Irritation de la France à la nouvelle du traité du 15 Juillet. — Réponse de M. Thiers au mémorandum de Lord Palmerston. — Bombardement de Beyrouth, déroute des troupes du vice-roi. — Les fortifications de Paris : les forts détachés et l'enceinte continue ; fusion des deux systèmes. — Le sentiment national. — La Note du 8 Octobre. — Exaltation des esprits effet produit en Angleterre et en Allemagne par l'attitude de la presse française. — Attentat de Darmès. — Résurrection de l'esprit de résistance et de paix. — Démission du Cabinet du 1er Mars. — Avènement du Ministère du 29 Octobre : discussion de l'adresse. — Soumission de Méhémet-Ali, Hatti-Shériff du 10 Juin 1841. — Convention générale dite des Détroits : la France rentre dans le concert européen. — Appréciation d'ensemble. Les alliances de principes et les alliances d'intérêt les peuples n'ont pas de cousins.En recevant le mémorandum de lord Palmerston le cabinet français fut étonné et profondément blessé. Le roi et ses conseillers avaient, au prix des plus constants et des plus pénibles efforts, maintenu la paix depuis dix ans, et préservé l'Europe de la révolution cosmopolite ils avaient résisté aux excitations belliqueuses, aux idées de propagande armée des anarchistes et des brouillons ; ils croyaient avoir mérité un autre traitement et ne pouvaient se figurer que pour contracter une alliance éphémère, le ministère whig sacrifierait une alliance de principes et de sentiments. La France entière se plaignit du traité comme d'un] acte d'injustice elle le ressentit comme une injure. Les conservateurs s'inspiraient des sentiments qui animaient le pouvoir, les républicains trouvaient tout avantage à surexciter la fibre patriotique afin de pousser à une guerre générale, qui deviendrait fatalement révolutionnaire. La presse, ce quatrième pouvoir de l'État, se montra unanime et alla tout d'abord aux extrêmes les journaux rappelaient avec une fierté menaçante le temps où, seule contre les puissances coalisées, la France avait accompli des prodiges d'héroïsme et vaincu ses adversaires[1]. La réponse de M. Thiers au mémorandum de lord. Palmerston fut digne et convenable. La France, disait en substance le ministre français, n'a jamais été mue dans sa conduite que par l'intérêt de la paix. Elle n'a jamais jugé les propositions qui lui ont été faites que d'un point de vue général, et jamais au point de vue de son intérêt particulier, car aucune puissance n'est plus désintéressée qu'elle en Orient. Partant de ce point de vue, elle a considéré comme mal conçus tous les projets qui avaient pour but d'arracher à Méhémet-Ali, par la force des armes les portions de l'empire turc qu'il occupe actuellement. La France ne croit pas cela bon pour le sultan, car on tendrait ainsi à lui donner ce qu'il ne pourrait ni administrer ni conserver. Elle ne le croit pas bon non plus pour la Turquie en général, et pour le maintien de l'équilibre européen, car on affaiblirait, sans profit pour le suzerain, un vassal qui pourrait aider puissamment à la commune défense de l'empire. Quant à l'emploi de la force, les moyens dont les puissances pourraient disposer, semblaient insuffisants ou plus funestes que l'état de choses auquel on voulait porter remède. On n'avait adressé au cabinet des Tuileries aucune proposition positive sur laquelle il eût à s'expliquer. Il ne fallait donc pas imputer à son refus la résolution prise à son insu. Le concours moral de la France, dans une conduite commune, était une obligation de sa part : il n'en était plus une dans la situation nouvelle où semblaient vouloir se placer les puissances. La France ne peut plus être mue désormais que parce qu'elle doit à la paix et ce qu'elle se doit à elle-même. En communiquant ce contre-mémorandum au ministre anglais
M. Guizot ajouta ces fières paroles : Je ne
doute pas de la sincérité de vos intentions, mais vous ne disposez pas des
événements ni du cours qui peut leur être imprimé. Partout en Europe, ce qui
se passe en ce moment sera considéré comme une large brèche qui peut en
ouvrir de plus larges encore. M. Canning, dans un discours très beau et très
célèbre, a montré un jour l'Angleterre tenant entre ses mains l'outre des
tempêtes et en possédant la clef ; la France a aussi cette clef et la sienne
est peut-être la plus grosse. Elle n'a jamais voulu s'en servir. Ne nous
rendez pas cette politique plus difficile et moins assurée. Ne donnez pas en
France aux passions nationales de sérieux motifs et une redoutable impulsion.
Ce n'est pas là ce que vous nous devez, ce que nous doit l'Europe pour la
modération et la prudence que nous avons montrées depuis dix ans. A Londres, l'opinion publique se prononçait avec amertume contre Palmerston, qu'on accusait d'avoir commis une grande étourderie ; les intérêts, cette pierre de touche de la politique anglaise, se montraient sérieusement alarmés. On regardait le cabinet whig comme fort ébranlé ; le duc de Wellington récriminait avec vivacité contre le ministre des affaires étrangères et lord Ponsonby qu'il accusait d'avoir fait tout le mal. Sir Bulwer, le confident de lord Palmerston, savait que le ministère anglais formait des cabales en dehors et même dans son propre sein contre le chef du Foreign-Office. Les signataires du traité de Londres ressentaient eux-mêmes le poids de leur entreprise pour l'exécuter de vive force, il fallait courir bien des chances périlleuses qu'ils n'avaient point prévues ? N'était-il pas facile au vice-roi de se tenir sur la défensive, d'évacuer les côtes et les villes du littoral, de concentrer ses troupes dans l'intérieur des terres et de les tenir prêtes, selon les circonstances, à marcher sur Constantinople ou à revenir sur la Méditerranée ? Il faudrait donc qu'on allât le chercher dans les défilés de la Syrie montagneuse et aride, mais rien n'avait été réglé pour une éventualité si naturelle. On ne pouvait pas compter sur l'armée ottomane, peu nombreuse et mal aguerrie l'escadre britannique ne contenait point de troupes de débarquement, et la Russie se fût montrée peu disposée à laisser les soldats anglais pénétrer seuls dans ces contrées qui sont pour eux la route la plus directe de l'Inde. L'Angleterre ne se serait pas souciée davantage de faire venir un corps d'armée russe des côtes de la mer Noire jusqu'en Syrie et de compromettre si gravement l'indépendance, la dignité de l'empire ottoman. Le prince de Metternich déclarait qu'il ne le souffrirait pas, et paraissait décidé à ne pas lever un soldat, à ne pas acheter un vaisseau, à ne pas fondre un canon la Prusse suivrait cet exemple. On ne pouvait employer d'autres moyens que les démonstrations maritimes, et, le mois de novembre venu, les escadres ne sauraient, sans courir les plus graves dangers, continuer à tenir la mer. Il s'agissait pour nous de gagner le printemps, car alors on remettrait en question tout ce qui serait décidé jusque-là. Le gouvernement du roi faisait de rapides préparatifs : l'insuffisance des crédits alloués à l'armée, les sacrifices de la guerre d'Afrique rendaient nécessaires de grands efforts pour mettre la France sur le pied de paix armée. Diverses ordonnances appelèrent sous les drapeaux tous les soldats encore disponibles des classes de 1836 à 1839, ouvrirent plusieurs crédits montant à 116 millions pour l'accroissement de l'armée en hommes, en chevaux, pour l'augmentation du matériel naval. Nos places fortes et nos côtes reçurent les compléments d'armements qui leur faisaient défaut. Dès le 21 juillet, M. Thiers envoya le comte Walewski en mission officieuse à Alexandrie, porter au vice-roi, avec la nouvelle du traité de Londres, des conseils de modération et de sagesse le ministre français croyait celui-ci capable, sur une menace, sur un blocus, sur un acte quelconque, de mettre le feu aux poudres, de passer le Taurus, d'amener les Russes et de faire sauter l'Europe avec lui. Il lui demandait de se résigner à un rôle passif, de se tenir sur la défensive, de se contenter de la Syrie viagère avec l'Égypte héréditaire. De leur côté, les signataires du traité et le Divan déployaient la plus grande activité. Le sultan s'empressa d'accepter l'œuvre de lord Palmerston, chargea Rifaat-Bey de porter à Alexandrie les sommations successives que la Porte devait adresser au pacha. Ce dernier refusa de laisser parler le messager turc, et le lendemain, 17 août, il se contenta de répondre aux consuls d'Angleterre, de Russie, d'Autriche et de Prusse qu'il s'en rapporterait à la volonté de Dieu, et ne rendrait qu'au sabre ce qu'il avait acquis par le sabre. M. Walewski réussit mieux à se faire écouter après beaucoup d'hésitations, Méhémet-Ali finit par dire qu'il acceptait l'Égypte héréditaire et qu'il s'en fiait pour le surplus à la magnanimité du sultan. Par ce recours aux bontés de son suzerain, il donnait à entendre qu'il demandait et comptait bien avoir le gouvernement viager de la Syrie, ajoutant que s'il était refusé, il reprendrait la lutte. M. Walewski se chargea de porter ces propositions au Divan, mais il offrit en vain la médiation de la France. Dès le 11 septembre, des conférences étaient ouvertes à Constantinople entre Reschid-Pacha, grand vizir et les ambassadeurs des quatre puissances. Il était évident que l'Europe tenait la Porte en tutelle, et M. Thiers commettait une lourde méprise en ne comprenant pas que lord Ponsonby était devenu le maître de la situation. Comment supposer en effet que la Porte pourrait préférer le système français alors que les autres cabinets se montraient plus favorables à son égard ? Le 11 septembre, un firman solennel proclamait la déchéance de Méhémet-Ali pour la troisième fois, le pacha se trouvait mis hors la loi musulmane, et pour la troisième fois on lui donnait un successeur ; le 22 septembre la nouvelle de la déchéance lui fut notifiée le lendemain, les consuls des quatre grandes puissances abattirent leurs pavillons et quittèrent l'Egypte la mission de M. Walewski avait totalement échoué. Les coalisés faisaient marcher de front l'action diplomatique, l'action militaire et semblaient prendre à tâche d'écarter toute possibilité d'une solution pacifique. Dès le 14 août, avant les sommations de Rifaat-Bey, le commodore Napier se présentait devant Beyrouth, signifiait aux troupes égyptiennes d'avoir à évacuer la ville et la Syrie, jetait des proclamations aux Syriens, leur faisait passer des armes, des munitions, de l'argent, capturait des navires de commerce égyptiens. Au même moment, l'amiral Stopford arrivait en rade d'Alexandrie et s'y établissait. Le 11 septembre, Beyrouth était bombardée et se rendait après une faible résistance ; puis les côtes de la Syrie furent ravagées par un corps de dix mille hommes où figuraient trois mille auxiliaires anglais, et on apprit avec étonnement que l'armée d'Ibrahim-Pacha ne tentait aucun effort sérieux pour les éloigner. Le 22 septembre, Sidon tomba au pouvoir des alliés presque sans coup férir, et l'émir Beschir, qui avait résisté d'abord aux séductions de l'Angleterre, défectionna à son tour. Ainsi, les conséquences rigoureuses, extrêmes du traité du 15 juillet éclataient au moment même où les concessions du pacha faisaient entrevoir des espérances d'arrangement. Le cabinet des Tuileries avait répondu à la nouvelle de la convention de Londres par des levées de soldats et de matelots il répondit à la nouvelle de son exécution par de nouvelles levées et la résolution de fortifier la capitale[2]. Une ordonnance du 29 septembre prescrivit la création de douze régiments d'infanterie, six régiments de cavalerie et dix bataillons de chasseurs à pied. Le 13 septembre, le Moniteur avait annoncé que la grande œuvre des fortifications de Paris était résolue les travaux furent déclarés d'urgence et d'utilité publique, le lieutenant général Dode de la Brunerie nommé directeur supérieur, les premiers crédits ouverts pour commencer l'exécution. Nous avons réuni les deux systèmes, écrivait M. Thiers à M. Guizot, qui tous deux sont bons, qui réunis sont meilleurs, et qui n'ont qu'un inconvénient, à mon avis fort accessoire, celui de coûter cher. En France, cela est pris, non pas avec plaisir, mais avec assentiment. On comprend que notre sûreté est là, et que c'est le moyen infaillible de rendre une catastrophe impossible. Fortifier, mettre Paris à l'abri d'une surprise, d'un coup de main, ce n'était pas une idée nouvelle Vauban, Napoléon, sous la Restauration le maréchal Gouvion Saint-Cyr s'en étaient préoccupés. La crainte d'inquiéter les habitants et l'incroyable rapidité des événements, m'empêchèrent, dit Napoléon, de donner suite à cette grande pensée. Fortifier Paris, c'était fortifier la France avec la centralisation, il devenait impossible de prolonger la défense du pays, si Paris était pris. Louis-Philippe avait à cœur de réaliser cette idée patriotique, et plusieurs fois avant 1840, des commissions avaient mis en avant divers projets. Mais les hommes compétents eux-mêmes demeuraient divisés les uns voulaient une série de forts isolés, distribués de manière à croiser leurs feux et à commander les approches de la ville les autres réclamaient une enceinte continue, se développant sans interruption sur le pourtour de la capitale. Forte de ces divergences, l'opposition se montrait passionnée, résolue à empêcher le projet d'aboutir. Beaucoup de conservateurs y voyaient une sorte de défi à l'Europe et s'effrayaient de tous les périls d'un siège si la guerre venait à éclater les financiers s'épouvantaient d'une aussi forte dépense, tandis que nombre de libéraux naïfs et de républicains, envisageant la chose comme un grand obstacle à la liberté des révolutions, imputaient au pouvoir le dessein de se servir des forts détachés pour opprimer Paris bien plus que pour repousser l'étranger. C'étaient, disait-on alors, de nouvelles Bastilles dont on entourait la capitale. Au contraire, les républicains du National demandaient les fortifications ils n'ignoraient pas que Paris serait toujours le quartier général de la révolution, qu'en cas d'événement, il suffit d'être maître de Paris pour dominer la France ils voulaient, selon- leur propre expression, que Paris fût la citadelle de la liberté dans le monde, que Paris crénelé fût le réduit de la révolution. Après trois années d'études et de discussions, une nouvelle commission de défense, nommée en 1836, avait enfin déclaré que l'un sans l'autre les deux systèmes restaient imparfaits et incomplets, et que, pour devenir efficaces, on devait les réunir, les rendre solidaires. Il faut, disait un de nos officiers les plus distingués, M. de Chabaud-Latour, alors chef de bataillon du génie, il faut, pour fortifier Paris, une enceinte continue et des forts détachés, une enceinte pour que l'ennemi ne puisse espérer pénétrer, par les larges trouées de deux ou trois mille mètres que les forts laisseront entre eux des forts, pour que la population n'ait pas à souffrir les horreurs d'un siège, et pour que le rayon d'investissement de Paris soit si étendu qu'il devienne comme impossible, même aux armées les plus nombreuses. Chargé par M. Thiers de rédiger un projet d'ensemble, M. de Chabaud-Latour, dans un remarquable mémoire, traça un plan complet, discuta les moyens d'exécution et, avec une étonnante précision, évalua la dépense à la somme de 140 millions. M. Thiers comprenait et possédait à un haut degré le sentiment national[3], levier puissant, arme à deux tranchants, qui, maniée par des mains imprudentes, se retourne trop souvent contre la France, mais qui a produit tant de choses glorieuses et héroïques. Malgré les clameurs de l'opposition contre le système des forts détachés, malgré le mécontentement de beaucoup de ses amis et d'une partie de la presse, il n'hésita pas à adopter le plan tout entier. La perspective accréditée d'une guerre européenne, l'irritation et les alarmes publiques lui fournissaient l'occasion favorable, en justifiant ses appréhensions patriotiques. Le Parlement ne fut pas appelé à sanctionner cette mesure : vu l'urgence et la gravité des circonstances, on procéda par voie de simple ordonnance, comme on avait fait pour tant d'autres crédits. C'est donc à M. Thiers et à Louis-Philippe qu'il faut reporter l'honneur de cette grande résolution pour rester impartial, il faut reconnaître que le ministère du 29 octobre accepta courageusement cet héritage. M. Guizot eut à combattre bien des résistances dans les Chambres, il dut aussi calmer les inquiétudes des puissances étrangères, apaiser les scrupules financiers de M. Humann, réfuter les objections pratiques du maréchal Soult contre l'enceinte continue. Il sut restituer au projet de loi son véritable et fondamental caractère gage de paix et preuve de force c'était le moyen d'imposer à l'étranger, de le contenir, de donner de la liberté, de l'aisance à l'exercice de notre juste influence. Aux yeux de Henri Heine, les fortifications de Paris
étaient l'événement le plus considérable de son temps, et voici de quelle
manière le duc de Wellington les appréciait : Vos
fortifications de Paris, dit-il en 1844 à M. Guizot, ont fermé cette ère des guerres d'invasion et de marche
rapide sur les capitales que Napoléon avait ouverte. Elles ont presque fait
pour vous ce que fait pour nous l'Océan. Si les souverains de l'Europe m'en
croyaient, ils en feraient tous autant. Je ne sais si les guerres en seraient
moins longues et moins meurtrières elles seraient, à coup sûr, moins
révolutionnaires. Vous avez rendu par cet exemple un grand service à la
sécurité des États et à l'ordre européen. La prédiction du duc de
Wellington ne devait s'accomplir qu'en partie mais après les événements de
1870, personne aujourd'hui ne méconnaîtra la grandeur du service rendu à la
France par le gouvernement de Juillet, personne ne blâmera Louis-Philippe,
l'ennemi déclaré de la guerre, de la destruction, de s'être rappelé 1814 et
1815, d'avoir voulu profiter des amères leçons de l'expérience, d'avoir pensé
au lendemain et prévu l'avenir avec un souci patriotique. Les forts détachés
n'eurent d'ailleurs pour effet ni de favoriser les prétentions du pouvoir
personnel, ni de clore l'ère des révolutions parisiennes 1848, 1870, 1871
sont là pour démentir toutes les inquiétudes plus ou moins sincères, les
lieux communs et les paradoxes de l'opposition. L'opinion publique avait vu dans l'alliance des quatre puissances le présage d'une nouvelle coalition contre la France. Emporté par sa colère, M. Thiers résolut d'envoyer l'escadre française à Alexandrie, de protester formellement contre la déclaration de déchéance, de porter d'urgence les armements au pied de guerre. Le roi, plusieurs ministres craignirent de rendre la guerre inévitable, et le 3 octobre, le cabinet crut devoir donner sa démission qui ne fut point acceptée. Grâce aux conseils du duc de Broglie, une transaction fut adoptée dans les termes suivants concentrer la flotte aux îles d'Hyères, la tenir prête à se porter sur tous les points de la Méditerranée, faire expressément un casus belli d'une attaque contre l'Égypte. En même temps on continuait les armements de guerre, et les Chambres étaient convoquées pour le 28 octobre. Rappeler notre escadre du Levant était un acte de prudence et de courage politique. Il y a certains cas où, comme on l'a dit, les canons partent d'eux-mêmes. Les flottes française et anglaise étaient animées d'un patriotisme brûlant, d'un esprit de rivalité passionnée, nos marins étaient impatients du combat, se croyaient sûrs de la victoire. Le ministère ne pouvait admettre que les destinées de la France fussent à la merci du moindre incident soulevé par la susceptibilité ombrageuse de quelque officier subalterne ; il voulait rester maître de choisir, s'il le fallait, le jour et le lieu de l'attaque, ne pas se réveiller un matin en guerre avec l'Europe, par suite d'un malentendu, d'une bravade ou d'une étourderie. Cependant l'effet de cette détermination fut des plus fâcheux les adversaires du gouvernement l'attaquèrent avec violence, ses amis la défendirent mollement la France paraissait reculer, l'orgueil national s'irritait de la moindre apparence, ne tenait aucun compte au pouvoir de ses difficultés, des preuves d'énergie qu'il donnait sur d'autres points. Ni Bulwer, ni Palmerston n'accusaient la France de vouloir reculer en cette circonstance : celui-ci pensait que l'escadre était rappelée afin d'être en mesure de rencontrer et de repousser la flotte russe de la Baltique Bulwer affirme que l'idée de M. Thiers était de s'emparer des îles Baléares, en partie comme protestation contre la participation supposée de l'Angleterre dans les affaires de la péninsule espagnole, et en partie parce qu'en cas de guerre, il serait important pour la France de posséder ces îles à cause de leur proximité avec l'Algérie. A l'appui de cette révélation, Bulwer rapporte que le comte Jaubert déclara à la Chambre que si le cabinet du 1er mars était resté plus longtemps au pouvoir, le drapeau français aurait flotté sur les îles Baléares. Depuis le traité du 15 juillet, lord Palmerston et M. Thiers avaient engagé une petite guerre diplomatique de mémorandum, où chacun cherchait à plaider sa cause devant son pays. La réponse du ministre français, en date du 3 octobre, mérite d'être signalée ; elle résumait avec clarté et fermeté la politique du gouvernement français depuis 1839, faisait habilement ressortir ce qu'il y avait de mensonger dans le prétendu respect des puissances pour l'intégrité de l'empire ottoman, dans cette tactique qui consistait à enlever au vice-roi la Syrie pour la rendre non au sultan mais à l'anarchie. — Les quatre cours, ajoutait M. Thiers, en attribuant au vassal heureux qui a su gouverner l'Egypte, l'hérédité de cette province, lui attribuent encore le pachalik d'Acre, mais elles lui refusent les trois autres pachaliks de Syrie, ceux de Damas, d'Alep, de Tripoli. Elles appellent cela sauver l'intégrité de l'empire ottoman. Ainsi, l'intégrité de ce dernier est sauvée, même quand on en détache l'Égypte et le pachalik d'Acre ; mais elle est détruite si on en détache de plus Damas, Alep et Tripoli. Maître de la Syrie et de l'Égypte, Méhémet-Ali deviendrait, pour le sultan, le plus précieux des auxiliaires son intérêt répondait de lui à défaut de sa fidélité. C'est l'alliance anglo-française qui depuis dix ans sauvait la paix et l'indépendance des États sans nuire à la liberté des nations cette alliance était rompue par le traité de Londres. Cinq jours après, M. Thiers adressait au cabinet de Saint-James sa note du 8 octobre sans y prononcer d'une façon précise le mot et le moment du casus belli, il avançait résolument que si le Pacha était menacé dans son établissement égyptien, la France ne voudrait, ne pourrait pas le souffrir. Cette note était, en quelque sorte, l'ultimatum de la diplomatie française, et si elle n'écartait pas toutes les chances de guerre, elle les diminuait beaucoup. Elle interdisait aux puissances de toucher à l'Égypte, mais elle abandonnait implicitement la Syrie à la fortune de la guerre. En envoyant cette note, le cabinet ne se donnait pas, comme on le lui reprocha, des airs d'enfonceur de portes ouvertes, et elle n'était pas, selon le mot de Lamartine, le Waterloo de la diplomatie française c'est seulement le 15 octobre que Palmerston, trouvant possible de laisser l'Égypte au vice-roi, écrivait à lord Ponsonby de faire une démarche auprès du sultan, afin que celui-ci rétractât le décret de déchéance[4]. Les têtes les plus froides, les caractères les plus circonspects étaient emportés par le mouvement général. On prêtait à Louis-Philippe ces paroles menaçantes : Je mettrai, s'il le faut, le bonnet rouge ; son fils, le duc d'Orléans, l'avait supplié de relever le gant, aimant mieux, disait-il, être tué sur les bords du Rhin et du Danube que dans un ruisseau de la rue du Bac. La nouvelle du bombardement de Beyrouth, les levées d'hommes, les armements avaient excité la plus vive émotion : le 5 % qui, le 6 septembre était à 113, tomba, le 14, à moins de 101. Les exaltés essayaient de s'emparer de la question extérieure pour la convertir en question de révolution intérieure. Les Républicains, dit M. Elias Regnault, comprenaient parfaitement qu'une guerre européenne devait nécessairement ébranler le trône, leur offrir toutes les chances de l'inconnu, toutes les occasions qui appartiennent à l'audace, et ils appelaient hautement la nation aux armes dans des articles pleins de verve, de ressentiments et d'espérances. Partout on chantait la Marseillaise, les coalitions d'ouvriers se multipliaient des banquets eurent lieu dans nos principales villes, où l'on prononçait les discours les plus incendiaires contre le gouvernement, contre là Sainte-Alliance des rois ; les sociétés populaires recommençaient leurs menées, les réunions populaires leurs bravades et leurs exigences[5]. Un sous-officier de la garde municipale fut victime de ces désordres et lâchement poignardé par une bande d'énergumènes. Il ne s'agissait plus des intérêts du pacha, mais d'une guerre universelle et révolutionnaire, sans limites dans son but comme dans ses conséquences. A Paris, les choses en vinrent au point que le maréchal Gérard dut faire un ordre du jour à la garde nationale pour la prémunir contre ceux qui voulaient l'entraîner à des démonstrations belliqueuses. Ces débordements, ces fanfaronnades produisirent une double conséquence. A Londres, où l'alliance française avait conquis une réelle popularité, beaucoup de wighs, de torys, avaient blâmé la politique de Palmerston, qu'ils accusaient de compromettre la paix du monde pour un intérêt chimérique. L'attitude de la presse française, les clameurs révolutionnaires changèrent cette disposition, empêchèrent le public et les journaux anglais d'exprimer tout leur mécontentement. Bientôt l'Angleterre entière porta aux nues lord Palmerston et le proclama grand homme, avec d'autant plus d'enthousiasme qu'elle admire naïvement le succès, et que les triomphes du ministre étaient l'éclatante réfutation des menaces du chauvinisme français. Un des chefs du parti tory, lord Aberdeen, alla jusqu'à écrire que la récente conduite de lord Palmerston effaçait tous ses torts. Lord Melbourne disait ironiquement qu'on ne peut admettre qu'une nation trouve dans son tempérament irritable une raison de dicter la loi aux autres ce serait faire comme dans la vie privée, où trop souvent le plus mauvais caractère de la famille parvient à gouverner les autres membres à force de répéter qu'il est très irritable, très susceptible, et qu'il ne faut pas le mettre en colère. D'autre part, les populations libérales de l'Allemagne s'étaient senties froissées dans leur orgueil patriotique ; les couplets de la Marseillaise, les menaces de conquête et d'invasion de nos exaltés n'avaient eu d'autre effet que de les rallier à leurs gouvernements, de resserrer leurs liens de fidélité et de dévouement. Le moment où les cabinets absolus se liguaient contre nous était précisément celui où nous perdions au dehors la sympathie des masses. Par une fatalité déplorable, le gouvernement de Juillet se trouvait porter, en une épreuve si décisive, la responsabilité des écarts de la faction hostile, qu'il avait, pendant dix ans, énergiquement combattue. En France, les sorties belliqueuses, l'effervescence des
parties extraparlementaires, l'échauffourée de Boulogne, la prise de
Beyrouth, avaient rendu au parti conservateur sa clairvoyance et refroidi son
enthousiasme les affaires commerciales se ralentirent, l'esprit d'ordre légal
et de paix reparut ; on comprit que la puissance du pacha, mise à l'épreuve,
se trouvait bien au-dessous de ce qu'on avait espéré. Interprète des alarmes
des esprits raisonnables, le Journal des Débats écrivait le 13 octobre :
Qu'on lise les journaux radicaux, ceux de Paris et
ceux des départements ! Y a-t-il encore des lois, une charte, une monarchie
en France ? Y a-t-il un gouvernement ? Ou bien, sommes-nous déjà en pleine
anarchie ? Les lois, on les brave ouvertement. La Charte, on déclare tout
haut qu'on ne s'en inquiète pas. La royauté, on l'insulte sans mesure, sans
pudeur. Les Chambres, on les menace, on leur montre en perspective la colère
du peuple, on cherche à ébranler par tous les moyens leur indépendance. Le
parti révolutionnaire parle en maître, il n'est plus permis d'avoir une
opinion libre. Qui n'est pas pour la guerre immédiate, pour la guerre
universelle, est un partisan de l'étranger. Voilà comment se préparent par
les violences de la parole, celles de l'action. On commençait à sentir
que la Syrie n'était pas un cas de guerre légitime, que la France, qui
n'avait pas fait la guerre pour la Pologne et l'Italie, ne pouvait
raisonnablement la faire pour arracher une province asiatique des mains du
sultan. On avait tenu peu de compte de son amitié, il y avait eu un mauvais
procédé, il n'y avait pas eu d'injure, d'offense réelle, car M. Thiers avait
refusé son concours aux termes qu'on lui proposait. C'était une raison de
froideur, d'isolement, de politique indépendante et personnelle c'était
surtout une grande chimère de croire que, vivant au milieu de l'Europe, la
France pût se passer contre elle toutes ses fantaisies. Cette résurrection de l'esprit de résistance et de paix devait affaiblir la situation du cabinet du 1er mars, déjà compromis par ses mésaventures diplomatiques. M. Thiers persistait d'ailleurs à vouloir armer sur le pied de guerre il proposait de porter les armements au chiffre de six cent trente-neuf mille hommes, avec trois cent mille gardes nationaux puis au printemps prochain, il aurait comme il le déclara plus tard à la tribune, négocié à la tête de toutes ses forces, exigé la modification du traité de Londres ou déclaré la guerre. Il songeait à se donner une Ancône en Orient, à prendre Candie, l'ancienne île de Crète[6]. Mais des dissensions intestines avaient déjà éclaté dans le ministère plusieurs de ses collègues trouvaient qu'il allait trop loin, blâmaient ses allures napoléoniennes, sa politique printanière, comme on disait alors. Chose remarquable, les plus pacifiques étaient le ministre de la guerre et celui de la marine. L'amiral Roussin faisait entendre de sages conseils : Vous parlez des forces du pacha, s'écriait-il, vous parlez de ses armées, de ses flottes, mais il n'a que des apparences d'armée, des apparences de flotte. Ses soldats tous réunis ne résisteraient pas à un régiment européen quant à ses vaisseaux, je ne demande qu'une frégate, une seule, pour les disperser et les brûler. J'ai vu de trop près ces troupes et ces marins pour les traiter autrement que comme de vaines fantasmagories. Lors de son ambassade à Constantinople, l'amiral Roussin avait été un des premiers à deviner la duplicité de lord Palmerston et de lord Ponsonby. Monsieur le Maréchal, écrivait-il au duc de Dalmatie, qu'on ne me parle plus de l'alliance anglaise ; personne n'y croit ici ; je n'y crois pas moi-même, et l'on me rirait au nez si j'en parlais. Malheureusement M. Thiers continuait à compter sur le temps et l'imprévu aux avis du ministre de la marine, il préférait ceux des journaux amis de Méhémet-Ali[7]. Sur ses entrefaites, l'attentat de Darmès porta au cabinet déjà chancelant un nouveau coup. Le 15 octobre, vers six heures du soir, au moment où le roi retournait à Saint-Cloud, accompagné de la reine et de sa sœur, madame Adélaïde, un homme placé près du poste du pont de la Concorde lui tira un coup de carabine. Personne dans la voiture ne se trouva atteint, deux valets de pied et un garde national à cheval de l'escorte furent légèrement blessés. L'arme était si fortement chargée qu'elle éclata et emporta plusieurs doigts de l'assassin. Arrêté sur-le-champ, l'auteur de l'attentat parut vouloir se glorifier de son forfait. Votre nom, lui demanda-t-on ? — Conspirateur. — Votre profession ? — Exterminateur de tyrans. — Qui vous a poussé à un crime si horrible ? — J'ai voulu délivrer la France du plus grand tyran des temps anciens et modernes. C'était un domestique frotteur, nommé Darmès, fanatique grossier et brutal, dépravé de mœurs et d'intelligence, affilié à la société des Communistes ou Travailleurs Egalitaires. Le crime du 15 octobre, écrivit le Journal des Débats, est le commentaire des doctrines de la faction radicale c'est le post-scriptum de leurs doctrines. Ce crime produisit une profonde sensation on y vit le fruit des attaques de la presse contre le roi, de la fermentation révolutionnaire. L'humeur et la défiance du parti conservateur s'en accrurent, les idées de paix et d'ordre légal regagnèrent un nouvel empire. M. Thiers avait amené les choses au point que la guerre paraissait imminente peut-être aussi sentait-il que le terrain s'effondrait sous ses pas, et songeait-il à se ménager une bonne retraite sur les bancs de l'opposition, à garder intacte sa popularité, en laissant à d'autres le lourd fardeau du pouvoir ; Après moi, disait-il, gouvernera qui pourra. Le 20 octobre, il présenta au roi le projet de discours de la couronne, destiné à ouvrir la session le langage en était digne et ferme, mais il avait pour conséquence obligée le pied de guerre, et semblait conçu dans la perspective de la guerre. Louis-Philippe s'était associé vivement aux émotions
patriotiques sans qu'elles dominassent son jugement ; il était plein de
sympathie pour le sentiment national, capable aujourd'hui de le partager, et
d'en reconnaître demain le péril. Il démêlait avec
un ferme bon sens l'intérêt vrai du pays et il en faisait la règle de sa
politique, doutant souvent du succès et regrettant la popularité, mais bien
résolu à la sacrifier plutôt que d'obéir à ses entraînements, comprenant,
partageant les joies et les tristesses nationales, étranger à aucune des
émotions, des instincts, des aspirations du pays, quelquefois trop
impétueusement dominé par ses impressions du moment, ses premières idées et
l'intempérance de ses premières paroles. Le roi et le président du
conseil voulaient tous deux préserver l'honneur et la dignité de la France,
mais ils différaient sur les moyens celui-là connaissait mieux les
dispositions et les forces réelles de l'Europe, craignait avec raison qu'une
collision ne sortît, par notre seule faute, des armements extraordinaires faits
pour la prévenir. M. Thiers avait voulu se ménager un triomphe exclusif aux
dépens des autres puissances il avait été deviné et prévenu ; la France ne
devait pas porter la peine de son orgueil déçu[8]. En 1823, après
le congrès de Vérone, l'Angleterre, qui désapprouvait l'expédition d'Espagne,
s'était trouvée dans la même situation que la France subissait après le
traité de Londres. Elle déclara qu'elle ne ferait pas un casus belli de
l'intervention armée en Espagne, mais elle ne souffrirait pas que celle-ci
s'étendît au Portugal elle garantissait l'intégrité de ce royaume, comme nous
garantissions celle de l'Égypte. Les Cortès espagnoles n'opposèrent pas plus
de résistance en 1824 que les troupes de Méhémet-Ali en 1840 seule de son
avis contre toute l'Europe, l'Angleterre assista mécontente, isolée mais
pacifique et sans se mettre sur le pied de guerre, au triomphe des autres
cours, et laissa replacer la Péninsule sous l'autorité de Ferdinand VII[9]. M. Thiers et la majorité du conseil n'ayant pu convaincre le roi, le cabinet du 1er mars donna définitivement sa démission le 22 octobre. M. Guizot, une fois les voiles déchirés, avait compris la faiblesse réelle du pacha et la gravité du péril révolutionnaire à ses yeux, le mal essentiel de la situation, c'était, par un mélange de forfanterie et de timidité, d'avoir affiché la guerre sans la vouloir, d'avoir poussé à la guerre en visant à la paix. Le but avait été dépassé sans être atteint ; l'Europe n'avait eu ni assez confiance, ni assez peur on avait irrité sans imposer, en répandant une malfaisante inquiétude. M. Guizot avait fait ses conditions point de réforme électorale, point de dissolution, point de concession à la gauche ; cependant le ministère marchait vers la dissolution. On retournait vers 1831, vers l'esprit démagogique exploitant l'entraînement national et poussant à la guerre sans motif légitime, sans chance raisonnable de succès, dans le seul but et le seul espoir des révolutions. La gauche semblait dominer la situation comme preuve de cette prépondérance, le cabinet portait M. Odilon Barrot à la Présidence[10]. Voilà pourquoi M. Guizot, ambassadeur de M. Thiers, pouvait lui succéder, et adopter le programme contenu dans la note du 8 octobre[11]. Le 29 octobre, le nouveau ministère se trouva constitué de la manière suivante le maréchal Soult, président du conseil et ministre de la guerre, MM. Guizot, Duchâtel, Humann, ministres des affaires étrangères, de l'intérieur et des finances MM. Teste et Cunin-Gridaine prenaient les portefeuilles de la justice et de l'agriculture, M. l'amiral Duperré et M. Villemain ceux de la marine et de l'instruction publique. C'était un ministère conservateur, dont la plupart des membres avaient déjà subi l'épreuve du gouvernement, possédaient la pratique des affaires, présentaient un solide faisceau de gloires, de talents de premier ordre. C'était aussi un ministère de dévouement et d'abnégation, car nul ne se faisait illusion sur les difficultés et les tristesses de la situation. Résister à l'entraînement national, aux préjugés, aux sentiments populaires, faire prévaloir la politique plus modeste, plus fade du bon sens, des légitimes intérêts de la France, combattre l'esprit de conquête et de propagande, reconnaître, réparer les fautes de ses prédécesseurs, du pays tout entier, maintenir la paix avec honneur et sans condescendance vis-à-vis de l'étranger, sortir de l'isolement pour rentrer avec dignité dans le concert européen, rallier et discipliner les fractions du parti conservateur ébranlées par la coalition et par M. Thiers, contenir la presse, les passions anarchiques, telle était la pénible mission du nouveau cabinet. Les premières opérations de la Chambre lui furent favorables le 6 novembre, M. Odilon Barrot, candidat de l'opposition, obtint 154 suffrages pour la Présidence, tandis que M. Sauzet, candidat des conservateurs, était élu avec 220 voix. Le discours de la couronne annonçait une politique pacifique, armée par précaution. La discussion de l'adresse dura dix jours tour à tour les ministres du 12 mai, du 1er mars, du 29 octobre, les principaux orateurs vinrent défendre leur politique, accuser leurs adversaires[12], faire assaut de sophismes et d'éloquence. M. de Lamartine résuma son discours en ces mots La France s'appelle avant tout nation, humanité, civilisation, et, s'il y a plus d'éloquence, plus d'action, de mouvement, de popularité dans la guerre, permettez-moi de vous le dire, il y a cent fois plus de vrai patriotisme dans la paix. Le maréchal Soult et M. Guizot développèrent leur programme la question de Syrie ne contenait pas un cas de guerre, la France devait faire respecter la note du 8 octobre, concentrer ses forces au lieu de déchaîner les passions, se montrer puissante et non provocatrice, prête à tous les événements, mais équitable et sincère dans l'appréciation des actes. Répondant à M. Thiers qui reprochait au cabinet du 29 octobre d'être venu avec la paix certaine, M. Guizot répliqua avec raison : L'honorable M. Thiers n'a dit que la moitié de la vérité sous le ministère du 1er Mars, la guerre était certaine. Maintenant ne nous jetons pas mutuellement à la tête ces mots la guerre à tout prix, la paix à tout prix. Gardons tous deux la justice. Non, vous n'étiez pas le cabinet de la guerre à tout prix, pas plus que nous ne sommes le cabinet de la paix à tout prix. Vous étiez un cabinet-de gens d'esprit et de cœur, qui croyaient que la dignité, l'intérêt, l'influence de la France voulaient que la guerre sortît de cette situation, et qu'elle s'y préparât aujourd'hui pour être prête au printemps. Eh bien, j'ai cru, je crois que vous vous trompiez je crois que dans la situation actuelle, l'intérêt et l'honneur de la France ne lui commandent pas la guerre, que le traité du 15 juillet ne contient pas un cas de guerre. Voilà entre vous et nous la vraie question, la question honnête, celle que nous avons à discuter. Le 18 novembre 1840, une majorité considérable à la Chambre des Pairs approuva la politique du cabinet, et le 5 décembre, la Chambre des députés lui témoignait sa confiance par 247 boules blanches contre 161 noires. Il restait donc debout, bien établi et fortifié, après le vote solennel des deux adresses. Le Parlement avait préféré, lorsqu'il s'agissait d'honneur et de dignité nationale, croire le maréchal Soult, le meilleur lieutenant de Napoléon Iet, que des avocats ou d'anciens journalistes. La France, disait le paragraphe de l'adresse relatif aux affaires d'Orient, la France à l'état de paix armée, et pleine du sentiment de sa force, veillera au maintien de l'équilibre européen, et ne souffrira pas qu'il y soit porté atteinte elle le doit au rang qu'elle occupe parmi les nations, et le repos du monde n'y est pas moins intéressé que sa propre dignité. Si la défense de ses droits ou de son influence le demande, parlez, Sire, les Français se lèveront à votre voix le pays tout entier n'hésitera devant aucun sacrifice. Le concours national vous est acquis. Les événements qui s'accomplissaient en Syrie donnaient raison à la politique de la paix déjà Saïda, Tyr, Tripoli avaient capitulé sans coup férir, à l'apparition de l'escadre anglaise, tandis qu'Ibrahim-Pacha et ses troupes démoralisées se repliaient à l'intérieur, abandonnant tous les points offensifs qui menaçaient l'Asie Mineure et la Turquie. Le 3 novembre enfin, la clef de la Syrie, Saint-Jean d'Acre tombait au pouvoir des alliés après une attaque de quelques heures. La question se trouvait résolue en Orient sous le rapport militaire, et le prince de Metternich écrivait à M. de Neumann, chargé d'affaires d'Autriche à Londres : La Syrie est perdue, inévitablement perdue pour le pacha ; ne laissons aucune illusion à la France. C'est de l'Égypte et de l'Égypte seule qu'il s'agit aujourd'hui ; que Méhémet-Ali se soumette sans retard ou la question d'Égypte est soulevée. Les choses n'allèrent pas si loin, et le vice-roi lui-même épargna aux diplomates de pesants embarras. L'Angleterre avait le secret de sa faiblesse, elle n'ignorait pas quel mécontentement régnait parmi ses sujets, elle le menaçait ouvertement de fomenter contre lui une insurrection en Égypte. Là même son pouvoir tremblait sur sa base son vice-amiral, plusieurs de ses officiers étaient à bord de la flotte anglaise il devait vingt-quatre mois de solde à son armée, et, pendant la bataille même de Nézib, un régiment de dix-huit cents Syriens était passé à l'ennemi plus récemment, son fils n'avait cru pouvoir empêcher la désertion de ses troupes qu'en évitant les bataillons du sultan, auprès desquels se seraient réfugiés les soldats d'origine syrienne, arabe ou nubienne, dispersés, comprimés dans les rangs égyptiens. Les Orientaux ne connaissent guère le point d'honneur, le fatalisme rend la résignation facile. Éperdu, croyant lire l'arrêt du destin dans la reddition de Saint-Jean d'Acre, le vice-roi passa subitement d'un extrême à l'autre, et, le 14 décembre 1840, on apprit à Londres qu'une convention venait d'être brusquement conclue entre le commodore Napier et Boghar-Bey, principal conseiller de Méhémet. Aux termes de cet arrangement, ce dernier donnerait l'ordre d'évacuer la Syrie, et conserverait l'hérédité de l'Égypte les puissances feraient leurs efforts pour amener son suzerain à la lui concéder, et aussitôt qu'il en aurait reçu la notification officielle, il rendrait la flotte turque. A ces conditions, les hostilités seraient suspendues. Bien que le commodore Napier eût agi sans instructions, ni lord Palmerston, ni le czar n'osèrent désavouer expressément la convention, mais ils ne l'acceptèrent qu'avec une sourde humeur et firent secrètement leur possible pour en paralyser le bienfait. Soutenue par lord Ponsonby, la Porte refusa longtemps de la reconnaître. Je n'ai pas besoin, écrivait lord Ponsonby à Palmerston, d'ajouter qu'aucun gouvernement, dans la situation de la Porte Ottomane, ne pouvait tolérer un seul moment qu'un individu s'arrogeât le droit de traiter pour lui avec un pouvoir considéré en droit, en fait, comme un pouvoir rebelle. Le grand vizir Reschid-Pacha ne se montrait pas moins irrité que l'ambassadeur anglais, et n'admettait que deux solutions l'entière et absolue soumission de Méhémet-Ali, comme sujet, non comme vassal, ou sa destruction. Au contraire, les cours de Prusse et d'Autriche se montraient favorables au pacha l'isolement, les armements de la France leur pesaient lourdement ; il leur paraissait dur d'avoir à supporter, comme voisines continentales de notre pays, les frais d'un état de choses dont elles ne profitaient nullement, et elles avaient hâte de voir s'apaiser l'orage que leur malveillante imprudence avait laissé se former. Le prince de Metternich eut beaucoup de peine à triompher des rancunes de Palmerston, de la colère hautaine, de l'acharnement fantasque de lord Ponsonby il y parvint cependant, et d'après les conseils des signataires du traité de Londres, le sultan se résigna à signer définitivement le firman qui conférait à Méhémet et ses descendants l'hérédité de l'Egypte. Ce hatti-shériff portait d'un bout à l'autre le cachet de lord Ponsonby et de sa haine violente contre le vice-roi. Les conditions dont l'hérédité était entourée faisaient de celle-ci une véritable dérision le sultan choisirait lui-même, parmi les enfants de son vassal, celui qui lui succéderait, nommerait les officiers supérieurs de l'armée égyptienne, Bimbachis, Kaimakans, beys et pachas, prélèverait comme tribut le quart des revenus bruts de l'Égypte. Il y avait mauvaise foi évidente dans cette interprétation du principe de l'hérédité, et absurdité à imposer au pacha des conditions qui feraient naître entre son suzerain et lui des conflits perpétuels. Les objections de Méhémet-Ali, le changement de Reschid-Pacha, l'ascendant du prince de Metternich déterminèrent le Divan à se montrer plus sensé et plus loyal. Les nouvelles concessions de la Porte furent consignées le 19 avril dans un mémorandum remis aux ambassadeurs des grandes puissances à Constantinople. Méhémet obtenait l'hérédité réelle, la nomination des officiers supérieurs, la substitution d'un tribut fixe au tribut proportionnel. Le 10 juin 1841, il accepta le nouveau firman des salves de toutes les batteries des forts d'Alexandrie et de l'escadre égyptienne, un pavoisement général et des fêtes publiques signalèrent la promulgation solennelle du décret impérial. Le cabinet du 29 octobre s'était montré résolu à ne pas se mêler de la négociation égyptienne, à ne point sortir de son isolement tant que le traité de Londres vivrait, à ne rentrer dans les conseils de l'Europe que lorsque celle-ci viendrait le lui demander. Le gouvernement du roi, écrivait M. Guizot, n'approuve ni avant ni après l'événement le mode employé par le traité du 15 juillet, ni le but que ce traité atteint. Il ne s'y est point opposé par la force, mais il ne saurait entrer en part dans aucune de ses conséquences. Toute la question pendante entre lui et le pacha lui est et lui doit être étrangère. Il ne peut donc rentrer dans les conseils de l'Europe tant que cette question dure encore il n'aurait à y prendre part qu'autant que les intentions du sultan à l'égard du pacha blesseraient les droits que la France a garantis, et que personne ne paraît plus supposer. Cependant la question d'Égypte devait traîner de longs mois encore, grâce aux tergiversations de Palmerston, à la mauvaise humeur du czar qui n'avait pas fait tant de concessions à l'Angleterre pour que celle-ci s'arrangeât avec la France. A travers toutes ces fluctuations, ces mauvais vouloirs du ministre anglais, M. Guizot marquait sa ligne de conduite avec calme et dignité il ne faisait pas de l'isolement une base permanente de sa politique, il n'était pas pressé de conclure et mettait son concours à haut prix. Il ne voulait pas non plus décourager les cours de Vienne et de Berlin qui le pressaient d'adhérer et avaient hâte d'effacer les dernières traces du traité ; si la conclusion venait à lui, il pensait sagement qu'il serait puéril et qu'il pourrait être périlleux de la faire attendre. Du moment, écrivait-il, que nous n'avons pas fait les premières ouvertures, qu'on ne nous demande pas de sanctionner le traité du 15 juillet, et qu'on ne nous parle plus de désarmement, l'honneur est parfaitement sauf. Rompre toute coalition apparente ou réelle en dehors de nous, prévenir entre la Russie et l'Angleterre des habitudes d'intimité un peu prolongée, rendre toutes les puissances à leur situation indépendante et à leurs intérêts naturels, sortir nous-mêmes de la position d'isolement pour prendre la position d'indépendance, en bonne intelligence avec tous et sans lien étroit avec personne, ce sont là des résultats assez considérables pour être achetés au prix de quelque ennui de discussion. Afin de donner à ces transactions confidentielles une forme régulière et officielle, M. Guizot exigeait deux choses un protocole déclarant que la question secondaire, la querelle turco-égyptienne demeurait définitivement close et vidée une convention qui résoudrait la question générale, celle des rapports de la Porte avec les puissances. Pour rétablir le concert européen, il était désirable que l'acte eût le plus de consistance possible, et, dans sa dépêche du 13 janvier 1841, le ministre français indiquait les divers points qu'il lui paraissait utile de régler en commun : 1° la clôture des détroits 2° la reconnaissance du statu quo de l'empire ottoman dans son indépendance et son intégrité 3° et 4° des garanties à obtenir en faveur des populations chrétiennes de la Syrie, de Jérusalem par là, l'Europe et la politique de l'Europe reprendraient une figure chrétienne 5° des stipulations de liberté générale et de neutralité positive quand aux routes commerciales des Indes. Mais les dispositions spéciales, les passions, les intérêts de Palmerston et du Czar ne permettaient pas d'espérer un grand acte de politique européenne ; les cours de Vienne et de Berlin, inquiètes pour la paix continentale, se préoccupaient surtout de clore tant bien que mal le conflit égyptien, de se délivrer des récents embarras sans se lancer dans aucun nouveau dessein. Lord Palmerston désirait seulement assurer la clôture des détroits, l'abolition du traité d'Unkiar-Skelessi. Comme on faisait à la France les premières ouvertures, comme on ne lui parlait en aucune façon de désarmement, et comme on ne lui demandait rien qui impliquât aucune sanction, aucun concours au traité de Londres, M. Guizot estima qu'il ne pouvait se montrer plus exigeant. Le protocole et la convention furent paraphés le 15 mars 1841 ; toutefois, les signatures qui rendaient ces arrangements définitifs et réguliers ne furent échangées que quatre mois après. Ce nouveau retard venait de lord Palmerston, de lord Ponsonby et du baron de Brunow, qui, on l'a vu plus haut, tentaient des efforts opiniâtres pour entraver la négociation égyptienne. D'autre part le ministre français ne voulait pas plus céder sur les questions de rédaction que sur le fond des choses, et se montrait inébranlablement résolu à ne rien conclure avant la complète liquidation du passé. Palmerston trouvait sans cesse le moyen de déjouer les projets pacifiques des ambassadeurs de Prusse et d'Autriche tantôt il essayait de réchauffer leur zèle contre Méhémet-Ali, tantôt, afin de décourager notre chargé d'affaires, le baron de Bourqueney, il entrait dans de subtiles distinctions entre son opinion et celle de la conférence, entre les vraisemblances et les possibilités de l'avenir. Les plénipotentiaires allemands se plaignaient vivement de son esprit tracassier, de sa manie de polémique et de ses boutades diplomatiques, mais il exerçait sur eux un tel ascendant qu'ils n'osaient secouer le joug et passer outre. Les Allemands parlent bien, mais agissent peu, écrivait le baron de Bourqueney. Cependant on approchait de la fin le 26 juin, le prince de Metternich disait au marquis de Saint-Aulaire : Ne nous cassons pas inutilement la tête, ni vous ni moi avant peu de jours, nous recevrons la réponse d'Alexandrie, et cette réponse nous apprendra la fin finale de l'affaire d'Orient. Le chancelier autrichien avait deviné juste deux jours après il connut l'acceptation du firman par Méhémet-Ali. Tout était terminé, et le 13 juillet 1841 les plénipotentiaires des cours d'Autriche, de France, de Grande-Bretagne, de Prusse, de Russie et de la Porte Ottomane signaient la convention générale dite des Détroits. Lord Palmerston triomphait la Turquie était replacée sous le protectorat général de l'Europe et retirée de la position humiliante à laquelle la réduisait le traité d'Unkiar-Skelessi. Par une bizarre coïncidence, le cabinet whig, qui s'était formé en 1830 et avait pris pour programme l'alliance française, tombait peu après s'être séparé de nous, au mépris de toutes les traditions de parti, de tous les précédents. Le 5 juin, sur une motion de sir Robert Peel, et au sujet d'une question commerciale, la Chambre des Communes déclara qu'il n'avait plus sa confiance de nouvelles élections donnèrent une forte majorité aux torys qui rentrèrent aux affaires le 5 septembre 1841. Depuis le 29 octobre, la conduite du gouvernement français avait été sage et convenable M. Guizot, ministre des affaires étrangères avait, dans la mesure du possible, racheté les erreurs de M. Guizot membre de la coalition et ambassadeur à Londres. Lui qu'on représentait comme désireux de rentrer en grâce auprès de l'Europe, il avait montré quel prix il entendait mettre au concours de la France, quelle place celle-ci occupait dans le monde, quel vide y laisse son abstention prolongée. Dans un discours à la Chambre des Communes, Sir Robert Peel, après un pompeux éloge de Louis-Philippe et de M. Guizot, promettait la paix au monde aussi longtemps que ces deux hommes éminents conduiraient les affaires de leur pays. Notre influence était amoindrie en Orient, mais l'exécution du traité de Londres n'attaquait ni l'indépendance de la France, ni l'honneur de son gouvernement, ni ses institutions, ni sa libre activité, ni sa richesse. Des résultats sérieux restaient acquis les armements de précaution maintenus, les fortifications de Paris votées par le Parlement, la Porte soustraite au protectorat exclusif de la Russie, l'hérédité de l'Égypte assurée au Pacha. Et cependant, si nous résumons notre impression générale sur cet épisode de la question d'Orient, nous ne pouvons nous empêcher d'éprouver un sentiment de tristesse, de déplorer amèrement cette longue histoire de nos déceptions diplomatiques. Les causes de nos erreurs étaient nombreuses les perpétuels changements de ministère, les souvenirs de la coalition, l'abus de la prérogative parlementaire, la Chambre se mettant au lieu et place du gouvernement, voulant un concert impossible entre les puissances, lorsqu'il fallait un prompt arrangement entre le vassal et son suzerain, la dictature ministérielle de M. Thiers, l'insuffisance de notre diplomatie, l'imprévoyance nationale, une confiance immodérée dans les forces du pacha, dans l'alliance anglaise. Nous nous étions enivrés de nos désirs comme s'ils eussent été notre droit et notre pouvoir. De là cette discussion au sujet du crédit des dix millions, de là la note du 27 juillet, puis la politique temporisatrice de M. Thiers voulant annuler la conférence' croyant que la question dormait parce qu'il n'entendait plus parler de rien. Les deux ministères du 12 mai et du 1er mars, ce dernier surtout, avaient marché de faute en faute, d'imprudence en imprudence, de mécompte en mécompte ils avaient montré de l'entêtement sans décision, lassé par leurs délais sans inquiéter par leurs préparatifs. M. Thiers qui s'était flatté de conclure un arrangement direct entre le sultan et Méhémet-Ali, méconnaissait cette vérité élémentaire que les puissances tenaient la Porte en tutelle elles flattaient, caressaient ses intérêts, ses rancunes, sa vanité que la France contrariait en tous points. Nous désirions des alliés, mais nous voulions en même temps les atteindre dans leurs intérêts les plus essentiels comme si les alliances étaient autre chose qu'un échange d'avantages réciproques en nous posant à la fois contre l'intérêt russe à Constantinople et contre l'intérêt anglais sur le Nil, nous ne devions guère nous étonner de n'avoir d'alliés ni à Londres ni à Saint-Pétersbourg. Le traité du 15 juillet 1840 avait éclaté et révélé notre
isolement au sein des gouvernements et des peuples. Un diplomate d'une
puissance secondaire appréciait de la sorte les motifs de l'événement : Quand nous recherchons entre nous les causes de ce mauvais
imbroglio, nous trouvons d'abord une disposition hargneuse à Londres, ensuite
des illusions à Londres et à Paris. A Londres, ignorance volontaire ou réelle
des dispositions de la France ; à Paris incrédulité sur le vouloir ou le
pouvoir de lord Palmerston. Après cela, on dit aussi que la France a voulu
jouer au plus fin, qu'elle voulait et croyait escamoter l'arrangement en le
faisant conclure d'une manière cachée et abrupte entre les deux parties. M. Thiers s'était imaginé qu'on n'oserait jamais signer un traité à notre insu, puis que ce traité resterait à l'état de lettre morte ensuite il avait compté sur le soulèvement de l'opinion publique anglaise contre Palmerston, enfin il s'était flatté que le pacha lutterait jusqu'au printemps contre toutes les forces des alliés. Le traité avait été conclu et exécuté ; lord Palmerston avait affirmé que la puissance du vice-roi, surtout en Syrie était une puissance précaire, et qu'en soufflant dessus il là ferait tomber comme un château de cartes. Cet empire gonflé avait crevé sous la première piqûre, et chacun applaudit celui qui avait si bien prophétisé. Destitué, excommunié, battu presque honteusement, Méhémet-Ali avait accepté les offres qu'on lui notifiait Pourquoi nous serions-nous montrés plus difficiles que lui ? Pourquoi entamer une lutte de vengeance et de désespoir contre toute l'Europe ? Dans la discussion de l'adresse, M. Thiers avait prononcé ces paroles bien graves : je ne puis songer à ces jours terribles, sans en être profondément ému. Je savais bien que j'allais peut-être faire couler le sang de dix générations... Il vaut mieux reconnaître à temps ses erreurs, que de s'asservir aux fantaisies, aux caprices du jour, et se lancer dans de nouvelles imprudences en 1840, il valait mieux maintenir la politique de la paix que d'attirer peut-être sur la France une révolution sanglante avec les calamités de l'invasion. On l'a dit très-justement, au roi Louis-Philippe revint le mérite d'avoir fait preuve d'autant de courage pour la conservation de la paix que Napoléon en a déployé dans la guerre. Le mérite des gouvernements absolus ou aristocratiques, c'est la persévérance et la prévoyance en France le gouvernement représentatif, ce nouveau minotaure, avait depuis dix ans dévoré cinq parlements, dix ministères et quarante-cinq ministres. Avec nos institutions si précaires, quelle puissance pouvions-nous conserver au dehors, quelles alliances durables pouvions-nous contracter ? Il n'y a chez nous, disait tristement M. Jouffroy, de lendemain parfaitement déterminé pour personne ; le présent y chancelle toujours et l'avenir reste une éternelle énigme. Depuis un siècle, tous les autres grands États, Angleterre, Autriche, Prusse, Russie, s'étaient démesurément agrandis par la conquête ou la spoliation, et la Révolution avait si bien affaibli et désossé la France que celle-ci ne possédait plus ses frontières de Louis XIV. Le gouvernement de Juillet avait fait de l'alliance anglaise la base de sa politique étrangère elle assurait la paix européenne, mais elle lui ôtait toute chance de légitime redressement et d'extension territoriale. Et voici que l'Angleterre, de sa propre main venait de déchirer le gage de notre union : cette conduite montrait quel cas on doit faire des alliances de principes et de sentiments, comment il faut savoir leur substituer des alliances d'intérêts ; par là nous. pouvions comprendre toute la profondeur de ce mot de lord Palmerston : les peuples n'ont pas de cousins. |
[1] Lord Palmerston demeure convaincu que les Français resteront tranquilles. Malgré toute la légèreté de la nation française, les intérêts du pays qui s'accroissent de jour en jour, la feront hésiter avant d'entreprendre une guerre agressive et sans provocation contre les quatre puissances. Tôt ou tard, Thiers donnera l'ordre de cesser le feu ; la fumée qui maintenant empêche les Français de distinguer les objets se dissipera ; ils apprécieront plus nettement les causes de leur fausse alarme, et Thiers et Louis-Philippe se garderont d'entrer dans une querelle où personne n'a l'intention de les engager... La France aujourd'hui n'est plus la France de l'Empire... Un quart de siècle ne passe pas en vain sur une nation... Mais Thiers a la réputation d'être un vrai boutefeu, capable de tout, et comme tel fort dangereux, par conséquent l'homme devant lequel on devrait plier. Moi je maintiens précisément l'opinion contraire. Je ne crains pas un matador de ce genre... Bulwer donne connaissance au ministre anglais d'un entretien avec M. Thiers, qui manifestait les intentions les plus belliqueuses Palmerston répond aussitôt : les fanfarons exécutent rarement les menaces dont ils sont prodigues... si Thiers vous tenait encore un langage menaçant, répliquez-lui sur le même ton, et faites-lui comprendre que si la France jette le gant, nous ne refuserons pas de le ramasser, et que si elle commence la guerre, elle perdra infailliblement ses vaisseaux, ses colonies et son commerce, avant d'en voir la fin... ce serait la fin de tout si les puissances de l'Europe devaient faire le sacrifice de leurs intérêts les plus essentiels pour apaiser les organisateurs d'émeutes de Paris ou faire taire les feuilles républicaines.
[2] Le projet de fortifier Paris rencontrait beaucoup d'adversaires, non seulement parmi les hommes politiques, mais encore parmi les penseurs et les écrivains MM. de Chateaubriand, Hugo, Lamartine, Berryer, Balzac, A. Karr, bien d'autres s'y montraient opposés, et l'auteur des Lettres parisiennes l'attaquait dans une série de paradoxes pleins de verve et d'esprit : Pour nous, disait-il, cette question n'est pas seulement une question politique, une question de nationalité, c'est une question de spiritualité, et nous voyons avec terreur un projet qui tend à étouffer dans Paris le règne naissant de l'intelligence. Selon nous, qu'on nous permette cette expression, Paris fortifié, c'est Paris bêtifié. Ce projet est un coup d'État contre l'esprit car il fait naturellement frémir tous ceux qui ont quelque chose à perdre. C'est aussi un coup d'État contre la liberté, car il a le don de séduire ensemble tous les vieux et les jeunes rabâcheurs le parti des propriétaires égoïstes, le parti des prolétaires envieux. L'un a pour représentant le Journal des Débats, l'autre a pour précurseur le National le premier hait l'avenir et ses promesses, le second hait le passé et ses souvenirs celui-ci veut étouffer ce qui doit naître ; celui-là veut anéantir ce qui est créé... Ce n'est pas tout, ce projet baroque non seulement nous parait être un crime de lèse-humanité, de lèse-liberté, de lèse-nationalité, mais il nous paraît être aussi un crime de lèse-constitutionnalité. — Pensez-vous donc qu'un roi soit constitutionnel pour son plaisir, et croyez-vous bénévolement qu'un roi puisse rester constitutionnel dans une capitale fortifiée ?... En fait de volonté, la possibilité est une tentation à laquelle un ange, un saint, un philanthrope couronné n'échapperait point. Les effets de la toute-puissance sont incalculables. On résiste au pouvoir d'un autre, mais on cède au pouvoir qu'on a... Un roi qui peut raisonnablement se permettre des rêveries d'obéissance n'est déjà plus libre de ne pas commander, et, malgré lui, le roi le plus constitutionnel se déconstitutionnaliserait insensiblement, involontairement, dans cette atmosphère de salpêtre dont vous l'auriez enivré, devant cet appareil de tyrannie qui lui parlerait sans cesse de vengeance et d'impunité. Et nous le disons naïvement, nous ne croyons pas que jamais un roi puisse être sincèrement constitutionnel. Le roi Louis-Philippe met tout son esprit à l'être, à le paraître Charles X n'a jamais pu y parvenir et il y a noblement renoncé. Louis XVIII est celui de tous qui a joué ce rôle avec le plus de résignation, et cela s'explique, il était infirme. Quand on ne peut marcher qu'avec une brouette, on est préparé d'avance à ne gouverner qu'avec une charte.
Mais vous ne savez donc pas ce que c'est que d'être roi constitutionnel, vous ne sentez donc pas ce qu'il faut de patience, de courage, d'abnégation, de patriotisme pour se résigner à un pareil métier ? Pour un grand prince, dans le gouvernement parlementaire, tout est supplice, effort, ennui ; toujours feindre, toujours craindre, toujours spéculer, tout calculer, voilà sa vie ! C'est l'hypocrisie organisée par la légalité. Un ministre absolu a pour lui du moins la franchise, il veut et il ose dire je veux ! Mais dans le gouvernement parlementaire, ce ne sont que ruses, détours, mensonges ; on veut et l'on ne dit pas je veux ; on dit : je propose... et l'on emploie toute l'énergie de son caractère à faire vouloir à d'autres sa volonté. Et ce n'est qu'à force d'humiliations dévorées, de complaisances avilissantes, de compromis honteux, de considérations indignes, que rois ou ministres parviennent à conserver ce lambeau de pourpre déchiré, reprisé, rapiécé, piqué par l'humidité, passé au soleil, mangé aux rats, sans couleur et, sans valeur, que l'on appelle encore le pouvoir !... Quant à nous, nous comprenons que l'on se résigne aux plus arides travaux... mais nous ne concevons pas qu'on lutte sans dégoût avec toutes les passions mauvaises, avec toutes les médiocrités jalouses, que l'on fasse dépendre la gloire de son nom et l'œuvre de son règne de l'intempérie des consciences et de la fureur des sots. — Tout homme qui a du sang dans les veines est absolu ; tout homme qui a de la dignité est absolu tout homme qui a de l'esprit est absolu ; l'état normal pour un roi quelconque, c'est l'absolutisme. La constitutionnalité est une invention admirable, une invention protectrice, pleine de prévoyance et de garantie, mais c'est une invention contre nature, une combinaison superbe qu'il faut maintenir, perfectionner, consacrer, mais qu'il faut surveiller aussi parce qu'elle est factice... Aujourd'hui, c'est la royauté qui est embastillée ; demain, si votre projet réussit, ce sera la liberté.
[3] Quiconque en France possède et comprend le sentiment national, exerce un charme irrésistible sur les masses et peut les conduire et les pousser à son gré, leur soutirer leur dernier sou ou leur dernière goutte de sang. C'était là le secret de Napoléon et son historien Thiers l'a appris de lui, appris avec le cœur, non avec la simple raison, car le sentiment seul comprend le sentiment... M. Thiers est véritablement pénétré du sentiment national français, et, quand on sait cela, on comprend toute sa force et son impuissance, ses erreurs et ses avantages, sa grandeur et sa petitesse... Ce sentiment explique tous les actes de son ministère là nous rencontrons la translation des cendres impériales... là, l'étourderie des cris de colère et d'alarme poussés au moment que le traité de Londres fut divulgué et puis l'activité réfléchie de l'armement général, et cette résolution colossale de la fortification de Paris (Heine, Lutèce).
[4] Dans une note du 2 novembre, il revenait même sur sa déclaration et ne reconnaissait plus à la France le droit de réserver l'Égypte d'après lui, le sultan, le souverain de l'empire turc, avait seul le droit de décider auquel de ses sujets il confierait le gouvernement de telle ou telle partie de ses États les puissances ne pouvaient émettre à ce sujet que des avis. Ainsi le ministre anglais provoquait le sultan à maintenir la déchéance absolue, que quinze jours auparavant, il l'engageait à rétracter. Le 26 novembre, il annonçait à lord Granville qu'on n'avait jamais dit à la France qu'on laisserait en tout cas Méhémet-Ali en Égypte.
Si les quatre puissances cédaient aux menaces de la France, elles seraient bientôt forcées de lui faire la guerre pour résister à ses empiétements ultérieurs, ou de se résigner patiemment à subir une série d'agressions et d'insultes. En ce qui nous concerne, comme gouvernement, nous serions déshonorés et le pays le serait avec nous. Les intrigues et les cabales que Thiers et ses auxiliaires anglais et étrangers ont montées contre moi dans toutes les directions dépassent toute croyance. (Lettres de Palmerston à Bulwer et à lord Granville).
[5] Le 1er octobre, l'abbé de Lamennais publiait une brochure populaire intitulée : Le Gouvernement et le Pays. La France, y lisait-on, moissonne ce qu'a semé un pouvoir qui semble n'avoir eu dès son origine que deux pensées la trahir au dedans, l'asservir au dehors ; fonder sur les ruines de la Révolution, qui la fit si grande, un abject despotisme, vassal des trônes, qu'ébranla tant de fois sa glorieuse épée. Dans son numéro du 5 octobre, la Reçue démocratique allait plus loin : En 1830, comme en 89, la bourgeoisie fut sans entrailles, sans cœur, sans âme. En 1830 comme en 89, elle escompta misérablement, en marchande qu'elle est, le sang du prolétaire. La véritable question est celle-ci : Trente-deux millions de Français sont tenus en tutelle par une poignée de factieux qui ne peuvent d'aucune manière légitimer leur incroyable usurpation. L'or est leur mobile. L'or leur tient lieu de talent, de vertu, de conscience. Puis, rappelant que jadis, le peuple avait bien su trouver le défaut de la cuirasse du noble avec la lame de ton couteau plébéien, l'écrivain menaçait la bourgeoisie du même sort : Prenez garde qu'il ne trouve, comme vos ancêtres le défaut de votre cuirasse, qu'il ne se compte et qu'il ne vous compte ; prenez garde qu'il ne surgisse un autre Toussaint Louverture pour exhumer et reproduire aux yeux de vos nègres blancs l'ingénieuse comparaison des graines noires et blanches ; car, esclaves là-bas, ouvriers ici, la différence n'existe que dans les mots.
[6] Au sujet de ce plan belliqueux, des plaisants disaient que le coq gaulois voulait enfin relever la crête.
[7] Pendant son ministère, M. Thiers avait réussi à accaparer une grande partie de la presse parisienne, et ses adversaires prétendaient, non sans quelque raison, que le gouvernement était à la remorque des journalistes. Plus tard M. Jouffroy, faisant allusion à cette invasion de la presse dans le pouvoir, disait dans son rapport de 1841 sur la loi des fonds secrets un gouvernement qui se fait journaliste oublie son rôle dans l'État ; un gouvernement qui compte avec les journaux oublie sa dignité. Les ambassadeurs étrangers, les députés conservateurs qui connaissaient cette situation, devaient être singulièrement choqués de voir les confidents et intimes du président du conseil, vociférer des cris de guerre et de propagande, écrire ces phrases pleines d'insinuations perfides à l'égard de Louis-Philippe. Le ministère veut soutenir l'honneur de la France, mais il ne le peut pas. — On prépare quelque grande honte pour la France. Il semble qu'un mauvais génie s'étudie à ne permettre que des enfantements qui sont des avortements. — Le système de la paix à tout prix n'a pas encore trouvé d'endosseurs. — Extraits du Courrier français pendant le mois d'octobre.
Tous les écrivains ne se montraient cependant pas aussi disposés à transformer une question d'habileté ministérielle en une question d'insulte nationale quelques-uns, et des meilleurs, gardaient leur indépendance et leur franc-parler. Et pourquoi, s'il vous plaît, la guerre ? écrivait le vicomte de Launay. Parce que M. Thiers est un aimable étourdi : il sait bien faire les coalitions, mais il ne sait pas les prévoir. La justice politique n'est donc pas un vain nom qui règne par le fer périra par le fer qui triomphe par une coalition périra par une coalition. Jadis toutes les puissances de l'Europe se coalisèrent pour se venger de Napoléon aujourd'hui les mêmes puissances se coalisent pour se moquer de M. Thiers... Voilà toutes nos relations de commerce menacées, voilà toutes nos industries étranglées, toutes nos manufactures paralysées, tous nos intérêts compromis... Voilà toutes les factions réveillées, tous les droits remis en question voilà l'Europe en feu. Pourquoi ? En vérité, nous ne pouvons trouver à tous ces événements une autre cause tout cela parce que M. Thiers a voulu être ministre à tout prix. Pour nous, qui n'étudions que la philosophie de la politique, nous pensons que c'est un bien terrible effet pour une aussi petite cause.
La France, disait Alphonse Karr, la France n'a d'autre ennemi que M. Thiers, elle n'est menacée dans sa fortune que par M. Thiers, qui, pour cacher son outrecuidance, dépense des millions, va dépenser des hommes et nous jette dans une guerre inutile et dangereuse. La France n'est insultée que par M. Thiers, qui l'a audacieusement mystifiée. M. Thiers, entré aux affaires par le trouble, n'a donné lui-même pour raison de son élévation que l'alliance anglaise et le besoin d'un ministère plus parlementaire et voici qu'il nous met en guerre avec l'Angleterre, et, se déclarant dictateur, se demande à lui-même et se vote avec empressement des sommes énormes, refusant d'assembler les Chambres et de leur soumettre aucune des questions dont dépend en ce moment peut-être le sort de la France.
[8] Comme on l'a fort bien dit, il n'y avait pas, entre les gouvernements de Constantinople et d'Alexandrie, de sensible différence ; il ne s'agissait au fond que de savoir si les Syriens seraient bâtonnés par les Egyptiens ou par les Turcs.
[9] Bulwer rapporte que le roi lui répondait : Il n'y a pas de doute que le pacha ne doive être mis à la raison ; mais c'est un second Alexandre. Je n'ai pas d'armée capable de lutter contre celle qu'il pourrait m'opposer sur le champ de bataille. Dans la moitié des cercles anglais on riait de l'absurdité de l'idée qu'avait lord Palmerston de vouloir tenter de soumettre un potentat aussi puissant que Méhémet-Ali.
[10] Un des collègues de M. Thiers ne cessait depuis quelque temps, de signaler au roi cette situation fausse : Renvoyez-nous, Sire, disait-il, nous ne pouvons plus rien et nous empêchons tout.
[11] Les forces d'Ibrahim, placées en face d'un petit nombre d'Européens soutenus par une population amie, se comportèrent juste comme le troupeau de moutons que Don Quichotte avait pris pour une armée. Avec le prestige de Méhémet-Ali s'écroule celui de M. Thiers. Lorsque ce ministre se retira, Louis-Philippe me dit : M. Thiers est furieux contre moi parce que je n'ai pas voulu faire la guerre, il me reproche d'avoir cependant parlé de la faire mais parler de faire la guerre et la faire, monsieur Bulwer, sont deux choses bien différentes. Lorsque Sa Majesté me disait ces paroles, je pensais à ce mot que m'avait dit M. Thiers : Le roi est bien plus belliqueux que moi. En diplomatie, on n'est pas obligé de prendre une menace de guerre pour la guerre elle même. Faire la guerre pour soutenir les prétentions de Méhémet-Ali, prétentions qui n'étaient fondées que sur sa force supposée, après que sa faiblesse avait été prouvée, eût été une inconséquence en logique et une maladresse en politique. Je crois que Guizot est, de toute la clique ministérielle, le meilleur ministre qu'il il y ait en France. Bulwer et lord Palmerston sont persuadés que M. Guizot a continuellement averti M. Thiers de ne pas se faire illusion sur la conduite du gouvernement anglais et qu'aucune intrigue n'était nécessaire pour faire de celui-là le successeur de celui-ci.
[12] Le discours de M. Berryer était un véritable plaidoyer contre le gouvernement de Juillet qui, d'après lui, n'avait enfanté qu'humiliations et désastres. En voyant toute la gauche J'acclamer avec transport, un député du centre, le comte d'Angeville, ne put retenir son indignation et s'écria : quelle peste que l'éloquence !