FOUQUIER-TINVILLE

DEUXIÈME PARTIE. — L'ACCUSÉ

 

CHAPITRE X. — LE SECOND PROCÈS DE FOUQUIER-TINVILLE - L'ENQUÈTE DU TRIBUNAL DU 8 NIVÔSE AN III.

 

 

Le tribunal du 8 nivôse an III. — Première séance. — Le discours d'Aumont. — Celui du président Agier.
L'instruction du procès de Fouquier recommence sur des bases plus larges, avec des indices nouveaux. — Dépositions. — Mme Cornulier, échappée miraculeusement à la guillotine. — Longue déposition des buvetiers du Tribunal, les Morisan. — Ce qu'étaient les audiences du Tribunal après le 22 prairial.

 

Le 8 nivôse an III (28 décembre 1794), la Convention nationale votait la réorganisation du Tribunal révolutionnaire, proposée par Merlin de Douai. Cette loi fut mise en pratique un mois après. Les magistrats qui composaient le nouveau Tribunal venaient de province. Leurs fonctions, à Paris, ne devaient pas durer plus de trois mois[1].

La première séance se tint, salle de la Liberté, le 8 pluviôse an III. Aumont[2] prononça un discours du genre historique, où il évoquait Brutus proclamant la liberté de Rome sur les débris du trône renversé des Tarquins, mais évitant de faire couler sur les échafauds le sang innocent. Il évoquait encore Sylla et Octave, Rome mise aux fers. Il saluait l'aurore des temps heureux de la justice. Le nouveau tribunal serait révolutionnaire, républicain, mais juste.

« Quand la vue du crime et la triste nécessité de faire tomber le glaive de la loi sur les têtes coupables viendront contrister vos cœurs, portez avec assurance vos regards dans un avenir qui n'est pas éloigné... Voyez la France plus puissante et plus respectée que Rome et Sparte, plus éclairée qu'Athènes, plus opulente que Carthage ; surtout plus heureuse que ces Républiques célèbres, parce qu'elle aura plus de vertus, et le spectacle de sa félicité préparant la liberté et le bonheur du monde[3] ».

Le président Agier[4] dit ensuite que ses collègues et lui « montaient avec effroi sur un tribunal de sang qui, naguère, en frappant comme au hasard quelques têtes coupables, envoyait incessamment à la mort des milliers d'innocentes victimes ».

« Prêtres de la justice, disait-il encore, nous sommes immolés nous-mêmes au bien public ; avant d'être sacrificateurs, nous devenons pour ainsi dire victimes ; obéissons puisqu'il le faut, et ne pouvant avoir le mérite du refus, ayons celui de la résignation. Si nous avons à rendre des jugements rigoureux, ce n'est pas à nous qu'ils pourront être imputés, mais uniquement à la Loi, dont nous serons, dans toute la sévérité du terme, les interprètes forcés ; nous ne répondons proprement que de notre zèle ; et la conscience nous dit qu'il ne saurait être plus pur... »

Les accusés qui seront jugés par ce Tribunal du 8 nivôse an III ne tiendront pas un autre langage que celui de leurs accusateurs. Eux aussi, ils diront qu'ils ont obéi. Eux aussi, ils diront qu'ils n'ont pu refuser. Eux aussi, ils se retrancheront derrière cette formule : la Loi. Eux aussi, ils soutiendront qu'ils n'ont fait que l'interpréter. Eux aussi, ils affirmeront qu'ils ont agi avec exactitude, avec un zèle rigoureux, qu'ils devaient agir ainsi et qu'ils sont les victimes de leur devoir.

Seulement, il convient d'observer combien les temps étaient changés. La magistrature des membres du Tribunal reconstitué le 8 nivôse fut sans risques et sans périls. Elle ne fut pas sans profits pour eux. L'autre magistrature, celle des membres du Tribunal du 10 mars 1793 et du 22 prairial 1794, aboutit, pour eux, à l'échafaud. Mais les juges de la Terreur avaient envoyé à la mort, du 6 avril 1793 au 22 prairial 1794, mille deux cent cinquante-neuf accusés, et du 22 prairial au 9 thermidor, treize cent soixante-six accusés, soit, en tout : deux mille six cent vingt-cinq victimes, l’espace de seize mois, tandis que les juges du Tribunal de nivôse an III ne prononcèrent que dix-sept condamnations à mort — celles de Fouquier-Tinville et de quinze d'entre ses co-accusés, plus une femme, Marie-Thérèse-Marchal Jacquet, convaincue d'intelligences avec les ennemis de la République.

 

* * * * *

 

Le 12 ventôse an III (2 mars 1795), l'instruction du procès de Fouquier recommença, sur de nouvelles bases, avec des indices nouveaux. Un plus grand nombre de témoins étaient entendus : greffier et commis-greffiers du Tribunal du 10 mars 1793 ; employés au parquet, huissiers, secrétaires de Fouquier, cochers du Tribunal, gendarmes, hommes de loi, défenseurs officieux, buvetiers, fonctionnaires de la police, marchands de vins, employés aux prisons, guichetiers, bourreau, valets du bourreau, anciens espions de prison, anciens accusés échappés aux sanctions du Tribunal, tous ceux, en somme, qui avaient vécu de la vie du Tribunal révolutionnaire pendant seize mois et quelques-uns de ceux qui, malgré le Tribunal, étaient encore en vie.

Ce sont ces dépositions, faites par-devant Charles-François-Joseph Pissis, juge au Tribunal révolutionnaire, commissaire nommé par ordonnance du 12 ventôse an III, signée Liger, vice-président, que nous avons tenu à analyser, d'après les originaux conservés aux Archives.

Dans ces longues dépositions, si curieuses, si intéressantes, dans ces interrogatoires écrits, signés par le juge enquêteur et par chacun des témoins, l'histoire vivante du procès transparaît. C'est la vie du Tribunal de la Terreur, l'existence de Fouquier, pendant seize mois, qui ressuscitent dans ces feuillets de grand format, couverts d'une écriture serrée par les greffiers qui ont tenu la plume alternativement. Reproduire in extenso ces témoignages n'était pas possible ; leurs longueurs, leurs répétitions eussent fatigué l'attention du lecteur. Nous les avons donc analysés, sans rien leur enlever d'essentiel. Puissent nos lecteurs prendre à lire ces analyses (où les détails, recueillis et notés sur le vif, sont précis et circonstanciés) tout l'intérêt que nous avons pris nous-mêmes à lire sur les documents originaux ces dépositions, à les transcrire, puis à les analyser !

 

Le premier témoin qu'interroge le juge Pissis, ce 12 ventôse an III, est une jeune femme de vingt-deux ans qui a échappé par miracle à la guillotine : Amélie-Laurence-Marie-Céleste Saint-Pern, veuve Cornulier[5], née à Rennes, Ille-et-Vilaine, et demeurant à Paris, rue du Sentier, section de Brutus.

Elle déclare que, le 1er thermidor an II, elle a comparu au Tribunal révolutionnaire avec son mari, avec son frère, avec son grand-père, sa mère et deux oncles. Elle fut condamnée à mort ainsi que son mari. Il n'y avait contre eux, à sa connaissance, aucun acte d'accusation, aucunes pièces de procédure. On leur remit la copie d'un acte d'accusation à la porte de l'auditoire. Elle n'a évité la mort qu'en se déclarant enceinte. Pendant l'audience, on ne lui demanda que ses noms, son âge, sa qualité, sa demeure. On n'entendit aucun témoin à charge ou à décharge. Elle voulut parler pour se défendre. Le président ordonna à deux gendarmes de la séparer de son mari et de la conduire à l'extrémité des gradins pour qu'elle ne pût lui parler.

Avant l'audience, quand on avait fait l'appel des accusés à la Conciergerie, ni son mari ni elle n'avaient été appelés, car ils n'étaient pas sur la, liste et ils n'avaient pas reçu d'acte d'accusation.

— Le porteur de la liste, dépose Mme Cornulier, étant aussitôt revenu, dit : « On veut qu'ils paraissent aujourd'hui à l'audience et ils ne sont point compris sur la liste ni sur l'acte d'accusation. » Il en envoya chercher un. M. Cornulier refusait de monter sur les gradins tant qu'on ne lui aurait pas exhibé un acte d'accusation où son nom fût compris. On le leur apporta à l'instant. Leurs noms y étaient compris. On le leur remit à l'entrée de la salle d'audience.

Son frère, Bertrand-Jean-Marie Saint-Pern, âgé de dix-sept ans, fut condamné le même jour sur un acte d'accusation dirigé contre son père âgé de cinquante-trois ans ».

« Il y était dénommé, dit le témoin, sous cette forme : « Saint-Pern et sa femme, gendre et fille de Magon de la Balue » qualité qui ne convenait qu’au père seul et à sa femme, et qu'on ne pouvait adapter à son jeune frère[6].

 

L'aide de l'exécuteur des jugements criminels, Pierre-François-Étienne Desmorest, qui a déjà déposé dans la première enquête, celle de brumaire, redit ce qu'il sait concernant Fouquier. Il n'a eu « aucune liaison particulière avec lui ». Un jour Fouquier se plaignait à lui de ce que les exécutions se faisaient tard. Il lui ordonna de venir prendre ses ordres. Desmorest vint tous les mutins. Ordinairement, Fouquier lui disait à onze heures ou à midi :

— Il faut dresser la guillotine pour deux heures, deux heures et demie. Il faut vous procurer tant de voitures. »

Un jour il lui dit qu'il en fallait dix à onze. Il ne trouvait jamais qu'il y eût assez de voitures parce qu'il ne voulait que sept à huit condamnés dans chacune d'elles[7]. Cependant il fallut un jour en mettre jusqu'à dix par voiture. Les jugements rendus, Desmorest allait trouver l'huissier qui devait assister à l'exécution et qui avait la liste des condamnés avec l'ordre de Fouquier. Desmorest se rendait avec cet huissier à la Conciergerie où le concierge « leur délivrait les condamnés, qu'on n'avait pas besoin d'appeler parce qu'ils étaient ordinairement renfermés dans un appartement séparé des autres détenus et gardé par des gendarmes ». Il les comptait, sa liste en main. Les condamnés étaient dépouillés de leurs effets avant d'être livrés à l'exécuteur. Par un arrêté de la Commune, ces vêtements furent transportés à l'Hospice du Tribunal révolutionnaire. Il ignore ce qu'ils devenaient.

A la fin de sa déposition, Desmorest rappelle que, le jour où Fouquier avait demandé de dix à onze voitures, c'était le 10 thermidor, pour les soixante et onze membres de la Commune de Paris, mis hors la loi. « Il reçut cet ordre dans la maison même de Fouquier. »

 

Étienne Simonnet, huissier au tribunal, 66 ans, déclare qu'il était trop occupé par les opérations de sa charge pour remarquer les menaces, les emportements de Fouquier dans le bureau des huissiers. Il ne sait que deux ou trois faits. Un jour, Fouquier a fait changer plusieurs jurés sur la liste de ceux qui avaient été convoqués. Plusieurs fois Simonnet a reçu du parquet des actes d'accusation « imparfaits » ; dans certains de ces actes, les noms des accusés ne figuraient pas « de sorte que l'on ne donnait les noms qu'au fur et à mesure qu'on les demandait au parquet ». Un autre jour, vers le vingt-deux prairial, Simonnet l'a entendu dire « qu'il ferait exterminer tous ces scélérats de conspirateurs, qu'il avait des ordres des Comités pour cela ». Un matin il vit, dans la cour de la Sainte-Chapelle, avant le jugement, un certain nombre de charrettes qui semblaient « destinées à conduire ceux qui devaient être condamnés[8].

 

Gabriel-Jérôme Sénar, 35 ans, homme de loi, demeurant à Tours, mais actuellement détenu à l'hospice de l'Évêché, déclare qu'il a de « grandes connaissances utiles à la décision de l'affaire Fouquier-Tinville, par ses relations, conférences et correspondances avec lui ».

Mais, il faut le dire, le témoignage de Sénar est des plus suspects. Sénar a été agent du Comité de Sûreté générale. Il a été président d'une commission militaire révolutionnaire établie à Tours ; il a été agent national de la Commune de Tours. C'est à la fois un policier et un dénonciateur de profession. Il sait bien que son témoignage peut être entaché de nullité puisqu'interrogé une première fois, il demandait si « l'on peut entendre comme témoin un homme enveloppé de soupçon, présenter sa déposition lorsque son nom est flétri dans l'opinion publique ». Il en profitait pour solliciter du Tribunal nouveau de vouloir bien « le traduire ou le juger, puisque, depuis huit mois, il ne peut obtenir de décision ni même d'accusation ».

Sénar dit qu'étant venu de Tours à Paris, par ordre du Comité, « il fit la malheureuse connaissance de Héron, agent principal du Comité de Sûreté générale qui s'empara de lui. » Héron le conduisit chez Fouquier-Tinville « qui paraissait très lié avec lui ». Fouquier reçut Héron en ces termes :

— Nos affaires vont bien. Les têtes tombent comme des ardoises.

Ils parlèrent ensuite de Santerre qui était arrêté. Sénar était commissaire dans cette affaire. Après explication sur le procès-verbal de Santerre, Fouquier répondit :

— Que m'importe à moi, que tu sois patriote ou non ? Quand le Comité de Salut public a dit de faire guillotiner quelqu'un, je le fais... Encore une fois, je ne suis qu'un être passif, obligé de faire périr ceux que Robespierre désigne. J'obéis dans ce cas au Comité de Salut public, j'en conviens. J'en suis fâché pour toi, si par la rivalité des deux Comités, Santerre était détenu plus longtemps, je te ferai monter sur mon petit gradin et tu y danseras la Carmagnole.

Sénar. — La Révolution doit-elle assassiner et ne doit-on pas avoir de justice ?

Fouquier. — Ce sont des contre-révolutionnaires et des coquins qui demandent la justice. Demande à Héron comment nous travaillons les têtes. En Révolution, il ne faut pas s'arrêter à ces babioles-là. »

Quelques instants après, Sénar entendit Héron dire à Fouquier :

— Bon, bon, mon ami. Coupons-leur la tête. C'est le moyen d'enrichir la République.

Sur quoi, ils se quittèrent.

Un jour, ayant affaire au cabinet de Fouquier pour lui remettre des pièces par ordre du Comité de Sûreté générale, il parla en faveur des membres du Comité révolutionnaire de Bourgueil à l'accusateur public et il le pria de ne pas les mettre en jugement tout de suite, quoiqu'ils fussent à la Conciergerie. Fouquier lui répondit :

— Voilà ce que c'est. Lorsqu'on veut porter la terreur dans les campagnes, maintenir la Révolution par la crainte, on trouve de ces messieurs de la faction des Indulgents qui s'apitoient, qui crient et notre coup serait manqué si nous les écoutions. C'est une bonne affaire. Il y en a de riches, car, en entrant à la Conciergerie, on leur a pris bien de l'argent.

Une autre fois, à propos de la mise en jugement de cette affaire, Fouquier, lui dit :

— J'ai tant d'occupations que j'oublie ce que je dis ou ce qu'on me propose.

Les membres du Comité de Bourgueil ont eu leur liberté grâce à un sursis.

Sénar ayant notifié à Fouquier un arrêté de mise en liberté pris par le Comité de Sûreté générale, l'accusateur public s'écria :

— C'est toujours de même ! Encore une liberté du Comité de Sûreté générale ! Mais je ne puis y accéder parce que, d'après la loi du 22 prairial, le Tribunal ne peut mettre en liberté sans le consentement du Comité de Salut public.

Et, malgré les observations de Sénar, il persista dans son refus. Sénar se retira. Comme il sortait, il rencontra le député Amar qui lui dit de l'attendre, qu'ils s'en iraient ensemble dans la voiture du Comité de Sûreté générale. Fouquier reparut et fut arrêté par un citoyen qui lui dit :

— Combien faudra-t-il de voitures aujourd'hui ? Fouquier compta sur ses doigts.

— Huit, douze, dix-huit, trente. Comptez sur trente.

L’autre qui était un « attaché à l'exécution des jugements criminels », se retira. Fouquier aperçut Sénar et lui dit :

— Qu'attends-tu donc ici ?

— J’attends le représentant du peuple Amar avec qui je dois aller en voiture ; je suis fatigué et je le suis bien plus encore à cause de l'effroi que vient de me causer ta réponse... Comment ! tu sais le nombre des condamnés et ils ne sont pas encore à l 'audience. Ils n'ont pas été jugés et ils ne peuvent l’être en ce moment, car il est trop matin.

— Bah ! bah ! reprit Fouquier, je sais bien à quoi m'en tenir.

Il le quitta brusquement, sur ces mots :

— Vous n'êtes pas de bons révolutionnaires, messieurs les formalistes !

Un autre soir, dans le cabinet des secrétaires du parquet où Sénar était occupé à rédiger l'inventaire analytique des pièces qu'il devait remettre, Fouquier entra et dit :

— Vous avez grand peur, monsieur le formaliste. Vous faites des détails comme pour un inventaire de production.

Héron était là[9]. Fouquier exigea de Sénar qu'il fût plus bref et le pressa de terminer son travail. Il renvoya le secrétaire. Il se faisait tard. Il s'agissait d'aller au Comité de Salut public. Fouquier fit demander deux gendarmes. On sortit. Les gendarmes suivaient, à quelques pas. Sénar marchait avec Héron et Fouquier. Ils les accompagna jusqu'au Comité de Salut public. Chemin faisant, Héron et Fouquier « s'entretenaient des victoires remportées par la guillotine ». Fouquier dit :

Je suis content de ses succès. Mais il y a des gens qui, bien que renommés patriotes, y ont passé. Il en passera encore d'autres. Et je crains que cela ne me joue un tour. J'ai vu les ombres de quelques patriotes (sic). Depuis quelque temps, il me semble que ces ombres me poursuivent. Comment tout cela finira-t-il ? Je n'en sais rien.

Sénar répondit :

— Quand un prévenu est accusé, il faut que l'accusateur public, lui-même, juge, dans sa conscience, l'accusation. Par un résumé exact et scrupuleux, il doit mettre les jurés dans le cas de ne point se tromper. S'il est contraint de faire le contraire, il doit quitter.

Sénar affirme avoir dit cela. Héron le fit taire.

— Tu es un bavard. Fouquier ne doit pas recevoir les conseils d'un blanc-bec. Il suffit de quelques crânes (sic) comme le tien pour perdre la Révolution.

Et, Fouquier :

— Oui, je m'aperçois que ce quidam-là n'est pas révolutionnaire. Nous ferions de belles choses si nous prenions des précautions.

Ils franchissaient alors le guichet du Louvre. Là, trois hommes mal vêtus, paraissaient être cachés. En entendant le pas des gendarmes et les voyant trois, ils passèrent leur chemin. Fouquier dit à Héron :

— Mon bon ami, nous ne profiterons pas de nos travaux révolutionnaires. Nous serons assassinés.

Héron répliqua :

— Qu'importe ! D'ici là nous en ferons disparaître quelques-uns. Ne t'inquiète pas. Quelques contrariétés que j'éprouve, au Comité de Sûreté générale, ce qui dérange parfois mes moyens, je n'en ferai pas moins ce dont nous sommes convenus et nous aurons encore des têtes.

Fouquier reprit :

— Il faut te taire devant les Indulgents.

Ceci était à l'adresse de Sénar.

— Bon, répliqua Héron, au moindre faux-pas qu'il fera, j'en aurai bientôt raison.

A l'entrée de la cour des Tuileries, ils se séparèrent un peu de lui. Sénar distinguait moins leurs paroles. Il entendit seulement la voix de Fouquier et ces mots, dits par lui :

— Nous serons toujours d'accord et nous leur ferons danser la Carmagnole.

Héron rejoignit alors Sénar. Ils s'en furent au Comité de Sûreté générale. Le craintif Sénar s'épancha dans le sein du député Amar'. Il dit qu'Héron lui en voulait et pourquoi. Amar le rassura : « Soyez tranquille. Le Comité vous connaît. Je veillerai à ce qu'on ne vous fasse rien. Si vous étiez arrêté de nouveau, vous ne seriez pas traduit au Tribunal sans être entendu. On prendra un arrêté qui vous renverra chez vous[10]. » Sénar respira.

 

Charles-Louis Perdry, 37 ans, rue Neuve-des-Petits-Champs, n° 492, juge au Tribunal du IIe arrondissement de Paris, compatriote de Fouquier, l'a connu avant la Révolution. « Leurs familles étaient alliées. » Il a été, avec lui, directeur du jury au Tribunal du 17 août 1792. Il l'a vu moins souvent depuis ses nominations de substitut et d'accusateur public. Il a assisté à certaines séances du Tribunal révolutionnaire. « Elles l'ont pénétré de douleur. »

Il n'a pu rester longtemps, « affecté de voir sur les tabourets et, peut-être, au milieu des coupables, des hommes revêtus de la confiance publique ». Il a été prisonnier au Plessis. La terreur y régnait. Les détenus redoutaient de se parler les uns aux autres. Il n'a jamais pu concevoir « comment on avait eu l'impudeur de soutenir qu'il y avait eu des conspirations dans les prisons ».

 

Anne-Marguerite Devilliers, femme Morisan, 50 ans, demeurant au Palais, Café des Subsistances, tenait la buvette du Tribunal. Fouquier y venait souvent manger. Il y attendait souvent, le soir, que les Comités de Salut public et de Sûreté générale fussent ouverts pour s'en aller et pour s'y rendre. Elle a entendu plusieurs fois Fouquier se plaindre qu'il faisait un métier cruel ; dire qu'il aimerait mieux être laboureur. Il demandait :

— Y a-t-il eu beaucoup de monde aux exécutions ?

Quand on lui disait qu'il y avait eu foule, Fouquier répondait :

— C'est affreux !

Et il levait les épaules. Quelquefois, il dînait seul. D'autres fois, avec certains jurés et certains juges.

Elle a été, parfois, à des audiences, avant le 22 prairial. Elle a vu Fouquier interpeller les accusés. Ils pouvaient librement lui répondre. Elle a entendu Fouquier dire au président :

— Faites telle ou telle question aux accusés et laissez-les répondre.

Après la loi du 22 prairial, elle a entendu Fouquier qui dînait à la buvette, dire :

— Ce temps-ci est bien cruel. Il ne peut pas durer.

Il se plaignait amèrement du président Dumas. Le 9 thermidor, il ne dîna pas chez elle. Il revint au Tribunal sur les six heures du soir. Il descendit à la buvette sur les huit ou neuf heures et dit :

— Je ne sais pas tout ce qui se passe et ce que cela veut dire.

Il envoya Malarme, un des secrétaires du parquet, pour s'en informer. Le citoyen Botot-Dumesnil, officier de gendarmerie, dépêcha de son côté quelques gendarmes. Fouquier dit :

Pour moi, je reste à mon poste, dussé-je y périr. Je ne crains rien.

Il y resta, en effet, jusqu'à une heure après minuit. Il sortit, alors, en disant :

— Je vais au Comité.

 

Madeleine Nicole-Sophie Morisan, 20 ans, demeurant chez son père, restaurateur, au Café des Subsistances, au Palais, a vu Fouquier-Tinville venir, plusieurs fois, chez son père, pour manger, à cinq heures du soir. Il était assis souvent seul et quelquefois avec des juges et des jurés du Tribunal. On venait lui rendre compte des exécutions qui avaient eu lieu. Il demandait à l'huissier s'il y avait eu beaucoup de monde. Sur l'affirmative de l'huissier, il haussait les épaules en disant :

— Quand cela finira-t-il ? Le vilain métier ! J'aimerais mieux aller labourer la terre.

Elle a été quelquefois aux audiences du Tribunal. Elle a vu Dumas empêcher les accusés de se défendre. Fouquier disait au président :

— Laissez parler les accusés.

Le 9 thermidor, Fouquier ne dîna pas à la buvette. Elle le trouva dans son appartement, sur les six heures du soir, avec son épouse. Sur les huit heures et demie ou neuf heures, Fouquier vint à la buvette boire une bouteille de bière, « comme il faisait assez ordinairement les soirs ». Il demanda à Botot-Dumesnil ce qui se passait. Il resta jusqu'à onze heures du soir et revint à la buvette à deux heures du matin. Il fut se coucher. Elle « n'entendit aucune conversation de Fouquier, à ce moment, parce qu'elle était elle-même endormie ».

De Dumas il disait : « C'est un gueux qui ne peut pas durer longtemps. » Jamais elle n'a entendu, chez elle, Fouquier parler des conspirations des prisons.

 

Charles Gombert Bertrand, 41 ans, ancien concierge du Luxembourg[11], n'a eu aucune relation avec Fouquier-Tinville. Il l'a vu au Tribunal. Après la loi du 22 prairial, il a entendu Fouquier, en sa qualité d'accusateur publie, interpeller les accusés. Il les laissait répondre librement.

 

Amand-Martial-Joseph Herman, 36 ans environ, demeurant place des Piques, n° 19, est l'ancien président du Tribunal révolutionnaire, celui du procès de Marie-Antoinette et de l'affaire Danton. Il déclare que « tous les faits dont est prévenu Fouquier étant postérieurs à sa sortie du Tribunal, il ne peut donner aucuns renseignements à cet égard ». Pendant qu'il était président du Tribunal révolutionnaire il ne lui est parvenu aucune plainte, aucune dénonciation contre Fouquier. « Il aurait bien désiré qu'il eût eu un peu plus d'ordre dans son travail », mais il ne connaît aucun fait qui puisse lui être imputé à crime, aucune prévarication dans ses fonctions.

En ce qui concerne la conspiration des prisons, il ne l'a connue que comme commissaire des administrations civiles, police et tribunaux[12]. Il a dû prendre des informations au sujet de cette conspiration. Il croît que Fouquier a accompagné une ou deux fois le citoyen Lanne[13] dans ses visites aux prisons, à fin d'enquête. Il ne peut dire de quelle manière ces informations ont été prises. « Il aime à croire que ces deux fonctionnaires ont rempli leur devoir à cet égard. » Lui, Herman, dit n'avoir jamais été dans les prisons.

 

Joseph Verney, 28 ans, habitant rue Geoffroy l'Angevin, n° 311, section de la Réunion, était vannier en 1790,1791, 1792. Du 3 août 1793 au 2 thermidor 1794, il fut porte-clefs au Luxembourg. Depuis, il remplit les fonctions de concierge à Saint-Lazare jusqu'au 28 thermidor. Il dit n'avoir eu aucune relation avec Fouquier-Tinville[14]. Quand il était au Luxembourg, il n'a vu qu'une fois, la nuit du 18 au 19 messidor, une liste apportée par un huissier. Cette liste contenait les noms de plus de cent « individus » qu'on transféra à la Conciergerie. Elle était signée Fouquier et portait le cachet du Tribunal. Ceux qui étaient portés sur la liste ne reparurent plus au Luxembourg, à l'exception de neuf ou dix qui furent acquittés.

 

Joseph-Honoré Vonschriltz[15], 28 ans, à Paris, place et section des Droits de l'Homme, inspecteur de police depuis un an et, avant la Révolution, menuisier, n'a vu qu'une fois Fouquier-Tinville venir à Bicêtre accompagné d'un détachement de gendarmes à pied et plusieurs voitures de transport pour enlever les détenus qui furent traduits à la Conciergerie et exécutés le lendemain, à l'exception de « quatre ou six qui servirent de témoins[16], et furent reconduits à Bicêtre ». « Les autres furent exécutés comme complices ou auteurs d'une conspiration tramée à Bicêtre. Pourtant, Vonschriltz n'avait reconnu dans cette maison « aucune trace de conspiration. » Il n'avait vu, chez les détenus, que de la soumission. L'administrateur de police Dupaumier, dont la rigueur faisait gémir les prisonniers, avait, avec Fouquier-Tinville, fait dresser une table dans la cour. Ils avaient une liste de ceux qu'ils voulaient faire monter dans leurs chariots. Fouquier les a emmenés[17].

 

Pierre-Nicolas Vergne, 36 ans, secrétaire du juge de paix de la section Lepelletier et ensuite membre du Comité révolutionnaire de cette section, habitant rue Favart, n° 7, n'a jamais rien eu de particulier avec Fouquier-Tinville.

Il l'a connu comme accusateur public. Il a quelque fois assisté à des audiences du Tribunal. Il n'a jamais vu siéger Fouquier. Il allait lui porter, comme membre du Comité révolutionnaire, des pièces soit à charge, soit à décharge concernant des individus traduits. Fouquier les remettait à un commis qui les comptait. Vergne s'en faisait donner un reçu. Une seule fois il a dîné avec Fouquier qu'il ne connaissait pas encore. C'était vers le mois de juin 1793, un dimanche où toutes les autorités constituées de Paris s'étaient rendues à la Convention. Il y avait à ce diner de sept à huit personnes, « entre autres Montané, alors président du Tribunal ; Pâris, greffier ; Chrétien, juré ». Il ne fut question de rien de particulier.

Le juge demande à Vergne s'il n'a eu aucune conversation particulière avec Fouquier, lors de l'assassinat de Collot-d'Herbois par Admirai.

— Quelle idée aviez-vous de cette affaire et quelle idée en avait Fouquier ?

— Ce jour-là, sur les 6 à 7 heures du matin, Admirai fut interrogé. Accompagné du juré Chrétien et d'un autre membre du Comité révolutionnaire de la Section, j'allai porter à Fouquier les déclarations faites par les gens qui étaient présents au moment de l'attentat d'Admiral, ainsi que l'interrogatoire de ce dernier. Nous trouvâmes Fouquier au lit. Nous lui remîmes les pièces. Fouquier nous demanda si nous ne croyions pas que cet assassinat « fût l'effet d'un complot plus étendu ». Nous répondîmes que nous ne le croyions pas. »

Vergne ne fut pas entendu comme témoin, bien qu'assigné, dans cette affaire.

 

Pierre-Joseph Boyaval[18], 26 ans, détenu à l'Hospice National, tailleur et, avant son arrestation, lieutenant d'infanterie légère, détenu depuis le 20 brumaire an II, d'abord au Luxembourg, puis à Sainte-Pélagie, puis au Plessis, enfin à l'Hospice, est un. vieil habitué des prisons de la Terreur. Mais il n'en a pas trop souffert. Nous avons vu qu'il servait d'espion de prison ou de mouton.

Il déclare que le 19 messidor, Fouquier, comme accusateur public, l'envoya chercher au Luxembourg avec Beausire, Amance, Vauchelet, Julien, Meunier, Lenain, Boispereuse, Benoit[19]. Fouquier lui demanda son nom et lui dit :

— Tu vas paraître au Tribunal révolutionnaire. Il faut parler comme tu le sais.

Puis il le renvoya. Le 21 du même mois, Fouquier envoya chercher les témoins. Il monta au cabinet de l'accusateur public, accompagné d'un gendarme ; il lui remit la lettre dont l'avait chargé un prisonnier du Luxembourg. Il n'eut aucun entretien avec lui. Le même jour, un peu plus tard, il demanda encore à parler à Fouquier. Un gendarme l'accompagna. Fouquier le fit attendre pendant une heure, dans un corridor. Quand l'accusateur, qui était en conversation avec Coffinhal, fut libre, Boyaval lui demanda la permission d'aller, sous la garde d'un gendarme, diner chez ses parents. Refus de Fouquier.

Le 22 messidor, Fouquier l'envoya encore chercher, toujours avec les mêmes témoins. Mais il ne lui a pas parlé. Boyaval a écrit depuis bien des lettres à Fouquier pour lui dénoncer des faits relatifs à une conspiration de 300 détenus « dans le rez-de-chaussée du Luxembourg ». Il n'a jamais reçu de réponse[20].

 

Antoine Vauchelet, 32 ans, négociant à Paris, rue du Gros-Chenet, n° 2, section Brutus, n 'a jamais connu Fouquier.

Mais Vauchelet est, comme Boyaval, un habitué des prisons. Comme Boyaval, il a rendu des services. C'est un mouton, lui aussi. Pendant sa détention au Luxembourg qui a duré du 9. septembre 1793 au27 thermidor suivant, il « a cru remarquer que Verney, porte-clefs de la maison d'arrêt, avait quelques affinités avec Fouquier ». Il se vantait d'aller le voir. Boyaval lui aurait dit, à lui Vauchelet, qu'il y avait encore beaucoup de conspirateurs dont Fouquier lui avait demandé la liste.

Le 19 messidor, cité comme témoin au Tribunal, il aurait vu Boyaval entrer chez Fouquier. Ce même jour, il vit « avec étonnement » parmi les accusés, un certain Morin arrivé[21], la surveille, à la Conciergerie et conduit au Tribunal, par suite d'une erreur de noms. Ce Morin en a fait l 'observation à Fouquier. Fouquier répondit « qu'à la vérité Morin n'était pas celui qu'il cherchait, mais qu'il le tenait et qu'il le gardait ». A l'instant, paraît « le vrai Morin », celui qu'on cherche. Fouquier le fait mettre au nombre des accusés, « rend sa plainte verbale à l'audience, sans aucun autre acte d'accusation signifié à l'accusé qui est condamné avec les autres ». Le premier Morin est retiré de cette audience pour être remis en jugement le lendemain et condamné comme son homonyme.

Vauchelet tient à rejeter sur Verney et Boyaval toute la responsabilité des dénonciations faites à Fouquier et provoquées par l'accusateur public. Il dit que Fouquier « retenait Boyaval », restait en conférences secrètes avec lui. Mais Boyaval a nié avoir eu des conversations particulières avec Fouquier. Lequel croire de ces misérables, prêts à tout et cherchant, en s'accusant les uns les autres, à « tirer leur épingle du jeu » ?

Appelé une seconde fois, un jour que Fouquier n'était pas à l'audience, Vauchelet affirme que, ce jour-là, tous les témoins furent entendus. « Six, dit-il, de ces témoins, dont moi, parlèrent en faveur de quatorze ou quinze accusés et les défendirent avec chaleur. » Onze accusés furent acquittés sur quarante-cinq. Un juré (il ne le connaît pas) lui fit observer qu'il devait se résumer et indiquer les complices de la Conspiration Grammont.

 

Pierre-Marie Bligny, successeur de Fouquier comme procureur au Châtelet, demeurant rue Neuve-Égalité, section Bonne-Nouvelle n° 297, déclare qu'il a connu le citoyen Fouquier en septembre 1783 « époque à laquelle il a traité d'un office et pratique de ci-devant procureur au ci-devant Châtelet dont était pourvu le dit Fouquier ; que des motifs d'intérêt l'ont mis dans le cas de ne point voir le dit Fouquier pendant plus de dix années ; que la place d'accusateur public au tribunal du département mit le déclarant dans le cas de voir le dit Fouquier pour raison d'une affaire dans laquelle il était conseil. » Plusieurs fois, il le revit comme défenseur lorsque Fouquier était accusateur public du Tribunal révolutionnaire. Il ne lui a jamais parlé que des affaires dont il était chargé et de rien d'autre. Il déclare qu'il n'a eu aucune connaissance des conspirations des prisons ni de « ce qu'on appelait les feux de file », n'ayant plus eu d'affaires au Tribunal depuis un an environ.

 

Pierre-Athanase Pépin-Dégrouhette[22], 43 ans, homme de loi, défenseur officieux, président du tribunal du 17 août 1792, demeurant à Paris, rue du Sentier, n° 25, section Brutus, a connu Fouquier, en septembre 1792, comme directeur du jury d'accusation dont il était lui, Pépin, un des présidents. Il le perdit de vue et le retrouva au Tribunal révolutionnaire. Pépin-Dégrouhette défendait des accusés.

Pendant les six ou sept premiers mois de l'existence du Tribunal révolutionnaire, il trouva Fouquier « très accessible aux plaintes des malheureux, très facile à accorder les délais nécessaires pour préparer les moyens de défense des accusés, pour faire venir les pièces et témoins à décharge ». Mais, vers la fin de 1793 et dans les premiers mois de l'an II, « les choses changèrent cruellement ». Fouquier « devint inabordable ». On cachait aux défenseurs les jours où devaient paraître les accusés. On signifiait les actes d'accusation le soir et, quelquefois, bien avant dans la nuit. Les malheureux montaient souvent, le lendemain, au fauteuil, sans leurs défenseurs et sans leurs pièces. Pépin-Dégrouhette s'en plaignit vivement à Fouquier. Celui-ci s'emporta et dit à diverses reprises :

— Je n'y peux rien ! J'ai la main forcée.

Le 2 floréal an II, Pépin fut arrêté et conduit à Saint-Lazare. Sa femme alla, dès le lendemain, trouver Fouquier pour le prier de ne pas faire mettre en jugement les accusés que son mari s'était chargé de défendre. Fouquier la reçut très brutalement et lui dit « qu'il n'arrêterait pas le cours de la justice pour son mari ». Plusieurs citoyens furent, en effet, jugés et condamnés tandis que les pièces étaient sous les scellés apposés chez Pépin-Dégrouhette.

Dans l'affaire de la conspiration de Saint-Lazare qui tint l'audience pendant trois jours, Fouquier ne siégea que le premier jour. Il parut « mettre moins d'acharnement que Liendon qui siégea les deux autres jours[23]. »

 

Jean-Henry Voulland, 43 ans, représentant du peuple, rue Croix-des-Petits-Champs, n 108, n 'a eu aucunes relations avec Fouquier que celles qu'il pouvait avoir en qualité de membre du Comité de Sûreté générale. Il ne peut donner aucun renseignement à charge ou à décharge[24].

 

Un autre député, André Amar, 39 ans, représentant du département de l'Isère et membre du Comité de Sûreté générale, ne peut dire si Fouquier était en relations particulières avec Robespierre. Il soupçonne bien que Maximilien avait beaucoup d'influence sur Fouquier, Coffinhal, Dumas, et plus particulièrement sur ces deux derniers que sur Fouquier. Il se rappelle avoir vu au Comité de Sûreté générale une dénonciation dans laquelle on accusait Fouquier d'avoir diné, le 9 thermidor, avec Coffinhal et Dumas[25] Cette dénonciation a été envoyée au Tribunal avec toutes les pièces à charge contre Fouquier-Tinville. Il ne sait rien de plus.

 

Claude-Emmanuel Dobsen, 53 ans, deux fois président du Tribunal révolutionnaire, rue du Cloitre-Notre-Dame n° 7 bis, section de la Cité, a été collègue de Fouquier comme directeur du jury d'accusation. Nommé président du Tribunal révolutionnaire à la place de Montané, «il eut avec Fouquier les relations les plus intimes ».

Jamais, il n'a « remarqué en lui rien qui pût être contraire aux principes de la plus étroite justice. »

Dobsen n'a quitté le Tribunal qu'en vertu du décret du 22 prairial qui ne l'a pas renommé.

Quand Herman, président, fut nommé ministre de l'intérieur, Dumas « président en chef », Scellier et Coffinhal, vice-présidents, dès ce moment l'instruction changea de forme. Il sembla à Dobsen que Dumas dirigeait toutes les opérations. Il l'a entendu se plaindre, plusieurs fois, de Fouquier-Tinville et de ce qu'il ne lui « mettait pas plus de monde en jugement à la fois ». Depuis le 22 prairial, il a quelquefois fréquenté le Tribunal. Il a vu avec horreur presque tous les accusés jugés sans avoir eu la facilité d'opposer leur défense. Il en a même vu juger un très grand nombre auxquels on se bornait à demander leur nom, leur qualité. Les débats étaient, de suite, fermés, les questions posées et la condamnation prononcée. Plusieurs fois, en arrivant au Palais, il a vu réunies dans la cour les voitures destinées à conduire les condamnés à l'échafaud avant même que l'audience fût commencée[26]...

 

Denis-Michel Jullien, 30 ans, négociant, quai de Chaillot, n° 12, section des Champs-Elysées, dépose d'une façon analogue à celle de Vauchelet. C'est l'histoire de la conspiration des prisons. Comme Vauchelet, comme Amans, comme Beausire, comme Boyaval, etc., il a été appelé, du Luxembourg où il était détenu, en qualité de témoin au Tribunal. Il a, lui aussi, joué le rôle de mouton. Maintenant, comme les autres, il se vante d'avoir, par son témoignage, sauvé des accusés. Il charge Dumas mais il ne dit rien de Fouquier-Tinville[27].

 

 

 



[1] CAMPARDON, le Tribunal révolutionnaire de Paris, t. II, p. 132.

[2] Aumont, commissaire des administrations civiles, police et tribunaux, devint chef du bureau des lois ou de consultation au département de la police générale, puis chef de la division de la sûreté jusqu'à l'an VIII. Nous ne le retrouvons plus en l'an IX.

[3] Arch. nat. W. 532, reg. 5.

[4] Agier, ancien avocat au Parlement de Paris et députe suppléant de Paris aux États généraux ; juge au tribunal du IIe arrondissement ; démissionnaire après le 10 août, il n'était entré en fonctions qu'après le 9 thermidor.

[5] Elle signe ainsi.

[6] Interrogatoire du 12 ventôse an III, W. 500, 3e dossier, pièce 45 bis, f° 1.

[7] Nous avons vu qu'il y avait eu des ordres formels des Comités à ce sujet.

[8] Interrogatoires du 12 ventôse an III, W. 500, 3e dossier, p. 45 bis, f° 2 et 3.

[9] Pour ce qui concerne Héron, lire, dans la 1re série de Vieilles maisons, vieux papiers de M. Lenôtre, l'article intitulé : Deux Policiers (Héron et Dassonville).

[10] Interrogatoires de Sénar des 13 et 14 ventôse an III, W. 500, 3e dossier, pièce 45 bis, f° 4 à 7.

[11] Il ne l'avait été que depuis le 18 thermidor.

[12] Poste auquel il fut nommé après la condamnation des Dantonistes.

[13] Adjoint d'Herman.

[14] Ceci est démenti par les faits. Une pièce existe (Arch. nat. W. 500. 2e dossier, pièce 28) qui n'est autre qu'une dénonciation de Verney contre 20 prisonniers du Luxembourg, écrite de la main de Fouquier, approuvée et signée par Verney.

[15] C'est ainsi qu'il signe.

[16] Des moutons. Voir chapitre III.

[17] Interrogatoires du la ventôse an III. W. 500, 3e dossier, p. 45 bis, f° 7 à 12.

[18] Il signe ainsi.

[19] Autres moutons.

[20] Interrogatoires du 17 ventôse an III. W. 500, 3e dossier p. 45 bis, f° 12 à 16.

[21] Voir chapitre III.

[22] Il signe ainsi.

[23] Interrogatoires du 18 ventôse an III. W. 500, 3e dossier, pièce 45 bis, f° 16 à 18.

[24] Interrogatoire du 18 ventôse an III. W. 500, 3e dossier, pièce 45 ter, f° 1.

[25] C'est vrai pour ce qui concerne Coffinhal ; mais taux pour Dumas puisqu'il venait d'être arrêté ce jour-là. (Voir le chapitre IV).

[26] Interrogatoires du 18 ventôse an III. W. 500, 3* dossier, pièce 45 ter, f° 1.

[27] Interrogatoire du 18 ventôse an III. W. 500, 3e dossier, pièce 45 ter, f° 1 à 2.