LES FEMMES DE LA RENAISSANCE

LIVRE III. — L'INFLUENCE DES FEMMES

 

CHAPITRE III. — L'INFLUENCE INTELLECTUELLE.

 

 

Les femmes abordèrent les questions intellectuelles avec le même dilettantisme que les questions d'affaires ; et ce dilettantisme fut leur programme. Inutile de leur parler d'inventions, de créations, de spéculations, d'aventures, de luttes, ni de l'appareil scientifique de la vie, ni de toutes les lourdes besognes matérielles sur lesquelles se fonde l'existence intellectuelle elle-même. Elles ne cherchent qu'à couronner l'édifice par le bonheur, ce qui ne regarde pas les ingénieurs[1]. La Bruyère a cru dire une grande méchanceté, en affirmant que les femmes « guérissent de la paresse par la vanité et par l'amour » ; il est bien aimable ; plût au ciel qu'on pût dire la même chose de certains hommes ! Elles guérissent de la paresse par le sentiment, elles raisonnent par sentiment. Il ne faut pas leur demander de pénétrer à coups de pic ou de pioche dans la substance des choses ; elles regardent ce qui brille, elles pénètrent ce qui est tendre. Et, par ce simple procédé, elles aperçoivent des choses qui échappent au microscope ou à l'analyse, grâce à un sens d'intuition et d'impression qui leur permet de voir plutôt que de savoir, et qui serait admirable, si elles n'en abusaient jamais. Puis, elles ont un merveilleux secret pour exprimer leur enthousiasme ; une phrase, qui nous a été citée avec passion par une femme, entre dans notre esprit avec une force toute particulière, quand nous la retrouvons à sa place dans le livre. Puis encore, elles aiment les hommes qui aiment ces choses avec elles. Quel lien fort et solide que d'aimer ensemble ! et quel délice de réduire l'esprit à l'amour, et peut-être même l'amour à l'esprit ! Pour vivre heureux, que vous importe de connaître exactement l'anatomie d'un oiseau superbement emplumé ou d'un rossignol 4. De même, les femmes ne vous demandent pas de disséquer des mots et de les aligner dans un bel ordre alphabétique, mais de les mettre en ordre vivant, pour en tirer le trait vivant. Comme elles rapportent tout à l'amour et qu'elles croient indispensable d'établir une balance dans les choses humaines, comme elles pensent aussi qu'en matière intellectuelle leur rôle et leur devoir consistent à féconder les hommes, leur bel art se rapporte à nous. Voilà pourquoi elles ne s'inquiètent pas de scruter bien profondément le sens caché de la nature qui nous entoure ; peu leur importe qu'un artiste cherche à reproduire les formes avec une fidélité de photographe, ce qui, d'ailleurs, est impossible, mais elles tiennent à la physionomie, il faut que l'artiste indique comment un arbre ou un paysage se reflète en nous et quelles impressions il y apporte. Bref, elles se donnent la mission d'élever nos vues, soit en développant par la sensibilité artistique les idées placées en germe dans la nature matérielle, soit en renouvelant constamment nos pensées par une libre philosophie.

Elles sont cent, elles sont mille, les Italiennes de la fin du XVe siècle qui s'attachent à ce programme intellectuel, ou, pour mieux dire, elles s'y attachent toutes[2]. Il n'y a pas une jeune fille, même de condition modeste, qui ne se considère, dans une certaine mesure, comme responsable de l'avenir, et qui ne se prépare réellement à devenir la reine intellectuelle d'un salon ou d'un logis quelconque, pendant que son mari vaquera aux occupations extérieures. Aussi, lorsque des parents sont assez heureux pour constater chez une petite fille l'étincelle mystérieuse du beau, loin de s'en défier, ils l'accueillent avec transport, comme un don sacré de la Providence, et mettent tout en œuvre pour le développer ; Mlle Trivulce, une enfant gâtée de la fortune, fut très sérieusement « consacrée » ainsi aux Muses dès l'âge de quatorze ans.

Le don d'impression est un don naturel ; mais cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas besoin de se confirmer par une très sérieuse culture intellectuelle ; on ne constata que trop la nécessité de cette précaution, en voyant les femmes simplement impressionnables tourner comme des girouettes. Les Italiennes de la génération classique avaient su se fixer fortement, et s'ancrer dans la vie, de manière qu'elles joignaient en toute sécurité de fort belles qualités de solidité d'esprit et de modestie à un vif élan vers le beau sous la forme philosophique, religieuse ou artistique.

S'il fallait citer des exemples, nous n'éprouverions d'embarras qu'à choisir, parmi les Cassandra Fedeli, Costanza Varano, Isotta Nugarola... et tant d'autres, dignes d'honneur. Ce n'est pas se risquer beaucoup que d'indiquer parmi les reines de l'époque Isabelle d'Este, marquise de Mantoue[3].

Isabelle, qui était née en 1474 et qui mourut en 1525, appartient encore par cette date à la première génération, dont elle porte tout à fait le cachet ; c'est-à-dire qu'avec une âme claire, un cœur plein de passion et une vive intelligence, elle conservait des vertus qui allaient devenir rares : l'individualisme de l'esprit, la sûreté de goût. Elle n'était pas de ces femmes sensibles qui se prennent fatalement à la glu des réputations toutes faites, et qui poussent les hommes à une notoriété bruyante ; elle savait apprécier les choses par elle-même, créer un mouvement plutôt que le suivre. Elle voyageait volontiers et utilement ; ses amis, ses agents, répandus jusqu'en Orient, la tenaient au courant de tous les événements qui pouvaient intéresser le culte du beau ; préparation de livres notables ou d'éditions excellentes, travaux des grands ateliers, fouilles, ventes de collections... A la vente de la célèbre collection Vianelo à Venise, en 1505, elle suivit avec la plus ive émotion les enchères d'un certain Passage de la nier Rouge de Jean de Bruges, qu'elle convoitait fort, et qu'Andrea Loredano poussa impitoyablement jusqu'à 115 ducats ! Une Vénus antique, qui la préoccupait fort, se trouvait, par malheur, en trop bonnes mains, chez César Borgia ; mais César ne devait pas être éternel, et, un jour, la Vénus fit la joie d'un nouveau maître, le duc d'Urbin ; aussitôt, il fallut que bon gré mal gré le cardinal d'Este se mît en chasse pour l'obtenir... Quelle rare fortune pour les collectionneurs que le sac de Home en 1527 ! A l'instant, la marquise vida son escarcelle et même un peu au delà, ce qu'elle faisait assez facilement il fallut fréter un bateau pour rapporter tous ses trésors, mais voilà que d'indignes corsaires enlevèrent le bateau, dont on n'a plus eu, depuis lors, aucune nouvelle !... Le bon temps, malgré ces petits déboires ! De suffisantes catastrophes offraient des occasions admirables, et, par suite du grossissement des choses d'esprit, une pierre fraîchement déterrée, un vers bien ciselé semblaient des diamants du bonheur.

Isabelle administra royalement l'esprit humain, avec franchise et finesse. Elle fit vivre en bonne harmonie autour d'elle le « Cupidon endormi » de Michel-Ange et une fleur de statues antiques ; elle tapissa ses murs des œuvres de Mantegna, de Costa, de Corrège ; Léonard de Vinci et Titien furent ses portraitistes ; elle a peint elle-même son âme en deux mots : « Ni par espoir ni par crainte ». Comme programme de vie, comme enseigne de maison, elle commanda au maitre idéaliste Pérugin un « Combat de l'Amour et de la Chasteté[4] », et elle voulut en arrêter les moindres détails ; mais le pauvre Pérugin, qui avait l'âme naïve, excellente, et la tête dure, se perdit un peu dans une si savante synthèse. bien éloignée de ses Madones coutumières, et, malgré toute sa bonne volonté, peut-être n'a-t-il pas fait ce jour-là son chef-d'œuvre.

En France, les femmes marquantes de la génération d'Isabelle d'Este ne se piquèrent pas de jouer un rôle pareil, et elles s'en écartèrent plutôt, soit que, partisans de l'activité physique, elles craignissent de mettre trop de dilettantisme dans la vie, soit que les circonstances ne leur parussent pas favorables. La reine Anne de Bretagne, pourtant surnommée le « refuge des sçavans hommes[5] » n'a jamais considéré l'art que comme une surérogation royale et magnifique. Anne de France fit de sa cour une véritable pépinière de lettrés et d'artistes[6] ; la bibliothèque de Moulins s'accrut de superbes acquisitions[7] ; mais Moulins ne rayonna pas comme Mantoue. C'est seulement dans la génération suivante qu'on vit apparaître les femmes à la mode italienne, ces reines de l'esprit, dont Marie Stuart devait nous laisser le souvenir enchanteur, elle à qui Ronsard a pu dire sans trop d'exagération :

Le jour que vostre voile aux vagues se courba,

Et de nos yeux pleurans les vostres desroba,

Ce jour, la mesme voile emporta loin de France

Les Muses qui souloient y faire demourance.

Depuis, notre Parnasse est devenu stérile ;

Sa source maintenant d'une bourbe distile...

Son laurier est séché, son lierre est destruit[8].

Alors s'affichèrent le goût du pur art et l'influence un peu phraseuse du Midi. La première Renaissance française, eu contact étroit avec les traditions rurales, s'était surtout appliquée à développer la force de l'esprit. Elle n'avait attaché qu'un prix secondaire au culte de la forme et aux beautés extérieures ; les personnages qui faisaient des vers, comme Charles d'Orléans, ne s'en vantaient pas. Les relations classiques s'établissaient avec la vieille Rome, celle qui mettait de l'acier dans les âmes et dont les indestructibles traces jalonnaient le sol de la France. On s'en serait volontiers tenu au mot de Sénèque : « Il n'y a qu'un art vraiment libéral et qui rende libre, c'est l'étude de la sagesse ; tous les autres sont bas et puérils... Je ne puis donner le nom d'arts libéraux à la peinture, à la statuaire, aux arts de luxe... »

Cette arrière-pensée persista toujours, et il en résulta que, même en s'abandonnant sans réserve au culte du beau, on ne put pas se résoudre accorder aux arts plastiques le même prestige qu'en Italie. Du reste, même en Italie, la peinture avait eu fort à faire pour s'imposer ; bien des gens lui préféraient tout au moins la sculpture, qui est encore plastique, mais moins décorative, plus savante, plus durable, plus complète. La comparaison servait de thème à des jeux d'esprit. Quelque personnes s'amusaient à soutenir l'excellence de la peinture en appelant Dieu le premier des peintres, le décorateur sublime ; d'autres poussaient le paradoxe jusqu'à démontrer que la peinture est nécessaire à la guerre, ne fût-ce que pour lever des plans ou prendre des croquis, qu'elle a enthousiasmé les plus grands conquérants, Alexandre le Grand, Démétrius qui aima mieux échouer au siège de Rhodes que de mettre le feu à un quartier de la ville où il aurait pu brûler un tableau de Protogènes... En réalité, les Italiens aiment la peinture parce qu'ils y trouvent une des caresses de la poésie la plus douce. Castiglione le dit fort bien au sculpteur Christoforo Romano : « Ce n'est pas mon ami Raphaël qui me fait préférer la peinture : je connais Michel-Ange, je vous connais, je connais tous ces maitres ! Mais je trouve à la peinture un charme merveilleux, elle a ses jeux de lumière, son clair-obscur ; elle exige autant de science du dessin que la sculpture, et elle présente des difficultés particulières, pour les raccourcis, pour la perspective. Comme réalité, elle nous rend les couleurs ; elle 'traduit mieux la chair, les yeux, le brillant des armes, le délicieux blondissement des cheveux, le rayonnement de l'amour ! Elle seule peut nous parler de la Nature, nous rendre les nuits étoilées, les tempêtes, les orages, l'aurore, la terre, la mer, les montagnes, les forêts, les prés, les jardins, les rivières, les villes, les maisons[9]... »

Parmi nous, au contraire, le triomphe de l'esthétisme aboutit au déclassement des arts plastiques : peintres, sculpteurs, architectes ne retrouvèrent pas auprès des femmes en évidence le même appui personnel et affectueux qu'auprès d'Anne de France ou d'Anne de Bretagne ; ils perdirent leur rang à la cour, sous François Ier, et ne virent augmenter que leurs gages ; on les traitait un peu comme des décorateurs ou des tapissiers. On appliqua à l'art le principe général : la beauté intellectuelle avant tout. Il fut convenu qu'il fallait adorer la pensée aussi pure que possible, et comme elle a pourtant besoin d'un vêtement matériel, la poésie lui convenait. en qualité de fille du ciel ; de sorte que le mouvement prit un tour presque exclusivement littéraire et philosophico-poétique[10]. Avons-nous besoin d'ajouter que nous confinons ici au royaume des chimères féminines ! Personne ne conteste, pour certaines maladies, l'utilité de l'air des montagnes ; mais il serait extrêmement fâcheux que l'humanité entière fût condamnée à vivre au sommet du Righi.

Marguerite de France a tenu la tête parmi ces femmes alpestres, qui se sont complu dans les altitudes sans bornes de l'esprit. Sa situation la poussait un peu à cette témérité. Comme sœur du roi, elle jouait le rôle de « reine du sexe féminin[11] » et, pour les choses supérieures, il paraissait à propos que son frère suivit ses avis[12]. C'est pourquoi les poètes l'ont encensée décemment : « héroïne » du siècle[13], « l'esprit et la science même[14]... fleur des fleurs, élite des élites... moins humaine que divine[15] ».

Outre les inconvénients de cette situation un peu trop haute, Marguerite subit ceux de son éducation, ayant le malheur — comme bien des femmes — d'être fort sensible aux influences ; ses envolées sont souvent celles d'autrui. Elle resta toujours fidèle aux habitudes de son enfance, c'est-à-dire ù un milieu brillant et sceptique, où l'esprit courant passait pour le don suprême, et où la liberté consistait à tout voir, à tout lire, à tout entendre, de haut, superficiellement, sans s'attacher à rien, sauf au ragoût de la forme. Le seul dogme irréfragable, c'était l'éminence des femmes, et on convenait généralement, dans ce monde-là, qu'une seule femme, vraiment accomplie, sert plus efficacement au bonheur humain que tout le fatras des sciences ou que des paquets de livres[16].

Marguerite fut ainsi une philosophe[17], généreuse et inconstante, sceptique et enthousiaste, un peu abstraite, parce que l'abstraction est chose libre et distinguée. Mais elle manquait de ce lest d'études sérieuses[18], qui, en définitive, permet seul le développement de la personnalité.

Ainsi perdue dans les nues, fragile et vacillante, elle ne patronna réellement aucun parti intellectuel ; elle souriait à tout ce qui était beau ou joli, c'est-à-dire à tout moyen de toucher les hommes. Elle aima la musique de ce temps-là, toute psychologique, assez peu frappante pour les oreilles du vulgaire, mais qui entre dans l'âme ; elle aima n'importe quel produit de l'intelligence, pourvu que ce fût un joyau bien serti : les narrations scabreuses, mais spirituelles, le théâtre, les hautes spéculations du cœur, les pensées d'amour divin, la contemplation religieuse de Dieu. Toutes ces manifestations de l'âme, si peu semblables, ne formaient à ses yeux qu'une seule chaîne philosophique, une chaîne de beauté, au bout de laquelle Dieu se trouve. C'est par cette idée que Marguerite rattache entre elles des conceptions dont la juxtaposition nous paraît déconcertante, et dont, d'ailleurs, ses contemporains eux-mêmes n'apercevaient pas très clairement l'unité.

Son patronage est surtout un art, l'art de jouer de l'esprit humain comme du plus beau des claviers, comme d'un instrument magnifique et purement divin, et d'en tirer les larges accords qu'il peut rendre, les notes que l'artiste suprême y a mises. Marguerite pousse ici une note grave et profonde, là une note légère ou aiguë : elle fait vibrer les hommes... Eh quoi ! on dit que l'amour engourdit ! Non, non ! Les sentimentaux peuvent avoir leur joie en eux-mêmes, cela ne les empêche pas de l'avoir au dehors... Bouchet et Rabelais, deux traditionnalistes, relèvent de Marguerite, aussi bien que Charbonnier ou Marot, les poètes du jour, ou que Du Bellay et Ronsard, les poètes de demain. Entourée de prélats catholiques, lieutenante intellectuelle d'un roi hostile aux Réformés, la princesse s'intéresse à tout : Lefèvre d'Etaples et Vatable lui parlent de la Bible, Nicolas Mauroy lui traduit les psaumes ; Jean Brèche, Plutarque ; Le Masson, Boccace. Son esprit personnel se volatilise et se contente de parfumer l'atmosphère.

De même, pour les personnes : elle admet dans son intimité les personnages les plus divers, pourvu qu'ils sachent aimer : et il semble que la liberté de sentiment soit la condition même de la vie. Du reste, la vie intellectuelle n'avait pas encore pris les formes rectangulaires et compassées que nous lui connaissons : et, comme on était surtout friand d'impressions, on se gardait de toutes les contraintes par lesquelles nous excellons à les détruire. Un mur en ruine était une ruine, il vivait de mousse et d'abandon, on n'avait pas l'idée de le gratter, de l'étiqueter, de l'entourer d'une balustrade de fer et d'un cercle de rocailles... Un vieux monument se présentait tel qu'il était, chargé de toute la végétation artistique où se traduisait la vie de chaque siècle, personne ne songeait à le rebâtir dans son aspect primitif : les objets d'art étaient des objets d'art, qu'on laissait à l'endroit pour lequel ils avaient été faits, bien en vue, dûment épanouis, au lieu de les arracher et de les empiler desséchés sur les murs d'un musée, avec des cadres d'or.

Pour comprendre le dilettantisme intellectuel de Marguerite, il faut s'imprégner de ces idées de liberté et de vie, maintenant si éloignées de nous, et qui, d'ailleurs, étaient à la veille de disparaître. Marguerite aime impressionner les autres, mais elle ne se soucie pas du tout de diriger leur raison, pas plus d'ailleurs qu'elle ne se soucie d'être dirigée elle-même. Son goût pour la liberté, poussé à l'extrême limite, va presque jusqu'à l'anarchie. Quel singulier harem intellectuel ! ici, c'est un rieur d'un rire un peu gras[19] ; là, un ami de cœur, le protonotaire[20] d'Anthe, auteur de bluettes plus que légères, par exemple du Blason d'une belle fille, que nous n'oserions guère reproduire ; ou bien, en sens tout à fait inverse, Lavardin, vertueux à outrance, grand arracheur de griffes, spécialement chargé d'expurger les œuvres lestes, ou bien le bonasse La Perrière, qui retardait d'un siècle, qui s'excusait d'employer des noms mythologiques, qui de tous les défauts avait le pire, celui d'être ennuyeux[21]. Ces divers esprits symétriquement agités produisent un peu l'effet de ces petits miroirs à facettes, actionnés par une main invisible, qui n'attireraient pas les aigles, mais dont on se sert pour chasser les alouettes. Le défaut de cette société était d'attirer des personnalités un peu secondaires, les ambitieux, les amateurs de réclame. Du reste, le monde platoniste est toujours fort enclin à verser dans le snobisme ; il a trop le caractère mondain pour ne pas appartenir aux intrigants de salon et aux gens qui savent s'avancer ; pour lui, les modestes, les hommes d'esprit, qui restent en arrière pour jouir de la comédie humaine, n'existent pas. Castiglione, tout le premier, s'amuse de ce défaut : « Pour être savant, dit-il, il faut appartenir au monde savant[22]. » Et cela donne lieu quelquefois à d'amusants quiproquos ; sur une fausse attribution, on a applaudi de confiance une pièce de vers ou un morceau de musique, et ensuite, mieux averti, on les siffle, — ou bien l'inverse. Tout va de même : le vin est bon ou mauvais selon l'étiquette ; Castiglione se fait fort de présenter et d'imposer comme remarquable n'importe quel imbécile[23].

Marguerite de France eut ainsi le goût de la notoriété, et elle chercha à réunir tous les hommes qui pouvaient paraître les voix diverses de la France : elle leur témoignait tant d'attentive affection que chacun se crut son préféré, chaque cause même la crut sienne ; aujourd'hui encore, après trois siècles et demi, l'ensorcellement de la princesse dure au point que tout le monde l'aime et la revendique, les platoniciens la croient platonicienne, les rabelaisiens rabelaisienne, les protestants protestante... Elle se bornait à semer l'amour, et à rapprocher, à attiédir, très discrètement, les divergences passionnées, sans jamais se plaindre, même de celles dont elle souffrait. De loin[24], chose singulière, on l'a prise parfois pour une femme savante, directoriale, male, une de ces femmes qui secouent les hommes et en font tout tomber, feuilles et fleurs. De près, c'était une douce, une aimante. Elle pardonnait sans sourciller — et sans s'émouvoir — les plus brûlantes déclarations ; elle en riait, quelquefois elle en souriait. Ainsi, un inconnu, nommé Jacques Pelletier, se permet de l'appeler « moitié de mon âme », et vante ses « faveurs aigres-douces[25] », c'est-à-dire tendres et farouches. Mais, en sa qualité de timide, Marguerite n'aime pas les timides, elle préfère les hommes énergiques et un peu verts, vibrants, même encombrants, et capables de sottises. Un M. de Lavaux jure de mourir si elle n'a pas pitié de son martyre ; elle lui promet un excellent De Profundis[26] ; l'aimable Hugues Salel chante sa jolie main en petits vers extrêmement élégants[27], elle lui envoie une paire de gants parfumés, un bracelet... Mais elle n'oublie jamais Marot ; au-delà du tombeau[28], au-delà des sottises, elle lui prouve encore sa sympathie.

Hors de cet esprit d'amour, on a beau pénétrer jusqu'au fond de son âme, on n'y trouve plus rien.

Marguerite s'est photographiée en robe de chambre, au milieu de son cercle intime, dans l’Heptaméron[29] : ce portrait est certifié authentique par elle et par sa fille. Eh bien ! ce qu'on voit de plus clair dans sa doctrine, ce sont de jolis mots, et un souci excellent de ne pas s'ennuyer.

Elle prêche Dieu au ciel, François Ier sur la terre, puis le Beau, en qui elle croit sans réserve, comme à la source de tout bien et de toute vérité. Au point de vue du bonheur, elle pousse hardiment à l'amour, qui mène, suivant elle, au bien et au vrai. Seulement, elle ne croit guère à la passion et elle se borne à distinguer avec le plus. grand soin le sentiment, qu'elle vante, de la sensation, qu'elle réprouve ; c'est sur un cas de conscience qu'elle échafaude son système. Elle estime qu'une femme peut accepter franchement l'offre d'un amour honnête et parfait ; si l'homme y mêle quelque arrière-pensée charnelle, tant pis pour lui ! N'ayant jamais beaucoup aimé, et, en revanche, ayant entendu beaucoup parler d'amour, elle croit que l'amour ne tue pas, et qu'une femme n'est aucunement tenue de pousser la charité jusqu'à s'offrir en holocauste. Mais, bien entendu, elle ne mêle point les idées d'amour et de mariage, qui sont absolument distinctes. Comme on ne peut pas aimer Dieu sans avoir aimé d'abord une créature, elle projette d'entraîner ainsi les hommes vers le parfait amour de Dieu, puis vers une contemplation mystique et philosophique de la Divinité.

Malheureusement, elle n'arrive pas du tout à ce but, et même elle n'en approche pas. Ce n'est pas faute d'ardeur ! on peut bien dire d'elle : « La femme est une flamme flambant sans fin[30] ». Sa flamme va jusque dans la tombe relancer Bonnivet et faire-revivre les bons souvenirs de jeunesse ! Elle parle avec âme, elle accable les sceptiques de coups d'épingle ou de hautes déductions, elle aiguillonne les timides par un mot gai, par une envolée sentimentale. Mais elle s'use dans cette bataille d'escarmouches ; ce qui lui manque, c'est le coup de hache d'une volonté et d'un raisonnement un peu précis.

Quant à ceux qu'elle s'épuise, en pure perte, à convertir à la méthode du beau et de l'amour, elle n'en tire pas grand'chose.

Elle traîne attachés à son char deux amoureux, qui devraient être les apôtres de sa philosophie. Or, ceux-là mêmes résistent.

L'un, l'échanson Jean de Montausé[31], excellent type d'officier, brave, au parler net, très aimable, infiniment courtois, ne réussit pas à se mettre dans la tête le but transcendant et vertueux dont il est question. La science, il trouve qu'on en abuse ; la religion, sans l'approfondir, il la respecte par principe, tout en souriant discrètement de certains mystères ; mais la vertu, il l'admet chez Mme de Montausé (il est marié), pas ailleurs. On juge si Marguerite s'exclame ! Louise de Savoie protège Montausé.

L'autre amoureux, Nicolas Dangu, évêque de Séez, a tout le cœur de sa princesse. Il vient aux eaux pour la suivre, il distille le sentiment. Il a du bon sens, de la modestie, et un grand esprit de conciliation, jusqu'à ne pas refuser l'intelligence aux gens du peuple et aux moines ; il admire même profondément le génie de certains malfaiteurs. Quel être délicieux, le vrai prélat platonicien, limé, soumis ! qu'il est doux, confit, sucré ! Mais il oppose, lui aussi, à la philosophie active une barrière presque infranchissable ; il n'ose aimer son amour, penser sa pensée ; il pense pourtant, mais à mourir d'amour ; et il a pour cela mille manières : il meurt constamment, plutôt que de dire une folie, plutôt que de trahir un secret ; il n'ose tenter l'amour féminin, de peur de ne rien trouver ; s'il trouvait quelque chose, il en mourrait de joie. Il s'indigne contre Henri d'Albret, mais, personnellement, il a l'air de se contenter de ce qu'il n'a pas, comble de la sagesse et de la précaution ! Cependant, il insinue, très doucement, qu'une vertu trop farouche peut devenir cruelle. Marguerite est un peu troublée ; elle répond qu'avant de se fier aux hommes il faut de grandes garanties, et, en attendant, elle passe la parole à Dangu pour dire du bien des femmes. Voilà tout ce qu'elle a pu tirer de lui, du platoniste le plus parfait !... Mais voilà aussi tout ce qu'elle lui donne !

Cette direction mondaine n'entre donc pas dans le vif des questions, et ne convertit même pas les apôtres de la première heure ; à plus forte raison, les indifférents, les gens du monde, soi-disant sérieux, qu'on rencontre à peu près partout. L'Heptaméron nous présente plusieurs types, très vécus, qui montrent bien qu'il n'y a pas à compter sur les conversations pour propager la philosophie : une pimpante veuve, Mme de Longray, très entichée de son mari défunt, très agaçante pour les maris des autres, vraie linotte en tout bien, tout honneur ; Mlle Françoise de Clermont[32], une bonne fille toute ronde, un peu bécasse, amateur de mots salés, mais extrêmement effarouchée des théories naturalistes d'Henri d'Albret et de Louise de Savoie ; le vieux Burye, édenté, désillusionné, expérimentalement convaincu de la nécessité du platonisme, sans avoir besoin qu'on lui fabrique un dieu tout neuf ; Mlle de Clermont l'appelle « le Père La Vertu ». Puis la mère du fameux Brantôme, Anne de Vivonne[33], la femme « fin de siècle », amie des prébendes, ennemie des moines ; vertueuse en principe, mais si bonne, si bonne ! elle ne comprend pas qu'on puisse vivre sans être aimée ; elle ne sait rien refuser à personne ; elle a pour sainte Madeleine une vive prédilection.

« Saffredent », un ancien beau, en cheveux blancs, ne comprend rien et ne veut rien comprendre à toutes les nouvelles théories. Elles l'humilient. Le prend-on pour une momie, pour un infirme, pour une salamandre pleine de vent, pour un de ces Italiens à la langue dorée, qui sont tout en langue ? pour un savant placé entre sa cruche et sa cuisinière ? Il est chevalier, il n'estime que la bravoure, la hardiesse, la droiture. Il parle comme un clairon[34] ; la vraie vertu, suivant lui, consiste à aimer selon la loi naturelle, à aimer une femme sans réserve, plutôt que d'en idolâtrer trente-six sur le papier. Mieux vaut en user qu'en abuser... A ce mot cruel et savant, un cri général s'élève, Mme de Longray gémit...

La philosophie se borne à ces passes d'armes extrêmement superficielles. Marguerite s'y complet ; elle ressemble à ces jolies mers, bleues et transparentes, que des souffles amusants irritent et font frissonner, qui, à tout instant, scintillent ou changent de forme, mais elle ne fixe ni le vent, ni le soleil.

Elle nous a laissé une foule d'écrits, où, du moins, on pourrait espérer trouver ou chercher un fond d'idées plus précis.

M. Le Franc s'est consacré au difficile labeur de les dénombrer ; ici encore, il a trouvé de tout : du mysticisme philosophique, d'amères farces, de pieuses impiétés, des moralités à demi morales[35], des divertissements aristocratico-démocratiques[36]. La seule note générale est un profond sentiment de vide..., qui n'a rien de commun avec le bonheur ! Parfois, à travers les plus fastueuses fantaisies, on sent perler une larme, une grosse larme assez lourde[37]. Marguerite raconte qu'elle a connu trois vies : une vie d'amour, une vie d'esprit et une vie contemplative. Mais elle est comme perdue dans le désert de sa pensée, et lorsque son dieu terrestre, le gros, jovial et sensuel François Ier, meurt, c'est un désastre[38], elle se rejette presque désespérément vers la religion terrible...

La vie est un instrument de joie vulgaire, qui n'élève que ceux qui s'abaissent ; Marguerite avait le tort de vouloir rester toujours en haut !

Sa maxime est de distinguer la chair et l'esprit, « ténèbres et lumière », et d'aimer l'amour pour l'amour : « Ton amour t'ayme ![39] » Mais, outre que ces idées ne lui sont pas absolument personnelles et que la seconde marque déjà une décadence du platonisme, nous sommes émus de sentir çà et là comme la trace d'une griffe étrangère. Marguerite eut pour secrétaire intime et pour collaborateur une espèce de scélérat, endiablé d'esprit, mais qui ne croyait à rien, pas même à sa « Minerve ». En lisant le Miroir de l'Âme, la première œuvre, qui trahit une main encore inexpérimentée, Bonaventure des Périers avait compris de suite qu'il y avait une place à prendre près de l'auteur ; il pria, il fit des calembours, il devint ainsi un aide-platoniste. La princesse eut pour lui des bontés sans fin ; dans son Cymbalum, où il bafoue les seuls principes sur lesquels on restât d'accord, l'existence d Dieu et quelques vérités morales élémentaires, Des Périers se moqua odieusement d'elle : il la représentait cherchant à inculquer aux poètes un esprit « chaste et divin », envoyant chez Pluton (avec un u ; demander à la fois des nouvelles du peintre Zeuxis et des modèles de tapisserie[40]. Marguerite pardonnait tout ; elle accorda au pendard une « prison » chez elle, et elle essaya encore de l'améliorer en lui faisant traduire les Dialogues de Platon. Mais Des Périers, qui n'y trouvait pas le secret du bonheur, s'échappa définitivement par un suicide en 1544, et Marguerite eut derechef la pitié de patronner une édition posthume de ses œuvres. Voilà l'homme qui participa, le plus intimement sans doute, à la composition d'écrits dont il riait à gorge déployée[41] et qu'il appelait un « pactole de vers et d'oraisons » ; il s'est vanté d'en être le « malfaiteur », et en offrant l'un d'eux à l'auteur, il dit avec une impertinence incroyable : Voici « vostre immortel livre, et mes faultes y reprendrez[42] ».

Ainsi, quand on s'approche un peu de Marguerite de France, qui parait tout gouverner, on ne trouve rien qu'un pur dilettantisme, une manifestation d'épicurisme intellectuel, qui s'exerçait soit sur la forme, soit sur les idées. Elle ne visait pas à la vérité, mais au bonheur.

Comme direction, Diane de Poitiers se montra plus précise et plus vigoureuse.

Ayant mille raisons de moins incliner vers les Médicis, plus physiquement belle que Marguerite, mieux douée comme volonté, elle ne se consacra pas exclusivement au culte de l'esprit ; elle aima tous les arts, même plastiques, selon la vieille mode. Elle tournait bien les vers, elle appréciait les livres, surtout les beaux manuscrits et les belles reliures. Elle eut dans sa bibliothèque la Bible, les Pères de l'Eglise et des livres de théologie mystique, à côté de ses romans chéris, notamment de l'Amadis qu'elle recommandait au roi : elle y joignit, en femme très pratique, la médecine et l'histoire naturelle ; point de philosophie ou à peu près ; un Ange Politien, quelques traités d'histoire et de géographie, un Plutarque, passablement de poésies[43]. Pour elle, Philibert Delorme bâtit Anet, Jean Goujon le sculpta, Jean Cousin, Léonard Limousin, Bernard Palissy le décorèrent. C'est vraiment, parmi nous, le pendant d'Isabelle d'Este, un merveilleux type de « femme-amateur ». Sans viser aux quintessences de l'amour pur, elle a réellement et pratiquement travaillé à élever le culte du beau.

Les femmes qui se sentent la force de porter le flambeau en avant et d'entraîner directement les esprits vers l'idée du beau ne doivent certes pas hésiter. Mais enfin, apprécier l'art par ses résultats positifs, le juger, le soutenir de son approbation, c'est encore un but très noble et qui convient à toutes les femmes, même timides. L'histoire, l'expérience nous montrent que ces influences pratiques sont souvent les plus effectives. Telle société secrète, telle association religieuse ont plus d'action par un simple apostolat quotidien que n'importe quelle doctrine. Quelle ne serait pas la puissance extraordinaire des femmes, si un même esprit les animait toutes et les poussait vers le même but ! Et quel noble but, que celui de maintenir dans le monde l'hygiène du beau, de peupler réellement la vie des hommes de choses qu'ils puissent aimer ! Ce serait vivifier l'art que lui assigner cette mission sociale et exercer ainsi à son égard le magnifique rôle d'« amateur » ? Le vivifier ! disons mieux ! le sauver de lui-même et de ses abus ! L'art se perdrait vite si le caprice, la bizarrerie, le parti pris qui peuvent se glisser dans les ateliers ne se trouvaient pas tenus en bride par la nécessité de compter avec le sens personnel et original des raffinés.

Hélas ! c'est un mal de la société actuelle, c'est une cause ou un effet de notre affaiblissement moral et de nos dégoûts, que l'effroyable banalité où nous nous débattons ! les grandes maisons bâties sur plan, avec un luxe tarifé, invisiblement chauffées par un calorifère anonyme, peuplées de laquais qu'on ne connaît pas, mais avec qui on vit portes ouvertes ! les femmes-poupées, habillées par leur tailleur, modèle ou copie de leurs voisines, qui ont les habitudes de leurs amies, les idées de leurs amis, les conversations de leur palefrenier, qui n'ont rien à elles, qui ne sont point des femmes ! On était tellement persuadé jadis de la véritable nécessité sociale de former des « amateurs n, que les vieux éducateurs italiens du XVe siècle voulaient qu'on élevât les hommes en conséquence. A plus forte raison, les femmes, qui ont du loisir et une délicatesse innée... Il est bien facile d'exiger qu'un objet, si simple, si modeste qu'on le suppose, porte un cachet d'originalité et de bon goût. Ne peut-on, du moins, imposer partout la simplicité, chasser le clinquant, la pacotille, tout notre horrible luxe prétentieux ? chercher la largeur, au lieu des étroitesses ? nous donner l'air libre et pur du Beau ? et puis aussi mettre les écrivains et les artistes en état d'exprimer avec sincérité des choses saines, c'est-à-dire de les voir sainement ? Il serait naïf, regrettable et très funeste de leur demander d'exprimer ce qu'ils ne sentent pas ; mais il faut leur faire ressentir ce qu'ils doivent peindre. Il y a là une œuvre importante à accomplir et, jusqu'à un certain point, facile. On sait assez combien le travail cérébral, surtout excessif, rend impressionnable l'homme qui s'y livre. M. Taine a été jusqu'à nous considérer comme des produits directs des influences ambiantes ; il est certain que nous empruntons beaucoup à ce qui nous entoure, et que la tristesse ou la joie du ciel, par exemple, teint nos pensées de couleurs très différentes ; plus forte raison, la tristesse ou la joie des êtres que nous aimons. Il faut donc créer pour l'art une bonne atmosphère morale. Et lorsque Castiglione écrit bravement : « On ne voit Dieu que par les femmes, » il n'a pas tort de vanter cette lorgnette, il comprend le besoin dont nous venons de parler ; c'est comme si, en entrant dans une cathédrale, il nous engageait à regarder dans le bénitier, comme s'il nous faisait voir un tableau dans un miroir. Il y a des âmes de femmes, limpides, vibrantes, passionnées, qui reflètent les choses avec un relief et une vivacité de couleur qu'on ne soupçonnerait pas autrement. Aussi, sans se lancer dans d'aussi hautes spéculations que Marguerite de France, de simples femmes-amateurs peuvent jouer un rôle artistique de premier ordre.

D'ordinaire, les Egéries ont moins besoin d'un esprit transcendant que d'une ample provision de sagesse, de tact, surtout de patience, car elles peuvent s'attendre à lutter contre de pitoyables entraînements.

La gent intellectuelle et artistique de cette époque ne vaut pas mieux qu'une autre. Elle fourmille d'espèces revêches, on y retrouve la flore habituelle : le pédant, le méconnu[44], le vaniteux naïf, le paon qui fait la roue[45], l'esthète pratique toujours à l'affût d'un avancement ou d'une pension. Les orgueilleux sont encore les meilleurs, et les moins gênants. Môme avec des tris soigneux, ce monde-là est difficile à gouverner ; en général, pour bien gouverner, il suffit de mécontenter ses fonctionnaires, mais ici on ne peut régner qu'à condition de les satisfaire.

Le premier acte de la tutelle intellectuelle consiste quelquefois à rendre de petits services matériels, tout amicaux et bien naturels — car l'amour ne nourrit pas —. Donner « quelques miettes de sa table[46] », aider les amis de ses amis[47], s'occuper des orphelins[48], rien de plus simple et de moins méritoire : beaucoup d'hommes en feraient autant. Bembo, mal payé d'un fermier qui lui doit 230 ducats, « en or large, » n'hésite pas un instant à arracher Vittoria Colonna à ses célestes soucis, pour la prier de traiter cette petite affaire[49]. Cependant il ne faut s'aventurer sur ce terrain qu'avec une certaine réserve. Arétin a montré comment d'un simple témoignage amical on pouvait tirer un acte de réclame et de chantage. Quel maître parfait que ce personnage ! Titien s'adresse à lui pour se débarrasser d'une certaine Annonciation qui ne pouvait pas partir ; voici comment Arétin procède : il lance une réclame flamboyante. A cette réclame mord l'impératrice, Isabelle de Portugal, qui extirpe de la cassette maritale la somme demandée, 2.000 écus. Immédiatement, Arétin se dévoile et offre à la « Sacrée et Inclyte Majesté son encrier, ses plumes[50]... », autrement dit il réclame une pension. Voilà un beau métier d'arracheur de dents.

Cet Arétin rôde autour de Vittoria Colonna, qu'il cherche à saisir par la vanité : « Lisez mes œuvres, lui écrit-il, lisez la Cortegiana... vous verrez si je n'ai pas eu toujours votre louange au bout de la plume.

Le monde entier sait combien l'Arétin a toujours eu au-dessus de la tête les honneurs de la marquise, et, où le style a fait défaut, la hauteur de la volonté a suppléé ; je vous ai toujours connue d'esprit généreux, de nature magnanime, d'esprit actif, de vertu absolue, de foi noble, de vie bonne. S'il en était autrement, je l'avouerais. »

Alors commença une correspondance des plus bizarres. La marquise, naïvement, crut pouvoir repaître le monstre par de bonnes paroles ; l'autre la détrompa par l'envoi d'un livre très vert, avec une demande expresse de recommandation et d'argent. Pour la recommandation, Vittoria trouva le procédé naturel ; mais, pour l'argent, elle le trouva léger. Cependant, elle promit soixante écus, et même elle crut faire la grande dame en en adressant immédiatement trente, enveloppés de légers conseils. Arétin, fort blessé à son tour, ne rompit pas avec « l'Excellentissime dame », il se borna à mettre les points sur les i : Il me faut, dit-il, compter avec les goûts de nos contemporains ! il n'y a de lucratif que l'amusement ou le scandale ; ils « brûlent de concupiscence, comme vous d'une inextinguible flamme angélique ; à vous les sermons ou les vêpres, à eux la musique et la comédie ! » Pourquoi écrire des livres sérieux ? J'en ai envoyé un il y a cinq ans à François Ier, et j'attends toujours la réponse : je viens de lui adresser ma Courtisane et par le retour du courrier j'ai reçu une chaîne d'or : « après tout, j'écris pour vivre. »

La bourse de Vittoria resta close. L'homme aux Trente écus aurait voulu les renvoyer noblement ; par malheur, il les avait entamés, et il ne renvoya que des épigrammes ; la marquise l'autorisa à donner aux pauvres « le reste » de l'argent en suggérant qu'aucune richesse ne valait l'amour de Dieu[51]. Moyennant une recommandation à la duchesse d'Urbin, Arétin daigna garder ce reste : « Moi aussi, écrit-il avec son impertinence habituelle, moi qui suis un mendiant chrétien et vertueux, je mérite vos aumônes ; je ne pense pas que les pauvres de Ferrare dont vous parlez en soient au point que vous ne puissiez aider l'un de ceux qui sont ici, puisqu'il vous suffit d'être riche d'esprit par les grâces du Christ[52]. »

On peut juger, d'après ce petit dialogue, s'il fallait aux femmes une âme angélique pour mener à bien les hommes d'esprit rare, sur qui l'amour pur n'avait pas de prise. Mais une haute considération devait les soutenir : réellement, il y avait du vrai dans le plaidoyer d'Arétin : oui, on n'arrivait à la fortune et même à la gloire que par les chemins de traverse. Les petits feuilletons, les dialogues du genre moderne rapportaient gros à Arétin, sans grand travail : rien qu'à les débiter, un libraire de la rue Saint-Jacques, à Paris, fit fortune, et bien simplement ; il vendait à une dame un livre un peu dégoûtant ; comme ces livres-là ne se prêtent pas, après cette dame arrivait infailliblement une de ses amies : « Madame, en voici un bien pire, » disait tout bas le bonhomme dans son jargon à demi italien, en glissant un autre ouvrage à prix d'or[53]. Dans les ateliers d'artistes, c'était de même ; les Lédas, les Vénus s'envolaient à tire-d'aile, l'Annonciation se morfondait chez Titien, Carpaccio cherchait avec beaucoup de peine à vendre au mètre un tableau pieux qu'il estimait de ses meilleurs[54].

En France, la situation s'était longtemps maintenue passable en ce sens que les hommes de lettres, braves gens, peu mondains, s'estimaient infiniment heureux de recevoir, moyennant quelques sollicitations, un bénéfice ecclésiastique qui les rendait indépendants[55] ; un historien se confondait en gratitudes, parce qu'un bon livre, fruit de bien des années de travail et de pérégrinations, lui valait une pension viagère[56]. Mais ces mœurs patriarcales finirent aussi par s'effacer. Les éditeurs durent compter avec le public, et une curieuse affaire nous montre comment ils apprirent aux auteurs leur métier.

Vérard, l'illustre éditeur dont les magnifiques productions n'ont pas cessé de faire la joie des connaisseurs, avait accepté de publier, en 1500, un livre de Jean Bouchet, intitulé : les Renards traversant les voies périlleuses. L'auteur était déjà reçu à la cour, le livre avait un très bon titre, piquant, suggestif. Pourtant, Vérard commença par biffer le nom de Bouchet, et par y substituer celui de Brandt, un allemand connu chez nous comme le sont aujourd'hui les Scandinaves, et que d'ailleurs Bouchet avait cherché à imiter.

Le jeune poète n'osa pas réclamer : cependant, en lisant le volume imprimé, il s'aperçut que, sans façons, Vérard avait enlevé des tirades entières pour les remplacer par des passages pillés à droite et à gauche. Il saisit l'occasion, intenta un procès ; Vérard, tout surpris de cette vertueuse indignation, transigea en grand seigneur ; il versa, de la main à la main, une somme assez ronde[57].

Ce procédé-là était encore élémentaire, et, sauf la question de moralité privée, inoffensif. Ce qui le fut beaucoup moins, ce fut la passion des auteurs eux-mêmes, une fois déniaisés, pour les effets inédits, abominables ou extravagants, qui seuls forçaient l'attention du public. Ils s'élevèrent très vite au niveau des Italiens. Ulrich de Milieu lança admirablement ses « Epîtres des hommes obscurs », en faisant circuler clandestinement des copies manuscrites. Bonaventure des Périers' atteignit presque à la virtuosité d'Arétin. La soi-disant destruction officielle de son Cymbalum lui valut une réédition clandestine et par conséquent inestimable : « Ecrivons quelque chose d'ignoble, dit-il dans un de ses dialogues, nous trouverons tel libraire qui nous baillera dix mille escuz de la copie. » Et cela est vrai ; le public n'achète, ne répand, ne vante réellement que les œuvres qu'il méprise. Beaucoup de livres bruyants de ce temps-là, que nous prenons aujourd'hui au sérieux, n'ont probablement pas d'autre origine.

Un écrivain a bien le droit de désirer vivre aux dépens de ses lecteurs. Mais enfin il faut se défier, en matière d'art, des entraînements industriels, et plus le public honnête affiche de nonchalance, de faiblesse, de désintéressement, plus on doit savoir gré aux femmes distinguées, qui se chargent de mettre obstacle aux surenchères du naturalisme ou de la bizarrerie. Elles n'ont pas toujours réussi ; il leur est arrivé d'être dupes du bruit, des modes ; pardonnons-leur ce qu'elles nous ont valu, en faveur de ce qu'elles nous ont épargné. Aujourd'hui, on médit volontiers de l'antique Mécénat, auquel on reproche d'avoir attenté à la dignité humaine : solliciter l'Etat, solliciter un ministre parait chose naturelle, mais bien des écrivains se croiraient amoindris de subir une influence mondaine, que, d'ailleurs, le monde ne leur offre guère. Au XVIe siècle, dans les milieux intellectuels, au contraire, on était républicain, même en monarchie : on n'aimait pas l'idée de l'Etat. Et le Mécénat, malgré ses imperfections, servit souvent d'asile au rêve, de refuge aux indépendants qui aimaient mieux relever d'une haute idée que de la foule ; s'il a pesé, ce n'a été que sur les esprits médiocres. Quand on voit à quelles circonlocutions et à quelle diplomatie raffinée les princesses les plus écoutées devaient recourir pour pénétrer jusqu'à l'atelier de Raphaël ou de Jean Bellini, on est pleinement rassuré sur ses inconvénients. Qu'une femme envoie à un poète dans la misère « un peu de doulce confiture », comme disait Des Périers, et avec tant de discrétion qu'on ne sait même pas d'où vient le don, ou qu'elle déguise son envoi pitoyable sous la forme d'un présent de valeur, nous ne voyons là rien qui choque les droits de l'homme, et même, pour tout dire, cela nous parait délicieux.

Du reste, le Mécénat ne s'en tenait pas à l'appui purement matériel et administratif, comme le fait nécessairement l'Etat. Plus encore qu'à envoyer un présent topique, les femmes excellent à distribuer, la menue monnaie, non moins précieuse, des douceurs et des compliments. Nous rentrons ici dans leur propre domaine, et on ne peut pas citer d'homme intellectuel capable de résister à cette influence-là. La femme-auteur qui loue un écrivain sent un peu son métier ; Veronica Gambara, après avoir accablé l'Arétin de dithyrambes, s'écrie naïvement : « Louée par vous, je vivrai mille ans ! » Chacun son tour, rien de plus naturel, on s'attendait à cette phrase... Mais d'une vraie femme du monde, éminente et généreuse, qui ne demande rien, un simple mot charmant, même sans flatterie, même teinté de nuances, c'est la gloire, et une gloire qu'on peut solliciter sans s'abaisser. « On prétend que je suis aristocrate, » écrivait M. Taine, et il l'était, comme nous le sommes tous, nous qui prétendons conduire les esprits. Voilà pourquoi nous avons besoin de ce sybaritisme, d'être soutenus et, au besoin, réglés par un sourire. Il n'y a guère de philosophe ou de poète du XVIe siècle dont le sourire d'une grande dame n'égaie radieusement les pages.

Comment analyser ce sourire ? il faudrait le voir, et nous ne le connaissons que bien indirectement ! Nous le devinons sous un mot infiniment câlin ; par un joli diminutif, « petite sœur... commère[58] » ; par un aimable superlatif ; Vittoria Colonna appelle son ami Dolce « Dolcissimo », et lui parle, avec une grâce toute naturelle, sans aucune exagération apparente, de ses « divins sonnets », dont la parole ne suffit pas à remercier[59] ; vis-à-vis de son ami Bembo, elle se permet familièrement le simple enthousiasme. Quelle curieuse litanie que la correspondance adressée à ce « très magnifique » coquin d'Arétin, qui apprécia beaucoup aussi la louange et qui en tira tout le parti possible ; c'est la marquise de Mantoue, avec sa grâce réservée : Marie d'Aragon, « souveraine marquise d'Avalos, » foncièrement amicale, parce qu'elle n'a pas tout à fait renoncé à l'espoir de faire d'Arétin un chartreux ; la duchesse d'Urbin, chaude, spontanée, qui lui dit : « Mon magnifique très-amant[60] », puis les bonnes dames éprises d'un homme à la mode, qui prennent cet homme-là pour ce qu'il est, ignoble mais célèbre, et qui lui écrivent en se signant : « Fontaine d'éloquence, étonnant, admirable, miracle de la nature, très vertueux (oui), très docte, mon père, mon frère[61]. »

Les relations d'une femme avec ses protégés s'établissent de proche en proche, ou tout simplement par la connaissance de l'œuvre sur laquelle il s'agit d'influer. La dame apprend, par sa police secrète, qu'un livre va paraître, fût-ce un livre en prose, même un livre d'histoire ; elle veut en avoir la primeur : l'auteur, circonvenu, se défend avec une modestie profonde, et néanmoins envoie son manuscrit ; voilà la glace rompue, la partie liée. L'entretien se continuera sous des formes diverses ; l'écrivain fait confidence de ses divers ouvrages, puis il devient un rabatteur, il déniche les génies en herbe ; en revanche, la dame annonce ses œuvres urbi et orbi, reçoit cordialement ses amis. Une véritable intimité s'établit entre eux, parfois si purement spirituelle qu'ils ne se sont jamais vus[62].

C'est ainsi qu'avant de publier son Courtisan, Castiglione en soumet le manuscrit à Vittoria Colonna, sous le sceau du plus profond secret. Vittoria le garde un peu longtemps, et, lorsqu'il faut enfin le renvoyer, elle s'en excuse fort gentiment, n'en étant encore, dit-elle, qu'à la moitié de la seconde lecture — elle n'ajoute pas qu'elle l'avait prêté un peu indiscrètement —. Elle ne voit aucun conseil à donner, sauf peut-être de ne pas nommer en toutes lettres les femmes dont on loue la beauté, dans un livre destiné au public. Pour le reste, elle approuve tout, et des deux mains : nouveauté du sujet, finesse, élégance, animation du style ! Elle porte immensément d'envie aux interlocuteurs cités dans un tel livre, fussent-ils morts. Quant aux tirades sur la vertu et la chasteté impeccable des femmes, elle les aime, elle s'en trouve honorée comme femme ; cependant, sur ce point-là, elle préfère ne pas dire toute sa pensée[63].

Vis-à-vis de Michel-Ange, elle exerce le même contrôle : elle le prie, par un joli billet, de lui envoyer un crucifix qu'il élabore et de venir en causer avec elle[64].

Loin de dissimuler le patronage dont ils sont l'objet, les écrivains ou les artistes s'en vantent. Très sincèrement, ils croient les femmes créées et mises au monde pour leur donner de l'esprit[65]. S'ils se font représenter dans leur cabinet de travail, ce n'est pas au milieu d'un amas de livres, d'armes ou de tapis, ni même avec un air profond et singulier : c'est tout simplement comme un homme naturel, qui écrit à côté d'un petit Cupidon faisant fonctions (le dieu lare. Il est absolument entendu qu'une main de femme doit frapper la branche pour forcer l'esprit à s'envoler[66]. « Mon esprit, ma force, ma Pallas, c'est Lydie, » s'écrie Catto[67]. Antoine de Gouvea déclare qu'il ne se soupçonnait pas lui-même, lorsque la blonde Catherine de Bauffremont le découvrit sous la neige : « J'aurais cru la neige froide, eh bien ! c'était du feu. » Michel-Ange dit la même chose sur tous les tons : « Par vos beaux yeux, je vois une douce lumière que mes yeux aveugles n'auraient pu voir... Sans ailes, je vole avec vos ailes ; par votre génie, je suis sans cesse élevé vers le ciel... Je n'ai d'autre volonté que la vôtre ; dans votre âme, naît ma pensée ; mes paroles sont dans votre esprit. Je suis semblable à la lune qui ne se montre à vos yeux dans le ciel qu'en réfléchissant l'éclat du soleil[68] », et il ajoute ce mot profond : « Ô Dame, qui par l'eau et le feu tamisez l'âme pour les jours heureux, ah ! faites que je ne revienne plus à moi-même[69] ». Voilà par quel simple procédé beaucoup de femmes ont alors dirigé les esprits.

Il ne faut rien exagérer ; nous ne prétendons pas que partout on doive chercher la femme, que rien sans elle n'ait été possible, qu'elle ait confisqué la clef de toutes les sciences humaines. Au contraire, elle a peu aidé les sciences exactes ; elle se bornait à percer le ciel ou à y entrer par la fenêtre. Mais toute l'immense tribu des êtres impressionnables, tout ce qui a vécu par le beau et recherché le bonheur, du philosophe à l'artiste, du causeur au poète, tout ce qui a été capable de ressentir une émotion, a relevé des femmes. « L'émotion, qui n'est qu'un accident de la vie de l'homme, n'est-elle pas la vie entière de la femme ? » Et en pareille matière peut-on trouver un meilleur juge ? La femme est plus libre que l'homme de préjugés ; « elle n'a pas besoin de donner des raisons abstraites à ses enthousiasmes ; sa spontanéité s'exalte ou s'attendrit quand l'homme discute encore et se réserve. Et, ce faisant, elle y voit presque toujours plus juste[70]. »

Les femmes sont les éternelles protectrices du Beau, et on ne peut pas dire qu'à cet égard la Renaissance ait absolument innové. Bien auparavant, les nobles châtelaines abritaient volontiers sous leur toit le clerc chargé de leur peindre des Heures[71], les princesses encourageaient le faiseur de ballades et l'imagier[72]. Les femmes ont toujours vécu de leur âme ! Mais il était nouveau de consacrer à une religion de la beauté cet élan et cet enthousiasme. Dans les autres directions, elles ont trouvé des censeurs ; leur action esthétique a semblé légitime ; et, en définitive, « les œuvres qu'elles ont patronnées, les châteaux bâtis pour elles, sont demeurés, quand la foudre brûlée aux batailles par les chevaliers n'a guère laissé de trace[73] ».

 

 

 



[1] « Le marbre élèvera vos titres tant qu'il vous plaira, pour avoir fait rapetasser un pan de mur ou décrotter un ruisseau public, muais non pas les hommes qui ont du sens. » (Montaigne, liv. III, ch. X.)

[2] Ph. de Bergame, f° 159 v° ; Gregorovius, I, 67.

[3] Gaye, II, 53 ; Baschet ; Yriarte, Gazette des Beaux-Arts, t. XIV (1895), p. 135, et t. XIII, not. p. 191

[4] Musée du Louvre.

[5] Relation des Obsèques, dans Brantôme, VII, 318 ; Jean Marot, p. 180.

[6] Lemaire, Temple d'honneur ; Champier, Nef des dames : Jacques de Bigne, le grand Sénéchal, La Vauguyon, Guillaume Telin. Voir notre livre Jean de Paris.

[7] Quentin-Bauchard, la Bibliothèque de Fontainebleau.

[8] T. VI, p. 10.

[9] Castiglione, p. 326-327.

[10] Voir dans M. de Nolhac, Erasme, l'indifférence absolue d'Erasme pour les arts plastiques, son jugement sur la Chartreuse de Pavie (p. 11, n. 31, sa froideur à Florence (p. 13).

[11] Ms. fr. 2242, f° 3.

[12] Ms. fr. 2242, f° 27.

Prince Françoys, veulx tu, comme seigneur

Supérieur, estre dominateur,

Prans pour faveur, par amour et mérite,

Celle qui est en forée verdeur,

Digne d'honneur, nommée Margarite.

Il est bien probable que plus d'une des dédicaces et des louanges ardentes, adressées au Père des Lettres, ont été souvent soufflées par la princesse (Le Franc).

[13] Génin, p. 184.

[14] La Perrière, Miroir, p. 98.

[15] Discours de la court.

[16] La Louange des dames, imprimée à Angoulême (Picot, Catalogue. I, 33).

[17] Sc. de Sainte-Marthe. Oraison funèbre, éd. Montaiglon, I, 43 et passim.

[18] Cela est fort sensible dans sa première œuvre, le Miroir de l’âme, qu'elle appelle avec beaucoup de bonne grâce l'œuvre d'une femme « qui n'a en soi science ni savoir ». Ensuite, elle s'attacha un bon secrétaire.

[19] Cf. Franck, Introduction. V. les Comptes du monde adrentuyeux, probablement écrits à Alençon (Franck).

[20] Voir Le Franc. Nous croyons pouvoir l'identifier avec le personnage, resté inconnu, que M. Le Franc appelle Orthe, M. Génin, Arthe. Le Blason que nous citons parait inédit.

[21] Voir son Théâtre des bons engins.

[22] P. 218.

[23] P. 234. Encore une anecdote de la cour d'Urbin : Un paysan bergamasque venait d'entrer au service d'un gentilhomme. On annonça aux princesses qu'il était arrivé un serviteur du cardinal Borgia, grand musicien, danseur, baladin extraordinaire. On fait entrer cet homme, on l'accueille, on le fait asseoir au cercle, on le fête avec grand respect. Malheureusement le bonhomme parlait un jargon inénarrable. Les auteurs de la plaisanterie firent croire aux princesses qu'il s'amusait à dissimuler, qu'il simulait le paysan lombard. La scène dura assez longtemps, pendant que, dans la coulisse, on se tordait les côtes.

[24] Marconville, p. 27 v°, 38 v°.

[25] D'Héricault, p. 77.

[26] Génin, Lettres inédites, p. 45.

[27] Page 44.

Ô main polye, main divine,

Main qui n'as ta pareille en terre,

Main qui tient la paix et la guerre...

Main portant la clef pour fermer

Et ouvrir l'huys de bien aymer,

Main plaisante, main délicate,

Je n'oserois te dire ingrate.

Tu peulx blesser, tu peulx guérir,

Tu peulx faire vivre et mourir.

[28] Jean Marot, p. 259.

[29] On s'est souvent demandé si son Heptaméron n'était pas une œuvre de fantaisie, ou s'il fallait le prendre au sérieux. Après les travaux de MM. de Montaiglon, Franck et Gaston Pâris, pour ne parler que des principaux, le doute ne parait plus possible. Marguerite, comme Castiglione, certifie d'une manière générale la véracité de ses histoires. Elle travailla à ce recueil pendant plusieurs années, probablement à partir de 1545, et avec tant de soin qu'en (549, lorsqu'elle mourut, elle ne l'avait pas fini. L'Heptaméron n'est donc pas une œuvre de jeunesse, mais le testament de sa vie mondaine et philosophique, et une autobiographie, puisque plusieurs anecdotes se rapportent à elle-même, à, son frère, à des amis intimes ; aussi, parmi tant de manuscrits qu'elle laissait dans ses cartons, Boiastuau (encore un étrange personnage, à en juger par ses œuvres !) choisit celui-à pour le publier sous le titre d'Histoire des amants fortunés, avec quelques retouches et quelques coupures qu'il crut bon de pratiquer dans certains passages scabreux. Cette précaution parut offensante, et la propre fille de Marguerite eut soin de faire publier, deux ans plus tard, une nouvelle édition authentique.

[30] Ms. fr. 2242, f 25 v°.

[31] Nous identifions ainsi Simontault.

[32] Nous identifions ainsi Nomerfide.

[33] Nous identifions ainsi Ennasuite.

[34] « Vous êtes toutes femmes et, sous vos accoutrements, qui vous chercherait bien avant sous la robe vous trouverait femmes. »

[35] Les Deux Filles, les Deux Mariées et la Vieille. Éd. Montaiglon, IV, 36.

[36] Trop, prou, peu et moins. Éd. Montaiglon, IV, 104.

[37] « Quand nul [je] ne voiz, l'œil j'abandonne à pleurer... »

[38] Voir le poème des Prisons, publié par M. Le Franc. Ce poème, par endroits, semble trahir une touche masculine, quelques-unes de ses idées se rapprochent du scepticisme de Cornelius Agrippa. On y trouve même un éloge bien senti de la princesse (p. 272), tracé sans doute par une autre main que la sienne. M. Le Franc a cru y discerner aussi des réminiscences de sainte Catherine de Sienne.

[39] Édition Franck, p. 85 (Oraison de l'âme).

[40] P. 152-154, 156-158, 161, etc. Marguerite excellait dans les travaux d'aiguille artistiques. Elle exécuta une tapisserie, qui représentait une Messe aussi parfaitement qu'un tableau. Pendant qu'elle maniait l'aiguille, elle avait auprès d'elle quelqu'un qui lui lisait, ou bien un historien, un poète, un écrivain qui causait. (La Ferrière, Marguerite d'Angoulême, p. 79-80.)

[41] « En escrivant vos immortalitez

Où il y a tant de subtilitez,

Tant de propos de haulte invention,

Tant de thrésors et tant d'utilitez,

Mes sens en sont tout réhabilitez. »

[42] P. 150, 158, 157.

[43] Quentin-Bauchart, les Femmes bibliophiles, I, pp. 55 et suiv.

[44] Cl. Colet, l'Oraison de Mars, p. 131.

[45] Hept., Nouvelle 27 ; Thureau-Dangin.

[46] Rec. Montaiglon, X, 230.

[47] Baschet (Isabelle de Mantoue).

[48] Gaye, II, 128 ; Fr. Brunet.

[49] Carteggio, p. 69.

[50] Gantiez, pp. 91, 94.

[51] Carteggio, pp. 150, 151, 154, 155,163. Il Meachino e il Guerino, préface.

[52] Carteggio, p. 166-167.

[53] Brantôme, IX, 50-51.

[54] Molmenti, Carpaccio, p. 68.

[55] Fr. 25295.

[56] V. notre notice sur Jean d'Auton.

[57] Bouchet, Épistres morales, f° 47 v°.

[58] Argentina Pallavicini, à Titien.

[59] Carteggio, p. 124.

[60] 29 juin 1550. Lettere, II, 238.

[61] Lettere scritte, p. 188-189 ; 1541, Lettere, II, 457 ; Des Périers, I, 72-75 ; Campori ; Gaye, II, 76 ; cf. p. 82. Bien peu de poètes ont la hardiesse de Clément Marot, qui, harcelé par ses créanciers, sollicite la reine de Navarre, tout en la couvrant d'amour : elle lui répond par un dixain. Il en accuse réception ironiquement, en disant que, sur ce dixain, ses créanciers l'ont appelé « Monsieur », et lui ont permis d'emprunter encore, ce qu'il fera.

[62] Gaye, II, 375 ; Vitt. Colonna, Carteggio, p. 67, 87.

[63] 20 septembre 1524. Carteggio, p. 23.

[64] « Mon ami de cœur, je vous prie de m'envoyer un peu le Crucifix, quand même il ne serait pas bien avancé, pour que je le montre aux gentilshommes du Révérendissime cardinal de Mantoue. Et si vous n'êtes pas aujourd’hui en plein travail, venez donc me parler à l'heure qu'il vous sera commode. — A votre commandement, la marquise de Pescaire. » (Carteggio, p. 207.)

[65] C'est à ce moment, chose bien naturelle, qu'on découvrit que les Jeux floraux de Toulouse devaient le jour à une femme ; il parait que c'est en 1513 qu'apparut la légende de Clémence Isaure.

[66] Les Triumphes, dern. f° D ; Paliogenius, p. 81, v. 12.

[67] Opuscula.

[68] Sonnet XII, édition Lanneau-Rolland.

[69] Madrigal XII.

[70] Paul Bourget, Discours à l'Académie française du 9 décembre 1897.

[71] JJ. 231, 4 (Château de Jean de Fransures).

[72] Notre Histoire de Louis XII, t. I, p. 243.

[73] Bouchot, les Femmes, p. 87.