Joie causée par l'avènement de Louis XVI. — Il songe à rappeler Machault — Intrigues par lesquelles ou le décide à nommer Maurepas. Frivolité, adresse, égoïsme de ce ministre. — Première ordonnance de Louis XVI. — Deux grandes questions occupent le public : Les ministres de Louis XV seront-ils renvoyés ? — Les parlements seront-ils rappelés ? — Maurepas temporise, afin de se décider en Faveur du parti qui lui paraîtra le plus fort. — Il fait renvoyer le duc d'Aiguillon pour une cause étrangère à la révolution de Maupeou. — D'Aiguillon est remplacé au ministère de la guerre par le maréchal du Muy, et au ministère des affaires étrangères par le comte de Vergennes. — Turgot est nominé ministre de la marine ; causes de son élévation. — Louis XVI et la reine se montrent à la capitale et sont reçus froidement. — Maurepas se décide à renvoyer Maupeou ; fermeté de celui-ci dans la disgrâce. — Renvoi de Terray. — Scènes tumultueuses dans Paris. — Miroménil est nommé garde des sceaux ; Turgot passe au contrôle général. — Il expose ses principes ii Louis XVI, qui en est touché, et qui l'assure d'une protection constante. — Opposition an rappel du parlement ; projets de Turgot, — Diverses opinions sur l'ancienne magistrature. — Maurepas la fait rappeler par un édit qu'il croit propre à la rendre docile. — Premières séances du parlement après sa réinstallation. —Travaux financiers et politiques de Turgot. — Ses ennemis deviennent nombreux. — Émeutes pour les grains. — Frais relatifs au sacre de Louis XVI. — Maurepas et Miroménil rendent inutile un travail présenté au roi par la Cour des aides, sur les vices du régime fiscal. — Malesherbes quitte la présidence de la Cour des aides, pour vivre dans la retraite. — Renvoi de la Vrillière. — Turgot propose de le remplacer par Malesherbes ; Maurepas adopte ce choix, craignant qu'une nomination ne soit faite par la société de la reine. — Refus réitérés de Malesherbes ; il se décide à accepter pour peu de temps. — Contraste entre l'ancien et le nouveau ministère. — Abus que cherche à réformer Malesherbes. — Il conseille des économies, et répugne à les effectuer. — Première assemblée du clergé sous Louis XVI. — Mort du ministre de la guerre ; le comte de Saint-Germain le remplace ; détails sur ce général. — Ses réformes ; causes qui font échouer son plan. — Etat du ministère. — Améliorations opérées par Turgot. — Maurepas, inquiet du crédit qu'il le voit prendre sur Louis XVI, s'occupe de le renverser. — Turgot fait envoyer au parlement deux édits, dont l'un remplace la corvée par un impôt, et l'autre supprime les maitrises et les corporations. — Résistance du parlement ; les deux édits sont enregistrés en lit de justice. — Tous les ennemis de Turgot s'unissent au parlement. — Perplexité de Louis XVI. — Turgot continue ses travaux. — Découragement de Malesherbes. — Il donne sa démission ; mot touchant de Louis XVI. — Turgot est renvoyé ; fragment de sa lettre au roi. — Joie à la roui. et dans de nombreuses sociétés ; alarmes des hommes éclairés.Les Français voyaient avec joie monter an trône Louis XVI et sa jeune compagne. On aimait d'autant plus à célébrer le nouveau règne, qu'on se vengeait ainsi du règne passé ; et l'on disait dans Paris qu'il fallait donner au successeur de Louis XV le nom de Louis le désiré. Le roi n'avait pas vingt ans ; étonné, affligé même de sentir le poids d'un sceptre dans sa main ; désirant le bien public, craignant son inexpérience, il cherchait avec candeur qui pourrait l'éclairer. Sa pensée se dirigea vers Machault qu'on avait vu, sous son aïeul, dans trois ministères, donner tant de preuves d'intégrité et de lumières. Quelle heureuse influence eût exercée le retour de Machault ! Ce ministre eût repris ses sages projets et n'aurait plus rencontré l'opposition des parlements. Mentor du jeune roi, il aurait mis ses soins à l'instruire, à lui inspirer de la fermeté dans le gouvernement et dans sa famille. Parmi les hommes dont les noms avaient frappé l'oreille du dauphin, aucun n'offrait plus de garanties à l'État. Louis XVI pensait à l'intérêt public ; toutes les personnes qui l'environnaient songèrent à des intérêts particuliers. La reine souhaitait que le duc de Choiseul fût rappelé : elle pouvait compter sur lui, leurs ennemis étaient les mêmes, et son désir était conforme aux instructions de sa mère. La prodigalité, les dettes de Choiseul, son penchant réel ou supposé pour la guerre, repoussaient la confiance de Louis XVI ; un autre obstacle encore, un obstacle invincible, s'opposait à ce que le vœu de Marie Antoinette fêt jamais réalisé. Le roi savait que, lors des poursuites du parlement contre les jésuites, le Dauphin, sou père, avait en une vive altercation avec Choiseul ; et le ressentiment filial qu'il en conservait était d'autant plus profond, que sou gouverneur n'avait rien négligé pour perdre ce ministre dans sou esprit. Une tante de Louis XVI, madame Adélaïde, aspirait à guider sa jeunesse, elle eût aimé à gouverner ; elle devint l'espoir des courtisans qui redoutaient l'économie et la fermeté de Machault. L'abbé de Radouvilliers[1] l'entretint des alarmes du clergé. Deus ministres en place, qui craignaient de ne plus y être bientôt, le duc d'Aiguillon et le duc de la Vrillière, lui vantèrent le mérite du comte de Maurepas, qui, depuis vingt-cinq ans, était exilé pour une épigramme contre madame de Pompadour. Nommé à quatorze ans secrétaire d'État, il en avait exercé les fonctions à vingt-quatre ; et plusieurs embellissements de Paris, quelques encouragements donnés aux sciences et à la marine, lui avaient mérité des éloges. Il passait pont' un homme frivole ; mais les deux ministres disaient que son âge de soixante-treize ans et sa longue retraite avaient mûri son caractère, sans le rendre moins aimable. Sa cause fut d'autant mieux plaidée, qu'il était l'oncle de d'Aiguillon et le beau-frère de la Vrillière. Madame Adélaïde fut convaincue de l'excellence d'un pareil choix : Louis XVI écoula sa tante, oublia Machault[2], et fit appeler Maurepas. Ainsi le premier moment de son règne fit voir sou désir du bien et sa faiblesse. Le vieux Maurepas sortit d'exil avec la même légèreté d'esprit qu'il y avait portée, et sou égoïsme avait fait des progrès. Enchanté de revoir la cour, d'y retrouver du crédit, de gouverner un jeune roi, il employa toute l'adresse dont il était doué pour s'assurer les moyens de passer, jusqu'à sa dernière heure, dans une position si douce. Il fit perdre à madame Adélaïde le désir, ou du moins l'espérance de s'ingérer dans le gouvernement ; il en éloigna la reine aussi longtemps qu'il lui fut possible ; et, sous ce double rapport, on doit l'approuver. Mais, en un point, trop fidèle imitateur du cardinal de Fleury, dont il avait les goûts pacifiques, il détourna son royal élève de l'application aux affaires, Son plan de domination était simple : il dit au jeune roi qu'un administrateur ne peut bien exécuter que ses propres idées ; qu'il faut, par conséquent, les adopter ou le renvoyer ; en même temps il invita chaque ministre à ne l'aire aucune proposition importante, sans eu avoir conféré avec lui. Ainsi un ministre devait ne proposer que ce qui convenait à Maurepas, et le roi devait approuver tout ce que proposait un ministre. Le mentor était présent lorsqu'ou soumettait au roi un travail ; et, s'il était mécontent, il pouvait user de son privilège d'entretenir Louis XVI à toute heure, pour lui démontrer que le moment était venu de ne pas suivre les idées de l'administrateur et de le renvoyer. Épris des charmes du pouvoir, il en écartait les ennuis. Pourquoi se fût-il inquiété de la situation du royaume ? il était persuadé que les abus sont inévitables, utiles même à bien des égards, et que la monarchie française est un corps vigoureux qui se soutient par ses propres forces. On doit supposer qu'il était inutile de parler du bien public à cet homme si profondément personnel ; mais il aimait, il recherchait les louanges ; et, pour en obtenir, il était très-capable d'adopter des vues d'intérêt général, auxquelles il n'eût jamais songé de lui-même. Souvent il répétait qu'il faut écouter l'opinion publique et la suivre, espérant, avec ce principe, se dispenser de réfléchir et s'assurer des applaudissements. On le vit entrer dans les routes politiques les plus différentes, concourir à des réformes, servir le despotisme : il ne repoussait les projets d'aucun parti ; on peut en essayer, était sa phrase favorite. Plein d'esprit, d'adresse et de malice, nul ne savait mieux déconcerter par quelque saillie un interlocuteur embarrassant. C'est avec des épigrammes qu'il décidait les plus graves questions, et il se flattait de rendre ainsi nu important service à l'État. Son humeur facile et gaie lui paraissait être l'heureux correctif du caractère sérieux et brusque de Louis XVI, qu'il jugeait. fort enclin à la tyrannie, tant ses observations étaient superficielles. Maurepas était moins un ambitieux qu'un épicurien ; mais je ne sais quelle perversité eût fait à Louis XVI, à la France, plus de mal que ne leur en causa la frivolité de ce singulier maire du palais. La première ordonnance du nouveau roi annonça qu'il
renonçait au droit de joyeux avènement[3], que les
créanciers de l'État seraient payés avec exactitude, et que l'économie
réduirait par degrés les charges publiques. Le préambule disait : Il est des dépenses nécessaires qu'il faut concilier avec
la sûreté de nos États ; il en est qui dérivent de libéralités peut-être
susceptibles de modération, mais qui ont acquis des droits dans l'ordre de la
justice, par une longue possession, et qui dès lors ne présentent que des
économies graduelles ; il est enfin des dépenses qui tiennent à notre
personne et au faste de notre cour ; sur celles-là nous pourrons suivre plus
promptement les mouvements de notre cœur. L'abbé Terray avait assez
d'esprit pour imiter quelquefois le langage d'un honnête homme ; mais, en haine
de l'auteur, le style du préambule fut très-critiqué dans Paris. Chez un peuple léger, dont les idées prenaient l'essor, il importait de s'emparer des esprits, en gouvernant d'une manière sage et décidée. La France attendait quelle direction allait être imprimée aux affaires publiques. Deux grandes questions étaient le sujet de toutes les conversations, et il eût fallu promptement les résoudre : les ministres de Louis XV seront-ils renvoyés ? les parlements seront-ils rappelés ? La raison et l'intérêt public disaient qu'on devait craindre de flétrir le nouveau règne, en essayant de gouverner avec des hommes tarés, avilis da us les antichambres de madame du Barry, et justement odieux. On ne pouvait les laisser en place si l'on voulait renverser leur ouvrage ; et, pour le conserver, il fallait le faire soutenir par des hommes dignes de la confiance publique. La seconde question, très-distincte de la première, n'aurait pas été plus douteuse pour un homme d'État. Dès les premiers jours du nouveau règne, j'indiquerai plus tard les motifs de cette opinion, on aurait dû faire cesser l'exil des anciens magistrats et déclarer qu'ils ne seraient jamais rétablis en corps. Mais, quelque parti qu'ou jugeât le plus sage, il fallait le prendre sans délai, afin de ne pas exposer le pouvoir aux funestes conséquences que l'indécision entraîne ; et surtout il fallait ne pas se jeter dans des contradictions déplorables. Qu'un roi de vingt ans hésite sur ce qui convient à l'intérêt général, on ne peut s'en étonner ; mais qu'un vieux ministre sorte de sa retraite pour venir gouverner l'État sans avoir d'opinion arrêtée sur les premières questions à résoudre, c'est ce qu'il est difficile de concevoir et surtout d'excuser. Maurepas voyait deux partis dans le royaume ; il voulait attendre, et ne se prononcer que lorsqu'un des deux serait évidemment le plus fort. Maupeou eut toute liberté pour défendre sa cause près du roi, qui, sans avoir de résolution prise, était disposé à l'écouter avec faveur. Dauphin, il avait partagé l'opinion de la cour contre les anciens magistrats, et s'était irrité des écrits publiés par leurs défenseurs[4]. Ainsi qu'il arrive à beaucoup d'hommes faibles, Louis XVI craignait de paraître dominé ; et l'un des moyens qu'employait le chancelier pour faire impression sur lui était de s'indigner avec adresse contre les audacieux qui se flattaient de trouver en lui moins de fermeté que n'en avait en son aïeul. Louis XVI montra de la froideur aux princes pour leur opposition au nouveau parlement, et même il éloigna de sa personne les ducs d'Orléans et de Chartres. Lorsqu'un mois après son avènement, lus grands corps de l'État furent admis à lui présenter leurs hommages, il dit au parlement de continuer à le servir avec zèle et de compter sur sa protection. Les réponses de la reine furent encore plus positives ; elle dit à la cour des comptes : Vous devez à la prudence de votre chef et à votre fidélité dans des temps de troubles la conservation de votre existence. Maupeou dictait ces réponses, avec lesquelles d'autres paroles devaient bientôt former un étrange contraste. Le ministre qui succomba le premier fut le duc d'Aiguillon ; sa chute n'eut point pour cause les intérêts politiques dont je viens de parler. Marie Antoinette, qui continuait de charmer tout Paris par sa beauté, sa jeunesse et ses grâces, ne cessait point d'avoir à la cour des ennemis très-actifs, très-soigneux d'observer ses imprudences, de remarquer ses torts. Reine, elle conservait l'étourderie de la Dauphine, et sa légèreté, blessait des personnes qui ne lui pardonnaient point. Ainsi, le jour des révérences de deuil, elle fut accusée d'avoir ri de la figure de quelques douairières ; et, le lendemain, une chanson d'une insolence extrême circula dans Versailles[5]. Les hommes qui, par fidélité au système du cardinal de Richelieu ou par animosité contre le duc de Choiseul, s'indignaient de l'alliance autrichienne, aimaient à relever les fautes de Marie-Antoinette ; et le duc d'Aiguillon, chef du parti qu'on appelait antiautrichien, gardait si peu de mesure dans ses discours, que la reine en demanda justice. Plus Maurepas désirait qu'elle fût étrangère au gouvernement, plus il avait besoin de lui prouver son respect, et de convaincre le roi de sou dévouement pour elle ; aussi n'hésita-t-il point à lui sacrifier son neveu, qu'il fit même exiler. Le duc d'Aiguillon reparut souvent à Versailles, sans y être autorisé : quelques grands seigneurs niellaient ainsi leur amour-propre à se jouer des ordres du roi. Le choix des successeurs de d'Aiguillon, car il avait deux ministères, porta sur des hommes opposés à l'ancien parlement. Le comte de Muy accepta le ministère de la guerre, qu'il avait refusé dans les dernières années de Louis XV, pour ne point approcher de la favorite ; il avait, ainsi que son frère, nue haute réputation d'intégrité ; on les appelait, sous le feu roi, les honnêtes gens de la cour. Le comte de Vergennes, nommé ministre des affaires étrangères, passait pour un diplomate habile, éclairé. Ambassadeur à Constantinople, puis en Suède, il venait de seconder la révolution qui avait affermi le pouvoir royal dans les mains de Gustave III. Peu de semaines après la chute de d'Aiguillon, l'obscur ministre de la marine, de Boynes, perdit sa place. C'était un des agents de Maupeou, et l'intrigant subalterne du ministère. Il avait beaucoup d'ennemis ; Maurepas ne voyait aucun avantage à le conserver, et pensa que le public lui saurait gré de le renvoyer. Pour le remplacer, il fit nu choix qui pouvait avoir une grande influence sur le sort du royaume. Parmi les hommes qui s'affligeaient des maux de la France et désiraient une administration plus éclairée, il v en avait qui, depuis longtemps, attachaient leurs regards sur un intendant qu'ils voyaient réaliser les vœux des amis du bien public, dans trois provinces confiées à ses soins, Les sociétés de la capitale, où l'on parlait de littérature et de politique, entendaient souvent son éloge : il se nommait Turgot. Quoiqu'il fut d'une très-ancienne famille, il s'était voué à l'administration. Ses travaux opéraient chaque jour d'utiles réformes dans l'intendance de Limoges : il y avait aboli la corvée et d'autres charges onéreuses. Le poids des impôts s'y trouvait allégé par une répartition plus exacte et par une perception mieux conçue. Les misères de trois années de disette avaient été adoucies par la création d'ateliers de charité et par la vente libre des grains. Plusieurs fois Turgot, afin de continuer ses améliorations, avait refusé des intendances plus lucratives, mettant pour prix à ce sacrifice qu'on accorderait à ses provinces les fonds qui leur étaient nécessaires : on les lui promettait, on ne les lui donnait pas, et souvent sa fortune avait pourvu aux dépenses publiques. On disait que l'intendance de Turgot ressemblait à un petit État fort heureux, enclavé dans un empire vaste et misérable. Ses partisans souhaitaient qu'il fit appelé à faire pour la France cc qu'il avait fait pour quelques provinces. On était loin d'imaginer qu'un jour il serait accusé de n'être qu'un théoricien, lui qui, depuis plus de treize ans, se livrait à l'administration avec de si remarquables succès. Par une circonstance singulière, l'élévation de Turgot au ministère ne devait point inquiéter Maupeou et les amis du pouvoir absolu. Maitre des requêtes, en 1753, Turgot avait siégé dans la chambre royale qui fut chargée de rendre la justice, lorsque le parlement eu suspendit le cours. Il n'avait point hésité à remplir cette mission, convaincu que le parlement outrepassait ses droits, et que l'État ne peut jamais rester sans tribunaux. II se distinguait par une entière indépendance d'esprit et de caractère. Élève des économistes, sa raison et. son expérience avaient modifié les doctrines de ses maîtres ; partisan de l'impulsion que donnaient les philosophes en demandant la réforme des abus, en inspirant l'amour de l'humanité, il voyait en pitié leurs idées vagues et dédaignait leurs déclamations et leurs sophismes. Après avoir écrit quelques articles pour l'Encyclopédie, il avait cessé promptement de coopérer à cet ouvrage, dont l'idée première le charmait, dont l'exécution lui déplut : tout esprit de parti offensait son amour du bien public et de la vérité. Les amis de Turgot n'auraient fait cependant que des vœux stériles pour son entrée au ministère, sans les relations que se trouvait avoir un d'eux, l'abbé de Véri. C'était un de ces hommes qui passaient agréablement leur vie avec des grands seigneurs et des gens de lettres : il avait de l'ascendant sur ma-clame de Maurepas, elle en avait plus encore sur son mari[6] ; et il la décida à proposer Turgot pour remplacer de Boynes. Leur projet convint à Maurepas : un tel choix lui assurait les éloges d'une classe d'hommes connus pour s'occuper de l'intérêt général ; et celui qu'il s'agissait de faire ministre n'avait à la cour ni parti ni appui, condition essentielle aux veux du mentor qui craignait surtout île se voir supplanter. Louis XVI goûta facilement l'idée d'appeler dans ses conseils un intendant dont les services méritaient sa confiance, et Turgot fut nommé ministre de la marine (20 juillet 1774). On s'abuse lorsqu'on suppose que ce choix fit une granite sensation. L'intendant de Limoges avait, parmi les hommes éclairés, des admirateurs et même des enthousiastes ; mais il n'existait pas de nombreux journaux qui révèlent les actes d'un administrateur et qui font circuler rapidement son nom. Une foule de personnes avaient à peine entendu parler, ou n'avaient jamais entendu parler de Turgot ; et sa nomination au ministère de la marine n'était pas assez importante pour faire oublier qu'un Maupeou, un Terray, un la Vrillière, conservaient l'administration de l'État. Cette nomination était connue, lorsque le roi et la reine se montrèrent pour la première fois dans la capitale : ils furent accueillis froidement ; leur voiture parcourut le boulevard, et peu de cris se firent entendre. Le silence général disait que les espérances conçues à l'avènement de Louis XVI tardaient trop à se réaliser. Aux causes politiques de mécontentement se joignait la souffrance de la classe ouvrière. Le pain, que la police avait fait vendre à bon marché dans les premiers jours du nouveau régime, était remonté à un prix élevé. La misère contrastait avec une mode bizarre, venue de la cour. Les femmes portaient dans leurs cheveux une corne d'abondance avec de nombreux épis, et cela s'appelait coiffure au temps présent. Pour plaire aux Français, il faut ne point hésiter ; leur caractère vif, impatient, leur rend pénible et fatigante l'indécision de ceux qui les gouvernent. Maurepas vit enfin que sa lenteur et ses ruses ne réussissaient point. L'irritation contre les ministres de Louis XV se manifestait chaque jour davantage ; le vieux mentor jugea qu'il était temps de se prononcer et de les sacrifier. Les sceaux furent redemandés à Maupeou (24 août), qui ne perdit rien de la fermeté de son caractère. Lorsqu'il vit paraitre le duc de la Vrillière, porteur accoutumé des ordres sinistres : Je sais ce que vous venez m'annoncer, lui dit-il avec hauteur, mais je suis et je serai toujours Chancelier de France ; je reste assis pour vous entendre. Après l'avoir écouté, il reprit d'un ton calme : J'avais fait gagner an grand procès au roi, il veut remettre en question ce qui était décidé ; il en est le maître. On tenta vainement d'obtenir sa démission de la place de chancelier. Maupeou, exilé, adressa au roi un mémoire justificatif de son ministère, et ne fit jamais de démarche pour reparaître à la cour, ni même à Paris. La dignité avec laquelle il soutint sa disgrâce lui attira plus de considération qu'il n'en avait eu dans sa prospérité[7]. Terray reçut, le même jour, l'ordre de donner sa démission. Il désirait ardemment rester en place, et il avait fait tons ses efforts pour capter la bienveillance de Louis XVI. Il lui avait remis un cauteleux mémoire où, s'affligeant des souffrances du peuple, il disait que tout le mal qu'il s'était vu contraint d'ordonner dans l'intérêt du trésor était terminé, qu'il n'avait plus que du bien à faire, qu'il s'en occuperait de manière à remplir les intentions du roi et les vœux de la France. Son départ fut une espèce de fuite ; il redoutait l'indignation publique, et ce fut en tremblant qu'il alla cacher sa honte dans une de ses terres. Le renvoi des deux ministres fut suivi de scènes tumultueuses, qui se renouvelèrent pendant plusieurs soirs. Les clercs et d'autres jeunes gens, auxquels se mêlaient des ouvriers, faisaient retentir de leurs cris et du bruit des fusées les environs du palais. Les membres du nouveau parlement étaient hués par la multitude. Des mannequins, qui représentaient les uns Maupeou, les autres l'abbé Terray, furent pendus. Les écoliers, au Cours-la-Reine, firent tirer et démembrer, par quatre ânes, un mannequin en simarre. Quelques scènes des rues devinrent sanglantes : un exempt de robe courte fut tué eu voulant rétablir l'ordre, et un écrit du temps parle de sa mort, avec une atroce légèreté[8]. La plupart des épigrammes et des chansons de cette époque ont une dégoûtante virulence, que j'aimerais à pouvoir nommer anti-française. Maurepas fit donner les sceaux à un de ses parents, Hue de Miroménil, premier président du parlement de Rouen. Cet homme, fort médiocre, jouissait cependant d'une certaine considération, méritée par le zèle dont il avait fait preuve, lorsque sa compagnie résistait aux ordres de Maupeou. Après la dispersion des parlements, Miroménil était allé visiter Maurepas dans sa retraite, séjour agréable dont il avait animé les plaisirs. On dit qu'il était fort gai dans les rôles de Crispin : il joua la comédie et parla des affaires du temps ; ses hôtes le trouvèrent aimable et profond ; trois ans après, ils le firent garde des sceaux. Terray eut pour successeur Turgot, qui se trouvait ainsi dans le poste le plus convenable à ses lumières[9]. On ne saurait imaginer deux hommes plus différeras. L'un était profondément égoïste et d'une insatiable avidité ; l'autre était dévoué an bien public et d'un désintéressement absolu ; l'un réduisait la science de l'administrateur à des ruses de traitant, l'autre savait lier les finances à un système d'administration générale. Ils étaient dissemblables en tout, dit Montyon, même an physique : Une figure sombre, repoussante, signalait la dureté de l'âme et l'insensibilité de l'abbé Terray. La figure de Turgot était belle, majestueuse ; elle avait quelque chose de cette dignité remarquable dans les têtes antiques[10]. Le contrôleur général réunissait à la direction des finances une partie de l'administration confiée maintenant au ministre de l'intérieur. Puisque l'histoire doit surtout faire connaître les progrès et la décadence des institutions auxquelles se lie le bien-être des peuples, nous arrêterons souvent nos regards sur le contrôle général : c'est le point d'où partaient les décisions les plus importantes pour la prospérité de l'État. Turgot, après une nomination qui lui donnait l'espoir de réaliser ses vues de bien public, se rendit près de Louis XVI. Il dit au jeune roi quels principes le dirigeraient dans l'administration des finances, et prononça ces mots : Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôt, point d'emprunt. Les moyens qu'il indiqua rapidement, comme propres à rétablir l'ordre dans les finances, consistaient à s'armer de courage pour réduire les dépenses, et pour ne plus accorder de faveurs, à répartir équitablement l'impôt, à remédier aux vices de la perception, enfin à développer la culture et l'industrie de manière que les particuliers, devenant pins riches, fournissent aisément aux besoins réels du trésor. Le roi fut ému et pressa les mains du ministre dans les siennes pour l'assurer de son appui constant. On a les détails de cette entrevue dans une lettre que Louis XVI avait autorisé Turgot à lui écrire, pour se rappeler les premières idées d'administration qui venaient, pour ainsi dire, d'être arrêtées. Des personnes qui refusent de voir la véritable cause des troubles de la France, et qui les imputent précisément aux hommes capables de les prévenir, ont dit que cette lettre contient des phrases qui déjà s'éloignent du respect qu'un ministre doit à son roi. Turgot, en terminant sa lettre, prévoit que des haines de cour s'élèveront contre lui, qu'on le peindra comme un homme dur, auteur de tous les refus ; et que le peuple, si facile, à tromper, accusera les mesures même qu'il aura prises pour le garantir des vexations. C'est à Votre Majesté personnellement, dit-il, c'est à l'honnête homme, à l'homme juste et bon, plutôt qu'au roi, que je m'abandonne. Je ne vois rien là que n'ait pu entendre Henri IV. Après le renvoi des ministres, une grande question restait à décider : le parlement sera-t-il rappelé ? Avec un prince faible et un mentor qui semblait avoir toute l'inconsidération de la jeunesse, ou ne pouvait guère douter du parti que prendrait le gouvernement. La question était indépendante de celle qui venait d'être résolue ; mais l'impulsion était donnée et devait entraîner des esprits si peu réfléchis. Les premiers mois du nouveau règne prouvent que la faiblesse fait toujours mauvais usage de la puissance. Louis XVI, en montant sur le trône, au heu d'ordonner ce que lui prescrivait la justice, garda les ministres de son aïeul pour ne point paraître fléchir devant l'opinion publique ; et bientôt il accorda, contre l'intérêt général, ce que l'opinion lui parut demander. Presque tous les membres du conseil étaient fort opposés au rappel du patientent. Miroménil, qui, par sa position antérieure, devait s'intéresser aux hommes dont il avait partagé la résistance et l'exil, était peut-être le seul qui désirât le rétablissement de l'ancienne magistrature ; encore sou opinion définitive dépendait-elle du parti que Maurepas jugerait convenable de prendre. Turgot pressentait tous les obstacles qu'opposeraient à la réforme des abus les préjugés, l'intérêt et l'orgueil des parle-- mens. Turgot ne voyait aucun motif qui clôt les faire rappeler ; il blâmait le chancelier, non de les avoir renversés, mais d'avoir établi le despotisme sur leur ruine. Le parlement, considéré comme un corps politique, était à ses yeux. une institution radicalement vicieuse. La magistrature, disait-on, soutenait le pouvoir royal, quand il était attaqué par les grand : on par le peuple, et défendait les droits des grands on ceux : dll peuple, quand ils étaient menacés par le gouvernement. On pouvait citer un certain nombre de faits à l'appui de cette théorie ; mais, en réalité, le parlement était à la foi : puissant pour flaire le mal, car :a résistance excitait souvent des orages ; et presque impuissant pour faire le bien, car les lits de justice et l'exil triomphaient de ses plus justes efforts. Le mettre à l'abri des coups d'autorité, l'investir du droit absolu de rejeter les édits, c'eut été, non limiter le pouvoir royal, mais y substituer un mélange de despotisme et d'anarchie aristocratiques. Un pareil système n'aurait eu pour apologistes que des parlementaires entêtés qui portaient l'esprit de corps jusqu'au fanatisme. Il n'y avait aucun parti à tirer de l'ancienne magistrature, pour régulariser l'action du gouvernement ; et lord Chesterfield disait très-bien à Montesquieu : Votre parlement peut faire des barricades, mais il n'élèvera jamais des barrières. Les états généraux, que la cour des aides et quelques parlements avaient demandés sous le règne précédent, ne paraissaient pas à Turgot mieux convenir pour assurer la prospérité du royaume. Plusieurs hommes recommandables par lents intentions et même par leurs lumières ont regretté que les états généraux n'aient pas été convoqués dans les premières années du règne de Louis XVI. L'autorité royale, disent les partisans de cette opinion, avait alors une très-grande force, le respect l'environnait ; et les états généraux n'auraient pas eu l'effervescence qu'ils ont manifestée quatorze ans plus tard. Convoqués par la libre volonté (In prince, dans des temps favorables, les états ressemblent à un conseil ; appelés par les cris du peuple, ils ont la violence et la force de ceux qui les ont fait assembler. Ces observations ne sont pas dépourvues de vérité ; mais Louis XVI, dans les premières années de son règne, n'eut point consenti à réunir les états généraux ; il aurait cru attenter à son autorité. Maurepas n'avait aucun des principes qui auraient pu le porter à changer les idées de son élève ; et la plupart des Français étaient encore étrangers an vœu exprimé par un petit nombre d'entre eux. Ces dispositions ne contrariaient point les vues de Turgot : il était convaincu que les états généraux, composés de trois ordres divisés d'intérêts, ne s'entendraient jamais sur les réformes qu'exigeait la situation de la France ; et il croyait aussi que les Français n'avaient pas assez de lumières pour qu'on pût, avec confiance et sans danger, les appeler à de hautes délibérations. C'est par la puissance royale, que ce ministre voulait établir des institutions convenables à nos mœurs, et propres à les améliorer. Ce sage observateur pensait qu'avant d'autoriser les Français à délibérer sur des intérêts nationaux, il fallait s'occuper de leur éducation morale et politique, qu'il fallait leur donner des idées positives d'administration, et répandre les sentiments de bienveillance et de patriotisme dont on parlait beaucoup, mais qui se faisaient remarquer dans les discours pins que dans les actions. Turgot désirait qu'une part de l'administration fût confiée aux propriétaires. Son plan était vaste ; il se proposait de l'exécuter successivement, avec une lenteur prudente, à mesure qu'il verrait se former les esprits et -les mœurs. Son premier essai eût consisté à faire élire dans chaque ville et dans chaque paroisse de campagne une municipalité chargée de répartir l'impôt, d'aviser aux travaux utiles pour la communauté, de pourvoir à la police de ses pauvres, et d'exprimer ses vœux sur tous les intérêts locaux. Bientôt après, il eût établi des municipalités d'arrondissement, formées d'hommes élus par les municipalités de commune. Turgot avait vu que les assemblées des pays d'états, divisées eu trois ordres, étaient souvent livrées à des intérêts divergents, nuisibles au bien public. En conséquence, il voulait que dans les municipalités, ainsi qu'aux élections, on ne se présentât point en qualité d'ecclésiastique ou de noble on de roturier : on voterait, comme propriétaire, sur tons les intérêts communs. Ce mode d'administration débarrassait le gouvernement d'une foule de détails, pour en remettre le soin aux hommes qui, par leur position, étaient le plus en état de les connaître. Ce mode garantissait les administrés de l'arbitraire des intendants et de leurs agents ; il intéressait les propriétaires à la chose publique, il excitait parmi eux une noble émulation ; il devait rendre les hommes moins frivoles et moins égoïstes, en dirigeant leur esprit vers des sujets d'une utilité réelle. Les deux degrés d'administration dont je viens de parler étaient les seuls que Turgot se proposait d'établir d'abord. Lorsque la connaissance et l'habitude des affaires seraient plus répandues, les municipalités d'arrondissement nommeraient des municipalités de province dans les pays d'élection. Enfin, quand les pays d'états, frappés des avantages de ce mode nouveau, l'auraient adopté, quand l'administration serait uniforme et que les Français auraient assez d'expérience, le ministre se proposait de créer une municipalité du royaume. Cette assemblée, formée d'un élu de chaque municipalité de province[11], exposerait au monarque les besoins du pays et pourrait être consultée par le gouvernement. Sans que ses attributions fussent plus étendues, elle exercerait une grande influence, puisqu'elle serait l'organe de l'opinion publique. Si un édit était conforme à ses vœux, les magistrats se hasarderaient difficilement à le combattre ; si c'était, au contraire, les remontrances qui hissent d'accord avec l'avis de l'assemblée, les ministres craindraient de déplorer de l'autorité, et le roi ne pourrait s'abuser sur les erreurs de son conseil. Mais Turgot projetait de donner plus d'influence encore à cette institution : il entrait dans son plan de ne laisser un jour que les fonctions judiciaires à la magistrature, et de transporter l'enregistrement dans la municipalité du royaume[12]. Telle est la constitution que ce ministre préparait pour défendre l'État contre les abus du pouvoir, et pour garantir l'autorité royale des résistances étrangères à l'intérêt public. Mais, entre un jeune roi dépourvu de lumières et un vieux ministre qui, certes, n'avait rien d'un législateur, si Turgot se fût hâté de vouloir expliquer ses projets, il n'aurait pu se faire comprendre, et, regardé comme un insensé novateur, il aurait perdu tout moyen d'essayer plus tard d'être utile. Turgot, en s'opposant au retour de l'ancienne magistrature, ne pouvait développer les plus fortes raisons qu'il avait pour la repousser. Jamais, dans son court ministère, il n'arriva au moment d'exposer ses idées sur l'administration générale ; mais chaque jour il y préparait Louis XVI, et souvent il l'avertissait des dangers qui menaçaient la tranquillité de son règne si l'ou ne prenait soin d'affermir le pouvoir par des réformes judicieuses et des institutions tutélaires. D'autres ministres, avec des vues différentes, n'étaient pas 'nains opposés au rappel du parlement. Le comte de Vergennes, partisan de la monarchie absolue, discuta trois questions dans un mémoire qu'il lut au conseil : l'ancien parlement a-t-il mérité le châtiment prononcé par Louis XV ? ce roi a-t-il pu le détruire ? ne serait-il pas plus dangereux de rappeler ce parlement que de laisser subsister le nouveau ? Les trois questions étaient affirmativement résolues. Le clergé s'agitait. Déjà, dans les oraisons funèbres de Louis XV, il avait été donné des éloges à la destruction du parlement et des regrets à celle des jésuites. Plusieurs évêques remirent à Louis XVI des représentations où ils déclaraient que, si l'ancienne magistrature était rappelée, la religion serait en péril. Les tantes du roi le conjuraient de ne pas prendre une détermination qu'elles regardaient comme outrageante pour la mémoire de leur père. Les personnes qui approchaient Monsieur lui firent adopter et remettre à son frère un écrit intitulé : Mes Idées, où l'on exposait les dangers qu'il y aurait pour l'autorité royale à rétablir le parlement. Cependant plusieurs princes tenaient d'autant plus à l'opinion si hautement manifestée par eux dès le règne précédent, qu'ils espéraient toucher an moment de la voir triompher ; et la reine désirait le rappel des magistrats, décidée par un secret avis de Choiseul. Au milieu de ces discussions, les membres du nouveau
parlement éprouvaient de vives alarmes ; ils en faisaient parvenir
l'expression au monarque. La chambre des vacations de Paris exposa ses
craintes avec autant d'adresse que de modération : elle supplia le roi
d'accorder aux membres de son parlement, ce qu'il ne refuserait pas au
dernier de ses sujets, la justice de les entendre avant de prononcer sur leur
sort, et de leur permettre d'aller, après la rentrée, porter la vérité au
pied du trône. Il était évident que, si la rentrée avait lieu, leur cause serait
agrée. La chambre des vacations de Bretagne, abandonnée de nouveau par les
avocats, réclamait justice avec la chaleur ordinaire aux habitants de cette
province : Si Votre Majesté, dit-elle, se prêtait à rappeler les officiers supprimés par le feu
roi, la France étonnée verrait reparaître, dans ses tribunaux, des magistrats
indépendants, républicains, ennemis par principes du gouvernement
monarchique, qui, luttant sans cesse contre l'autorité, essaieraient d'élever
leur pouvoir à côté de celui de Votre Majesté, et peut-titre au-dessus... On
verrait des magistrats fidèles, qui se sont sacrifiés pour leur prince et
pour la patrie, out ragés, persécutés, proscrit s, abandonnés par l'autorité
royale, dont ils seraient les martyrs... Nous implorons cette promesse
précieuse que vous avez bien voulu noms donner au premier moment de votre avènement
au trône. Permettez-nous d'en rappeler les expressions à Votre Majesté :
Nous vous assurons que vous nous trouverez,
toujours tel envers vous, en général et en particulier, qu'an bon roi doit être
envers de bons et fidèles sujets et serviteurs. Les Français étaient très-divisés. L'établissement de la nouvelle magistrature, qui datait de près de quatre ans, avait créé des intérêts qui s'étaient étendus, des droits qui semblaient s'être consolidés. Tout ce qu'il y avait, à la cour et à la ville, d'amis du pouvoir absolu souhaitait que le roi maintint la révolution opérée par Maupeou D'autres hommes, qui n'auraient point fait cette révolution, jugeaient qu'il serait sage d'en profiter pour donner à la France des institutions meilleures quo celles dont la ruine était consommée. Ainsi un grand nombre de personnes, avec des vues différentes, se trouvaient réunies dans leur opposition au rappel des parlements. Toutefois les anciens magistrats conservaient beaucoup de partisans. D'honorables familles et leurs nombreux clients aspiraient à voir les exilés reprendre le rang et le pouvoir dont ils avaient été violemment dépouillés, et s'identifiaient avec eux, soit par amour du bien public, soit dans des vues intéressées. Ceux nièmes qui, vers la fin de règne précédent, s'étaient lassés d'une lutte prolongée avaient senti renaître leur courage à l'avènement du jeune roi. On réimprimait les brochures publiées contre le chancelier, à l'époque de son coup d'État. Les anciens, les véritables membres du parlement de Paris, s'étaient fait de nouveaux droits à l'estime dans leur disgrâce, par la constance avec laquelle ils l'avaient soutenue. C'est bien inutilement que Miroménil, en arrivant au ministère, leur avait écrit que la permission de sortir d'exil serait accordée à tons ceux qui la demanderaient. Une telle mesure n'était propre qu'à montrer l'irréflexion de ceux qui gouvernaient. Comment supposer que ces magistrats se résoudraient à nue démarche humiliante, pour obtenir quelques jours plus tôt la liberté qu'ils avaient tant de raison de croire qu'on allait leur rendre avec éclat ? Aucun ne demanda cette permission, quelques-uns la prirent ; un d'eux alla voir le garde-des-sceaux et se fit annoncer avec son ancien titre. Ces traits de facile audace, ces petites rébellions, charmaient le public. Les Français étant peu éclairés en politique, beaucoup d'entre eux regardaient comme inséparables la cause des lois et celle des magistrats, et confondaient l'affection pour le parlement avec la haine contre le despotisme. Bien des gens qui n'aimaient point, qui redoutaient e corps, se rangeaient dans le monde à l'opinion de ses défenseurs ou se gardaient de la combattre, dans la crainte de passer pour partisans de Louis XV et du chancelier. Il est certain que cens qui demandaient le retour des anciens magistrats, étaient les plus nombreux. Louis XVI hésitait, frappé des arguments qui lui faisaient craindre pour son autorité, ne sachant ce que demandait la justice. ut craignant de mécontenter les Français. Un projet fixa son esprit irrésolu. L'idée en était si simple, qu'elle dut s'offrir à beaucoup de personnes ; mais elle fut donnée à Maurepas par Miroménil, qui, fort embarrassé, cherchait à concilier, en lui-même, l'ancien premier président et le garde des sceaux. Miroménil dit qu'il fallait rappeler la magistrature, mais la rappeler par un édit qui contiendrait toutes les dispositions nécessaires pour l'empêcher de renouveler jamais des luttes dangereuses. Ce projet eût paru bien illusoire à des hommes d'État. Les corps ne se laissent pas modifier aisément ; s'ils se soumettent en apparence, c'est avec la volonté secrète de reprendre, aussitôt qu'ils le puniront, la plénitude de ce qu'ils nomment leurs droits. L'expérience dit règne précédent, où l'on avait tant de fois essayé de limiter la puissance des magistrats, aurait suffi pour éclairer des esprits moins légers. Maurepas jugea le projet proposé convenable à tous les intérêts, et surtout aux siens. Il allait s'assurer de bruyants éloges en protégeant l'ancien parlement, et il méditait de l'enchaîner ; c'était goûter le plaisir de jouer tons les partis à la fois. Quelques membres du parlement Maupeou se plaignaient à lui de ce que le gouvernement semblait les abandonner, et de ce qu'ils ne pouvaient plus, sans être insultés, se rendre aux audiences : pour n'être pas reconnus, leur dit-il, allez-y en domino ; il pensait qu'en ce monde la sagesse consiste à se mettre du côté des rieurs. Lorsque le bruit fut répande dans Paris qu'il s'intéressait à l'ancien parlement, qu'il le ferait rappeler, il voulut se donner le plaisir d'un triomphe ; il se rendit à l'Opéra, et les spectateurs lui prodiguèrent des applaudissements si vifs, qu'il fut sur le point di se retirer pour faire ajouter l'éloge de sa modestie à celui de son patriotisme. Le vieux courtisan crut avoir reçu à l'Opéra les bénédictions du peuple ; il retourna précipitamment à Versailles, et il parla à Louis XVI comme s'il venait d'entendre la France entière s'exprimer avec enthousiasme sur les bienfaits du monarque. Aussitôt qu'on pressentit la détermination dit roi, l'ancienne magistrature sembla n'avoir plus d'ennemis à Versailles. Deux ministres seuls, Turgot et du Muy, continuèrent de parler avec franchise. Le premier ne déguisa point au roi combien il s'alarmait des obstacles que le parlement opposerait à des réformes, à des améliorations nécessaires. Ne craignez rien, lui répondit Louis XVI avec chaleur, je vous soutiendrai. En donnant sa promesse, Louis XVI était bien convaincu qu'il la tiendrait. Des lettres de cachet furent adressées aux membres de l'ancien
parlement ; elles ne leur donnaient aucune (milité, et leur enjoignaient de
se rendre à Paris pour attendre les ordres du roi. Un lit de justice fut
annoncé. Louis XVI s'y rendit avec appareil (12
novembre 1774) ; il avait été précédé dans la grand'chambre parles
princes, les pairs et tous les personnages auxquels leurs litres ou leurs
fonctions donnaient droit de séance, à l'exception des membres des deux
parlements. Le roi annonça à cette assemblée que sa volonté était de rétablir
l'ancienne magistrature. Les exilés furent introduits, et Louis XVI leur
parla durement en ces termes : Le roi, mon aïeul,
forcé par votre résistance à ses ordres réitérés, a fut ce que le maintien de
son autorité, et l'obligation de rendre la justice à ses peuples, exigeaient
de sa sagesse. Je vous rappelle aujourd'hui à des fonctions que vous n'auriez
jamais dû quitter. Sentez le prix de mes bontés et ne les oubliez jamais. Les garanties prises contre le parlement, dans les édits qui furent enregistrés à cette séance, étaient, telles que l'autorité absolue pouvait les désirer. Les chambres des requêtes, où l'on craignait l'effervescence des jeunes magistrats, étaient supprimées[13]. Les assemblées des chambres ne pourraient avoir lien hors le temps du service ordinaire et ne seraient convoquées que par le premier président : son refus cependant pourrait être jugé par la grand'chambre. Le parlement était autorisé à faire des remontrances ; mais, dans le cas d'une réponse négative, il devait procéder à l'enregistrement, sauf à renouveler ensuite ses remontrances. Si les magistrats suspendaient l'administration de la justice, s'ils donnaient leur démission en corps, et refusaient de reprendre leurs fonctions, ils se rendraient coupables de forfaiture, et ce crime serait jugé par une cour plénière, composée des personnes ayant séance aux lits de justice. Enfin, dans le cas de forfaiture, le grand conseil remplacerait le parlement, et ne pourrait. s'y refuser à la première injonction di, roi. C'étaient à peu près les dispositions de Maupeou. Rétablir l'ancien parlement, le soumettre au régime du nouveau, telle était la conception de Miroménil approuvé par Maurepas. La lecture de ces dispositions fit naître tut murmure dans les rangs de l'assemblée ; et, lorsque le garde des sceaux s'approcha pour remplir la formalité de recueillir les voix, le duc de Chartres ne lui déguisa point son mécontentement de ce qu'on présentait un édit si contraire aux principes manifestés par son opposition. Après l'enregistrement, le roi dit aux membres du parlement de compter sur sa protection aussi longtemps qu'ils ne tenteraient pas de franchir les bornes du pouvoir qui leur était confié. La cour des aides et le grand conseil furent rétablis. Des précautions analogues à celles qui venaient 'l'être prises contre le parlement atteignirent la cour des aides. Les anciens membres du parlement Maupeou allèrent docilement reformer le grand conseil, acceptant ainsi un nouveau titre au mépris public. La joie causée par le retour des magistrats éclata, pendant plusieurs jours, dans des rassemblements tumultueux. Il y eut encore des mannequins pendus et des épigrammes plates et virulentes[14]. Les magistrats ne pouvaient approuver par leur silence les nouveaux édits sans condamner leur résistance passée, sans justifier leur exil, sans démentir leurs opinions et leur vie tout entière. Craignant néanmoins le reproche de précipitation et d'ingratitude, ils laissèrent écouler une vingtaine de jours, après lesquels ils invitèrent les princes et les pairs à se réunir avec eux pour délibérer. Monsieur demanda qu'il ne fût adressé aucune observation à Sa Majesté ; mais le comte d'Artois, le comte de la Marche et six pairs furent seuls de cet avis. Plusieurs membres de l'assemblée, parmi lesquels on distinguait le prince de Conti et le duc d'Orléans, parlèrent dans un suais opposé ; ils représentèrent que le devoir du parlement était de porter la vérité au pied du trône, que son serment l'obligeait à défendre les lois de la monarchie, et que le roi avait autorisé les remontrances. Douze projets d'arrêté furent présentés dans une seconde réunion, et celui du prince de Conti fut adopté. Le duc de la Rochefoucauld prononça un discours remarquable, où il demanda les assemblées nationales, qui depuis si longtemps avaient cessé d'être convoquées, et déclara que les princes et les pairs, réunis aux magistrats, ne pouvaient légalement suppléer les états généraux[15]. Le roi reçut les représentations et fit une réponse négative : quelques magistrats voulaient les renouveler, mais cet avis eut peu de partisans. Le parlement jugea convenable de se borner à protester contre le lit de justice cl à consigner dans ses registres qu'il profiterait de toutes les circonstances pour soutenir les lois de la monarchie contre des innovations qui leur étaient opposées. A la sortie des séances, les princes d'Orléans, et surtout le prince de Conti, recevaient des marques bruyantes de la faveur populaire. Monsieur et le comte d'Artois étaient accueillis silencieusement, et l'archevêque de Paris entendait des huées sur son passage. Le roi ne vit point la conduite du parlement sous des rapports défavorables. Il pensa que ce corps ne protestait que pour la Mme ; il lui sut gré d'avoir fait des représentations, au lieu de remontrances, et de ne les avoir pas renouvelées. Mais ce qui le charma, c'est que les premiers édits envolés au parlement furent enregistrés sans délai : Vous le voyez, disait-il, on prétendait que ces gens-là voudraient empiéter sur mon autorité, ils enregistrent mes édits sans discussion. Enfin, Maurepas sut l'enchanter par le récit des fêtes qui suivaient, dans les provinces, le retour des parlements. Turgot continuait de porter un zèle éclairé dans l'administration des finances. A son entrée an contrôle général, malgré les embarras du trésor, il ne craignit pas, pour être juste, d'ajouter aux dépenses dont l'aperçu avait été donné par Terray. Les pensionnaires de l'État n'étaient point payés depuis près de quatre ans. Quinze millions furent employés sur-le-champ pour réparer en partie cette longue injustice. Un tel acte, qui soulageait de nombreuses misères, qui promettait de la fidélité dans les engagements, et qui semblait démentir l'opinion répandue sur la pénurie des finances, commença la restauration du crédit. Le ministre, avec de l'ordre et de la fermeté, se procura des ressources et s'affranchit de la nécessité où s'était mise une administration besogneuse de s'adresser aux agioteurs, dont elle achetait chèrement les secours précaires. La place de banquier de la cour fut même supprimée, au grand scandale des financiers. L'histoire n'a point à retracer tous les actes de l'administration de Turgot, mais elle doit en indiquer l'esprit. Turgot préparait pour l'avenir un plan de finance, dont les bases étaient la création d'une subvention territoriale répartie avec égalité, et le remplacement des impôts vexatoires. En attendant. qu'il lui fuit possible d'attaquer les abus à leur source, il les rendait moins nombreux et moins oppressifs. Quelques impôts pesants pour les contribuables, peu lucratifs pour le trésor, fument abolis, et beaucoup d'excès de pouvoir furent réprimés. Ainsi la ferme générale avait fait adopter le principe que, dans ses contestations avec les redevables, les cas douteux seraient. jugés en sa faveur. Turgot établit le principe contraire. La perception devint moins tyrannique, et les bénéfices augmentèrent : c'est nn fait que reconnurent hautement plusieurs fermiers généraux, parmi lesquels on aime à citer Lavoisier. Le contrôleur général, fidèle au devoir d'instruire le jeune roi, lui remettait un mémoire sur chaque sujet important qu'il soumettait à sa décision ; il lui faisait goûter le plaisir de faire le bien, et sentir l'avantage d'être juste, afin de le disposer aux grandes réformes qu'il espérait proposer un jour. Tantôt il lui fusait connaître les misères du peuple, les vexations qui rendaient plus lourd le poids des impôts ; il disait, par exemple, que lorsqu'un receveur des tailles ne versait pas sa recette, on arrêtait les quatre principaux taillables, quoiqu'ils ne dussent rien à l'État : on les arrêtait parce qu'ils étaient les moins pauvres, et on les retenait en prison jusqu'à ce qu'ils eussent comblé le déficit. Il faisait voir que, sans nuire aux intérêts du fisc, ou pouvait abolir cet usage odieux ; et Louis XVI ému supprimait un abus si criant. Tantôt, il dévoilait l'avidité et les turpitudes des courtisans : par exemple, les gens en crédit obtenaient, non sans préjudice pour le trésor, des parts plus ou moins fortes dans les profits des fermiers généraux. L'ignoble nom de croupes donné à de pareils pressens n'excitait aucune répugnance. De grands seigneurs étaient croupiers, les femmes de la cour étaient croupières. Louis XVI, éclairé sur cet abus honteux, faisait écrire par son ministre aux fermiers généraux que les dons de sou aïeul étaient maintenus, mais qu'à l'avenir il ne serait jamais accordé de semblables faveurs. Les courtisans s'indignaient ; les fermiers n'étaient pas moins irrités ; ceux-ci prévoyaient qu'au renouvellement du bail le trésor recevrait la somme que n'enlèverait plus l'intrigue, et ils regrettaient un abus qui leur assurait de puis-sans protecteurs. Chacun des actes de Turgot lui suscitait de nombreux ennemis ; il en avait pour les améliorations qu'il opérait et pour celles qu'on l'accusait de méditer encore. Occupé de ses devoirs, et non de ses dangers, Turgot se livrait à ses travaux avec persévérance, quand des troubles inattendus vinrent les interrompre. Dès le commencement de son ministère, il avait fait rendre mi arrêt du conseil pour rétablir la liberté du commerce des grains dans l'intérieur du royaume. Les avantages de cette liberté étaient, dès longtemps, constatés par l'expérience. Machault, eu 1749, n'avait fait que renouveler des dispositions anciennes. Turgot rétablit l'édit de 1765, abrogé par Terray pour favoriser un infâme trafic. L'exportation continuait d'être détendue ; non que l'élève des économistes s'exagérât les dangers du libre commerce avec l'étranger, mais il pensait que le gouvernement doit s'interdire toute disposition à laquelle les esprits ne sont pas préparés ; il n'avait donc accordé que la liberté de circulation intérieure, et même de grandes villes conservaient encore leur régime prohibitif dans toute sa rigueur[16]. Aucune exportation de grains avait eu lieu ; des primes étaient offertes à l'importation ; plusieurs mesures protectrices, telles que la diminution des droits sur les denrées et la formation d'ateliers de charité, avaient été prises ; les blés étaient à un prix inférieur à celui où on les avait vus sous le ministère précédent, et l'on n'avait point à craindre la disette. Il ne s'était pas élevé d'objection contre l'arrêt du conseil, à l'époque de sa publication (15 septembre 1774). Turgot arrivait au ministère, il avait peu d'ennemis ; mais, quand il les eut multipliés par ses services, on revint sur cet arrêt. On reprocha vivement au contrôleur général d'avoir annoncé que l'autorité protégerait le commerce des grains, sans y prendre part, et d'avoir cessé d'entretenir des magasins au compte de l'État. Ces dispositions cependant étaient nécessaires pour s'assurer le secours des commerçants, qui refuseront toujours d'entrer en concurrence avec le gouvernement, puisque celui-ci ne craint pas de perdre sur ses ventes. On affecta de confondre la circulation intérieure et l'exportation. Il semblait que le contrôleur général eût ouvert les frontières. Les moins absurdes de ses antagonistes annonçaient que la liberté illimitée du commerce des grains allait être proclamée ; je dis les moins absurdes, car d'autres prétendaient qu'elle exerçait déjà ses ravages. Turgot vit de nouveaux adversaires s'élever contre lui. Presque tons les gens de lettres avaient applaudi à sa nomination ; un étranger, destiné à jouer en France un grand rôle, se fit le chef d'une opposition philosophique. Necker composa, sur la législation des grains, un ouvrage dont il envoya le manuscrit an contrôleur général, à qui il rendit peu de jours après une visite. Tons deux avaient de la fierté, leur entretien fut court. Necker offrit de ne point publier son livre si le ministre le croyait dangereux pont. les projets du gouvernement ; Turgot rendit le manuscrit, en laissant à l'auteur toute liberté d'en disposer à son gré. Le livre fut imprimé et beaucoup lu ; il fournit des raisonnements, non pour blâmer ce qu'avait fait Turgot[17], mais pour censurer ce qu'on pensait qu'il voulait faire. C'est à tort cependant qu'on a dit que cet ouvrage avait contribué à exciter les émeutes ; il ne parut que le jour même où des boulangers furent pillés dans Paris. Plusieurs villes, Dijon, Auxerre, Amiens, Lille, avaient éprouvé des troubles. Cinq ou six cents bandits rassemblés à Pontoise (2 mai 1775) se portèrent sur Versailles. Louis XVI montra sa bonté et sa faiblesse : il parut sur un balcon d'où il adressa quelques paroles à la multitude, et lui annonça qu'il réduisait à deux sous le prix du pain. Les bandits, dont le nombre augmentait dans leur course, se dirigèrent sur Paris, où ils pénétrèrent par différentes portes, quoique des troupes eussent été mises sous les armes. Le contrôleur général alla en hâte près du roi et lui fit sentir combien il compromettrait l'intérêt public, l'arrivage et la fabrication des subsistances, en réduisant le prix du pain. La défense fut faite d'exiger que les boulangers vendissent au-dessous du prix courant, et Louis XVI donna plein pouvoir à Turgot pour disposer des troupes, en ordonnant néanmoins qu'elles ne fissent feu dans aucun cas. Les bandits entrés dans la capitale pillèrent les boulangers, jetèrent beaucoup de pain et de grains dans les rues. Le lendemain, ils recommencèrent ; mais une force militaire imposante avait été déployée, et le calme fut promptement rétabli. Le parlement prit un arrêté pour défendre les attroupements et pour supplier le roi de faire baisser le prix du pain. Le contrôleur général jugea qu'une telle demande allait fournir un prétexte aux malveillants et fit placarder sur l'arrêté du parlement une ordonnance très-ferme du conseil. Le roi, à qui il demanda des mesures rigoureuses, voulut consulter du Muy et Malesherbes. L'un et l'autre furent d'avis de sévir contre tes perturbateurs et firent comprendre, non sans quelque peine, à Louis XVI que l'intérêt du peuple exige qu'on réprime les excès de la populace. Un lit de justice fut tenu à Versailles ; la poursuite des délits qui venaient d'avoir lien fut interdite an parlement et remise à la justice prévôtale ; quand l'ordre serait rétabli, les magistrats rechercheraient les auteurs des troubles. Le parlement ne réclama point contre une injonction qui le dispensait de compromettre sa popularité. Deux hommes armés dans les rassemblements furent pendus ; et bientôt Louis XVI publia une amnistie qui soulagea son cœur. Plusieurs fois il avait dit à Turgot : N'avons-nous rien à nous reprocher dans les mesures que nous prenons ? Une disposition très-sage rassura les commerçants ; ceux dont les grains avaient été pillés furent indemnisés. Une instruction fut envoyée aux curés, que le roi chargeait d'éclairer le peuple sur les pièges qu'on lui tendait. Le haut clergé trouva mauvais que le gouvernement adressait une instruction aux curés, même par l'intermédiaire de leurs évêques. Des ecclésiastiques allèrent jusqu'à prétendre que Turgot voulait détruire la religion et faire du roi le chef de l'Église gallicane. Une phrase de cette instruction excita vivement la curiosité publique : Lorsque le peuple connaîtra les auteurs de la sédition, il les verra avec horreur. C'était annoncer que la sédition avait des chefs secrets, qu'on les ferait connaître et punir. Il y a peu de prudence et peu de dignité à faire une déclaration semblable, lorsqu'on n'est pas certain de pouvoir la soutenir[18]. Cette phrase fut une vaine menace, soit que les troubles n'eussent pas de moteur caché, soit qu'on ne pût réunir contre les coupables des preuves suffisantes, on que Louis XVI ne permît point de les publier. Il ne faut pas supposer toujours des instigateurs secrets aux émeutes. L'irritation qu'excite la misère, un besoin de changement et de bruit, l'espoir du pillage, peuvent suffire pour agiter la populace ; et c'est surtout quand il s'agit des subsistances que, parfois, elle ressemble à un amas de matières combustibles qui prend feu spontanément. Cependant des circonstances nombreuses ne permettent guère de douter que l'intrigue eût, part aux scènes coupables de 1775. Le garde des sceaux dit au parlement : La marche des brigands semble être combinée ; leurs approches sont annoncées ; des bruits publics indiquent le jour, l'heure, les lieux où ils doivent commettre leurs violences. Il semblerait qu'il y eut un plan formé pour désoler les campagnes, pour intercepter la navigation, pour empêcher le transport des blés sur les grands chemins, afin de parvenir à affamer les grandes villes, et surtout la ville de Paris. A ces détails, on peut en ajouter d'autres. Beaucoup de bandits avaient de l'argent, beaucoup étaient ivre. ; ils n'arrêtaient les grains que pour les jeter dans les rues, sur les routes ou dans les rivières. Des placards séditieux affichés à Versailles menaçaient d'incendier cette ville si les ministres ne faisaient pas baisser le prix du pain. Ce faux arrêt du conseil, qui taxait à 12 livres le setier de blé, avait été répandu dans les environs de Paris, et envoyé dans quelques provinces. Voilà les preuves qu'il y avait des hommes puissants assez pervers pour exciter les troubles, dans l'espoir de compromettre et de renverser nue administration contre laquelle se lignaient tons les partisans intéressés des abus. Il y eut une foule de conjectures sur la puissance invisible qui dirigeait les émeutes. Des nouvellistes prétendaient que l'Angleterre se vengeait de la France, qui, disaient-ils, soulevait les colonies américaines. Des philosophes affirmaient que tous les désordres venaient des jésuites et du clergé. Quelques curés des environs de Paris furent arrêtés : les uns, trompés par le faux arrêt du conseil, avaient voulu acheter des grains à vil prix ; les autres avaient déclamé en chaire contre les ministres ; mais l'ignorance on l'exaltation de quatre ou cinq curés de village n'autorisait pas à croire que le clergé eût tramé un complot. Terray et ses anciens agents furent l'objet de violents soupçons. Terray, naturellement craintif, n'eût pas voulu compromettre la situation tranquille où il jouissait du fruit de ses rapines ; et deux agents de son ministère, qui furent emprisonnés, prouvèrent très-bien qu'ils n'étaient pas coupables du fait dont on les accusait. Il est impossible de lever entièrement le voile qui couvre les intrigues de cette époque. Un fait certain, c'est que Turgot est mort convaincu de l'existence d'un complot formé par le prince de Conti et par quelques membres du parlement. Il n'est tus douteux non plus que ce prince égoïste, violent, sans mœurs et sans principes, était très-capable d'une pareille action ; et qu'indépendamment de son amour de bruit qui le portait à se mettre à la tête des adversaires du contrôleur général, il lui avait voué une haine personnelle. Le prince de Conti en se jetant perpétuellement dans l'opposition, voulait surtout se faire craindre des ministres et les rendre dociles à ses exigences ; il ne pardonnait point. à Turgot de l'écouter avec un froid respect et de préférer la justice à sa protection. Le jour des troubles, les Parisiens montrèrent leur légèreté habituelle : dès que le calme fut rétabli, ils sortirent en foule de leurs maisons pour chercher l'émeute, qu'ils ne rencontraient nulle part[19]. Les spectacles ne furent point interrompus ; les marchandes de modes firent des bonnets à la révolte, et l'on chansonna le maréchal de Biron qui commandait les troupes. Le sacre de Louis XVI suivit de près ces scènes tumultueuses. Turgot hâta les préparatifs de cette solennité ; il pensait qu'un ministre, pouvant être obligé quelquefois de modérer le zèle du clergé, devait en toute autre circonstance montrer de l'empressement à seconder ses vues. Seulement il eût voulu, en administrateur économe, que le sacre se fit à Paris, et, en homme consciencieux, que le roi ne prit pas d'engagement impossible à tenir : il proposa de retrancher le serment d'exterminer les hérétiques[20], et de substituer, à celui de ne jamais faire grâce aux duellistes, la promesse d'employer tous les moyens qui dépendraient de l'autorité royale pour abolir un préjugé barbare. Louis XVI consulta Maurepas. Ce ministre lui représenta que le clergé blâmerait les innovations proposées, que ce n'était pas à un jeune roi qu'il convenait de les tenter, que les querelles ecclésiastiques avaient troublé le dernier règne, et qu'il fallait craindre de les renouveler. Le roi se rendit à ces alarmes chimériques. Ce fut le clergé qui modifia les formules du sacre. L'archevêque de Reims ne demanda point an peuple s'il voulait Louis XVI pour son roi. La suppression de cette formule, très-vaine assurément, mais que prescrivait l'antique usage, fit murmurer dans la capitale, où l'on avait encore présentes les discussions provoquées par Maupeou. Deux brochures intitulées, l'une l'Ami des Lois et l'autre le Catéchisme du Citoyen, furent brûlées par arrêt du parlement. Les auteurs de ces écrits réfutaient de nouveau les théories du chancelier. La conformité de leurs principes avec ceux que le parlement avait professés aurait pu embarrasser les juges ; mais l'avocat général, dans son réquisitoire, dit que certaines questions politiques ne doivent pas être traitées par les écrivains. Quoiqu'on fût bien près encore des jours de troubles, le roi vit la paix et l'abondance dans le pays qu'il traversa en allant à Reims[21], où le sacre eut lieu le 11 juin 1775. Des transports de joie et d'amour éclatèrent sur le passage de Louis XVI : il se montra très-populaire ; et, dans des vues d'économie toutes paternelles, il défendit les fêtes pour son retour. La reine exprima comme lui des sentiments affectueux, et comme lui reçut un accueil touchant. Un projet conçu dans les vues les plus pures échoua peu de jours avant le voyage de Reims. Lors du rappel de la magistrature, Malesherbes avait repris ses fonctions de président de la cour des aides. Les premières paroles qu'il avait fait entendre étaient : Oublions le passé, excusons les faiblesses, sacrifions les ressentiments ; il semblait ne quitter l'exil que pour venir donner l'exemple de la modération dans la victoire. Comme le parlement, la cour des aides rédigea des représentations sur l'ordonnance de discipline qui lui était imposée, mais elle s'occupa plus directement de l'intérêt public. Malesherbes fit prendre à sa compagnie l'engagement de mettre sous les yeux du roi le tableau des abus qui existaient en matière de finance et d'en demander la réforme. Ce vertueux magistrat, uni par l'amitié à Turgot, lui faisait part de ses idées et de ses espérances. Tous deux croyaient que de grandes réformes étaient nécessaires et désiraient que le roi devint le législateur de la France[22]. Un seul point important les trouvait d'opinions différentes. Plusieurs fois, sous Louis XV, Malesherbes avait fait entendre le mot d'états généraux ; il le répéta sous Louis XVI, avec la conviction profonde qu'il indiquait le plus sûr moyen d'assurer le bonheur des Français. Turgot avait d'autres pensées pour atteindre ce but ; mais, d'accord avec Malesherbes sur les vices du régime fiscal, il le pressa de hâter le moment où sa compagnie les dévoilerait au monarque. L'un et l'autre espéraient qu'en les faisant connaitre à Louis XVI sa bonté, son désir d'être juste, le décideraient à nommer une commission de magistrats et d'administrateurs pour examiner les moyens de réprimer les abus. Le consciencieux travail de Malesherbes exigea cinq mois, et fut présenté à Louis XVI le 6 mai 1775. Ce tableau des misères à soulager inquiéta la frivolité de Maurepas. Le premier président et deux présidents de la cour des aides furent mandés à Versailles, avec ordre d'apporter la minute de leurs remontrances. Le vieux ministre voulut que Louis XVI, sans désapprouver les demandes qui lui étaient soumises, prit un moyen de les éluder, et répondit que d'aussi nombreuses réformes seraient l'ouvrage de son règne entier[23]. Le garde des sceaux, en achevant de faire connaître les intentions du roi, se servit de ces mots étranges, s'il existe réellement des abus ; et la minute des remontrances fut retenue, pour qu'elles restassent ignorées du public. Maurepas et Miroménil se croyaient fort habiles, lorsqu'ils disaient à Louis XVI qu'on ne doit révéler un mal qu'au moment où l'on y remédie. Mais les abus n'étaient point ignorés, ils excitaient des plaintes toujours plus vives ; ce qu'il y avait à faire connaître aux Français, c'est qu'on voulait réellement s'occuper d'améliorer leur sort. D'ailleurs, on aurait comblé les vœux des magistrats si on leur eût dit qu'une commission allait être chargée des travaux qu'ils demandaient, mais que leurs observations pouvaient contour quelques faits hasardés, alarmons, et qu'elles ne devaient être connues que de la commission seule. En prenant ce parti loyal, ou eût fait le bien, et sans doute le secret sur les remontrances aurait été, gardé. En suivant une politique tortueuse, on laissa subsister beaucoup d'abus, et les remontrances finirent par être clandestinement imprimées. Depuis vingt-cinq ans, Malesherbes était premier président de la cour des aides ; il venait d'exposer ses vues sur les moyens d'assurer le bonheur de la France ; il pensa que ses devoirs publics étaient remplis, et qu'il était arrivé au moment de jouir d'une vie indépendante, que son caractère et ses goûts lui faisaient dès longtemps désirer. heureux de songer qu'au sein de la retraite, il n'aurait plus que deux occupations, cultiver les sciences qu'il aimait et faire du bien autour de lui, que tantôt il vivrait dans lice société, choisie, tantôt il voyagerait en observateur, il donna sa démission de la place qu'il avait remplie avec tant d'éclat ; mais d'autres destinées l'attendaient. 1,a Vrillière, faible débris du ministère de Louis XV, n'était soutenu que par son titre d'allié de :Maurepas. Celui-ci se fatigua de le voir exciter sans cesse la haine on le mépris. Ce duc, qui depuis un demi-siècle était ministre, qui avait distribué un nombre incalculable de lettres de cachet, qui était allé annoncer l'exil an duc de Choiseul, à madame du Barry, à Maupeou, à liant d'autres, connut aussi la disgrâce. Lorsque Maurepas lui fit dire de donner sa démission, il s'affligea comme un enfuit à qui l'on ôte son jouet. Après avoir passé si longtemps dans le ministère, il en sortit sans être riche ; non qu'il eût à vanter si délicatesse, il ne pouvait que regretter ses dépenses. Turgot engagea Maurepas à faire nommer Malesherbes au ministère vacant. Maurepas saisit cette idée : il se trouvait dans une situation qui l'obligeait à proposer, sous retard, mi choix digne d'inspirer la plus entière confiance au monarque, afin d'éviter quelque autre choix dont le menaçait une intrigue de cour. Les personnes qui formaient la société particulière de la reine[24] attachaient un haut intérêt à voir cette princesse exercer de l'influence dans le gouvernement. Sa légèreté, son éloignement pour tout ce qui était sérieux, l'empêchait d'ambitionner un rôle politique. On pouvait cependant exciter l'amour-propre de la fille de Marie-Thérèse, en lui disant qu'elle nuirait à sa considération si elle laissait plus longtemps Maurepas obtenir seul de l'influence sur le roi. On la pressa de saisir l'occasion qu'offrait la retraite de la Vrillière. On lui conseilla de faire appeler Maurepas, de lui parler avec bonté, mais avec fermeté, de lui promettre l'oubli du passé et un appui constant pour l'avenir, s'il se montrait plus attentif aux désirs de sa souveraine, et d'exiger qu'il donnât la preuve de ses sentiments, en adoptant tel choix pour remplacer le duc de la Vrillière. Le baron de Besenval conduisait cette intrigue, qui fit peu d'honneur à son habileté. Il souhaitait que le comte d'Ennery[25] obtint le ministère de la marine ; en conséquence, il engagea la reine à faire remplacer la Vrillière par Sartine, et celui-ci par d'Ennery. Vouloir deux places au lien d'une, c'était compliquer les difficultés ; puis Sartine, qui tenait à garder son ministère, contrarierait ce projet, et d'Ennery, qui était lié avec Choiseul, ne conviendrait point à Maurepas. Besenval perdait de vue que le but devait être uniquement de faire nommer nu ministre par le crédit de la reine. Cependant elle adopta ce plan si mal conçu et mit ensuite de l'insouciance à l'exécuter : plusieurs jours se passèrent avant qu'elle fit appeler Maurepas, qui, n'ayant point perdu de temps, se confondit en protestations, en regrets, et dit que le roi avait arrêté son choix sur Malesherbes. C'est, de toutes les nominations faites par Louis XVI, celle qu'il a le plus volontiers signée : il avait pour Malesherbes beaucoup d'estime ; il appréciait sa droiture et son amour du bien publie. Les seuls obstacles à l'élévation de Malesherbes vinrent de lui-même. Ce choix contrariait tous ses projets d'indépendance et de bonheur ; il s'effrayait à l'idée de vivre dans l'atmosphère de la cour ; et ce qui l'effrayait plus encore, c'est qu'il se jugeait, très-sincèrement, peu propre à être ministre. Deux courriers qui lui furent envoyés rapportèrent des refus. L'anxiété de Maurepas et celle de Turgot étaient égales, quoique les motifs en fussent bien différeras. Turgot fit partir un troisième courrier porteur d'une lettre où il représentait à son ami qu'un refus définitif amènerait une nouvelle influence, celle de la société particulière de la reine, qu'il s'agissait de savoir si le gouvernement suivrait sa marelle vers les réformes nécessaires ou l'abandonnerait pour en prendre une opposée, et que la décision dépendait de lui seul. Malesherbes ne résista plus ; 'nais, en acceptant, il annonça la volonté de quitter bientôt les fonctions qu'il s'imposait à regret. Il y avait le même contraste entre Malesherbes et la Vrillière qu'entre Turgot et Terray. Lorsqu'on voyait, au commencement du règne de Louis XVI, combien le ministère était différent de celui du règne passé, l'âme s'ouvrait à l'espérance. Mais Turgot, Malesherbes, agissaient sur les contemporains de la Vrillière et de Terray ; ils devaient rencontrer de nombreux obstacles. D'ailleurs, ce n'était pas assez que les ministres appartinssent à l'école de Sully ; il eut encore fallu que le monarque unît à la bonté la fermeté de Henri IV. Malesherbes avait, dans ses attributions, les lettres de cachet. Ministre, il s'occupa de réparer les injustices contre lesquelles il s'était élevé quand il était magistrat. C'est avec peu d'exactitude cependant qu'un de ses biographes[26] a dit, et qu'on a souvent répété qu'il ouvrit les prisons d'État. Ces mots donnent une idée fausse des temps dont nous parlons. Malesherbes recueillit des renseignemens sur les prisons d'État ; il visita la Bastille, Vincennes, Bicêtre, et rendit la liberté aux malheureux dont la détention était évidemment injuste ; mais ceux qui étaient ou qui paraissaient être coupables, il n'avait pas le pouvoir de les envoyer devant les tribunaux. Bien des personnes croyaient à la nécessité des lettres de cachet pour sauver honneur des familles et pour maintenir la tranquillité publique. Peu d'hommes combattaient ouvertement l'opinion que le droit d'arrêter et de détenir est inhérent an pouvoir royal ; et Louis XVI n'eut point consenti à l'abolition des lettres de cachet. Malesherbes proposa de ne plus laisser dans les mains d'un ministre cette arme redoutable, et de la remettre à un conseil on tribunal, composé de magistrats respectés qui ne pourraient, quand un ordre de détention serait sollicité par nue famille contre un de ses membres, accorder cet ordre qu'à l'unanimité et après avoir entendu les parties. Le roi conserverait le pouvoir de faire arrêter, dans des circonstances graves, un homme présumé coupable ; mais le ministre serait obligé d'en informer, dès le jour même, le nouveau tribunal, qui, sans délai, entendrait l'accusé ; et, si son innocence était reconnue, il aurait droit de recours contre son accusateur, quel que fût le rang de celui-ci, Ces vues obtinrent l'approbation de Louis XVI, et cependant le tribunal ne fut jamais établi. Les débiteurs puissants obtenaient des arrêts de surséance, et cet abus était si cher aux courtisans, qu'in' ministre ne pouvait espérer le faire abolir. 3Ialesherbes demanda que les arrêts de surséance fussent, connue les lettres de cachet, attribués à un conseil, et que le débiteur soustrait à ses créanciers vécût en exil, loin de Paris, aussi longtemps qu'il profiterait de la faveur obtenue. Ce projet fut aussi approuvé par Louis XVI, mais ne reçut pas d'exécution. Les économies à introduire dans la maison du roi concernaient Malesherbes. Il déclara bientôt qu'il ne pourrait les opérer lui-même. Cet homme, qu'on avait vu si plein de fermeté d la tête d'un corps de magistrature, n'avait plus la même assurance dans un ministère. Les devoirs du magistrat sont tracés par la loi ; ceux dit ministre sont loin d'être déterminés d'une manière aussi positive. Le magistrat fait des remontrances ; et les personnes qu'atteindra la suppression des abus qu'il dénonce ne sont pas sous ses yeux. Le ministre entend les plaintes des familles que ses réformes désolent. La raison de Malesherbes lui faisait conseiller des économies, et son cœur lui disait de les laisser effectuer par d'autres. C'était un des grands motifs qui lui inspiraient le désir de la retraite. Sons plus d'un rapport, il montra dans son administration une sorte de mollesse, car je ne voudrais pas employer le mot de faiblesse. Plusieurs fois Turgot lui adressa des reproches[27]. Les courtisans voyaient le contrôleur général avec une haine mêlée de crainte ; ils appelaient Malesherbes le bon homme. Ce ministre avait encore dans ses attributions les affaires du clergé, dont la première assemblée, sous le règne de Louis XVI, eut lien en 1775. A cette (Tique, le clergé aurait pu recouvrer de l'influence, eu s'associant aux vues de bien public qui se manifestaient sur le trône ; mais ses remontrances prouvèrent qu'il connaissait peu la situation de la France et la sienne. On s'étonna qu'il ne fit pas un retour sur lui-même, en parlant du vil amour des richesses qui s'est emparé de tous les cœurs. Les protestans, pleins d'espérance dans la douceur du nouveau règne, avaient adressés des Mémoires à Louis XVI ; celui des réformés de la Guyenne était accompagné d'attestations données par la noblesse de cette province. Le clergé persista dans son intolérance : il regrette ces temps où les protestants cherchaient la solitude des déserts et les ténèbres de la nuit ; il va jusqu'à regretter que les enfants ne soient plus enlevés à leurs pères : Achevez, dit-il au roi, l'ouvrage que Louis le Grand avait entrepris et que Louis le Bien Aimé avait continué. L'assemblée du clergé condamna plusieurs ouvrages, tels que le Système de la Nature, le Bon Sens, dont les horribles doctrines excitaient les alarmes des pères de famille et l'animadversion de tout homme jouissant de sa raison. Mais comment un corps qui doit le plus scrupuleux respect à la vérité, disait-il : Le monstrueux athéisme est devenu l'opinion dominante ? C'était porter contre les Français une accusation outrageusement fausse. On ne pourrait, sans trop d'ignorance, confondre le déisme avec l'athéisme ; et il n'eût pas mène été juste de dire que le déisme était l'opinion dominante[28]. La divergence des idées était grande ; il était déjà
difficile de s'entendre. Le clergé disait dans ses remontrances : D'où vient cet examen curieux et inquiet que personne ne
se refuse sur les opérations du gouvernement, sur ses droits et sur ses limites
? Et, peu de mois auparavant, Malesherbes, reçu à l'Académie
française, avait fait applaudir avec transport ces paroles : Il s'est élevé un tribunal indépendant de toutes les
puissances, et que tolites les puissances respectent, qui apprécie tous les
taleras, qui prononce sur tous les genres de mérite ; et, dans un siècle où
chaque citoyen peut parler à la nation entière par la voie de l'impression,
ceux qui ont le talent d'instruire les hommes, ou le don de les émouvoir,
sont, au milieu du public dispersé, ce qu'étaient les orateurs de Borne et
d'Athènes au milieu du peuple assemblé. Les vœux du clergé furent portés an roi par l'archevêque de Vienne, Le Franc de Pompignan, dont les mœurs et la fui étaient irréprochables ; mais il était accompagné de Loménie de Brienne et de l'abbé de Talleyrand, l'un et l'autre connus !lardes opinions très-propres à rassurer contre leurs anathèmes. Quelques prédicateurs, à cette époque, dissertaient sur l'administration. Maury, dévot aux dîners de l'archevêque, et philosophe dans les soirées de d'Alembert, encourut des reproches pour un sermon qu'il prêcha devant l'assemblée du clergé. D'autres ecclésiastiques en méritèrent de plus graves. L'abbé qui prononça le panégyrique de saint Louis, en présence de l'Académie, affecta de nommer toujours soli héros Louis IX on Louis, comme s'il avait en peur, en lui donnant le nom de saint, de le décrier et de Se compromettre. Le parlement se rapprocha du clergé ; il jugeait ce moyen utile pour fortifier son pouvoir renaissant ; d'ailleurs, il sut gré aux évêques d'avoir repoussé une tentative des jésuites. Ceux-ci avaient essayé de faire approuver une fête qu'ils introduisaient en France, et qui donnait lieu à une association de leurs partisans, nommés cordicoles, parce que la fête était en l'honneur du sacré cœur de Jésus. Bien qu'une grande partie des évêques fût disposée à favoriser les jésuites, l'assemblée du clergé n'avait pas voulu autoriser cette fête. Le parlement, reconnaissant, mit du zèle à condamner une brochure de Voltaire dirigée contre les moines[29], et dont les ecclésiastiques étaient fort irrités. Un arrêt du conseil l'avait supprimée, le parlement la lit briller : el, dans son réquisitoire, l'avocat général proclama l'étroite union de la magistrature et du clergé. Un nouveau changement pli survint dans le ministère appelle nos regards sur une partie d'administration différente de celles qui nous ont jusqu'à présent occupé. Le maréchal du Muy mourut, et le comte de Saint-Germain fut nominé ministre de la guerre (21 octobre 1775). C'était un homme fort distingué dans le métier des armes ; mais d'un caractère irritable, inconstant et bizarre. Entré for( jeune citez les jésuites, il avait quitté le noviciat pour la carrière militaire. Bientôt il était allé chercher à l'étranger un avancement rapide. Passé au service de l'électeur palatin, puis à celui de l'électeur de Bavière, il était an moment de servir sons le grand Frédéric, lorsque, effrayé de la discipline prussienne, il s'adressa an maréchal de Saxe qui l'estimait et qui le lit rentrer en France. Jamais il ne fut employé de manière à pouvoir acquérir une grande illustration ; mais il fit toujours tout ce que pouvait faire le talent et la valeur, dans les situations où il se trouvait. On lui dut d'importants services après la défaite de Rosback, à la retraite de Minden, etc. Bon et familier avec ses subordonnés, peu communicatif avec ses égaux, envieux de ses chefs, convaincu de sa supériorité, il était chéri de toute l'armée, excepté des généraux. Comme il n'était point courtisan et qu'il disait souvent des vérités caustiques[30], madame de Pompadour l'appelait le mauvais sujet. Indépendant-ment des injustices réelles dont il eut à se plaindre, une imagination ardente lui faisait voir partout des gens occupés à lui tendre des pièges, à comploter sa ruine ; et, dans son langage énergique, il disait : On me persécute à feu et à sang. Après le combat de Corback, où il avait loyalement soutenu le duc de Broglie, dont il avait ou croyait avoir à se plaindre, irrité d'un rapport qui ne lui parut pas assez élogieux pour lui, il quitta son poste, se rendit à Aix-la-Chapelle, d'où il écrivit au ministre qu'on l'avait chassé de l'armée, et demanda qu'un conseil de guerre l'Ut nommé pour le juger. En vain essaya-t-on de le calmer ; il renvoya le cordon ronge et passa en Danemark-, où il fut ministre de la guerre et commandant des armées. Une pareille conduite le rendait très-coupable : sa patrie éprouvait des revers, ses talents pouvaient lui être utiles, et il l'abandonnait. Ce fut avec raison que Louis XV, eu l'autorisant à recevoir des honneurs étrangers, déclara qu'il ne rentrerait jamais au service de France. Ses ennemis ont prétendu que ses innovations avaient bouleversé l'armée danoise : ce n'était point l'opinion générale parmi les militaires ; et le meilleur juge, le roi de Prusse, rendait justice à ses talents. Saint-Germain quitta le Danemark, non pour cause de mécontentement qu'on aurait eu de ses réformes, mais parce que la reconnaissance l'attachait au parti de Struensée et de la jeune reine. Il se retira dans un village d'Alsace qu'il rendait heureux par ses bienfaits, lorsqu'une banqueroute lui enleva sa fortune entière. Les officiers des régiments allemands qui servaient en France le prièrent d'accepter une pension de 16.000 livres. Du Muy fut très-mécontent de leur résolution ; il regardait Saint-Germain comme un déserteur et leur défendit de donner suite à cette offre ; mais, pour ne pas blesser l'opinion publique favorable à un vieillard malheureux, dont les services n'étaient point oubliés, il lui fit accorder par le roi une pension de 10.000 livres. Saint-Germain, âgé de soixante-huit ans, soutenait avec dignité ses revers ; il passait ses journées à cultiver son jardin, à écrire des mémoires militaires, à se livrer à des exercices de haute dévotion, et vivait paisiblement dans la solitude d'où il croyait ne jamais sortir, quand tout à coup il apprit sa nomination an ministère de la guerre. L'isolement où se trouvait ce vieux général rendait tin pareil choix fort étonnant ; ce qui ne l'était peut-être pas moins, c'était de voir placer à la tête des militaires français un homme, coupable d'une faute très-grave, dont on pouvait craindre l'imagination mobile, et qui, longtemps au service des étrangers, connaissait mieux leurs mœurs que les autres. On a cherché à cette nomination des causes- très-détournées. On a prétendu que Maurepas, inquiet de l'influence que Turgot et Malesherbes prenaient sur Louis XVI, avait voulu pousser secrètement aux innovations, afin d'augmenter les clameurs, de provoquer des maladresses et de finir par alarmer le roi. Ce serait pour exécuter ce dessein qu'il aurait fini nommer Saint-Germain, dont la tête vive et les goûts aventureux hu promettaient le genre de services qu'il désirait. Une rase aussi périlleuse n'est pas de celles qu'employait Maurepas. Des hommes qui passaient pour bien informés ont attribué au hasard cette nomination singulière. Malesherbes avait beaucoup d'affection pour l'abbé Dubois, frère d'un officier qu'il venait le faire nommer commandant du guet. Parlant avec cet abbé de la mort du ministre de la guerre, il lui arriva de dire qu'on était embarrassé pour le choix du successeur. Je sais bien, dit Dubois, quel est l'homme qui conviendrait et à qui on ne pensera pas. Invité à s'expliquer, l'abbé prononça le nom du comte de Saint-Germain, sous les ordres duquel avait servi son frère, qui conservait pour ce général l'attachement et l'enthousiasme que celui-ci inspirait à la plupart de ses subordonnés. Malesherbes fut frappé de l'idée d'appeler an ministère nu homme d'un grand talent, sans protecteur et sans appui : il en parla dans ce sens à Maurepas, qui trouva ce choix conforme à ses intérêts. Toutes les têtes un peu romanesques, elles étaient nombreuses, l'admiraient pour avoir proposé un choix inattendu ; Saint-Germain n'avait point de parti à la cour et ne s'unissait jamais étroitement avec Turgot et Malesherbes ; sa dévotion s'éloignait d'autant plus des philosophes, que, développée eu Allemagne, elle avait une teinte d'illuminisme. Maurepas se souvint qu'après avoir reçu sa pension, Saint-Germain lui avait envoyé, sin. l'organisation de l'armée, un mémoire qu'il n'avait pas lu : il ouvrit ce mémoire, qui lui parut plein d'idées justes ; il le fit lire à Louis XVI, qui en jugea de même, et Saint-Germain fut nommé. Le jour où ce général arriva de sa retraite à Versailles fut pour lui un jour de triomphe. Les courtisans, les femmes, s'empressaient pour le voir ; on savait que le courrier, porteur de sa nomination, l'avait trouvé occupé à planter un arbre dans son jardin : c'était un nouveau Cincinnatus ! Les nominations de Maurepas, de Turgot, de Malesherbes, étaient loin d'avoir en cet éclat. Les courtisans auraient pu s'inquiéter de voir mi militaire, sans doute peu traitable, arriver avec l'intention d'établir l'ordre dans l'armée ; mais on ne pensait point aux projets que pourrait avoir le comte de Saint-Germain ; on ne songeait qu'à sa vie romanesque ; un le regardait avec nue admiration qui tenait de la curiosité et de l'enthousiasme. La nécessité de donner à l'armée une meilleure organisation était reconnue par tous les militaires occupés de leur état. Du Muy, dans une courte administration, avait fait quelques règlements utiles ; les réformes fondamentales restaient à opérer. Saint-Germain avait une longue expérience, et son plan était bien conçu. Il se proposait de donner à tous les régiments une organisation uniforme, qui fût la plus convenable à la discipline, à l'instruction et à l'économie. En conséquence, il voulait supprimer les corps privilégiés, diminuer le nombre des officiers multipliés sans mesure, abolir la vénalité des emplois militaires, ne plus souffrir qu'on avançât sans avoir servi[31], etc. Le ministre désirait aussi qu'après avoir fait d'utiles ordonnances on assurât leur exécution et leur stabilité, en établissant un conseil chargé de recevoir toutes les plaintes, d'examiner tous les droits, et dont il faudrait demander l'avis pour modifier les règlements militaires. De grands aluns dans l'armée étaient protégés par l'intérêt et l'amour-propre des familles puissantes ; mais la sensation que Saint-Germain avait produite à la cour et dans le public lui donnaient les moyens de surmonter beaucoup d'obstacles ; il lui avait suffi de savoir demander qu'on adoptât son plan ou qu'on lui permit de se retirer. Ses projets n'étaient pas de ceux qu'il faut exécuter avec, lenteur, en y préparant par degrés les esprits, ils se liaient entre eux pour donner une organisation à l'armée, et on ne pouvait les juger sans les voir dans leur ensemble. Un officier général, honnête 'tomme, qui avait l'expérience de la cour, conseillait an nouveau ministre de ne point divulguer ses idées, de les faire adopter par le roi, et de publier le même jour toutes ses ordonnances. Saint-Germain manqua de prudence et de fermeté. Il était peu discret ; plusieurs de ses idées furent bientôt connues des personnes intéressées à les combattre. Maurepas prétendit qu'en donnant successivement les ordonnances il serait plus facile de les faire goûter ; Louis XVI partagea cet avis, et Saint-Germain ne sut pas résister. L'ordonnance relative aux corps privilégiés dont se composait la maison du roi excita des réclamations moins nombreuses que vives. On put alors juger toute la faiblesse du gouvernement. Les mousquetaires gris et les grenadiers à cheval avaient à leur tête des hommes de peu de crédit, leur suppression ne souffrit pas de difficulté. Il fallut traiter avec le capitaine des mousquetaires noirs ; on le fit consentir à la destruction de sa compagnie, en lui promettant le cordon bleu. Le maréchal de Soubise et le duc d'Aiguillon, qui commandaient les gendarmes de la garde et les chevau-légers, ne voulurent pas qu'on supprimât leurs places ; et, par accommodement, on conserva cinquante gendarmes et cinquante chevau-légers. Dès que le ministre eut laissé voir qu'on le faisait aisément céder, il lui devint impossible d'exécuter aucun plan. Depuis la révolution, quelques personnes ont accusé Saint-Germain de l'avoir prévue et d'avoir voulu laisser Louis XVI sans défense contre les agitateurs ; opinion aussi absurde que celle des hommes qui mettent au nombre des grandes causes de la révolution le ressentiment des officiers supprimés el leurs propos contre la cour. Cette réforme faisait partie d'un plan judicieux : tous les militaires connaissent les inconvénients des corps privilégiés ; et déjà plusieurs ministres, le maréchal de Belle-Isle, Choiseul, du Muy, avaient projeté de supprimer ceux dont nous parlons[32]. Toutes les idées de Saint-Germain n'étaient pas aussi cou-formes à l'inféra de l'année. Ce sévère partisan de la discipline mit les coups de plat de sabre an nombre des punitions militaires. Il y eut dans plusieurs régiments des suicides, des rébellions ; et, dans toute la France, on cita ce mot d'un grenadier : Je n'aime du sabre que le tranchant. L'ordonnance qui infligeait ce châtiment étranger porta les officiers à ne pas faire exécuter les ordres de l'autorité, et le public à louer ceux qui les enfreignaient. Cette ordonnance acheva d'avilir le métier de soldat, que dégradaient déjà les deux modes de recrutement. Le tirage de la milice admettait trop d'exceptions pour ne pas imprimer une sorte de tache à ceux qui s'y trouvaient soumis ; et l'enrôlement à prix d'argent, par la manière dont en abusaient les racoleurs, faisait entrer beaucoup de bandits dans l'armée. Il fallait qu'elle fût bien mal composée, puisqu'on y comptait annuellement quatre mille désertions à l'étranger. Lorsqu'un châtiment ignominieux devint une nouvelle cause d'éloignement pour l'état militaire, il n'y eut presque plus de jeunes gens honnêtes que le goût de la profession des armes pût décider à s'enrôler. Saint-Germain, qu'on a tant accusé de dureté, était cependant bon, humain ; un des premiers actes de son ministère abolit la peine de mort pour la désertion dans les cas ordinaires[33] ; mais il avait vécu loin de bon pays, il ne connaissait plus le caractère français ; il s'imaginait concilier la discipline et l'honneur en faisant distribuer, au lieu tic coups de bâton, des coups de plat de sabre[34]. Ce malheureux ministre fut accusé de tomber dans des contradictions perpétuelles : il ne changeait pas cependant d'opinion ; mais il laissait prendre, avec une incroyable faiblesse, des mesures contraires à celles qui venaient d'être arrêtées sur ses rapports. Il avait pourvu, par des mesures sages, à l'abolition de la vénalité des emplois militaires ; et, peu après, il ne sut point empêcher Louis XVI de vendre cent brevets de capitaines de cavalerie. An moment où il venait d'ordonner tant de suppressions, il souffrit que le marquis de Castries obtint pour tous les gendarmes de son corps le rang d'officier. Il en invita quelques-uns à dîner, et leur demanda s'ils avaient lu l'ordonnance qui les concernait. — Oui, monseigneur. — Eh bien, leur dit-il, vous êtes plus avancés que moi. L'adversité avait trouvé Saint-Germain inébranlable, la prospérité l'étourdit. Il semble qu'un changement de fortune subit, inattendu, dérangea la tête de ce vieux militaire. La peur de perdre sa place s'empara de lui. Toujours embarrassé, parce qu'il était toujours faible, il ne savait ni résister aux sollicitations de la cour ni se rendre maître de ses bureaux : il finit par demander des conseils à tout le monde et par n'être considéré de personne. Son extrême dévotion l'entraîna dans quelques fautes. Peut-être eut-il raison de supprimer l'école militaire de Paris, pour établir dix écoles dans différentes provinces. l.es élèves devenaient ainsi plus nombreux, et leurs mœurs, leurs études mènes, pouvaient gagner à ce qu'ils fussent placés hors de la capitale ; mais il leur donna pour instituteurs, pour chefs, des bénédictins et des minimes. On trouva bizarre que les jeunes militaires reçussent une éducation monacale : un an après, il rétablit l'ancienne école. Les bizarreries de Saint-Germain nuisirent à Turgot et à Malesherbes, quoiqu'il ne fit pas cause commune avec eux[35]. Ses maladresses, ses fautes, multiplièrent les clameurs contre les réformes, et sa faiblesse encouragea la résistance. Maurepas, Miroménil, Saint-Germain, avec des défauts différents, étaient de fort mauvais ministres ; Vergennes et Sartine se mêlaient peu des affaires intérieures et ne savaient conseiller que l'exercice du pouvoir absolu ; Malesherbes nourrissait toujours son désir de la retraite ; les amis du bien publie ne pouvaient avoir d'espérance que dans les lumières et la fermeté du contrôleur général. Ses travaux opéraient des améliorations nombreuses : il examina les dépenses de chaque ministère, constata les réductions dont elles étaient susceptibles, et régla les indemnités qu'exigeaient les réformes. Une sage lenteur devait y présider ; ainsi les économies de la maison du roi étaient portées à quatorze millions, et il fallait neuf ans pour les réaliser toutes. En même temps que le contrôleur général réduisait les dépenses, il augmentait les recettes. Les baux onéreux passés à diverses compagnies financières furent cassés : aussitôt des cris s'élevèrent, on prétendit que ]e ministre attentait à la propriété ; et cependant il ne compta jamais les bénéfices énormes dont étaient gorgés les traitants, pour se dispenser de les indemniser, lorsqu'il faisait rentrer l'État dans ses droits. D'autres dispositions soulageaient plus directement la misère du peuple. l,es transports qu'exigeaient le passage des troupes, et les fouilles des salpêtriers, cessèrent d'être à la charge des villages. 1,e pays de Gex était d'autant plus tourmenté par la ferme générale, que ses montagnes rendaient la surveillance difficile. C'était on bien petit pays, mais il avait Voltaire pour défenseur. Turgot, après avoir reconnu que les fermiers n'en tiraient pas plus de trente mille livres, fit autoriser les états de Gex à verser annuellement cette somme, et les affranchit de l'inquisition fiscale. C'était récompenser Voltaire d'avoir souvent consacré sa plume à défendre des opprimés ; mais un motif surtout rendait chère à Turgot cette amélioration, elle était un premier essai di, plan qu'il avait conçu pour remplacer les impôts vexatoires. Les sciences étaient appelées à seconder l'administration. Turgot chargea d'Alembert, Bossut et Condorcet de travaux relatifs à la navigation. Les lumières de Lavoisier lui furent souvent utiles. Après avoir consulté Vicq-d'Azir, il établit une école de clinique, et forma une commission qui devint la société royale de médecine. Il fit passer en Corse l'abbé Rosier pour y répandre quelques connaissances en agriculture : et des voyages scientifiques furent entrepris dans les deux Indes. Louis XVI accordait de plus en plus sa confiance au ministre qui lui procurait le plaisir de faire le bien. Voyez, dit-il un jour à Turgot qui le trouvait occupé à écrire, voyez, je travaille aussi ; et Turgot lut avec attendrissement, sur le papier que lui présentait le roi, un projet utile. Malheureusement, il ne s'agissait que de la destruction des lapins nuisibles aux champs voisins des capitaineries. Cette anecdote peint Louis XVI, sa bouté et son peu de lumières. Lorsque tant de réformes sont urgentes, il est triste de voir un roi ne pas choisir mieux le sujet de ses méditations. Maurepas éprouvait chaque jour plus d'anxiétés ; personne ne lui attribuait les améliorations qui s'opéraient, et tous ceux pli eu étaient froissés l'accusaient ; il suffisait d'ailleurs, pour exciter sa jalousie, que Turgot eût part à la confiance du monarque. Ses craintes redoublèrent au moment où le contrôleur général mit sous les yeux du roi l'état des recettes et des dépenses pour 1776. Le déficit réel ne serait plis, pour cette aimée, que de quatorze millions auxquels Turgot en ajoutait dix, afin de continuer le remboursement de la dette exigible arriérée[36]. Le crédit ranimé avait fait tomber l'intérêt à quatre pour cent. C'est à ce taux que la caisse d'escompte, qui fut autorisée sans privilège exclusif, s'engagea à prêter dix millions au gouvernement, et qu'un autre emprunt de soixante millions lia conclu en Hollande pour rembourser des fonds plus onéreux. La situation des finances attestait l'habileté de l'administrateur, et charma Louis XVI ; mais Maurepas savait qu'il est toujours possible d'attaquer les calculs d'un contrôleur général et fonda sur cette idée de grandes espérances. Parmi les intrigants qui fréquentaient Versailles, était un marquis de Pezai[37], commensal de Necker, qui lui prêtait quelquefois de l'argent. Maurepas le chargea de communiquer secrètement à deux financiers le travail de Turgot, et de leur demander des observations critiques. Ces observations furent remises au roi ; mais il n'était nullement disposé à pâlir sur des chiffres ; sa raison lui disait que le contrôleur général était un homme probe, qui faisait le Lien ; il ne voulut pas en savoir davantage, et l'intrigue échoua. Turgot s'occupait de réaliser deux des projets qui lui étaient les plus chers ; le remplacement de la corvée par un impôt que payeraient tons les propriétaires soumis aux vingtièmes, et la suppression des maitrises et des corporations. Louis XVI, après avoir entendu son ministre, lui donna une pleine approbation, convaincu que les édits qu'il allait signer contenaient deux actes de justice pour la classe nombreuse, deux des plus grands bienfaits qu'on pût répandre sur l'agriculture et sur l'industrie : il renouvela son approbation lorsque le ministre lui eut déclaré que ces édits, si nécessaires à la prospérité publique, ne seraient jamais enregistrés qu'en lit de justice. On ne pouvait douter de la résistance qu'opposerait le parlement. Déjà ce corps, à l'occasion de quelques écrits, avait manifesté sa haine pour le contrôleur général et pour ses vues politiques. Voltaire, un peu honteux d'avoir loué Maupeou, prêtait à d'utiles projets le secours de sa verve piquante : une de ses brochures demandait l'abolition de la corvée. Un jeune conseiller, dont la tête était fort exaltée, d'Esprémesnil, avait dénoncé cette brochure aux chambres assemblées (30 janvier 1776). Son discours plein de violence, accusait les économistes de former une secte qui répandait le boille dans l'État, qui voulait bouleverser les lois, et, sans nommer Turgot, il le désignait clairement à la vindicte des magistrats. L'avocat général avait répondu que le pamphlet dénoncé méritait le mépris plus que la censure, et qu'il fallait prouver sa futilité en le condamnant à l'oubli. Un ouvrage d'un ami de Turgot, sur les inconvénients des droits féodaux, avait été traité plus rigoureusement. Rien de plus conforme à l'intérêt public, à la raison, que les principes de cet écrit. L'auteur[38] ne demandait point qu'on forçât les seigneurs à recevoir le remboursement des redevances féodales ; mais il leur démontrait que, s'ils consentaient à ce remboursement, ils pouvaient y mettre un prix qui doublerait, et au-delà, leur revenu. Un de ses vœux était que le roi dolmen, dans les domaines de la couronne, l'exemple de ces arrangements bienfaisants. Des idées si justes et si simples furent repoussées avec nue hauteur dédaigneuse ; elles furent traitées de rêveries, et même de rêveries coupables. Qu'on pense à ce que sont devenus ces droits féodaux, cl qu'on juge de quel côté se trouvait la connaissance de l'intérêt public et la situation du royaume[39]. Le parlement fit brûler cet ouvrage ; Turgot et Malesherbes parvinrent seulement à empêcher qu'un décret de prise de corps ne fût lancé contre l'auteur ; et celui-ci était encore, en 1789, sous le poids d'un ajournement personnel. Le contrôleur général ne voulut point, comme on le lui conseillait, entrer en négociation avec le parlement pour faire enregistrer les édits ; il ne voulut pas même accepter les entretiens qu'on offrait de lui ménager avec quelques magistrats influents. Turgot avait plus d'expérience pour former d'utiles projets, que pour les exécuter. Son aine noble croyait trop à la puissance du juste et du vrai. Ajoutons qu'il avait une indomptable fierté, à laquelle on pourrait également donner le nom de roideur. Son caractère et ses principes lui interdisaient de prendre des précautions que la faiblesse humaine rend nécessaires pour dissiper les préjugés et désarmer les intérêts : il lui suffisait trop d'avoir raison. Le parlement, après avoir rem les édits, fit des
remontrances et d'itératives remontrances. Ce corps, qu'on avait vu lutter
contre des ministres appuis du despotisme, ne craignit pas d'offrir un
spectacle tout différent, et de faire ainsi constater que son premier mobile
était le désir d'exercer la puissance. L'édit sur la corvée qui intéressait
directement les magistrats, puisqu'ils payeraient une part de l'impôt, fin en
butte à bien plus d'objections et de censures que l'édit sur les jurandes. On
entendit, au dix-huitième siècle, le parlement de Paris répéter qu'en France
le peuple est taillable et corvéable à volonté,
et que c'est une partie de la constitution que le
roi est dans l'impuissance de changer. Louis XVI, dont la raison était convaincue de l'utilité des édits, dont le cœur était ému par l'espoir des avantages qu'en recueillerait l'État, fut très-blessé d'ente ulve des ministres excuser les refus du parlement : Je vois bien, leur dit-il avec brusquerie, qu'il n'y a ici que M. Turgot et moi qui aimions le peuple. Il répondit avec fermeté aux remontrances ; et les édits furent enregistrés en lit de justice (12 mars 1776)[40]. Ou ne manqua pas de reprocher au contrôleur général cette forme despotique ; mais il ne reconnaissait point le parlement pour l'organe des vœux de la France ; il pensait que, dans notre situation, le droit et le devoir du monarque étaient de parler en législateur ; et il ne craignait point d'employer quelques-uns des moyens de Maupeou, pour atteindre un but opposé. Le signal de la résistance ou plutôt de l'attaque était donné. Les courtisans se répandirent en épigrammes contre nu homme qui leur fermait le trésor, qui voulait supprimer les places inutiles, et forcer la noblesse à payer sa part exacte des charges publiques. La reine les encourageait : elle avait vu Turgot s'opposer à des augmentations de dépense pour sa maison, elle en avait conclu qu'il était un mauvais ministre. Les frères et les tantes du roi se prononçaient également contre le réformateur. Presque tous les ministres se lignaient pour perdre le contrôleur général. Miroménil avait combattu, sans loyauté, les édits dans le conseil : les arguments qu'il employait, et que répétèrent les remontrances, étaient concertés entre lui et plusieurs membres influents du parlement. Vergennes ne déguisait point son antipathie pour les réformes dont il était témoin. Sartine prétendait qu'en supprimant les jurandes Turgot était dupe des Anglais qui voulaient détruire notre industrie. Maurepas, en recommandant le respect pour les volontés du roi, faisait des reproches encourageants aux railleurs, et mêlait ses saillies aux épigrammes qu'on venait lui citer ; puis, avec Louis XVI, affectant d'être impartial, il louait les intentions de Turgot, de manière à donner crédit au blâme qu'encouraient ses opérations. Le clergé s'indignait qu'on osât porter atteinte aux immunités de la noblesse, craignant de voir ensuite attaquer les siennes. Turgot cependant, moins hardi que Machault, éloignait l'idée de soumettre l'église aux impôts, convaincu que le gouvernement n'était pas assez puissant pour réussir dans une telle entreprise ; mais on savait que tout privilège pécuniaire était abusif à ses veux, et c'était bien assez pour mettre en défiance le clergé qui, d'ailleurs, ne voyait en lui qu'un philosophe. Dans toutes les sociétés dévotes, on répétait que Turgot et Malesherbes avaient fait de Louis XYI un philosophe, un impie. L'intérêt, l'amour-propre, agitaient la noblesse, et l'on entendait des propos d'une incroyable absurdité. Tel noble disait : Si le roi peut nous obliger à contribuer pour la corvée, il peut donc aussi la rétablir en nature, et nous forcer à travailler sur les grandes routes ? Tel autre disait : Le contrôleur général veut que les impôts soient payés par tous les Français, il nous soumettra clone à la taille ? Les traitants étaient ulcérés, dès longtemps, contre un ministre qui voulait simplifier les impôts, qui réprimait l'arbitraire du pouvoir fiscal, et qui, en relevant le crédit, affranchissait le trésor de leurs spéculations désastreuses[41]. Mais ce n'était plus seulement de riches financiers qui l'accusaient d'être le spoliateur de leur fortune ; le même cri était poussé par une foule de maîtres des métiers, de syndics, de chefs des corporations, effrayés d'une concurrence qui menaçait leur ignorance et leur cupidité. L'industrie, les richesses de la France, étaient perdues, à les en croire, si l'on ne rétablissait un monopole qui leur permettait d'acheter à bas prix le travail et de vendre cher les produits. II y avait toujours eu des pamphlets clandestins contre Turgot : on les multiplia, on en distribua gratis à Paris et dans les provinces. Ces pamphlets déchiraient aussi Malesherbes, n'épargnaient point Maurepas, et quelques-uns outrageaient Louis XVI. Un grand nombre de personnes paisibles et peu éclairées, que tout changement inquiète, étaient d'autant plus disposées à s'alarmer des innovations de Turgot, qu'indépendamment de ses projets réels la calomnie lui en prêtait d'absurdes et de coupables. Toutes les folles idées contenues dans les écrits de soi-disant philosophes passaient, aux yeux de la sottise, pour appartenir à l'école de Turgot. On ne rencontrait pas, dans Paris, un rêveur qui n'assurât que ses plans de réforme étaient très-pâtés du contrôleur général. Les choses en vinrent au point qu'un de ses biographes dit : Pour que la clameur publique s'élevât contre une opinion, il suffisait qu'on le soupçonnât de la partager ; et on lui attribuait toutes celles qu'on croyait propres à le rendre odieux. Louis XVI, que son éducation avait si peu formé pour les travaux du gouvernement, se fatiguait. du soin que Turgot mettait à l'instruire : Ah ! lui dit-il un jour, encore un Mémoire ! Cependant son désir du bonheur général apaisait bientôt ses mouvements d'humeur contre un ministre dont il estimait le zèle et l'intégrité. Louis XVI entendait des accusations, des murmures ; mais il voyait l'économie rétablir les finances, l'équité poursuivre lés abus et préparer à son peuple des destinées prospères. Au milieu des intrigues qui se multipliaient près du trône, le roi eut quelques jours de fermeté, et d'autres de pénible irrésolution. Tandis que l'orage grossissait, Turgot ne prit contre ses adversaires qu'une précaution bien étrange. Depuis longtemps il négligeait de suivre l'espèce d'injonction faite par Maurepas aux ministres de ne travailler qu'en sa présence avec le roi. Turgot s'imagina qu'en s'y conformant il dissiperait les préventions de cet homme si jaloux da pouvoir ; et dès lors il s'interdit tout entretien particulier avec Louis XVI. C'était peu connaître l'aine d'un vieux courtisan, et c'était commettre une faute très-grave que d'abandonner ainsi le seul moyen d'éclairer Louis XVI sur les pièges dont on l'environnait. Turgot vécut plus que jamais solitaire, et fit encore plusieurs améliorations importantes. Malesherbes était loin de conserver la même impassibilité. Le spectacle qui l'entourait excitait son dégoût ; il cessait de croire que le bien fût possible, le découragement s'emparait de son âme. Il disait à quelques amis : Turgot fait des économies, vous croyez qu'elles profiteront au peuple, au trésor ; détrompez-vous, ses économies seront la proie du gaspillage. Le parti de la retraite lui paraissait le seul raisonnable ; il ne songeait qu'à recouvrer sa liberté. Dans Malesherbes ministre, on voit toujours l'honnête homme, mais on ne trouve plus l'intrépide magistrat. Turgot, en le pressant de rester, au nom de tous ses devoirs, obtint seulement qu'avant de donner sa démission il laisserait le temps de lui trouver un successeur. Ah ! c'était abandonner son poste au moment décisif et lorsqu'il eût fallu puiser dans les obstacles une énergie nouvelle. Si Malesherbes se fût jeté aux pieds de Louis XVI pour l'éclairer sur le danger de l'État, il n'y fût pas tombé dans des circonstances bien autrement cruelles, impossibles alors à prévoir. Des deux ministres sur lesquels reposaient les destinées de la France, l'un cessait d'avoir des entretiens avec le roi, et l'autre se retirait. Ce dernier ne put meule tenir la promesse d'attendre quelques jours. Maurepas, enchanté d'une conversation dans laquelle il venait de produire sur Louis XVI une vire impression, en dénigrant Turgot avec adresse, jugea qu'il fallait brusquer les événements, et se hôtel' d'éloigner Malesherbes qui pouvait encore désabuser le roi. Le vieux courtisan sortit de son caractère ou feignit d'en sortir ; il eut avec Malesherbes une altercation assez vive pour que celui-ci crût de sa dignité d'envoyer sa démission sur-le-champ. Louis XVI le pressa de la reprendre, lui parla avec affection ; et, ne réussissant pas à le retenir, lui dit ces mots touchants : Vous êtes plus heureux que moi, rouis pouvez, abdiquer. Cet entretien prouve quel ascendant les deux ministres auraient exercé si l'un avait eu plus de résolution et si l'autre eût mieux connu la cour. Turgot fut prévenu qu'il devait offrir sa démission, pour éviter l'ordre de la donner : il aurait cru faire un acte de faiblesse en se retirant volontairement ; il attendit et reçut l'ordre qui lui était annoncé. Dans la lettre qu'il écrivit à Louis XVI, on lit : Tout mon désir est que vous puissiez toujours croire que j'avais mal vu, et que je vous montrais des dangers chimériques. Je souhaite que le temps ne nie justifie pas, et que votre règne soit aussi heureux, aussi tranquille, pour vous que pour vos peuples, qu'ils se le sont promis d'après vos principes de justice et de bienfaisance. Aussitôt que le renvoi de Turgot fut connu, il y eut une explosion de joie à la cour et dans les nombreuses sociétés de Versailles et de la capitale ; on voyait, dans les promenades, des gens s'aborder eu se félicitant. La plupart des hommes éclairés gardaient un morne silence, et tous portaient vers l'avenir des regards inquiets. Le 12 mai 1770, jour du renvoi de Turgot, est une des époques les plus fatales pour la France. Ce ministre, supérieur ii son siècle, voulait faire sans secousse, par la puissance d'un roi législateur, les changements qui pouvaient seuls nous garantir des révolutions. Ses contemporains, égoïstes et superficiels, ne le comprirent point ; et nous avons expié, par de longues calamités, leur dédain pour les vertus et les lumières de cet homme d'État. |
[1] Ancien sous-précepteur de Louis XVI.
[2] En 1794, cet homme vénérable, âgé de quatre-vingt-trois ans, accablé d'infirmités, fut jeté dans une prison de Paris, où, peu de jours après, il expira sans secours.
[3] C'était un droit payé à l'avènement du roi pour obtenir la confirmation d'un grand nombre d'offices et de privilèges. Cet impôt n'étant pas reconnu du parlement, il était levé sans être enregistré. Sous Louis XV, ou lui avait donné une grande extension ; il fut affermé vingt millions, et il est assez bien prouvé que les fermiers en perçurent quarante et un.
Marie-Antoinette abandonna un droit beaucoup moins important, qu'on appelait droit de ceinture de la reine.
[4] Il répondit un jour très-durement à un jeune seigneur qui lui demanda s'il avait lu les Mémoires de Beaumarchais.
[5] Petite reine de vingt ans
Vous qui traitez si mal les gens,
Vous repasserez ta barrière..., etc.
Quelques personnes, qui, sans doute, prenaient cette chanson à la lettre, ont prétendu que, dans les commencements du règne de Louis XVI, il existait à la cour un complot pour faire renvoyer Marie-Antoinette en Autriche : cela est aussi faux qu'invraisemblable.
[6] Le vieux ministre éprouvait de l'attachement pour la femme qui ne l'avait jamais quitté durant son exil ; puis, sil eût fallu contester, son repos eût été troublé ; il s'empressait d'obéir chez lui, par le même mcnil qui lui faisait désirer de dominer partout ailleurs.
[7] Il mourut en 1702, âgé de 78 ans. Peu de temps avant sa mort, il avait fait un don patriotique de huit cent mille livres.
[8] Cet exempt se nommait Bouteille ; son nom, prêtant à la plaisanterie, n'a pas peu contribué à le faire huer ; un caustique a dit qu'il fallait casser la bouteille, et on l'a cassée. (Journal historique.)
[9] Le ministère de la marine fut donné au lieutenant de police Sartine, qui dut cette place à madame de Maurepas.
[10] Particularités et observations sur les ministres des finances, etc., p. 174.
[11] Les élections attachent les citoyens à leur pays et leur donnent une juste fierté ; mais elles excitent des intrigues. des divisions et des haines. Aussi, quand elles sont trop multipliées. les hommes paisibles finissent-ils par les abandonner aux gens turbulents. Turgot espérait obtenir les avantages et prévenir les inconvénients dont je parle, en n'établissant l'élection directe que pour les municipalités de commune ; chaque administration supérieure aurait été nominée par l'administration immédiatement inférieure. Turgot trouvait aussi dans ce mode l'avantage que plus les élections devenaient importantes, plus les électeurs étaient éclairés.
[12] A ce plan, Turgot liait un projet pour améliorer l'éducation. Il met-lait la plus hante importance à tinter un conseil qui serait chargé d'im primer une direction morale à tous les établissements d'instruction, depuis les écoles de village, jusqu'aux académies. Le but commun qu'il voulait donner à ces divers établissements était d'instruire les hommes de leurs devoirs et de les leur raire aimer. Turgot espérait voir Malesherbes à la tête de ce conseil.
[13] On les rétablit neuf mois après.
[14] On y parle de rouer, de pendre, de brider Maupeou et Terray.
[15] C'est ce duc de la Rochefoucauld, homme d'un caractère élevé, qui fut membre de l'Assemblée constituante, puis président du département de Paris, et qui fut égorgé à Gisors après la révolution du 10 août.
[16] Pour donner une idée des entraves auxquelles était assujetti le commerce des grains, je citerai ce qu'en rapporte Dupont de Semours, pour la ville de Rouen : Ce commerce y était exclusivement confié à une compagnie de cent douze marchands privilégiés et créés en titre d'office, pli non-seulement jouissaient du droit de vendre du grain et d'en tenir magasin dans la ville, mais qui avaient seuls la permission d'acheter relui qu'apportaient les laboureurs et les marchands étrangers, et de le vendre ensuite aux boulangers et aux habitans qui ne pouvaient. en aucun ras, acheter de la première main. Le monopole des marchands privilégiés de Rouen ne se bornait même pas là ; il s'étendait jusque sur les marchés d'Andelys, d'Elbeuf, de Duclair et de Candebec, qui sont les plus considérables de la province, et dans lesquels la compagnie de Rouen trait seule le droit d'acheter. A ces privilèges exclusifs si nuisibles à l'approvisionnement de la ville de Rouen, se joignait le privilège exclusif d'une autre compagnie de quatre-vingt-dix officiers porteurs. chargeurs et déchargeurs de grains, qui pouvaient seuls se mêler du transport de cette denrée, et devaient y trouver, outre le salaire de leur travail, l'intérêt de leurs finances, et la rétribution convenable au titre d'officiers du roi. Ce n'était pas tout : la ville de Rouen possède cinq moulins qui jouissaient du droit de banalité sur tous les grains destinés à la consommation de la ville. Ces moulins ne pouvaient suffire à la mouture d'une aussi grande quantité de grains que celle qui est nécessaire à la subsistance du peuple de Rouen : ils se faisaient payer par les boulangers de la ville, qu'ils ne pouvaient servir, la permission de faire moudre ailleurs ; et les boulangers des faubourgs, qui n'était pas directement soumis il la banalité, s'y trouvaient assujettis indirectement, avec surcharge. par l'obligation qu'on règlement de police leur imposait de fournir le pain sur le pied de dix-huit onces par livre, an même prix que les boulangers de la ville, qui n'étaient tenus qu'à la livre de seize onces ; ce qui montre que ceux-ci faisaient payer seize onces de pain à la véritable valeur de dix-huit onces, on sur le pied du huitième en sus de la valeur naturelle que cette denrée si nécessaire aurait dû avoir, même soumise au double monopole des marchands privilégiés et des officiers porteurs. C'était au milieu de ces entraves, et au prix de ces surcharg.es, qu'on mangeait du pain à Rouen.
[17] Dans son administration, Necker se montra toujours partisan de la liberté du commerce intérieur des grains. Il dit, dans l'arrêt du 26 septembre 1777 : Sa Majesté entend qu'il ne soit apporté aucun obstacle à la circulation de toute espèce de grains, dans toute l'étendue du royaume. Son opinion se trouve résumée dans une phrase du Compte rendu : Il faut autoriser et protéger !a plus grande liberté dans l'intérieur ; mais l'exportation ne peut jamais être permise en tout temps et sans limites.
[18] L'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, chargé de revoir le manuscrit de l'instruction aux curés, ajouta cette phrase ; Turgot n'en est pas moins blâmable de l'avoir adoptée. Le prélat dont je parle se mêlait beaucoup d'administration et d'intrigue. Il voyait souvent Maurepas, et souvent aussi Turgot qu'il entretenait de ses vues de bien public. Ce fut lui qui, le premier, donna l'exemple de faire transporter les cimetières hors des villes (1774). Il avait, pour l'extinction de la mendicité, un projet auquel il attachait une grande importance. Il saisissait toutes les occasions de se faire remarquer, et déjà ses affidés répandaient le bruit qu'il allait être appelé au ministère.
[19] Un boulanger se garantit du pillage par une ruse ingénieuse ; il ferma sa boutique, et mit sur la porte : Boutique à louer.
[20] Il dit, dans un mémoire au roi, que la tolérance doit paraitre utile en politique à un prince incrédule, mais qu'elle doit être regardée comme un devoir sacré par un prince religieux.
[21] Confiant dans ses principes sur la liberté du commerce. Turgot voulut que l'autorité ne fit pas d'approvisionnement pour le séjour de Louis XVI à Reims. Celte détermination dut paraître fort imprudente, car on était accoutumé à faire des approvisionnements pour un simple voyage de Fontainebleau. Le contrôleur général ne prit d'autre précaution que de suspendre l'octroi de Peinas ; ses espérances furent justifiées.
[22] Malesherbes, dans un discours où il loue les intentions et les vues que Louis XVI annonce, dit : C'était un roi législateur que nous demandions. La phrase suivante se trouvait dans des notes confiées par Turgot à Dupont de Nemours pour rédiger un mémoire : La cause du mal, sire, est que votre nation n'a pas une constitution.
[23] Malesherbes n'avait jamais pensé que de telles réformes pussent are opérées en un jour ; il avait dit à la Cour des aides : Si l'on ne peut abolir toutes les lois rigoureuses, ce qui exige du temps et de grands travaux, on obtiendra tous les soulagements qu'on doit attendre de l'humanité éclairée du roi.
[24] Je remets au livre suivant à parler de la naissance de cette société, afin de ne pas séparer quelques détails sur l'intérieur de la cour.
[25] Ce militaire avait commandé dans plusieurs de nos îles.
[26] Gaillard.
[27] Un jeune officier aspirait à la main d'une riche héritière ; pour l'obtenir, il fallait que le roi lui accordât une pension très-considérable. La princesse de Tingry pressa vivement Turgot d'arranger cette affaire ; mais le contrôleur général répondit par un refus positif. Sans se déconcerter, l'active protectrice s'adressa à Malesherbes, et ne lui parla point de sa première démarche. Ce ministre, touché des motifs qu'elle sut faire valoir, alla directement au roi, qui ne résista pas à sa prière. En apprenant ce qui venait de se passer, Turgot dit sèchement à Malesherbes que, lorsqu'on veut mettre un terme aux faveurs ruineuses, il faut ne point faire d'exception, qu'une seule suffit pour encourager toutes les prétentions et pour justifier tous les cris.
[28] En 1776, il y eut un jubilé ; les philosophes se flattaient qu'il serait peu suivi, il le fut beaucoup. Les sentiments de dévotion étaient plus répandus que ne le croyaient les adversaires du clergé, et que lui-même ne le disait. Puis la haine que bien des personnes portaient à un ministère qui s'occupait de la réforme des abus, les secours qu'elles attendaient du clergé, contribuèrent à grossir la foule dans les églises. Enfin, d'autres personnes s'y faisaient voir pour échapper à l'accusation d'impiété. Madame Geoffrin, si connue par ses relations avec les philosophes, mourut d'un refroidissement qu'elle prit au sermon.
[29] Diatribe à l'ardeur des Éphémérides.
[30] Un jour qu'il dînait avec M*** chez le général de l'armée, celui-ci les quitta en sortant de table, pour aller, prétendait-il, écrire à la cour. M***, la voyant rentrer dans son cabinet, dit au comte de Saint-Germain : Que peut-il mander à la cour ? il ne se passe rien, et cependant il écrit continuellement. — Je vais avoir l'honneur de vous le dire, répond le comte. Il mande : Je me suis levé aujourd'hui à neuf heures, après avoir dormi, et même ronflé ; j'ai été faire, à dix heures, une reconnaissance dans laquelle je n'ai rien vu. Je suis rentré au quartier-général à onze heures, on m'a fait la barbe, et mon valet de chambre, en frisant nia perruque, au lieu de commencer par le coté droit, selon son usage, a commencé par le côté gauche. Le ministre lui répond : Votre dépêche du ....., qui est fort intéressante, nous a suggéré des réflexions profondes, qu'il est bon de vous communiquer. Pourquoi ne vous êtes-vous pas levé à huit heures ? vous auriez pu faire à neuf, et non à dix, la reconnaissance dont vous parlez, et dites laquelle vous eussiez peut-être vu quelque chose, Il est tout simple qu'on vous ait taillé, surtout si votre barbe était longue ; Dieu qu'on ne vous ait pas écorché ! Mais il est extraordinaire que votre valet de chambre ait dérogé à son usage, en commençant à papilloter votre perruque du côté gauche. Comme le roi en a été surpris, vous voudrez bien m'en mander les raisons par un courrier exprès, afin que je puisse, au plus tôt, en rendre compte à sa Majesté, dont je vous ferai savoir les intentions ultérieures. Le général réplique au ministre : Vous voudrez bien observer que je n'ai pas dit qu'on eût mis des papillotes à ma perruque, mais seulement qu'on l'avait frisée, ce qui est très-différent ; et, quoiqu'on ait commencé par le côté gauche, vous pouvez tranquilliser le roi, et l'assurer qu'il n'en résultera aucun inconvénient essentiel. Telle est, monsieur, la correspondance de la plupart de des généraux avec la cour. (Vie du comte de Saint-Germain, en tête de sa Correspondance particulière avec Paris Duverney, p. 16.)
[31] L'armée était de deux cent dix-sept mille hommes, et l'on comptait soixante mille officiers en activité ou en retraite. D'après le règlement du 17 avril 1772, un régiment de cavalerie se composait de quatre cent quatre-vingt-deux hommes ; sur ce nombre, il y avait cent quarante-six officiers et bas officiels, ce qui fait à peu près un chef pour trois soldats. A une belle époque de l'armée française, sous Turenne, une compagnie d'infanterie n'avait qu'un capitaine, un lieutenant et un sous-lieutenant : mais, après les désastres de Louis XIV, quand la fisc obéré eut recours aux plus funestes ressources ; quand on vendit tant de charges onéreuses pour l'industrie, on vendit en quelque sorte l'armée. Le droit de former une compagnie s'acheta, avec autorisation, pour celui qui devenait capitaine, de vendre les grades inférieurs ; et on le laissait libre d'en vendre trop, afin que ses bénéfices excitassent d'autres hommes à faire des spéculations du même genre. La faveur vint ajouter aux vices de ce régime. D'un côté, le désir d'avoir des grades, de l'autre, le désir de se faire des créatures, multiplièrent les officiers. Le maréchal du Muy diminua le nombre des colonels ; cependant, il y avait toujours des colonels propriétaires des colonels commandants, des colonels en second, des colonels en troisième, des colonels par commission, des colonels à la suite des régiments et des colonels attachés à l'armée. Il y avait aussi des lieutenants-colonels, des majors-colonels, des capitaines-colonels, des sous-lieutenants-colonels, etc. Les abus étaient a peu près les mêmes pour les places de capitaines. Ce qui complétait un pareil désordre, c'est que le titre suffisait pour donner droit à l'avancement. On vendait de grandes charges de l'armée, et les acquéreurs pouvaient, sans avoir fait aucun service, devenir officiers généraux.
[32] Besenval, qui fut un des adversaires de la révolution, et qui avait à se plaindre de Saint-Germain, n'en a pas moins écrit : Ses premières opérations devaient être la réforme de tous ces corps de faste et à privilèges, de ces charges honoraires contraires à la discipline, à l'administration ; vices opposés à tout principe, ruineux pour le roi, mortifiants pour les autres troupes sur qui tombe le fardeau des guerres, et qui se voient enlever les récompenses par ces corps privilégiés, sans aucun mérite particulier. (Mémoires.)
[33] La peine capitale contre les déserteurs fut établie en 1730. Louis XIV, qui l'on avait plusieurs fois proposé cette disposition terrible, l'avait constamment repoussée.
[34] Il fit des actes fort singulier, dont quelques-uns prêtaient au ridicule. Il voulut, par son ordonnance sur l'habillement des troupes, faire porter aux soldats des chapeaux à quatre cornes.
[35] Il passa encore quinze mois au ministre, après leur retraite. La sienne eut lieu au commencement, de septembre 1777. Sa disgrâce l'accabla, il ne put y survivre six mois.
[36] Monthyon dit, par erreur, que Turgot ne s'occupa point du remboursement des dettes. M. Bailly, dans son Histoire financière de la France, prouve le contraire par l'état au vrai de 1775. D'après les notes de Dupont de Nemours, Turgot, dans une administration de vingt mois, a payé :
Sur la dette exigible arriérée, environ : 24 millions.
Sur les anticipations : 28 millions.
Sur la dette constituée : 50 millions
Total : 102 millions.
[37] Ce marquis, fils d'un Genevois nommé, Masson qui s'était enrichi dans des places de finance, s'est mêlé de beaucoup d'intrigues au commencement du règne de Louis XVI. Il faisait de petits vers, et il avait acheté une charge d'aide-maréchal-des-logis ; il se croyait poète, et destiné à devenir ministre de la guerre. Cc personnage singulier avait iule correspondance secrète avec le roi. Maurepas la découvrit, et voulut d'abord accabler Pesai sous les traits du ridicule ; mais il se ravisa, et jugea qu'il valait mieux s'entendre avec lui. Pesai avait de l'esprit et de l'effronterie ; il ne se bornait pas toujours, dans sa correspondance, à donner des nouvelles ; il prenait quelquefois le ton d'un mentor. Un jour, il écrivit à Louis XVI : Vous ne pouvez régner par la grâce, sire, la nature vous l'a refusée ; imposez-en par une grande sévérité de principes. Votre Majesté va tantôt à une course de chevaux ; elle trouvera un notaire qui écrira les paris de M. le comte d'Artois et de M. le duc d'Orléans ; dites, sire, en le voyant, pourquoi cet homme ? faut-il écrire entre gentilshommes ? la parole suffit. Le prince de Ligne, à qui j'emprunte cette anecdote, ajoute : Cela arriva, j'y étais. On s'écria : Quelle justesse ! et quel grand mot du roi ! voilà son genre !
[38] Boncerf, premier commis des finances.
[39] Le duc de Nivernais était un des grands seigneurs les plus éclairés ; cependant, Turgot lui ayant un jour demandé, en présence de Louis XVI, ce qu'il pensait de l'ouvrage sur les droits féodaux, avec l'espérance que la réponse serait favorable et produirait une bonne impression sur le roi : Monsieur, répondit le duc, l'auteur est un fou ; mais on voit bien que ce n'est pas un fou fieffé. Ce jeu de mots fit beaucoup rire Louis XVI.
[40] Le prince de Conti fit alors ses dernières armes : il alla, quoique fort malade, au parlement, pour échauffer les esprits et pour protester contre le lit de justice. Il mourut le 2 août. Ce prince, à (pli tous les genres d'opposition plaisaient, donna beaucoup d'ennui à l'archevêque de Paris, qui voulait le déterminer à recevoir les sacrements, et qui se vit interdire la porte du palais, en présence d'une foule de curieux assemblés dans la rue.
[41] Un financier disait naïvement : Pourquoi changer, ne sommes-nous pas bien ?