de-Verine.

2° François-Jacques Brosset, citoyen, demeurant susdite maison.

3° Louis Léger, citoyen, demeurant sus dite maison.

4° Charles Laurent matelassier demeurant Vieille rue du Temple n° 60, de cette section et gardien établi chez ledit citoyen deffunt Puy-de-Verine depuis le sept germinal dernier, jour de leur arrestation chez eux et où il est encore gardien.

5° Rémy Bigot, employé, demeurant Vieille rue du Temple n° 61, de cette section.

6° Jean-Baptiste Berger, marchand boulanger, demeurant sus dite rue et section.

7° François Budelot, cocher, demeurant susdite rue des Francs Bourgeois, section de l'Indivisibilité.

8° Alexis-Jean-Catherine-Cyr Mefrait, employé, rue Payenne, section de l'Indivisibilité.

9° Pierre Hordequin, employé, même rue et section.

10° Antoine Lanfranc Arnoult, citoyen, demeurant rue Grenelle Honoré, section de la Halle aux bleds.

11° Alexandre-Louis Geoffroy, citoyen, demeurant rue de Paradis, section de l'Homme armé.

12° Etienne-François Mathenay, employé, rue des Francs Bourgeois, section de l'Indivisibilité.

13° Louis Lenoir, citoyen, même maison et section.

14° Jean-Baptiste Dagé, citoyen, même maison et section.

15° François Delettre, chapellier, Vieille rue du Temple, section des droits de l'Homme.

16° Jean-Jacques Allard, négociant, rue des Francs Bourgeois, susdite section.

17° François Legagneur, portier, susdite rue et section. Tous lesquels comparants nous ont dit et déclaré en leur âme et conscience qu'ils ont parfaitement connaissance que ledit citoyen Durand-Pierre Puy-de-Verine étoit sourd et aveugle depuis huit ans environ et que l'on étoit obligé même de le faire manger et dans un état approchant de l'enfance, oubliant les trois quarts dès choses les plus urgentes à la vie, qu'il étoit attaqué d'une descente et que, depuis un an, il laissait tout aller sous lui, et que, dans cet étal, il lui étoit impossible de le quitter un instant ; que lorsqu'il fut conduit en prison, il étoit absolument dans le même état et qu'il étoit alors âgé de soixante-neuf ans et demi et que son état de démence où il étoit, ce jour-là, lui fit ignorer où on le transferroit (sic).

Ajouttant déplus le citoyen Laurent, gardien, l'un des comparants, que -l'on eut toutes les peines du monde à pouvoir lui faire entendre ce dont il s'agissoit à son égard et le citoyen Budelot, aussi l'un des comparants, lors cocher du Tribunal Révolutionnaire déclare que lorsque l'on fut obligé de le descendre de la voiture, le huit thermidor, en le transferrant du Luxembourg à la Conciergerie, c'est ce que put faire trois gendarmes et lui déclarant de le descendre de sa voiture et qu'on fut obligé sur le champ de le changer, ayant tout fait sous lui.

Desquelles déclarations et affirmations cy-dessus, nous avons lu à tous les dits comparants, lesquels ont tous déclaré contenir vérité, être sincère et véritable et y persister ; nous ont requis de leur en donner acte, pour servir et valoir ce que de raison et ont tous les comparants signé avec nous. Signé : Puy de Rony, Vauguyon, Arnoult, Mefrait, Hordequin, Lenoir, Beudelot (sic), Bigot, Geoffroy, Mathenay, Berger, Legagneur, Léger, Laurent, Brosset, Delettre, Dagé, Allard et Pointard et Rives. Au-dessous est écrit.Enregistré à Paris le trois pluviôse an troisième de la République par Conchies qui a reçu vingt sols.

Délivré conforme à la minute, par moi greffier soussigné.

RIVES.

(Arch. Nat., W. 501. 1er dossier, pièce 44).

 

XV — SUPPLÉMENT AU PREMIER MÉMOIRE JUSTIFICATIF D'ANTOINE-QUENTIN FOUQUIER EX-ACCUSATEUR PUBLIC PRÈS LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.

Un autre texte de ce mémoire supplémentaire, également écrit de la main de Fouquier, se trouve dans le 2e dossier de W. 500, sous la cote 35. Ces deux textes sont les mèmes, à l'exception de très légères variantes. Exemple : la pièce du 2e dossier porte : « Dans le mémoire que j'ay fourni Il au lieu de « par moy fourny ». Ils portent la même date.

 

Citoyens représentants.

Dans le mémoire par moy fourny le seize thermidor aux deux Comités de Salut public et de Sûreté généralle réunis, je n'ay répondu qu'en général aux délits à moy imputés d'avoir fait juger des patriotes parce que j'ignorois qu'il eût été question de l'affaire des frères Edelman, Pesche et autres de Strasbourg.

Quoique je n'ay pas sous les yeux les pièces de cette affaire, je vais y répondre. Le Bas et Saint-Just en mission dans les départemens des Haut et Bas-Rhin y ont fait arrester Schneider, ex-accusateur public de la Commission militaire lequel a été convaincu d'exactions, concussions, viols et crimes de tous les genres : ces délits sont consignés dans les pièces déposées au greffe du tribunal.

Les frères Edelmann, Pesche et quelques autres étoient ses partisans et ses coopérateurs : ils déclamèrent à la tribune de la société de Strasbourg contre cette arrestation et contre les opérations, en général, des représentants du peuple, les traitèrent de désorganisateurs et de cannibales, de manière que Lebas et Saint-Just les firent arrêter et traduire au tribunal. Ces déclamations avoient lieu à peu près lors de la découverte de la faction d'Hébert. Saint-Just et Le Bas jouissoient, à cette époque, d'une confiance entière dans l'assemblée. Les pièces relatives à cette affaire m'ont été transmises par le Comité de Salut public. J'ay dressé l'acte d'accusation sur ces pièces. Et dans le cours de ses débats j'ay eu l'attention de faire remarquer que ces prévenus avoient donné de grandes preuves de patriotisme depuis la Révolution. J'ay fait valloir à cette fin toutes les attestations qu'ils me produisirent. Mais plusieurs de ces attestations étant démenties par des rétractations postérieures de la société régénérée de Strasbourg, toutes jointes aux pièces qui sont au greffe du tribunal : un seul de ces accusés a été innocenté. Où est donc mon délit dans cette affaire ? Pouvois-je me refuser à dresser acte d'accusation et mettre en jugement ces individus traduits par des représentants du peuple dans le cours de leur mission ? Je ne le pouvois pas plus que ceux traduits par la Convention. La Loy m'en imposait le devoir. Si j'avois omis de faire valloir les faits justificatifs de ces prévenus, j'aurois eu tord ; mais il est notoire que je l'ay fait avec le plus grand scrupule. Les débats, à leur égard, malgré la rigueur de la loy du 22 prairial, ont duré près de trois heures. Ces faits sont connus.

Il est une réflexion importante, citoyens représentants, que je vous invite à peser dans votre sagesse : c'est que depuis seize mois que j'ay exercé ce ministère rigoureux d'accusateur public, j'ay provoqué le jugement de plus de deux mille quatre cent contre-révolutionnaires tous plus forcenés les uns que les autres. Il n'est point de fortune, point d'égards qui aient pu m'arrester. L'exécution des loix, la justice et l'humanité, telle a toujours été ma règle de conduite : cette marche ferme et invariable m'a procuré un nombre d'ennemis incalculable parmy les aristocrates et autres. Voilà d'où dérivent toutes les imputations qui me sont faittes. Devois-je m'attendre à un semblable sort, moy qui depuis seize mois n'ay pas fréquemment dormy trois heures par nuit. Jamais une demande en liberté n'a été faitte par moy aux Comités que pour des patriotes et des malheureux. Comment d'après une pareille conduite puis-je être taxé d'avoir fait le procès aux patriotes. Je m'en repose toujours sur votre justice.

A. Q. FOUQUIER.

Ce dix-sept thermidor.

(Arch. nat. W. 500. 1er dossier, pièce 140.)

 

XVI. - MÉMOIRE GÉNÉRAL ET JUSTIFFICATIF POUR ANTOINE-QUENTIN FOUOUIER EX-ACCUSATEUR PUBLIC PRÈS LE TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE ÉTABLY À PARIS.

Citoyens représentants.

Dépouillé de toutes pièces je vais vous présenter ma déffense d'après ce que me fournira ma mémoire. Elle sera sans apprèt, mais elle sera l'expression de la vérité.

Je vous invite d'abord, citoyens représentants, à peser dans votre sagesse la réflexion généralle suivante : c'est que pendant seize mois que j'ay exercé le ministère rigoureux d'accusateur public, j'ay provoqué le jugement de plus de deux mille quatre cent contre-révolutionnaires, tous plus forcenés les uns que les autres. Il n'est point de sollicitations, de quelque espèce qu'elles aient été, qui aient pu m'arrester ; l'exécution des loix émanées de la Convention, la justice et l'humanité, voilà qu'elle a été ma règle de conduite : aussi cette conduite ferme et invariable m'a-t'elle procuré un nombre d'ennemis incalculable et c'est de là que dérivent les prétendus délits qui me sont imputés :

1° Je suis accusé d'avoir dressé des actes d'accusation contre des patriotes ; la compulsion seule des registres du greffe du tribunal repousse cette accusation ; car, en les compulsant, on demeurera convaincu que toutes les accusations pour la plupart ont été dirigées contre des conspirateurs forcenés : comment a-t-on pu m'accuser d'un pareil délit, moy qui ay fait juger Marie-Antoinette, Elizabeth, les généraux Custines, Houchard, Daoust et autres traîtres, les fédéralistes, les parlementaires, les financiers et les banquiers tous coalisés contre la liberté : je n'ay aucun souvenir d'avoir dressé des actes d'accusation contre des patriotes ; il seroit cependant possible qu'il y en ait eu quelques-uns dirigés contre des patriotes ; ce seroit certainnement un malheur qui ne me rendrait nullement coupable ; car tout le monde sçait que dès qu'il existe des dénonciations et des charges à la connaissance de l'accusateur public, la Loy lui impose le devoir rigoureux de diriger des poursuites contre les prévenus indiqués et de dresser acte d'accusation contre eux : aux jurés seuls il appartient d'apprécier dans leur sagesse le mérite de l'accusation ; et tout ce que prescrivent en pareil cas à l'accusateur public les lois de la probité et de l'humanité, c'est de faire valloir vis à vis les jurés la déffense des accusés : or, il est notoire dans le tribunal que je n 1ay jamais négligé de remplir cette tache glorieuse : ainsi cette accusation n'auroit jamais dû être dirigée contre moy, évidemment connu pour avoir, dans tous les temps, favorisé l'innocence opprimée, le pauvre et le patriote.

Le délit qui paroit m'être imputé est d'avoir dressé acte d’accusation contre les frères Edelmann, Pesche et autres de la commune de Strasbourg : Saint-Just et Lebas en mission dans les départements des Haut et Bas-Rhin y ont fait arrester Schneider[9] lequel a été convaincu d 'exactions, concussions, prévarications, viol, et autres crimes de tous les genres ; les frères Edelmann et autres étoient ses partisans et ses coopérateurs ; ils déclamèrent dans la tribune de la Société populaire de Strasbourg contre cette arrestation et en général contre les opérations des représentants du peuple, les traitèrent de désorganisateurs et même de cannibal (sic) ; Saint-Just et Le Bas les firent arrester et traduire au tribunal. Les pièces m ayant été transmises par le Comité de Salut public, j'ay dressé l'acte d'accusation sur le vu d'icelles ; il est à remarquer que ces déclamations avaient lieu à Strasbourg à peu près dans le même temps de la découverte de la faction d'Hébert et que Le Bas et Saint-Just jouissoient à cette époque de la confiance la plus entière dans la Convention.

Il est encore à remarquer que dans le cours des débats j'ay eu l’attention d’indiquer aux jurés que ces prévenus avoient donné de grandes preuves de patriotisme depuis la Révolution ; j'ay fait valloir à cette fin toutes les attestations qu’ils m'ont produit (sic), mais la majeure partie des attestations étant démentie par des rétractations postérieures de la Société régénérée de Strasbourg, toutes jointes aux pièces du procès qui sont au greffe du tribunal, un des prévenus a été seulement acquitté ; où est donc mon délit dans cette affaire ? pouvois-je me refuser à mettre en jugement des individus traduits par des représentants du peuple ? non : pas plus que ceux traduits par la Convention ; si j'avois omis de faire valloir les faits justifficatifs de ces accusés, je m'en ferois un reproche, mais il est notoire que je l'ai fait avec le plus grand scrupule ; et les débats à leur égard, malgré la rigueur de la loy du 22 prairial dernier lors existante ont duré, près de trois heures : ces faits sont récents et connus dans le tribunal et dans le public.

L'on pourroit donc m'accuser aussi d'avoir dressé acte d'accusation coutre Vauquoy, cy devant secrétaire employé aux Jacobins et autres : car il est peu d'individus qui se soit montré à Paris par des actes de patriotisme plus marqués que lui • cependant dans les différentes missions qui lui ont été confiées, notamment dans le département de l'Ysère, ce Vauquoy et ses complices ont commis des crimes atroces : l'abus d 'autorité, la destitution, et. l 'incarcération arbitraire des autorités, le vol, le pillage, le viol et l'assassinat, tout a été commis par eux ; ils ont été traduits au tribunal par le Comité de Sûreté généralle, j'ay dressé acte d'accusation sur le vu des pièces transmises ; ils ont été convaincus et condamnés ; la loy me prescrivoit-elle une autre marche à leur égard ? non certainement.

Je suis aussi accusé d'avoir été l'une des créatures de Saint-Just et de Robespierre ; je n'ay jamais été chez le premier, j'ignorois même sa demeure ; quant à Robespierre, j'ay été une seule fois chez lui, le jour de l 'assassinat du citoyen Collot d'Herbois, comme je me suis présenté chez ce dernier ; je n'ay point fourni de liste à Robespierre des personnes qui devoient être mises en jugement ; si cette liste lui a été fournie, elle n'a pu l'être que par le scélérat Dumas qui se rendoit tous les jours chez Robespierre et qui étoit même un de ses rédacteurs : la seule liste que je fournissois aux Comités de Salut public et de Sûreté généralle étoit celle des condamnés chaque jour, ensemble celle des individus qui devoient être mis en jugement dans le cours de la décade qui préceddoit la remise de cette liste qui n'étoit ainsi remise qu'au désir d'un arresté du Comité de Salut public qui est maintenant dans l 'un des tiroirs d'un de mes secrétaires dans mon cabinet : ces faits sont positifs et faciles à vériffier.

3° Je suis soupçonné d'avoir eu connaissance de la conspiration qui a éclaté le neuf thermidor : au nom de l'honneur, je proteste n'avoir eu connoissance de cette conjuration qu'au moment où elle a été découverte par la Convention ; je proteste pareillement qu'il ne m'en a été fait aucune ouverture par aucun des conjurés et que si l'un eux s en fût avisé j'aurois eu le courage de le dénoncer aussitôt, comme j'ay eu celui de remplir, depuis la création du tribunal, le poste périlleux que j'ay exercé.

S'il m eut été fait quelque ouverture de cette horrible conjuration et si j'y eusse trempé en façon quelconque aurois-je, le dix thermidor, requis l'application de la loy, comme je 1 ay fait, contre les scélérats Robespierre, Henriot, Fleuriot, Payan, Dumas et Saint-Just, tous reconnus pour chefs de cette conjuration ? n'aurois-je pas été dans le cas d’être indiqué par eux comme un de leurs complices ; j ay rempli mon ministère vis-à-vis d'eux avec le même zèle et avec le même courage que je l'ay toujours rempli vis-à-vis tous les conspirateurs, parce que ma conscience est pure et que je n'ay trempé ny dans cette conjuration ny dans aucune autre.

Un dernier fait démontre que jamais il ne m'a été fait aucune ouverture dans cette conjuration et que je n'y ay trempé en façon quelconque : la fuite du monstre Coffinhal, le dernier des chefs de cette conjuration me formoit un poids sur cœur ; avant mon arrestation comme depuis j ay toujours marqué le plus vif désir qu'il fût trouvé : ce monstre a été enfin arresté ; il est arrivé à la Conciergerie dans la nuit du dix-sept au dix-huit thermidor vers deux heures du matin ; il a été mis dans le même corridor où je suis et dans une chambre à dix pas de celle que j’habite, sous la garde des gendarmes - il n'a jusqu’à l'heure de cinq heures de relevée du dix-huit de se ivrer aux reproches les plus amers contre Henriot et autres conjurés, de rendre compte de tous leurs projets liberticides et monstrueux, de se vanter qu’il avait à sa disposition dix-sept compagnies de canonniers, que sans l’yvresse d’Henriot ils auroinet réussy ; eh bien, à travers tout de récit d’horreur, j’ay la consolation que ce scélérat n'a pas proféré une seule fois mon nom, et cependant, il a été informé que j'étois arresté, que j'habitois une chambre à peu de distance de la sienne : je le demande à tout être pensant, si cesçélérat m'eut fait quelque ouverture sur cette conjuration dont évidemment il étoit un des chefs, lui qui s'est plu à rendre compte de toutes les mesures qui avoient été prises par les conjurés pour réussir dans leurs infâmes projets, à se vanter de la force qu'il avoit à sa disposition, lui qui a cité, en un mot, les noms de tous les autres conjurés ses complices, auroit-il oublié de citer le mien comme ceux des autres ? cet oubli ne peut se supposer ; il demeure donc pour avéré que j'ay dit la vérité en avançant que je n'avois aucune connoissance de cette conjuration : ces faits sont faciles à vériffier en entendant la déclaration des gendarmes en très grand nombre qui ont été témoins du récit d'horreur fait par Coffinhal.

 

Je pourrois borner icy ma justiffïcation : les faits, sont clairs et précis : mais pour établir de plus en plus la franchise et la pureté de ma conduite dans tous les temps, je la développe :

 

Il y a environ quatre mois, dinant chez.le C.[10] Lecointre, député, avec le C. Merlin de Thionville et autres députés, j'ay tenu une conversation dont se rappellera sans doute le C. Merlin (car l'ayant vu le 12 thermidor au soir à la Convention, il me dit à l'occasion de cette conversation que j'avais bien raison). Le récit de cette conversation prouvera combien je me méfiais dès lors du patriotisme de Robespierre et combien je détestois son despotime :

 

Quelques jours avant le dernier renouvellement du tribunal, informé qu'on vouloit réduire à neuf et à sept le nombre des jurés qui alors étoient de onze, je crus devoir représenter au Comité de Salut public que le tribunal ayant joui jusqu'icy de la confiance publique, cette réduction la lui feroit perdre infailliblement, — en ce qu'elle fourniroit l'occasion de dire que cette réduction n'étoit imaginée que parce que les auteurs n'avoient pas trouvé assez de créatures à eux dévoués ; Robespierre, se trouvant au Comité, me ferma la bouche en disant qu'il n'y avoit que des .aristocrates qui pouvoient parler ainsy : il y avoit en ce moment quelques autres membres au Comité qui pourroient se rappeller du propos de Robespierre.

Plusieurs membres du Comité de Sûreté généralle doivent se rappeller que je leur ay fait part à différentes reprises de la peine que j'éprouvois des dispositions rigoureuses du décret du 22 prairial ; le Comité devoit même en proposer la reformation de plusieurs ; mais, en attendant, quelque rigoureux qu'ait été ce décret, mon devoir étoit de le faire exécuter et je ne pouvois ny ne devois en modifier la moindre disposition sans m'exposer à être considéré et traité comme un contre révolutionnaire. Depuis plus d'un mois les travaux multipliés de ma place ne m'ont pas permis d'aller aux Jacobins : je n'ay assisté à aucun des discours, dénonciations de prétendue conspiration et diatribes prononcés par Robespierre et ses complices Couthon et Dumas : j'en ay ouy peu parlé et je n'en ay été jamais l'approbateur ; le C. Martel député estencore dans le cas de rendre compte de quelle manière je lui ay parlé de Robespierre huit jours environ avant l'affaire du neuf, et combien j'étois peu partisan de ce despote.

Il est certain que je n'ay pas été le neuf thermidor, le jour ny dans la nuit, à la commune rebelle ; ce fait est facile à établir par la déclaration des commis du parquet, gendarmes de poste au tribunal, garçons de bureau et autres employés au tribunal : de même, il est facile d'établir que des émissaires ont été envoyés de la commune au tribunal pour en inviter les membres à se rendre dans son sein ainsy que moy ; invitation qui a été rejettéeavec le mépris qu'elle méritoit ; ce même jour je suis rentré à mon cabinet vers les six heures de relevée et ne suis sorty que dans la nuit à une heure du matin et accompagné des C. Degaigné, huissier, Reudelot et Demay, je me suis rendu aux Comités de Salut public et de Sûreté généralle reunis où j'ay parlé à une grande partie des membres et à d'autres députés qui y sont survenus notamment les C. Thuriot et Merlin de Thionville ; et je suis rentré de la même manière à trois heures demies au palais où le C. Léonard Bourdon m'a trouvé couché à cinq heures demies du matin.

Il paroit qu'on m'impute encore à délit d'avoir dressé acte d'accusation contre le C. Domain ex huissier au bureau des finances et quelques autres dont les noms ne m'ont pas été transmis : à cet égard ma réponse est laconique et précise : la commission populaire a arresté le renvoy au tribunal d'un très grand nombre de personnes détenues comme suspectes :

Comme aux termes du décret du 22 prairial il falloit que ce renvoy fût approuvé par les Comités de Salut public et de Sûreté généralle réunis avant que le tribunal pût s'occuper de ce renvoy, Domain et plusieurs autres ont été traduits au tribunal par arrestés des Comités de Salut public et de Sûreté généralle réunis des deux et trois thermidor présent mois, avec injonction à l'accusateur public de faire juger sans délay tous ces traduits : avois je autre chose à faire, en pareille occurence, sinon d'exécuter ces arrestés ? mon inaction sur ce point ne m'auroit-elle pas fait considérer comme un fonctionnaire désobéissant aux autorités constituées ? il falloit donc mettre en jugement tous ces traduits ; c'est la conduite que j'ay tenue ; Domain, à qui l'acte d'accusation avoit été notifné.a été mis en liberté le dix neuf thermidor par ordre du Comité de Sûreté généralle ; il le pouvoit, mais ny l'accusateur public ny le tribunal ne le pouvoient ; les jurés seuls avoient la faculté de déclarer le délit constant ou non constant ;il est très vraysemblable qu'il en est encore plusieurs de ces traduits qui sont dans le cas d'obtenir leur liberté : cependant l'ex-tribunal, comme tout autre nouveau, ne pourroient l'aire autrement que de les mettre en jugement ; au Comité de Sûreté généralle seul il appartient de leur accorder la liberté.

Ainsy, s'il y a délit d'avoir exécuté les arrestés des Comités de Salut public et de Sûreté généralle, je confesse que je suis coupable, je l'aurois été évidemment en ne les exécutant pas. Que falloit-il donc faire ?

L'on m'accuse enfin d'avoir appesanty la rigueur de la loy sur les patriotes : ma reponse est encore précise sur ce point : il est notoire que je n'ay jamais parlé aux Comités de Salut public et de Sûreté généralle qu'en faveur des patriotes opprimés : sept citoyens du Blanc, département de l'Aisn ont été traduits au tribunal pour un délit dont ils ont été acquittés unà voce ; aucun des cas prévus par la loy du 17 septembre n'existoit contre eux ; cependant, Dumas étoit parvenu par l'empire qu'il exerçoit au tribunal à les faire condamner à être renfermés jusqu'à la paix : indigné de ce jugement, je me suis présenté au Comité de Sûreté généralle, j'y ay reclamé leur liberté qui a été accordée et rédigée par le C. du Bas-Rhin[11] je ne connaissois pas ces citoyens malheureux ; l'humanité et la justice ont seuls déterminé ma démarche ; j'ay encore réclamé auprès du Comité de Sûreté généralle la liberté de beaucoup d'autres patriotes opprimés. Mes démarches à cet égard sont connues de plusieurs membres du Comité.

Le cinq thermidor, en vertu d'ordre d'un représentant du peuple dont je ne me rappelle pas le nom, vingt-six personnes dela communede Saint-Hostien[12] aujourd huy Montpigier ont été traduites au tribunal ; frappé de cette traduction j'en ay parlé le même soir aux Comités de Salut public et de Sûreté générale et, sans leurs grands travaux, une très grande partie de ces prévenus seroit vraysemblablement déjà mise en liberté. Ces différents exemples et d'autres que ma mémoire ne me permet pas de citer en ce moment prouvent jusqu'à l'évidence combien le délit à moy imputé de faire la guerre aux patriotes est destitué de fondement.

J'ay employé les jours et les nuits pour satisfaire aux devoirs de ma place ; j'ay été souvent injurié et menacé : les membres des Comités de Salut public et de Sûreté généralle ont, plus que tous autres, connoissance du zèle et de l'activité que j'ay apportée dans l'exercice de mes fonctions ; père d'une nombreuse famille, malheureux et sans fortune, il ne me reste qu'à m'en reposer entièrement sur leur justice pour déjouer le projet qui a été combiné pour me perdre à quelque prix que ce soit : j'ay adressé le 13 thermidor au Comité de Sûreté généralle une piéce qui ne laisse aucun doute sur ce projet : le paquet a été ouvert par le C. Amar : je crois en conséquence n'avoir à ajouter, quant à présent, pour ma justiffication, [aucune] autre retlexion que celle que les aristocrates se rejouissent grandement de mon arrestation.

Ce dix-neuf thermidor.

A. Q. FOUQUIER.

(Arch. Nat. W. 500.1er dossier pièce 109).

 

XVII. — PLAN DES DIFFÉRENTES PARTIES DE MON NOUVEAU PROCÈS. (Écrit de la main de Fouquier-Tinville.)

1. Exorde.

2. Réponse à l'accusation générale de dilapidations et de prévarications.

3. Réponse à la prétendue séduction et influence sur les juges et les jurés.

4. Réponse à l'inculpation d'être l'auteur des conspirations des prisons et d'avoir eu à cet effet des agens.

5. Réponse et motif de mon transport à Bicêtre.

6. Réponse à l'article des individus prétendus condamnés pour d'autres et à l'envoy au supplice d'individus sans jugement.

7. Réponse à l'imputation de l'amalgame.

8. Réponse à l'imputation d'avoir, de mon autorité privée, amalgamé avec Ladmiral, la fille Renault, d'autres individus que l'on prétend n'avoir eu aucun rapport avec eux, notamment d'avoir mis de nouveau en jugement Ozanne, ex-officier de paix, déjà jugé.

9. Réponse à la complicité supposée avec Robespierre et autres conjurés.

-10. Réponse à l'imputation d'avoir cherché à introduire la guerre civille, d'avoir voulu renverser le gouvernement républicain, d'avoir eu des correspondances et d'avoir cherché à rétablir la royauté.

11. Réponse à l'imputation d'avoir fait guillotiner des patriotes.

12. Réponse à l'imputation d'avoir fait mettre au cachot deux citoyens qui témoignoient de la sensibilité sur le grand nombre des condamnés et de les avoir fait mettre en jugement, le lendemain, quoiqu'il n'existât contre eux peut-être d'autres délits que la pitié qu'ils avaient montrée à la vue des condamnés.

13. Réponse à l'inculpation d'avoir exercé le despotisme le plus prononcé sur différens secrétaires du parquet dont la conscience et l'honnêteté se refusèrent plusieurs fois à dresser des actes d'accusation dans les procès et contre les accusés dont je remettais les pièces.

14. A l'inculpation des orgies lors de la découverte de la Conspiration.

Pourquoi les députés[13], en convenant, qu'ils se sont opposés à ce que les 159 accusés de la conspiration du Luxembourg fussent mis en jugement à la fois, cherchent-ils à rejeter sur moi tout l'odieux de cette mise en jugement en masse en avançant, contre toute vérité, que c'est le Comité qui a mandé l'accusateur public et qui s'élevant avec force contre ce projet révoltant et sanguinaire qui tendoit à commettre des injustices et à démoraliser le peuple, lui fit défense de l'exécuter sous peine de dénonciation à la Convention Nationale ?

Comme je l'ai observé, page 14 de mon mémoire imprimé, je n'ai point été mandé au Comité relativement à la mise en jugement de ces 159 individus. C'est au contraire moi qui ai écrit au Comité, le 18 messidor, que Dumas, président, avoit annoncé le même jour au tribunal que les intentions du Comité étaient que ces individus fussent mis en jugement tous ensemble ; que, trouvant cette mise en jugement inconvenable, j'invitois le Comité à me transmettre ses intentions ; que n'ayant reçu aucune réponse, je suis allé le même jour, le soir, au Comité ; que j'ai trouvé Barrère dans la pièce qui précède le lieu des délibérations, que m'ayant dit d'entrer, j'ai trouvé Billaud, Collot, Carnot et Saint-Just, que je leur ay demandé s'ils avoient délibéré sur ma lettre ; qu'ils m'ont répondu qu'ils ne se rappelloient pas l'avoir lue ; que Carnot est allé à son bureau, que j'ai exposé le fait, qu'il fut discuté et arrêté que les 159 individus seroient jugés en trois séances, ce qui fut exécuté les 19, 21 et 22 ; qu'en sortant du Comité j'ai écrit et informé la commission populaire du résultat de cette décision, que ma lettre a dû être déposée aux pièces du procès par Subleyras. Voilà les faits tels qu'ils se sont passés dans l'exacte vérité.

Je n'ai bien évidemment été mandé au Comité pour cet objet ni menacé d'être dénoncé à la Convention puisque c'est moi qui ai provoqué par ma lettre et personnellement, ce soir, une décision. Et à quel propos le Comité m'aurait-il menacé de me dénoncer pour un objet sur lequel j'ai provoqué sa décision ; si quelqu'un étoit à dénoncer, c'était Dumas, président, qui, sans doute d'intelligence avec Robespierre, s'était servi du nom du Comité pour me faire mettre en jugement ces 159 individus tous à la fois. Ma conduite à cet égard prouve encore que je n'avois rien de commun avec les conjurés Robespierre, Dumas et autres, qu'au contraire en cette occasion comme en toutes autres, ils ont toujours cherché les moyens de me perdre.

Au surplus j'ai exécuté les ordres et décisions du Comité à cet égard, ce qui confirme les faits par moi avancés page 13 et 14 de mon mémoire imprimé relativement aux conspiration des prisons.

(Arch. Nat., W. 500. 3me dossier, pièce 66.)

 

XVIII. — LETTRE ÉCRITE PAR FOUQUIER, DATÉE DE SAINTE PÉLAGIE, 14 FRUCTIDOR DE L'AN DEUX DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE UNE ET INDIVISIBLE, AUX CITOYENS LOUIS DU BAS-RHIN ET MOYSE BAYLE AU COMITÉ DE SÛRETÉ GÉNÉRALE.

Citoyens Représentants,

Du fonds de la prison où je n'aurois jamais dû être jetté, d'après la connoissance que j'ay pu avoir des délits que l'on m'inputoit, j'ay travaillé à ma déffensè généralle ; et comme il se trouve que les délits à moi imputés sont pour avoir exécuté ponctuellement les intentions et les arrêtés de Comités de Salut public et de Sûreté généralle et les décrets de la Convention, ma déffense se borne au récit des faits qui se sont passés entre les Comités et moy et à m'étayer de leurs arrêtés et des décrets de la Convention pour établir ma justiffication sans attaquer ny dénoncer aucuns des membres des Comités. Le mémoire de ma déffense a été remis le jour de la clôture de la levée de mes scellés dans le carton renfermant toutes les pièces trouvées chez moy et emportées par les citoyens commissaires députés nommés pour la levée d'iceux : ainsi il ne peut y avoir aucun doute sur le fait de cette remise.

Dans ce mémoire j'invoque en ma faveur le témoignage des C.[14] Vadier, Amar, Voulland et autres composant les Comités pour attester la vérité des faits par moi avancés et non étayés de pièces : et qui tous concourent à ma justiffication complette. Ne lisant aucuns papiers nouvelles qui ne sont pas introduits dans les maisons d'arrêts, on ne sait trop pourquoy, je viens d'être informé que le C. Le Cointre avoit dénoncé 27 chefs d'accusation dans la séance du t2 contre plusieurs députés notamment les C. Amar, Vadier et Voulland. 1° pour avoir, Amar et Voulland dit à l'accusateur public, en lui remettant le décret concernant l'affaire Danton et autres : '1 Vous devés être tranquille maintenant. Voilà de quoi les mettre à la raison » et pour avoir, Arriar, Voulland et Vadier, lorsque le bruit couroit dans le Tribunal que la majorité des jurés votoit pour l'innocence des accusés, passé par la buvette et d'avoir engagé le prèsident Herman à user de tous les moyens possibles pour faire prononcer la mort, ce qui a été éxécuté par Herman, qui a parlé contre les accusés et qui a invité les jurés qui avoient voté la mort, à menacer les autres de la vengeance des Comités et que ces deux chefs d'accusation étoient fondés sur un écrit signé de moy.

J'ignore si ces faits ont été articulés à la Convention par le citoyen Le Cointre : mais, tout ce qu'il y a de certain, il est impossible qu'il ait étaié ces deux chefs d'accusation sur mon mémoire et sur aucun écrit émané de moy : car, dussé-je périr mille fois, indépendemment de l'invraysemblance de ces deux chefs, ils me sont absolument étrangers et n'ont été transmis par moy, ny verballement ny par écrit au citoyen Le Cointre. Jen 'ai pas même souvenir que les C. Amar et Voulland m'aient remis le décret du 45 germinal dont il s'agit. Quand au C. Vadier, je n'ay su que longtemps après qu'il était venn au Tribunal ; il n'est venu ny à mon Cabinet ny ne l'ay vu à l'audience. Cependant, par une erreur soit des journalistes soit de tous autres me voilà présenté dans le public comme dénonciateur de députés dont j'invoque dans mon mémoire le témoignage pour opérer ma justiffication. Est-il position plus triste et plus fâcheuse que la mienne, après avoir employé les jours et les nuits pour la chose publique ?

Je ne peus m'expliquer que sur ce qui m'est parvenu très imparfaitement. Peut-être que si le Comité vouloit me donner connaissance de tous les chefs d'accusation, aurois-je d'autre réponse à lui faire. Mais il seroit nécessaire qu'il m'entendît. Jamais je [ne] m'écarteray de la vérité dussé-je éprouver ce que je ne mérite pas. J'attends donc tout de sa justice. (Signé.) A. Q. Fouquier.

(Arch. nat. F7 4436, liasse T, pièce 8.)

 

XIX. — DÉNONCIATION CONTRE FOUQUIER-TINVILLE.

Liberté, Égalité, Fraternité, Raison.

Aux lreprésantens du peuple,

Citoyens,

 

L'énergie que vous avez déployez dans les journées du 9 et 10 sera éternellement gravée dans les cœurs, des vrais républicains. L'histoire la transmetra à la postérité.

Vous avez couronné votre ouvraje en traduisant au Tribunal Révolutionnaire l'infâme Foiiquet-Tinuil. La République entière vous demandoit cet acte de justice.

Aux faits graves qui vous ontété dénoncés par plusieurs de vos collègues j'ajouterai une attrocité sans exemple. Il importe au bien général qu'elle soit connu.

Un chef despotei, ami intime inséparable de Fouquet, lui fait part de ses inquiétudes sur les réclamations de plusieurs patriotes attachés au corps qu'il commande. Aussitôt ils sont incarcérés, le plus énergique périt sur l'échafaux[15]. Les autres sont dégradés, chassés ignominieusement du corps ! L'intrigue dominoit alors, l'état d'oppression où nous avoit réduit le nouveau Cromwell ne permit pas à ces malheureuses victimes de porter leur plainte à votre tribunal. Mais aujourd'hui que la liberté triomphe, que la tyrannie est à jamais proscrite de votre temple, il faut que la vérité brille. Il faut que les dignes complices de Fouquet soyent connus. J'ai chez moi un registre et quantité d'autres pièces qui vous les feront connaître. Les parties intéressés à ce que ces pièces soyent soustraites ont parlé à Fouquet ; aussitôt les scélés sont apposés et Fouquet promet de les faire disparoître. Pour me mettre dans l'impossibilité de les réclamer je devais aître incarcérée, quand la Convention a suspendue le tribunal de ses fonctions.

Je demande donc, citoyens représentants, que les scélés qui sont apposés chez moi (depuis quatre mois) soyent levés dans le plus court délai, que les papiers qu'ils renferme soyent examinés par les membres du Comité de Salut publique ou de Sûreté général.

Cette mesure ne rendra pas la vie au malheureux Le Brasse[16], victime de se monstre, mais elle dictera celle que vous devez prendre pour que les patriottes qu'ils persécutes, soyent à l'abri du même sort. Et moi, citoyens, à qui ces scélérats ont enlevé un ami dont je chérissoit les vertus et les talents, je trouverai un adoussisant à mes peines. J'ai versé des larmes amères sur la réputation du malheureux Le Brasse que ces scélérats ont essayez de détruire ; mais aujourd'hui que les forfaits des ministres vont être dévoilés, la Philosophie, qui de tout temps, me fit conformée aux événements de la vie, reprend son empire.

Le Brasse avoit juré de répendre son sang pour sa patrie, de combatre jusqu'à la mort les intrigants qui violleroit les droits sacrés de la liberté et de l'égalité. Ces monstres l'ont assassiné. Hé bien, il est mort poursa patrie. Vive la république 1 Vive la Convention ! Tous les tyrans de l'Univerts réunis ne pourront jamais arraché d'autre parole à

Votre concitoyenne.

Veuve CHAUPIN,

domiciliée rue Jacque, section du Panthéon n° 27, maison de Belin, libraire au 3e, l'escalier près le puit.

(Arch. Nat. W. 500. 2eIIle dossier, pièce 91.)

 

XX. — DÉNONCIATION CONTRE FOUQUIER-TINVILLE.

28 thermidor an II.

Liberté Egalité.

Aux citoyens représentons du peuple composant le Comité de Sûreté générale.

Citoyens représentans,

Si l'acte d'oppression que je vous dénonce n'eût frappé que sur moi, j'aurais gardé le silence sur celui qui s'en est rendu coupable et qui est dans ce moment sous le glaive de la Loi ; mais d'autres détenus en ont pu éprouver de semblables et les principes d'humanité que vous professez ne vous feront pas voir sans indignation qu'un fonctionnaire public ait cherché à aggraver les peines de ceux qui gémissent dans les prisons en attendant la proclamation de leur innocence ou la punition de leurs délits.

Né à Sarreguemines, détenu depuis longtemps à la Conciergerie à Paris avec ma femme, privé ici de mes ressources pécuniaires, j'écrivis, il y a environ 5 mois, à mon beau-père près Metz, pour lui demander des fonds nécessaires à ma subsistance et à celle de ma femme ; je n'en reçus aucune réponse et il nous fallut user de la confiance et de l'attachement de quelques amis pour nous procurer dans la prison les secours nécessaires à notre existence.

Quel fut cependant mon étonnement lorsque, ces jours derniers, lors de l'arrestation de Fouquet-Tainvile, accusateur public, on me présenta une lettre de mon beau-père, datée de floréal, dans laquelle il m'envoyait 600 livres.

Cette somme et la lettre étaient entre ses mains.

Ainsi en gardant pendant quatre mois un silence coupable sur cet envoi, il nous laissait dans le plus grand dénuement et ne me faisoit mème point remettre sur mon propre argent les 50 l. par décade qu'il est d'usage de délivrer aux détenus.

Ainsi, en retenant mes fonds, il me privait de la satisfaction de continuer à aider le citoyen Bertrand, impliqué dans mon affaire et qui vient de mourir dans la maison du Plessis, dans l'état de détresse le plus touchant.

Tel est, citoyens représentans, le fait que je vous dénonce ; je le répète, mon intérêt n'y est pour rien puisque j'ai eu satisfaction sur l'envoi de mes fonds ; mais c'est à votre sagesse à penser combien le dénoncé a pu avoir d'occasions semblables d'opprimer les détenus par une rigueur qui n'est pas dans la loi et de recéler des sommes qu'il était maître ensuite de remettre à l'innocent élargi ou de s'approprier au préjudice de la république et sans nulle trace d'enregistrement ou autres quelconques, lorsqu'elles appartenaient à des coupables condamnés.

BOUTAY

chef de la 1re légion du district de Sarreguemines.

A la Conciergerie, ce 28 thermidor l'an deux de la République.

(Arch. Nat. W. 500. 2eme dossier, pièce 113.)

 

XXI. — L'AFFAIRE DARMAING. FOUQUIER-TINVILLE SE DÉFEND, DANS UNE NOTE PRÉPARATOIRE A SON PROCÈS, D’AVOIR ÉTÉ L'INSTRUMENT DE VADIER, DANS L'AFFAIRE DARMAING.

(De la main de Fouquier-Tinville). « Nota. Fouquier n'a pas siégé dans celle affaire ».

Vadier m'a écrit quatre billets et lettres relatives à François Darmaing dit Dangery, Jean-Pierre-Jérôme Darmaing, Jean Monsirbant et autres de Pamiers, jugés et condamnés par jugement du 23 prairial et encore de Cazes Voizard, Dardignac et de Montaut condamnés par jugement du [un blanc] et on infère de ces billets et lettres trouvées dans la cotte du procès de Darmaing que Vadier m'a influencé ensemble le tribunal pour parvenir à ces deux jugemens.

Je réponds que jamais Vadier ni aucun autre ne m'a influencé ny pour ces jugemens ny pour aucun autre ; je ne l'aurois pas souffert et je n'ai pas connaissance qu'aucun membre du tribunal se soit laissé influencer. Il est constant que ces lettres étaient jointes aux pièces du procès. C'est moi qui les ai retirées de moi-même, le premier jour que les députés sont venus pour l'examen de mes papiers depuis mon arrestation d'après ce que ma dit Clauzel, l'un des députés commissaires et qui les ai remises aux commissaires. On a même, à cet effet, été chercher les pièces au greffe ; or, je le demande à tout être impartial, si ces lettres eussent été l'effet d'une connivence criminelle entre Vadier et moi les aurois-je joint aux pièces du procès ? Non certes, mais j'ai usé de ces lettres comme de toutes celles qui m'ont été écrittes à charge ou à décharge dans différens procès soit par les comités, soit par des députés en mission, soit par d'autres députés, soit par des fonctionaires publics. Je les ai jointes aux pièces du procès, comme dans tous les tems j'ai joint de pareilles lettres ou renseignemens aux pièces des procès qu'elles concernoient. On peut vérifier la vérité de ces faits dans toutes les cottes des procès qui sont au greffe. La quantité en est considérable ; ainsi, en admettant ce système, il s'ensuivroit donc qu'un grand nombre de députés m'a influencé ensemble les membres du tribunal et, par une conséquence nécessaire, il faudrait qu'un fonctionnaire public ne reçut aucunes lettres ni renseignemens de qui que ce fût et surtoutd'une autorité constituée quelconque ; ce qui seroit impraticable et le comble de la déraison.

Or, à l'époque où Vadier m'a écrit ces diflérens billets, il joignoit à sa qualité de député celle de membre du Comité de Sûreté générale et de président perpétuel de ce Comité. Il jouissait de la confiance publique la plus entière. Ny moi ny aucun autre devions-nous supposer que les qualiffications qu'il donnoit à tous les prévenus, qualifications, d'ailleurs, qui concordoient parfaitement avec les charges du procès étoient l'effet d'une malveillance fondée sur la haine et la vengeance ; il est fâcheux que Vadier n'ait pas fait imprimer la lettre que je lui ai écritte le 22 prairial et que moi-même je n'en ai pas conservé le double. Elle répondroit d'une manière victorieuse à toutes les fausses inventions que l'on prétend tirer de ces lettres à mon désavantage. Elle fourniroit la preuve bien complette que j'étois loing de supposer à Vadier aucun motif de haine et de vengeance contre ces prévenus puisque cette même lettre porte invitation à Vadier de se rendre au tribunal pour y être entendu comme témoin et non pas, comme le prétend faussement le rapporteur de la commission des vingt-un, pour rendre Vadier témoin de l’adresse que j'apporterois à faire condamner ces prévenus. Et j'en usois ainsi envers tous les députés indiqués comme témoins depuis que, dans le courant de ventôse de l'an second, sur la motion de Loyseau[17], une assignation avait été annullée comme n'ayant pas été donnée au domicile du député assigné dans l'affaire de Choiseau et qu'il avoit été décrété qu'à l'avenir toute assignation donnée aux députés leur seroit donnée à leur domicile, au moins vingt-quatre heures avant.

On objecte encore que, d'intelligence avec Vadier, j'ai attendu précisément que l'odieuse loi du 22 prairial fut portée pour mettre en jugement Darmaing et autres puisque je les y ai mis le lendemain 23 : ce fait d'intelligence est faux et je le prouve : j'a' écrit le 22 prairial matin à Vadier. Sa réponse du même jour et le contexte de cette réponse établissent sans équivoque que ma lettre est du matin : or, tout le monde sait que la loi du 22 prairial a été proposée sur les deux heures demies et que les discussions qui se sont engagées à ce sujet ont fait continuer la séance de la Convention jusqu'à près de six heures. Or, bien certainement, quand j'ai écrit ma lettre à Vadier j'étais loing de savoir que cette loi ait été proposée ny portée. Et, dans le fait, cette loi n'a été proposée et portée que sur les six heures du soir. Et je ne l'ai appris que par la lecture du journal du soir. Et, encore, peut-on se convaincre que ce journal a indiqué seulement la proposition d'une loi sans en donner les articles qui n'ont été connus que par le bulletin du lendemain 23 : ainsi, l'acte d'accusation étoit notiffié aux accusés et la liste des jurés et des témoins avant que j'aie été informé que cette loi eût été proposée, tellement que, le lendemain 23, j'ai proposé à la Chambre du Conseilla question de savoir si les prévenus indiqués devoient être mis en jugement ce jour-là et qui, d'après les loix existantes la veille, avaient droits de compter sur la défense d'un défenseur, si, dis-je, ces prévenus devoient être jugés d’après cette loi et s'il n'était pas plus convenable et plus régulier et même humain de diférer leur mise en jugement jusqu lendemain. Cette question a donné lieuàune foule d'autres objections et à une très grande discussion. On lut et relut la nouvelle loi et les termes impératifs que cette loi seroit exécutée par sa seule insertion au bulletin. Cette loi étant inscrite au bulletin du 23 prairial, le' tribunal a jugé qu'il ne pouvoit ny différer cette mise en jugegement indiquée ny juger autrement que de la manière prescrite par cette odieuse loi.

Une autre preuve que la mise en jugement de ces prévenus n'a pas été combinée de ma part avec Vadier pour l’époque où la loi du 22 auroit lieu, c'est qu'aux termes d'un arrêté du Comité de Salut public du 25 floréal, j'étois tenu de fournir, lepremier jour de chaque décade, aux comités la liste des prévenus que je me proposois de mettre en jugement dans le cours de la décade. Or, qu'on vériffie celle que j'ai fournie le 20 prairial,suivant qu'il est annoncé dans ma lettre imprimée dans le rapport de la commission des vingt-un, page 109,l'on si convaincra que l'affaire de Darmaing et autres y est portée et indiquée pour le 23 prairial.

En vain m'objectera-t-on que, sans doute, j'étois instruit que cette loi devoit être portée. J'ai rendu compte dans mes mémoires imprimés que les démarches par moi faittes à ce sujet n'avoient eu lieu que d'après ce que j'avois ouïdire par Dumas à la chambre du Conseil. Mais jamais je n'ai connu les dispositions de cette loi avant qu'elle ne fut publique ny le jour qu'elle seroit portée ; ainsi il reste bien démontré que s'il y a eu des manœuvres employées par Vadier dans ces deux affaires, si c'est un motif de haine et de vengeance qui a dirigé toutes ses démarches, tout m'étoit inconnu et je n'y ai participé en façon quelconque.

Leymerie, dans une lettre imprimée adressée à l'accusateur public, m'accuse entre autres faits d'avoir mis en jugement Chardin[18] dans une fournée pour le soustraire à la condamnation qu'il méritoit et de ne l'avoir pas accusé de s'être approprié cent mille écus provenant de la vente de la bibliothèque du mylord Bedfort et d'en avoir même soustrait les pièces et de n'avoir pas fait entendre les témoins indiqués. Il n'y a pas une seule de ces accusations qui ne soit fausse.

D'abord, les pièces du procès n'ont jamais été soustraites. Elles existent encore en ce moment au parquet du tribunal ou au greffe. Elles étoient dans l'une des armoires de mon cabinet et elles sont inscrites sur le relevé qui a été fait par Gillierl'un des secrétaires du parquet ; je les ai vues inscrittes le 21 ventôse de l'an IIIe sur ce relevé lorsque j'ai été au tribunal. Ces pièces prouvent que Leymerie a dénoncé Chardin dans l’assemblée générale de la section Brutus du 5 germinal comme s'étant approprié les cent mille écus provenans de la bibliothèque du mylord Bedfort et comme ayant trempé dans la conspiration des Chabot, Hébert, Ronsin, Vincent, Montmoro, et autres. Or, que l'on lise l'acte d'accusation dressé contre Chardin et autres le 19 germinal, l'on acquierra la preuve qu'il est accusé d être complice d'Hébert et complices et de s'être approprié les cent mille écus dont s'agist. On verra plus. On verra qu'il a été mis en jugement avec Chaumette, Gobel, et autres prévenus de la conspiration d'Hébert et complices. On verra que les témoins indiqués ont été assignés. Ainsi, il reste bien démontré que les accusations de Leymerie sont une calomnie qui ne lui est que trop ordinaire.

Quand au mélange qu 'il fait de moi avec David, député, je ne sais ce qu'il veut dire. Je n'en sais pas du galimatias relatif à Réal. Quant au fait que j'attendais dans l'antichambre de Robespierre et des comités, que Leymerie apprenne que je n'ai jamais fait antichambre chez Robespierre où je réitère n'avoir été qu'une seule fois le jour de l'assassinat de Collot d'Herbois ; qu'il apprenne que je n'ai fait dans aucun temps le rôle d'un homme d'antichambre. Quant aux comités, j'ai attendu quelquefois mais rarement, comme les autres fonctionnaires publics, quand les comités étaient en délibération. Il n'y a rien là qui soit bien extraordinaire ny de contraire aux usages reçus. Il étoit tout naturel et même dans l'ordre que je ne troublasse pas les opérations du comité ny que j'assistasse à des délibérations d'objets qui m'étoient étrangers. Il faut être un vil espion et un méchant et indigne calomniateur pour hazarder de pareils mensonges et de pareilles absurdités. Et, si la chose en valoit la peine, on pourrait demander comment Leymerie a été instruit de tous ces faits, lui qui passoit les trois quarts de l'année en prison pour y épier ce que faisoient les détenus et en rendre compte aux comités.

Je reviens à Chardin. Il a été mis en jugement le 21 germinal et acquitté par jugement du 24. Leymerie m'impute son acquit tandis que d'autres m'imputent la condamnation d'une foule d'individus. Toutes ces accusations diverses et opposées ne laissent aucun doute que, quoique j'aie fait, il m'étoit impossible d'échapper aux passions des dénonciateurs ou à celles des veuves, en-fans et parens des condamnés. Et toujours parce que les uns et les autres oublient sans cesse que mes fonctions m'imposaient le rigoureux devoir d'accuser et non dejuger, de manière qu'aux yeux de l'homme impartial je ne peux être responsable à aucun titre de l'impérieuse conscience et de l'intime conviction des jurés.

(Arch. Nat. W. 500, 3e dossier, pièce 70).

 

XXII. — L'AFFAIRE DARMAING. J. B. DARMAING DONNE DES PREUVES DE LA FAÇON DONT FOUQUIER-TINVILLE SE LAISSAIT INFLUENCER PAR VADIER.

Interrogatoire, le 26 vendémiaire an III, de J.-B. Darmaing.

Par devant Forestier et Josse, est comparu Jean-Baptiste Darmaing, 23 ans, secrétaire à la Convention Nationale demeurant rue des Moineaux, maison de la Réunion.

« Lequel a déclaré les faits suivants. Les nommés Cazes, Dartignan, Teissère, Voisard, habitants du lieu de Montaut, district de Mirepoix, département de l'Ariège, avaient été traduits au Tribunal révolutionnaire, comme accusés, disait-on, d'avoir protégé dans ce département des mouvements contre-révolutionnaires, lors du recrutement. J'ignorois alors quel étaient leurs dénonciateurs ; mais je pensois qu'ils seroient acquittés parce que je sais, comme étant alors sur les lieux, qu'il n'a jamais existé de pareils mouvements contre-révolutionnaires dans le département de l'Ariège. Etant venu à Paris, dans le mois de ventôse, j'avois peu entendu parler de ces prévenus lorsque j'appris, dans le mois de prairial, que le Comité de surveillance de Pamiers avoit travaillé à une enquête contre eux. Je fus alors surpris qu'on eût fait ouir ainsi des témoins à deux cents lieues environ par une autorité sans pouvoir et dans un tems où ils devoient être débattus par les accusés ; mais je fus bien plus surpris lorsque, vers la fin de messidor, ou au commencement de thermidor, je vis condamner ces accusés et que je fus instruit de l'acharnement que Fouquier-Tinville avoit mis dans cette affaire contre les prévenus qu'il accusa vaguement, sans parler de l'illégalité des preuves et de l'enquête faite à Pamiers ni des raisons justificatives des accusés. Depuis, j'ai vu des lettres qu'un représentant du peuple, alors président du Comité de Sûreté générale[19], lui écrivoit dans le tems à l’occasion de ces prévenus, deux entre autres où il les fait regarder comme auteurs d'une nouvelle Vendée imaginaire dont je n'ai jamais eu connaissance dans le département de l'Ariège où il excite le zèle de Fouquier et fait regarder l'acquit des accusés comme une calamité publique. J'ai entendu dire généralement, d'après ces lettres, que Fouquier s'étoit laissé guider par ses influences[20] et qu'il avoit indignement prévariqué dans ses fonctions pour perdre les accusés. Je l'ai cru aussi, surtout lorsque j ai appris encore et, au même tems, que ces accusés avoient été traduits en vertu d'une dénonciation faite au président du Comité de Sûreté générale, le 14 nivôse, sur une déclaration illégale et un oui dire vague d'un déserteur, dénonciation retenue le M nivôse, à Narbonne, par un officier militaire de la première division de l'armée des Pyrénées Orientales, fils du représentant que j'ai désigné ; qu'on n’avait rien trouvé sous les scellés qui eût trait aux chefs d'accusation d'après une lettre de l'adjudant de Toulouse qui avoit envoyé les papiers le 5 ventôse ; que Fouquier n'avoit parlé ni de l'illégalité de l'enquête, ni d'aucune circonstance favorable aux prévenus et qu'il les avoit jugés lui-même sur cette enquête. J'ai eu d'autant moins de doute que j'ai connu des détails plus particuliers encore dans l'affaire de dix autres aussi guillotinés. Ces derniers prévenus avoient été traduits à Paris en vertu d'un ordre surpris aux représentants du peuple Milhaud et Soubrany[21], sur le fondement qu'ils étoient salariés par la liste civile ; qu'ayant été arrêtés comme suspects, ils étoient sortis par l'or et l'intrigue et que, depuis leur élargissement, il n'avoient cherché qu'à propager des mouvements contre-révolutionnaires. Le 5 germinal, ils subirent un premier interrogatoire ; mais faute de pièces, Fouquier les laissa là. Un arrêté du Comité de surveillance de Pamiers fut la première pièce envoyée. Depuis, et le °2l germinal, ce Comité, de sa propre autorité, nomma une commission pour recueillir des preuves à charge et il envoya à Paris le 29, ces preuves à charge au Comité de Sûreté générale et en offrit de supplémentaires en donnant avis de l'envoi au représentant du peuple dont j'ai parlé en lui indiquant quelques témoins qui parloient à conviction. Tout cela fut adressé à Fouquier par ce représentant qui, dans les lettres que j'ai vues, depuis, lui recommande vivement cette affaire, déclare que les prévenus sont auteurs des mouvemens contre-révolutionnaires qu'ils prétend avoir existé à Pamiers, l'engage à ne pas laisser juger ces prévenus par les commissions populaires qui pourroient s'en emparer à titre de suspects, atteste qu'il ont voulu rétablir le règne du tyran espagnol dans leur patrie et les recommande à son zèle, son discernement, son activité et son adresse. Tels sont les principaux caractères de ces lettres par lesquelles Fouquier se laissa influencer. Il retarda, en effet, le jugement des prévenus (quoi qu'il eût toutes les pièces le 29 floréal) jusqu'au 22 prairial où il fit signifier son acte d'accusation pour le lendemain 23, sans parler ni des lettres que le représentant que j'ai indiqué lui avait écrites, ni de l'illégalité de l'enquête envoyée et faite sans mandat ni pouvoir, ni des pièces justificatives des accusés. Il dénatura les motifs de leurs traductions à Paris et les accusa de faits étrangers, de faits prétendus contre-révolutionnaires qui avoient existé suivant l'acte à Pamiers, tandis que quatre [d'entre eux] avoient quitté cette ville avant le décret du 28 décembre 1790 qui déclare que certains troubles qui avoient existé à Pamiers n'avoient aucun trait à la Révolution, qu'une amnistie postérieure avoit même anéanti et défendu la poursuite de tous les délits commis à cette époque ainsi qu'une loi du t8 avril 1791 et le code pénal. Fouquier cacha tous ces faits, les dénatura, et intercepta la défense des accusés. L'un d'eux fut accusé par lui d'avoir suscité des projets contre-révolutionnaires comme maire ; de s'être fait nommer maire par l'intrigue, tandis qu'il n'avoit jamais été maire ; un arrêté du Comité de surveillance de Pamiers, en date du 5 germinal, avoit encore déclaré n'y avoir lieu de statuer sur un autre nommé La Rue, cadet, attendu qu'il avoit quitté Pamiers depuis le principe de la Révolution. Fouquier tut cette circonstance, l'accusa comme les autres des mouvements prétendus contre-révolutionnaires qui avoient existé à Pamiers et sans faire ressortir tout ce qui étoit à la décharge des accusés, sans qu'il leur tut permis de le faire valoir, en violant tous les décrets, supposant des noms et se laissant guider par des influences particulières il parvint, par son adresse, à faire périr ces prévenus sous la présidence de Coffinhal, le 23 prairial. Tels sont les faits dont j’ai connaissance, dont les preuves écrites doivent exister et d'après lesquelles je déclare que Fouquier a cherché à avilir la représentation nationale, à perpétuer le règne de la tyrannie et qu'il a conspiré contre la liberté et les droits de l'homme. »

(Arch. Nat. W. 501. 2e dossier, pièce 63.)

 

XXIII. — DÉNONCIATION DE LE BORGNE (RUE ET MAISON DES DEUX ÉCUS) CONTRE FOUQUIER-TINVILLE, ADRESSÉE AU COMITÉ DE SALUT PUBLIC.

2 vendémiaire l'an 3e.

Citoyens representans.

Je viens mettre sous vos yeux un nouvel acte de friponnerie et de scélératesse de la part de Fouquier-Tinville.

J'avois une lettre de change tirée par la Martinique, de la somme de 43701 acceptée et payable par le trésor national.

Cette lettre étoit en nantissement chez un citoyen qui me faisoit passer en prison des moyens de subsistance.

Le terme alloit échoùoir ; ce citoyen me l'envoya pour y mettre ma signature afin d'en toucher le montant.

Cette lettre de change, au lieu de retourner à sa destination, fut envoyée à Fouquier, après me l'avoir fait signer : il l'a gardé.

On donnoit aux autres prisonniers 50' par décade ; à moi Fouquier ne me donnoit pas un sol.

Plusieurs citoyens réclamèrent pour moi cette lettre de change ou au moins 501 par décade ; Fouquier répondoit que je n avois pas besoin de tant manger, que je serois guillotiné.

Cela ne me surprenoit pas : Fouquier est beau-frère d'un nommé Hérard d'Aucourt, colon à Saint-Domingue, dont on lit le nom le 1er sur la liste des Léopardins, c'est-à-dire des scissionnaires avec la France.

Fouquier mangeoit habituellement chez Page et Bruley ; et ceux-ci chez Fouquier. J'ai à faire entendre des témoins sur les conversations qui ont eu lieu à la table et qui donneront de grands renseignements.

Depuis que je suis sorti de prison, j'ai réclamé ma lettre de change ; je me suis adressé au citoyen Dopsan (sic), qui a fait toutes les perquisitions nécessaires, mais inutilement.

On me renvoit, successivement, dans tous les bureaux du Tribunal révolutionnaire et les vérifications se font toujours sans succès. Depuis cinq décades, je n'ai pu encore obtenir aucune satisfaction à ce sujet : cette somme a pu être touchée : il n'y avoit qu'à se présenter.

Je vous demande, citoyens représentans, que vous vouliez bien ordonner que l'on cherche cette lettre de change avec soin, au Tribunal et qu'elle me soit rendue, si elle se trouve, dans le plus bref délai ; sauf à prendre telles déterminations ultérieures, dans le cas où elle auroit été touchée ou égarée.

Salut et fraternité, citoyens representans.

A Paris, le 2 vendémiaire l'an 3e de la République françoise, une et indivisible.

Leborgne, rue et maison des deux écus.

J'observe que Fouquier a à rendre compte des sommes considérables prises aux détenus et surtout aux condamnés avant et après le jugement. La femme Richard, concierge, enlevoit portefeuilles, bijoux et autres objets, sans inventaire et sans le concours d'aucune autorité. Elle disoit qu'elle remettoit le tout à Fouquier, de même que le prix du loyer des lits qui a dû rendre immensément par le grand mouvement des locataires. Je m'empresse de faire part de ces observations et de ma réclamation de la lettre de change avant le jugement de Fouquier.

LEBORGNE.

(Au dos). Au citoyen Bréard, représentant du peuple, membre du Comité de Salut public, section de la marine et des colonies.

(Arch. Nat., W. 500, 2me dossier, pièce 112.)

 

XXIV. — LETTRE ADRESSÉE PAR FOUQUIER AU CITQYEN MERLIN DE DOUAI, REPRÉSENTANT DU PEUPLE ET MEMBRE DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC. Au COMITÉ[22],

Citoyen représentant,

Votre loyauté et votre probité me garantissent à l'avance que vous ne vous refuserez pas à satisfaire à la demande suivante : dans votre rapport d'hier, après avoir démontré tout l'odieux de la loy du 22 prairial, vous dites : « Un citoyen connu par ses services, son patriotisme et ses vertus reçut en avril 1792 une lettre révolutionnaire[23] qui se trou-voit scellée d'un cachet à armoirie : il fut aussitôt la déposer aux autorités constituées ; deux ans après, cette lettre tombe entre les mains de Fouquier : aussitôt, celui qui avoit déposé la lettre et celui qui l'avoit écritte furent jettés dans les cachots et, sans l'énergie de quelques représentans qui eurent toutes les peines de se faire entendre, ces deux citoyens eussent péri. »

Si vous aviez indiqué les noms de ces deux citoyens, cette indication m'aurait mis dans le cas de détruire le fait sur le champ : car, sans avoir cette indication, je réponds à l'avance que je n'aï jamais eu la balourdise et l'ineptie de décerner un mandat d'arrêt contre ces deux citoyens pour un pareil fait : c'est pourquoy je vous invite de vouloir bien remettre il ma femme les noms de ces deux citoyens ; c'est l'unique moyen de me mettre à même d'éclaircir ce fait pour lequel ces deux citoyens ne peuvent avoir été traduits au tribunal que par d'autres autorités que moi : j'ai méprisé jusqu'à ce jour toutes les calomnies et les horreurs qui ont été débitées sur mon compte par des misérables libellistes et mes ennemis ; mais il n'en peut pas être de mème d'un fait aussi important consigné dans un rapport fait à la Convention : il m'est impossible de garder le silence sur une imputation de ce genre : et de même que vous devez me mettre dans le cas de détruire cette imputation, de même que vous devez vous empresser d'écarter toute la défaveur qui en rejaillit sur moi, dès que, d'après les éclaircissemens que je vous demande, j'aurai détruit cette imputation. L'humanité et la justice vous en font un devoir : sans quoy c'est assassiner l'homme tout vivant ; maintenant, pour vous prouver que je suis presque sûr que ce n'est pas moi qui ait fait arrêter ces citoyens pour un pareil fait, je vous retrace en peu de mots les faits suivans que ma mémoire me rappelle :

Mouchet, architecte, a été arrêté et traduit au tribunal révolutionnaire par ordre du Comité de Sûreté générale de la Convention et son seul crime étoit d'avoir laissé dans un fiacre un portefeuille sur lequel, sous une bande de papier étoient ces mots : Mouchet architecte des bâtimens du Roi demeurant rue, etc., en lettres dorées : ne pouvant croire en lisant les pièces qu'il soit traduit pour un pareil fait, je l'ai envoyé chercher à la prison Égalité et j'ai fait faire en sa présence l'ouverture de ce portefeuille dans lequel il ne s'est trouvé que des papiers de son état ; alors, je n'ai pu m'empêcher de lui observer que s'il m'eût été dénoncé pour un pareil fait, il n'auroit pas été arrêté et qu'il pouvoit compter que, dès le lendemain, son affaire seroit portée à la Chambre du Conseil qui ordonnât sa mise en liberté ; ce citoyen existe et sera dans le cas d'attester le fait ; d'ailleur les pièces existent au greffe.

Un autre fait, La Rochejean, député suppléant de la Convention, de Blois, fut arrêté et traduit au Tribunal par ordre du Comité de Salut public comme dilapidateur et hébertiste. Sa dilapidation consistait dans 45lt provenant de la vente d'un ch[eval] qu'il avoit omis dans un compte, omission pour laquelle il avoit déjà été jugfé et] acquitté par le Tribunal de son département, et son crime d'hébertiste étoit [de n'avoir] pas approuvé le règne despotique de Robespierre, et il a été mis en liberté dans le cours de vendémiaire dernier. Voilà deux exemples certains qui se représentent à ma mémoire ; mais il est une quantité prodigieuse d'autres individus qui ont été arrêtés et traduits au tribunal révolutionnaire ; arrestation et traduction auxquelles je n'ai participé nullement et que cependant je vois que l'on met sur mon compte : mais les pièces repousseront toutes ces imputations :

De même il me sera aisé de repousser toutes ces assertions atroces d’individus envoyés à l'échaffaud sans jugement et pris pour d'autres : c'est une playe de calomnies que le temps sèchera : je le répète, mon crime est d avoir élé l'organe de loix trop sèvères et qu'il n'étoit pas en mon pouvoir de ne pas exécuter ; - de là, les haines et les ressentimens ; aussi compté-je parmi mes témoins un grand nombre de femmes et autres parens des condamnés ; il y a même jusqu'à des individus contre lesquels il existe des actes d'accusation par moi dressés ' d'autres jugés : je vous demande justice.

A. Q. FOUQUIER

(Arch. Nat. W. 500. 2me dossier, pièce 3).

 

XXV. — LETTRE ADRESSÉE A MERLIN DE DOUAI CONTENANT DES ACCUSATIONS CONTRE FOUQUIER-TINVILLE.

Bèze[24], le 28 nivôse 3 de la république.

Je ne suis pas étonné, mon cher et ancien collègue, que Fouquier-Tinville ait oublié le décret d'arrestation qu'il avoit lancé contre moi ; il est chargé de tant d'atrocités e ce genre qu'il seroit impossible à lui de se les rappeler toutes. Quoi qu'il en soit c'est lui et lui seul qui a décerné ce mandat particulier ; comme on n'en laissait point copie aux malheureux prévenus, je ne peux t'en donner la date précise, elle doit être l'un des jours de prairial ; la preuve écrite du fait que j'atteste se trouve d'ailleurs dans le rapport que Fouquier-Tinville fit au Conseil du Tribunal révolutionnaire le 1er thermidor dernier, rapport inséré en tête du jugement de ce même conseil rendu le même jour, 1er thermidor, pour me rendre la liberté ; je ne mets aucun intérêt personnel à la punition de ce scélérat ; je désire comme tout bon citoïen que justice lui soit rendue ; mais je ne puis m'empêcher, par cette raison même, d'observer que je lui avois adressé des pièces justificatives qui ne lui permettoient pas d'hésiter à me faire rendre la liberté et qu'il n'en a fait aucun usage puisque son rapport n'en parle point ; ces pièces sont un arrêté pris par le département de la Côte d'Or au sujet des prêtres réfractaires, que j'avois requis et une lettre du même département au corps législatif écrite le 26 juin 1792 et dont j'étais auteur ; l'une et l'autre sont de la connoissance de Rameau et Berlier[25] ; toutes deux étoient en forme probante et toutes deux ont été sequestrées par Fouquier-Tinville puisqu'il n'en a fait aucun usage. Sans toi, mon cher et brave collègue, sans ta noble et généreuse activité, secondée par Berlier et Rameau, il est bien certain que je n'existerois plus.

Ma santé et quelques affaires importantes m'aïant appelé chez moi, j'attends le rétablissement de mon individu et l'adoucissement de la saison excessivement rigoureuse ici pour aller admirer déplus près tes travaux continuels, te remercier de tes nouveaux services et te renouveller l'assurance de mon éternel attachement.

A-V. ARNOULT.

(Arch. Nat. W. 500. 2me dossier pièce 2.)

 

XXVI. — LETTRE PAR LAQUELLE VINCENT, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL AU MINISTÈRE DE LA GUERRE, ANNONCE À FOUQUIER-TINVILLE LA NOMINATION DE SON FILS COMME SOUS-LIEUTENANT DE CHASSEURS À CHEVAL.

Le fils de Fouquier (Pierre-Quentin), né le 20 juillet 1776, volontaire au 10e bataillon des fédérés des 83 départements, depuis le 2 août 1792, avait été nommé sous-lieutenant au 4e régiment de chasseurs à cheval, dans la compagnie du citoyen Miserey, le 8 juillet 1793, bien que n'ayant pas encore tout à fait l'âge voulu.

Le fait est intéressant à signaler, étant donnée la sévérité avec laquelle l'accusateur public poursuivait les infractions à la loi - chez les autres.

Le jeune Fouquier-Tinville semble d'ailleurs avoir été un très bon sujet. Les notes de son dossier en témoignent.) C'est Vincent, secrétaire-général du ministre de la Guerre, qui annonça à Fouquier la nomination de son fils, en ces termes :

« Je m'empresse, Républicain, de vous envoier la lettre que le ministre vient d'écrire à votre fils. Vous aurez le plaisir de l embrasser avant peu. Il n'en aura après que plus d'ardeur pouraller combattre les ennemis de la Patrie.

Je vous salue fraternellement.

VINCENT. »

(Arch. Nat., T. 28, cote 4re, 10e pièce.)

(Il n'est pas inutile de faire remarquer que, sept mois plus tard, Fouquier-Tinville requit contre Vincent, au Tribunal révolutionnaire).

 

XXVII. — LETTRE DE DIDIER JOURDEUIL[26] À FOUQUIER-TINVILLE

Liberté. Égalité.

Paris le 11 septembre 1793, l'an IIe de la République une et indivisible.

Je me suis empressé, citoyen, de remettre vos lettres aux camarades qu’elles concernoient. Je ne vous répéterai pas ce qu'a dit le citoyen Picard, qui m'a assuré vous avoir écrit ce matin. J’insisterai seulement pour que votre fils rejoigne le plus promptement possible. Outre que l'honneur le lui prescrit en ce moment, une conséquence

 

particulière vient encore à l'appui ; il n'a pas l'âge requis par la Loi et sa figure ne trompe pas à cet égard. L'empressement qu'il mettra à rejoindre son corps à Saint-Libre, ci-devant Saint-Louis, armée du Haut-Rhin, ne pourra que flatter ses frères d'armes en voyant le zèle qu'il manifestera pour le service de la République. Ainsi, les sentimens paternels à part, j'espère que vous serez convaincu de cette nécessité. Picard vous ayant déjà répondu quant à l'habillement et au cheval, je ne puis qu'appuyer ce qu'il a dit et vous inviter à croire aux sentimens fraternels de votre concitoyen.

JOURDEUIL.

(Arch. Nat. T. 281 cote 1re, 4e pièce.)

 

XXVIII. — LETTRE DU FILS DE FOUQUIER-TINVILLE À SON PÈRE.

(30 juillet 1793).

Citoyen et honoré Père,

Sensible à cette nouvelles preuves de tendresse et de souvenir de votre part, je ne puis en ce moment trouver de termes assez expressifs pour vous en témoigner ma vive reconnoissance. Je m'empresse à satisfaire à la demande que vous exigez de moi, afin que vous puissiez effectuer au plutôt des intentions qui flattent mon intérêt personnel. J'inclus dans la présente un certificat tel que vous me le prescrivez. L'atestation des membres composants le conseil d'administration de notre bataillon, que vous y trouverez, pourra vous convainque de la pureté de ma conduite et de l'intégrité de mon civisme, depuis l'instant de mon incorporation en le dit bataillon. J'ignore cependant si, malgré toutes les démarches qu'il vous a plu faire et que j'espère que vous daignerez continuer, vous pourez réussir dans votre résolution. Les temps sont critique et balancent les opinions. J'ai même peine à croire qu'il soit possible d'obtenir une démission quelconque vû l'authorité déléguée seule au pouvoir exécutif. Quoy qu'il en soit, mon père, agissez pour moy, n'épargnez ny soins ny démarches et munissez-vous d'un brevet qui m'authorise à quitter le corps où je suis et quy m'assure le grade d’officier dans tel bataillon que ce soit. Il vous plaira me le faire passer sans délay afin de mettre à même de faire à ce sujet près de mes chefs et autres les poursuites nécessaires.

Je finis, mon très cher père, en vous remerciant du vif intérêt que vous prenez à mon avancement et. en vous priant de me croire toujours doué des mêmes sentiments de respect et de reconnaissance dont je vous réitère la certitude. J'ai l'honneur d'être votre très humble serviteur et fils.

FOUQUIER-TINVILLE

Volontaire au 10e bon des 83 départements, 4e compagnie, en cantonnement à Hautmont, armée du nord, division Tourvil, près Maubeuge,

Mes respect, s'il vous plaît, à ma cher mère. J'attend votre reponse le plutôt possible.

Du 30 juillet 4793, l'an IIe de la République française.

(Arch. Nat. T. 28¹, cote 1re, 12è pièce.)

 

 

 



[1] L'orthographe de cette lettre est tellement extraordinaire que nous avons dû, pour la rendre intelligible, lui substituer 1 orthographe actuelle.

[2] Jean Huet, perruquier et canonnier de la section des Tuileries, fut guillotiné-le 27 germinal an II.

[3] Piloy, officier municipal, fut libéré le 25 floréal, an Il.

[4] (De l’écriture de Fouquier). « Cette lettre mérite la plus sérieuse attention. Ne pas prendre son contenu à la lettre ; mais employer les mesures douces et invitatives pour amener chacun, s’il est possible, à se comporter dans ses fonctions, en bon et vray républicain. »

[5] Simond (Philibert), député du Bas-Rhin.

[6] Arch. Nat. W. 500. 2e dossier, pièce 12,

[7] Thierriet-Grandpré.

[8] Félicité Lopriac-Douze, marquise de Quérhoent, guillotinée le 8 thermidor an II.

[9] Euloge Schneider, accusateur public à Strasbourg.

[10] C. signifie : citoyen.

[11] Louis du Bas-Rhin.

[12] Haute-Loire, arrondissement Le Puy.

[13] Cette note, écrite par Fouquier, à la suite du plan de son nouveau procès, répond aux affirmations des membres du Comité de Salut public, dénoncés par Lecointre à la Convention, qui disaient avoir fait défense à l'accusateur public de mettre en jugement 159 accusés à la fois, dans la conspiration des prisons.

[14] Citoyens.

[15] Botot-Dumesnil, lieutenant-colonel de la gendarmerie près les tribunaux.

[16] Le Brasse (Maurice-François), ex-sergent major au corps royal de la marine à Brest, avait été promu lieutenant dans la gendarmerie des tribunaux, le 10 août 1792. Il était l'un des deux officiers de gendarmerie assis en face de Louis XVI dans la voiture qui le menait au supplice. Il fut guillotiné le 24 germinal an II, comme complice de la Conspiration de Chaumette.

[17] Loiseau, député d'Eure-et-Loir. Cité au tribunal révolutionnaire dans l'affaire Choiseau (2 ventôse an II) fait décréter que les rapporteurs d'une affaire suivie de renvoi aux tribunaux ne pourront y être cités.

[18] Claude Chardin, brocanteur de livres, acquitté le 24 germinal.

[19] Vadier.

[20] Les influences de Vadier.

[21] Milhaud (Jean-Baptiste), député du Cantal, plus tard, général, s'illustra, à la tête de ses cuirassiers, en 1805, puis pendant la campagne de France et à Ligny, en 1815. — Soubrany (Pierre Amable), député du Puy-de-Dôme.

[22] Cette lettre est du 9 nivôse. Fouquier y fait allusion à un passage du rapport de Merlin de Douai fait à la Convention le 8 nivôse sur la réorganisation du Tribunal révolutionnaire. (Moniteur, an III, n- 104).

[23] Sic. Le texte du Moniteur porte : une lettre peu révolutionnaire.

[24] Côte-d'Or, arrondissement de Dijon.

[25] Rameau (Juste) et Berlier (Théophile), députés de la Côte d'Or, à la Convention.

[26] Didier Jourdeuil, ex-juré au Tribunal révolutionnaire, adjoint de Bouchotte, ministre de la guerre.