LES FEMMES DE LA RENAISSANCE

LIVRE III. — L'INFLUENCE DES FEMMES

 

CHAPITRE V. — L'INFLUENCE RELIGIEUSE.

 

 

Le grand effort que nous avons cherché à peindre aboutissait, en somme, à une profonde révolution religieuse ; il partait d'une crise de croyance, il menait à une transformation du christianisme, par le sacerdoce féminin.

En réalité, le féminisme exaltait l'âme plus que la femme. La femme naît pour être entretenue ; à défaut d'homme, elle s'appuie sur Dieu ; de sorte que, fatalement, sa religion de beauté devait conclure à de mystiques épousailles, à un grand acte de sensibilité religieuse, à un développement de la charité et de l'espérance sur la base du dogme défini, à l'habile traduction des impressions de l'au-delà par des signes extérieurs.

Que les femmes se jetassent avec passion dans la sensibilité religieuse, il fallait bien s'y attendre. C'est leur habitude[1]. Même sans parler des dévotes de sacristie, les femmes aiment à se croire reines par la grâce de Dieu. L'incompréhensible qui irrite les hommes, les fascine, elles éprouvent une singulière jouissance à remuer des mystères. Comme nous l'avons dit, au moment de la crise religieuse, telle courtisane émit sur la direction des affaires ecclésiastiques les avis les plus judicieux[2].

Dans l'Eglise, il était de « tradition » absolue de se méfier de l'ingérence des femmes, et vraiment on pouvait considérer le monde ecclésiastique comme la citadelle de l'antiféminisme. La religion avait pris une tournure raisonneuse et théologique ; elle ne connaissait qu'une morale, elle appliquait aux femmes du monde et aux âmes les plus hautes les règles enseignées dans les faubourgs. Erasme répète encore avec complaisance la maxime de saint Paul : « Le Christ est la tête de l'homme, l'homme la tête de la femme ; l'homme est l'image et la gloire de Dieu ; la femme, la gloire de l'homme[3]. » Ç'a été pour les Pères de l'Eglise une vieille habitude — qui remontait au Sage des Sages, à Salomon ! — de comparer les femmes, et même la sainte Vierge, à la lune. De la littérature sacrée, cette comparaison, ou ce rapprochement, passa dans la littérature profane, qui en a usé et abusé. Rabelais prétend que les femmes jouent à cache-cache avec leur mari, comme la lune avec le soleil ; Boccace, Brantôme rééditent ce vieux proverbe, que la vertu des femmes aurait besoin de se reformer et de renaître tous les mois comme la lune[4] ; tel poète cri tique la lune, pâle comme un amour de femme[5], tel autre l'adore blanche comme sa bien-aimée[6].

Les platonistes aiment assez cette comparaison fantasmagorique, qui probablement leur figurait tout un monde de fraîcheur et de joies domestiques.

Le bon Dolce lui-même estime que la lune est femme. « La nuit, dit-il, elle filtre partout, en dépit des volets et des persiennes, elle inspire les idées des maris[7]. » En France, au temps de la belle Diane, la lune l'emporta sur le soleil : le roi arbora des croissants entrelacés[8]. Mais l'Eglise ne va pas jusque-là. Elle exclut les femmes du sacerdoce ; traditionnellement, elle ne leur permet rien, sauf la piété individuelle[9], tout au plus l'héroïsme, comme chez sainte Catherine de Sienne, la femme au souvenir lumineux[10]. Il fallait donc que, laissant là, une bonne fois, les éminents dogmaticiens et subtils moralistes, les femmes renouvelassent tout, pour se faire leur place dans un ordre d'idées absolument nouveau.

Beaucoup d'esprits éclairés dans l'Eglise même appelaient ce renouvellement.

La lassitude, le dégoût qu'on éprouvait pour certaines petitesses de la pratique, pour le raisonnement, pour la morale glacée, avaient fait disparaître ou à peu près l'esprit de foi et la foi ; le beau devint facilement la règle théologique. Seulement les uns cherchèrent leur théologie dans les abstractions, les autres dans la jouissance d'art. La chute de Savonarole précipita le mouvement dans le sens de l'art. Ses amis se découragèrent. Michel-Ange s'attache au Christ douloureux et sanglant, « comme l'esquif au port[11] », sa foi est devenue confiance, la théologie dogmatique ne lui inspire plus aucun goût.

Bien loin de se sentir atteinte par cet air philosophique, la vieille et éternelle Rome s'en estimait rajeunie. « Je suis chrétien-platonicien, » avaient dit les premiers platoniciens. Trop fiers pour aimer les petits moyens et l'abus matériel des pratiques, ces prélats-philosophes voulaient faire régner 1'Eglise par la liberté, non pas par l'anémie des consciences.

La philosophie nouvelle se déclarait plus chrétienne que celle d'Aristote et s'inclinait devant les dogmes officiels, comme le prêtre à l'autel, en se déclarant « indigne », devant des dogmes d'une autorité presque insolente, farouches, intangibles, mais corrigés par la tendresse. La religion nouvelle, c'est la philosophie du Pater. Il suffit de réciter le Pater avec l'esprit d'amour qui lui convient : Dieu bon et paternel, qui donne la vie, parce qu'il est la vie même ! Dieu céleste et idéal, dont la volonté doit être faite, parce que c'est la règle même de l'amour d'avoir sa volonté hors de soi, dans celui qu'on aime. Nous aimons, non point les idoles du monde, l'or ou l'argent, mais l'amour et la miséricorde ; le pain quotidien nous suffit, l'amour a détendu nos ressorts d'ambition ; pleins de douceur et de dignité, ennemis de l'intrigue, nous avons à répandre dans le monde cette même douceur et l'indulgence qu'elle comporte ; que Dieu nous pardonne, à nous aussi, le mal, si nous le commettons. Que sur notre route sa providence ne mette pas la tentation, afin de nous épargner d'y succomber !

Dieu est tout amour et toute vie ; il n'a pas voulu nous trahir en nous tendant des rets ; sa religion ne peut être que la plus parfaite mise en œuvre de la loi naturelle. La sagesse religieuse n'est pas une sagesse de découragement et d'abdication individuelle.

Il y a, dans la religion, une partie positive, de foi, bonne à abandonner aux raisonneurs et aux théologiens, car elle soulève des problèmes insondables ; puis, des principes de morale pratique, qui ont le bonheur de l'homme pour objet.

Sur le second point, l'Evangile nous laisse une grande liberté : pour la beauté, il n'a point de dogmes ; il s'est borné à nous léguer l'amour, non pas un amour plus ou moins mêlé d'égoïsme, de vanité ou d'intérêt, mais un amour général, pour Dieu, pour nos semblables, résultant d'un culte intime.

Dès lors, à quoi bon de subtiles chicanes ? ou un étroit esclavage ? Aimez, et allez droit votre chemin, voilà la formule nouvelle, très active, puis-convertit les dogmes en sentiments, et que, par conséquent, elle leur donne une action directe sur la vie ; très philosophique, car rien n'est aussi personnel, aussi individuel que le sentiment. Et, comme le dit Montaigne, « c'est une très bonne et très louable entreprise d'accommoder au service de notre foi les outils naturels et humains que Dieu nous a donnés... Si nous tenions à Dieu par l'entremise d'une foi vive, si nous tenions à Dieu par lui, non par nous... l'amour de la nouveauté, la contrainte des princes, la bonne fortune d'un parti, le changement téméraire et fortuit de nos opinions n'auraient pas la force de secouer et altérer notre créance[12]. »

La foi est la meilleure et presque l'unique garantie de la liberté de penser.

Voilà pourquoi, dans les appartements officiels du pape, l'Ecole d'Athènes, éclectique hommage à l'esprit philosophique, fait pendant à la Dispute du saint Sacrement, synthèse de l'esprit de foi, et pourquoi le Parnasse semble les unir. Personne ne trouvait à redire à cette alliance. Erasme insiste sur ce que le christianisme et Platon s'harmonisent à merveille, en vue du bonheur[13] ; Cornelius Agrippa lui-même, à qui il arrive d'appeler Platon un « maître d'erreurs[14] », attribue à Socrate une inspiration divine[15].

Léon X agissait comme pape en patronnant Platon[16].

On a plaidé en sa faveur les circonstances atténuantes ; comme la tradition romaine excelle à s'accommoder aux besoins de chaque temps, quelques écrivains catholiques ont pensé que l'alliance des prélats romains avec le nouveau culte esthétique avait été une œuvre de raison et de circonstances. Il nous semble qu'au contraire Rome, pétrie depuis un siècle et demi de fortes études[17], s'était mise à la tête du mouvement. A tort ou à raison, elle crut que la religion est l'art de vivre, librement, en paix. « L'âme est bien au-dessus de l'intelligence[18]. »

En vertu de cette maxime, apparurent, chaleureusement liguées avec les prélats pour réformer la pratique chrétienne et lui restituer son impulsion primitive, les femmes, platonistes ou non, qu'on a appelées « bibliennes » et que nous appellerions plus volontiers Mères de l'Eglise. Aujourd'hui on s'attache assez volontiers aux côtés extérieurs et pittoresques de la Bible ; on la lit comme une histoire arrivée ; on aime une illustration réaliste. Les « bibliennes », à leur façon, cherchèrent aussi des impressions, plutôt qu'une doctrine ; car ce qu'elles appellent « ma religion », c'est la doctrine des autres, sur laquelle elles évoluent comme des patineuses. Ce qui leur importe dans l'Evangile, c'est la philosophie[19]. Elles veulent en profiter suivant leur système, c'est-à-dire par l'intuition, par (les voix d'en haut. La foi dans la sorcellerie fleurissait plus que jamais, et il semblait tout naturel de considérer les femmes comme les interprètes spéciales de l'au-delà[20]. Les sanglantes persécutions du XVIe siècle ne réussirent pas à déraciner la croyance aux sorcières, qui se prêtaient parfois à des sabbats ignominieux, mais qu'on allait le plus habituellement consulter pour se faire dire la bonne aventure, pour conjurer des sorts de toute espèce — à moins que ce ne fût pour les jeter —, pour traiter des maladies[21], pour obtenir le beau temps, etc.[22]. L'immense ambition de Jules II venait, disait-on, de la prédiction d'une sorcière qui lui avait dit de ne rien craindre, qu'il obtiendrait la tiare et la domination universelle[23]. Les sorcières déchaînaient le diable, ou le retiraient, à volonté. Leur pouvoir était donc mauvais, mais surnaturel. On disait « une sorcière » ; dans certains pays, le mot « sorcier » n'existait même pas. Si la sorcière incarnait, pour les crédules, l'aptitude particulière des femmes à la médecine et à la religion, cela n'était pas absolument faux, et on pouvait se figurer les femmes comme aptes à l'exercice du pouvoir surnaturel. Il était à la mode d'exalter les antiques sibylles, sur le même pied que les prophètes[24]. Ces êtres fameux donnaient le contact entre l'antiquité et le christianisme ; au lieu de peindre, comme le voulait Jules II, les douze Apôtres, autrement dit les ministres actifs de la foi, Michel-Ange, hardiment, triomphalement, étala sur les voûtes de la Sixtine sept prophètes et cinq sibylles, c'est-à-dire les ministres de l'intuition.

Ainsi, les femmes se substituent aux prêtres comme aux médecins, par horreur du matérialisme et du métier, par devoir, par esprit de liberté, par charité, sans prétention à l'étude des grands problèmes, mais dans un but d'hygiène, pour défendre la jeunesse et la beauté de leur âme. Apôtres de la religion aimable, de la religion souriante, elles s'adressent aux misères qui frappent surtout ceux qu'on appelle les heureux ; les malheureux sans doute n'ont pas le temps de penser à leurs maux ; il a toujours été bien plus difficile de guérir les riches, les bien portants, les jeunes...

L'idée du sacerdoce féminin pénétra très facilement en Italie : « On ne voit Dieu que par les femmes. » Les femmes s'adressèrent aux hommes d'élite, philosophes, écrivains, prédicateurs, hommes d'action, qui voulaient voir Dieu et qui n'avaient pas la vue assez longue. Dans l'art religieux, comme dans les autres, derrière tout prélat important apparaît une femme, si ce n'est plusieurs. Bembo est l'ami d'Olympia Morata[25], cela n'a rien que de fort naturel. Un moine fougueux, altier et sévère comme Ochino, avec sa grande figure exsangue et sa longue barbe blanche un peu hirsute, ne paraissait guère un futur adepte de la franc-maçonnerie féminine ; il finit pourtant par s'appuyer sur un clan de femmes ardentes, en tête desquelles brillait une papaline, Caterina Cibo[26]. Le pape lui-même composait avec les femmes ; Paul III leur témoigna sa déférence en diverses circonstances, notamment par une visite à Ferrare, qui était le siège notable d'un véritable concile féministe[27].

Vittoria Colonna brille au premier rang des Mères de l'Eglise ; c'est la femme classique par excellence. Elle faisait faire des conférences à Naples et à Rome[28]. Elle soutint et consola les prélats les plus éminents. « Puisque la haine des autres, prix de mon dévouement, ne m'a pas ravi la bienveillance de Votre Excellence, lui écrit de Rome le dataire Giberto, toute autre perte me semble peu de chose ; Votre Excellence ne peut me faire grâce plus singulière que de me commander[29]. »

L'évêque Selva mande au cardinal Pole : « Merci de la copie de votre lettre à la marquise de Pescara, sur les événements ; elle est digne de cette femme chrétienne[30]. » Et le bon Sadolet, au même Pole : « J'ai lu la lettre que t'adresse la très sainte et très prudente dame marquise de Pescara, où elle parle de moi et paraît approuver notre station ici ; c'est pour moi un plaisir incroyable que mes conseils soient approuvés de tant de vertu et de sa gesse[31]. »

La flamme sainte de la marquise pour le cardinal Pole brille de feux très mystiques. Vittoria écrit à ce cher prélat comme « à l'intime ami de l'Epoux qui me parlera par vous et qui m'appelle à Lui, et qui veut que je m'entretienne de ce sujet pour m'enflammer et me consoler[32] ».

Le féminisme religieux s'acclimata en France assez difficilement, par la faute des femmes elles-mêmes. Elles étaient habituées à ne pas sortir des sentiers officiels du paradis, des jeûnes et abstinences[33], des indulgences, des pardons, des reliques, des vœux, des pèlerinages. Suivre la procession de la Fête-Dieu, au milieu de ses laquais qui portaient des torches armoriées, laver les pieds des pauvres le jeudi saint et remettre à ces pauvres un panier de provisions, ne pas manquer une prédication, se faire dire la messe sur un autel privé tous les matins[34], acheter des indulgences, voilà la religion des grandes dames françaises. On accusa cette religion-là de procéder d'un rigorisme un peu machinal, et de ne rien prouver ; aussi bien que, parmi ces femmes de vieux style, il y en a de vertueuses sans honnêteté, il y en avait de dévotes sans piété. Dans la simple bourgeoisie, c'était encore pis ; « anges à l'église, diables à la maison, singes au lit ![35] » Que de maris enrageaient de ne pas trouver le pot au feu prêt et d'apprendre que Madame achève ses Heures[36] ou mange les images » ! Un vieil écrivain prétend que, pour les dévotes, il n'y a pas de milieu : aigreur, caractère revêche et désagréable, ou adultère[37]. Et cependant les mêmes prédicateurs que nous avons déjà vus s'acharner à conserver le terre à terre moral vantent également le terre à terre religieux ; ils ont grand'peur d'en sortir. Ils aiment que les femmes restent comme des petites filles, sans cesse tourmentées de scrupules infinitésimaux ; ils vantent précisément leur étroitesse de pensée, leur obéissance passive, méticuleuse ; c'est à de pareils traits qu'ils prétendent saluer les Clotilde, les Théodelinde ; et si, à son premier pas après la Résurrection, le Sauveur alla frapper à la porte du jardin de Madeleine[38], cette faveur, d'après eux, avait pour motif l'esprit purement passif et docile des femmes. A Paris, où, dit-on, les femmes manquent de haute philosophie, « il y a plus d'œuvres de charité et on y dit plus de messes qu'on ne fait de Paris à Rome[39] ». Du reste, certains flatteurs voyaient partout de la vertu, et ils en arrivaient à citer Charles VIII comme un ange[40], les boulevards de Paris comme un sanctuaire[41]. Naturellement, ces raisonnements concluaient au statu quo[42].

A Rome, c'était tout le contraire : la liberté débordait surtout dans le clan des fonctionnaires, il était très bien vu de se moquer du gouvernement débonnaire[43] qu'on servait. Déjà, au XVe siècle, Lorenzo Valla, pour forcer l'avancement, avait publié que ce gouvernement reposait sur une usurpation et sur un mensonge. On était si heureux, si tranquille ! Plus d'un baisait le matin les pieds du pape, et le soir disait des horreurs ; tel Burckhardt. Le dogme de l'infaillibilité[44] servait d'abri et de défense. De même que Titien envoyait ensemble à l'empereur une Trinité et une Vénus[45], ou que Sigismond Malatesta se faisait peindre à genoux devant des madones, ou que l'irrespectueux Pogge destinait ses fils à la prêtrise, l'Arétin aussi disait « ces dames », en parlant des saintes et des Vénus mêlées, et se confessait avant de mourir.

Loin de s'émouvoir d'attaques théologiques ou de critiques arriérées, Rome ne songeait qu'à déployer son atticisme, à sauver l'antiquité de la submersion du Moyen Âge, comme elle l'avait déjà sauvée de la submersion des barbares.

L'esprit de Dieu souffle où il veut[46] !

Comme disait le père d'un cardinal, on n'était pas homme du monde, si on ne risquait pas quelque hérésie[47]. L'incrédule que représente Raphaël dans la Messe de Bolsena est un homme fort distingué. On pouvait rire de tout : des idées, des hommes ! Deux cardinaux se moquent de Raphaël qu'ils accusent d'avoir donné à saint Pierre et à saint Paul un teint un peu trop rubicond. « Bah ! riposte le peintre, ils rougissent de vous voir gouverner l'Église. » Castiglione demandait un jour, en riant, à Phèdre Inghirami, pourquoi, le vendredi saint, lorsqu'on prie pour les païens, les juifs, les hérétiques, les évêques, etc., on ne prie pas pour les cardinaux : « Parce que, répondit Phèdre avec un grand sang-froid, ils sont compris dans l'oraison pour les hérétiques et schismatiques. » Le même Castiglione trouvait l'aumônier du duc d'Urbin un peu long à dire sa messe, et réclamait un prêtre plus expéditif. « Impossible, » répond l'aumônier, et, se penchant à l'oreille de son détracteur : « Sachez que je ne dis pas le tiers des secrètes[48]. »

Le concile de Latran, en 1512, avait bien prescrit aux prêtres de faire dans leurs études une part au droit canon et à la théologie[49]. Il leur recommandait aussi de croire à l'immortalité de l'âme. Mais ce n'étaient là que de bien légères entraves à la liberté de la pensée. Lorsque Pomponace nia précisément l'immortalité de l'âme, les Vénitiens, qui avaient la logique des gens du Nord, condamnèrent son livre aux flammes ; mais Léon X ne répondit même pas à la demande d'excommunication. On en disait bien d'autres au Vatican[50] ! On y était habitué à entendre bien autrement parler du cérémonial et des dogmes[51] ! Le jugement qu'on peut porter sur Rome est celui de Talleyrand ; quiconque ne l'a pas connue n'a pas connu la douceur de vivre. Un moment. Adrien VI voulut restaurer des habitudes plus sévères : cela ne plut pas, et Clément VI se hâta de ramener l'esprit des Médicis[52], un « déisme attendri », suivant le spirituel mot de M. d'Haussonville[53], et de chasser « les imbéciles, les niais », comme disait Bembo. Le pape soutint contre Charles-Quint les protestants. Il voulut entendre Firenzuola, dans sa robe de bénédictin, lui lire des fragments de ses dissertations sur l'amour[54]... Ce beau règne[55], Paul III se piqua de le continuer. Bembo devint une sorte de patriarche ; ses Asolani servaient de bréviaire religieux comme de formule philosophique[56].

Temps délicieux ! où rien ne devait s'attarder dans le médiocre ! où le culte de la beauté semblait résumer toutes les aspirations divines et humaines, toutes les saintetés !

Les cardinaux montraient un luxe intelligent parce qu'il fallait au royaume de Dieu en ce monde des princes et des seigneurs.

C'étaient des prélats chrétiens, chargés de diriger un monde un peu païen. Parmi eux, nous retrouvons nécessairement les docteurs de l'amour et de l'esprit : Bibbiena, son Plaute en poche[57], toujours rieur et amusant, qui philosophe à gorge déployée sur les excentricités du moment. « Quelle folie !... » s'écrie-t-il sans cesse. Prêtre, mais prêtre de la belle forme ! Des pieds à la tête, féru de mythologie ! et si raffiné, si délicat, que les naïves émotions d'une madone primitive ne lui donnent aucun frisson. Voulant, avec son exquise politesse, offrir à François Ier un cadeau royal, il commande non pas une madone, mais le portrait de la belle Jeanne d'Aragon[58]. Voilà celui que Léon X fait peindre près de son fauteuil comme le cœur de son cœur.

Et Bembo, qui se recommande à l'Olympe, qui parle de la Beauté suprême, comment traite-t-il la hiérarchie sacrée ? il écrit à Isabelle d'Este qu'il « désire La servir et La satisfaire comme si Elle était le pape »... « Mieux vaut parler comme Cicéron que d'être pape... » Ou bien il ajoute ce post-scriptum : « Isabelle, ma chérie, chérie, chérie, je te baise de toute mon âme jusque-là et je te prie de te souvenir de moi comme le mérite le grandissime amour que je te porte[59]. » Voilà sa formule de charité ! Mais on ne se scandalisait pas trop de ces badinages de jeunesse, pas plus qu'il ne venait à l'idée de se scandaliser de trouver un palais épiscopal peuplé de mythologie[60], ou le Corso, un jour de carnaval, égayé de cardinaux en masques[61].

Ce laisser-aller de l'esprit aurait eu de plus graves inconvénients, si, connaissant mal la théologie, on s'était mis à en disserter : mais, précisément, on ne faisait qu'égratigner les dogmes ; on était trop spirituel pour parler de choses sans les connaître. Le mot d'ordre était de rendre la religion aimable. En quoi Sadolet, par exemple, ce Fénelon du XVe siècle, a-t-il été moins bon prêtre, parce qu'il aimait passionnément « les humanités », les arts ?... Faute de liberté, on aurait cru les pays catholiques voués à la dégénérescence.

Aujourd'hui tout est changé ; si Léon X ou Bembo revenaient au monde, ils ne comprendraient rien à l'inversion qui s'est produite. C'est du côté de l'Allemagne, chez leurs adversaires d'autrefois, qu'ils retrouveraient la doctrine qui leur était chère, et une liberté d'esprit qui permet de se dire chrétien, même sans croire à la divinité de Jésus-Christ. Pour beaucoup des Allemands actuels, le royaume de Dieu représente l'ensemble des personnes qui croient au principe de l'amour[62]. Dieu est tout amour ; le royaume de Dieu, c'est-à-dire un état où tous agiraient par amour, est le but final de Dieu, en même temps que l'idéal moral le plus universel, le chef-d'œuvre de la morale et de la religion. Or, chose singulière ! on en est arrivé à se figurer, — non pas sans doute que les fondateurs de la Réforme ont professé cette doctrine (l'erreur serait un peu forte), — mais qu'ils ont ouvert la voie, et mis la cognée dans l'arbre, en inventant la lecture individuelle des Livres saints. Ainsi l'orthodoxie protestante, qui s'en tient à une tradition hiératique et quasi infaillible, apparaîtrait comme un pseudo-catholicisme, tandis que le protestantisme libéral, qui s'avance sans aucun parti pris dans le champ d'une pensée sans limites, représenterait l'aboutissement logique de Luther et de Calvin.

En revanche, on croit que l'armure autoritaire, l'esprit d'étroitesse et de fonctionarisme quelquefois adopté par le catholicisme depuis ses luttes du XVIe et du XVIIIe siècles lui est indispensable et que la Réforme a été faite pour la lui ôter.

C'est au contraire à Rome que les idées libérales s'étaient installées avec la hardiesse la plus extrême. Elles furent vaincues, il est vrai, et disparurent ; mais si Luther et Calvin ont eu la gloire de les abattre, le temps, à son tour, a fait son œuvre, et, de Luther comme de Calvin, il ne reste plus grand'chose aujourd'hui.

Le protestantisme libéral actuel est l'antithèse de l'esprit primitif de la Réforme.

La Réforme a eu des côtés politiques et sociaux dont nous n'avons pas à parler ; en matière religieuse, elle éprouva un besoin de réorganisation disciplinaire, très naturel, qui d'ailleurs ne lui était pas spécial ; mais elle eut pour but essentiel de réagir contre la libre pensée, de revenir autant que possible vers le moyen âge, d'arracher le monde à l'idéalisme romain, œuvre de prélats et de femmes, et devenu un dilettantisme de l'esprit. La vieille Allemagne voulait des vertus positives ou tout au moins affichées, un piétisme quasi militaire, et des raisonnements théologiques. Elle se révolta contre la vie au soleil.

Pour patronner le culte esthétique, les Françaises ne furent point gênées par leur mari, comme en matière morale. La plupart des hommes professaient un scepticisme bienveillant, qui en faisait ce que nous appelons des « modérés », c'est-à-dire non pas des partisans chauds d'idées modérées, mais des partisans modérés, ou même négatifs, d'idées quelconques ; et, par conséquent, ils étaient prêts à subir toute impulsion, même féminine. Pour être mystique, il ne manque à Montaigne que de l'être ; et les Montaigne sont légion ; seulement, on ne les voit pas ; en leur qualité de modérés, ils se cachent.

L'obstacle, cette fois, vint du clergé, dont la masse en France, comme en Allemagne ou en Angleterre, faisait étroitement corps avec la nation, au lieu que la nation fît corps avec lui, comme à Rome ; il possédait un cinquième environ du sol, et s'y trouvait rivé. Le curé de village, issu de la glèbe, appelé, en sortant de l'école, à une église, la desservait, sans espoir d'avancement, avec le même esprit que le seigneur répandait aux services de ban et d'arrière-ban : un peu perle de basse-cour, beaucoup moins habile en théologie ou en platonisme[63] que pour combiner la sauce[64] d'une carpe de choix, ou pour faire admirablement rôtir le poulet qu'il rapportait sous son bras en revenant d'administrer un moribond[65] : joyeux vivant et bon compère, mais à mille lieues d'un mouvement mystique ou d'une croisade d'idéal... S'il y avait une réforme à faire, la seule qui parût utile, t'eût été de l'autoriser à se marier[66] ; les hommes d'Etat français, quoique très bons catholiques, étaient extrêmement de cet avis[67]. A plus forte raison, ne pouvait-on pas compter comme suppôts de l'idéal une foule d'ouvriers, de commerçants, de paysans même, gens fort pratiques, qui s'étaient fait tonsurer pour dépendre des tribunaux ecclésiastiques, qui n'avaient de clercs que le nom, et qui contribuaient encore à enraciner l'Eglise dans les milieux populaires[68].

Jamais les femmes n'auraient songé à s'attaquer à cette masse obscure, inconsciente, pour y jeter la semence du beau.

Restait le monde des abbés distingués, du haut clergé, des prélats de cour ; mais, comme les bénéfices servaient à rémunérer les mérites les plus divers[69], plutôt qu'à encourager un système philosophique, il y avait de tout parmi la haute prélature française : des prêtres éminents, des religieux vénérables, des cadets ou des bâtards de grands seigneurs, des professeurs, des magistrats, des hommes de lettres ; on ne se serait jamais douté que Melin de Saint-Gelais fût abbé...

Fauste Andrelin publiait sans vergogne une épître à sa belle, à côté d'une adresse au cardinal d'Amboise, où il réclamait un avancement ecclésiastique [70].

Les bibliennes se mirent à la tête de ce haut clergé si bigarré ; elles sont « clergesse », comme dit un satirique[71], elles forment la cléricature nouvelle, l'armée du salut. Elles veulent, tout simplement, enlever ces hommes, ces prêtres, d'un coup d'aile, dans le bleu limpide du ciel, comme en Italie. Estimant sans doute, suivant le mot d'une femme distinguée, que « la loi des sexes et ses pieux mystères mènent à la grande sainteté[72] », elles voient rayonner dans la suprême lumière de sympathiques groupes, tendrement mélangés : le vieux saint Jérôme soutenu par la jeune Paule, François d'Assise par la douce Claire ; de même que François de Sales et Jeanne de Chantal, Vincent de Paul et Louise de Marillac allaient encore s'appuyer l'un sur l'autre, selon l'éternelle loi, — sans compter tant de saintes filles, amoureuses du Christ « dans sa sainte humanité », comme sainte Thérèse, ou qui se passaient au doigt un anneau de mariage mystique, comme Jeanne de France en fondant l'Annonciade. Il faut que la foi devienne de l'amour et qu'elle répande un charme saisissant[73] ; que le prêtre cesse de se croire un gendarme. Combien de pauvres âmes, affamées d'amour, ne sont tombées bien bas que faute d'idéal ! Ce sont des malades, qui pourraient devenir des artistes en sensibilité ! Les femmes tendent la main à Dieu, pour qu'il les aide à regarder la vie avec confiance, avec joie, avec amour.

Marguerite de France fut, au premier chef, une de ces bibliennes françaises, point discuteuse, et, du reste, sceptique quant à l'absolu du bien et du vrai en ce monde, mais contemplative, intuitive[74]. Elle a la foi[75] ; elle croit aux sacrements[76], elle ne nie point le Purgatoire ; elle ne cherche aucunement à dresser des échelles de raisonnement pour se rapprocher des vérités insondables qui planent sur nous ; elle préfère prendre des ailes et s'envoler. Les hommes lui paraissent si petits, si faibles, si fourmis, qu'un peu plus ou moins de mérites de leur part ne marque pas beaucoup dans l'immense stade qui les sépare du bien parfait ; elle se figure Dieu comme la bonté pure, l'indulgence, l'amour, et c'est pourquoi il faut voler vers lui par amour. Elle s'attache à sainte Catherine de Sienne, non pas comme théologienne, mais parce que « rien qu'amour n'es-toit son argument ».

Par ce simple exposé de principes, on voit tout de suite dans quel genre de clergé les femmes vont chercher leurs alliés ; elles aiment ceux qui aiment. Elles n'apprécieront pas l'évêque de cour qui joue au chasseur[77] ou au guerrier[78]. Leurs amis, ce sont les attiques prélats ; elles savent bien que l'amour platoniste a peu de prise, hélas ! sur cette brillante jeunesse française, et que l'amour divin la domptera difficilement ; à force de douceur, elles ne désespèrent pourtant pas de réussir. Le protonotaire d'Anthe tombe malade ; Marguerite aussitôt lui envoie l'ordonnance suivante : décoction de « plaisants souvenirs, et sûr espoir d'amour », un peu de « poudre de ris », une goutte de « vrai plaisir », un extrait de « pomme d'amour[79] », bref des remèdes qui n'ont rien d'héroïque. Le joyeux Bandello se fait guérir par un bon évêché, celui d'Agen[80].

On a souvent incriminé le système de la piété d'amour, et naturellement, si l'on ne comprend pas le platonisme, on verra une foule d'arrière-pensées plus ou moins déplorables dans ces « galanteries spirituelles ». Le grave Nicolle a même trouvé au XVIIe siècle un joli mot à l'égard des ecclésiastiques un peu enjuponnés ; il les appelle « des prêtres à demi mariés ». « Mariage » serait un mot dur pour les unions dont nous parlons. Il est bien naturel que des femmes sensibles cherchent leurs amis et collaborateurs parmi les âmes sensibles Du reste, l'expérience prouve qu'on ne peut rien faire des raisonneurs, sauf par la force ; on ne convertit que les sensibles : seuls, les saint Augustin ont des ressources pour le bien.

Le programme pratique des femmes consiste d'abord en ceci, qu'elles attachent un prix extrême au développement de la sensibilité extérieure dans le culte ; rien ne les séduira moins que la sévérité des Réformés et un programme de nudité sauvage ; elles aiment la pompe et le décorum. La religion, pour elles, c'est l'essence même de l'art ; l'art, en s'élevant, se confond avec la religion ; l'insaisissable frémissement esthétique peut seul porter l'âme de l'exprimé à l'inexprimé. Le plaisir n'est pas la fin de l'art : il n'en est que le véhicule. La fin de l'art, c'est Dieu.

Eglises viz, s'écrie Marguerite, belles, riches, anticques

Tables d'autelz fort couvertes d'ymaiges

D'or et d'argent...

Je prins plaisir d'ouyr ces chants nouveaulx,

De veoir ardans cierges et flambeaulx,

D'ouyr le son des cloches hault sonnantes

Et par leur bruyt oreilles estonnantes :

C'est paradis icy, me dis-je alors[81]...

Un jour de vendredi saint, à Brionne, une châtelaine normande est fort scandalisée de la manière fantaisiste dont le curé exécute les chants de la Passion ; en sortant, elle le fait appeler, et voici le dialogue qui s'engage : « Monsieur le curé. je ne sais pas où vous avez appris à officier à un tel jour qu'il est aujourd'hui, que le peuple doit être tout en humilité ; mais à vous ouïr faire le service, il n'y a dévotion qui ne se perdist. — Comment cela, Madame ? dit le curé. — Comment ! Vous avez dit une Passion tout au contraire de bien. Quand Notre-Seigneur parle, vous criez comme si vous étiez en une halle ; et quand c'est un Caïphe, ou un Pilate ou les Juifs, vous parlez doux comme une espousée. Est-ce à vous à être curé ! Qui vous ferait droit, on vous priverait de votre bénéfice ! » Le curé s'en tire en vrai normand, par une plaisanterie antisémitique « Madame, j'ai voulu mont rer que chez moi le Christ était maître et les Juifs soumis[82]. »

Une espèce de sensualisme extérieur dans le culte fait donc partie intégrante de la religion féministe. Quant à la substance de cette religion, elle varie suivant les femmes, et même suivant les jours, car elle se compose d'impressions.

Sa source principale est la lecture des Livres sains.

C'est une erreur courante de croire que la grande réforme de Luther a consisté à préconiser la lecture directe et libre des Ecritures. L'étude de la Bible était, on peut dire, poussée à outrance parmi les femmes catholiques. Vives va jusqu'à en faire une des règles principales de l'éducation des jeunes filles[83]. Et même on protestait vivement contre l'abus de ces lectures. Bien avant Luther, dès 1504, le Pasquin français Gringoire, aussi bien que certains prédicateurs, les dénonce comme un véritable fléau[84]. Plus tard, Brantôme s'indignera encore de voir la Bible dans la main des enfants, Montaigne de la trouver en discussion dans les carrefours ou dans les arrière-boutiques.

Mais les femmes s'irritaient à leur tour des réserves qu'on voulait opposer à leur zèle. Ces critiques d'hommes leur rappelaient ce pleutre d'Adam, si digne du second rang, qui s'excuse et rejette sur sa femme la responsabilité d'avoir voulu tout savoir.

Se défiait-on de leur imagination[85] ? Les croyait-on incapables de distinguer entre « antiquailleries et modernailleries[86] » ? Ah ! certes, elles trouvaient à l'Ancien Testament de rares beautés, mais il s'en fallait qu'elles admirassent tout, aveuglément : les faits et gestes de certains patriarches ; les contradictions même de la divinité, qui défend de tuer, et qui tue[87] ! Non, non, la Bible n'est point le livre d'amour ; c'est le premier des livres, il ne faut pourtant pas aller y chercher le secret de « changer tous débats en charité souveraine[88] ».

L'Ancien Testament plaît aux amis de la religion terrible, à Savonarole, à quelques Françaises de vieux style, dévotes et mystiques dans certains moments, mais en réalité fort matérialistes par leurs goûts et leurs idées pratiques.

Les autres critiquent la Bible comme le reste. Dans la Bible, comme partout, ce qui les frappe le plus, c'est la lumière des choses. C'est ainsi qu'un artiste s'arrête devant un paysage, non pour analyser l'action chimique des arbres ou pour épiloguer sur les races de graminées, mais pour saisir le charme d'un effet de lumière, d'une vibration pittoresque ; à une autre heure, avec une autre distribution du jour, le même paysage, bien qu'identique, n'aurait même pas attiré son attention, parce qu'il s'extérioriserait moins. Nous ne comprenons pas bien la religion synthétique de ces femmes, nous, gens de « langue fluide et briefve[89] », habitués à tout analyser avec une précision d'algébristes, et à ne pas chercher l'Opéra à Saint-Sulpice. L'œil exercé d'une princesse de la Renaissance se laisse caresser par des nuances, tandis que le nôtre cherche la géométrie. Pour les Italiens et leurs amis, aimer, c'est prier[90] : en sorte que, dans l'Heptaméron, entre messe et vêpres, se placent des entre : tiens moitié philosophiques, moitié risqués, et que Louise de Savoie y mêle une homélie bien sentie, ou quelque lecture de saint Jean, « viande si douce... pleine d'amour[91] ».

On comprend la difficulté de formuler bien exactement les développements d'une telle doctrine : ils sont individuels et se sentent plutôt qu'ils ne s'expliquent. Nous n'avons pas affaire ici à des étudiants enfermés dans une salle fumeuse pour bâtir des thèses : il s'agit de dames, de très grandes dames, habituées à la plus parfaite liberté d'allures, et à qui leur rang, leur esprit, permettent de s'entendre face à face avec Dieu, par vision, par intuition d'amour. Elles se reconnaissent à cette marque. Dans son écrit l'Adoration des mages — sujet bien digne de sa plume ! —, Marguerite de France nous donne sa formule : « S'initier aux vérités divines, par la philosophie, puis par l'intuition, puis par l'inspiration. » Et qu'on ne voie pas là illuminisme ni orgueil ; c'est simplement de la candeur. Ces nobles femmes ne marchandent pas leur pitié aux misères humaines, quoique les spectacles ignobles répugnent à leurs nerfs ; mais elles se tiennent bien au-dessus de ces misères, de même qu'elles se tiennent au-dessus des discussions. Leur religion est distinguée. Elles vivent en des hauteurs souveraines, où elles se reposent des hommes, et touchent au but. Dieu est le premier anneau d'une chaîne, et l'homme le dernier. Comme disait Gerbert, « dans les choses de l'action, l'humanité tient le premier rang ; dans la spéculation pure, c'est Dieu qui est le premier ». Il faut suivre Dieu plutôt que les hommes. Et c'est une obligation de conscience, pour ceux qui peuvent monter haut, d'aller à l'origine des choses et de se placer en face des idées. A ce titre, les femmes, vraiment primitives, du xvi° siècle se distinguent nettement de leurs filles du xvm° siècle, qu'il est naturel de leur comparer. La femme, exquise et délicieuse, du avine siècle, a un caractère très superficiel : elle aime la vie pour la vie, le monde pour le monde. Quelques heures avant sa mort, Mine Geoffrin, entendant à son chevet une discussion sur l'administration politique du bonheur, se réveillait encore, pour s'écrier : « Ajoutez le soin de procurer des plaisirs, chose dont on ne s'occupe pas assez. » Parole profonde et vraie, ajoute d'Alembert, et que Platon lui eût enviée[92]. — Celles-ci ont l'esprit moins mousseux, mais des traits beaucoup plus accentués. Elles ne se préoccupent que de fraternité, elles refusent de s'atteler à une intolérance ; elles veulent fondre l'Eglise avec l'idéal ; pour elles, tout homme idéaliste est religieux ; mais, aussi, jusque dans le monde, elles poursuivent ce haut but de leur religion esthétique : vivre pour son âme, pour Dieu, vivre d'une vie latente à côté de la vie réelle. On peut vanter leur piété, leur charité envers les pauvres[93], et cependant elles sont dédoublées ; les pratiques extérieures leur répugnent, comme matérielles et obligatoires : elles aiment la grande foi philosophique, Dieu et ses œuvres.

C'est bien ici qu'on peut parler, plus que jamais, d'un amour de cigognes. Ce que le platonisme avait tenté, l'idéalisme religieux l'exécute : la superposition de deux mondes différents. Aussi ne demandez pas à ces grandes darnes de se passionner pour les rivalités terrestres ; Renée de France fait indifféremment, de son protégé Richardot, un calviniste ou un évêque catholique[94]. Le mécanisme matériel de la grâce divine leur parait institué pour le vulgaire et d'une vérité toute relative. Elles ne voient pas pourquoi le rayon délicat de la grâce, le verbe impalpable de la consolation, emprunteraient nécessairement, pour pénétrer dans les repaires du malheur, la forme d'un moine barbu ou d'un curé hirsute et crotté jusqu'à l'échine. Elles préféreraient entendre directement cette voix intime qui disait à sainte Thérèse : « de ne veux plus que vous conversiez avec les hommes, mais seulement avec les anges[95]. »

Les prêtres sont des hommes chargés de desservir l'église, et non des demi-dieux. Il y en a de gracieux et de spirituels, comme il y a des abbesses excellentes[96] ; mais passer sa vie dans des sacristies, ou ne pouvoir faire un pas sans en référer à son curé, voilà qui parait à Marguerite pure fêlure de cerveau ; elle aimerait mieux, quant à elle, causer avec un mécréant, ou un athée bel esprit, qu'avec un curé vulgaire, parce qu'en somme cet athée l'aide à remplir son but, qui est de se rapprocher de Dieu par le beau[97]. Aimer Dieu et s'humilier réellement devant Lui, rien de plus naturel, Dieu étant intelligent et roi des rois ; mais à quoi bon des intermédiaires, souvent si épais ? Clément Marot, qui connaissait merveilleusement Marguerite, la définit « corps féminin, cœur d'homme et tête d'ange[98] ». Les amis de la princesse affirment que, « dès l'âge de quinze ans, elle semblait directement inspirée de l'esprit de Dieu, dans ses yeux, son visage, sa démarche, sa parole, et dans toutes ses actions ».

L'évêque de Meaux l'assure qu'en lisant une traduction des Evangiles, qu'il lui offre, elle sera sacrée apôtre, et recevra directement l'esprit de Dieu, aussi bien, ajoute-t-il, que lorsque nous — c'est-à-dire le vulgaire — « nous l'allons recevoir sacramentalement[99] ».

Ainsi les femmes visent à être anges et verbe de Dieu. Par ce haut mysticisme, elles tranchent nettement sur le catholicisme, bénin et tiède, de la foule.

Quelques-uns de leurs écrits nous permettent de reconnaître comment s'est accompli peu à peu dans leur sensibilité ce grand travail religieux.

Vittoria Colonna nous a laissé le type de la prière finale de la Renaissance : une demande de paix et de bonheur, en ce monde et en l'autre[100]. C'est une aspiration, un air tendre et doux, une mélodie de Gounod, plutôt qu'une doctrine : c'est le résultat du concours des âmes vers les joies les plus parfaites.

Nous avons sous les yeux les œuvres de trois Françaises qui, quoique contemporaines, nous montrent comment ce concours s'institua progressivement.

La première, Gabrielle de Bourbon, dame de La Trémoille, conserve encore à son Château, « œuvre féminine », dit-elle[101], un caractère plutôt moral qu'esthétique[102]. L'esprit qui va tout renouveler, tout ciseler, qui doit gaiement ouvrir les portes et les fenêtres, n'a pas encore passé. Au dedans, sans doute, ce sont des ravissements ! des visions d'apôtres ! des prophètes et des sibylles sur la voûte, comme à la Sixtine ! le pain des anges distribué parmi des flots de lumière ! Mais tout est régulier, droit et ferme ; le cœur contemplatif s'est servi d'abord du balai de discipline.

Et à l'extérieur, ce château de l'âme chrétienne, un peu semblable à l'Alhambra, montre un front rude et hirsute. L'Amour met le feu aux canons sur les remparts, tandis qu'Inspiration surveille la campagne, et que, dans le tout petit jardin de Béatitude où coule la source de Pitié, de bonnes âmes cueillent de blanches fleurs exquises, des beaux fruits et des rameaux verts.

Dans un autre opuscule, le Voyage spirituel, récit des aventures d'une âme errant sur la terre, Gabrielle s'élève nettement contre les nouvelles divinités : « Présomption, » qui aime les sentiers fleuris ; « Amour de soi, » hostile aux dogmes terribles, « Vaine gloire, » fort ressemblante à Marguerite de France. La pauvreté, la virginité, sont encore ses amies, et du monde elle fait une description naïve, navrante et monstrueuse : un géant, tout en mains, dont chaque tentacule, remuant à l'envi, brandit une arme quelconque, livre ou épée. La charité délai f. ce monstre, la foi triomphe. Gabrielle de Bourbon, elle le dit elle-même, écrit pour les simples, elle ne se pique pas « d'entendre la sainte Ecriture »...

Mais voici aussitôt une vraie femme du monde. Catherine d'Amboise, dame de Beaujeu[103] ; dans ses Dévotes Epitres, elle pousse ce cri loyal :

J'ay transgressé tous les commandemens...

Pour abréger, aucun je n'en excepte.

Il ne lui reste qu'une partie noble, le cœur ; elle l'offre à Dieu. Et alors ce sont des effusions de grand style, pleines d'antiquité, de Bible et de « sibillacions », un vœu de miséricorde et d'amour le Christ lui passe au doigt l'anneau de paix, de bénédiction et de rémission il devient son époux et son amant, et lui donne un ange pour gardien. Avec Catherine d'Amboise, nous atteignons un paradis fort agréable et aristocratique, qui se compose de « beaux manoirs et chasteaux ». A la femme du XVe siècle a succédé la biblienne.

Marguerite donne le dernier coup d'aile, au-dessus de l'œuvre anonyme, et souvent irréfléchie de la foule : pour garantir son indépendance, elle prend un but abstrait et élevé.

Non pas que tout soit admirable, ni manie compréhensible, dans ses œuvres mystiques ; sa correspondance avec Briçonnet, où, dans d'interminables lettres de quatre-vingts ou de cent pages, elle jargonne de « gasteau de tribulations » et de « vieilles peaux » spirituelles[104] ; divers de ses écrits : le Miroir de l'âme pécheresse[105], le Discord de l'esprit et de la chair, l'Oraison à Jésus-Christ, l'Oraison de l'âme fidèle, sont fort curieux, comme types précisément d'incompréhensibilité et de désespérance du raisonnement. Ils ne prouvent pas une psychologie bien sereine : « Pis que morte, pis que malade, » voilà l'auteur, d'après ses devises ; elle avait des jours de « haine » pour n'importe quelle doctrine, pour la Bible, pour l'Evangile[106].

Elle apprit la mort de son frère par intuition, dans un songe[107]. Depuis lors, le monde l'accabla : les mystiques savent que c'est ainsi que « l'âme incorporée se met au chemin du port de salut[108] ». Le mysticisme de Marguerite devint un étourdissement[109], une ivresse d'amour[110], où se mêlaient des éléments divins et humains[111], et qui avait évidemment pour objet de perdre de vue beaucoup des misères de la vie.

C'est dans le livre intitulé le Triomphe de l'Agneau que nous voyons le mieux se dessiner le Christ de son cœur, son dieu sauveur et émancipateur, rayonnant au-dessus de la noire usine humaine. La Mort elle-même devient aimable, et, comme une « courtoise amie », ouvre les portes du ciel à tout le monde ou à peu près[112].

La foule a droit à la clémence, à une immense clémence ; en nous pétrissant d'argile un peu grossi ère, le Ciel n'a pas voulu faire que des malheureux. Marguerite a horreur de la mort[113] ! L'amour la rassure et l'aide à percer le mystère. Au dernier jugement, ce n'est pas un Christ vengeur, c'est un agneau qui rendra la justice ! On blâmait la facilité des indulgences ; Marguerite tranche la question ; elle propose l'amnistie.

Du mysticisme, il y avait déjà d'innombrables variétés connues, autant que de l'amour[114]. Pérugin, Averulino, les prêcheurs de la royauté du Christ, saint Bernardin de Sienne, Savonarole, combien d'autres encore ! continuaient les grandes traditions de l'Italie. La France, quoique plus réfractaire, avait aussi ses mystiques, notamment à Rouen et en Picardie, où les palinods, âmes d'élite, magistrats, conseillers municipaux... venaient, depuis longtemps, chanter la Vierge et dire du mal du corps :

La chair, quoy ? nourriture mortelle !

L'esprit d'amour nourrit le tueur fidèle ![115]

Ces « palinods » étaient des gens d'esprit et d'ardeur ; sans rien demander au clergé qu'ils criblaient de lazzis, ils avaient recours à des moyens mondains, pour répandre leurs idées : à des concours, à des pièces de théâtre. Ils ressemblaient aux femmes par l'abus de l'intellectualité, par l'incessante démangeaison d'écrire ou de parler, par le goût du mystère, de l'incognito[116]. De même pour leurs impressions ; ils voulaient retrouver et mettre en relief la vraie vie du Christ, c'est-à-dire la vie mystique et intérieure que, d'après eux, les Apôtres, gens grossiers, avaient trop négligée[117]. Certes, c'était un noble but. Marguerite eut avec ces palinods d'excellents rapports[118]. Cependant le mysticisme platoniste est autre, et comporte une abstraction bien plus générale ; il se défie des sens[119], de la forme matérielle ; il veut voir la réalité des choses, l'essence de Dieu. Parmi les prélats, il a produit cette exquise Académie de piété et de prière, « l'Oratoire du divin Amour, » qui se tenait à Rome dans l'église des saints Silvestre et Dorothée du Transtevere, sous le règne de Léon X, et dont faisaient partie soixante prêtres ou prélats, notamment Sadolet[120], où l'on ne songeait qu'à réformer les mœurs, et d'où la prière s'élevait délicatement, comme ces spirales de feu que la Bible nous montre sur les autels agréables au Seigneur.

Le mysticisme féminin est plus large ; il a pour but de développer le bonheur, c'est-à-dire de nous mener au sommet d'un monde idéal, plein d'amour et de pureté. L'amour, ayant perdu le caractère égoïste et licencieux sans lequel l'esprit français se refusait à le comprendre, devenu un rêve pour nous comme pour les races idéales, représente la substance même du monde ; il est divin et éternel, il ramasse toutes choses, même les hommes, dans le cœur de Dieu. L'Evangile n'est que la mise en œuvre de cette haute loi naturelle, déjà entrevue par les païens, et à laquelle Sénèque osait à peine faire allusion lorsqu'il écrivait : « Quand donc vous aimerez-vous les uns les autres ?[121] » L'Evangile couronnait la sagesse humaine. Aussi Erasme voulait-il canoniser Virgile et ajouter aux Litanies un répons nouveau : « Saint Socrate, priez pour nous[122] ». On citait Platon en chaire[123] ; Anne de France, qui est la rectitude même, a grand soin de mêler les philosophes et les Pères. Trajan passait pour un modèle ; Louis XII et Guevara, le précepteur de Charles-Quint, vivaient des sentences de Marc-Aurèle[124].

On visait à une sorte de mysticisme naturel qui aurait pour but d'exprimer le suc du monde. « C'est Dieu, disait-on, qui donne au ciel ses clartés, aux arbres leurs ombrages, aux vignes pétillantes leurs pampres et leurs fruits, c'est Lui qui répand les fruits, les larges moissons, l'immense floraison des choses, les sources de cristal, les tapis des prairies. Voilà pourquoi chasser, pécher, récolter, remplir toutes les conditions de la vie, est le fait du chrétien[125]. »

Personne n'incline vers le naturalisme, et ne se figure que tout ce qui est naturel doive passer pour bon ou beau ; au contraire, on veut relever et cultiver la nature, même à outrance. Votre vigne vous donne de mauvais vin, M. Zola vous dirait de le boire, et J.-J. Rousseau de boire de l'eau ; on vous dit de le distiller en eau-de-vie. A la nature on veut emprunter certaines forces quasi mystiques, qui y existent en puissance. Aussi ce mysticisme-là ne conduit-il pas, comme celui de sainte Thérèse, à repousser de parti pris les satisfactions terrestres[126] et à adorer la mort[127], la souffrance, l'humiliation[128]. On « cueille le jour », comme disaient Horace et Laurent de Médicis. On laisse à Albert Dürer et autres artistes germaniques le monopole des danses macabres et des squelettes emportant les jeunes filles.

« Pour perte de serviteurs[129], il ne se faut pas désespérer, car on en retrouve assez ; » ainsi parlent les belles dames, non pas par indifférence, mais de peur que l'idée lugubre ne leur remue le cœur et les entrailles ; car « il n'y a nulle de nous, si elle regarde à sa perte, qui n'ait occasion d'extrême tristesse[130] »... Nous aussi, lorsque nous demandons à l'histoire, ou au roman, ou au théâtre, de nous transporter un peu en dehors de nous-mêmes, est-ce que nous ne cherchons pas, au fond, la satisfaction d'oublier la mort, et peut-être d'oublier la vie ?

Voilà le fond, très humain, de ce mysticisme. En revenant à la page où l'on aime, on ne veut pas sentir sous ses doigts la page où l'on meurt[131]. Loin d'oublier la vie, on l'affirme ; le secret de la vie, c'est la vie ! On insulte la mort. Ainsi on rira d'introduire un spectre au dessert, un squelette au bal ; comme Boccace, Machiavel encadre ses plus gais récits dans un horrible cadre de peste ; des gens riches rient et aiment, sous de frais ombrages ; le voisinage de la mort, à quelques pas de là, est leur excuse. Telle est la clef de ce mysticisme nouveau. C'est une danse tragique des fragilités ; ceux qui la mènent ne voient rien de fragile. Ils se forgent une arme artificielle, ils préfèrent la beauté à la vérité.

Par suite des mêmes idées, on s'élève droit à Dieu. Le culte délicat de la Vierge, un peu délaissé, ne fleurit plus que dans un coin, très discrètement, comme la belle plante rare que les peintres flamands aiment à figurer dans une coupe de cristal[132]. La correspondance s'établit avec le ciel par de hardis sémaphores, malheureusement vagues et espacés ! Sainte Thérèse, en vraie flibustière, parlerait de prendre le ciel d'assaut et d'emporter un à un ses réduits successifs ; l'idéal philosophique est différent : une simple chevauchée, en pays ami. Par un beau jour de mai, lorsque la nature, débordante d'amour, se répand en effusions échevelées, un chevalier, « le Beau-Doulx[133] », part, parmi les fleurs et les prairies, pour conquérir le « noble et plaisant château d'Amours », château tout de saphirs et d'émeraudes ; il n'emporte ni canons, ni échelles. Arrivé sous les murs, il se met à genoux et déclare qu'il aime. C'est tout. Voilà « le royaulme de Paradis, auquel est l'amour divin ».

La nature salue Dieu en nous, et elle nous montre Dieu. Le chant qui s'élève de la mer monte jusqu'aux astres ; la tiédeur de l'air est un symbole de miséricorde. On aime mieux un pareil temple que la mystique forcenée de certaines cathédrales du Nord. Quant aux rites, ils sont ceux du platonisme. Salvatorio écrivit un Trésor de la sainte Ecriture d'après les poésies de Pétrarque : frère Félicien Umbruno offrit aux femmes du monde un Dialogue de la douce mort de Jésus-Christ, d'après le même Pétrarque. Frère Malipiero donna le célèbre Pétrarque spirituel, qui parut à Venise en 1536 et qui a compté dix éditions. La spiritualisation des sonnets s'opérait assez bien ; mais, pour les canzoni et les poésies diverses, le réparateur eut bien du travail.

La religion d'amour a trouvé son incomparable interprète dans Corrège. Corrège est le peintre des femmes ! comme il traduit la vision d'amour et de confiance, selon le code du christianisme esthétique ! Dans son Saint Jérôme, la Vierge apparaît belle, d'une beauté humaine, savoureuse, souriante ; mais tout l'effet du tableau vient de la figure de la Madeleine et de son geste d'une caresse profonde : c'est l'apothéose de la caresse ! Jamais peut-être on n'a aussi chaudement exprimé l'amour enveloppant et velouté ; prières, passions, tout cède à cette contemplation d'amour pur, à ce contact, engourdissant et radieux, de deux êtres qui se confondent par une tendresse magnétique. L'Enfant Jésus a derrière lui un ange, qui représente le ciel ; devant lui, un livre de science ouvert par saint Jérôme..., et il se retourne, tout en grâces, vers la Madeleine, qu'il préfère à la science, parce que c'est l'amour.

Au Louvre aussi, le Mariage mystique nous remplit le cœur d'une vision ambrée, dorée : « Impossible, dit Vasari, de voir de plus beaux cheveux, de plus belles mains, un coloris plus naturel et plus charmant » ; en cette ardente « conversation », la vie semble suspendue ; « La volonté aime, la mémoire me paraît comme perdue, et l'entendement n'agit point[134]. »

On accuse souvent la dévotion d'être ennuyeuse. Il est vrai qu'en soi Dieu n'a rien d'inédit, c'est immortalité du connu. Les femmes qui vivaient de si hautes idées ont pris facilement un air profond et pensif, une expression plutôt spirituelle et incisive que tendre. Comme ce blessé d'Austerlitz, dont parle Tolstoï, elles se réveillent dans l'immense silence de la nuit, en tête-à-tête avec les étoiles limpides.

Là où les hommes mettraient leur orgueil, elles mettent leur douceur. Leur langage est un peu entortillé et précieux.

Cependant, on peut voir, par la correspondance de Marguerite de France et de Vittoria Colonna, combien elles se jugeaient heureuses. Ces deux darnes ne s'étaient jamais vues. Vittoria écrit qu'en attendant l'infini bonheur d'une rencontre, elle ose répondre aux « hautes et religieuses » paroles de la princesse, afin de former le contrepoids de cette céleste horloge. « De notre temps, la route longue et difficile de la vie nous oblige à avoir un guide ; il me semble que chacun peut trouver dans son sexe les exemples les mieux appropriés... ; je me retournais vers les dames illustres d'Italie pour les leur demander et les imiter, et, quoique j'en visse beaucoup de vertueuses..., une seule, hors d'Italie, m'apparaissait comme réunissant les perfections de la volonté avec celles de l'intelligence ; mais elle était si haut placée et si loin que je n'éprouvais que la tristesse et la crainte des Hébreux lorsqu'ils aperçurent le feu et la gloire de Dieu sur la cime de la montagne et qu'ils n'osaient approcher, à cause de leur imperfection[135]. »

Dans cette première lettre, la marquise se borne à exalter l'humilité, la charité de sa noble correspondante, dont elle se dit humblement la fille, ou, mieux, le Jean-Baptiste, le Précurseur — ces congratulations personnelles jouent toujours un rôle important dans la diplomatie féminine, pleine de courtoisie magnifique —. Elle parle du groupe de ses amis ; elle goûte souvent, ajoute-t-elle, la conversation de Pole, qui « est toujours dans le ciel et ne s'abaisse sur la terre que pour l'utilité d'autrui », celle de Bembo, ouvrier peut-être de la dernière heure, mais bien digne, par son ardeur, des premières récompenses ; et tous s'accordent à contempler de loin la reine des pierres précieuses, si riche en rayons qu'elle en enrichit autrui[136].

Dans une autre lettre, Vittoria serre de plus près les questions à l'ordre du jour ; elle déclare respecter la raison, mais elle préfère la religion, « suprême perfection de notre âme[137], » beauté parfaite. Pour mieux développer sa thèse, elle joint un exemplaire de ses sonnets.

Cet exemplaire, quoique adressé à la sœur du roi, fut arrêté à la poste, par ordre du connétable de Montmorency. Le connétable lut-il les sonnets, la question reste assez douteuse ; en tout cas, il les jugea pernicieux et saisit cette occasion de se donner le luxe d'une petite manifestation. Il ne rendit le livre qu'à la suite d'une véritable scène, à la table du roi[138].

Vergerio, l'aimable prélat, envoyé par le pape en France, éprouva aussi de grandes difficultés à rencontrer Marguerite[139]. Quel dédommagement, quand il y parvint ! Les premières audiences, qui ne durèrent pas moins de quatre heures, lui parurent trop courtes, au gré de son enthousiasme « spirituel ». Immédiatement, il se hâte de tout mettre par écrit, afin de montrer à quels sommets de grâce et d'amour divin « monte l'esprit de la reine ». Mais comment, sur un papier, traduire tant d'éloquence spontanée, cette ferveur, cette puissance de charme ?... La conversation n'était pas commode... Marguerite ne savait que le français et, comme Vergerio l'entendait assez mal, elle épelait pour ainsi dire ses mots, et y mêlait le plus possible de latin et d'italien ; n'importe, Vergerio, ravi, au sortir de ces entretiens, croit voir les glaciers du cœur humain se fondre aux feux de la foi, il respire le grand souffle de Dieu : d'où viendra ce miracle ? « Louange à Jésus-Christ, qui dans nos temps troublés a suscité de tels esprits !... ici la reine dont je parle, à Ferrare Mme Renée de France, à Urbin Mme Léonor Gonzague[140], que j'ai vues toutes deux ici, et avec lesquelles j'ai conversé plusieurs heures, et qui m'ont paru des esprits très élevés, tout pleins de charité, tout enflammés du Christ ; à Reine, Mme Vittoria Colonna, pour ne parler que de votre sexe ; » et il redit que les épines disparaissent dans la vigne du Seigneur, il voit briller la lumière et la paix, grâce aux femmes[141].

Vergerio continua à entretenir la reine de Navarre avec une joie toujours renouvelée. On a quelque honte à transcrire d'une plume froide ces phrases si ardemment confiantes et palpitantes : « Je n'ai, en somme, aucun bien plus grand, aucune plus grande consolation que cette reine ; elle a de ces paroles infiniment chaudes, et des moyens merveilleux pour exalter au service de Dieu les cœurs les plus froids du monde. Il m'arrive ceci, qu'il y a dix-huit jours que je n'ai paru à la cour, et que je vis dans une belle solitude, occupé à cultiver mon Aine et à semer en moi la parole de Dieu, puis je vais où se trouve l'ardeur de charité de Sa Majesté ; et je sens qu'elle fait lever la semence, et la fortifie, et lui donne des fruits, c'est-à-dire la connaissance de Dieu, et le fervent désir de le servir, lui seul[142]. »

Tels étaient ces hauts esprits si enthousiastes du beau ; ils vivaient de poésie, dans une sphère à part, s'échauffant les uns les autres, mutuellement rassérénés et réconfortés ; c'est après ses entrevues avec Vergerio que Marguerite s'affirma platonicienne et secoua le joug de la cour. On n'espérait certainement pas que le monde entier se mît à un pareil diapason ; on savait qu'en tombant dans la foule les abstractions se matérialiseraient, que l'amour souvent tournerait mal. Mais n'était-il pas beau de semer l'amour à pleines mains, surtout sans espoir de moissonner, et de s'en aller, comme les anges de Dieu, verser une rosée sur la terre aride ?

Cela ne devait pas empêcher les guerres et les massacres du XVIe siècle ; mais il suffit de jeter les yeux sur une carte pour constater que le catholicisme a triomphé dans les pays où triomphaient les femmes ; le brouillard, la bière, l'homme se sont faits protestants.

Et puis, ces idées, qu'on croyait écrasées, ont reparu peu à peu partout, comme par l'effet d'une germination irrésistible ; le XVIIIe siècle en est né, le nôtre aussi, malgré ses allures positives, en est encore tout imprégné.

Et Sadolet, ami de Mélanchton, le libéral Contarini, l'aimable Reginald Pole que dirigeait Vittoria Colonna. Flaminio, Vergerio, tous souriraient à certains programmes pacificateurs d'aujourd'hui.

 

 

 



[1] Une des particularités de l'hérésie albigeoise fut de se développer par l'apostolat des femmes (J. Guiraud, Revue historique, juillet août 1897, p. 225).

[2] Thibaut, p. 53 ; Marconville, Bonté, p. 50 v° ; Bareleta, sabb° 3 Quadragesime, p. 81 v°.

[3] Colloquia.

[4] Brantôme, IX, 86. Joannis Montis, Apologia mulierum.

[5] Jean Marot, p. 229 ; Cf. Louange des femmes ; Gringoire, I, 61.

[6] Les Neuf Muses.

[7] Dialogo di... mariti, p. 13 v°.

[8] Avec cette belle devise :

Donnez puissance souveraine

Au croissant de France, tel cours

Qu'il vienne jusqu'à lune plaine,

Sans jamais entrer en décours.

(Quentin Bauchard, I, 59.)

[9] V. la belle Epistola Consolatoria, écrite par Vivaldi pour Marguerite de Foix, comtesse de Saluces (Opus regale).

[10] Ses lettres furent rééditées par les Alde en 1500.

[11] Dombre, pp. 70, 74, livre que, malgré quelques légères réserves relatives à l'information technique, nous citerons souvent comme très intéressant, et d'une remarquable loyauté.

[12] Liv. II, ch. XII. Apologie de Raymond de Sebonde.

[13] Eloge de la folie, p. 283.

[14] De Vanitate scientiarum, ch. XCVII. De theologia scholastica.

[15] De Vanitate scientiarum. ch. XCIX. De theologia prophetica.

[16] Première édition chez les Alde, 1513.

[17] V. G. Voigt, Die Wiederbelegung...

[18] Ferrero, Müller, Carteggio, p. 148.

[19] « Il ne fault toutesfois qu'on pense, quand nous faisons mention de philosophie, que nous ne parlons que de celle fui s'aprend es escripts de Platon et des autres philosophes, car nous entendons aussi de la philosophie évangélique, qui est la parolle de Dieu, des saincta et salutaires préceptes de laquelle Marguerite fut, par ses instituteurs, si bien endoctrinée et instruicte. » (Oraison funèbre de Marguerite, par Sainte-Marthe ; Montaiglon, I, p. 43.)

[20] C'est encore aux sorcières et aux « Egyptiennes » qu'on allait demander des recettes contre l'amour, ou des philtres amoureux, ou simplement des breuvages de bonheur. On abusait de ces breuvages, comme nous avons vu abuser de la morphine ; c'était ce qu'on appelait vendre le diable en bouteilles. Rabelais exhibe son Pantagruelion ; Porta, Cardano et autres occultistes sérieux ou médecins ont trahi plusieurs des recettes qui avaient alors cours ; c'est généralement avec de l'opium qu'on achetait la douceur d'un rêve irréel ; les solanées apportaient de riantes illusions... Quant aux philtres d'amour, leur principe remontait à la plus haute antiquité, et il semble que M. Brown-Sequard leur a emprunté quelque chose (Æneas Sylvius, ouvr. cité, p. 158 ; Cardanus, De Subtilitate, lib. XVIII ; Porta, Magia, lib. II ; Clément Marot, Dialogue nouveau).

[21] Par exemple, une femme de Blois, atteinte d'une maladie de langueur, « ensorcelée, » disait-on, fait dire une messe du Saint-Esprit, à minuit. à N.-D. des Aides ; ensuite, une sorcière se couche de tout son long sur la malade en marmottant des mots. La malade est aussitôt guérie : il est vrai que, deux mois après, elle a une rechute dont elle meurt, mais la sorcière attribue cet accident à une intempérance de langage. (Bodin, p. 36.)

[22] Les sorcières enfin jouissent d'une foule de facultés ; elles guérissent les maladies par des amulettes ou des paroles (Brantôme, V, 192, 45) ; elles déchaînent la pluie et la grêle ; leur puissance ironique se joue des secrets des rois, aussi bien que des secrets des ménages (Molitor. Deux jeunes paysans du Nivernais, gars bien découplés et fort amoureux, épousent, un jour, les deux sœurs. Le soir de la noce, ô surprise, les deux nouveaux ménages, au lieu d'affabulations d'amour, se mettent à se frapper et à se battre. Impossible de sortir de cette situation pendant plusieurs jours. Tout d'un coup, on se rappelle qu'au dernier dimanche des Rameaux un des jeunes gens a refusé de donner du buis bénit à une vieille sorcière du pays, et que celle-ci n simplement dit : e Tu t'en repentiras. » On court à la sorcière, on l'amène, on lui fait bonne chère et bon visage : elle se laisse toucher et donne à boire à un des jeunes gens dans son verre ; celui-là est guéri, et sa femme satisfaite. L'autre, au contraire, qui n'a pas bu à la même coupe, tombe malade ; bientôt, il parait au plus mal ; la sorcière, à laquelle on recourt, refuse de se déranger une seconde fois : toutes les offres ou les menaces n'y font rien. La famille s'exaspère, le pays est sens dessus dessous. La sorcière s'enferme ; on fait un trou dans le toit, on l'enlève, avec son mari, et on les emmène. Arrivés dans la chambre du malade, le mari dit : « Vous n'en mourrez pas ; » mais la femme se refuse à rien articuler. Alors la colère des assistants ne connaît plus de bornes : des gens apostés se précipitent sur cette mégère malfaisante dès qu'elle se retire, la saisissent et la jettent au feu. D'autres, plus compatissants ou plus peureux, parviennent à la retirer, les jambes grièvement brûlées, la rapportent chez elle, la soignent. Mais la misérable, stoïquement drapée dans sa douleur, fait fermer sa porte, refuse d'envoyer chercher un médecin à Nevers, et, au bout de trois mois de souffrances, elle expire dans sa farouche solitude. (Récit orig., JJ. 234, 70 v°.)

[23] Julius, dial. attr. à Ulr. de Hütten.

[24] Castalion, Robertet, dans Champier, Libelli duo ; Marconville ; Rec. de Montaiglon, VIII, pp. 240 et suiv. ; Bouchet, Généalogies, Effigies... ; Champier, Nef des dames vertueuses. Un clerc de Spire allait jusqu'à appeler Jeanne d'Arc « la Sibylle française ».

[25] Jules Bonnet, p. 55.

[26] Amante, pp. 303 et suiv.

[27] Jules Bonnet, p. 33.

[28] Amante, p. 258.

[29] Ruscelli, II, 179 (9 déc. 1526).

[30] Poli, Epist., II, 10.

[31] Poli, Epist., III, 9.

[32] Cantû, p. 180.

[33] Marie de Clèves. V. notre Histoire de Louis XII, t. I, p. 253. Cf. Les La Trémoille, pp. 34, 42, 40, 57.

[34] Marie de Clèves. Anne de Bretagne...

[35] Le Moyen de parvenir.

[36] Sermon nouveau.

[37] Bouchet, les Regnars.

[38] Bareleta, Sermones, p. 132, col. 2, 3 ; H. Estienne, II, 183.

[39] Bonnardot. p. 35.

[40] Nanquerii, Opusculum.

[41] Stoa, cité par Lacombe, p. 116.

[42] A. du Four.

[43] Gebhardt, Journal des Débats,

[44] Porcari.

[45] Arétin, Lettere, IV, 296.

[46] Melin de Saint-Gelais, — allusion à l'ordre de Saint-François-de-Paule, dit des Bonshommes.

Le nom de foy et de bonté

A tant mon esprit mesconté

Que je croy qu'il est en nature

Moins de bons hommes qu'en peinture.

[47] Amante, p. 295.

[48] Castiglione, 311, 319, 287.

[49] Cf. Renan, Averroès, pp. 355, 363, 365.

[50] Gauthiez, pp. 391 et suiv., 401 ; Burckhardt, édition 1860, p. 167.

[51] Philippson, p. 14.

[52] Au moment de la pleine crise, Sabinus, dans un sermon d'apparat à Saint-Eustache, prononce une apothéose de la science (De Laudibus). Cf. Lettre d'Erasme à Alberto Pio.

[53] M. le comte d'Haussonville l'applique à la philosophie du XVIIIe siècle, très proche parente de celle-là.

[54] Bonneau, p. 15.

[55] Sabinus.

[56] Cian, p. 19, 39.

[57] Cf. Erasme, Opera, I. p. 9.

[58] Müntz, Raphaël, p. 618, 283.

[59] Luzio, p. 225.

[60] C'est ainsi que l'évêque Paul Jove décrit la villa du lac de Côme où il écrivit ses Elogia ; une villa pleine de doux zéphyrs, suspendue sur un coteau, d'où l'on domine ce lac si riche en souvenirs classiques, si pur, si verdoyant ; dans la salle à manger épiscopale, président Apollon et les Muses : le salon, dédié à Minerve, contient les bustes de plusieurs grands écrivains antiques ; de là on passe dans la bibliothèque, puis dans le salon des Sirènes, dans le salon des Trois Grâces. De larges fenêtres s'ouvrent sur les montagnes verdoyantes et fleuries, sur les vallées luxuriantes, sur les pointes âpres de granit, enfin sur l'horizon grandiose des neiges éternelles, des glaciers indélébiles, au-dessus desquels plane la belle transparence du ciel pur.

[61] Instructions et lettres, p. 238.

[62] M. Goyau, Revue des Deux Mondes, 1896, p. 842.

[63] Le P. Chérot (d'après Clichtoue), pp. 542, 543 ; Statuts d'Autun et de Tréguier, dans Martène ; JJ. 234, 69, 68 ; JJ. 233, 124 ; Z¹⁰ 20 ; Jean Mansel ; le Gouvernement des Trois Estatz, dans Montaiglon, t. XII ; G. d'Aurigny (Oraison de Mars), p. 92 ; Bouchet, les Regnars ; notre livre la Veille de la Réforme, etc.

[64] JJ. 234, 99 v, 3 v. ; 233 ; 131 v° ; 232, 23 v°.

[65] Brantôme, Sermens et Juremens espaignolz.

[66] Songe creux, f° 45 v°, et nombre d'autres.

[67] Instructions, p. 339 (Instructions royales de novembre 1562).

[68] Z¹⁰ 18 ; 25 mars, 5 juillet 1484.

[69] V. nos Instructions, p. 468-469.

[70] A la suite du De secunda Victoria Neapolitana.

[71] Gringoire.

[72] Vicomtesse d'Adhémar, p. 222.

[73] « D'un lien formé d'amour et de fidélité tressés ensemble, j'attache ma barque à une pierre qui ne cède jamais, à la roche vive, Jésus-Christ, en sorte que je puis à toute heure rentrer au port. » (Vitt. Colonna. Trad. Dombre, p. 81, sonnet 46.)

[74] Lettre de Capiton à Marguerite, 22 mars 1528. Berminjard, Correspondance des Réformateurs, II, 119 ; cf. Le Franc, Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, p. 275.

[75] Sainte-Marthe, Oraison funèbre, éd. Montaiglon, pp. 78, 79, 101, 102 ; éd. 1550, p. 37.

[76] Tous les interlocuteurs de l’Heptaméron commencent par communier.

[77] Pépin.

[78] J. d'Auton.

[79] Le Franc, Poésies, p. 32-34.

[80] H. Estienne, II, 342-343 ; C. Agrippa, lettre du 1er mai 1526 ; Le Franc, Poésies, p. 230 ; cf. Hept., Nouvelles 60, 41 ; Menot, Opusculum, ch. VI. Sainte Thérèse raconte qu'elle convertit un de ses confesseurs : Celtes, passim, etc.

[81] Le Franc, Poésies, p. 152.

[82] Bonav. des Périers, Nouvelle 35.

[83] La Bible était fort à la mode. Les éditions de Bibles en langue vu1 ;2aire étaient, depuis longtemps, populaires en Allemagne et en l'alto. Lefèvre d'Etaples, qui donna, en 1523, sa traduction, avait passé sa vie à faire connaitre les Livres saints. En 1514, Charles de Saint-Gelais dédiait à François Ier, encore simple prince, une traduction du livre des Machabées.

[84] Gringoire, les folles Entreprises, éd. Montaiglon, I, pp. 80, 81.

Les aucunes sont bibliennes

Et le texte très mal exposent :

Jeunes bigottes, anciennes,

Dessus les Evangiles glosent,

Et tout au contraire proposent

De ce qui est à proposer.

V. aussi la pièce insérée dans le Recueil de Montaiglon (VIII, 304).

Les festes, le temps passeras

Non pas à jeux musiciens,

Ni l'Ecatomphile liras,

Mais les Sainctz Livres anciens.

[85] Nouvelle 44.

[86] Arétin, Ragionamenti, p. 1, 3e giornata.

[87] Le Franc, Bulletin, p. 27.

[88] Marguerite, l'Inquisiteur ; Le Franc, Bulletin, p. 17-19, 78 ; Œuvres de Marguerite, par Franck, II, not. p. 26.

[89] Bouchet, le Parc ; Labyrinthe de fortune ; il croit qu'on doit offrir à une dame un traité sur le Libre Arbitre (Epistres familières, n° 105, 115, 74).

[90] M. Gebhardt (l'Italie mystique) a très bien caractérisé cet esprit de l'Italie : « L'étonnante liberté d'esprit avec laquelle l'Italie traita le dogme et la discipline ; la sérénité qu'elle sut garder en face du grand mystère de la vie et de la mort : l'art qu'elle mit à accorder ensemble la foi et le rationalisme : sa médiocre aptitude à l'hérésie formelle, et les témérités de son imagination mystique ; l'élan d'amour qui l'emporta souvent jusqu'au plus haut idéal chrétien..., c'est la religion originale de l'Italie, » celle de la Renaissance comme celle du moyen âge. Alexandre VI, Jules II scandalisaient tout le monde hors d'Italie : en Italie personne.

[91] Nouvelle 34.

[92] P. de Ségur, le Royaume, p. 382.

[93] Epitre à. Marguerite, ms. fr. 2242 (cette épitre a été publiée en grande partie par M. Courteault).

[94] Rodocanachi, pp. 157, 189.

[95] Sa vie, ch. XXIV.

[96] Laurent, p. 115-119 ; Beaudouin.

[97] Hept., Nouvelles 23, 44.

[98] P. 247.

[99] Hept., édition Montaiglon, IV, 187.

[100] « Faites, je vous prie, Seigneur, que, par l'humilité qui me convient et par l'orgueil qu'appelle votre grandeur, je vous adore toujours, et que, dans la crainte qu'impose votre justice comme dans l'espoir qu'autorise votre clémence, je vive sans cesse et que je me soumette à vous comme au Tout-Puissant, que je vous suive comme le Tout-Sage, et que je me tourne vers vous comme vers la Perfection et la Bonté. Je vous en prie, père très doux, que votre feu très vif me purifie, que votre lumière très brillante m'illumine, que cet amour pour vous très sincère me serve à ce point que vers vous, sans me laisser arrêter par nul obstacle des objets terrestres, je revienne heureux et en sécurité. » (Visconti, le Rime, p. 145.)

[101] Le fort Chanteau (manuscrit), f° 31 v°.

[102] F° 45 v°.

[103] Mariée le 10 novembre 1501.

[104] Franck, I, p. 61.

[105] Un anonyme, que M. de la Borderie croit être Olivier Maillard, avait déjà publié, vers 1500, un Miroir d'or de l'Âme pécheresse.

[106] Las, tous ces motz ne voulois escouter,

Mais encore je venois à douter

Si c.'estoit vous, ou si par adventure

Ce n'estoit rien qu'une simple escripture

M. Lefranc a démontré savamment dans la Bibliothèque de l'Ecole des Charles (tome LVIII, pp. 260 et suiv.) que beaucoup des théories de Marguerite de France avaient été déjà professées par Nicolas de Cusa, qui était un platoniste avant les platoniciens. Il est probable que ces idées lui arrivèrent par Briçonnet (p. 212).

[107] Le Franc, Poésies, p. 31.

[108] Bouchet, Triomphes.

[109] Dans la Comédie sur le trespas du Roy, la bergère Amarissime (c'est elle-même) pleure la mort du dieu Pan ; elle ne croit plus à rien, ni à la vertu humaine, ni aux consolations humaines, ni même à la constance antique. Elle a perdu sa philosophie ! A la fin, le Paraclet vient nous rasséréner légèrement par l'assurance que Pan jouit des joies élyséennes dans les prairies éternelles. Au carnaval de Mont-de-Marsan, en 1547, la princesse, secouant les idées lugubres, fit encore représenter une autre comédie, où elle mit aux prises une mondaine, toute en beauté, une superstitieuse, qui parle de mort et de Paradis, une sage qui prêche l'équilibre de l'âme et du corps ; puis « la Reine de Dieu » (on devine qui elle est) renverse tout cela, monde, sagesse, superstition, avec une panacée philosophique d'amour divin et d'amour humain mélangés. On ne s'attend pas, d'ailleurs, à ce que nous suivions Marguerite dans les méandres de sa pensée, pas même dans ses Oraisons « de l’âme fidèle » ou « à N.-S. Jésus-Christ ». vifs appels à l'amour et à la grâce, et à la miséricorde du Très-Haut qui ne peut nous sauver que par amour.

[110] Le Franc, Poésies, p. 3, 15.

[111] Fin du Navire, poème consacré à chanter l'amour et à exalter sous toutes les formes la beauté ou les vertus du feu roi François Ier.

[112] Souvienne toy qu'ilz sont nés imparfaitz.

Et que de chair fragile tous sont faitz.

[113] Priez Dieu pour les trespassez,

Dont le retour est incongneu...

Il en est « bien peu » revenus, « le chemin est long » (Trop peu, prou, moins. Cf. Franck, I, LXXVII).

[114] Cf. Philippson, p. 11.

[115] Emile Picot, pp. 15, 33, 52.

[116] P. 58.

[117] Picot, p. 72 ; Schmidt, p. 458.

[118] Le Franc.

[119] Firenzuola. 2e dialogue, p. 393 ; Graf, p. 22.

[120] Amante, pp. 321 et suiv.

[121] Thamin. Saint Ambroise.

[122] Colloques.

[123] Bareleta, f° 6, hebdom. IV.

[124] Seyssel. Voir dans Castiglione (Lettre à Henri VIII) le beau récit de la mort du duc d'Urbin.

[125] Joannes Rivius.

[126] Le chemin de la perfection, dans ses Œuvres, II, 87 ; sa vie, ch. V.

[127] Ch. XIII.

[128] II, 265 : 6e Méditation.

[129] C'est-à-dire « cavaliers servants ».

[130] Hept., prologue.

[131] Vers de Lamartine pour l'album de Mme la duchesse de Broglie.

[132] Et cela avant Luther, ou en dehors de lui. Erasme se moque agréablement des vœux à la Vierge ou à saint Christophe, et il est persuadé que les vœux des marins, pendant les tempêtes, proviennent tout simplement du paganisme, du culte antique à Vénus, « étoile des mers » (IX, col. 1163 et suiv.). Il a célébré la Vierge (VIII, c. 571 et suiv.), en vers froids, d'une élégante rhétorique, où le Styx, Phlégéton, Hélicon, la fontaine Castalie annoncent l'esprit nouveau. Tandis qu'autrefois, pour la moindre tribulation, Louis XI arborait une médaille de la Vierge ou faisait un pèlerinage, ni Louis XII, ni François Ier, qu'on ne considérera pas comme luthériens, n'ont la même idée ; dans un cas extrême, Louis XII se consacre directement à l'Eucharistie (ms. lat. 8134, f° 228). Sannazar, resté fidèle à la Vierge, se déclarait de race espagnole (l'Arcadie, p. 39).

[133] Bon. des Périers.

[134] Sainte Thérèse, Sa Vie, ch. X.

[135] 15 février 1540.

[136] Carteggio, pp. 185 et suiv.

[137] P. 200 et suiv.

[138] Carteggio, p. 202 (1540).

[139] P. 192.

[140] L'héroïne du poème amoureux de l'évêque d'Agen, Bandellio.

[141] P. 194 et suiv.

[142] P. 200.