Avènement de Pie IX au trône pontifical. — Le parti modéré, le parti rétrograde, le parti révolutionnaire en Italie. Balbo, Gioberti, d'Azeglio. — Occupation de Ferrare par les Autrichiens. — Lord Palmerston protège les radicaux italiens. Mission de lord Minto. — Politique modérée et libérale du gouvernement français à Rome et en Italie. Correspondance de MM. Guizot et Rossi. — Le gouvernement à l'état d'idée. Hésitations et concessions tardives du Saint-Siège. — Avertissements et conseils de M. Rossi. Le gouvernement s'apprête à venir au secours de Pie IX.Le 14 juin 1846, Pie IX succédait à Grégoire XVI. Avec le nouveau pape, les idées libérales et réformatrices montaient sur le trône pontifical Pie IX voulait conjurer les révolutions en accordant à ses sujets la satisfaction de leurs justes besoins, réformer les abus de l'administration, faire sortir la cour de Rome de l'ornière de réaction ou d'inaction, entrer dans le grand courant de la civilisation européenne, réconcilier en un mot le catholicisme et la liberté. Son élection était considérée comme conforme aux vues de la France, et bientôt il accordait l'amnistie comme don de joyeux avènement tout un peuple enivré et charmé acclamait le saint Pontife, lui criant : Coraggio, santo Padre, confidatevi al vostro popolo ! Du haut de la tribune française, M. Thiers répétait ce mot ; Courage, Saint Père ! De 1840 à 1846, l'esprit de liberté, de progrès modéré avait pénétré en Italie quelques publicistes, Balbo, Gioberti, d'Azeglio arborèrent ce drapeau, lui donnèrent droit de cité ; leurs écrits inondèrent les villes, des prédicateurs célèbres, les Ventura, les Mazzani, les Galuzzi prêchaient la nouvelle doctrine. Conseillant aux souverains la confiance dans leurs sujets, aux sujets le respect de leurs dynasties nationales, unissant la bonté de la fin à la bonté des moyens, ils travaillaient à fonder le gouvernement constitutionnel, à préparer l'indépendance de l'Italie. C'est une œuvre grave, disait M. d'Azeglio, voire même la plus grave qu'un homme puisse entreprendre, que de précipiter son pays dans la voie sanglante des révolutions ; car une fois lancé, il devient difficile, sinon impossible, de fixer précisément la limite entre le juste et l'injuste, entre ce qui est utile ou funeste. On peut être conduit aux actions les plus généreuses, les plus grandes, ou bien entraîné vers les plus fatales erreurs... Tenter une révolution, c'est se constituer souverain arbitre de la volonté, de la propriété, de la vie d'un nombre indéfini de ses semblables. Le plus souvent ceux qui décident d'employer ainsi à l'exécution de leurs propres fins les biens les plus précieux, les droits les plus sacrés de leurs concitoyens, le font sans leur consentement, sans droit aucun, sans avoir été autorisés ni choisis. Qu'ils soient plusieurs au lieu d'un, cela ne change rien à la question, la responsabilité devient commune au lieu de rester individuelle. Maintenant, celui ou ceux qui disposent du bien d'autrui, sans l'aveu des vrais et légaux possesseurs, sont bénis s'ils l'améliorent s'ils le détériorent, ils seront maudits et avec raison, car l'impunité sert d'excuse à ceux que d'autres ont choisis, mais nullement à qui s'est choisi lui-même... L'art de mûrir ses desseins et d'en préparer la réussite, l'art de construire l'édifice pierre par pierre, en commençant par où il faut commencer, c'est-à-dire par la fondation, est un art que nous ignorons, nous autres Italiens, et sans lui cependant on ne fait rien, nous l'avons appris à nos dépens. Nous avons jusqu'à présent ressemblé à ce maître inexpérimenté de fiers et impétueux coursiers qui, sans prendre le temps de les atteler, sans se soucier d'ajuster ni les traits ni les rênes, fouette comme un fou, et, à peine lancé, se précipite et se rompt le cou... La plus grande force d'une protestation, c'est d'être rigoureusement juste et de s'interdire rigoureusement la violence. Quand, chez une nation, tout le monde reconnaît la justice d'une chose et la veut, cette chose est faite. En Italie, la grande œuvre de notre régénération peut se conduire les mains dans les poches. Les modérés comptaient un grand nombre d'adhérents parmi la bourgeoisie, la noblesse elle-même et le clergé ; ils avaient pour adversaires le parti stationnaire ou rétrograde et le parti révolutionnaire. L'un se composait de ceux qui, acceptant la protection de l'Autriche, avaient intérêt au maintien du statu quo, croyaient à la nécessité du pouvoir absolu l'autre avait pour chef Mazzini, se recrutait surtout parmi les jeunes gens, les ouvriers. Les carbonari tenaient leurs conciliabules dans les ventes ou sociétés secrètes, leur audace suppléait à leur petit nombre ; afin de mieux dissimuler celui-ci, afin d'apparaître comme le parti national, ils inscrivaient sur leur drapeau l'indépendance des États italiens. Ils demandaient bien plus encore ; ils voulaient, par la révolution et par la guerre, expulser les Autrichiens, les dynasties nationales, abolir le pouvoir temporel de la papauté, ériger en droit suprême l'unité de l'État italien, fonder la République une et indivisible. Les trois partis italiens, absolutiste, révolutionnaire, modéré, marchaient sous le patronage de l'Autriche, de l'Angleterre, de la France. M. de Metternich qui avait appelé l'Italie : une expression géographique, travaillait avec persévérance à y maintenir la suprématie autrichienne. L'Autriche était le premier, le plus grand de tous les obstacles extérieurs de l'Italie, sa domination devenait de plus en plus antipathique. C'est à la force qu'elle devait demander le moyen de résister aux aspirations nationales, aux attaques révolutionnaires ; le despotisme était donc la forme nécessaire de son pouvoir. Le prince de Metternich surveillait avec une vigilance inquiète les moindres manifestations de l'esprit libéral ou radical, se préparant à la lutte, concentrant un corps d'armée sur la frontière des États pontificaux, mais décidé à se tenir sur la défensive, à ne rien compromettre, à attendre une attaque directe. En une seule occasion il se départit de sa réserve à la suite de rixes individuelles entre les patrouilles autrichiennes et la garde civique, il fit occuper militairement la ville de Ferrare (16 août 1847). Les traités de 1815 accordaient à l'Autriche le droit de garnison dans la place, mais ce droit ne pouvait aller jusqu'à méconnaître la souveraineté de la cour de Rome, ni dégénérer en une véritable invasion. Le Saint-Père protesta publiquement, le gouvernement français l'appuya sans bruit à Vienne, et réussit à empêcher que l'étincelle de Ferrare n'allumât l'incendie de l 'Italie. Le 23 décembre 1847, les Autrichiens évacuèrent la ville et rentrèrent dans le statu quo. M. de Metternich, le grand théoricien de l'absolutisme pratique, se montrait inflexible sur les principes, disposé à transiger sur les faits. La résistance, écrivait-il, est un fait soumis à des conditions. La résistance politique peut être ou active ou passive. Active, elle place la force matérielle sur la première ligne de l'action ; passive, cette force trouve sa place dans la réserve. M. Guizot a fait mention de la ligne de conduite que nous avons suivie dans les circonstances où se sont trouvées quelques parties de l'Italie en 1820 et 1821. Il peut me suffire de rapprocher cette manière de procéder, alors et en 1831, de celle que nous observons en face des événements du jour, pour prouver que le mot absolu n'est, pour le moins, point applicable au mode de notre résistance. Nous faisons en règle commune, une différence entre l'action que réclame le mouvement qui porte le caractère d'une révolte, et celle qui est applicable à une révolution. Les révoltes ont un corps avec lequel il est possible d'engager une lutte ; les révolutions par contre, ont beaucoup de commun avec les spectres, et nous savons, pour régler notre conduite, attendre que les spectres se revêtent d'un corps. A son tour, M. Guizot se préoccupait de confirmer le chancelier dans son attitude expectante. Ou bien, écrivait-il à M. Rossi, l'Autriche désire, ou elle ne désire pas un prétexte pour une levée de boucliers ; si elle le désire, il faut bien se garder de le lui fournir, si elle ne le désire pas, il faut l'entretenir dans cette bonne disposition en traitant avec elle comme avec un pouvoir qui ne demande pas mieux que de laisser ses voisins tranquilles chez eux, si ceux-ci ne troublent pas sa tranquillité chez lui... L'Italie a déjà perdu plus d'une fois ses affaires en plaçant ses espérances dans une conflagration européenne. Elle les perdrait encore. Qu'elle s'établisse au contraire sur le terrain de l'ordre européen, des droits des gouvernements indépendants, du respect des traités. Employez tout votre esprit, tout votre bon sens, toute votre persévérance, toute votre influence à faire comprendre au parti national italien qu'il est de sa politique, de sa nécessité actuelle, de se présenter et d'agir fractionnairement, comme Romain, Toscan, Napolitain, etc., et de ne point poser une question générale qui deviendrait inévitablement une question révolutionnaire. Aussitôt après sa rentrée au ministère, lord Palmerston s'occupe des affaires d'Italie ; le 30 juillet 1846, il adresse à lord John Russell une lettre intéressante où il exprime ses appréhensions. Il prédit que si un seul changement se fait à Rome, une armée française y entrera, que si l'Italie reste telle qu'elle est, une guerre éclatera entre la France et l'Autriche ; pour éviter cette alternative, il faudrait encourager le pape à faire des réformes intérieures. L'Italie est le point faible du continent, et la prochaine guerre européenne aura probablement pour cause les affaires de ce pays. Deux ou trois millions de francs bien distribués pourraient, d'un moment à l'autre, amener une insurrection et le triomphe du parti libéral à Paris. Cet événement, soit qu'il arrivât par le fait d'une élection, soit qu'il fût amené par la mort du roi, serait bientôt suivi d'une explosion en Italie. C'est de ce côté que sont tournés les regards des libéraux français ils savent que s'ils tentaient de marcher sur le Rhin, ils auraient contre eux toute l'Allemagne unie, la Russie et plus ou moins l'Angleterre mais en appuyant une insurrection en Italie contre le mauvais gouvernement du pape, ils se trouveraient dans une bien autre position. L'Angleterre probablement ne prendrait point parti contre eux, la Prusse non plus la Russie n'y mettrait guère plus d'empressement... mais il n'en serait pas de même de l'Autriche... La France et l'Autriche en viendraient donc aux mains en Italie, et la France aurait tous les Italiens de son côté. Mais la guerre, commencée en Italie, s'étendrait probablement jusqu'à l'Allemagne. Dans tous les cas, nous ne pouvons désirer voir l'Autriche battue et la France agrandie, s'abandonnant à son amour de gloire militaire et à ses goûts de conquête, ravivés et fortifiés par le succès. Lord Palmerston voulait avoir un parti anglais partout où il existait un parti français, et comme la France secondait Pie IX et les modérés, les agents anglais officiels et officieux se lièrent au parti exalté, irritant les Italiens contre l'Autriche, cherchant à leur persuader que la France les abandonnait, échauffant la jalousie des Siciliens contre les Napolitains, poussant aux mesures extrêmes. Contre l'absolutisme autrichien, Palmerston arbore le drapeau de l'indépendance italienne, contre la politique modérée du gouvernement français, il déploie l'étendard de la liberté révolutionnaire. Il envoie une escadre sur les côtes du territoire pontifical un de ses collègues, lord Minto est chargé de parcourir, la Péninsule, de donner au gouvernement anglais l'attitude de protecteur de la liberté italienne. Lorsque l'insurrection de Sicile éclate, le roi de Naples demande aux représentants de France et d'Angleterre de s'offrir comme médiateurs le premier accepte avec empressement, mais lord Napier refuse, s'il n'est autorisé à porter aux Siciliens la constitution de 1812, le droit de la modifier à leur gré. Vainement son collègue de France insiste pour qu'il consente à une démarche commune, qui seule peut éviter une plus longue effusion de sang : Partez seul, si vous le jugez convenable, répond lord Napier, seulement je dois vous prévenir que le bâtiment qui vous conduira en Sicile, portera également des lettres à nos agents et aux hommes influents du pays, par lesquelles je leur expliquerai pourquoi je n'ai pas cru devoir partir avec vous... Partout ailleurs, sur tous les points du globe, en Chine même, je pourrais peut-être faire ce que vous me demandez en Sicile, la France et l'Angleterre ont des intérêts d'un ordre très différent. Impressionnable et crédule, le peuple italien traduisait les paroles des diplomates anglais au gré de ses espérances l'émeute éclatait sous les pas de lord Minto, le précédant ou le suivant à Turin, Gênes, Florence, Rome, Naples, en Sicile. On eût dit que le sol de l'Italie tremblait et s'enflammait de lui-même sous les pas de l'envoyé britannique. L'histoire de la Papauté de 1846 à 1848, la politique française en Italie et à Rome sont retracées dans la correspondance de MM. Guizot et Rossi tout s'y trouve décrit avec une admirable précision, les bonnes intentions de Pie IX, son inexpérience, ses hésitations, sa faiblesse vis-à-vis des agents de l'administration romaine, le danger des atermoiements, des concessions tardives, les premières méfiances, les irritations de ses sujets, les manifestations populaires, les intrigues des absolutistes, les violences des patriotes exaltés, les défaillances des modérés qui, n'ayant pas tous le courage de leur opinion, abandonnaient parfois la cause des réformes pour la cause de l'indépendance, traitaient la France de puissance rétrograde et l'accusaient de trahison. Dès le 28 juin 1846, M. Rossi écrit à M. Guizot : Trop de lenteur de la part du gouvernement irrite les uns,
encourage les autres, et rend la situation délicate. Je l'ai dit crûment au
pape mais l'idée d'agir sans déplaire à personne est une chimère dont il aura
quelque peine à se défaire. On ne sait pas même ici faire valoir le bien
qu'on fait on aime à le faire pour ainsi dire en cachette, et on perd ainsi
le principal effet, l'effet d'opinion... On
touche à tout, on se décide in petto, on persévère dans ses
résolutions, mais on n'agit pas. Ce n'est pas l'idéal du gouvernement, c'est
le gouvernement à l'état d'idée. La popularité du pape est presque entière je
crains seulement qu'il n'en abuse, croyant pouvoir s'y endormir comme sur un
lit de roses... Le peuple et ses meneurs ont
l'habileté et l'à-propos qui manquent au gouvernement... le parti modéré et libéral d'un côté, le parti radical de
l'autre s'organisent, et, en présence d'un gouvernement qui ne sait rien
organiser ni rien conclure, les deux partis font cause commune. Dites très nettement, répond M. Guizot, et partout où besoin sera, ce que nous sommes, au dehors comme au dedans, en Italie comme ailleurs nous sommes des conservateurs décidés. C'est la mission première et naturelle des gouvernements. Nous sommes des conservateurs d'autant plus décidés que nous succédons chez nous à une série de révolutions, et que nous nous sentons plus spécialement chargés de rétablir chez nous l'ordre, la durée, le respect des lois, des pouvoirs, des principes, des traditions, de tout ce qui assure la vie régulière et longue des sociétés. Mais en même temps que nous sommes des conservateurs décidés, nous sommes décidés aussi à être des conservateurs sensés et intelligents. Or, nous croyons que c'est, pour les gouvernements les plus conservateurs, une nécessité et un devoir de reconnaître et d'accomplir sans hésiter les changements que provoquent les besoins sociaux, nés du nouvel état des faits et des esprits, et qui ne sauraient être refusés, sans amener entre la société et son gouvernement, et au sein de la société elle-même, d'abord un profond malaise, puis une lutte continue, et tût ou tard une explosion très périlleuse... Reconnaître d'un œil pénétrant la limite qui sépare, en fait de changements et de progrès, le nécessaire du chimérique, le praticable de l'impossible, le salutaire du périlleux, poser d'une main ferme cette limite, et ne laisser au public aucun doute qu'on ne se laissera pas pousser au delà, voilà ce que font, et à quels signes se reconnaissent les vrais et grands chefs de gouvernement. Cependant le Saint-Siège continue à ne pas agir il n'y a
eu jusqu'ici que des promesses, des projets et des commissions qui ne
travaillent guère le pays commence à se méfier et à s'irriter. M. Rossi
redouble de vigilance ; ses conseils deviennent plus pressants, il demande
avec instance qu'on accorde une large et loyale satisfaction au parti
réformateur. L'Italie, dit-il dans une
dépêche du 28 juillet 1847, l'Italie a devant elle
deux voies, dont l'une, couverte de pièges et d'écueils, borde un abîme, dont
l'autre, longue il est vrai, mais facile, paraît conduire infailliblement au
but. Qu'importe, s'il n'est pas atteint de notre vivant ! On a gaspillé une
situation unique. Jamais prince ne s'est trouvé plus maître de toutes choses
que Pie IX dans les premiers mois de son pontificat. Tout ce qu'il aurait
fait aurait été accueilli avec enthousiasme. C'est pour cela que je disais :
fixez donc les remises que vous voulez, mais, au nom de Dieu, fixez-les et
exécutez sans retard votre pensée. Lorsque Rossi voit les modérés
faire fausse route, il les gourmande, leur demande où ils veulent en venir
avec leurs incessantes provocations contre l'Autriche. Vous avez 60.000hommes en Piémont, et pas un homme de plus
en fait de troupes réglées. Vous parlez de l'enthousiasme de vos populations
je les connais, ces populations. Parcourez vos campagnes, voyez si un homme
bouge, si un cœur bat, si un bras est prêt à prendre les armes. Les
Piémontais battus, les Autrichiens peuvent aller tout droit jusqu'à Reggio,
en Calabre, sans rencontrer un Italien. Je vous entends vous viendrez alors à
la France. Le beau résultat d'une guerre d'indépendance, que d'amener une
fois de plus deux armées étrangères sur votre sol !... Et puis, la France n'est point un caporal aux ordres de
l'Italie. La France fait la guerre quand et pour qui il lui convient de la
faire. Elle ne met ses bataillons et ses drapeaux à la discrétion de personne. Les conseils, les efforts de MM. Guizot et Rossi ne restèrent pas inutiles. De jour en jour, le Saint-Père prenait plus de confiance dans les lumières supérieures de notre ambassadeur il sentait le prix de l'appui bienveillant de la France. Les écoles primaires furent augmentées, les salles d'asile créées, les tarifs de douane modifiés dans un sens libéral, les chemins de fer décrétés, l'Université de Bologne restaurée, la garde civique réorganisée, le budget romain publié pour la première fois. Le 15 mai, parut un édit sur la presse qui remplaçait par un ordre légal l'arbitraire et le caprice ; la ville de Rome obtint une représentation municipale on fit de sérieux efforts pour réprimer les abus de l'ordre judiciaire ; un motu proprio du pape ordonna qu'une assemblée de notables des provinces se réunirait à Rome le 15 novembre, concourrait à l'administration, donnerait son avis sur les grandes questions temporelles de l'État romain. Il y avait là le germe d'une représentation nationale, et la Consulte d'État pouvait se transformer un jour en pouvoir constitutionnel. De tous côtés, les adhésions les plus chaleureuses, parfois les plus inattendues, venaient encourager le Saint-Père dans son œuvre de régénération. Le général de la Compagnie de Jésus repoussait l'accusation d'une prétendue alliance entre les Jésuites et les Autrichiens, protestait de son obéissance absolue envers Pie IX le chef du culte israélite, le grand-rabbin, lui adressait des remerciements respectueux ; le sultan Abd-Ul-Medjid-Kan lui envoyait un ambassadeur chargé de lui exprimer ses félicitations les plus sincères et sa profonde estime. Les États-Unis, les Républiques de la Nouvelle-Grenade, du Pérou, du Chili, demandaient à former une alliance avec Rome. Le gouvernement français ne se contentait pas de paroles, il envoyait au Saint-Père 8.000 fusils, aux conditions qu'il désirait ; il l'aidait dans sa négociation relative à l'occupation de Ferrare. Il existe, on l'a souvent remarqué, de frappantes analogies entre le roi Louis XVI et le pape Pie IX tous deux animés des meilleures et des plus patriotiques intentions, mais dépourvus de volontés fortes. Si Louis XVI avait fait franchement en 1788 le dixième des concessions qu'il fit plus tard à la Constituante et au peuple de Paris, il aurait vécu et serait mort roi si, en 1846, Pie IX avait agi de même, il eût sans doute évité la révolution. Mais ses réformes arrivaient tardivement, alors que les esprits excités par les émissaires de lord Palmerston, exaspérés par une longue attente, ne se contentaient plus de ce qui aurait comblé leurs vœux auparavant. La situation devenait révolutionnaire, la fermentation se propageait. La garde civique, recrutée parmi les modérés, se conduisait avec intelligence et activité, mais, le 16 juillet 1847, dans une circonstance délicate, où on redoutait à la fois une conspiration absolutiste et une émeute populaire, le pouvoir s'était trouvé concentré de fait entre ses mains, grâce à l'inertie du gouvernement, et il fallait empêcher la prolongation d'un pareil état de choses. Frappé de ces périls, de ces complications, M. Rossi va trouver les ministres du Saint-Père et leur fait entendre la vérité. Je leur dis sans détour que je ne voulais pas revenir sur le passé, ni rechercher s'il n'eût pas été facile de prévenir ce qui arrivait ; qu'alors on avait devant soi des mois, qu'on n'avait plus aujourd'hui que des jours, des heures peut-être que la révolution était commencée, qu'il ne s'agissait plus de la prévenir, mais de la gouverner, de la circonscrire, de l'arrêter que si l'on y apportait les mêmes lenteurs, de bénigne qu'elle était, elle s'envenimerait bientôt ; qu'ils devaient se persuader qu'en fait de révolutions nous en savions plus qu'eux, et qu'ils devaient croire à des experts qui sont en même temps leurs amis sincères et désintéressés qu'il fallait absolument faire sans le moindre délai deux choses réaliser les promesses et fonder un gouvernement réel et solide, en d'autres termes, apaiser l'opinion, qui n'est pas encore pervertie, et réprimer toute tentative de désordre. Pour tenir tête à la révolution et isoler les radicaux, M. Rossi pensait avec raison qu'il était impossible de ne laisser aux laïques d'autre rôle que celui de donneurs d'avis, qu'il fallait s'assurer leur concours et les rallier ; un cabinet mixte et bien composé rassurerait les timides, satisferait les ambitieux, agirait avec efficacité sur la Consulte, sur la garde civique et l'opinion publique. Au pape et au clergé la puissance morale au prince et à ses alliés la force matérielle c'était le moyen d'éviter une révolution proprement dite, une révolution sur la place publique. A la fin de 1847, notre ambassadeur obtenait en partie gain de cause. A la même époque les trois principaux souverains absolus de l'Italie essayaient à leur tour de conjurer l'esprit national unitaire et l'esprit révolutionnaire le roi de Naples, le roi de Piémont, le grand-duc de Toscane entraient dans la voie des réformes, accordaient, à leurs sujets des codes, des institutions libérales, des chartes constitutionnelles. Le Saint-Père avait besoin d'appui contre un double danger la domination autrichienne, les entreprises des exaltés. M. Rossi l'assura que, le cas échéant, la France ne manquerait pas à ses amis et M. Guizot confirma ces promesses dans ses circulaires et à la tribune française. Le prince de Joinville reçut l'ordre de faire paraître de temps en temps son escadre sur les côtes des États pontificaux ; sous les ordres du général Aupick, une colonne expéditionnaire fut rassemblée à Toulon et à Port-Vendres, prête à s'embarquer au premier appel pour Civita-Vecchia. Peu de jours après, le 24 février 1848, la Monarchie de 1830 tombait. On sait ce qui advint Rossi, premier ministre de Pie IX, assassiné par les radicaux, la république romaine, la guerre et l'insurrection embrasant Rome et toute l'Italie, le chaos et l'anarchie, les déroutes de Milan et de Novare. Ce sont les événements eux-mêmes qui se sont chargés de justifier la politique de Louis-Philippe. C'était une politique d'équilibre européen, de liberté modérée l'Italie vit aujourd'hui sous les lois de la monarchie constitutionnelle c'était une politique favorable au maintien des dynasties locales, des traditions, des droits de la papauté depuis a prévalu un autre système, celui des grandes agglomérations ; il a amené l'unité de l'Italie, l'unité de l'Allemagne. |