Le
grand effort que nous avons cherché à peindre aboutissait, en somme, à une
profonde révolution religieuse ; il partait d'une crise de croyance, il
menait à une transformation du christianisme, par le sacerdoce féminin. En
réalité, le féminisme exaltait l'âme plus que la femme. La femme naît pour
être entretenue ; à défaut d'homme, elle s'appuie sur Dieu ; de sorte que,
fatalement, sa religion de beauté devait conclure à de mystiques épousailles,
à un grand acte de sensibilité religieuse, à un développement de la charité
et de l'espérance sur la base du dogme défini, à l'habile traduction des
impressions de l'au-delà par des signes extérieurs. Que les
femmes se jetassent avec passion dans la sensibilité religieuse, il fallait
bien s'y attendre. C'est leur habitude[1]. Même sans parler des dévotes
de sacristie, les femmes aiment à se croire reines par la grâce de Dieu.
L'incompréhensible qui irrite les hommes, les fascine, elles éprouvent une
singulière jouissance à remuer des mystères. Comme nous l'avons dit, au moment
de la crise religieuse, telle courtisane émit sur la direction des affaires
ecclésiastiques les avis les plus judicieux[2]. Dans
l'Eglise, il était de « tradition » absolue de se méfier de l'ingérence des
femmes, et vraiment on pouvait considérer le monde ecclésiastique comme la
citadelle de l'antiféminisme. La religion avait pris une tournure raisonneuse
et théologique ; elle ne connaissait qu'une morale, elle appliquait aux
femmes du monde et aux âmes les plus hautes les règles enseignées dans les
faubourgs. Erasme répète encore avec complaisance la maxime de saint Paul : «
Le Christ est la tête de l'homme, l'homme la tête de la femme ; l'homme est
l'image et la gloire de Dieu ; la femme, la gloire de l'homme[3]. » Ç'a été pour les Pères de
l'Eglise une vieille habitude — qui remontait au Sage des Sages, à Salomon !
— de comparer les femmes, et même la sainte Vierge, à la lune. De la
littérature sacrée, cette comparaison, ou ce rapprochement, passa dans la
littérature profane, qui en a usé et abusé. Rabelais prétend que les femmes
jouent à cache-cache avec leur mari, comme la lune avec le soleil ; Boccace,
Brantôme rééditent ce vieux proverbe, que la vertu des femmes aurait besoin
de se reformer et de renaître tous les mois comme la lune[4] ; tel poète cri tique la lune,
pâle comme un amour de femme[5], tel autre l'adore blanche
comme sa bien-aimée[6]. Les
platonistes aiment assez cette comparaison fantasmagorique, qui probablement
leur figurait tout un monde de fraîcheur et de joies domestiques. Le bon
Dolce lui-même estime que la lune est femme. « La nuit, dit-il, elle filtre
partout, en dépit des volets et des persiennes, elle inspire les idées des
maris[7]. » En France, au temps de
la belle Diane, la lune l'emporta sur le soleil : le roi arbora des
croissants entrelacés[8]. Mais l'Eglise ne va pas
jusque-là. Elle exclut les femmes du sacerdoce ; traditionnellement, elle ne
leur permet rien, sauf la piété individuelle[9], tout au plus l'héroïsme, comme
chez sainte Catherine de Sienne, la femme au souvenir lumineux[10]. Il fallait donc que, laissant
là, une bonne fois, les éminents dogmaticiens et subtils moralistes, les
femmes renouvelassent tout, pour se faire leur place dans un ordre d'idées
absolument nouveau. Beaucoup
d'esprits éclairés dans l'Eglise même appelaient ce renouvellement. La
lassitude, le dégoût qu'on éprouvait pour certaines petitesses de la
pratique, pour le raisonnement, pour la morale glacée, avaient fait
disparaître ou à peu près l'esprit de foi et la foi ; le beau devint
facilement la règle théologique. Seulement les uns cherchèrent leur théologie
dans les abstractions, les autres dans la jouissance d'art. La chute de
Savonarole précipita le mouvement dans le sens de l'art. Ses amis se
découragèrent. Michel-Ange s'attache au Christ douloureux et sanglant, « comme
l'esquif au port[11] », sa foi est devenue
confiance, la théologie dogmatique ne lui inspire plus aucun goût. Bien
loin de se sentir atteinte par cet air philosophique, la vieille et éternelle
Rome s'en estimait rajeunie. « Je suis chrétien-platonicien, » avaient dit
les premiers platoniciens. Trop fiers pour aimer les petits moyens et l'abus
matériel des pratiques, ces prélats-philosophes voulaient faire régner
1'Eglise par la liberté, non pas par l'anémie des consciences. La
philosophie nouvelle se déclarait plus chrétienne que celle d'Aristote et
s'inclinait devant les dogmes officiels, comme le prêtre à l'autel, en se
déclarant « indigne », devant des dogmes d'une autorité presque insolente,
farouches, intangibles, mais corrigés par la tendresse. La religion nouvelle,
c'est la philosophie du Pater. Il suffit de réciter le Pater avec l'esprit
d'amour qui lui convient : Dieu bon et paternel, qui donne la vie, parce
qu'il est la vie même ! Dieu céleste et idéal, dont la volonté doit être
faite, parce que c'est la règle même de l'amour d'avoir sa volonté hors de
soi, dans celui qu'on aime. Nous aimons, non point les idoles du monde, l'or
ou l'argent, mais l'amour et la miséricorde ; le pain quotidien nous suffit,
l'amour a détendu nos ressorts d'ambition ; pleins de douceur et de dignité,
ennemis de l'intrigue, nous avons à répandre dans le monde cette même douceur
et l'indulgence qu'elle comporte ; que Dieu nous pardonne, à nous aussi, le
mal, si nous le commettons. Que sur notre route sa providence ne mette pas la
tentation, afin de nous épargner d'y succomber ! Dieu
est tout amour et toute vie ; il n'a pas voulu nous trahir en nous tendant
des rets ; sa religion ne peut être que la plus parfaite mise en œuvre de la
loi naturelle. La sagesse religieuse n'est pas une sagesse de découragement
et d'abdication individuelle. Il y a,
dans la religion, une partie positive, de foi, bonne à abandonner aux
raisonneurs et aux théologiens, car elle soulève des problèmes insondables ;
puis, des principes de morale pratique, qui ont le bonheur de l'homme pour
objet. Sur le
second point, l'Evangile nous laisse une grande liberté : pour la beauté, il
n'a point de dogmes ; il s'est borné à nous léguer l'amour, non pas un amour
plus ou moins mêlé d'égoïsme, de vanité ou d'intérêt, mais un amour général,
pour Dieu, pour nos semblables, résultant d'un culte intime. Dès
lors, à quoi bon de subtiles chicanes ? ou un étroit esclavage ? Aimez, et
allez droit votre chemin, voilà la formule nouvelle, très active,
puis-convertit les dogmes en sentiments, et que, par conséquent, elle leur
donne une action directe sur la vie ; très philosophique, car rien n'est
aussi personnel, aussi individuel que le sentiment. Et, comme le dit
Montaigne, « c'est une très bonne et très louable entreprise d'accommoder au
service de notre foi les outils naturels et humains que Dieu nous a donnés...
Si nous tenions à Dieu par l'entremise d'une foi vive, si nous tenions à Dieu
par lui, non par nous... l'amour de la nouveauté, la contrainte des princes,
la bonne fortune d'un parti, le changement téméraire et fortuit de nos
opinions n'auraient pas la force de secouer et altérer notre créance[12]. » La foi
est la meilleure et presque l'unique garantie de la liberté de penser. Voilà
pourquoi, dans les appartements officiels du pape, l'Ecole d'Athènes,
éclectique hommage à l'esprit philosophique, fait pendant à la Dispute du
saint Sacrement, synthèse de l'esprit de foi, et pourquoi le Parnasse semble
les unir. Personne ne trouvait à redire à cette alliance. Erasme insiste sur
ce que le christianisme et Platon s'harmonisent à merveille, en vue du
bonheur[13] ; Cornelius Agrippa lui-même, à
qui il arrive d'appeler Platon un « maître d'erreurs[14] », attribue à Socrate une
inspiration divine[15]. Léon X
agissait comme pape en patronnant Platon[16]. On a
plaidé en sa faveur les circonstances atténuantes ; comme la tradition
romaine excelle à s'accommoder aux besoins de chaque temps, quelques
écrivains catholiques ont pensé que l'alliance des prélats romains avec le
nouveau culte esthétique avait été une œuvre de raison et de circonstances.
Il nous semble qu'au contraire Rome, pétrie depuis un siècle et demi de
fortes études[17], s'était mise à la tête du
mouvement. A tort ou à raison, elle crut que la religion est l'art de vivre,
librement, en paix. « L'âme est bien au-dessus de l'intelligence[18]. » En
vertu de cette maxime, apparurent, chaleureusement liguées avec les prélats
pour réformer la pratique chrétienne et lui restituer son impulsion
primitive, les femmes, platonistes ou non, qu'on a appelées « bibliennes » et
que nous appellerions plus volontiers Mères de l'Eglise. Aujourd'hui on
s'attache assez volontiers aux côtés extérieurs et pittoresques de la Bible ;
on la lit comme une histoire arrivée ; on aime une illustration réaliste. Les
« bibliennes », à leur façon, cherchèrent aussi des impressions, plutôt
qu'une doctrine ; car ce qu'elles appellent « ma religion », c'est la
doctrine des autres, sur laquelle elles évoluent comme des patineuses. Ce qui
leur importe dans l'Evangile, c'est la philosophie[19]. Elles veulent en profiter
suivant leur système, c'est-à-dire par l'intuition, par (les voix d'en haut.
La foi dans la sorcellerie fleurissait plus que jamais, et il semblait tout
naturel de considérer les femmes comme les interprètes spéciales de l'au-delà[20]. Les sanglantes persécutions du
XVIe siècle ne réussirent pas à déraciner la croyance aux sorcières, qui se
prêtaient parfois à des sabbats ignominieux, mais qu'on allait le plus
habituellement consulter pour se faire dire la bonne aventure, pour conjurer
des sorts de toute espèce — à moins que ce ne fût pour les jeter —, pour
traiter des maladies[21], pour obtenir le beau temps,
etc.[22]. L'immense ambition de Jules II
venait, disait-on, de la prédiction d'une sorcière qui lui avait dit de ne
rien craindre, qu'il obtiendrait la tiare et la domination universelle[23]. Les sorcières déchaînaient le
diable, ou le retiraient, à volonté. Leur pouvoir était donc mauvais, mais
surnaturel. On disait « une sorcière » ; dans certains pays, le mot « sorcier
» n'existait même pas. Si la sorcière incarnait, pour les crédules, l'aptitude
particulière des femmes à la médecine et à la religion, cela n'était pas
absolument faux, et on pouvait se figurer les femmes comme aptes à l'exercice
du pouvoir surnaturel. Il était à la mode d'exalter les antiques sibylles,
sur le même pied que les prophètes[24]. Ces êtres fameux donnaient le
contact entre l'antiquité et le christianisme ; au lieu de peindre, comme le
voulait Jules II, les douze Apôtres, autrement dit les ministres actifs de la
foi, Michel-Ange, hardiment, triomphalement, étala sur les voûtes de la
Sixtine sept prophètes et cinq sibylles, c'est-à-dire les ministres de
l'intuition. Ainsi,
les femmes se substituent aux prêtres comme aux médecins, par horreur du
matérialisme et du métier, par devoir, par esprit de liberté, par charité,
sans prétention à l'étude des grands problèmes, mais dans un but d'hygiène,
pour défendre la jeunesse et la beauté de leur âme. Apôtres de la religion
aimable, de la religion souriante, elles s'adressent aux misères qui frappent
surtout ceux qu'on appelle les heureux ; les malheureux sans doute n'ont pas
le temps de penser à leurs maux ; il a toujours été bien plus difficile de
guérir les riches, les bien portants, les jeunes... L'idée
du sacerdoce féminin pénétra très facilement en Italie : « On ne voit Dieu
que par les femmes. » Les femmes s'adressèrent aux hommes d'élite,
philosophes, écrivains, prédicateurs, hommes d'action, qui voulaient voir
Dieu et qui n'avaient pas la vue assez longue. Dans l'art religieux, comme
dans les autres, derrière tout prélat important apparaît une femme, si ce
n'est plusieurs. Bembo est l'ami d'Olympia Morata[25], cela n'a rien que de fort
naturel. Un moine fougueux, altier et sévère comme Ochino, avec sa grande
figure exsangue et sa longue barbe blanche un peu hirsute, ne paraissait
guère un futur adepte de la franc-maçonnerie féminine ; il finit pourtant par
s'appuyer sur un clan de femmes ardentes, en tête desquelles brillait une papaline,
Caterina Cibo[26]. Le pape lui-même composait
avec les femmes ; Paul III leur témoigna sa déférence en diverses
circonstances, notamment par une visite à Ferrare, qui était le siège notable
d'un véritable concile féministe[27]. Vittoria
Colonna brille au premier rang des Mères de l'Eglise ; c'est la femme
classique par excellence. Elle faisait faire des conférences à Naples et à
Rome[28]. Elle soutint et consola les
prélats les plus éminents. « Puisque la haine des autres, prix de mon
dévouement, ne m'a pas ravi la bienveillance de Votre Excellence, lui écrit
de Rome le dataire Giberto, toute autre perte me semble peu de chose ; Votre
Excellence ne peut me faire grâce plus singulière que de me commander[29]. » L'évêque
Selva mande au cardinal Pole : « Merci de la copie de votre lettre à la
marquise de Pescara, sur les événements ; elle est digne de cette femme
chrétienne[30]. » Et le bon Sadolet, au même
Pole : « J'ai lu la lettre que t'adresse la très sainte et très prudente dame
marquise de Pescara, où elle parle de moi et paraît approuver notre station
ici ; c'est pour moi un plaisir incroyable que mes conseils soient approuvés
de tant de vertu et de sa gesse[31]. » La
flamme sainte de la marquise pour le cardinal Pole brille de feux très
mystiques. Vittoria écrit à ce cher prélat comme « à l'intime ami de l'Epoux
qui me parlera par vous et qui m'appelle à Lui, et qui veut que je
m'entretienne de ce sujet pour m'enflammer et me consoler[32] ». Le
féminisme religieux s'acclimata en France assez difficilement, par la faute
des femmes elles-mêmes. Elles étaient habituées à ne pas sortir des sentiers
officiels du paradis, des jeûnes et abstinences[33], des indulgences, des pardons,
des reliques, des vœux, des pèlerinages. Suivre la procession de la
Fête-Dieu, au milieu de ses laquais qui portaient des torches armoriées,
laver les pieds des pauvres le jeudi saint et remettre à ces pauvres un
panier de provisions, ne pas manquer une prédication, se faire dire la messe
sur un autel privé tous les matins[34], acheter des indulgences, voilà
la religion des grandes dames françaises. On accusa cette religion-là de
procéder d'un rigorisme un peu machinal, et de ne rien prouver ; aussi bien
que, parmi ces femmes de vieux style, il y en a de vertueuses sans honnêteté,
il y en avait de dévotes sans piété. Dans la simple bourgeoisie, c'était
encore pis ; « anges à l'église, diables à la maison, singes au lit ![35] » Que de maris enrageaient
de ne pas trouver le pot au feu prêt et d'apprendre que Madame achève ses
Heures[36] ou mange les images » !
Un vieil écrivain prétend que, pour les dévotes, il n'y a pas de milieu :
aigreur, caractère revêche et désagréable, ou adultère[37]. Et cependant les mêmes
prédicateurs que nous avons déjà vus s'acharner à conserver le terre à terre
moral vantent également le terre à terre religieux ; ils ont grand'peur d'en
sortir. Ils aiment que les femmes restent comme des petites filles, sans cesse
tourmentées de scrupules infinitésimaux ; ils vantent précisément leur
étroitesse de pensée, leur obéissance passive, méticuleuse ; c'est à de
pareils traits qu'ils prétendent saluer les Clotilde, les Théodelinde ; et
si, à son premier pas après la Résurrection, le Sauveur alla frapper à la
porte du jardin de Madeleine[38], cette faveur, d'après eux,
avait pour motif l'esprit purement passif et docile des femmes. A Paris, où,
dit-on, les femmes manquent de haute philosophie, « il y a plus d'œuvres de
charité et on y dit plus de messes qu'on ne fait de Paris à Rome[39] ». Du reste, certains flatteurs
voyaient partout de la vertu, et ils en arrivaient à citer Charles VIII comme
un ange[40], les boulevards de Paris comme
un sanctuaire[41]. Naturellement, ces
raisonnements concluaient au statu quo[42]. A Rome,
c'était tout le contraire : la liberté débordait surtout dans le clan des
fonctionnaires, il était très bien vu de se moquer du gouvernement débonnaire[43] qu'on servait. Déjà, au XVe
siècle, Lorenzo Valla, pour forcer l'avancement, avait publié que ce
gouvernement reposait sur une usurpation et sur un mensonge. On était si
heureux, si tranquille ! Plus d'un baisait le matin les pieds du pape, et le
soir disait des horreurs ; tel Burckhardt. Le dogme de l'infaillibilité[44] servait d'abri et de défense.
De même que Titien envoyait ensemble à l'empereur une Trinité et une Vénus[45], ou que Sigismond Malatesta se
faisait peindre à genoux devant des madones, ou que l'irrespectueux Pogge
destinait ses fils à la prêtrise, l'Arétin aussi disait « ces dames », en
parlant des saintes et des Vénus mêlées, et se confessait avant de mourir. Loin de
s'émouvoir d'attaques théologiques ou de critiques arriérées, Rome ne
songeait qu'à déployer son atticisme, à sauver l'antiquité de la submersion
du Moyen Âge, comme elle l'avait déjà sauvée de la submersion des barbares. L'esprit
de Dieu souffle où il veut[46] ! Comme
disait le père d'un cardinal, on n'était pas homme du monde, si on ne
risquait pas quelque hérésie[47]. L'incrédule que représente
Raphaël dans la Messe de Bolsena est un homme fort distingué. On
pouvait rire de tout : des idées, des hommes ! Deux cardinaux se moquent de
Raphaël qu'ils accusent d'avoir donné à saint Pierre et à saint Paul un teint
un peu trop rubicond. « Bah ! riposte le peintre, ils rougissent de vous voir
gouverner l'Église. » Castiglione demandait un jour, en riant, à Phèdre
Inghirami, pourquoi, le vendredi saint, lorsqu'on prie pour les païens, les
juifs, les hérétiques, les évêques, etc., on ne prie pas pour les cardinaux :
« Parce que, répondit Phèdre avec un grand sang-froid, ils sont compris dans
l'oraison pour les hérétiques et schismatiques. » Le même Castiglione
trouvait l'aumônier du duc d'Urbin un peu long à dire sa messe, et réclamait
un prêtre plus expéditif. « Impossible, » répond l'aumônier, et, se penchant
à l'oreille de son détracteur : « Sachez que je ne dis pas le tiers des secrètes[48]. » Le
concile de Latran, en 1512, avait bien prescrit aux prêtres de faire dans
leurs études une part au droit canon et à la théologie[49]. Il leur recommandait aussi de
croire à l'immortalité de l'âme. Mais ce n'étaient là que de bien légères
entraves à la liberté de la pensée. Lorsque Pomponace nia précisément
l'immortalité de l'âme, les Vénitiens, qui avaient la logique des gens du
Nord, condamnèrent son livre aux flammes ; mais Léon X ne répondit même pas à
la demande d'excommunication. On en disait bien d'autres au Vatican[50] ! On y était habitué à entendre
bien autrement parler du cérémonial et des dogmes[51] ! Le jugement qu'on peut porter
sur Rome est celui de Talleyrand ; quiconque ne l'a pas connue n'a pas connu
la douceur de vivre. Un moment. Adrien VI voulut restaurer des habitudes plus
sévères : cela ne plut pas, et Clément VI se hâta de ramener l'esprit des
Médicis[52], un « déisme attendri »,
suivant le spirituel mot de M. d'Haussonville[53], et de chasser « les imbéciles,
les niais », comme disait Bembo. Le pape soutint contre Charles-Quint les
protestants. Il voulut entendre Firenzuola, dans sa robe de bénédictin, lui
lire des fragments de ses dissertations sur l'amour[54]... Ce beau règne[55], Paul III se piqua de le
continuer. Bembo devint une sorte de patriarche ; ses Asolani servaient de
bréviaire religieux comme de formule philosophique[56]. Temps
délicieux ! où rien ne devait s'attarder dans le médiocre ! où le culte de la
beauté semblait résumer toutes les aspirations divines et humaines, toutes
les saintetés ! Les
cardinaux montraient un luxe intelligent parce qu'il fallait au royaume de
Dieu en ce monde des princes et des seigneurs. C'étaient
des prélats chrétiens, chargés de diriger un monde un peu païen. Parmi eux,
nous retrouvons nécessairement les docteurs de l'amour et de l'esprit :
Bibbiena, son Plaute en poche[57], toujours rieur et amusant, qui
philosophe à gorge déployée sur les excentricités du moment. « Quelle folie
!... » s'écrie-t-il sans cesse. Prêtre, mais prêtre de la belle forme ! Des
pieds à la tête, féru de mythologie ! et si raffiné, si délicat, que les
naïves émotions d'une madone primitive ne lui donnent aucun frisson. Voulant,
avec son exquise politesse, offrir à François Ier un cadeau royal, il
commande non pas une madone, mais le portrait de la belle Jeanne d'Aragon[58]. Voilà celui que Léon X fait
peindre près de son fauteuil comme le cœur de son cœur. Et
Bembo, qui se recommande à l'Olympe, qui parle de la Beauté suprême, comment
traite-t-il la hiérarchie sacrée ? il écrit à Isabelle d'Este qu'il « désire
La servir et La satisfaire comme si Elle était le pape »... « Mieux vaut
parler comme Cicéron que d'être pape... » Ou bien il ajoute ce post-scriptum
: « Isabelle, ma chérie, chérie, chérie, je te baise de toute mon âme
jusque-là et je te prie de te souvenir de moi comme le mérite le grandissime
amour que je te porte[59]. » Voilà sa formule de charité
! Mais on ne se scandalisait pas trop de ces badinages de jeunesse, pas plus
qu'il ne venait à l'idée de se scandaliser de trouver un palais épiscopal
peuplé de mythologie[60], ou le Corso, un jour de
carnaval, égayé de cardinaux en masques[61]. Ce
laisser-aller de l'esprit aurait eu de plus graves inconvénients, si,
connaissant mal la théologie, on s'était mis à en disserter : mais,
précisément, on ne faisait qu'égratigner les dogmes ; on était trop spirituel
pour parler de choses sans les connaître. Le mot d'ordre était de rendre la
religion aimable. En quoi Sadolet, par exemple, ce Fénelon du XVe siècle,
a-t-il été moins bon prêtre, parce qu'il aimait passionnément « les humanités
», les arts ?... Faute de liberté, on aurait cru les pays catholiques voués à
la dégénérescence. Aujourd'hui
tout est changé ; si Léon X ou Bembo revenaient au monde, ils ne
comprendraient rien à l'inversion qui s'est produite. C'est du côté de
l'Allemagne, chez leurs adversaires d'autrefois, qu'ils retrouveraient la
doctrine qui leur était chère, et une liberté d'esprit qui permet de se dire
chrétien, même sans croire à la divinité de Jésus-Christ. Pour beaucoup des
Allemands actuels, le royaume de Dieu représente l'ensemble des personnes qui
croient au principe de l'amour[62]. Dieu est tout amour ; le
royaume de Dieu, c'est-à-dire un état où tous agiraient par amour, est le but
final de Dieu, en même temps que l'idéal moral le plus universel, le
chef-d'œuvre de la morale et de la religion. Or, chose singulière ! on en est
arrivé à se figurer, — non pas sans doute que les fondateurs de la Réforme
ont professé cette doctrine (l'erreur serait un peu forte), — mais qu'ils ont
ouvert la voie, et mis la cognée dans l'arbre, en inventant la lecture
individuelle des Livres saints. Ainsi l'orthodoxie protestante, qui s'en
tient à une tradition hiératique et quasi infaillible, apparaîtrait comme un
pseudo-catholicisme, tandis que le protestantisme libéral, qui s'avance sans
aucun parti pris dans le champ d'une pensée sans limites, représenterait
l'aboutissement logique de Luther et de Calvin. En
revanche, on croit que l'armure autoritaire, l'esprit d'étroitesse et de
fonctionarisme quelquefois adopté par le catholicisme depuis ses luttes du
XVIe et du XVIIIe siècles lui est indispensable et que la Réforme a été faite
pour la lui ôter. C'est
au contraire à Rome que les idées libérales s'étaient installées avec la
hardiesse la plus extrême. Elles furent vaincues, il est vrai, et disparurent
; mais si Luther et Calvin ont eu la gloire de les abattre, le temps, à son
tour, a fait son œuvre, et, de Luther comme de Calvin, il ne reste plus
grand'chose aujourd'hui. Le
protestantisme libéral actuel est l'antithèse de l'esprit primitif de la
Réforme. La
Réforme a eu des côtés politiques et sociaux dont nous n'avons pas à parler ;
en matière religieuse, elle éprouva un besoin de réorganisation
disciplinaire, très naturel, qui d'ailleurs ne lui était pas spécial ; mais
elle eut pour but essentiel de réagir contre la libre pensée, de revenir
autant que possible vers le moyen âge, d'arracher le monde à l'idéalisme
romain, œuvre de prélats et de femmes, et devenu un dilettantisme de
l'esprit. La vieille Allemagne voulait des vertus positives ou tout au moins
affichées, un piétisme quasi militaire, et des raisonnements théologiques.
Elle se révolta contre la vie au soleil. Pour
patronner le culte esthétique, les Françaises ne furent point gênées par leur
mari, comme en matière morale. La plupart des hommes professaient un
scepticisme bienveillant, qui en faisait ce que nous appelons des « modérés
», c'est-à-dire non pas des partisans chauds d'idées modérées, mais des
partisans modérés, ou même négatifs, d'idées quelconques ; et, par
conséquent, ils étaient prêts à subir toute impulsion, même féminine. Pour
être mystique, il ne manque à Montaigne que de l'être ; et les Montaigne sont
légion ; seulement, on ne les voit pas ; en leur qualité de modérés, ils se
cachent. L'obstacle,
cette fois, vint du clergé, dont la masse en France, comme en Allemagne ou en
Angleterre, faisait étroitement corps avec la nation, au lieu que la nation
fît corps avec lui, comme à Rome ; il possédait un cinquième environ du sol,
et s'y trouvait rivé. Le curé de village, issu de la glèbe, appelé, en
sortant de l'école, à une église, la desservait, sans espoir d'avancement,
avec le même esprit que le seigneur répandait aux services de ban et
d'arrière-ban : un peu perle de basse-cour, beaucoup moins habile en
théologie ou en platonisme[63] que pour combiner la sauce[64] d'une carpe de choix, ou pour
faire admirablement rôtir le poulet qu'il rapportait sous son bras en
revenant d'administrer un moribond[65] : joyeux vivant et bon
compère, mais à mille lieues d'un mouvement mystique ou d'une croisade
d'idéal... S'il y avait une réforme à faire, la seule qui parût utile, t'eût
été de l'autoriser à se marier[66] ; les hommes d'Etat français,
quoique très bons catholiques, étaient extrêmement de cet avis[67]. A plus forte raison, ne
pouvait-on pas compter comme suppôts de l'idéal une foule d'ouvriers, de
commerçants, de paysans même, gens fort pratiques, qui s'étaient fait
tonsurer pour dépendre des tribunaux ecclésiastiques, qui n'avaient de clercs
que le nom, et qui contribuaient encore à enraciner l'Eglise dans les milieux
populaires[68]. Jamais
les femmes n'auraient songé à s'attaquer à cette masse obscure, inconsciente,
pour y jeter la semence du beau. Restait
le monde des abbés distingués, du haut clergé, des prélats de cour ; mais,
comme les bénéfices servaient à rémunérer les mérites les plus divers[69], plutôt qu'à encourager un
système philosophique, il y avait de tout parmi la haute prélature française
: des prêtres éminents, des religieux vénérables, des cadets ou des bâtards
de grands seigneurs, des professeurs, des magistrats, des hommes de lettres ;
on ne se serait jamais douté que Melin de Saint-Gelais fût abbé... Fauste
Andrelin publiait sans vergogne une épître à sa belle, à côté d'une adresse
au cardinal d'Amboise, où il réclamait un avancement ecclésiastique
[70]. Les
bibliennes se mirent à la tête de ce haut clergé si bigarré ; elles sont « clergesse
», comme dit un satirique[71], elles forment la cléricature
nouvelle, l'armée du salut. Elles veulent, tout simplement, enlever ces
hommes, ces prêtres, d'un coup d'aile, dans le bleu limpide du ciel, comme en
Italie. Estimant sans doute, suivant le mot d'une femme distinguée, que « la
loi des sexes et ses pieux mystères mènent à la grande sainteté[72] », elles voient rayonner dans
la suprême lumière de sympathiques groupes, tendrement mélangés : le vieux
saint Jérôme soutenu par la jeune Paule, François d'Assise par la douce
Claire ; de même que François de Sales et Jeanne de Chantal, Vincent de Paul
et Louise de Marillac allaient encore s'appuyer l'un sur l'autre, selon
l'éternelle loi, — sans compter tant de saintes filles, amoureuses du Christ
« dans sa sainte humanité », comme sainte Thérèse, ou qui se passaient
au doigt un anneau de mariage mystique, comme Jeanne de France en fondant
l'Annonciade. Il faut que la foi devienne de l'amour et qu'elle répande un
charme saisissant[73] ; que le prêtre cesse de se
croire un gendarme. Combien de pauvres âmes, affamées d'amour, ne sont
tombées bien bas que faute d'idéal ! Ce sont des malades, qui pourraient
devenir des artistes en sensibilité ! Les femmes tendent la main à Dieu, pour
qu'il les aide à regarder la vie avec confiance, avec joie, avec amour. Marguerite
de France fut, au premier chef, une de ces bibliennes françaises, point
discuteuse, et, du reste, sceptique quant à l'absolu du bien et du vrai en ce
monde, mais contemplative, intuitive[74]. Elle a la foi[75] ; elle croit aux sacrements[76], elle ne nie point le
Purgatoire ; elle ne cherche aucunement à dresser des échelles de
raisonnement pour se rapprocher des vérités insondables qui planent sur nous
; elle préfère prendre des ailes et s'envoler. Les hommes lui paraissent si
petits, si faibles, si fourmis, qu'un peu plus ou moins de mérites de leur
part ne marque pas beaucoup dans l'immense stade qui les sépare du bien
parfait ; elle se figure Dieu comme la bonté pure, l'indulgence, l'amour, et
c'est pourquoi il faut voler vers lui par amour. Elle s'attache à sainte
Catherine de Sienne, non pas comme théologienne, mais parce que « rien
qu'amour n'es-toit son argument ». Par ce
simple exposé de principes, on voit tout de suite dans quel genre de clergé
les femmes vont chercher leurs alliés ; elles aiment ceux qui aiment. Elles
n'apprécieront pas l'évêque de cour qui joue au chasseur[77] ou au guerrier[78]. Leurs amis, ce sont les
attiques prélats ; elles savent bien que l'amour platoniste a peu de prise,
hélas ! sur cette brillante jeunesse française, et que l'amour divin la
domptera difficilement ; à force de douceur, elles ne désespèrent pourtant
pas de réussir. Le protonotaire d'Anthe tombe malade ; Marguerite aussitôt
lui envoie l'ordonnance suivante : décoction de « plaisants souvenirs, et sûr
espoir d'amour », un peu de « poudre de ris », une goutte de « vrai
plaisir », un extrait de « pomme d'amour[79] », bref des remèdes qui
n'ont rien d'héroïque. Le joyeux Bandello se fait guérir par un bon évêché,
celui d'Agen[80]. On a
souvent incriminé le système de la piété d'amour, et naturellement, si l'on
ne comprend pas le platonisme, on verra une foule d'arrière-pensées plus ou
moins déplorables dans ces « galanteries spirituelles ». Le grave Nicolle a
même trouvé au XVIIe siècle un joli mot à l'égard des ecclésiastiques un peu
enjuponnés ; il les appelle « des prêtres à demi mariés ». « Mariage » serait
un mot dur pour les unions dont nous parlons. Il est bien naturel que des
femmes sensibles cherchent leurs amis et collaborateurs parmi les âmes
sensibles Du reste, l'expérience prouve qu'on ne peut rien faire des
raisonneurs, sauf par la force ; on ne convertit que les sensibles : seuls,
les saint Augustin ont des ressources pour le bien. Le
programme pratique des femmes consiste d'abord en ceci, qu'elles attachent un
prix extrême au développement de la sensibilité extérieure dans le culte ;
rien ne les séduira moins que la sévérité des Réformés et un programme de
nudité sauvage ; elles aiment la pompe et le décorum. La religion, pour
elles, c'est l'essence même de l'art ; l'art, en s'élevant, se confond avec
la religion ; l'insaisissable frémissement esthétique peut seul porter l'âme
de l'exprimé à l'inexprimé. Le plaisir n'est pas la fin de l'art : il n'en
est que le véhicule. La fin de l'art, c'est Dieu. Eglises
viz, s'écrie Marguerite, belles, riches, anticques Tables
d'autelz fort couvertes d'ymaiges D'or
et d'argent... Je
prins plaisir d'ouyr ces chants nouveaulx, De
veoir ardans cierges et flambeaulx, D'ouyr
le son des cloches hault sonnantes Et
par leur bruyt oreilles estonnantes : C'est
paradis icy, me dis-je alors[81]... Un jour
de vendredi saint, à Brionne, une châtelaine normande est fort scandalisée de
la manière fantaisiste dont le curé exécute les chants de la Passion ; en
sortant, elle le fait appeler, et voici le dialogue qui s'engage : « Monsieur
le curé. je ne sais pas où vous avez appris à officier à un tel jour qu'il
est aujourd'hui, que le peuple doit être tout en humilité ; mais à vous ouïr
faire le service, il n'y a dévotion qui ne se perdist. — Comment cela, Madame
? dit le curé. — Comment ! Vous avez dit une Passion tout au contraire de
bien. Quand Notre-Seigneur parle, vous criez comme si vous étiez en une halle
; et quand c'est un Caïphe, ou un Pilate ou les Juifs, vous parlez doux comme
une espousée. Est-ce à vous à être curé ! Qui vous ferait droit, on vous
priverait de votre bénéfice ! » Le curé s'en tire en vrai normand, par une
plaisanterie antisémitique « Madame, j'ai voulu mont rer que chez moi le
Christ était maître et les Juifs soumis[82]. » Une
espèce de sensualisme extérieur dans le culte fait donc partie intégrante de
la religion féministe. Quant à la substance de cette religion, elle varie
suivant les femmes, et même suivant les jours, car elle se compose
d'impressions. Sa
source principale est la lecture des Livres sains. C'est
une erreur courante de croire que la grande réforme de Luther a consisté à
préconiser la lecture directe et libre des Ecritures. L'étude de la Bible
était, on peut dire, poussée à outrance parmi les femmes catholiques. Vives
va jusqu'à en faire une des règles principales de l'éducation des jeunes filles[83]. Et même on protestait vivement
contre l'abus de ces lectures. Bien avant Luther, dès 1504, le Pasquin
français Gringoire, aussi bien que certains prédicateurs, les dénonce comme
un véritable fléau[84]. Plus tard, Brantôme
s'indignera encore de voir la Bible dans la main des enfants, Montaigne de la
trouver en discussion dans les carrefours ou dans les arrière-boutiques. Mais
les femmes s'irritaient à leur tour des réserves qu'on voulait opposer à leur
zèle. Ces critiques d'hommes leur rappelaient ce pleutre d'Adam, si digne du
second rang, qui s'excuse et rejette sur sa femme la responsabilité d'avoir
voulu tout savoir. Se
défiait-on de leur imagination[85] ? Les croyait-on incapables de
distinguer entre « antiquailleries et modernailleries[86] » ? Ah ! certes,
elles trouvaient à l'Ancien Testament de rares beautés, mais il s'en fallait
qu'elles admirassent tout, aveuglément : les faits et gestes de certains
patriarches ; les contradictions même de la divinité, qui défend de tuer, et
qui tue[87] ! Non, non, la Bible n'est
point le livre d'amour ; c'est le premier des livres, il ne faut pourtant pas
aller y chercher le secret de « changer tous débats en charité souveraine[88] ». L'Ancien
Testament plaît aux amis de la religion terrible, à Savonarole, à quelques
Françaises de vieux style, dévotes et mystiques dans certains moments, mais
en réalité fort matérialistes par leurs goûts et leurs idées pratiques. Les
autres critiquent la Bible comme le reste. Dans la Bible, comme partout, ce
qui les frappe le plus, c'est la lumière des choses. C'est ainsi qu'un
artiste s'arrête devant un paysage, non pour analyser l'action chimique des
arbres ou pour épiloguer sur les races de graminées, mais pour saisir le
charme d'un effet de lumière, d'une vibration pittoresque ; à une autre
heure, avec une autre distribution du jour, le même paysage, bien
qu'identique, n'aurait même pas attiré son attention, parce qu'il s'extérioriserait
moins. Nous ne comprenons pas bien la religion synthétique de ces femmes, nous,
gens de « langue fluide et briefve[89] », habitués à tout
analyser avec une précision d'algébristes, et à ne pas chercher l'Opéra à
Saint-Sulpice. L'œil exercé d'une princesse de la Renaissance se laisse
caresser par des nuances, tandis que le nôtre cherche la géométrie. Pour les
Italiens et leurs amis, aimer, c'est prier[90] : en sorte que, dans
l'Heptaméron, entre messe et vêpres, se placent des entre : tiens moitié
philosophiques, moitié risqués, et que Louise de Savoie y mêle une homélie
bien sentie, ou quelque lecture de saint Jean, « viande si douce... pleine
d'amour[91] ». On
comprend la difficulté de formuler bien exactement les développements d'une
telle doctrine : ils sont individuels et se sentent plutôt qu'ils ne
s'expliquent. Nous n'avons pas affaire ici à des étudiants enfermés dans une
salle fumeuse pour bâtir des thèses : il s'agit de dames, de très grandes
dames, habituées à la plus parfaite liberté d'allures, et à qui leur rang,
leur esprit, permettent de s'entendre face à face avec Dieu, par vision, par
intuition d'amour. Elles se reconnaissent à cette marque. Dans son écrit
l'Adoration des mages — sujet bien digne de sa plume ! —, Marguerite de
France nous donne sa formule : « S'initier aux vérités divines, par la
philosophie, puis par l'intuition, puis par l'inspiration. » Et qu'on ne voie
pas là illuminisme ni orgueil ; c'est simplement de la candeur. Ces nobles
femmes ne marchandent pas leur pitié aux misères humaines, quoique les spectacles
ignobles répugnent à leurs nerfs ; mais elles se tiennent bien au-dessus de
ces misères, de même qu'elles se tiennent au-dessus des discussions. Leur
religion est distinguée. Elles vivent en des hauteurs souveraines, où elles
se reposent des hommes, et touchent au but. Dieu est le premier anneau d'une
chaîne, et l'homme le dernier. Comme disait Gerbert, « dans les choses de
l'action, l'humanité tient le premier rang ; dans la spéculation pure, c'est
Dieu qui est le premier ». Il faut suivre Dieu plutôt que les hommes. Et
c'est une obligation de conscience, pour ceux qui peuvent monter haut,
d'aller à l'origine des choses et de se placer en face des idées. A ce titre,
les femmes, vraiment primitives, du xvi° siècle se distinguent nettement de
leurs filles du xvm° siècle, qu'il est naturel de leur comparer. La femme,
exquise et délicieuse, du avine siècle, a un caractère très superficiel :
elle aime la vie pour la vie, le monde pour le monde. Quelques heures avant
sa mort, Mine Geoffrin, entendant à son chevet une discussion sur
l'administration politique du bonheur, se réveillait encore, pour s'écrier :
« Ajoutez le soin de procurer des plaisirs, chose dont on ne s'occupe pas
assez. » Parole profonde et vraie, ajoute d'Alembert, et que Platon lui eût
enviée[92]. — Celles-ci ont l'esprit moins
mousseux, mais des traits beaucoup plus accentués. Elles ne se préoccupent
que de fraternité, elles refusent de s'atteler à une intolérance ; elles
veulent fondre l'Eglise avec l'idéal ; pour elles, tout homme idéaliste est
religieux ; mais, aussi, jusque dans le monde, elles poursuivent ce haut but
de leur religion esthétique : vivre pour son âme, pour Dieu, vivre d'une vie
latente à côté de la vie réelle. On peut vanter leur piété, leur charité
envers les pauvres[93], et cependant elles sont
dédoublées ; les pratiques extérieures leur répugnent, comme matérielles et
obligatoires : elles aiment la grande foi philosophique, Dieu et ses œuvres. C'est
bien ici qu'on peut parler, plus que jamais, d'un amour de cigognes. Ce que
le platonisme avait tenté, l'idéalisme religieux l'exécute : la superposition
de deux mondes différents. Aussi ne demandez pas à ces grandes darnes de se
passionner pour les rivalités terrestres ; Renée de France fait
indifféremment, de son protégé Richardot, un calviniste ou un évêque
catholique[94]. Le mécanisme matériel de la
grâce divine leur parait institué pour le vulgaire et d'une vérité toute
relative. Elles ne voient pas pourquoi le rayon délicat de la grâce, le verbe
impalpable de la consolation, emprunteraient nécessairement, pour pénétrer
dans les repaires du malheur, la forme d'un moine barbu ou d'un curé hirsute
et crotté jusqu'à l'échine. Elles préféreraient entendre directement cette
voix intime qui disait à sainte Thérèse : « de ne veux plus que vous
conversiez avec les hommes, mais seulement avec les anges[95]. » Les
prêtres sont des hommes chargés de desservir l'église, et non des demi-dieux.
Il y en a de gracieux et de spirituels, comme il y a des abbesses excellentes[96] ; mais passer sa vie dans des
sacristies, ou ne pouvoir faire un pas sans en référer à son curé, voilà qui
parait à Marguerite pure fêlure de cerveau ; elle aimerait mieux, quant à
elle, causer avec un mécréant, ou un athée bel esprit, qu'avec un curé vulgaire,
parce qu'en somme cet athée l'aide à remplir son but, qui est de se
rapprocher de Dieu par le beau[97]. Aimer Dieu et s'humilier
réellement devant Lui, rien de plus naturel, Dieu étant intelligent et roi
des rois ; mais à quoi bon des intermédiaires, souvent si épais ? Clément
Marot, qui connaissait merveilleusement Marguerite, la définit « corps
féminin, cœur d'homme et tête d'ange[98] ». Les amis de la princesse
affirment que, « dès l'âge de quinze ans, elle semblait directement inspirée
de l'esprit de Dieu, dans ses yeux, son visage, sa démarche, sa parole, et
dans toutes ses actions ». L'évêque
de Meaux l'assure qu'en lisant une traduction des Evangiles, qu'il lui offre,
elle sera sacrée apôtre, et recevra directement l'esprit de Dieu, aussi bien,
ajoute-t-il, que lorsque nous — c'est-à-dire le vulgaire — « nous
l'allons recevoir sacramentalement[99] ». Ainsi
les femmes visent à être anges et verbe de Dieu. Par ce haut mysticisme,
elles tranchent nettement sur le catholicisme, bénin et tiède, de la foule. Quelques-uns
de leurs écrits nous permettent de reconnaître comment s'est accompli peu à
peu dans leur sensibilité ce grand travail religieux. Vittoria
Colonna nous a laissé le type de la prière finale de la Renaissance : une
demande de paix et de bonheur, en ce monde et en l'autre[100]. C'est une aspiration, un air
tendre et doux, une mélodie de Gounod, plutôt qu'une doctrine : c'est le
résultat du concours des âmes vers les joies les plus parfaites. Nous
avons sous les yeux les œuvres de trois Françaises qui, quoique
contemporaines, nous montrent comment ce concours s'institua progressivement. La
première, Gabrielle de Bourbon, dame de La Trémoille, conserve encore à son
Château, « œuvre féminine », dit-elle[101], un caractère plutôt moral
qu'esthétique[102]. L'esprit qui va tout
renouveler, tout ciseler, qui doit gaiement ouvrir les portes et les
fenêtres, n'a pas encore passé. Au dedans, sans doute, ce sont des
ravissements ! des visions d'apôtres ! des prophètes et des sibylles sur la
voûte, comme à la Sixtine ! le pain des anges distribué parmi des flots de
lumière ! Mais tout est régulier, droit et ferme ; le cœur contemplatif s'est
servi d'abord du balai de discipline. Et à
l'extérieur, ce château de l'âme chrétienne, un peu semblable à l'Alhambra,
montre un front rude et hirsute. L'Amour met le feu aux canons sur les
remparts, tandis qu'Inspiration surveille la campagne, et que, dans le tout
petit jardin de Béatitude où coule la source de Pitié, de bonnes âmes
cueillent de blanches fleurs exquises, des beaux fruits et des rameaux verts. Dans un
autre opuscule, le Voyage spirituel, récit des aventures d'une âme
errant sur la terre, Gabrielle s'élève nettement contre les nouvelles
divinités : « Présomption, » qui aime les sentiers fleuris ; « Amour de
soi, » hostile aux dogmes terribles, « Vaine gloire, » fort ressemblante à
Marguerite de France. La pauvreté, la virginité, sont encore ses amies, et du
monde elle fait une description naïve, navrante et monstrueuse : un géant,
tout en mains, dont chaque tentacule, remuant à l'envi, brandit une arme
quelconque, livre ou épée. La charité délai f. ce monstre, la foi triomphe.
Gabrielle de Bourbon, elle le dit elle-même, écrit pour les simples, elle ne
se pique pas « d'entendre la sainte Ecriture »... Mais
voici aussitôt une vraie femme du monde. Catherine d'Amboise, dame de Beaujeu[103] ; dans ses Dévotes Epitres,
elle pousse ce cri loyal : J'ay
transgressé tous les commandemens... Pour
abréger, aucun je n'en excepte. Il ne
lui reste qu'une partie noble, le cœur ; elle l'offre à Dieu. Et alors ce
sont des effusions de grand style, pleines d'antiquité, de Bible et de «
sibillacions », un vœu de miséricorde et d'amour le Christ lui passe au doigt
l'anneau de paix, de bénédiction et de rémission il devient son époux et son
amant, et lui donne un ange pour gardien. Avec Catherine d'Amboise, nous
atteignons un paradis fort agréable et aristocratique, qui se compose de «
beaux manoirs et chasteaux ». A la femme du XVe siècle a succédé la
biblienne. Marguerite
donne le dernier coup d'aile, au-dessus de l'œuvre anonyme, et souvent
irréfléchie de la foule : pour garantir son indépendance, elle prend un but
abstrait et élevé. Non pas
que tout soit admirable, ni manie compréhensible, dans ses œuvres mystiques ;
sa correspondance avec Briçonnet, où, dans d'interminables lettres de
quatre-vingts ou de cent pages, elle jargonne de « gasteau de tribulations »
et de « vieilles peaux » spirituelles[104] ; divers de ses écrits : le Miroir
de l'âme pécheresse[105], le Discord de l'esprit et
de la chair, l'Oraison à Jésus-Christ, l'Oraison de l'âme
fidèle, sont fort curieux, comme types précisément d'incompréhensibilité
et de désespérance du raisonnement. Ils ne prouvent pas une psychologie bien
sereine : « Pis que morte, pis que malade, » voilà l'auteur, d'après ses
devises ; elle avait des jours de « haine » pour n'importe quelle doctrine,
pour la Bible, pour l'Evangile[106]. Elle
apprit la mort de son frère par intuition, dans un songe[107]. Depuis lors, le monde
l'accabla : les mystiques savent que c'est ainsi que « l'âme incorporée se
met au chemin du port de salut[108] ». Le mysticisme de Marguerite
devint un étourdissement[109], une ivresse d'amour[110], où se mêlaient des éléments
divins et humains[111], et qui avait évidemment pour
objet de perdre de vue beaucoup des misères de la vie. C'est
dans le livre intitulé le Triomphe de l'Agneau que nous voyons le
mieux se dessiner le Christ de son cœur, son dieu sauveur et émancipateur,
rayonnant au-dessus de la noire usine humaine. La Mort elle-même devient
aimable, et, comme une « courtoise amie », ouvre les portes du ciel à tout le
monde ou à peu près[112]. La
foule a droit à la clémence, à une immense clémence ; en nous pétrissant
d'argile un peu grossi ère, le Ciel n'a pas voulu faire que des malheureux.
Marguerite a horreur de la mort[113] ! L'amour la rassure et
l'aide à percer le mystère. Au dernier jugement, ce n'est pas un Christ
vengeur, c'est un agneau qui rendra la justice ! On blâmait la facilité des
indulgences ; Marguerite tranche la question ; elle propose l'amnistie. Du
mysticisme, il y avait déjà d'innombrables variétés connues, autant que de
l'amour[114]. Pérugin, Averulino, les
prêcheurs de la royauté du Christ, saint Bernardin de Sienne, Savonarole,
combien d'autres encore ! continuaient les grandes traditions de l'Italie. La
France, quoique plus réfractaire, avait aussi ses mystiques, notamment à Rouen
et en Picardie, où les palinods, âmes d'élite, magistrats, conseillers
municipaux... venaient, depuis longtemps, chanter la Vierge et dire du mal du
corps : La
chair, quoy ? nourriture mortelle ! L'esprit
d'amour nourrit le tueur fidèle ![115] Ces «
palinods » étaient des gens d'esprit et d'ardeur ; sans rien demander au
clergé qu'ils criblaient de lazzis, ils avaient recours à des moyens
mondains, pour répandre leurs idées : à des concours, à des pièces de
théâtre. Ils ressemblaient aux femmes par l'abus de l'intellectualité, par
l'incessante démangeaison d'écrire ou de parler, par le goût du mystère, de
l'incognito[116]. De même pour leurs impressions
; ils voulaient retrouver et mettre en relief la vraie vie du Christ,
c'est-à-dire la vie mystique et intérieure que, d'après eux, les Apôtres,
gens grossiers, avaient trop négligée[117]. Certes, c'était un noble but.
Marguerite eut avec ces palinods d'excellents rapports[118]. Cependant le mysticisme
platoniste est autre, et comporte une abstraction bien plus générale ; il se
défie des sens[119], de la forme matérielle ; il
veut voir la réalité des choses, l'essence de Dieu. Parmi les prélats, il a
produit cette exquise Académie de piété et de prière, « l'Oratoire du divin
Amour, » qui se tenait à Rome dans l'église des saints Silvestre et Dorothée
du Transtevere, sous le règne de Léon X, et dont faisaient partie soixante
prêtres ou prélats, notamment Sadolet[120], où l'on ne songeait qu'à
réformer les mœurs, et d'où la prière s'élevait délicatement, comme ces
spirales de feu que la Bible nous montre sur les autels agréables au
Seigneur. Le
mysticisme féminin est plus large ; il a pour but de développer le bonheur,
c'est-à-dire de nous mener au sommet d'un monde idéal, plein d'amour et de
pureté. L'amour, ayant perdu le caractère égoïste et licencieux sans lequel
l'esprit français se refusait à le comprendre, devenu un rêve pour nous comme
pour les races idéales, représente la substance même du monde ; il est divin
et éternel, il ramasse toutes choses, même les hommes, dans le cœur de Dieu.
L'Evangile n'est que la mise en œuvre de cette haute loi naturelle, déjà
entrevue par les païens, et à laquelle Sénèque osait à peine faire allusion
lorsqu'il écrivait : « Quand donc vous aimerez-vous les uns les autres ?[121] » L'Evangile couronnait la
sagesse humaine. Aussi Erasme voulait-il canoniser Virgile et ajouter aux
Litanies un répons nouveau : « Saint Socrate, priez pour nous[122] ». On citait Platon en
chaire[123] ; Anne de France, qui est la
rectitude même, a grand soin de mêler les philosophes et les Pères. Trajan
passait pour un modèle ; Louis XII et Guevara, le précepteur de
Charles-Quint, vivaient des sentences de Marc-Aurèle[124]. On
visait à une sorte de mysticisme naturel qui aurait pour but d'exprimer le
suc du monde. « C'est Dieu, disait-on, qui donne au ciel ses clartés, aux
arbres leurs ombrages, aux vignes pétillantes leurs pampres et leurs fruits,
c'est Lui qui répand les fruits, les larges moissons, l'immense floraison des
choses, les sources de cristal, les tapis des prairies. Voilà pourquoi
chasser, pécher, récolter, remplir toutes les conditions de la vie, est le
fait du chrétien[125]. » Personne
n'incline vers le naturalisme, et ne se figure que tout ce qui est naturel
doive passer pour bon ou beau ; au contraire, on veut relever et cultiver la
nature, même à outrance. Votre vigne vous donne de mauvais vin, M. Zola vous
dirait de le boire, et J.-J. Rousseau de boire de l'eau ; on vous dit de le
distiller en eau-de-vie. A la nature on veut emprunter certaines forces quasi
mystiques, qui y existent en puissance. Aussi ce mysticisme-là ne conduit-il
pas, comme celui de sainte Thérèse, à repousser de parti pris les
satisfactions terrestres[126] et à adorer la mort[127], la souffrance, l'humiliation[128]. On « cueille le jour », comme
disaient Horace et Laurent de Médicis. On laisse à Albert Dürer et autres
artistes germaniques le monopole des danses macabres et des squelettes
emportant les jeunes filles. « Pour
perte de serviteurs[129], il ne se faut pas désespérer,
car on en retrouve assez ; » ainsi parlent les belles dames, non pas par
indifférence, mais de peur que l'idée lugubre ne leur remue le cœur et les
entrailles ; car « il n'y a nulle de nous, si elle regarde à sa perte, qui
n'ait occasion d'extrême tristesse[130] »... Nous aussi, lorsque nous
demandons à l'histoire, ou au roman, ou au théâtre, de nous transporter un
peu en dehors de nous-mêmes, est-ce que nous ne cherchons pas, au fond, la
satisfaction d'oublier la mort, et peut-être d'oublier la vie ? Voilà
le fond, très humain, de ce mysticisme. En revenant à la page où l'on aime,
on ne veut pas sentir sous ses doigts la page où l'on meurt[131]. Loin d'oublier la vie, on
l'affirme ; le secret de la vie, c'est la vie ! On insulte la mort. Ainsi on
rira d'introduire un spectre au dessert, un squelette au bal ; comme Boccace,
Machiavel encadre ses plus gais récits dans un horrible cadre de peste ; des
gens riches rient et aiment, sous de frais ombrages ; le voisinage de la
mort, à quelques pas de là, est leur excuse. Telle est la clef de ce
mysticisme nouveau. C'est une danse tragique des fragilités ; ceux qui la
mènent ne voient rien de fragile. Ils se forgent une arme artificielle, ils
préfèrent la beauté à la vérité. Par
suite des mêmes idées, on s'élève droit à Dieu. Le culte délicat de la
Vierge, un peu délaissé, ne fleurit plus que dans un coin, très discrètement,
comme la belle plante rare que les peintres flamands aiment à figurer dans
une coupe de cristal[132]. La correspondance s'établit
avec le ciel par de hardis sémaphores, malheureusement vagues et espacés !
Sainte Thérèse, en vraie flibustière, parlerait de prendre le ciel d'assaut
et d'emporter un à un ses réduits successifs ; l'idéal philosophique est différent
: une simple chevauchée, en pays ami. Par un beau jour de mai, lorsque la
nature, débordante d'amour, se répand en effusions échevelées, un chevalier,
« le Beau-Doulx[133] », part, parmi les fleurs
et les prairies, pour conquérir le « noble et plaisant château d'Amours »,
château tout de saphirs et d'émeraudes ; il n'emporte ni canons, ni échelles.
Arrivé sous les murs, il se met à genoux et déclare qu'il aime. C'est tout. Voilà
« le royaulme de Paradis, auquel est l'amour divin ». La
nature salue Dieu en nous, et elle nous montre Dieu. Le chant qui s'élève de
la mer monte jusqu'aux astres ; la tiédeur de l'air est un symbole de
miséricorde. On aime mieux un pareil temple que la mystique forcenée de
certaines cathédrales du Nord. Quant aux rites, ils sont ceux du platonisme.
Salvatorio écrivit un Trésor de la sainte Ecriture d'après les poésies de
Pétrarque : frère Félicien Umbruno offrit aux femmes du monde un Dialogue
de la douce mort de Jésus-Christ, d'après le même Pétrarque. Frère
Malipiero donna le célèbre Pétrarque spirituel, qui parut à Venise en
1536 et qui a compté dix éditions. La spiritualisation des sonnets s'opérait
assez bien ; mais, pour les canzoni et les poésies diverses, le
réparateur eut bien du travail. La
religion d'amour a trouvé son incomparable interprète dans Corrège. Corrège
est le peintre des femmes ! comme il traduit la vision d'amour et de
confiance, selon le code du christianisme esthétique ! Dans son Saint Jérôme,
la Vierge apparaît belle, d'une beauté humaine, savoureuse, souriante ; mais
tout l'effet du tableau vient de la figure de la Madeleine et de son geste
d'une caresse profonde : c'est l'apothéose de la caresse ! Jamais peut-être
on n'a aussi chaudement exprimé l'amour enveloppant et velouté ; prières,
passions, tout cède à cette contemplation d'amour pur, à ce contact,
engourdissant et radieux, de deux êtres qui se confondent par une tendresse
magnétique. L'Enfant Jésus a derrière lui un ange, qui représente le ciel ;
devant lui, un livre de science ouvert par saint Jérôme..., et il se
retourne, tout en grâces, vers la Madeleine, qu'il préfère à la science,
parce que c'est l'amour. Au
Louvre aussi, le Mariage mystique nous remplit le cœur d'une vision
ambrée, dorée : « Impossible, dit Vasari, de voir de plus beaux cheveux, de
plus belles mains, un coloris plus naturel et plus charmant » ; en cette
ardente « conversation », la vie semble suspendue ; « La volonté aime,
la mémoire me paraît comme perdue, et l'entendement n'agit point[134]. » On
accuse souvent la dévotion d'être ennuyeuse. Il est vrai qu'en soi Dieu n'a
rien d'inédit, c'est immortalité du connu. Les femmes qui vivaient de si
hautes idées ont pris facilement un air profond et pensif, une expression
plutôt spirituelle et incisive que tendre. Comme ce blessé d'Austerlitz, dont
parle Tolstoï, elles se réveillent dans l'immense silence de la nuit, en tête-à-tête
avec les étoiles limpides. Là où
les hommes mettraient leur orgueil, elles mettent leur douceur. Leur langage
est un peu entortillé et précieux. Cependant,
on peut voir, par la correspondance de Marguerite de France et de Vittoria
Colonna, combien elles se jugeaient heureuses. Ces deux darnes ne s'étaient
jamais vues. Vittoria écrit qu'en attendant l'infini bonheur d'une rencontre,
elle ose répondre aux « hautes et religieuses » paroles de la princesse, afin
de former le contrepoids de cette céleste horloge. « De notre temps, la route
longue et difficile de la vie nous oblige à avoir un guide ; il me semble que
chacun peut trouver dans son sexe les exemples les mieux appropriés... ; je
me retournais vers les dames illustres d'Italie pour les leur demander et les
imiter, et, quoique j'en visse beaucoup de vertueuses..., une seule, hors d'Italie,
m'apparaissait comme réunissant les perfections de la volonté avec celles de
l'intelligence ; mais elle était si haut placée et si loin que je n'éprouvais
que la tristesse et la crainte des Hébreux lorsqu'ils aperçurent le feu et la
gloire de Dieu sur la cime de la montagne et qu'ils n'osaient approcher, à
cause de leur imperfection[135]. » Dans
cette première lettre, la marquise se borne à exalter l'humilité, la charité
de sa noble correspondante, dont elle se dit humblement la fille, ou, mieux,
le Jean-Baptiste, le Précurseur — ces congratulations personnelles jouent
toujours un rôle important dans la diplomatie féminine, pleine de courtoisie
magnifique —. Elle parle du groupe de ses amis ; elle goûte souvent,
ajoute-t-elle, la conversation de Pole, qui « est toujours dans le ciel et ne
s'abaisse sur la terre que pour l'utilité d'autrui », celle de Bembo, ouvrier
peut-être de la dernière heure, mais bien digne, par son ardeur, des
premières récompenses ; et tous s'accordent à contempler de loin la reine des
pierres précieuses, si riche en rayons qu'elle en enrichit autrui[136]. Dans
une autre lettre, Vittoria serre de plus près les questions à l'ordre du jour
; elle déclare respecter la raison, mais elle préfère la religion, « suprême
perfection de notre âme[137], » beauté parfaite. Pour mieux
développer sa thèse, elle joint un exemplaire de ses sonnets. Cet
exemplaire, quoique adressé à la sœur du roi, fut arrêté à la poste, par
ordre du connétable de Montmorency. Le connétable lut-il les sonnets, la
question reste assez douteuse ; en tout cas, il les jugea pernicieux et
saisit cette occasion de se donner le luxe d'une petite manifestation. Il ne
rendit le livre qu'à la suite d'une véritable scène, à la table du roi[138]. Vergerio,
l'aimable prélat, envoyé par le pape en France, éprouva aussi de grandes
difficultés à rencontrer Marguerite[139]. Quel dédommagement, quand il y
parvint ! Les premières audiences, qui ne durèrent pas moins de quatre
heures, lui parurent trop courtes, au gré de son enthousiasme « spirituel ».
Immédiatement, il se hâte de tout mettre par écrit, afin de montrer à quels
sommets de grâce et d'amour divin « monte l'esprit de la reine ». Mais
comment, sur un papier, traduire tant d'éloquence spontanée, cette ferveur,
cette puissance de charme ?... La conversation n'était pas commode...
Marguerite ne savait que le français et, comme Vergerio l'entendait assez
mal, elle épelait pour ainsi dire ses mots, et y mêlait le plus possible de
latin et d'italien ; n'importe, Vergerio, ravi, au sortir de ces entretiens,
croit voir les glaciers du cœur humain se fondre aux feux de la foi, il
respire le grand souffle de Dieu : d'où viendra ce miracle ? « Louange à
Jésus-Christ, qui dans nos temps troublés a suscité de tels esprits !... ici
la reine dont je parle, à Ferrare Mme Renée de France, à Urbin Mme Léonor
Gonzague[140], que j'ai vues toutes deux ici,
et avec lesquelles j'ai conversé plusieurs heures, et qui m'ont paru des
esprits très élevés, tout pleins de charité, tout enflammés du Christ ; à
Reine, Mme Vittoria Colonna, pour ne parler que de votre sexe ; » et il redit
que les épines disparaissent dans la vigne du Seigneur, il voit briller la
lumière et la paix, grâce aux femmes[141]. Vergerio
continua à entretenir la reine de Navarre avec une joie toujours renouvelée.
On a quelque honte à transcrire d'une plume froide ces phrases si ardemment
confiantes et palpitantes : « Je n'ai, en somme, aucun bien plus grand,
aucune plus grande consolation que cette reine ; elle a de ces paroles
infiniment chaudes, et des moyens merveilleux pour exalter au service de Dieu
les cœurs les plus froids du monde. Il m'arrive ceci, qu'il y a dix-huit
jours que je n'ai paru à la cour, et que je vis dans une belle solitude,
occupé à cultiver mon Aine et à semer en moi la parole de Dieu, puis je vais où
se trouve l'ardeur de charité de Sa Majesté ; et je sens qu'elle fait lever
la semence, et la fortifie, et lui donne des fruits, c'est-à-dire la
connaissance de Dieu, et le fervent désir de le servir, lui seul[142]. » Tels
étaient ces hauts esprits si enthousiastes du beau ; ils vivaient de poésie,
dans une sphère à part, s'échauffant les uns les autres, mutuellement
rassérénés et réconfortés ; c'est après ses entrevues avec Vergerio que
Marguerite s'affirma platonicienne et secoua le joug de la cour. On
n'espérait certainement pas que le monde entier se mît à un pareil diapason ;
on savait qu'en tombant dans la foule les abstractions se matérialiseraient,
que l'amour souvent tournerait mal. Mais n'était-il pas beau de semer l'amour
à pleines mains, surtout sans espoir de moissonner, et de s'en aller, comme
les anges de Dieu, verser une rosée sur la terre aride ? Cela ne
devait pas empêcher les guerres et les massacres du XVIe siècle ; mais il
suffit de jeter les yeux sur une carte pour constater que le catholicisme a
triomphé dans les pays où triomphaient les femmes ; le brouillard, la bière,
l'homme se sont faits protestants. Et
puis, ces idées, qu'on croyait écrasées, ont reparu peu à peu partout, comme
par l'effet d'une germination irrésistible ; le XVIIIe siècle en est né, le
nôtre aussi, malgré ses allures positives, en est encore tout imprégné. Et Sadolet, ami de Mélanchton, le libéral Contarini, l'aimable Reginald Pole que dirigeait Vittoria Colonna. Flaminio, Vergerio, tous souriraient à certains programmes pacificateurs d'aujourd'hui. |
[1]
Une des particularités de l'hérésie albigeoise fut de se développer par
l'apostolat des femmes (J. Guiraud, Revue historique, juillet août 1897,
p. 225).
[2]
Thibaut, p. 53 ; Marconville, Bonté, p. 50 v° ; Bareleta, sabb° 3
Quadragesime, p. 81 v°.
[3]
Colloquia.
[4]
Brantôme, IX, 86. Joannis Montis, Apologia mulierum.
[5]
Jean Marot, p. 229 ; Cf. Louange des femmes ; Gringoire, I, 61.
[6]
Les Neuf Muses.
[7]
Dialogo di... mariti, p. 13 v°.
[8]
Avec cette belle devise :
Donnez puissance
souveraine
Au croissant de
France, tel cours
Qu'il vienne
jusqu'à lune plaine,
Sans jamais
entrer en décours.
(Quentin Bauchard, I, 59.)
[9]
V. la belle Epistola Consolatoria, écrite par Vivaldi pour Marguerite de
Foix, comtesse de Saluces (Opus regale).
[10]
Ses lettres furent rééditées par les Alde en 1500.
[11]
Dombre, pp. 70, 74, livre que, malgré quelques légères réserves relatives à
l'information technique, nous citerons souvent comme très intéressant, et d'une
remarquable loyauté.
[12]
Liv. II, ch. XII. Apologie de Raymond de Sebonde.
[13]
Eloge de la folie, p. 283.
[14]
De Vanitate scientiarum, ch. XCVII. De theologia scholastica.
[15]
De Vanitate scientiarum. ch. XCIX. De theologia prophetica.
[16]
Première édition chez les Alde, 1513.
[17]
V. G. Voigt, Die Wiederbelegung...
[18]
Ferrero, Müller, Carteggio, p. 148.
[19]
« Il ne fault toutesfois qu'on pense, quand nous faisons mention de
philosophie, que nous ne parlons que de celle fui s'aprend es escripts de
Platon et des autres philosophes, car nous entendons aussi de la philosophie
évangélique, qui est la parolle de Dieu, des saincta et salutaires préceptes de
laquelle Marguerite fut, par ses instituteurs, si bien endoctrinée et
instruicte. » (Oraison funèbre de Marguerite, par Sainte-Marthe ; Montaiglon,
I, p. 43.)
[20]
C'est encore aux sorcières et aux « Egyptiennes » qu'on allait demander des
recettes contre l'amour, ou des philtres amoureux, ou simplement des breuvages
de bonheur. On abusait de ces breuvages, comme nous avons vu abuser de la
morphine ; c'était ce qu'on appelait vendre le diable en bouteilles. Rabelais
exhibe son Pantagruelion ; Porta, Cardano et autres occultistes sérieux ou
médecins ont trahi plusieurs des recettes qui avaient alors cours ; c'est
généralement avec de l'opium qu'on achetait la douceur d'un rêve irréel ; les
solanées apportaient de riantes illusions... Quant aux philtres d'amour, leur
principe remontait à la plus haute antiquité, et il semble que M. Brown-Sequard
leur a emprunté quelque chose (Æneas Sylvius, ouvr. cité, p. 158 ; Cardanus, De
Subtilitate, lib. XVIII ; Porta, Magia, lib. II ; Clément Marot, Dialogue
nouveau).
[21]
Par exemple, une femme de Blois, atteinte d'une maladie de langueur, «
ensorcelée, » disait-on, fait dire une messe du Saint-Esprit, à minuit. à N.-D.
des Aides ; ensuite, une sorcière se couche de tout son long sur la malade en
marmottant des mots. La malade est aussitôt guérie : il est vrai que, deux mois
après, elle a une rechute dont elle meurt, mais la sorcière attribue cet
accident à une intempérance de langage. (Bodin, p. 36.)
[22]
Les sorcières enfin jouissent d'une foule de facultés ; elles guérissent les
maladies par des amulettes ou des paroles (Brantôme, V, 192, 45) ; elles
déchaînent la pluie et la grêle ; leur puissance ironique se joue des secrets
des rois, aussi bien que des secrets des ménages (Molitor. Deux jeunes paysans
du Nivernais, gars bien découplés et fort amoureux, épousent, un jour, les deux
sœurs. Le soir de la noce, ô surprise, les deux nouveaux ménages, au lieu
d'affabulations d'amour, se mettent à se frapper et à se battre. Impossible de
sortir de cette situation pendant plusieurs jours. Tout d'un coup, on se
rappelle qu'au dernier dimanche des Rameaux un des jeunes gens a refusé de
donner du buis bénit à une vieille sorcière du pays, et que celle-ci n simplement
dit : e Tu t'en repentiras. » On court à la sorcière, on l'amène, on lui fait
bonne chère et bon visage : elle se laisse toucher et donne à boire à un des
jeunes gens dans son verre ; celui-là est guéri, et sa femme satisfaite.
L'autre, au contraire, qui n'a pas bu à la même coupe, tombe malade ; bientôt,
il parait au plus mal ; la sorcière, à laquelle on recourt, refuse de se
déranger une seconde fois : toutes les offres ou les menaces n'y font rien. La
famille s'exaspère, le pays est sens dessus dessous. La sorcière s'enferme ; on
fait un trou dans le toit, on l'enlève, avec son mari, et on les emmène.
Arrivés dans la chambre du malade, le mari dit : « Vous n'en mourrez pas ; »
mais la femme se refuse à rien articuler. Alors la colère des assistants ne connaît
plus de bornes : des gens apostés se précipitent sur cette mégère malfaisante
dès qu'elle se retire, la saisissent et la jettent au feu. D'autres, plus
compatissants ou plus peureux, parviennent à la retirer, les jambes grièvement
brûlées, la rapportent chez elle, la soignent. Mais la misérable, stoïquement
drapée dans sa douleur, fait fermer sa porte, refuse d'envoyer chercher un
médecin à Nevers, et, au bout de trois mois de souffrances, elle expire dans sa
farouche solitude. (Récit orig., JJ. 234, 70 v°.)
[23]
Julius, dial. attr. à Ulr. de Hütten.
[24]
Castalion, Robertet, dans Champier, Libelli duo ; Marconville ; Rec. de
Montaiglon, VIII, pp. 240 et suiv. ; Bouchet, Généalogies, Effigies... ;
Champier, Nef des dames vertueuses. Un clerc de Spire allait jusqu'à appeler
Jeanne d'Arc « la Sibylle française ».
[25]
Jules Bonnet, p. 55.
[26]
Amante, pp. 303 et suiv.
[27]
Jules Bonnet, p. 33.
[28]
Amante, p. 258.
[29]
Ruscelli, II, 179 (9 déc. 1526).
[30]
Poli, Epist., II, 10.
[31]
Poli, Epist., III, 9.
[32]
Cantû, p. 180.
[33]
Marie de Clèves. V. notre Histoire de Louis XII, t. I, p. 253. Cf. Les
La Trémoille, pp. 34, 42, 40, 57.
[34]
Marie de Clèves. Anne de Bretagne...
[35]
Le Moyen de parvenir.
[36]
Sermon nouveau.
[37]
Bouchet, les Regnars.
[38]
Bareleta, Sermones, p. 132, col. 2, 3 ; H. Estienne, II, 183.
[39]
Bonnardot. p. 35.
[40]
Nanquerii, Opusculum.
[41]
Stoa, cité par Lacombe, p. 116.
[42]
A. du Four.
[43]
Gebhardt, Journal des Débats,
[44]
Porcari.
[45]
Arétin, Lettere, IV, 296.
[46]
Melin de Saint-Gelais, — allusion à l'ordre de Saint-François-de-Paule, dit des
Bonshommes.
Le nom de foy et
de bonté
A tant mon
esprit mesconté
Que je croy
qu'il est en nature
Moins de bons
hommes qu'en peinture.
[47]
Amante, p. 295.
[48]
Castiglione, 311, 319, 287.
[49]
Cf. Renan, Averroès, pp. 355, 363, 365.
[50]
Gauthiez, pp. 391 et suiv., 401 ; Burckhardt, édition 1860, p. 167.
[51]
Philippson, p. 14.
[52]
Au moment de la pleine crise, Sabinus, dans un sermon d'apparat à
Saint-Eustache, prononce une apothéose de la science (De Laudibus). Cf.
Lettre d'Erasme à Alberto Pio.
[53]
M. le comte d'Haussonville l'applique à la philosophie du XVIIIe siècle, très
proche parente de celle-là.
[54]
Bonneau, p. 15.
[55]
Sabinus.
[56]
Cian, p. 19, 39.
[57]
Cf. Erasme, Opera, I. p. 9.
[58]
Müntz, Raphaël, p. 618, 283.
[59]
Luzio, p. 225.
[60]
C'est ainsi que l'évêque Paul Jove décrit la villa du lac de Côme où il écrivit
ses Elogia ; une villa pleine de doux zéphyrs, suspendue sur un coteau, d'où
l'on domine ce lac si riche en souvenirs classiques, si pur, si verdoyant ;
dans la salle à manger épiscopale, président Apollon et les Muses : le salon,
dédié à Minerve, contient les bustes de plusieurs grands écrivains antiques ;
de là on passe dans la bibliothèque, puis dans le salon des Sirènes, dans le
salon des Trois Grâces. De larges fenêtres s'ouvrent sur les montagnes
verdoyantes et fleuries, sur les vallées luxuriantes, sur les pointes âpres de
granit, enfin sur l'horizon grandiose des neiges éternelles, des glaciers
indélébiles, au-dessus desquels plane la belle transparence du ciel pur.
[61]
Instructions et lettres, p. 238.
[62]
M. Goyau, Revue des Deux Mondes, 1896, p. 842.
[63]
Le P. Chérot (d'après Clichtoue), pp. 542, 543 ; Statuts d'Autun et de
Tréguier, dans Martène ; JJ. 234, 69, 68 ; JJ. 233, 124 ; Z¹⁰ 20 ; Jean
Mansel ; le Gouvernement des Trois Estatz, dans Montaiglon, t. XII ; G.
d'Aurigny (Oraison de Mars), p. 92 ; Bouchet, les Regnars ; notre
livre la Veille de la Réforme, etc.
[64]
JJ. 234, 99 v, 3 v. ; 233 ; 131 v° ; 232, 23 v°.
[65]
Brantôme, Sermens et Juremens espaignolz.
[66]
Songe creux, f° 45 v°, et nombre d'autres.
[67]
Instructions, p. 339 (Instructions royales de novembre 1562).
[68]
Z¹⁰ 18 ; 25 mars, 5 juillet 1484.
[69]
V. nos Instructions, p. 468-469.
[70]
A la suite du De secunda Victoria Neapolitana.
[71]
Gringoire.
[72]
Vicomtesse d'Adhémar, p. 222.
[73]
« D'un lien formé d'amour et de fidélité tressés ensemble, j'attache ma barque
à une pierre qui ne cède jamais, à la roche vive, Jésus-Christ, en sorte que je
puis à toute heure rentrer au port. » (Vitt. Colonna. Trad. Dombre, p. 81,
sonnet 46.)
[74]
Lettre de Capiton à Marguerite, 22 mars 1528. Berminjard, Correspondance des
Réformateurs, II, 119 ; cf. Le Franc, Bibliothèque de l'Ecole des
Chartes, p. 275.
[75]
Sainte-Marthe, Oraison funèbre, éd. Montaiglon, pp. 78, 79, 101, 102 ;
éd. 1550, p. 37.
[76]
Tous les interlocuteurs de l’Heptaméron commencent par communier.
[77]
Pépin.
[78]
J. d'Auton.
[79]
Le Franc, Poésies, p. 32-34.
[80]
H. Estienne, II, 342-343 ; C. Agrippa, lettre du 1er mai 1526 ; Le Franc, Poésies,
p. 230 ; cf. Hept., Nouvelles 60, 41 ; Menot, Opusculum, ch. VI.
Sainte Thérèse raconte qu'elle convertit un de ses confesseurs : Celtes, passim,
etc.
[81]
Le Franc, Poésies, p. 152.
[82]
Bonav. des Périers, Nouvelle 35.
[83]
La Bible était fort à la mode. Les éditions de Bibles en langue vu1 ;2aire
étaient, depuis longtemps, populaires en Allemagne et en l'alto. Lefèvre
d'Etaples, qui donna, en 1523, sa traduction, avait passé sa vie à faire
connaitre les Livres saints. En 1514, Charles de Saint-Gelais dédiait à
François Ier, encore simple prince, une traduction du livre des Machabées.
[84]
Gringoire, les folles Entreprises, éd. Montaiglon, I, pp. 80, 81.
Les aucunes sont
bibliennes
Et le texte très
mal exposent :
Jeunes bigottes,
anciennes,
Dessus les
Evangiles glosent,
Et tout au
contraire proposent
De ce qui est à
proposer.
V. aussi la pièce insérée dans le Recueil de
Montaiglon (VIII, 304).
Les festes, le
temps passeras
Non pas à jeux
musiciens,
Ni l'Ecatomphile
liras,
Mais les Sainctz
Livres anciens.
[85]
Nouvelle 44.
[86]
Arétin, Ragionamenti, p. 1, 3e giornata.
[87]
Le Franc, Bulletin, p. 27.
[88]
Marguerite, l'Inquisiteur ; Le Franc, Bulletin, p. 17-19, 78 ;
Œuvres de Marguerite, par Franck, II, not. p. 26.
[89]
Bouchet, le Parc ; Labyrinthe de fortune ; il croit qu'on doit
offrir à une dame un traité sur le Libre Arbitre (Epistres familières,
n° 105, 115, 74).
[90]
M. Gebhardt (l'Italie mystique) a très bien caractérisé cet esprit de
l'Italie : « L'étonnante liberté d'esprit avec laquelle l'Italie traita le
dogme et la discipline ; la sérénité qu'elle sut garder en face du grand
mystère de la vie et de la mort : l'art qu'elle mit à accorder ensemble la foi
et le rationalisme : sa médiocre aptitude à l'hérésie formelle, et les
témérités de son imagination mystique ; l'élan d'amour qui l'emporta souvent
jusqu'au plus haut idéal chrétien..., c'est la religion originale de l'Italie,
» celle de la Renaissance comme celle du moyen âge. Alexandre VI, Jules II
scandalisaient tout le monde hors d'Italie : en Italie personne.
[91]
Nouvelle 34.
[92]
P. de Ségur, le Royaume, p. 382.
[93]
Epitre à. Marguerite, ms. fr. 2242 (cette épitre a été publiée en grande partie
par M. Courteault).
[94]
Rodocanachi, pp. 157, 189.
[95]
Sa vie, ch. XXIV.
[96]
Laurent, p. 115-119 ; Beaudouin.
[97]
Hept., Nouvelles 23, 44.
[98]
P. 247.
[99]
Hept., édition Montaiglon, IV, 187.
[100]
« Faites, je vous prie, Seigneur, que, par l'humilité qui me convient et par
l'orgueil qu'appelle votre grandeur, je vous adore toujours, et que, dans la
crainte qu'impose votre justice comme dans l'espoir qu'autorise votre clémence,
je vive sans cesse et que je me soumette à vous comme au Tout-Puissant, que je
vous suive comme le Tout-Sage, et que je me tourne vers vous comme vers la
Perfection et la Bonté. Je vous en prie, père très doux, que votre feu très vif
me purifie, que votre lumière très brillante m'illumine, que cet amour pour
vous très sincère me serve à ce point que vers vous, sans me laisser arrêter
par nul obstacle des objets terrestres, je revienne heureux et en sécurité. »
(Visconti, le Rime, p. 145.)
[101]
Le fort Chanteau (manuscrit), f° 31 v°.
[102]
F° 45 v°.
[103]
Mariée le 10 novembre 1501.
[104]
Franck, I, p. 61.
[105]
Un anonyme, que M. de la Borderie croit être Olivier Maillard, avait déjà
publié, vers 1500, un Miroir d'or de l'Âme pécheresse.
[106] Las, tous ces
motz ne voulois escouter,
Mais encore je
venois à douter
Si c.'estoit
vous, ou si par adventure
Ce n'estoit rien
qu'une simple escripture
M. Lefranc a démontré savamment dans la Bibliothèque de
l'Ecole des Charles (tome LVIII, pp. 260 et suiv.) que beaucoup des théories de
Marguerite de France avaient été déjà professées par Nicolas de Cusa, qui était
un platoniste avant les platoniciens. Il est probable que ces idées lui
arrivèrent par Briçonnet (p. 212).
[107]
Le Franc, Poésies, p. 31.
[108]
Bouchet, Triomphes.
[109]
Dans la Comédie sur le trespas du Roy, la bergère Amarissime (c'est
elle-même) pleure la mort du dieu Pan ; elle ne croit plus à rien, ni à la
vertu humaine, ni aux consolations humaines, ni même à la constance antique.
Elle a perdu sa philosophie ! A la fin, le Paraclet vient nous rasséréner
légèrement par l'assurance que Pan jouit des joies élyséennes dans les prairies
éternelles. Au carnaval de Mont-de-Marsan, en 1547, la princesse, secouant les
idées lugubres, fit encore représenter une autre comédie, où elle mit aux
prises une mondaine, toute en beauté, une superstitieuse, qui parle de mort et
de Paradis, une sage qui prêche l'équilibre de l'âme et du corps ; puis « la
Reine de Dieu » (on devine qui elle est) renverse tout cela, monde,
sagesse, superstition, avec une panacée philosophique d'amour divin et d'amour
humain mélangés. On ne s'attend pas, d'ailleurs, à ce que nous suivions
Marguerite dans les méandres de sa pensée, pas même dans ses Oraisons « de
l’âme fidèle » ou « à N.-S. Jésus-Christ ». vifs appels à l'amour et à la
grâce, et à la miséricorde du Très-Haut qui ne peut nous sauver que par amour.
[110]
Le Franc, Poésies, p. 3, 15.
[111]
Fin du Navire, poème consacré à chanter l'amour et à exalter sous toutes les
formes la beauté ou les vertus du feu roi François Ier.
[112] Souvienne toy
qu'ilz sont nés imparfaitz.
Et que de chair
fragile tous sont faitz.
[113] Priez Dieu pour
les trespassez,
Dont le retour
est incongneu...
Il en est « bien peu » revenus, « le chemin est long »
(Trop peu, prou, moins. Cf. Franck, I, LXXVII).
[114]
Cf. Philippson, p. 11.
[115]
Emile Picot, pp. 15, 33, 52.
[116]
P. 58.
[117]
Picot, p. 72 ; Schmidt, p. 458.
[118]
Le Franc.
[119]
Firenzuola. 2e dialogue, p. 393 ; Graf, p. 22.
[120]
Amante, pp. 321 et suiv.
[121]
Thamin. Saint Ambroise.
[122]
Colloques.
[123]
Bareleta, f° 6, hebdom. IV.
[124]
Seyssel. Voir dans Castiglione (Lettre à Henri VIII) le beau récit de la mort
du duc d'Urbin.
[125]
Joannes Rivius.
[126]
Le chemin de la perfection, dans ses Œuvres, II, 87 ; sa vie, ch.
V.
[127]
Ch. XIII.
[128]
II, 265 : 6e Méditation.
[129]
C'est-à-dire « cavaliers servants ».
[130]
Hept., prologue.
[131]
Vers de Lamartine pour l'album de Mme la duchesse de Broglie.
[132]
Et cela avant Luther, ou en dehors de lui. Erasme se moque agréablement des
vœux à la Vierge ou à saint Christophe, et il est persuadé que les vœux des
marins, pendant les tempêtes, proviennent tout simplement du paganisme, du
culte antique à Vénus, « étoile des mers » (IX, col. 1163 et suiv.). Il a
célébré la Vierge (VIII, c. 571 et suiv.), en vers froids, d'une élégante
rhétorique, où le Styx, Phlégéton, Hélicon, la fontaine Castalie annoncent
l'esprit nouveau. Tandis qu'autrefois, pour la moindre tribulation, Louis XI
arborait une médaille de la Vierge ou faisait un pèlerinage, ni Louis XII, ni
François Ier, qu'on ne considérera pas comme luthériens, n'ont la même idée ;
dans un cas extrême, Louis XII se consacre directement à l'Eucharistie (ms.
lat. 8134, f° 228). Sannazar, resté fidèle à la Vierge, se déclarait de race
espagnole (l'Arcadie, p. 39).
[133]
Bon. des Périers.
[134]
Sainte Thérèse, Sa Vie, ch. X.
[135]
15 février 1540.
[136]
Carteggio, pp. 185 et suiv.
[137]
P. 200 et suiv.
[138]
Carteggio, p. 202 (1540).
[139]
P. 192.
[140]
L'héroïne du poème amoureux de l'évêque d'Agen, Bandellio.
[141]
P. 194 et suiv.
[142]
P. 200.