Lettres de
Fouquier-Tinville à sa femme. — Il n'a plus qu'à attendre que son sort se
décide. — Son inquiétude est d'être « sacrifié et non jugé. »
Pourquoi, sans écarter
systématiquement le témoignage de l'Histoire parlementaire et celui du
Procès
imprimé de Fouquier-Tinville, nous tenons à recourir surtout à l'enquête
manuscrite.
Début de cette
enquête.
L'an II
s'achève. Pour Fouquier-Tinville les mauvaises nouvelles se succèdent. Dans
son esprit, il est évident que son procès sera celui des « patriotes qui ont
occupé des places dans la Révolution ». Cet homme sombre et rude souffre dans
ses affections de mari et de père. Il songe ; il réfléchit et il se dit que
sa famille va mourir de faim. « Citoyen
président, a-t-il écrit le 25 thermidor au président de la Convention
nationale, permettez qu'un malheureux père d'une nombreuse famille rappelle
au souvenir de la Convention que l'exercice rigoureux des fonctions
d'accusateur public près le Tribunal révolutionnaire de la République lui a
donné pour ennemis tous les ennemis de la République ; cependant, en tout, il
a ponctuellement exécuté les décrets de la Convention et les arrêtés des
Comités de salut public et de sûreté généralle. Ferme de son innocence,
il ose réclamer de la Convention la justice qu'elle peut seule lui rendre. « A.-Q. FOUQUIER[1]. » Il
correspond avec sa femme par l'entremise de leur fidèle domestique. La
citoyenne Fouquier-Tinville envoie à son mari la nourriture, le linge et les
livres dont il a besoin. Les lettres de Fouquier nous ont été conservées.
Elles sont très intéressantes ; mais elles ne sont pas datées. Les premières
ont été écrites à la Conciergerie, au moment où l'ex-accusateur public
rédigeait ses longs mémoires justificatifs. Les autres sont postérieures à
son internement à Sainte-Pélagie. Voici quelques-unes de ces lettres, telles
que nous les avons copiées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris[2]. Première lettre. « Je
t'invite de nouveau, ma bonne amie, à presser la fin de l'impression de mes
mémoires, à les corriger comme je l'ay fait et surtout à n'en distribuer
aucun à qui que ce soit que je [ne] te le mande : tu dois en deviner le motif
: je m'occupe de dresser la liste de ceux auxquels je crois devoir en être
distribués : je compte assez sur ton amitié pour ne pas douter que tu
n'exécutes mes intentions sur ce point. « Tu
me marques que le citoyen Asselin t'a dit qu'il croyait que mon frère aisné
viendroit pour mon affaire ; je le souhaite, mais qu'y fera-t-il, si non
qu'il pourra t'épargner quelques démarches : car tu dois être bien fatigué
(sic) : mon innocence me donne quelque tranquillité, mais la perspective ne
me console pas, surtout toujours abandonné à moy-même, je me livre à une
foule de réflexions plus sinistres les unes que les autres ; qui auroit
jamais dit qu'en faisant mon devoir comme je l'ay fait, je serois réduit à
cette triste position pour des monstres avec lesquels je n'ay jamais frayé :
le temps est un grand maître, je le sçais ; aussi c'est sur lui seul que je
compte : « De
nouveau aucun mémoire à personne ; pas même à Viefville ny à aucun autre ;
mais tu peux en envoyer par la voye d'Asselin à mes frères, en lui
recommandant de n'en garder aucun et de n'en donner à lire à personne : il
faut attendre quelques jours pour cette distribution : pour les dernières,
qu'il n'en soit remis à personne jusqu'à nouvelle détermination ; bien
entendu que ta tante peut le lire à la maison ; recommandez bien à
l'imprimeur de n'en pas donner ; je crains cela plus que tout le reste. « Tâchez
d'aller ce soir aux Jacobins et mandés m'en demain le résultat avec d'autres
nouvelles. « Point
de distribution non plus au tribunal quant à présent. « Je
t'embrasse derechef, informe-toy des nouvelles du jour. « As-tu
reçu les 90 exemplaires que je t'ay renvoyés ce matin, tu ne m'en dis rien.
Je feray la liste des personnes à qui il faut en donner. « A la citoyenne Fouquier. » — En
haut de la lettre, Fouquier a écrit ce postscriptum — : « Ouy je mangeray
bien des œufs. » Deuxième lettre. « Bonjour,
ma bonne amie, tu n'attendois pas si matin de mes nouvelles : tu as sans
doute inséré dans mon mémoire les différentes additions que je t'ay transmise
notament celle finissant par ces mots, les grands conspirateurs ex-nobles
et prêtres. « Je
désirerois que tu fisses ajouter après ces mots ex-nobles et prestres,
ceux-cy : d'après les circonstances actuelles il ne peut rester aucun doute
sur les véritables motifs de fauteur de la déclamation et dénonciation contre
moy dirigée. « Et
au lieu de ces mots dans l'art de l'éloquence comme sans prétention, il
convient y substituer ceux-cy : sans fiel comme sans passions : ce passage
est à la fin de la dernière partie de mon mémoire. « Ces
changemens sont nécessaires : ma demande doit te prouver que mon affaire
m'occupe pardessus tout. « Dans
le cour de mon mémoire et vers la fin il y est parlé de la conspiration du
Luxembourg ; notament il doit s'y trouver ces- expressions, ce qui a été
ponctuellement exécuté les 19,21 et 22 messidor. « Or,
je désirerois qu'en marge de ces expressions et par forme de renseigne mens
on mit ces mots : il doit se trouver dans les archives de la Commission
populaire séante au Louvre une lettre que je luy ay écritte dans la nuit du
18 au 19, dans laquelle je lui mande que d'après la décision du Comité de
salut public l'affaire de la conspiration du Luxembourg se jugera en trois
séances ; j'invite en conséquence la Commission populaire à me transmettre
dans la matinée du 19 toutes les notes, pièces et renseignements qu'elle
pourroit avoir relativement à ceux qui devoient être mis en jugement et dont,
à cette fin, je luy ay transmis les noms avec ma lettre ; j'en ay usé ainsi
dans toutes les autres affaires. « On
peut mettre cette note au bas de la page si en marge on prévoyoit qu'il n'y
eut pas assez de place. « Quand
l'on fait un mémoire sans pièces, ce n'est qu'.en réfléchissant et avec le
temps que l'on parvient à se rappeler différents faits importants. « A
la citoyenne Fouquier, rue de Laharpe n° 242 au troisième sur le devant ou
243, section Chalier. » — En
haut de la troisième page de cette lettre — : « Si tu payes le
commissionnaire tu lui donneras 25 centimes et tu me le marqueras. » Troisième lettre. « Je
suis satisfait de ta lettre, ma bonne amie ; dans l'espoir d'être transféré
ce soir ou demain matin, je te renvoye une chemise, les deux volumes des
Révolutions de Prudhomme ; informes tov où est l'arresté qui m'autorise à
amalgamer ; je ne me rappelle pas ; au surplus, mon affaire n'est
malheureusement embarrassante sur ce point comme sur tout le reste : envoyes
demain à huit heures du matin ; si je suis transféré, j'emporte-ray ce que je
pourray ; sois toujours aux aguets, surtout prépares les numéros de Fréron
pour ma deffense. « Bonsoir,
bonne nuit et bonne santé. « A
la citoyenne Fouquier, rue de Laharpe n° 242. » Quatrième lettre. « Tu
as raison, ma bonne amie, apposer ma signature à mon mémoire est le seul
parti à prendre pour éviter toute contrefaction : cela est très praticable,
car qu'ay-je de mieux à faire que d'éviter tous les pièges que l'on cherche à
me tendre : je te remercie. des nouvelles que tu me donnes ; envoyés moy
demain une dixaine d'exemplaires et plus si tu peux de mémoires pour que je
les signe et tu ne les distribueras qu'aux personnes que je t'indiqueray. Je
ne vois et ne sçais rien : les administrateurs nous ont fait espérer hier que
nous aurions bientôt les journaux ; je le souhaite : continues à m'envoyer ce
que tu estimeras le mieux : tu sçais que je ne suis pas difficile pour le
mangé ; je mange parce qu'il le faut. Envoyes-moy du sel, du poivre, et
débouche la bouteille, car je n'ay ny couteau ny cizeaux ny tire-bouchon. « Je
te fais passer des bas de soye, deux torchons, une chemise, un mouchoir, une
bouteille. « Je
L'embrasse, nos enfans et ta tante. « A
demain. Je
garde l'heuille servant pour la fricassée. A la
citoyenne FOUQUIER.
» Cinquième lettre. « Je
voudrois, ma bonne amie, que tu me fisses passer quelques exemplaires de mon
mémoire demain avec mon dinée, car je n'en ay plus un ; je t'ay laissé en
maîtresse user de mon mémoire, ainsi que tu aviserois, ainsi agis pour le
mieux ; sçaits-tu si les mémoires que tu as envoyés à la Convention ont été
distribués, sçaits-tu s'ils se vendent, bien entendu au profit de l'imprimeur
: je t'ay demandé une copie des lettres de Marat ; joins aux originaux celles
de Montanet ; Brochet demeure rue Andrée des Arts près celle de l'Eperon ; je
t'observe qu'étant essentiel de conserver de mes mémoires, il importe de ne
pas les laisser épuiser ; je n'ay ny cuillère ny fourchette ; comme on ne se
sert que de cuillères de bouët et de fourchettes semblables à la cuillère
cassée que je t envoye, envois-moy demain deux cuillères et une fourchette,
car cette cuillère ne m'appartenant pas, il faut que je la rende au prêteur. « Je
m'ennuye furieusement de ma position que je supporterois avec plus de
patience si je l avois méritée ; veilles toujours à sçavoir ce qui se débite
à mon sujet, car il faut une fin. Bonsoir, bonne santé, je t'embrasse, ta
tante et mes enfants. « Je
n'ay plus d'eau-de-vie depuis avant-hier. « A
la citoyenne FOUQUIER, rue de la Harpe, n° 242. » Sixième lettre. « Je
reçois ta lettre, ma bonne amie, qui me fait d'autant plus de plaisir qu'elle
m'assure que tu te portes bien ; j'ay reçu aussy mon mémoire ; je vais tout
arranger de manière que tu puisse tout avoir cet après-midy. « Salut,
etc. » « Je
t'embrasse, ta tante et mes enfants. Je voudrois avoir une bouteille
d'eau-de-vie, car on ne se soutient qu'en en prenant un peu. « A
la citoyenne FOUQUIER.
» Septième lettre. « Je
t'adresse, ma bonne amie, la liste des témoins que j'estime devoir être cités
pour ma justiffication avec les faits qui sont personnels à chacun d'eux : il
importe que tu la remettes à Lafleu-rie, après l'avoir lue et l'avoir fait
lire aux personnes qui ont connaissance de ce qui se passe et en qui tu as
quelque confiance. « Il
seroit à propos de faire donner des mémoires à Martin, ancien juré, rue de
Savoye, section Marat. « Je
vois que tu as beaucoup de peine, je voudrois pouvoir te l'éviter ; mais il
faut se soumettre au sort ; il faut espérer qu'il arrivera un moment plus
heureux ; je ne suis point encore interrogé, il est six heures ; je ne le
seray sûrement pas aujourd'huy et ne peux l'être demain à cause de la fête.
Bonsoir, bonne santé, un plus long détail demain. A la
citoyenne FOUQUIER,
rue de la Harpe, n° 242. » Huitième lettre. « Il
est huit heures demies, ma bonne amie, et je n'ay encore eu aucunes nouvelles
du tribunal ny d'ailleurs : de manière que je ne peus t'assurer si à l'heure
du dîner je seray à Pélagie ou ailleurs[3]. Si je vais au tribunal et que
j'y reste je te le feray dire ; si je suis transféré ailleurs, la bonne
sçaura l'endroit à Pélagie : voilà la perplexité dans laquelle je me trouve ;
ainsi j'attends toujours comme à l'ordinaire ; quant à la question sur l'amalgame,
j'ay ma réponse prête : c'est une triste ressource pour mes ennemis. Si tu
apprends autre chose, mandes-le moy sur-le-champ. Sois toujours aux aguets
soit par toy soit par ceux qui peuvent encore prendre quelque intérest à moy
: par exemple tu pourrois envoyer au tribunal sur les dix heures sçavoir si
j'y suis arrivé ou si l'on dispose (sic) à m'y traduire : bien des choses au citoyen
de Vitry et à tous autres. Bonjour à tout le monde. « A
la citoyenne FOUQUIER,
rue de la Harpe, n° 242. » Neuvième lettre. « Je
t'ay plaint, ma bonne amie, des fatigues que tu as dû éprouver pendant toute
la journée que tu es restée à la Convention sans y avoir rien pris : tu as dû
bien souffrir de toutes les manières : avec raison tu considères que les
affaires vont bien mal : ce qui se passe doit te rappeler que j'ay prévu ces
événemens en te marquant à l'époque de l'affaire du Comité révolutionnaire
qu'on chercheroit à soulever les esprits contre Carrier et ensuite contre
moy. Tu vois que telle est la marche que l'on tient : l'on peut dire que
jamais position ne fut plus affligeante que celle où je me trouve : l'espoir
de faire triompher mon innocence me soutient seul, et mon unique chagrin se
porte sur toy et ma malheureuse famille : encore un coup je suis sûr de mon
innocence ; mais, dans cet état de choses, le moyen de faire entendre ma
défense ? Voilà mon inquiétude, c'est d'être sacrifié et non d'être jugé : « Aussi
je t'envoye dans mon portefeuille une lettre renfermant mes sentimens pour
toy et deux autres que tu feras passer, s'il y a lieu, dans son temps : ne
t'en affliges pas, ce sont les sentimens gravés dans mon cœur que je te
transmets et que je n'aurois peut-être pas occasion de te faire parvenir :
peut-être serai-je plus heureux ? et les manifesterai-je en personne ? je le
désire ; mais en pareille occurrence, il faut s'attendre à tout : c'est
pourquoy j'ay pris ce parti : ne t'affectes pas, encore un coup. « Il
faudra que tu prennes les plus grands soins pour que mes créanciers ne te
fassent pas saisir jusqu'à ta dernière chemise, plus le domaine ; ainsi la
première chose sera de renoncer à la communauté et d'emporter les objets
transportables le plus possible : le poulet me servira aujourd'huy et demain
: je t'embrasse de tout mon cœur, portes-toy bien : j'embrasse tante et
enfants. « A la citoyenne FOUQUIER[4]. » * * * * *
Lettres
singulièrement émouvantes que celles-là ! Son rôle est fini. Le masque est
tombé. Ce n'est plus l'accusateur public, c'est un homme, un mari, un père.
La pensée qui vit dans ses yeux est celle de l'infortune inouïe des êtres
pour l'existence desquels il a fait l'œuvre de sang. Maintenant, il est
traqué, encagé comme un fauve ; il appartient aux hommes de Thermidor. Sa vie
est entre leurs mains. Pendant
les premiers temps de sa détention, il se préparait à la lutte. Il était tout
à sa défense. Il a écrit des lettres. Il a rédigé ses Mémoires. A
Sainte-Pélagie, au milieu des prisonniers, anciens jurés du Tribunal
révolutionnaire ou autres fonctionnaires de la Terreur, tels que Vilain
d'Aubigny, Audouin, Guyard (l'ancien concierge de Saint-Lazare) il parlait haut, disant qu'il
faisait imprimer un mémoire contre les Comités et qu'il documentait Lecointre
pour sa dénonciation sensationnelle à la Convention[5]. Maintenant,
il n'a plus rien à faire qu'à attendre que son sort se décide. Et quelle
attente ! « Voilà mon inquiétude, c'est d'être sacrifié et non jugé ! »
Il sait que le Comité révolutionnaire de Nantes, que Carrier[6] sont mis en jugement. Son tour
va venir de monter sur les gradins du Tribunal. * * * * *
Nous
sommes à la fin de brumaire an III. Le mois précédent et pendant une partie
de ce mois de brumaire, le juge Forestier, assisté de Josse, son greffier, a
procédé à une longue enquête. Il a entendu des témoignages nombreux, presque
tous concordants, émanés de gens qui ont bien connu Fouquier dans l'exercice
de sa terrible magistrature. Certes, parmi ces dépositions, il en est, comme
celles du greffier Pâris et de ses subordonnés qui méritent d'être examinées
avec réserve car, on le sait, le greffe du Tribunal révolutionnaire était
dantoniste ; il ne pardonnait à l'accusateur public ni la mort de Danton, ni
l'arrestation soudaine et la condamnation du commis-greffier Legris[7]. Et, pourtant, quelle
précision, quelle netteté dans les affirmations d'un Paris, d'un Wolff, d'un
Tavernier ! Il y a
d'ailleurs d'autres dépositions, comme celle de Château, ancien secrétaire de
Fouquier, qui semblent avoir tous les caractères de la franchise, de
l'impartialité et qui, sur bien des points, favorables à l'accusé, n'en
constituent pas moins, sur d'autres points, des charges très graves contre
lui. Les
écrivains qui ont étudié l'histoire du Tribunal révolutionnaire se sont
surtout servis, jusqu'à ce jour, de deux publications auxquelles nous pouvons
faire le reproche d'être souvent inexactes ou même partiales. C'est : 1° le Procès
imprimé de Fouquier-Tinville, chez Maret, libraire à Paris, Palais
Égalité, Cour des Fontaines et catalogué à la Bibliothèque Nationale sous la
cote Lb⁴¹ 1798, et 2° l'Histoire Parlementaire, de Buchez et
Roux, édition de 1837, où, dans les tomes XXXIV et XXXV, les débats du procès
sont reproduits. Sans
écarter systématiquement ces deux publications, nous pensons que le moment
est venu — puisqu'en dehors de toute idée politique ou de toute opinion
préconçue, le lecteur veut se former une idée exacte du rôle de Fouquier et
des responsabilités qu'il a encourues — de recourir aux seuls documents
originaux, c'est-à-dire aux dépositions des témoins conservées dans les
cartons des Archives Nationales et d'analyser toutes ces dépositions, travail
qui n'avait pas encore été entrepris. De même que nous avons tenu à
reproduire intégralement les Mémoires originaux de Fouquier, écrits de sa
main, en vue de sa défense, de même nous estimons que, seules, les
dépositions originales, contenues dans les dossiers des Archives, méritent
d'être prises en considération. Laissons
la parole aux témoins interrogés par le juge Forestier. Nous entendrons
ensuite Fouquier. Nous
sommes au 5 vendémiaire an III (26 septembre 1794), un mois et vingt jours après
l'arrestation de l'accusateur public. Il est midi. Par devant Pierre
Forestier et Josse, son greffier, comparaît le 1er témoin : Nicolas Tirrart,
33 ans, huissier du Tribunal, demeurant rue Saint-Honoré, 281. « Depuis
la terrible loi du 22 prairial, j'ai entendu Fouquier dire : « Il faut
que dans cette décade il en soit jugé trois cents à trois cent cinquante.
Certains jours d'audience où il se trouvait plusieurs citoyens acquittés,
Fouquier disait avec vivacité : « Comment ? ils ont acquitté ces gens-là
? Il faut me donner le nom de ces jurés. » Parfois, Fouquier revenant le
soir, sur les dix et onze heures, assez échauffé, faisait changer le tableau
des affaires qui avait été préparé dans le cours de la journée et des accusés
qui devaient être jugés le lendemain matin. Et même, le jour d'audience
arrivé, il faisait quelquefois tout changer, les affaires et les accusés.
Quelquefois aussi il appelait un huissier et lui disait : « Il ne faut
pas convoquer les jurés que je ne vous le dise. » Il demandait alors le
tableau et il choisissait, à son gré, telle section pour telle salle, bien
que ce ne fût pas au tour de cette section de siéger. Il lui arrivait
d'ajouter les noms de certains jurés qui n'étaient pas de service :
Desboisseaux, Lumière, Trinchard, Renaudin, Girard, Vilate. Parfois, le
matin, avant l'audience, j'ai vu Fouquier monter chez les jurés assemblés
dans leur salle de délibérations. Je déclare que Fouquier a le caractère fort
dur, violent et menaçant, avec ce ton qui n'appartient qu'à un despote. » Le
témoin suivant, Jean-Baptiste-Benoît Auvray, 45 ans, huissier du Tribunal,
rue de Provence, n° 37, a entendu dire plusieurs fois à Fouquier, notamment
depuis la loi du 22 prairial : « Il faut que, dans cette décade, il y
ait 250, 300 à 350 prisonniers de jugés. » Quand des accusés se trouvaient
acquittés, Fouquier disait : « Comment ? Qu'on me donne la liste des
jurés ! Quels sont donc ces jurés-là ? » Il parlait avec une vivacité
incroyable, s'écriait : « On ne peut donc pas compter sur ces gens-là ?
» Le témoin a observé, aussi, quelquefois, lorsque Fouquier entrait, sur les
dix ou onze heures du soir, qu'il était fort échauffé, qu'il faisait changer
le tableau des affaires préparées dans la journée pour le lendemain, ainsi
que la liste des accusés. Au
sujet de la modification du tour des jurés, la déposition de l'huissier
Auvray est la même que celle de l'huissier Tirrard. Il y a identité entre les
deux dépositions, en ce qui concerne les visites faites par Fouquier aux
jurés, avant les audiences. « J'ajouterai,
déclare le témoin, que Fouquier est un homme très vif, très pétulant ; qu'il
menaçait souvent les huissiers et se mettait dans des colères affreuses,
surtout quand il était question de lui rendre réponse au sujet de la
recherche des prisonniers qui ne nous étaient désignés que par leurs noms de
famille. C'est au point qu'il m'a menacé, une fois, dans un moment de fureur,
me disant que je m'en souviendrais. Cependant, il est bon d'observer que,
lorsque sa colère était passée, il ne montrait point de rancune et convenait
que c'était malheureux pour lui d'être comme cela, qu'il savait bien qu'il ne
pouvait être que désagréable aux yeux de ceux à qui il parlait. » Auguste-Joseph
Boucher, 51 ans, commis-greffier au Tribun al révolutionnaire, habitant rue
Saint-Dominique n° 1036, sait que plusieurs fois, lorsque des accusés étaient
acquittés, Fouquier lui dit avec humeur : « Donne-moi les noms de ceux
qui composent le juré. » Autre observation de Fouquier faite devant le témoin
qui était, alors, huissier : « Vous n'allez pas, Messieurs, vous n'allez
pas, foutre ! Il faut dorénavant qu'il en passe deux cents par décade. » Un
jour, chargé par Fouquier d'aller chercher dans une prison la ci-devant
duchesse de Biron, il lui représenta qu'il y avait deux duchesses de Biron. « Eh
bien ! répliqua Fouquier, emmène les toutes les deux. Elles y passeront. »
Elles passèrent en effet et toutes deux montèrent à l'échafaud le lendemain.
Un autre jour, chargé d'un mandat d'arrêt contre un comte ou un vicomte de
Castellane, le témoin lui observa qu'il désirerait savoir lequel des deux, du
comte ou du vicomte. Fouquier répondit qu'il devait arrêter tous ceux qui
porteraient le nom de Castellane[8]. Robert Wolff,
38 ans, commis greffier au Tribunal révolutionnaire, demeurant rue de Buci,
déclare qu'étant au Tribunal depuis son établissement, il a constaté chez
Fouquier un caractère très violent, un tempérament despotique, insupportable « s'exerçant
sur les fonctionnaires subalternes tels que les greffiers, huissiers et
autres commis ». Il les menaçait sans cesse de les faire mettre en
prison. « Comme
il arrivait peu de jours qu'à son diner il ne se prit de vin, c'était dans
cet état qu'il venait au bureau des huissiers plus souvent qu'ailleurs
exhaler avec fureur les vapeurs qui étaient montées à son cerveau pendant son
diner. Néanmoins, à jeun, il se livrait également aux mêmes emportements.
Tout le Tribunal sans en excepter même les juges, tremblait sous lui, les uns
dans la crainte de la prison, les autres du crédit qu'il avait aux Comités. » Cette
déposition de Robert Wolff est un véritable réquisitoire, net, précis,
Implacable. Elle est pleinement d'accord sur la plupart des points
importants, avec les témoignages que nous venons de lire et avec ceux que
nous lirons. N'oublions pas, cependant, que cette déposition est celle d'un
ennemi déclaré de Fouquier. « Il
n'est pas vrai, comme Fouquier l'avance dans son mémoire imprimé, continue
Robert Wolff, qu'il ait requis l'envoi à l'échafaud contre le maire
Lescot-Fleuriot, notoirement connu pour le plus intime de ses amis, mais le
fait est qu'il le requit seulement contre les sept ou huit premiers qui
furent jugés le 10 thermidor. Quand ce fut le tour de Fleuriot, il céda la
place à Liendon, l'un de ses substituts, qui acheva cette audience qui a duré
jusque six heures du soir et dans laquelle 22 conspirateurs furent condamnés
à l'échafaud. Après le jugement de Fleuriot, il reparut à l'audience en habit
de couleur et il y resta une partie du temps qui fut employé à juger le
surplus. J'exerçais les fonctions de greffier à cette audience. J'ai été par
conséquent témoin du fait. Fouquier était si loin d'envoyer son ami Fleuriot
à l'échafaud qu'il réprimanda avec sa violence ordinaire Tavernier, huissier,
qui avait assisté à l'exécution des 22, le 10 thermidor, de ce qu'il avait
fait exécuter son cher Fleuriot le dernier ; il ajouta que cet huissier n'en
avait agi ainsi que parce qu'il avait pris l'avis de sa section qui était
aussi celle de Fleuriot (la section du Muséum). « Le
9 thermidor, lorsque Fouquier fut dîner chez Vergnhes dans l'île de la
Fraternité, quoiqu'il prétendît ignorer les troubles, comme il le dit dans
son mémoire pour pallier sa société avec l'infâme Coffinhal, il paraît,
d'après le fait suivant, qu'il en impose. Vers une heure de l'après-midi, ce
même jour, le citoyen Simonnet (l'un des commis des huissiers du
Tribunal) vint
annoncer qu'il y avait des troubles dans le quartier et dans le faubourg
Saint-Antoine ; qu'on y avait battu la générale, qu'Hanriot avait arraché des
mains des gendarmes, à coups de sabre, de prétendus patriotes. Il y avait une
heure que Dumas avait été arrêté à l'audience même du Tribunal et tout le Tribunal,
à 2 heures, avait déjà connaissance des troubles que commençoient à exciter
les complices de Robespierre. Vers les 3 heures et demie environ, Fouquier le
chapeau sur la tête, sortait pour aller à ce fameux dîner. Il se trouvait
alors vis-à-vis le cabinet des accusés, à trois pas de la porte de sortie de
la salle des piliers. L'exécuteur des jugements criminels Sanson, en présence
de Desmorest ou de son autre parent qui sont dans l'usage de faire les
exécutions, en présence de l'huissier qui devait y assister et en ma
présence, observa qu'il y avait des troubles dans le quartier Saint-Antoine
par où il devait passer et dans le faubourg où devait se faire l'exécution.
Il demanda à Fouquier s'il croyait qu'il n'était pas prudent de suspendre
l'exécution. Fouquier répondit avec un peu d'émotion : « Partez toujours.
Rien ne doit arrêter l'exécution des jugements ni le cours de la justice. Et
d'ailleurs, il y a de la force pour protéger l'exécution. » Fouquier disparut
pour aller à dîner avec ses convives. Il est bon d'observer qu'une fournée de
6 charrettes n'attendait que cet ordre pour s'acheminer à la barrière du
faubourg Antoine. Ce qui fut, sur-le-champ exécuté. « Relativement
à l'humanité qu'affecte Fouquier et à l'amertume qu'il ressentit de la
sanguinaire loi du 22 prairial, sa conduite ne se trouve pas d'accord avec
les sentiments d'humanité dont il fait parade, puisqu'il est notoire qu'en ma
présence et en présence de plusieurs autres personnes attachées au Tribunal,
Fouquier étant à déjeuner avec plusieurs jurés, dignes exécuteurs de cette
loi de sang, calculait froidement, en se curant les dents, le nombre des
victimes qui devaient aller là-bas. Il faut que ça aille, disait-il. Il en
faut pour cette décade 400 ou 450 ; pour l'autre, tant en vaut toujours à peu
près sur le nombre de 50 à 60. Et les cannibales jurés devant qui il faisait
d aussi barbares calculs, d'applaudir. Le fait est si notoire qu'il en est
peu, parmi les personnes attachées au Tribunal et qui ne partageaient pas ces
sentiments atroces, qui ne soient en état de l'affirmer ; d'ailleurs, la
suite de sa conduite n'a que trop vérifié ses calculs. Il n'est, pour
l'honneur de l'humanité et de la Révolution, que trop notoire qu'il mit en
jugement jusqu'à 70 personnes à la fois, prévenues de prétendues
conspirations dans les prisons, notamment à la première fournée du Luxembourg
où l'on avait fait un échafaud qui touchait au comble de la salle. Soixante-neuf
personnes furent jugées avant 3 heures et exécutées le même jour. C'était
dans l'affaire de la fille Renaud, sa famille et l'Admirai. Tout le peuple de
Paris a vu ou appris par la voix publique de quelle manière, en moins de 4
heures, on avait instruit le procès et condamné à mort soixante-neuf
personnes comme complices de la Renaud et de l'Admirai. On était si pressé
que, pour éviter le temps qu'aurait entraîné la demande des noms et qualités d'un
si grand nombre de personnes et leur inscription par le greffier, les juges
et les jurés, on en faisait faire les listes au greffe, la veille. Et voici
comment les débats éclairaient la conscience des jurés. On demandait à un
accusé : « Avez-vous connaissance de la conspiration qui a existé ? »
etc. L'accusé répondait par la négative. On lui faisait ensuite cette autre
question qui semblait résolue par la dernière : « Avez-vous participé à
cette conspiration ? » Même réponse négative. L'accusé voulait-il entrer dans
quelques détails pour démontrer qu'il n'avait pas pu participer à cette
conspiration, à la première parole, l'impitoyable Dumas lui disait : « Vous
n'avez plus la parole. Gendarmes, faites votre devoir. » Et, si l'accusé
voulait encore parler, on le mettait hors des débats. Quand on avait répété
G9 fois cette interpellation, que 69 fois elle avait reçu la laconique
réponse non, l'accusateur faisait un résumé qui durait un quart d'heure, le
président lisait les questions ; on faisait retirer la légion d'accusés. Les
jurés se retiraient pour la forme dans leur chambre où ils restaient une
demi-heure, rentraient, donnaient leur déclaration. L'accusateur public
concluait. Le jugement était prononcé et l'on envoyait le greffier annoncer à
ces victimes que dans une demi-heure, c'est-à-dire le temps qu'il fallait
pour leur couper les cheveux et leur lier les mains, ils partiraient pour l
'échafaud. Ce premier jugement est le type de ceux qui l'ont suivi. Et c'est
par lui qu'a commencé l'usage de se jouer ainsi de la justice et de
transformer en boucherie légale un tribunal qui, par la sévérité même de ses
fonctions, devait le plus scrupuleusement s'assujettir aux formes. C'était
Fouquier qui présidait aux actes d'accusation et aux jugements, par lui ou
par ses substituts. Il disait : « Il faut que cela aille. » « Fouquier
prétend qu'il n'agissait que par les ordres des Comités. Voici deux faits qui
prouveront que, s'il en était ainsi, il aurait donné une bien grande
extension à ces ordres. « Boucher,
huissier du Tribunal, homme honnête et sensible, me racontait dans l'amertume
de son cœur, que Fouquier ayant donné ordre aux huissiers d'aller dans une
prison chercher une femme nommée Biron qui devait être mise en jugement le
lendemain et faire partie d'une fournée, il lui observa qu'il y avait deux
femmes du nom de Biron, l'une veuve du duc qui avait été condamné à mort et
l'autre veuve du maréchal[9]. Fouquier dit Amenez-les toutes
deux. Elles y passeront. » Effectivement, le lendemain, elles y passèrent
toutes deux et elles furent envoyées à l'échafaud. « Le
même fait s'est répété et encore par le ministère du même Boucher qui me l'a
dit. Fouquier donna à cet huissier un mandat d'amener contre un nommé
Castellane. L'huissier lui observa qu'il connaissait plusieurs personnes du
même nom. « Arrêtez, reprit Fouquier, tout ce qui porte ce nom. » Il n'y en
eut qu'un d'arrêté parce qu'il ne s'en est pas trouvé davantage du nom de
Castellane. « Enfin,
Fouquier dit à Tavernier, commis-greffier au Tribunal, en parlant de
Fabricius, greffier en chef, incarcéré pendant quatre mois, mis au secret par
Robespierre et, depuis la restauration du Tribunal, renommé à la même place
par la Convention nationale, que Fabricius avait tort de lui en vouloir,
attendu que lui, Fouquier, avait empêché que Fabricius ne fût mis en jugement
et qu'on n'y accolât lui, Tavernier et le déclarant, autre ami de Fabricius,
tandis qu'il n'y avait ni accusation ni dénonciation contre Fabricius non
plus que contre Tavernier et le témoin ; ces deux derniers n'ont jamais été
mis en arrestation et ont, au contraire, toujours continué leurs fonctions au
Tribunal, où ils ont été renommés, à sa restauration. « Il
est à ma connaissance que, depuis plus de 6 mois, jamais aucun greffier ne
fut appelé au tirage des sections des juges et jurés ; l'accusateur public en
envoyait au greffe le tableau qui était fourni ensuite aux huissiers pour la
convocation ; les greffiers, d'ailleurs, n'assistaient pas aux délibérations
de la chambre du Conseil dont on leur remettait seulement une note pour les
rédiger et les signer ; plusieurs fois, des personnes acquittées s'étant
présentées au greffe pour obtenir des expéditions nécessaires à l'obtention
des secours qui leur étaient accordés par les lois, Fouquier défendit qu'on
délivrât ces expéditions sans le consulter parce qu'il ne voulait pas que
tout le monde participât à ces secours, quoique la loi n'eût point fait
d'exception. Il disait, pour s'autoriser à empêcher la délivrance de ces expéditions
: « Comment ! ces bougres sont trop heureux d'être acquittés. C'est
incroyable ! Quels sont les jurés qui ont pu les acquitter ? qu'on ne délivre
rien ![10] » ... Charles-Nicolas
Tavernier, 38 ans, commis-greffier au Tribunal, habitant rue de la Monnaie, a
entendu dire à Fouquier, dans le bureau des huissiers : « Il faut que je
fasse passer 250 à 300 accusés dans la décade. » Quand quelqu'un était
acquitté, Fouquier faisait demander les noms des jurés qui siégeaient.
Plusieurs fois, il a donné l'ordre de convoquer certains jurés sous le
prétexte qu'une section était plus faible qu'une autre. Les actes
d'accusation étaient remis aux intéressés la veille du jugement, à 7
ou 8 heures du soir. Gabriel-Nicolas
Monet, 38 ans, huissier au Tribunal, habitant rue et section du
Contrat-Social, déclare que Fouquier désignait les jurés qu'il fallait
convoquer. Ceux qu'il choisissait le plus souvent étaient Renaudin, Nicolas,
Desboisseaux, Lumière, Vilate, Gravier. Ce choix n'a eu lieu que depuis la
loi du 22 prairial. Monet a
entendu dire à Fouquier : « Dans la prochaine décade, il faut qu'il y en
ait 300 ou 350 de jugés. Cela ne va pas. Il faut agir révolutionnairement. » La
citoyenne Goureau, 36 ans, faubourg Saint-Martin, n° 18, et sa belle-sœur
Alexandre-Rosalie Pigeon, femme Goureau, ayant été chargées de porter au
Tribunal une lettre de Bourdon de l'Oise pour Fouquier-Tinville, virent trois
jurés entrer dans la chambre du Conseil où se trouvait Fouquier : « Nous
voilà débarrassés ! » dirent-ils. Fouquier leur demanda si les accusés
étaient jugés. — Oui, répondent les trois jurés. Nous ne savons pas de quoi
ils étaient accusés. Pour le savoir on n'a qu'à courir après eux. » Fouquier,
à ce propos, éclata de rire[11]. Jean-Baptiste
Topino-Lebrun, 31 ans, né à Marseille, juré au Tribunal révolutionnaire,
demeurant au Louvre, a toujours considéré comme un problème l'activité de
Fouquier dans ses fonctions, en même temps que la négligence avec laquelle il
donnait suite « aux affaires de grandes conspirations soit pour en
atteindre les véritables chefs, soit pour en extirper jusques aux racines ».
Exemple : dans le projet d'enlever la reine de la Conciergerie, et, ensuite,
lorsqu'on la conduisit au supplice, l'administration de la police, influencée
par Hébert et Chaumette, aurait dû être autrement examinée (sic)... » Même négligence dans
l'affaire Ronsin, dans celle de Westermann, « mis en jugement en violant
toutes les formes relatives à la Vendée ». « ...
Fouquier ne m'a point paru sans esprit de parti dans l'affaire Danton. S'il
n'a point écrit au Comité de salut public sur la prétendue rébellion des
accusés, pourquoi, lorsqu'il a requis la lecture de la loi qui les mettait
hors des débats, a-t-il dit dans son préambule : « Attendu la rébellion des
accusés » ? Pourquoi, le quatrième jour, s'est-il trouvé avec Herman dans la
chambre des jurés pour les engager à se déclarer suffisamment instruits ?
Après ce jugement, a-t-il, du moins, fait droit à ces mots de Danton si
importants pour notre liberté : « Je demande des commissaires de la
Convention pour recevoir ma dénonciation sur le système de dictature » ?
C'était à la Convention qu'il fallait écrire et non au Comité de salut
public... » « C'est
Fouquier qui a fait mettre les chemises rouges aux 52 accusés, dans l'affaire
d'Admiral et de la fille Renaud. Ils n'étaient nullement prévenus
d'assassinat ». « ...
Les actes d'accusation m'ont paru outrer, aggraver les charges qui pouvaient
être portées contre les prévenus. Quelquefois des faits terribles n'étaient
nullement fondés au procès sur les pièces, ni sur les déclarations des témoins[12]... » Jean-Baptiste
Sambat, 35 ans, juré au Tribunal révolutionnaire, demeurant 36, rue Taitbout,
n'a eu aucune connaissance des faits reprochés à l'accusé Fouquier. Pourtant,
il s'est aperçu, un peu avant l'époque de la loi de prairial, que des
accusations graves se trouvaient souvent nulles par le manque de pièces et de
témoins[13]. Jean-Nicolas
Thierriet-Grandpré, 41 ans, premier commis à la Commission de
l'Administration nationale civile, police et tribunaux, demeurant rue de
Thionville, n° 38, déclare que, le lendemain du jour où Fréteau fut acquitté,
il s'est transporté chez Fouquier pour se concerter avec lui sur les mesures
de sûreté à prendre à l'Hospice de l'Évêché. Fouquier lui dit : « Tu ne
sais pas. Ils ont, hier, acquitté Fréteau au Tribunal, tandis que cet homme
m'est connu pour avoir été, pendant l'Assemblée constituante, un royaliste et
un contre-révolutionnaire caractérisé. Mais je jure qu'avant peu, il sera
repris et qu'il n'en réchappera pas. » Un
autre jour, Fouquier lui raconta « avec un plaisir mêlé d'ironie » comment il
avait reçu dans son cabinet un individu qui venait lui donner des
renseignements sur une affaire. Pendant plusieurs heures, Fouquier l'avait « amadoué »
puis, subitement, il l'avait livré au Tribunal, « qui l'avait condamné
au bout d'un quart d'heure ». Louis-Charles
Hally[14], 42 ans, concierge de la maison
d'arrêt du Plessis-Égalité, n'a connu la fameuse conspiration des prisons que
par un rapport des nommés Viart et Courlet-Beaulop. Il a aussitôt communiqué
ce rapport à Fouquier qui lui dit : « Je les mettrai demain ou
après-demain en jugement et je vous assignerai comme témoin. » L'autre
lui demanda le temps de s'instruire de l'affaire. Fouquier s'y refusa. Le
lendemain, les accusés étaient mis en jugement. Hally, assigné, ne put faire
sa déclaration, faute de connaitre un seul fait de la cause, qui fut remise.
Fouquier le réprimanda et lui témoigna de l'humeur « de ce que cette
affaire n'eut pu être terminée à son gré[15] ». Louis-Pierre
Dufourny, cinquante-cinq ans, architecte, à Paris, à l'Arsenal, maison des
Poudres[16], dans une très longue
déposition, prétentieuse et circonstanciée, assez obscure, où il semble qu'il
aime à se faire valoir et à distribuer aux vaincus de thermidor le blâme et
les critiques, Dufourny accuse Fouquier d'avoir été secrètement favorable à
Ronsin, « l'homme de Robespierre, et d'avoir contribué à étouffer les indices
qui auraient pu faire connaître les causes de la Vendée, les manœuvres
employées pour entretenir cet ulcère et la participation tant de Robespierre
et de Ronsin que de ceux de leurs complices actuels ». Cité
comme témoin au procès Danton, Dufourny dit avoir été écarté
systématiquement. Ce fut inutilement qu'il en écrivit à Fouquier. Il fut
retenu pendant les trois jours des débats dans la salle des témoins. Il y
observa tout ce qui se passait autour de lui. Il a vu plusieurs membres du
Comité de sûreté générale « assiéger le Tribunal », entre autres
David, Amar, Voulland et Vadier. « Ils étaient méconnaissables de colère, de
pâleur et d'effroi, tant ils paraissaient craindre de voir échapper à la mort
les victimes. Ils entraient, sortaient, s'agitaient avec une activité qui
manifestait toutes leurs passions. Ils communiquaient avec Fouquier tant dans
son cabinet que dans les passages et même à l'entrée de la salle des témoins[17]. » Jean-Pierre-Victor
Féral, trente-neuf ans, juge du district de Pont-Chalier[18], demeurant à Paris, rue de la
Femme-sans-Tête n° 3. Assistant à la dernière séance du procès d'Hébert et se trouvant dans la chambre du Conseil, il entendit Fouquier proposer aux juges et à quelques jurés de faire retirer des débats la veuve du lieutenant-colonel Quétineau et le nommé Armand[19] « attendu qu'il n'y avait pas de preuves contre eux, et de les reconduire à la maison d'arrêt, parce qu'il pourrait se trouver des preuves dans d'autres affaires ». Il ajouta qu'il allait faire cette proposition au Tribunal dès l'ouverture de la séance. Plusieurs juges et plusieurs jurés s'opposèrent à cette initiative de Fouquier. Le témoin croit qu'en séance Fouquier se tut, désarmé par cette opposition[20]. |
[1]
Arch. nat., F⁷ 4436, liasse T, pièce 9. Cette pièce porte en marge : Reçu
au Comité de Sûreté générale 5 fructidor l'an IIe de la République une et
indivisible.
[2]
C'est par la lecture de la 2e série de Vieilles maisons, vieux papiers de M.
Lenôtre parue en 1907, (article sur Mme Fouquier-Tinville) que nous avons été
informés de l'existence des Noies el documents sur Fouquier-Tinville publiés
par M. Georges Lecocq. Nous avons, à cette époque, copié les lettres
manuscrites que nous reproduisons ici et qui sont conservées à la Bibliothèque
historique de la Ville de Paris (Réserve.) « Lorsque Mme Fouquier-Tinville, dit
M. Lecocq dans sa notice, mourut à Paris de misère et de faim, quand la famille
eut refusé la succession, l'État fit vendre ce qui composait la fortune de
cette malheureuse femme. Tout le mobilier, y compris les manuscrits dont nous
parlons, fut adjugé pour quelques centaines de francs. Un amateur célèbre, M.
Walferdein, acheta les autographes et quelques pièces précieuses pour
l'histoire. »
[3]
C'est le 4 fructidor an II que Fouquier avait été transféré de la Conciergerie
à Sainte-Pélagie. C'est le 9 brumaire an III qu'il fut transféré de
Sainte-Pélagie au Plessis.
[4]
Ces lettres ont été publiées par M. Lecocq (notes et documents sur
Fouquier-Tinville. Paris. Jouaust, 1885, in-8, 61 pages) avec huit autres
lettres dont nous ne connaissons pas les originaux.
[5]
C'est du moins ce que rapporte un agent du Comité de sûreté générale, Riston.
(Documents sur Fouquier-Tinville. Bibl. historique de la Ville de Paris.
Réserve).
[6]
Carrier comparut le 7 frimaire. Le procès dura 60 séances. Carrier, Pinard et
Grandmaison furent condamnés à mort le 26. Les 30 autres accusés furent
acquittés.
[7]
La déposition de Pâris est intéressante. Mais, en la lisant, nous devons nous
rappeler que Nicolas-Joseph Pâris, dit Fabricius, ami de Danton, nommé, grâce à
Danton, greffier en chef du Tribunal, a été incarcéré et remplacé, six jours
après 'exécution de Danton, le 24 germinal an Il.
[8]
Interrogatoires du 5 vendémiaire an III. Arch. nat. W. 501, 2e dossier, p. 83.
[9]
C'étaient Amélie de Boufflers, veuve de Biron, et Françoise-Pauline de Roye,
femme du maréchal de Biron.
[10]
Déposition du 6 vendémiaire an III. W. 501, 2e dossier, pièce 77.
[11]
Interrogatoires du 7 vendémiaire an III. W. 501, 2e dossier, pièce 42.
[12]
Interrogatoire du 8 vendémiaire an III. W. 500, 3e dossier, pièce 145.
[13]
Interrogatoire du 8 vendémiaire an III. W. 500, 3e dossier, pièce 145.
[14]
Il signe ainsi.
[15]
Interrogatoires du 8 vendémiaire an III. W. 501, 2e dossier, pièce 61.
[16]
Dufourny a succédé à Lavoisier comme directeur des Poudres à l'Arsenal.
[17]
Interrogatoire du 9 vendémiaire an III. W. 501, 2e dossier, pièce 41.
[18]
Pont-l’Evêque, Calvados.
[19]
Armand (Jean-Antoine-Florent), élève en chirurgie, impliqué dans le procès
d'Hébert et condamné à mort le 4 germinal an II.
[20]
Interrogatoire du 9 vendémiaire an III. VV. 501, 2e dossier, pièce 85.