LES FEMMES DE LA RENAISSANCE

LIVRE III. — L'INFLUENCE DES FEMMES

 

CHAPITRE II. — L'INFLUENCE MORALE.

 

 

La purification morale de la société est certainement une des conditions du bonheur ; partant, un des buts principaux du platonisme. Le XVIe siècle, par malheur, est un des siècles les plus pervers dont notre histoire fasse mention. De cette constatation, suc laquelle tout le monde se trouve d'accord, quelques personnes tirent la conclusion que l'art en était la cause, parce que l'art, en soi, est immoral et ne constitue jamais qu'« une excitation il la débauche ». Ces esprits paradoxaux avaient déjà, an XVe et au XVIe siècles, des aïeux qui soutenaient la même thèse et qui voyaient dans l'esthétisme un effondrement de l'humanité. Ils niaient l'idée du beau ; et la pensée qu'une observation attentive trouve partout quelque trace de beauté, que même dans l'esprit d'un criminel on peut trouver trio de facultés quelquefois rares, et même belles, malheureusement tournées au mal, cette pensée-lia leur semblait, comme elle leur semble encore, abominable et faite pour conduire l'humanité aux abîmes ; tandis que les femmes platonistes et le monde romain y voyaient au contraire un gage de régénération et de civilisation.

Nous avons déjà dit que le monde n'était plus à pervertir ; on ne comprenait l'amour qu'en dehors du mariage[1], et la seule question était de savoir si cet amour resterait matériel ou pourrait devenir intellectuel.

Tous les contemporains du platonisme qui regrettent « le bon vieux temps » — et, en France, ils sont nombreux —, Marot, Rabelais, Collerye, surnommé Roger-Bon-Temps, Coquillart, l'ennemi juré du monde des élégants, des « daims » comme il les appelle, tous disent pourquoi : ils regrettent l'amour « à la française », « pour de bon », sans ambages, sans périphrases ; un amour commode, sinon fort moral. Et quant aux personnes qui croient que les salons ont gâté la vertu, elles n'ont qu'à s'égarer dans les foires, banquets ou bals champêtres[2], et à causer avec une ou deux filles d'auberge ou avec une veuve de village[3], ou même à pénétrer dans quelques châteaux[4] ! En Allemagne, où les mœurs sont restées antiques, le docteur Faust avec le petit amour béquillart qui le sert[5], ou bien les grosses Vénus bourgeoises de Wohlgemüth ou d'Albert Dürer n'ont pas l'excuse du rêve !

Le premier contact avec l'Italie, loin de purifier ces mœurs, ne fit qu'exalter le sensualisme : un des écrivains les plus à la mode. Octovien de Saint-Gelais, sans hésiter, élève une statue à « Sensualité ». Les Français ne voyaient en Italie que le côté païen de la Renaissance, celui des Malatesta et des autres[6], et, comme il arrive assez souvent dans ces contemplations étroites, ils n'apercevaient que lueurs extraordinaires, prisons, poignards, au point qu'un bon jeune homme, Louis de Beauvau, qui avait épousé contre le gré de sa famille une jeune personne modeste, et qui s'en repentait, profita de l'expédition de Charles VIII pour se former de ville en ville une belle collection de poisons[7]. Certains Italiens venus en France passèrent, de même, comme des djinns précurseurs d'anarchie morale. « On ne peut échapper aux femmes qu'à condition de ne pas les voir », s'écrie l'un d'eux, Andrelin[8]. Du reste, la société italienne ne tarda pas à présenter réellement un lamentable spectacle de décomposition : l'âcreté montait aux lèvres, on se sentait mourir de dégoût[9] ! « C'en est trop, s'écrie Palingenius, surnommé l'Etoile de la Renaissance, laissez-moi m'enfuir sur un rivage libre, solitaire[10]... »

A partir de 1515, la Cour de France marche hardiment dans la même voie, et elle y entraîne la France avec elle. « La belle ville que Paris pour y vivre, mais non pour y mourir[11] ! » Quel état, et quel état ! Au bout de cinq ans, Lemaire, qui avait été un des prophètes du monde nouveau, nous peint étrangement la situation ; il réclame, comme remède, une convocation des Etats généraux de l'Amour[12]. Ah ! les beaux Etats, à quoi serviraient-ils ? Devant cette pourriture d'hôpital, le poète officiel nous montre son jeune roi, les grosses lèvres sensuelles contractées par un rire atroce, « atteint des dames » au corps et à l'âme...

L'amour libre fleurit. Le mot :

« En cas d'amour, c'est trop peu d'une dame[13], »

répond à l'axiome authentique : « Souvent femme varie[14] ». Les plus nobles dames se déclarent « lieutenantes de Vénus[15] ». C'est l'amour le plus bas, commercial, industriel, glacial ; rien ne lui manque de ce qui peut l'avilir : les maris diplomates[16] ! les femmes, « marchandise royale[17] », mais une marchandise qui s'offre elle-même ! On prétend que déjà le caduc Louis XII ne savait, en Italie, comment défendre sa vertu, à laquelle il tenait[18]. L'excellente Marguerite de France s'étonne qu'une jeune fille de bonne maison ne s'empresse pas de s'immoler à un caprice de son frère[19]. Il n'y a plus ni jeunes[20] ni vieux[21]. On voit des femmes inventer des procès, pour le plaisir de corrompre des magistrats ! D'autres, plus avenantes, courent au favori, au ministre du jours[22] ; d'autres, plus nombreuses, courent à l'argent, comme le fleuve à la mer[23]. On n'imagine pas quels expédients honteux recouvrent certaines existences, très brillantes, faites de musique, de réceptions, de jeu[24], ni quelle étrange population interlope, soubrettes, comparses, entremetteuses de tout rang, assiège l'honnête homme,

« Piteulx comme ung beau crucifix[25] »

Le vice est partout le même, sauf de légères nuances. Si un Italien[26] et un Français[27] racontent la même histoire, d'une honnête dame séduite moyennant finance, ils ne varient guère que pour le tarit : l'Italienne exige mille écus et tient mal sa promesse ; la Française, pour cent seulement, se montre pleine de probité. Quand le fait se découvre, le mari italien traite le complice avec égards, niais empoisonne la dame ; le mari français se borne à la rendre pendant quelque temps à ses parents[28].

Cela ne signifie pas que nous ne croyons Mus qu'il existe d'honnêtes femmes : au contraire, il en rosie beaucoup. La seule difficulté est de les trouver, parce qu'elles se cachent, ou tout au moins elles dédaignent trop d'exercer une influence.

Les honnêtes femmes sont souvent passives, négatives, ou tout au moins résignées... Nombre d'entre elles, nourries du vieux principe de sujétion et d'abnégation, ne demanderaient qu'à fermer les yeux, les oreilles[29], avec la quasi-béatitude de momies fixées dans un éternel rêve, et qu'à ne pas croire au mal. Il est là, sous leur toit, ce mal, il les serre de près, il les blesse ! n'importe, elles sourient encore, et veulent paraître couronnées de roses, elles s'ingénient à se figurer qu'elles sont heureuses[30]. Quel beau raisonnement que celui-là, et qu'il est cher aux femmes faibles, aux timides, qui voudraient ne jamais lutter et aimer toujours !

Vittoria Colonna, par exemple, fait semblant de dormir, une nuit que son mari, à côté d'elle, se livre aux incartades les plus pénibles. Nifo nous raconte, avec sa parfaite sérénité d'homme égoïste, une histoire qui lui est arrivée personnellement. Il s'était enfermé dans son cabinet pour écrire une 'rites-sérologie astronomique ; au bout d'un certain temps, sa femme finit par s'inquiéter et recourut à toutes sortes de stratagèmes pour le tirer un peu de cette claustration. N'y réussissant pas, pauvre femme ! elle alla elle-même chercher, chapitrer, et, enfin, elle amena une jeune voisine dont elle savait que son mari était épris ; elle les enferma ensemble, heureuse cette fois, comme un chien fidèle, et pensant bien avoir trouvé le mot de l'énigme... Mais non, Nifo restait figé dans sa Thessérologie. Alors la bonne femme perdit la tête, se voua à mille saints, multiplia pèlerinages et ex-voto... Trois mois après, Nifo, lorsqu'il eut écrit sa dernière ligne, sortit tranquillement du tombeau, et daigna, à ce qu'il assure, ressusciter sa femme.

Il parait que ce genre de dévouement n'était pas rare chez les femmes d'autrefois ; il y avait même une historiette classique qui passait de main en main, celle de Mme de Varambon ; M. de Varambon était, dit-on — il faut au moins lui rendre cette justice —, un homme économe, et sa femme souffrait de le savoir mal installé chez sa maîtresse ; elle finit par aller veiller elle-même à l'installation, en grand secret. Cette anecdote, chaque fois qu'on la raconte, excite l'hilarité des hommes ; les uns traitent Mme de Varambon de vieille hypocrite, les autres de vieille dévote[31] ; et voilà tout le fruit (le sa vertu.

Outre cette propension des femmes à se soumettre et à s'enfermer chez elles, il faut tenir compte aussi d'une espèce de ligue, peu chevaleresque, des Français contre les femmes « qui font parler d’elles ». Si on parle d'une femme, il semble que ce doive être nécessairement en mal, et par le simple fait qu'une dame acquiert une notoriété quelconque, même fort honorable, tout le monde se croit le droit de la dauber. C'est là un des phénomènes qui nuisent le plus à la bonne influence morale des femmes.

Bref, il semble à beaucoup de personnes que la vertu doive rester étroite, prosaïque, ennuyeuse, ou n'être pas : qu'elle consiste, pour les femmes, dans le simple culte d'un idéal familial — où pourtant elles ne trouvent pas toujours le bonheur, et que la religion n'a pas toujours réussi à parer, car les affections familiales sont terrestres et ne survivront, sans doute pas à la terre —. Les maris soutiennent cette thèse, qu'ils trouvent commode. Le vice et la vertu sont cantonnés dans leur brutalité — la vertu a sa brutalité — : chacun son métier, et on n'admet aucun accommodement[32], aucune nuance, aucun degré ; s'il s'agit de la vertu, Titien[33] et autres[34], avec sévérité et malveillance, nous la représentent engoncée, désagréable ; et, en face d'elle, ils représentent la vraie femme comme une caresse de chair.

Personne ne veut sortir de ce dilemme, si faux et si peu soutenable, pas même les moralistes. Lotto aussi bien que Titien, fait de la femme vertueuse une gardeuse de dindons, en lutte contre Vénus[35] ! Et même, d'écho en écho, l'étrange parallèle, quoique adouci, s'en va pénétrer jusque dans le pur monde platoniste Raphaël, qui était alors un -délicieux enfant de vingt ans, issu des tendres mains de deux princesses, le voit apparaître dans son Rêve de la National Gallery[36].

Lui aussi, il croit timide la femme grave, qui tend une épée et un livre, il la laisse en arrière, comme -si elle ne voulait pas se montrer, et, derrière elle, il ne se figure qu'un escarpement et une flèche d'église lancée au ciel ; l'autre dame, au contraire, toute gracieuse de formes, lui apparaît nettement, devant de belles prairies qui descendent à une eau fuyante. Elle tend une fleur : ah ! pas davantage ! L'est un amour encore bien doux, bien raisonnable, presque inefficace !... Raphaël était si jeune !...

Pourquoi donc, même aux yeux de cet enfant délicat, la vertu conserve-t-elle ce caractère de gaucherie et de froideur ? Est-ce qu'il n'y eut alors aucune de ces femmes d'esprit droit, d'âme ferme, qui savent laisser aux hommes leur orgueil, les respecter pour ainsi dire, et cependant les pousser en haut pour mettre le bonheur au-dessus des misères de la vie ? Nous ne parlons même pas du coup de fouet de la passion ; le grand amour a quelque chose de tranchant qui pénètre les matérialités ; c'est la purification par excellence ; il soulèverait des montagnes et dominerait des mers ; heureuse la femme qui l'a rencontré un jour, et surtout celle qui a su le reconnaître au passage et l'arrêter ! car il n'a qu'un défaut, celui de n'exister quasi pas, et s'il fallait compter sur lui pour changer la situation morale de la société, mieux vaudrait déserter la lutte et s'enclore à triple cadenas, fermer mystiquement les yeux au mal, attendre un miracle, ne prétendre, sur cette terre, qu'aux larmes de son mari[37], et encore !

Nous parlons simplement de femmes vigoureuses, faites pour soutenir et pour guider, ce que les hommes appellent des « dragons ». C'est une espèce qui ne réussit pas très bien dans le monde : on la trouve un peu virile, et on s'en moque volontiers, surtout quand il y a des motifs pour le faire. Ainsi, à Naples, on riait beaucoup d'un de ces dragons, Dona Maria d'Aragona[38], respectable mère de sept enfants, parce qu'on prétendait qu'elle avait voulu tâter de tout et vivre avec son mari trois ans comme femme mariée, trois ans comme amante, et trois ans comme ennemie. Les hommes ne comprennent pas ces femmes-là ; c'est un sens qui leur manque. Elles étaient démodées, elles étaient du XVe siècle[39], d'avant Savonarole. Elles faisaient l'effet de ces vieux remparts, hauts et rudes, qui ont raison de s'écrouler, et auxquels nous préférons un beau boulevard banal, encombré de boutiques de pain d'épices.

Malgré tout, l'influence morale des femmes, au point de vue social et général, s'est manifestée. En Italie surtout ! Il ne faut pas juger les hommes sur l'écorce, comme le disait fort bien Anne de France ; les partis adverses se serrent de si près qu'on ne sait trop où ils commencent et où ils finissent : il y a des matérialistes qui ne dédaignent pas l'idéal et des idéalistes assez sympathiques à la matière, c'est ce qui permet à la prédication morale de s'exercer.

Ainsi, nous avons cité Nifo comme un ennemi personnel de Platon : ce bonhomme avait commencé par guerroyer contre saint Thomas d'Aquin, dans le camp matérialiste : l'évêque de Padoue, prélat d'esprit, lui montra que c'était une sottise, si bien que Nifo, tournant bruyamment casaque, se mit à attaquer son maître Pomponace[40] et devint comte romain avec le nom et les armes de Médicis ; satisfaction bien douce, car les esprits logiques aiment le succès. Et puis nous le retrouvons, ses in-folio à la main, aux pieds des beautés féminines avec une agilité surprenante, bien supérieur à M. Cousin dont les passions étaient tout en demi-teintes et par trop posthumes[41]. M. Renan, qui a fort bien apprécié Nifo, lui reproche le caractère un peu ondoyant de sa doctrine : pour nous, c'est précisément ce caractère ondoyant qui nous intéresse. Si les hommes n'ondoyaient pas, le platonisme n'aurait plus

Nifo, en somme, est un personnage qui se convertit. Il ne faut pas se plaindre, si les hommes veulent absolument se battre, qu'une main de femme puisse parfois les ramener dans les bons bataillons.

Ainsi, dira-t-on, la conscience et les hautes déductions d'un homme sérieux, ou même distingué, dépendent du frou-frou d'un jupon ou de la couleur de certains yeux ? Eh bien ! si la femme représente autre chose qu'un jupon et des yeux, si elle a vraiment du cœur, un cœur ardent et énergique, et si à ce cœur l'homme réchauffe sa raison, rien n'est plus naturel ni plus moral.

Moyennant quelques complaisances artificielles — peut-être même trop artificielles ! —, voilà ce Nifo, d'ailleurs laid, affreux, peu difficile, qui change de face : s'il lui reste quelques épines de l'homme primitif, du sauvageon péniblement greffé, que prouvent ces épines, sinon que, sous les doigts des femmes, les buissons les plus rudes fleurissent en roses éclatantes ? Nifo en arrive à porter presque la même livrée morale que Bembo. Il ne parle de Platon qu'avec respect, et du matérialisme qu'avec dédain, comme d'une doctrine peu redoutable, dont le bon goût et l'affinement intellectuel doivent préserver les femmes[42] ; il prétend aller aussi loin que « les imaginatifs » dans la voie de l'amour sociologique[43] ; il adopte, en principe, la théorie de Platon sur l'amour intermédiaire entre Dieu et la créature[44] ; « la beauté, oui, il l'avoue volontiers, est ce qui produit l'amour ». Son seul côté faible — et cela se comprend —, c'est de ne pas pouvoir arriver à l'Absolu socratique sans passer par cette terre, c'est de préférer au flirtage immatériel à grandes ailes, dans le temps et les espaces, la rencontre palpable et individuelle de deux êtres[45]. Sur ce chapitre, les derniers logiciens ne se laissent pas réduire. La religion du beau et de l'amour, son admirable effet sur la société et sur le monde, ils l'admettent à merveille, avec enthousiasme : seulement, ils diffèrent sur la définition. Ils s'arrêtent, un peu transis, devant une jolie dévote, qui prétend tout à coup oublier son corps et n'être qu'une âme, ils ressemblent à Dante, lorsque, dans le Purgatoire, il ouvrait les bras et ne serrait que le vide. Ils n'adorent pas, par raison[46], ou à genoux, une ombre, un reflet, une lueur de beauté[47] ; il leur paraît bon d'aimer une certaine femme, en vertu d'une affinité spéciale, d'un besoin de réemboîtement[48], et dans ce cas ils se trouveraient, parbleu ! bien sots de se torturer, sous le fallacieux prétexte que l'amour ne peut se satisfaire sans se tuer[49]. L'amour, disent-ils, est un et unique, ni trop bas, ni trop divin[50] : « Si vous me citez des héros, des saints, des anges, si vous fouillez l'antiquité entière pour en extraire des types tels que Socrate, Anaxarche — ou bien Xénocrate qui passa une nuit à admirer tranquillement Phryné —, tout se peut. Moi-même, je donne un exemple magnifique, en aimant Fulvie sans aucun désir bas. Mais ce sont chefs-d'œuvre de saints ou de philosophes, et saint Jérôme juge bien l'humanité lorsqu'il prescrit ou d'affectionner génériquement toutes les Vierges du Seigneur, ou de n'en aimer aucune. Horace prétendait que chez les vieillards le corps était mort ; saint Jérôme lui répond : Vous dites que les corps sont morts, et moi je vous dis que le diable vit toujours. H faut distinguer l'amour de l'amitié[51]. »

En France, c'est autre chose. Les hommes s'affirment bien plus. Ils n'ont plus recours à ces circonlocutions ni à ces tendres ironies. L'anéantissement de la matière paraîtrait presque injurieux. Ici se produit parmi eux, un phénomène exactement inverse de celui que nous avons signalé dans le monde féminin. Etant les maitres, ils estiment que l'amour est indispensable, que le beau est toujours bon[52] : « Si nous pensions les dames estre sans amour, nous voudrions estre sans vie ; » seulement, comme l'ajoute Erasme, ils « n'accordent rien aux femmes que par amour de la volupté[53] ; et plus ils se trouvent haut placés, plus il leur semble naturel d'abaisser l'amour. « Contenter un prince[54], » on sait ce que cela veut dire, et qu'il ne s'agit pas d'un amour haut, comme celui dont rêvent les princesses.

Sur ce point-là, en France, le conflit moral est aigu. Lorsque Marguerite essaie de sanctifier le monde de la cour par un peu de beauté, son entourage l'arrête, n'admettant pas qu'on cherche à parer d'idéal la vie humaine. Ces hommes tiennent de trop près au vieil esprit logique et réaliste. Ils aiment Platon, ils aiment encore mieux la vérité. Ils ne se rendent pas compte que leur réalisme brutal a pour effet de rejeter les femmes vers les choses d'à côté, car il faut toujours une religion ; pour se sauver d'eux, les femmes de grande allure et de grande race, emportées par un enthousiasme en quelque sorte héroïque, en arrivent à une conception mystique de la vie par pure sensibilité.

Mais alors où commence et où finit le rêve ? Sans parler même de cet interrogat cruel de la philosophie sur la réalité de nos perceptions physiques, ni de bien des phénomènes douteux, où donc, dans la vie morale, commence le rêve, si, pour vivre, nous avons besoin de tant d'imaginations, de chimères : d'amours, de lueurs, qui agissent sur nous, mais qui n'existent pas ? de nuages, admirables, niais sans solidité ? Tomber brusquement de là-haut dans un précipice est une chose rude et qui tue trop vite : le rêve mystique n'est possible qu'à condition de matelasser l'âme entre les quatre murailles d'un couvent ; dans le monde, il tombe et se perd ; tel est l'avis des logiciens. Lorsque Marguerite raconte avec quelle énergie de vertu elle a échappé aux assauts réalistes de Bonnivet, et comment elle la réduit au pain sec de l'idéal, sauf quelques égratignures, son mari est le premier à rire et à dire : « Si j'en étais venu jusque-là, je me croirais déshonoré de ne pas arriver à la fin de mon intention[55]. »

Le mot est cynique et soulève un tollé général ; Henri d'Albret l'explique bien tranquillement, et nous ne pouvons mieux résumer sa riposte que par cette phrase de M. Bourget : « Vous avez la moralité de la vie, sans avoir celle du cœur. » Henri se félicite de voir sa femme conserver les apparences, mais, au point de vue moral, à part la diversité d'action, il ne trouve pas entre elle et lui grande différence : « Elle et moi sommes enfants d'Adam et d'Eve. » Il rit, il ricane des bleuissements philosophiques de la princesse, et il n'est pas seul à éprouver cette bizarre impression de l'équipollence du péché de l'esprit et du péché de la chair. « Place qui parlemente est à demi gagnée, » dit, avec une fausse bonhomie, un des interlocuteurs de l'Heptaméron, paraissant oublier que Marguerite, comme un peu bavarde, acceptait volontiers le sobriquet de Parla-mente[56]...

Non seulement les adversaires du platonisme lui reprochent de n'être qu'apparemment moral, mais cette apparence, qui repose sur un malentendu, leur parait une hypocrisie aggravante. Ils la trouvent mauvaise et peu sérieuse : Louise de Savoie, vieille rabat-joie, à la fois aigre et miséricordieuse pour les plaisirs dont elle ne profite plus, déblatère contre les amours de façade, les colifichets, les duperies, les viandes creuses de l'amour pratiqué par simple art entre deux personnes qui jouent la comédie ; elle aime mieux une faute sans scandale qu'un scandale sans faute. D'ailleurs, la question lui paraît claire : « On aime, ou on n’aime pas. Si on aime, pourquoi s'imposer le supplice de Tantale ? Si on n'aime pas, pourquoi l'imposer aux autres ? » Elle préférerait réussir à une sottise qu'échouer à un acte de vertu logique et pratique.

Elle a une manière à elle de couper court aux_ imaginations de sa fille : elle les laisse se gonfler, se gonfler..., puis elle donne un simple petit coup d'épingle. Ainsi on parle d'une reine assez adroite-pour avoir imposé à son amoureux sept ans d'épreuves préalables : « Elle ne voulait donc pas être aimée ni aimer ![57] » Si quelqu'un s'écrie avec Arne : « Quand l'amour est fort, on ne connaît autre pain et autre viande que le regard et la parole de la personne aimée, » elle lui répond qu'elle voudrait bien le voir à ce régime-là[58] ! A la fin d'une histoire drôle, une dame d'honneur, un peu surexcitée, déclare qu'elle aimerait mieux être jetée à la rivière que de vivre dans l'intimité d'un cordelier ; Louise, toujours de son sourire calme : « Vous savez donc bien nager ? » L'autre riposte très irritée : « Il y en a qui ont refusé des personnes plus agréables qu'un cordelier, et n'en ont pas fait sonner la sonnette. » Et Louise riant de plus belle : « Encore moins ont-elles fait sonner le tambour de ce qu'elles ont fait et accordé[59]. » C'est une sceptique et une logicienne : dans toutes ses hardiesses de langage, il n'y a pas trop de paradoxe. Du reste, elle s'appliquait ses principes à elle-même[60], et elle avait une telle manière de favoriser les amoureux de sa fille que, tout naturellement, ils s'adressaient à elle ; ainsi, dès le début de l'Heptaméron, un des nombreux admirateurs de Marguerite, furieux de voir sa princesse rire d'une déclaration brûlante, recourt à la mère.

L'idée d'Henri d'Albret, de Louise de Savoie, est celle d'à peu près tout le monde en France... Le platonisme fleurit au milieu des broussailles... Et, au lieu qu'on incline de son côté, il se produit une réaction contre les mièvreries du temps passé, par exemple contre les « chevaliers transis », qui arboraient des fourrures l'été et l'hiver des manteaux d'été, pour bien montrer que « l'amour suffit à tout ». Cette façon de mysticisme, on la trouvait fade. On préférait aussi la netteté, la vivacité, une mousse piquante de champagne à la belle liqueur sucrée, dorée, douce, limpide, sérieuse, vieillie, qui portait l'étiquette italienne. Rabelais, qui est notre Michel-Ange, se garde bien d'approfondir des mystères à la suite de Ficin ou d'entasser des in-folio à l'exemple de Nifo. Avec sa science et sa vaste intelligence, voyez-le, devant un plat de pois au lard, saisi d'un rire inextinguible en pensant à la « céleste et inappréciable drogue » du Banquet de Platon, et bafouant tous les Pics de la Mirandole passés et futurs, sous la forme de messire Pantagruel, qui soutient contre n'importe qui 9.764 conclusions, dont quelques-unes très platoniciennes, sur « la crème philosophale des questions encyclopédiques », sur « l'idée platonique, voltigeant dextrement sous l'orifice du chaos[61] ». Rabelais dédie sa Vie de Gargantua aux buveurs et aux goutteux.

Et puis, par-dessus tout, on entend s'élever le grand chant, la clameur de l'or, de Plutus, contre lequel rien ne prévaut[62]. L'antique échoppe n'a pas préservé les artistes, jadis chercheurs d'idéal ; ils sont venus habiter des palais, et il y en a dont l'art consiste à fabriquer de la fausse monnaie ou à courir après la pierre philosophale, si ce n'est pis[63]. Jusque dans les pays de rêve, dans le fond de la Bretagne mélancolique[64], la pauvre âme humaine, lancée sur le stade de la vie éternelle, selon la comparaison d'un prédicateur, s'arrête et se courbe à chaque instant, comme Atalante, pour ramasser des pommes d'or[65] !

La lutte, ainsi, est complète sur tous les points à la fois, et elle est rude. Il faut à des femmes un fier courage pour continuer imperturbablement, parmi tant d'ingratitudes et de traits acérés, à répandre le spiritualisme, l'esprit d'amour, la foi dans la beauté !

Hies ne parviennent pas à mâter les hommes en masse, ni à diriger leurs forces morales. Il faut y renoncer. Elles se résignent à une mission ingrate, celle de verser individuellement un peu de faiblesse par la sensibilité, seule aumône possible, dure aumône, souvent faite de concessions, de bien des amertumes cachées, d'un amour mêlé de dégoût, d'une duplicité nécessaire !

Bon gré mal gré, il faut donc se contenter d'un succès de ce genre. Pour préciser en quoi il consiste, nous diviserons en deux parties notre petit tableau, car l'effort de la sensibilité fut double : il consista à faire de la vertu et du vice un art, à tempérer leurs inconvénients ou leurs excès ; d'un côté, il amollit ou, si on nous permet ce mot, il désaustérisa les vertus trop farouches, pour leur donner le rayonnement dont elles manquaient ; de l'autre, il ennoblit le vice, pour le rapprocher de la vertu ; bref, on tenta de rendre la vie belle plutôt encore que bonne, et de réhabiliter chrétiennement tout ce qui peut devenir joli, en vertu du principe que le beau est bon et purifie tout.

 

1° L'amollissement de la vertu

Voici, en résumé, les principes déjà consacrés : le bonheur réside dans l'amour, l'amour consiste à se donner. Il y a plusieurs manières de se donner ; on peut se donner corps et âme, donner son corps seulement, ou son âme seulement, ou ne rien donner du tout. Le don de l'âme est le vrai platonisme, et le don de rien du tout est le faux. Le don du corps est l'antique arche sainte du mariage. Comment va-t-on concilier ces divers éléments ?... D'une manière assez simple.

Nous avons dit que le mariage était devenu un contrat humain et réciproque, conclu dans un but déterminé, entre deux êtres semblables ; et logiquement on aurait pu admettre qu'il finît comme il naissait, par le consentement mutuel, c'est-à-dire par la communauté des femmes[66], selon l'idée de Platon.

Mais, au contraire, les platonistes, qui ne cherchaient pas de poésie dans la prose du mariage, trouvèrent un mariage unique déjà bien suffisant et plutôt excessif. De plus, l'institution était vieille : on en avait l'habitude. Pour maintenir l'organisation sociale et les principes aristocratiques, il fallait conserver la formule et tirer simplement les conséquences morales que comportait le principe de 'l'égalité des droits.

Jusqu'alors, la loi morale du mariage, c'était l'autorité ou même le caprice du mari. Un bâtard — pourvu qu'il fût né du mari — avait presque la situation d'enfant légitime : souvent il était élevé au foyer paternel, loin de sa mère, par les soins de la femme de son père ; en Italie, il obtenait très facilement sa légitimation[67] et continuait, au besoin, la race officielle. Ce qui est encore pis que de tromper sa femme, c'est que le mari se croyait le droit de la négliger. — Désormais, le talion parut la règle morale : au lieu de rester des nourrices en chef, d'adopter les enfants de toute provenance[68], de travailler à effacer jusqu'à la trace des caprices du seigneur et maitre[69], les femmes « mal mariées » ne virent plus la nécessité de s'enchaîner, de refuser leur part de bonheur, de ne pas disposer de ce qu'on dédaignait[70].

Ce principe, Luther le fixa, matériellement, pari la possibilité du divorce ; il maintint le mariage, mais en le rendant successif, c'est-à-dire qu'il rétrograda vers les mœurs du passé dans la mesure du possible. En cas de faillite, même involontaire, d'un des deux contractants matrimoniaux, il trouvait juste de remplacer « Vasthi par Esther ». On sait la fortune de ces idées ; Mélander, en bénissant un duplicata de mariage du Landgrave de Hesse, allait dire que tout s'use en ce monde, et que la monogamie avait fait son temps ; un livre très libéral, attribué à Bugenhagen, allait relever des exemples de bigamie chez les premiers chrétiens[71]. La polygamie avait ses partisans ; Ochino la prêcha sur la fin de sa vie.

Les platonistes, en revanche, n'admettent aucune retouche : l'ancienne formule que le corps, avec toutes ses faiblesses et ses infirmités, est marqué par le mariage d'un sceau indélébile, de même que jadis on prétendait marquer les forçats, cette formule, après tout, leur parait salutaire, puisque le but du mariage est d'obéir à la loi physique : « Croissez et multipliez. » Mais, une fois la loi accomplie, par quelle étrange aberration voudrait-on river les âmes à ce corps abandonné, vraie épave de la vie ? En matière de cœur et d'âme, la communauté de femmes — ou, pour mieux dire, la communauté d'hommes — est une chose morale, et constitue même la distinction la plus nette qu'on puisse établir entre nous et les animaux. On blâme ce « libertinage spirituel », Calvin s'en moque et préfère le divorce ! Voilà un singulier goût, peu relevé, bien digne des pays où on cultive l'amour physique, avec échelles de corde et sans platonisme[72]. Le mariage est quelquefois bon, mais, comme on sait, jamais délicieux ; l'amour doit être délicieux et religieux. La femme, entrant à son tour dans la vie, a le droit de penser un peu à elle-même, à ses besoins les plus nobles, de soigner son cœur et son âme, de s'épanouir, de se compléter... Se compléter, dira-t-on ; il s'agit donc d'un second mariage ? Oui, mais d'un mariage tout moral, où les concessions de chair sont purement esthétiques et apparentes, où on se vante — quant aux points essentiels — d'un platonisme aussi parfait à l'égard de son amant qu'à l'égard de son mari.

En l'an de grâce 1523, une jeune dame de l'aristocratie romaine, que l'histoire nomme Costanza Amaretta, jolie, délicate, pieuse, vint dévotement à Florence pour les fêtes de Pâques ; elle y rencontra son idéal, sous la forme d'un homme instruit et distingué, Celso. Ils se réunirent dans la plus parfaite chasteté, sous le même toit, vie et relations communes. Après Pâques, ils partirent avec deux couples analogues pour une maison de campagne de Celso, et là, au milieu des joies du printemps, parmi les cyprès, les pins chauves et les premières fleurs, ce beau monde platoniste se mit délicieusement à dévider des vers ou de la philosophie. Costanza, qui fut élue reine du cénacle, exposa fort bien sa situation. Elle a été mariée, selon l'usage, très jeune, à un homme d'affaires, peu éthéré, d'esprit très pratique, de façons presque écœurantes, avec qui elle n'a réellement contracté aucun lien moral. « Sans le désir de cet homme d'avoir de moi, qui lui semblais belle, des fils, nous n'aurions éprouvé l'un pour l'autre que de la haine. » Près de Celso, au contraire, le sentier de la vertu lui paraît tout couvert de roses au lieu d'épines, et c'est ainsi qu'aujourd'hui elle voit, avec une clarté lumineuse et souveraine, la vérité, le bienfait moral de la distinction platoniste des deux amours, l'un bestial, matrimonial, périlleux, mondain, mortel ; l'autre céleste, vivifiant, avant-coureur du paradis, qui ravit l'âme et la remplit vraiment d'une irradiation divine[73].

Les parfaits amants trouvent ainsi un parfait plaisir à s'offrir leur chair, sans l'immoler, et à s'élever délibérément au-dessus des grossières règles physiques, à vivre délicieusement comme des anges de chair... Castiglione nous a cité avec beaucoup d'éloges le tour de force accompli par deux de ces dilettantes de l'amour, qui passèrent six mois dans l'intimité conjugale, sans fléchir[74] ; voilà ce qu'il appelle l'amour, l'existence idéale, la beauté pure ! Il y avait même, à Milan, un ordre religieux consacré à ce procédé d'édification réciproque des deux sexes, mais l'archevêque finit par l'interdire[75].

Nous ignorons, à vrai dire, quelle extension exacte prit ce genre de platonisme ; il serait difficile d'en dresser la carte ; dans ces matières, on n'a jamais établi de statistiques, et aujourd'hui même, que nous sommes capables de dire en un instant le nombre de boisseaux de froment ou de paires de poulets que chaque mois la France peut produire, il n'existe, sur la vertu des femmes, aucun recensement.

Cependant nous sommes assez portés à croire que la vie platoniste à deux eut plus d'adeptes qu'on ne pourrait le supposer. Tant de femmes au cœur vide et vierge aspiraient au bonheur de bien placer ce cœur, et considéraient la guenille, la baudruche du corps, comme si inférieure ! L'exemple de Judith paraissait non seulement incritiquable, mais sublime[76]. Si l'on avait senti le poids du premier mariage, ne fallait-il pas du moins mettre le second sur le pinacle, et sauver, sauver avant tout, le rêve, l'inconnu, l'au-delà, plus ou moins vague, qui, de la détresse morale et physique, nous ramène à la vie ! Cette jeune femme platoniste, toute âme, qui vit dans les bras de son amant, et qui n'y laisse que son âme, croit accomplir un rêve sacré et religieux ; l'amour, qui purifie et exalte tout, la transporte en paix et en confiance vers les sphères célestes, car la foi est confiance, l'espérance est confiance, l'amour est confiance. Voilà toute la thèse. Si par ce procédé on trouve le moyen de vivre, est-ce chose si sotte ?

Par malheur, l'amour ne cherche, d'ordinaire, qu'à s'abaisser, et l'apostolat des femmes aboutit plus souvent à des sorties agressives qu'à des enlèvements intellectuels. Il faut que le platonisme descende un degré, et que, pour répondre aux besoins des hommes, il se fasse lui-même défiant, banal et mensonger, qu'il s'en tienne à l'art. Ainsi nuit une nouvelle espèce de platonisme, la plus répandue et celle qui prête le plus aux critiques de l'ordre moral.

Cet art du platonisme secondaire resta presque italien ; il exige une patience, une exemplaire souplesse, que nous ne possédons pas. L'impatience des Français en matière d'amour est proverbiale : ils sont plus pressés que pressants ; ils s'emportent, ils s'irritent, ils ne comprennent rien aux savantes tactiques d'Ovide ou de Martial ; très souvent, ils prétendent, sans artifice, commencer par la fin ; ils rendent tout flirt intolérable. Et puis, les Françaises, aussi, faut-il le dire ? comprennent mal le jeu. On en voit qui prennent feu, au lieu de se faire aimer sans aimer[77], et jusqu'en pleine cour il y a des jeunes filles, comme Mme de Piennes, qui éclatent de désespoir pour l'abandon d'un amant ! Nous sommes ainsi faits ; nous n'avons pas de principes, mais nous les appliquons, tandis que les Italiens excellent à en avoir et à ne pas les appliquer. Quoi que nous fassions. nous réussissons donc très peu à nous régénérer par la chimère, et la vertu a infiniment de peine à nous paraitre enivrante ; nous n'arrivons pas à nous persuader qu'on puisse se nourrir de cailloux et d'arabesques ; nous restons fidèles à des sensations de réalités ! Nous nous moquons du reste, et comme il y a peu de femmes insensibles à la moquerie, avec un mot un peu caustique, c'est nous quelquefois qui les menons là où le cœur ne les mènerait pas.

L'amour platonique passe donc en France pour quelque chose de compliqué. Les femmes confessent qu'on n'a pas encore trouvé moyen de cristalliser les choses de la vie, en dehors de l'ordre de la Providence qui nous a donné des corps, ni de retenir les hommes par la simple vision de l'idéal.

Aussi nous avons vu Marguerite de France s'ingénier à faire transparaître son âme par son corps, et les femmes autoriser de douces privautés, à leur-petit lever ou autrement.

La pudeur, pour elles, ne consiste pas dans les systèmes, plus ou moins brutaux, du tout ou rien, mais simplement à rester femmes.

Chiches de confidences à un médecin ou à un-aumônier, parce qu'elles ne veulent s'assujettir ni à l'un ni à l'autre, elles apprécient l'homme qui les considère comme des femmes, et qui n'a d'yeux que-pour elles ; pour prix de ses soins particuliers, elles croient certainement lui devoir quelque petit privilège, un peu plus qu'à un non-ami. Ce sont elles qui, sont les médecins, les confesseurs, ou plutôt les-sauveteurs ; elles se jettent à l'eau pour sauver l'homme qui se noie. Le sauver en lui donnant le-vrai don, un peu d'elles-mêmes, cela leur paraît œuvre bonne, morale, méritoire ! Nous voilà loin : du banal et viril shake-hand que les femmes-accordent aujourd'hui à n'importe qui, c'est-à-dire-à personne. Sérieusement, elles croient gagner-ainsi le ciel ; en elles-mêmes, elles ne cessent d'écouter la douce musique du Phédon ou du Criton de Platon ; l'exquise distinction entre l'âme et le-corps chante à leurs oreilles, et le démon familier du bon Socrate les relie à un monde immatériel, leur souffle ses conseils, ses intuitions[78]. Elles ne voient aucun inconvénient à donner leur indulgence, leur sourire, et un peu du reste. Il leur suffit de « tenir ferme jusqu'au bout », et de rester de roc sur l'essentiel[79] ; elles ne comprennent pas les « faux scrupules », elles trouveraient cruel, ridicule de torturer un homme, en lui refusant des « privautés que Nature a permises aux beautés », alors que cette menue monnaie leur coûte si peu, et surtout les touche si peu ! Ah ! ce n'est pas là que git la tentation ! Dans le fond du cœur, elles méprisent tellement les hommes légers, insignifiants, soi-disant pleins de grands mots d'amour et de sentiment, et à qui ce misérable appât physique peut suffire !

On critiquait une dame, et on allait jusqu'à l'accuser de « perdre toute honte », parce que, le matin, en recevant un de ses amis au lit, elle tolérait un assez bon nombre d'indiscrétions, « sans mon honneur toutes fois oultrager, » observait-elle. Elle répond avec feu qu'elle ne voit rien là que d'excellent ; son ami l'estimera doublement pour avoir vu en elle « l'esprit et le corps, de beauté chaste unir les deux accords ». Quant au péril de cette familiarité, écoutez sa subtile et délicieuse réponse : « Celui que j'aime, celui que je redoute, ce n'est pas celui-là : c'est un autre qui a fait le siège non pas de mon corps, mais de mon âme. Ah ! si je ne tenais pas mon cœur, il y a longtemps qu'il parlerait pour l'autre ![80] » Voilà bien le cri de la femme délicate, qui ne redoute que l'entraînement d'esprit ! Nous n'apprécions pas son système moral, nous ne jugeons rien, nous nous bornons à raconter[81]. Son but est de se faire aimer, et d'une manière qui en vaille la peine.

La limite a été quelquefois franchie, on le croira sans peine : quelques hommes abusent de la permission, surtout près des princesses de lettres, comme Louise Labé[82], et il arrive même que, du côté des femmes[83], au travers de cette douce poésie socratique et de ce dédain de la terre, çà et là s'élèvent des cris un peu trop vrais[84]. Cependant beaucoup de femmes, se dévouant pour verser du bonheur pur, pour enchaîner les hommes et les empêcher de se vendre, préféreraient souvent que tout se passât en conversations, et que leurs amis se contentassent de se noyer dans leurs yeux et dans leur âme.

Leur but est de tout réduire à la conversation ; elles se soucient peu du silence contemplatif, des romances sans paroles : la conversation permet de retourner, de fouiller, de caresser, de pénétrer l'âme, sans le moindre inconvénient et avec beaucoup d'avantages. Leur art consiste, parmi des amis un peu chauds, à leur faire réciter la vieille cantilène : « Je meurs de soif autour de la fontaine » ; parfois, elles retiennent sous leur propre prunelle une grosse larme insoupçonnée. A un homme qui a faim, elles font oublier son assiette[85] ; « elles contentent les amants de paroles, promettent récompense, et remettent au lendemain[86] ».

Les Italiens, nous l'avons dit, se délectent à déguster ainsi l'amour par petites gorgées d'eau sucrée ; ce ne sont pas des gloutons, comme nous ; ils paraissent nés, non pas pour forger des chemins de fer ou pour enfler des ballons, mais tout simplement pour aimer, pour aimer à aimer, pour se repaître d'inutile et d'imprévu, pour chanter toujours leur même chanson vide, qui ne tue pas. Ils figurent merveilleusement aux pieds de ces femmes « devant qui les désirs brûlent comme des cierges[87] », ils glissent sur les réalités, comme si vraiment ils croyaient plus au bonheur par les choses qu'on ignore que par celles que l'on sait, ainsi que l'a dit magnifiquement le grand contempteur des femmes, La Rochefoucauld : et cela au point que, chez eux, les intarissables sources du cœur sont assez taries pour que l'amour ne risque plus de gêner et qu'on puisse trouver en sécurité l'amusette nécessaire à l'effroyable ennui de la raison humaine. Heureux mortels, gens sans souci ! Le monde étroit où ils s'agitent leur paraît trop vaste, et leurs longues ailes touchent terre ; ils sont jeunes et vieux ; ils éclatent de couleurs vibrantes, et pourtant fanées ; une femme peut prendre leur bras et compter qu'en somme tout finira par le commencement. La vie n'est pour eux qu'un flirtage sans but, une simple bataille de fleurs.

On s'est un peu moqué de ces amours mondains poussés à l'extrême perfection. Il est bien entendu qu'il ne faut pas y chercher un secret de force et de vie, c'est une simple occupation, un petit jeu d'esprit, et qui n'en exige pas infiniment.

Le « sigisbée » italien, ou « mort d'amour », devient une espèce de spectre aimable, qui ne fait ni bien ni mal ; il n'existe plus pour personne, il a le droit de ne pas répondre aux lettres[88]. Doucement parfumé, le bas bien tiré, une rose à la main, des fleurs aux oreilles, la bouche en cœur[89], le geste gracieux et galant, suivi d'un valet qui doit épousseter le moindre grain de poussière, le voilà, toujours le même, quel que soit l'objet de sa flamme[90]. Son seul souci est de bien placer ses regards, ses soupirs, ses signes, ses saluts, et, quand il a recueilli un sourire élégant ou un regard malicieux, il repart en chantonnant, pour aller composer un sixain ou un madrigal[91].

L'être fade et exécrable ! plus femme que les femmes, femme manquée, demi-femme ! Attaché comme l'ombre à la dame de ses pensées, il a pour fonctions de porter le chien, le livre d'heures, n'importe quoi. Chez elle, il s'installe comme la pierre angulaire des réceptions, il alimente la conversation, il entoure le mari d'égards affectueux.

L'hypocrite, le raffiné ! Dans l'aristocratie romaine, il devient uniformément solitaire et dévot, à Naples vigoureux et plein d'entrain, à Venise mystérieux ; en Lombardie, il a les allures du Nord, de la gaité, de la hardiesse[92] ; à Florence, c'est un causeur, vit -et qui riposte hardiment aux provocations des voix argentines. Peu lui importe ; rien n'est sincère : -son habileté consiste : 1° à s'accommoder entièrement à l'objet aimé, à abdiquer toute personnalité, -on lui appartient ; 2° à s'avancer académiquement -et sans passion, avec une extrême prudence, par l'onction, par la douceur, en se ménageant toujours une porte de sortie, et en s'efforçant surtout de fondre le cœur adverse. Dans toute cette partie -du programme, les yeux servent souvent plus que la langue.

Ce cap doublé, à chacun ses voiles ! Soyez éclectique, incandescent, abstrait, symboliste, plein d'idéal, si le cœur vous en dit : beau parleur, c'est un grand talent qui vous permettra de tirer parti de mille petites circonstances, mais qui, souvent <ne vous y trompez pas), ne vous mènera qu'à des -succès de façade. Une femme avisée craint les beaux Parleurs ; il lui semble qu'avec eux il y a matière à querelles de ménage, elle les sait indiscrets, elle leur sourit et les tient à distance, afin de faire publier sa vertu, et souvent elle préfère un silencieux, surtout un timide, un « amoureux de carême », comme on dit, facile à nourrir[93].

Du reste, impossible de dénombrer toutes les excentricités que comporte le flirtage ! Le ridicule devient la règle ; c'est un spectacle affligeant pour la dignité humaine. Les vieux dansent[94], les jeunes ont la fièvre, les spirituels se font imbéciles, les imbéciles se posent en gens d'esprit. Quelle mascarade ! et les lugubres pleurent leur amour, soupirent en prose ou en vers ! et les convaincus adoptent une idée, une couleur ! L'un d'eux s'était voué au vert, et observait si bien sa consigne, que non seulement sur lui tout était vert, jusqu'à ses boutons de chemise, mais qu'il ne mangeait que des plats verts, il buvait dans un cristal verdâtre, il avait découvert du pain vert, il ne chantait que les objets verts, les prés, les bocages[95].

Heureusement, la conversation relève un peu le niveau de ce marivaudage excessif et lamentable ; au milieu du cercle des amis, on s'amusera à lancer une belle déclaration cachée dans un aphorisme, dans un mot à double portée ; il arrive quelquefois qu'une personne à qui on ne songe guère se croit visée au cœur ; c'est très amusant. Ou bien on prolonge de doux tête-à-tête, et l'on égrène des mots d'esprit[96], d'aimables compliments, on démêle de petits problèmes de casuistique sentimentale. Quelquefois, on parvient à ce point où les tête-à-tête vraiment doux sont ceux où l'on ne se dit plus rien.

Ici, on va nous arrêter et nous demander si tout cela a une fin. Mais non ! il n'est nullement nécessaire, qu'il y ait une fin[97] ; les vrais romans platonistes n'en' ont pas. Et ils peuvent durer des années ! Une femme habile excelle précisément à les faire durer ; si elle sent le feu s'assoupir, elle a mille moyens de le rallumer, un mot, un geste tendre[98], un petit cadeau, une gracieuseté par-ci, une douceur intime par-là, un peu de jalousie, que sais-je ?... et puis elle vous propose de recommencer le petit jeu de l'église, de la promenade, des soupirs, des pleurs, des serments... Et l'on peut aller ainsi indéfiniment.

Il y a cependant des romans qui finissent bien ou mal. D'ordinaire, l'événement s'annonce par de gros nuages, par de l'électricité. La plupart des hommes n'entrent dans le platonisme qu'avec l'idée d'en sortir, et ils croient sans hésiter qu'il y a dans la vie de toutes les femmes, même des « dragons », une heure fatale et irréfragable... Psychologues, philosophes, poètes, prédicateurs[99], tous ont répété à satiété le mot d'Ovide : « Une femme chaste est celle que personne n'a tentée[100] » ; ou, comme le diront plus tard La Rochefoucauld et La Bruyère : « Une femme insensible est celle qui n'a pas encore vu celui qu'elle doit aimer. »

La darne n'a pas l'air d'apercevoir l'orage qui se prépare : elle fait tête bravement, sur un ton de doux persiflage ; elle avoue qu'il lui est bien agréable d'entendre parler d'amour, mais, entre gens comme il faut, on sait bien ce que ce mot signifie ; il ne s'agit pas de gros et substantiel amour, il n'a jamais été question que de propos amoureux[101]. L'ami se livre à une recrudescence des démonstrations déjà connues ; ses plaintes deviennent plus bruyantes, ses larmes plus grosses : sa bien-aimée ne peut s'endormir sans entendre des aubades, ou des « lamentations espagnoles », ou de simples soupirs qu'on dirait bramés par un esprit familier, et qu'en réalité des voisins consentent à pousser moyennant finance. Dans la journée, à l'église, au bal, dans la rue, sous les masques, elle ne voit plus que lui, toujours lui.

Un matin, la femme de chambre annonce sa maîtresse que l'ami est là et qu'il a un mot à dire, très pressé : le voilà, il se précipite ; vous 'n'en doutez pas, il sera éloquent[102]... Ou bien, il recourt aux grands moyens mélodramatiques : fausses clefs, échelles de cordes, narcotiques, sortilèges, fausses confessions de moines apostés[103] ; ou aux vieux clichés de comédie ; il exagère ses qualités, il offre mille services, et même de l'argent ; il promet, il bâtit en l'air de beaux châteaux. L'un menace, un autre débat hardiment avec le père ou le mari. On parle avec chaleur, on sanglote, on s'irrite. « Fulvia étant venue me voir à cheval, j'ai imaginé une colère superbe, comme si son acte me semblait contraire à la réserve d'une jeune fille. Cette belle colère a beaucoup servi à me faire aimer. » Il y en a qui emportent la place par des louanges fortes, des vers superlatifs, des récits larmoyants, des crises de jalousie... D'autres, goutte à goutte, creusent le marbre[104].

Si les princesses ont cru que leur rang suffirait à les défendre de la crise finale, il leur faut reconnaître leur erreur, surtout en France. Pourquoi l'homme aimé, et en somme aimable, après tant de travaux, de sages délires, de stratégies[105], d'approches couvertes, ne réclamerait-il pas un avancement si mérité : « A bien servir et loyal estre, de serviteur on devient maistre ! »

« — Madame, dit fièrement un des jeunes gentilshommes de Marguerite de France, quand nos maîtresses tiennent leur rang en chambres ou en salles, assises à leur aise comme nos juges, nous sommes à genoux devant elles ; nous les menons danser avec crainte ; nous les servons si diligemment que nous prévenons leurs demandes ; nous semblons être si craintifs de les offenser et si désireux de les servir, que ceux qui nous voient ont pitié de nous, et bien souvent nous estiment plus sots que bêtes, » et chantent la gloire des dames qui savent ainsi se faire servir ; « mais, quand nous sommes à part, où amour seul est juge de nos contenances, nous savons très bien qu'elles sont femmes et nous hommes, et, alors, le nom de maîtresse est converti en amie, le nom de serviteur en ami[106]. »

Et il ne faut pas croire qu'en pareil cas on s'en tienne à des mots ou à des menaces, vis-à-vis des femmes les plus haut placées ! Il y a des violents que rien n'arrête ! tel Bonnivet ! [Il arrive aussi, en cas de crise, même dans les milieux les plus platoniques, que l'amour se tourne en fureur. L'Unico Aretino, un des causeurs d'Urbin, outré de ce qu'il considère comme une noire ingratitude de la charmante duchesse Elisabeth, s'emporte, au point d'appeler sa souveraine « la traîtresse d'Urbin, la magicienne, l'enjôleuse ». Aretino avait infiniment d'esprit, mais enfin ce n'était qu'un quart de prélat : il remplissait, à Rome, l'emploi assez modeste d'« abréviateur apostolique » ; même, il le remplissait assez mal ; mais, comme il amusait fortement le Sacré Collège, il était habitué à se permettre toutes les facéties... Il ne pardonna pas à la duchesse, et jusqu'après sa mort il la poursuivit, elle et sa belle-fille, d'incroyables outrages[107].

On ne se figure pas les idées des hommes en pareille matière ! ils s'imaginent qu'ils pèchent par timidité, qu'on leur fait tort, en leur proposent des « acomptes » comme ils disent, qu'il serait ridicule de mourir de désespoir à l'instar des héros de roman, que c'est « folie et cruauté » de vanter à un malheureux assoiffé la beauté d'une fontaine, puis de le tuer parce qu'il veut y boire[108]. « A qui fera-t-on croire, s'écrie Henri d'Albret, que nous devions mourir pour les femmes, qui sont faites pour nous, et que nous craignions de leur demander ce que Dieu leur commande de leur donner[109] ? » Oui, il fallait bien s'attendre à cette conclusion : on sait, selon l'expression de Calvin, où mènent les « alleschemens[110] ». Aussi une femme n'est ni surprise, ni froissée à l'heure de la bataille. Elle a pris ou dû prendre ses précautions ; son premier soin, comme nous l'avons dit, a été d'éparpiller ses prédilections. Elle va au combat avec une crânerie que quelques vieilles personnes qualifient « d'effronterie » ; elle ne veut plus pécher par omission, comme ses aïeules. Et souvent elle triomphe, on n'en saurait douter. Marguerite de France, à l'heure critique, se retrouve aussi ferme sur les principes qu'Anne de France. Billon nous certifie qu'en Normandie, pays des jolies femmes, où il ne pourrait pas cautionner un seul homme, il ne craindrait pas de nommer un très grand nombre de femmes qu'il garantit d'une manière absolue. Certainement, il existe des femmes impeccables, capables de tenter l'aventure.

Mais triomphent-elles toujours ? Personne, assurément, ne le croira.

Et puis, il faut le dire, la casuistique a changé. Le corps est comme la signature de l'âme ; autant le vice bas, froid, sensuel, tel qu'il a cours dans le monde, parait ignoble et dégoûtant, autant on se souvient que l'amour a sa force purificatrice... On se rappelle les paroles compatissantes de l'Evangile, et, chose remarquable, ce sont les personnes les plus strictes pour elles-mêmes qui se montrent les plus indulgentes à une erreur du cœur, sincère !

Marguerite de' France tend son piège, comme la Joconde, mais pour le bien des autres, car elle sait où mènent les sentiers nébuleux ; elle ne peut détacher ses yeux du grand fond noir de la vie, et tout ce qui passe au-devant lui inspire parfois de bien cruels dégoûts. Elle aime l'humanité, mais sans le moindre fétichisme, à condition de regarder en haut, de ne pas croire à l'homme en particulier ; sa seule consolation était de penser que les mœurs italiennes valaient encore moins que les nôtres[111]. Elle approuve, avec exaltation, au point de faire rire tous ses amis, un mari allemand qui avait eu l'idée bizarre d'enfermer sa femme avec le squelette de son amant[112]. Et cependant, quand on la pousse sur la morale de l'amour et qu'on lui demande si le péché est véniel ou plus que véniel, elle s'empêtre un peu. Certes, rien ne détonne plus que la faiblesse de la chair parmi les joies du concert divin : « la vérité oblige à la blâmer » ; mais faut-il s'irriter, refuser toute espèce de circonstances atténuantes, parce que la toile d'araignée qu'on tissait pour des siècles a été arrachée d'un coup de griffe, parce que, malgré tous les airs de flûte, on n'a pas réussi à transformer ces hommes en grands enfants au lieu de misérables, ou même, je le veux bien, parce que, dans le feu de la bataille, des femmes ont pu s'emporter et passer à l'ennemi ? Faut-il en conclure que l'aboutissement du platonisme soit nécessairement mauvais ? plus mauvais qu'un autre ?

Où en étaient les femmes du monde rebelles au platonisme ?... Avec le principe que « l'honneur d'un homme et d'une femme sont semblables[113] », et que, soit par amour, soit par vengeance[114], la femme a droit à la même indépendance que son mari, les maris avaient bien beau jeu à ne pas se montrer sévères[115] : loin de jeter les hauts cris et de jouer à l’Othello[116], ils songeaient philosophiquement à leur propre situation[117], à la vertu du silence[118], et, rentrant en eux-mêmes avec un certain fatalisme[119], ils ne pouvaient trouver mauvais que leurs femmes « usassent de leur force » comme eux[120] ? Il était rare qu'un mari tuât sa femme[121] ; le mariage était devenu une mare d'indulgence réciproque, où l'amour passait, à condition de ne pas laisser plus de traces que le jet d'un caillou dans l'eau épaisse ou l'envolée d'un oiseau à travers les espaces[122]. Quant à croire qu'il pût exister encore des Laure et des Béatrix, non seulement les sceptiques le niaient, niais ils prétendaient même que, si Laure ou Béatrix revenaient au monde, il y aurait de grandes désillusions[123].

Louise de Savoie ne s'attache qu'à la question de publicité[124].

Faut-il s'étonner que, dans une atmosphère aussi saturée d'immoralité, bien des femmes, même bien intentionnées, se soient laissées, entraîner et que Salel, attique ami de Marguerite, nous les représente jusque sur les rives de l'Achéron prisonnières encore de l'ingouvernable Amour et demandant grâce pour leur tyran !

Elles succombent, du moins, avec une hauteur de passion que le monde, presque toujours, méconnaît : « La forteresse du cœur, où l'honneur demeure, est tellement ruinée que la pauvre dame s'accorde en ce dont elle n'est point discordante[125]... » « Vraiment, dit-elle, tout est-il donc licite à ceux qui s'aiment, pourvu que personne n'en sache rien ? — Ma foi, répond l'autre, il n'y a de puni que les sots[126]. » Leur amour, formé d'un rêve, se fond ainsi dans la réalité. Des femmes pures, bien armées, platonistes, se laissent aller, par douceur — « pitié en leurs espritz domine » —, par une tendre compassion, par charité pour autrui, si ce n'est par charité pour elles-mêmes. Ce sont presque les martyres de l'amour ou de la bonté, puisqu'elles poussent la bonté si loin qu'on peut la prendre pour de l'amour, comme leur amour, si réservé, peut être pris pour de la bonté. A l'inverse des anti-platonistes, s'il leur arrive d'être surprises, de commettre une faute, elles ne surprennent personne, elles ne font point une sottise. C'est par le défaut de l'humaine nature que l'amour platonique ne reste pas toujours un « amour de cigogne », comme l’appelle Montaigne[127]. On ne se bat pas sans laisser sur le champ de bataille quelques morts et quelques blessés. Plaignons les morts, mais déjà on priait ceux qui n'ont jamais péché de leur jeter la pierre !

Une femme « si pipée », conclut philosophiquement Castiglione, mérite sans doute l'indulgence qu'on accorde à messieurs les assassins[128]. Elle travaillait, comme dit Michel-Ange, à « élever les âmes à la perfection. La sensualité... tue l'âme[129] ».

Et c'est pourquoi Marguerite de France, dans sa vue profonde d'effacer et de pardonner les péchés du monde, s'inspire, elle aussi, d'une tendre, d'une secourable indulgence. Certes, les blessures qu'elle constate sont déplorables, mais elles ne témoignent l'as nécessairement d'une perversité absolue ; elles peuvent venir d'une « folie naïfve », du « malheur de trop aimer » ; c'est l'excès du bien, et la conséquence même de notre organisation. L'être parfait serait évidemment un androgyne ; mais nous sommes des êtres imparfaits, et dédoublés, divins et, malgré tout, profondément, douloureusement hommes ! Le pouvoir de l'amour

...vient de la divinité,

Et son tourment de nostre humanité[130].

Il nous semble entendre cette femme impeccable crier à Dieu : « Ô Christ, Christ de la Madeleine, pantelant et crucifié ! que vous avez souffert ! que vous avez aimé ! Ce sang qui coule, ces plaies éternellement ouvertes, c'est le fait de la haine des hommes, à qui vous commandiez l'amour pur. Vous ne pardonnerez pas la haine ! Vous ne pardonnerez pas l'âpre convoitise de la richesse, vous ne pardonnerez ni l'orgueil altier et misérable, ni la colère farouche, ni la honteuse nonchalance ; vous ne pardonnerez rien, sauf l'erreur d'amour, l'erreur d'un instant, puisque c'est l'excès du bien, le malheur de trop aimer ! »

 

2° Ennoblissement du vice

Le second effet moral de la théorie du beau et de l'amour fut encore plus pertinent que le premier. Il consista à relever extraordinairement le niveau des amours purement terrestres et illicites ; du principe, déjà connu, que la virginité du cœur peut résister à des épreuves professionnelles où le cœur n'entre pour rien, l'on tira, en Italie et m(me en France, des conséquences morales si importantes, que nous ne pouvons les passer sous silence.

En Italie, il se forma une aristocratie parmi les femmes qui faisaient métier de plaire, une aristocratie tellement réelle que quelques-unes de ces dames tinrent des salons, appartinrent au monde des cours et méritèrent vraiment le nom de « courtisanes[131] ». Leur tenue était irréprochable, leur distinction extrême, et il faut bien dire que, sauf leur origine, elles se confondaient absolument avec les femmes vertueuses, sauf qu'elles avaient des manières peut-être plus correctes.

Leur haute influence s'explique par ce fait qu'à Rome on manquait de femmes, dans le monde officiel. Conformément à l'étiquette, on ne voyait à la cour que des dames de passage ; le cœur de plus d'un prélat platonicien en souffrait, de la manière la plus honorable, mais cruellement. Un moment, on crut que la belle-sœur de Léon X, Philiberte de Savoie, allait s'installer au Vatican : « Dieu soit loué, s'écrie triomphalement Bibbiena, il ne nous manquait qu'une cour avec des femmes[132]. » Ce bonheur ne se réalisa pas, les femmes continuèrent à briller par leur absence : et on voit pourquoi, faute de mieux, dans l'asile suprême des gloires humaines, dans l'éternelle Ville qui servait de phare au monde, les Ninon de l'Enclos exercèrent à leur façon un apostolat singulier, en assumant le rôle de femmes de cour, et en recevant superbement l'élite des poètes, des savants, des artistes, des prélats, des diplomates, à une époque où tout le monde se piquait de porter une de ces étiquettes, et de s'en parer près d'une femme.

Il nous reste des tableaux enchanteurs, des réceptions de ces dames : nombre de poètes, qui ont connu le monde surtout par ce bout-là, ont vanté avec enthousiasme le parfum de grâce répandu dans leurs nobles salons, la gloire d'y être admis, les relations qu'on y trouvait, les fêtes superbes qui en consacraient le charme et le lien. Cela n'était pas nouveau : Socrate, Pline témoignent combien, dans l'antiquité grecque et latine, on avait déjà éprouvé le besoin de se laisser guider par des femmes plus au courant des choses de la vie et plus naturellement actives que ne peuvent l'être quelquefois les femmes du monde. En appelant ces dames des Ninon de l'Enclos, nous n'en donnerions, d'ailleurs, qu'une idée bien imparfaite et dégénérée, car leur influence fut à la fois morale et intellectuelle. Elles ne pouvaient, il est vrai, prétendre qu'à la virginité du cœur, mais, puisque c'était la bonne, elles glorifiaient l'amour pur avec autant et plus de conviction que n'importe qui. Une très particulière énergie, et très sincère, les poussait fortement à réagir contre les mépris d'un monde qu'elles avaient également le droit de mépriser ; et puis elles sentaient la nécessité de s'étourdir, pour échapper au vide, et de se faire noblement illusion sur elles-mêmes.

Plusieurs furent de vraies patriciennes, à qui on ne pouvait reprocher qu'un peu de fierté. Celle-ci affichait sa généalogie, qui aurait pu en remontrer aux Colonna, ou même aux Massimo ; celle-là signait modestement « patricienne romaine ». L'accès de leur salon était des plus difficiles : quelques-unes y mirent des conditions un peu dures, telles que de monter la garde avec les Suisses à la porte du palais pendant deux mois, ou de se présenter à genoux[133]. La tenue de leur maison et de leurs équipages ne laissait rien à désirer ; elles gardaient un décorum extrême. Nous n'avons pas besoin de vanter leur vertu : leur talent consistait à en avoir autant que possible et à s'enrichir surtout par voie d'héritage ; il n'aurait pas fait bon les traiter trop vivement. Tullia d'Aragona, qui se laissa maladroitement adresser quelques pasquinate un peu salées, eut le malheur, dans une visite dont elle honora la cour de Ferrare, de mettre toutes les têtes à l'envers : les épreuves les plus variées la trouvèrent inflexible ; elle repoussa avec indignation l'offre misérable d'un collier d'or de trois cents écus. La fille d'une autre de ces dames avait reçu une.si bonne éducation qu'elle figure au martyrologe de la vertu et du patriotisme : elle se tua pour échapper aux obsessions du gouverneur de Sienne[134].

Elles étaient toujours blondes et reines d'élégance. On faisait chez elles d'excellente musique. Elles dansaient bien. Les beaux bijoux, les beaux tableaux, les belles statues se trouvaient là[135]. On voyait sur leur table les livres nouveaux ou une édition rare, quelquefois agrémentée d'une dédicace manuscrite en vers. Elles savaient le grec et le latin ; elles s'entretenaient avec les absents par des lettres gracieuses, affectueuses, de style cicéronien et très suffisamment spirituelles[136]. Dans la conversation, il ne fallait pas beaucoup les pousser, pour taire jaillir quelques belles tirades classiques, le plus souvent empruntées à Boccace ou à Pétrarque, ou même, au besoin, une savante dissertation d'archéologie romaine. Parfois, elles lançaient un trait de la haute piété à la mode[137]. Quelle femme du monde aurait écrit de plus charmants sonnets qu'Imperia ou Veronica Franco[138] ?

Elles excellaient à mettre l'esprit en haleine ; Arétin confesse que, sans un entraînement de ce genre, il ne serait bon à rien. Çà et là, quelque pauvre diable se voyait admis à émettre un échantillon de son génie[139] ; cependant, la maîtresse du logis préférait généralement inspirer des banquiers. Ah ! c'était un monde sérieux et distingué, et, si quelquefois les conversations touchaient à des sujets médiocrement mystiques, quel est le salon immaculé auquel on n'aurait pas pu faire le même reproche ?

Les jours de fête, ces dames allaient faire leurs dévotions à la basilique voisine, sinon fort recueillies, du moins fort élégantes[140]. L'habitude d'une excellente société et un sentiment de dignité, qui causa bien des désespoirs, les classaient véritablement et en faisaient l'ornement indispensable des fêtes illustres. C'est ainsi que plusieurs d'entre elles parèrent, en 1513, la magnifique réception offerte par le cardinal de Mantoue au jeune Frédéric Gonzaga, qui était âgé de treize ans, pour son passage à Rome[141]. Du reste, il y en eut qui se conduisirent en tout à fait grandes dames, et qui se montrèrent à la hauteur de tous les dévouements, de l'amour sincère, même du désintéressement. Quantité de poètes se sont portés garants de leur vertu. Vittoria Colonna, Michel-Ange leur ont dédié des sonnets[142].

Souvent, elles ont pieusement fini, enterrées dans les églises[143], et, aujourd'hui encore, on prie à leur ombre. Michel-Ange a écrit une de leurs épitaphes. D'autres, fort bourgeoisement, épousèrent quelque homme du monde, et celles-là, d'ordinaire, portèrent un peu _haut l'orgueil de leur vertu et de leur blason. Une femme d'esprit le disait alors avec philosophie : « La vie est une comédie ; pourvu que le dernier acte réussisse, la pièce est belle[144]. »

Pourtant, ces intéressantes créatures ont eu, nécessairement, leurs détracteurs. On les a accusées de ruse, de tromperie[145]. Même en faisant la part de la mauvaise humeur de leurs ennemis, on ne peut pas nier que, çà et là, quelque excentricité ne vint donner prise à la médisance : ainsi, celle qui portait des mules couvertes de diamants et se faisait baiser les pieds comme le pape[146], sous prétexte que ce pied était aussi, par sa beauté, digne d'adoration, celle-là dépassait un peu la mesure. Mais, auprès du public et même des connaisseurs[147], ces délicates exigences ne produisaient pas du tout l'effet d'étonnement qu'elles produiraient aujourd'hui. La religion du beau était si intense que le beau paraissait toujours beau, sous toutes les formes, à tel point que certains recueils italiens de Vies de femmes illustres amalgament les vies de saintes et les vies de courtisanes.

On professait pour ces dames le même culte, la même idolâtrie que pour une princesse : on se servait absolument des mêmes soupirs, des mêmes vers, des mêmes douceurs. Le spectacle coûtait un peu plus cher, mais, au fond, on n'était pas très éloigné de considérer un salon de courtisane comme plus moral que certains salons mondains, puisqu'on n'y rencontrait ni mari ridicule, ni petites cousines mêlées aux petits cousins, ni certaines jeunes filles du monde au verbe un peu leste. Et puis, c'était moins compromettant[148].

Y avait-il un profit moral à élever ce qui, jusqu'alors, avait été si bas ? Pendant longtemps on a cru sincèrement que oui, et on l'a cru à peu près dans toute l'Italie. Il suffit, à ce sujet, de lire une bien curieuse lettre qu'un personnage inconnu, sous le pseudonyme d' « Apollo », adresse à la spirituelle et très vertueuse Isabelle d'Este : cette lettre est datée de Ferrare, le 13 juin 1537, el se rapporte à la visite que faisait alors Tullia d'Aragona : « Il vient d'arriver ici une gentille daine, si réservée dans son maintien, si séduisante duos ses manières, qu'on ne peut s'empêcher de lui trouver quelque chose de vraiment divin ; elle chante à livre ouvert toute sorte d'airs et de motets ; elle a, dans la conversation, un charme sans pareil : elle sait tout, on peut lui parler de tout. Personne ne saurait ici lui être comparée, pas même la marquise de Pescaire. » Un ambassadeur renchérit encore sur ces dithyrambes, et écrit gravement à son gouvernement qu'il compose sa correspondance à côté de cette jolie femme, qui l'aide de ses conseils[149].

Tullia d'Aragona, qui était d'ailleurs très fière du noble sang qui coulait dans ses veines, servait ainsi d'Egérie aux personnages les plus qualifiés, et ors ne craignait pas de la comparer à une Mère de l'Eglise telle que Vittoria Colonna, de la placer même Plus haut ! Elle a justifié cet enthousiasme, non seulement par sa beauté physique et son esprit, niais par de réelles qualités morales. Elle montra que l'esprit du beau relève les pires choses, et, si elle ne se fit pas trappiste, si elle continua la vie du monde où elle était née, elle y apporta un dédain de l'argent, qui était déjà une vertu purifiante. Cette admirable créature, après avoir tenu l'Italie entière sous le charme de ses yeux de velours, mourut dans la misère ; elle se fit enterrer sans la moindre pompe, à côté de sa pauvre mère, dans l'église de Sant-Agostino, où elle avait fondé des messes ; il fallut vendre à l'encan son mobilier, et la vente produisit douze écus et demi.

Imperia se plaça encore plus haut que Tailla, et il faut croire que l'ombre de la vertu peut en effet abriter toutes les situations, puisqu'on voit Sadolet, type de piété sincère, chanter les louanges de cette aimable femme[150], et Raphaël placer son portrait, dit-on, au pied du Parnasse, dans l'appartement de Jules II.

Nous ignorons — et nous préférons presque ignorer — ce qu'Imperia a pu faire pour susciter un enthousiasme si général, elle qui mourut à vingt-six ans ! Nous savons seulement que le 15 août 1511, jour de sa mort, fut considéré à Rome comme un jour de deuil officiel. On grava sur sa tombe une épitaphe du plus pur style lapidaire[151]. Les poètes, peut-être avec une ironie très fine, la portèrent aux nues comme une nouvelle déesse du Latium : faut-il répéter quelques-unes de ces belles phrases ? « Nos pères ont pleuré l'Empire (Imperium) ; nous, nous pleurons Imperia. Ils avaient perdu le monde, nous avons perdu nos cœurs et nous-mêmes... » « Tout s'émeut de l'enlèvement de cette jeune déité sur les bords du Tibre, s'écrie Vitali, tout, jusqu'aux vieux murs barbares, jusqu'aux fastes des consuls !... » « Elle n'est plus sous ce marbre, s'exclame Silvanus, elle a désormais sa place parmi les constellations, elle guidera nos flottes. » Mais Silvanus se perd un peu dans sa mythologie, et, à propos de la nouvelle étoile, il mêle, sans qu'on sache pourquoi, les noms de Jupiter et de Jules II.

Malgré tant de gloire, Imperia et ses semblables ne laissèrent pas que de devenir un peu encombrantes, et le plus esthéticien des papes, Léon X, leur porta un coup fatal en les expulsant de Home dès 1520. Elles se réfugièrent à Venise malgré la résistance héroïque du Sénat.

Mais, là, elles perdirent tout leur cachet ; Venise, métropole du plaisir[152], « écume de mer[153], » leur imposa son caractère... Venise était le « paradis terrestre » des gens de l'espèce positive, Brantôme[154], Arétin... Ce dernier écrivait précisément à une aimable femme : « Vous ne pouvez vous figurer ces promenades en barque à la fraîcheur, ces expéditions en coche sur la terre ferme, ces bosquets secrets, ces festins, ces consolations inconnues... De vos fenêtres, vous aurez un spectacle de musique, de chants, de bouffons, » une tempête de plaisir : « vous vous croiriez devenue une reine[155]... » Mais à Venise les reines ne gouvernent pas comme à Home : on les collectionne, voilà tout...

Et ainsi disparut une des curiosités les plus notables du monde platoniste, celle qui a laissé les plus vifs souvenirs : elle n'était possible que sous les belles tiédeurs du ciel romain.

L'arrêt de Léon X souleva des cris de détresse, les Français, qui n'avaient jamais rien compris à cet art de la courtisanerie et qui en faisaient des gorges chaudes[156], mais qui le trouvaient admirable, ne furent pas des moins vifs à se plaindre ; on eût dit que Rome n'était plus dans Rome : « Comme le jubilé va être triste ! Qu'irais-je faire à Rome maintenant ![157] » s'écrie un pèlerin. Du Bellay, hôte mélancolique de la ville attristée, chante cette nouvelle ruine en vers bien connus[158]... Ô Rome, Rome triste et tendre, à qui chaque génération doit léguer un arc de triomphe et des catacombes !... Bien des années plus tard, les voyageurs notables, Henri III, Montaigne[159], s'ingéniaient encore à rechercher les débris des courtisanes.

Au reste, nous ne faisons aucune difficulté d'avouer que la tentative de réhabiliter le demi-monde et de l'employer à des usages célestes nous parait extrêmement hardie : M. Alexandre Dumas fils, en vrai Français, n'a pas osé la soutenir jusqu'au bout. Nos aïeux éprouvèrent le même scrupule ; malheureusement, ce n'était pas par scrupule de vertu. Ils admettaient l'œuvre du platonisme, tant qu'elle visait à transfigurer l'amour par la coquetterie[160], et tant qu'ils espéraient, pour le bien de l'humanité, rendre faciles des femmes difficiles. Mais, quand on leur parlait, pour compléter l'œuvre, de rendre difficiles les femmes faciles, on les trouvait de roc.

Ils découvrirent une autre manière d'aristocratiser les choses non spiritualisables. — Il faut la faire connaître, parce qu'elle comporte également un reflet vague de platonisme ; et, d'ailleurs, en abordant ces délicats problèmes de morale, si utiles à envisager froidement, nous n'avons pas l'intention de les dédier à des jeunes filles.

On chercha à mêler l'idée d'une union immatérielle des cœurs, idée empruntée au platonisme et dont on ne contestait ni la beauté ni l'importance, avec cette autre idée, dont les Français ne purent pas se défaire, qu'une intimité absolue, et sans réserve, devait nécessairement sceller un pareil pacte, sinon il resterait chimérique et ennuyeux. De là vint la notion de ce qu'on pourrait appeler un second mariage, par-dessus le mariage officiel : d'une union de fait, reconnue, avouée, constatée, tellement honorée qu'on serait tenté de l'appeler un huitième sacrement. A la fin du XVIIIe siècle, et jusque dans le commencement de ce siècle-ci, sous la Restauration, on a vu encore de semblables unions, reconnues par le monde, qui avaient quelquefois résisté aux pires épreuves de la Révolution, de l'émigration, du dénuement, de l'exil, sans compter l'épreuve, encore plus péremptoire, du temps.

Cette habitude de rendre publiques les unions secrètes n'est pas née du platonisme en ligne directe : cependant les femmes platonistes ne la virent pas d'un mauvais œil. D'abord, personnellement, elles s'estimaient presque heureuses que leur mari, possédé d'une irrégularité en quelque sorte régulière, respectât mieux leur dignité, leur paix, leur santé[161]. Et puis nous avons déjà dit combien sous François ter les mœurs étaient peu platoniques, et quelle liberté sans frein régnait à la cour. Melin de Saint-Gelais nous dépeint le roi comme un coq au milieu d'une « poussinière », comme un soleil dans un firmament d'étoiles, entre Canaples, l'étoile d'aurore, la belle Saint-Paul, astre du soir, Diane au beau croissant... et bien d'autres constellations désireuses de briller : Helly, Rieux, Tallard, Lestrange encore. qui, si on ne les nommait pas, « le trouveraient estrange[162] ».

François Ier disait très haut qu'un homme sans maîtresse n'était qu'un imbécile[163]. Eh bien ! n'était-ce pas un progrès d'arriver à l'institution d'une maîtresse en titre, unique et reconnue ? Marguerite de France aurait vivement désiré voir son frère se fixer ainsi, sagement, près de quelque personne éminente, qui aurait pris rang après la reine[164], qu'on eût appelée reine et « miroir de toute honnêteté ». Voilà pourquoi, sans doute, elle salue si affectueusement, avec tant d'égards[165], si humblement, la duchesse d'Etampes, dont on put croire un instant le règne durable. Elle écrivit pour cette noble dame la Coche ou Débat d'Amour, petit traité destiné à prouver que, même en dehors du pur platonisme, il peut exister un louable amour ; et, dans l'exemplaire de dédicace, elle, sœur du roi, elle s'est fait représenter, tout en noir, devant la reine du jour étincelante de beauté et de bijoux, et lui disant : « Plus vous que moy, » c'est-à-dire : « Vous êtes plus que moi. »

Avec un pareil sentiment de délicatesse féminine, peut-être un peu exagéré, Veronica Gambara, qui fut probablement vertueuse et très certainement platoniste, s'extasie, elle aussi, devant la bonne fortune de la « sirène » qui a su fixer quelque temps le cœur fort peu sérieux d'Arétin ; les mots de Laure, de Béatrix, lui viennent aussitôt à la bouche, comme si on touchait à l'idéal[166].

Henri II se montra platoniste en ce sens ; son double ménage ne constituait pas une infidélité : il fut fidèle à deux femmes : l'une officielle, chargée de perpétuer la dynastie et de le suppléer pour les affaires, selon la vieille tradition ; l'autre personnelle, pour son cœur d'homme.

Diane de Poitiers, il faut en convenir, outre sa beauté qui fut longtemps mûre, avait tout ce qui peut séduire et attacher un cœur élevé : une naissance à peu près égale à celle de la reine — qui n'était qu'une Médicis —, de l'esprit, du cœur, du dévouement. Elle a expliqué, elle-même, en vers extrêmement fins, comment sa situation, qui re paraît si fausse, naquit d'une passion vraie : « Un beau matin, dit-elle, un jeune amour tout frais, léger, timide, vint rôder dans ses environs et remplir sa mantille de marjolaines et de jonquilles, et l'ensorceler : elle résista, elle fermait les yeux et les oreilles, bien qu'elle sentît son cœur se fondre, elle ne voulait écouter ni promesses, ni serments. Il lui tendit un laurier merveilleux, la couronne de reine : « Non, reprit-elle, encore mieux vaut être sage que reine... » et cependant elle se sentit « et frémir et trembler »...

« ... Et comprendrez sans peine

Duquel matin je prétends reparler[167]. »

L'amour disait vrai : il lui proposait une royauté, un grand rôle[168], il lui tint parole, les murailles du Louvre en témoignent ! Diane de Poitiers a paru à tous ses contemporains en situation magnifique, divine ! Du Bellay a chanté cet état comme le plus beau des mariages, le mariage d'âme :

« Dieu... vous a fait entre nous

Comme un miracle apparoistre,

Afin que de ce grand Roy,

D'une inviolable foy,

Vous peussiez posséder l'âme,

Et que son affection,

Par vostre perfection,

Brulast d'une sainte flamme.

Les Roys monstrent aux humains

De Dieu l'exemple et l'image[169]. »

Pour les Français, c'est le type du platonisme, à la fois pratique et sacré :

« Vous avez acquis le cœur de toute la France[170]. »

Et Ronsard n'est pas moins précis :

« Seray-je seul, vivant en France de vostre âge,

Sans chanter vostre nom, si craint et si puissant ?

Diray-je point l'honneur de vostre beau croissant ?

Feray-je point pour vous quelque immortel ouvrage ?[171] »

Malgré tous les dithyrambes, il est bien clair que le platonisme de Diane de Poitiers représente la décadence. C'était l'idéal des femmes platonistes d'être aimées pour leur âme : l'idéal des hommes étant inverse, on avait transigé[172].

On transigea même plus qu'on ne voulait bien l'avouer, même en Italie, même dans les plu, pures sphères. Nos lecteurs connaissent le délicieux Bembo, quintessence de platonisme, admirable ciseleur de phrases, secrétaire de Léon X, ami de tout ce qui est beau, noble et esthétique, magnifique collectionneur, apôtre de Platon et de Pétrarque, de Dante et de Boccace[173], idole des femmes, bref, un des hommes qui promènent autour de toutes les jupes de princesses leur éternel marivaudage sous la forme la plus parfaite, la plus exquise, la plus haute. Voici de lui une lettre frissonnante. Parmi toute cette cohue de princesses qui le repaissaient de regards éthérés, il aimait une femme, la Morosina, une femme honnête et charmante, à laquelle, dit l'excellent Mgr Beccadelli, « il avait eu la sagesse de se consacrer[174] », et qui lui avait donné, fort prosaïquement, un bon nombre d'enfants. Il la perd, et le voilà malheureux, ému, douloureux jusqu'au fond des entrailles ; tout saigne en lui. Comment retrouver le divin Bembo, prédicateur des bonheurs célestes ! La mort a enfoncé un poignard dans son cœur. Lui aussi, il aimait ! Il s'en ouvre à un de ses amis, Gabriel Trifon... Le jour où cette lettre, si intime[175], a passé sous nos yeux, quelle surprise ! une âme venait de se découvrir... un Bembo, vrai et tout frémissant de douleur, palpitait ! « Vous avez, écrit-il, allégé la douleur qui m'accable en me-parlant comme un homme, et non comme un philosophe platonique et divin. »

Il ajoute qu'il a essayé de se raisonner, de se-prêcher la sagesse, de faire appel à sa passion du travail : le plus beau livre lui tombe de la main ! Entre ce livre et ses yeux, dans un brouillard de larmes, il voit reparaître la douce image... Et, au moment où il fait cet aveu, les larmes jaillissent encore sur son papier, son cœur est à vif, et se fond, l'homme est là ! « J'ai perdu le cœur le plus doux du monde, un cœur qui avait soin de ma vie, qui l'aimait et la soutenait plus que la sienne propre, un cœur si maître de lui, si dédaigneux des vains embellissements et ornements, de la soie, de l'or, des pierreries, des trésors mêmes, qu'il se-contentait de la jouissance solitaire, et, selon lui, suprême, de l'amour que je lui portais. Et puis ce cœur avait pour vêtement les membres les plus-doux, les plus gracieux, les plus délicats ; il avait à son service les agréments du visage et de l'aspect le plus doux, le plus plein de toutes les grâces, que j'aie jamais rencontré en ce pays. Je ne puis pas ne pas me plaindre, ne pas m'en prendre aux constellations qui nous ont privés de jouir, moi d'elle, elle de moi, dans une vie si innocente. »

Quel singulier revers du platonisme ! quelle chaude douleur !... Où donc est l'attirail platonique, les belles dames souriantes et froides, le léger dédain pour la beauté physique, le culte de la vie mondaine, l'horreur de la solitude ? où sont les phrases à facettes, les dissertations philosophiques ? Bembo est devenu pieux comme tous les malheureux ; il ne veut pas accuser injustement la Providence ; si elle lui a retiré le bonheur, il la remercie de le lui avoir donné. Mais ce n'est pas en un instant qu'on brise des sentiments, « qui, avec le temps, ont pris dans notre humanité de telles racines qu'il semblait impossible de les arracher ». Il écrit avec effusion, il remercie son ami, qu'il savait lié de vraie amitié à « cette belle et précieuse dame ». Il parle de ses enfants ; il aura soin d'eux, puisqu'il est leur père, et que d'ailleurs, en mourant, la Morosina, d'une voix éteinte, après avoir rempli ses devoirs religieux, lui a dit ces mots, qui ont pénétré dans son âme comme un fer rouge : « Je vous recommande nos fils, et vous prie d'avoir soin d'eux et pour vous et pour moi ; soyez sûr qu'ils sont à vous, car je n'ai jamais eu aucun tort envers vous ; c'est pourquoi, tout à l'heure, je recevais Notre-Seigneur l'âme en paix. — Et ensuite, après une longue pause, elle ajouta : Restez avec Dieu ! et, au bout de quelques instants, elle ferma pour toujours ses yeux, ces yeux qui avaient été les claires et fidèles étoiles du cours fatigant de ma vie ![176] »

Ah, voilà des larmes !... Ils avaient donc du cœur, ces platonistes mondains ! Jamais, dans aucune de ses jolies dissertations, Bembo ne nous a touchés, ni même, si on peut ainsi dire, réjouis, comme par ce simple cri jeté à l'étouffée, par ces larmes solitaires. Il est à terre, ayant perdu les ailes qui le portaient de fleur en fleur... Quatre ans après la mort de la Morosina, nous le retrouvons aussi profondément accablé qu'au premier jour, malgré ses bonnes résolutions et les conseils de ses amis. Il demande à la poésie des consolations ; il a commencé une « canzone » sur la mort de « sa belle et bonne Morosina » ; il a fait la première strophe, ébauché la seconde, et il envoie ces essais encore informes à ses intimes, pour leur montrer, défaillant, son effort[177].

 

* * * * * * * * * *

 

En somme, le grand mouvement moral du platonisme aboutit à ceci : répandre beaucoup de sensibilité, et adoucir tout ; adoucir la vertu, adoucir le vice, adoucir les femmes, adoucir les hommes. C'est quelque chose, et il y a certainement un avantage à engourdir des hommes fort peu idylliques et à ne rien faire plutôt qu'à faire le mal.

Cet adoucissement fut souvent extérieur et comporta une dose d'hypocrisie. Mais pourquoi s'en plaindre ? Rien ne prouve que les hommes vaillent mieux quand ils paraissent plus mauvais. Ceux-ci paraissaient sensibles, même quand ils n'aimaient guère. Sous un masque d'amabilité et de douceur, leur égoïsme restait intact[178] ; ils parlaient de contemplation, de dévouement, de l'adoration nécessaire pour la beauté, ils le faisaient sans conviction ; soit, mais ils auraient pu employer leur temps plus mal, et, à leur insu, ils concouraient à répandre des idées salutaires. Un de ces ridicules personnages qui passaient leur vie à suivre leur idole s'aperçoit avec horreur qu'en entrant à l'église sa dame refuse l'aumône à un pauvre ; il en éprouve une telle commotion qu'un de ses amis a fort à faire de lui démontrer, tout en le frictionnant, que le mendiant était mal élevé, importun, indiscret, indigne d'une aumône[179]. Voilà du moins un homme sensibilisé.

Mais il arriva une chose fâcheuse. En cultivant la sensibilité à outrance, les femmes, au lieu de former des hommes, les alanguirent. Anne de France sans doute prévoyait ce péril, lorsqu'elle recommandait si vivement les occupations vigoureuses, positives, et qu'elle mettait en garde contre les abus de la religion de la beauté. Bien d'autres, malheureusement, vraies ; artistes en délicatesses, se complurent dans la perfection même de leur procédé, et il en résulta ce qui se produit toujours en pareil cas : leur art se dégrada et se perdit en devenant un procédé. Il y a dans l'amour vrai comme un don de soi, une joie vivifiante, une sorte de sentiment intense qui grandit ; mais, dans l'amour mondain, il y a une fausse poésie fardée, qui énerve. Un vieux proverbe français disait : « Quand la femme gouverne l'homme, celui-ci n'est pas de grand vouloir[180]. » Les anti-féministes le répétèrent avec trop de raison : « Ah ! certes oui, vous avez fait un beau rêve. Quel bel état moral, si tout le monde s'aimait ! Plus de guerres, plus de crimes !... Mais est-ce le résultat que vous avez atteint ? Vous avez distillé je ne sais quelle fadeur. Où sont les hommes énergiques, jeunes d'esprit, heureux, magnanimes, nés de votre cœur ?[181] » Et quel est le siècle d'amour qui sortira de cette génération ?

On ne peut pas imputer au platonisme les êtres anémiés et de face patibulaire, qui vont faire le fond de la cour des Valois : ces Panurges, faux des pieds à la tête, qui ont mangé en herbe leur bien sous tous les rapports, ces jeunes voluptueux à yeux troubles, que Lotto peint si bien, n'ayant même plus la force d'effeuiller une rose[182], et leur main sur le cœur, comme pour accuser la source du mal. Mais, hélas ! il faut rapporter à la pure galanterie la foule des héros de parade, pâles, dorés de pied en cap[183], fleurs de tournois[184], à manières câlines[185], prêts, comme Arioste, à chanter des exploits chimériques, « pourvu que la beauté, qui à chaque heure leur enlève une nouvelle parcelle d'esprit, leur en laisse assez pour qu'ils puissent accomplir leur promesse ». Ils sont ficelés autant, plus que les femmes — sauf qu'au lieu de montrer la poitrine, ils montrent les jambes —, et empanachés[186] ; l'hiver, écrasés de fourrures ; l'été, tout dégagés, ne pouvant même pas supporter un vêtement flottant[187] ; criblés de diamants, à les prendre pour des vitrines du roi de Naples ou du duc de Berry[188]. Ils sont philosophes, en ce sens -qu'ils planent au-dessus des idées nationales, et ils le prouvent en se travestissant en costumes de tous les pays, même turcs[189]. Ils sont savants, c'est-à-dire qu'il paraît fort chic de farcir la langue française de mots hétéroclites, comme pour lui arracher sa sève et son cœur, et en faire, d'elle aussi, une baudruche universellement acceptable, comme les perruques blondes et les beautés de ouate.

La grande, l'immense réforme philosophique du platonisme dans les milieux mondains consiste à laisser pousser sa barbe, sur le modèle des anciens sages et des Orientaux. Jusqu'alors l'élégance obligeait à se raser, et même, pour plus de perfection, à s'épiler[190] ; il n'y avait eu qu'un cri, lorsque le cardinal Bessarion parut avec sa barbe à la cour de Louis XI. Or voilà que Castiglione, les prélats romains et le haut monde platoniste arborant la barbe philosophique, ce fut tout à coup une rage -d'en faire autant parmi les jeunes snobs de la cour de Louis XII, les Bonnivet et autres.

Cette réforme suscita même un des plus vifs discords qu'on connaisse entre le haut et le bas clergé. Curés et vicaires brandirent des textes contre la barbe. Les prélats ripostèrent par de savantes dissertations[191] ; ils prétendaient qu'une belle barbe ne nuit ni à l'honneur ni à la probité ; ils passèrent.au crible les sentiments des anciens Romains relativement à la barbe et les trouvèrent sympathiques ; ils établirent que les apôtres n'avaient jamais eu l'idée de se raser ; ils démontrèrent qu'un décret d'un concile de Carthage, invoqué par le bas clergé, était interpolé, et d'ailleurs sans autorité, l'infaillibilité de l'Eglise n'allant pas jusque-là : un autre décret d'Alexandre III, dont on faisait du bruit, ne s'appliquait qu'aux cheveux.

Par contre, sans même parler de la barbe de Jules II[192], il suffisait de feuilleter l'histoire de l'Eglise pour trouver à chaque page quelque barbe de saint, et quelquefois de grand saint, des barbes de solitaires, étrangers aux soins du corps, à Platon et aux femmes ! Il se dépensa beaucoup d'éloquence, d'érudition, de vivacité, d'ironie et d'âme, dans cette affaire. Elle était majeure et elle touchait aux intérêts les plus sacrés de ce que quelques personnes du monde appelaient le platonisme.

... Et maintenant qu'on se demande par quelle étrange et cruelle logique un siècle, bercé à ses débuts par l'idée du beau, de l'amour et du bonheur, allait devenir une fournaise de haine, la lice implacable des colères les plus farouches ! Faut-il croire qu'en renversant les barrières positives de la rigueur, et en appelant la liberté, on doive fatalement se heurter à la force, devenue plus libre et plus sauvage ? Ce serait une triste conclusion et bien décourageante, car alors il faudrait considérer l'humanité comme un recommencement perpétuel, attendu que les forbans ont beau s'insurger contre les cœurs tendres, la sagesse évangélique elle-même a beau nous prévenir de l'éternel despotisme des violents, il se trouve et il se trouvera toujours parmi nous d'incorrigibles misérables, affamés de sensibilité et ne pouvant vivre sans un rayon d'amour.

 

 

 



[1] Gaston Pâris.

[2] Sans parler des sentines de village, alors si nombreuses. V. not. JJ. 230, f° 138 v°, 141, 142 v° ; 135, 53 v° : JJ. 231, 26, etc.

[3] V. not. JJ. 230. 162.

[4] V. celui du seigneur de village, voisin de Bayard (le Loyal Serviteur).

[5] Thausing, p. 158.

[6] Pontanus, p. 322.

[7] JJ. 234, 58 v°.

[8] Epistola, V.

[9] A. Graf, p. 20.

[10] Ch. X.

[11] Rabelais, Pantagruel, liv. III, ch. VII, Cf. Garin ; Bouchet, les Regnars...

[12] Traictez singuliers, f° B, 2 v°.

[13] Melin de Saint-Gelais, I, 309.

En cas d'amour, c'est trop peu d'une darne,

Car si un homme aime une honneste femme,

Et s'il ne peut à son aise l'avoir,

Il fait très bien d'autre accointance avoir.

[14] M. Lalanne (p. 208) a montré qu'on avait eu raison d'attribuer à François Ier l'inscription de Chambord. Quant au dicton, il n'était pas nouveau. Jean Bouchet a dit de même : « Et est celluy fol... qui s'y fye. » (Les Regnars.)

[15] Melin de Saint-Gelais, II, 73.

[16] H. Estienne, Apologie, ch. XII.

[17] Bonne responce, p. 67, 20 (alias, une marchandise de tare).

[18] Seyssel, Histoire, p. 47.

[19] Hept., Nouvelle 42.

[20] La grant Nef des folz.

[21] Guevara, liv. I, p 164.

[22] Guevara, le Favori. pp. 152, 153 ; Nifo, De Muliere aulica, l. III, ch. VII.

[23] Dolce, Dialogo in difesa, p. 11 v* ; Hécatomphile, p. 96 ; Eust. de Beaulieu, Rondeau LXXVI.

[24] Coquillart. Cf. Contredictz de Songe creux, f° 57.

[25] Coquillart.

[26] Masaccio, Nouvelle 45.

[27] Nic. de Troye, le grand Parangon des Nouvelles nouvelles.

[28] G. Paris, Journal des Savants.

[29] Billon.

[30] Hept., Nouvelle 8.

[31] Hept., Nouvelle 38.

[32] La grant Nef des folz, f° 115 : Stultifera navis (Bâle, 1498), f° 130 v°.

[33] Lafenestre, p. 27.

[34] Cf. le tableau de Luini, an. coll. Sciarra : Otto van Veen, au Musée de Cologne, etc. ; Bouchet, Labyrinthe de Fortune, liv. II.

[35] Voir à ce sujet le charmant article de M. Emile Michel.

[36] Sur l'interprétation de ce tableau, voir notre article dans la Gazette des Beaux-Arts, janvier 1897.

[37] Louanges... de... Mme de Taillebourg (tante de Louise de Savoie, mais brouillée avec elle). Epitaphe de la greffière Leblanc, née Catherine Budé (ms. fr. 1721, f° 97).

[38] Amante, p. 190.

[39] Bisticci, Phil. de Bergame.

[40] Voir l'ouvrage de M. Fiorentino sur P. Pomponazzi.

[41] Averroès, pp. 367 et suiv.

[42] Nifo, De Pulchro, ch. IV, VI.

[43] Thomas, Essai..., p. 83.

[44] Mabilleau, liv. III, ch. V.

[45] Nifo, De Pulchro, ch. VIII, XVIII.

[46] Ch. LXVIII.

[47] De Amore, chap. LXVII.

[48] Ch. LXIX.

[49] Ch. LXX.

[50] Nifo, De Muliere aulica, chap. VII-VIII ; etc.

[51] Nifo, De Amore, ch. XVI ; De Viro aulico, lib. I, ch. XXX-XXXIV.

[52] N. Dangu, dans l'Heptaméron.

[53] Eloge de la folie, p. 45.

[54] G. d'Aurigny, p. 188.

[55] Hept., Nouvelle 4.

[56] Hept., Nouvelle 18, Nouvelle 25.

[57] Nouvelle 24.

[58] Nouvelle 50.

[59] Nouvelle 5.

[60] Pour y répondre, le Parlement la déshonora par un procès-verbal officiel. (Louise de Savoie.)

[61] La Chresme philosophale.

[62] Eloi d'Amerval, liv. II ; JJ. 230, 193 v° ; JJ. 235, 85 ; JJ. 231, 79, etc.

[63] V. pour plus de détails le curieux tableau tracé par M. E. Müntz, Histoire de l'art, t. III, pp. 53 et suivantes.

[64] Du Faïl, Propos, p. 48, p. 42.

[65] Bareleta, d. l. Quadragesimæ. Calvin traite ses propres collaborateurs d'« histrions », dignes qu'on leur jette de la boue : « L'avenir m'effraie, s'écrie-t-il, je n'ose y penser ; à moins que le Seigneur ne descende des cieux, la barbarie va nous engloutir. » (Prefatio catechismi ecclesiæ Genevesis, p. 11. — Liber de Scandalis.)

[66] Arétin écrivait tranquillement : « J'ai légitimé mes chères filles dans mon cœur, pas besoin d'autre cérémonie. » (Lettere, V, 165 ; Gauliez, p. 85.)

[67] Les enfants naturels obtenaient facilement leur reconnaissance par concession d'armoiries (Ms. Clair, 1240, p. 187), ou leur légitimation (JJ. 235, 128, 24, 15 v° ; Le Glay, Lettres, I, 397, etc.). En Italie, la légitimation n'était qu'une formalité fiscale ; Innocent VIII donna à ses neveux le droit d'en accorder.

[68] Valentine de Milan, par exemple, à l'égard de Dunois. V. à ce sujet les observations de Cardano, II, 247.

[69] Pasolini, III, 34, 63 ; Müntz, I, 356 ; Louise de Savoie, etc.

[70] Castiglione, p. 477. Cf. Dolce, Dialogo di mariti, p. 8 v°.

[71] Janssen, pp. 454 et suiv.

[72] Difficiles aditu fugias in amore puellas. (Celtis, Quatuor libri, f° 46).

[73] Firenzuola, Ragionamenti.

[74] P. 447.

[75] Hept., Nouvelle 30.

[76] Nannii, Dialogismi.

[77] Castiglione, p. 486.

[78] Ronsard, VI, p. 98.

Souvienne-toy, regaignant ta raison,

Que ta maitresse est de grande maison,

De noble sang, et non pas amusée

A dévider ou tourner la fusée ;

Et que son œil, mais plutôt un soleil doré,

Et son esprit, des autres adoré,

Et ses cheveux, les liens de ta prise,

Sa belle main. à la victoire apprise,

Son ris, son chant, son parler et sa voix

Méritent bien le mal que tu reçois.

[79] Nifo, ch. LXII.

[80] Héron (un des amis de Marguerite) ; cf. Castiglione, p. 486.

Et, si l'on dit que le privé toucher

Faict près du feu le tison approcher,

Je respondray : Il y ha ja longtemps

Que, si l'honneur, où tousjours je prétens,

N'eust en moy deu faire plus de demeure,

Un, que nommer je ne veux pour ceste heure,

Par les effors de sa langue diserte

Auroit plus tost tiré gaing de ma perte,

Que par baisers, ne par approchements

Qui de la chair ne sont qu'attouchemens.

[81] Les anciens Valentiniens allaient beaucoup plus loin et soutenaient qu'il est impossible aux spirituels de se corrompre, quelles que soient leurs actions.

[82] Qu'eust fait ce grec, si cette image nue

Entre ses bras fust Vénus devenue ?

Que suis-je lors, quand Louize me touche

Et, l'accollant, d'un long baiser me baise ?

L'âme me part, et, mourant en cet aise,

Je la reprens ja fuient en sa bouche. » (Edit. Troas, p. 155.)

[83] Edit. Troas, p. 171, 183.

[84] Ianistschek, p. 71.

[85] E. d'Amerval.

[86] Guevara ; Marguerite de France ; Revue des Deux Mondes, 1er déc. 1895, p. 631 ; G. d'Aurigny, etc.

[87] Jules Lemaitre.

[88] Nifo, ch. LXXXVIII.

[89] Nifo, ch. LXXXVII ; la Danse des morts.

[90] Castiglione, p. 491, 493.

[91] Garzoni, Piazza. Cité par A. Graf.

[92] De Bibbiena, dont nous avons déjà parlé, il y a des lettres assez vives et amusantes ; il écrivait à la marquise de Mantoue, le 7 février 1516 : « Les compliments que Votre Excellence a bien voulu me faire de la part d'Isabelle m'ont fait un suprême plaisir, car j'ai toujours aimé et j'aime encore Isabelle plus que moi-même, je suis tout à Isabelle de corps et d'âme ; tellement que, aimant ou n'aimant pas Isabelle Mario, je suis tout à elle, et je désire par-dessus tout au monde être aimé d'elle. » (Luzio, p. 225.)

[93] Hept., Nouvelles 20, 23, 14 ; A. Graf, p. 13 ; Crétin, ms. fr. 1711, f° 8 v° ; Rabelais, Pantagruel, ch. XXI ; les Dictz ; P. Jove, Éloges, ch. XCII.

[94] Guevara.

[95] Billon, p. 77.

[96] Voici des mots de Phausina que Nifo trouve délicieux (De Muliere aulica, liv. II, ch. V) : « Phausina, disait-il, depuis que je me suis pris à t'aimer, tu es devenue une aurore superbe, resplendissante. Que j'en suis heureux ! — Prés d'un soleil comme toi, ne devais-je pas devenir aurore et la plus belle ? »

« Un jour, je lui demandais comment, avec ses seize ans et sa grâce, elle pouvait aimer un vieux bonhomme comme moi, la réciprocité d'amour résultant philosophiquement d'une certaine similitude. — C'est vrai, nous différons, répondit-elle gentiment, nous sommes cependant tout pareils par le point où tu m'aimes et où je t'aime » (elle voulait parler de la beauté de l'esprit).

« Quel est le vrai amant, lui disait-il ? — L'idolâtre, répondit-elle, est celui qui adore l'image et non la divinité ; le faux amant, celui qui aime la figure d'une jeune fille, et qui ne respecte pas sa pudeur. »

« Comment, Phausina, pouvez-vous aimer un homme à demi mort ? — Ce n'est pas le vieillard que j'aime ardemment, mais celui que ni l'âge ni aucun coup n'atteindra, celui qui, après sa mort, ressuscitera finalement. »

« Un jour, je plaisantais Phausina : pour l'agacer, je lui disais : Voyons, Phausina, quand tu seras bien vieille, penses-tu que je t'aimerai encore ? — Certes oui, dit-elle, ce que tu aimes en moi ne vieillira pas. Pétrarque a aimé ardemment Laure, jeune, mûre, vivante, morte ; il ne la voyait pas vieillir, ce qu'il eût pourtant désiré ardemment, afin de pouvoir jouir de sa beauté sans aucun soupçon. Et je demandais alors â Phausina, pour un tel amour, quelle serait la récompense. — C'est, dit-elle, que tu ne seras pas un menteur dans les éloges dont tu m'accables. »

[97] « Un jour, dans le cercle des jeunes filles, on posa le petit problème de deviner ce qui pouvait le plus me plaire dans mes rapports avec Phausina. L'une dit que c'était de regarder une si jolie femme, une autre que sa conversation était très douce, une autre jura qu'en réalité c'était parce que nous nous contrecarrions tout doucement, et qu'elle le savait, Phausina, souriante, répondit : Personne n'ignore, mon cher Nifo, qu'il y a de tout cela dans mon plaisir ; mais ma plus profonde satisfaction, c'est de pouvoir jouir de tout, souvent, librement, sans crainte d'entraînements matériels, â cause de ton âge. » (Nifo, p. 351.)

[98] Magny, p. 7.

« Ma dame, un jour, daigna tant s'abaisser,

Parlant à moy, de doucement me dire :

« Je ne te veux, amy, rien escond[u]ire

Qui soit en moy, je te pry le penser

Et pour encor du tout récompenser

Mon triste tueur de l'enduré martire,

Sa blanche main hors du gand elle tire

Et me la tend pour la mener danser. »

[99] « ... Et vous, Madame, si vous succombez à la chair, frappez-vous-en la poitrine, car vous ne fuyez pas les occasions. Pourquoi vous tenir à la fenêtre ? causer avec les jeunes gens ?... pourquoi aller au bal, et vous livrer à tant de conversations oiseuses ? Fuyez les occasions, et le diable vous laissera tranquille. Résistez ! il fuira... » Le verbe des femmes est un des grands instruments du démon : « J'ai fait cela, parce que le diable m'a séduite » ; on croirait entendre Eve : « Le serpent m'a trompée. » (Bareleta, D. l. Quadragesimæ.)

[100] Casta est quam nemo rogavit. Bonne Responce, p. 67 ; Songe creux, Dolce, Difesa, 8 v°, 14, etc.

[101] Castiglione, pp. 472, 475.

[102] Hécatomphile, p. 96.

[103] Billon, p. 76.

[104] Nifo, De Amore, ch. LX, LXIII, LXIV, LXV ; Guevara, p. 148 v° : Pompeo Colonna.

[105] Rec. Montaiglon, X, 240.

[106] Hept., Nouvelle 40 ; prologue de la 1re journée.

[107] « Illustrissime mauvaise fille. Lorsque la terrible duchesse Elisabeth vivait, elle m'a tellement rendu son martyr el, protomartyr, et vous peut-être, et certainement même, avec votre visage d'ange et votre cœur de serpent, vous avez été son perfide conseil à mon détriment, et maintenant me voilà obligé, à force de médecine, de soutenir comme je peux les restes, misérables d'une vie ainsi épuisée. Par un effet de cette pitié que vous ne connaissez ni en vie ni en peinture, vous daignerez me faire la grâce de m'envoyer un baratollo ou plutôt un petit arbre de barbe di calcatrepuli, dont Urbin a la spécialité, afin que je puisse me vanter d'avoir été une fois exaucé par les dames de roche de la Maison Gonzague. Je ne me recommande pas à Votre Excellence, pour ne pas jeter des paroles au vent. Je prie seulement le Ciel de La maintenir longuement en félicité et santé, pour qu'Elle puisse longuement faire litière (macello) de ses serviteurs.

Serviteur pour la vie,

Unicus. »

(Luzio, p. 256-270.)

[108] Nouvelle 8.

[109] Nouvelles 9, 10.

[110] Lettres, I, 288.

[111] Heptaméron.

[112] Une des dames répond tranquillement : « J'aimerais mieux toute ma vie voir les os de tous mes serviteurs en mon cabinet que de mourir pour eux ; car tout peut s'amender sauf la mort. » (Hept., Nouvelle 32. Cf. Nouvelle 15.)

[113] Billon, p. 79, 70 v°, 73 v°. Cf. Dolce, Dialogo di... mariti, p. 8.

[114] La grant Nef ; Marguerite de France.

[115] Coquillart ; la grant Nef.

[116] Coquillart ; JJ. 230, 20.

[117] Clément Marot.

Je le sçay bien, mais point ne le veux croire,

Car je perdrois l'aise que j'ai reçeu.

[118] Cardanus, II, 245.

[119] Bonne Responce, p. 56. V. Dolce, Dialogo di... mariti, p. 11 v°, 14.

[120] L'Amye de court. Dolce, Dial. di... mariti, p. 16 v°.

[121] H. Estienne, I, 145 ; JJ. 230, 79, 145 ; 232. 63, 23.

[122] Le Livre des Visions.

[123] Hütten écrit : « Que dire de Samson qui, presque encore dans les bras d'une femme, reçoit l'inspiration du Saint-Esprit ?... Et Salomon, qui eut trois cents reines et un nombre infini de concubines jusqu'à sa mort, et qui, cependant, aux yeux des docteurs, passe pour sauvé ? Qu'en conclure ? Je ne suis pas plus fort que Salomon, ni plus sage, et il faut bien avoir parfois quelque joie. Il le faut, d'après les médecins, pour guérir la mélancolie. Eh bien, que dites-vous de ces sérieux auteurs ? L'Ecclésiaste a dit : L'homme ne peut mieux faire que se réjouir en son œuvre. Aussi je dis à mon amie avec Salomon : Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur avec un de tes cheveux. Que ta poitrine est belle, ma sœur, mon épouse ! Ton sein vaut mieux que le vin, et cœtera. »

[124] Hept., Nouvelle 15.

[125] Hept., Nouvelle 18.

[126] Hept., Nouvelle 13, et fin de la journée.

[127] Liv. III, ch. V.

[128] P. 461.

[129] Sonnet II, édition Lannau-Rolland.

[130] Le Franc, pp. 216-217.

[131] Cf Dolce, Difesa... di mariti, p. 14.

[132] V. Mme Coignet, p. 15.

[133] Cinthio, Hecatommiti.

[134] Rodocanachi, p. 16.

[135] Amante, p. 170.

[136] V. la jolie lettre publiée par M. Casanova.

[137] Ferral, Lettere di cortigiane del secolo XVI, Florence, 1884.

[138] Graf, pp. 27-29.

[139] Calmo, cité par Graf, p. 30.

[140] Rodocanachi, pp. 47, 59 et suiv.

[141] Luzio, Federico Gonzaga, pp. 46-47.

[142] Edition Guasti, p. 165.

[143] Panormita, mort en 1471, avait déjà employé sa muse à pleurer les courtisanes défuntes, par exemple :

Hoc jacet ingenme format Catharina sepulcro ;

Grata fuit multis scita puella procis, etc.

(Quinque illustrium, p. 15.)

[144] Suz. Valente ; citée par Amante, p. 251.

[145] Cortigiana, d'Arétin.

[146] Billon, p. 60.

[147] Diarium, de Burckhardt.

[148] Guevara, le Favori de court, ch. XVII, p. 148 v°.

[149] Guido Biagi ; Rodocanachi, pp. 5-6 ; Enr. Celani, le Rime, pp. 30, 45.

[150] Müntz, Raphaël, p. 289.

[151] Forcella, II, 104.

[152] Pasquillorum, I, 23.

[153] M. Volpi, append. I, cite, vers 15 :10, 210 courtisanes. M. Amante, probablement en comptant tout, en indique 1650 (p. 227).

[154] II, 31.

[155] Calmo, Lettere, liv.. IV, XIII, p. 279 (A. Graf).

[156] Ms. fr. 1747, f° 90, Epitaphium ; les Emblèmes, d'Alciat ; Brantôme... Cf. Guevara, Epistres, 157.

[157] Calmo (Rodocanachi, p. 10).

[158] II, 282.

[159] Graf, pp. 220 et suiv. ; Tassini.

[160] « Les femmes peuvent reconnaitre nos services jusqu'à une certaine mesure et nous faire sentir honnêtement qu'elles ne nous dédaignent pas. Car cette loi qui leur commande de nous abominer parce que nous les adorons, et nous haïr parce que nous les aimons, elle est, certes, cruelle... Une reine de notre temps disait ingénieusement que de refuser ces abords, c'est témoignage de faiblesse et accusation de sa propre facilité, et qu'une dame non tentée ne se pouvait vanter de sa chasteté... Si en quelque chose la rareté sert d'estimation, ce doit être en ceci. »

Et encore : « De mon temps, le plaisir d'en conter (plaisir qui ne doit guère en douceur à celui même de l'effet) n'était permis qu'a ceux qui avaient quelque ami fidèle et unique ; à présent les entretiens ordinaires des assemblées et des tables, ce sont les vanteries des faveurs reçues et de la libéralité secrète des dames. Vraiment, c'est trop d'abjection et de bassesse de cœur de laisser ainsi fièrement persécuter, pétrir et fourrager ces tendres mignardes douceurs, à des personnes ingrates, indiscrètes et si volages. » (Montaigne, liv. III, ch. V.)

[161] Le vice était incroyablement bas et ignoble encore à la cour de Charles VIII et de Louis XII. A la suite de la cour de France se trairaient d'abjectes loqueteuses à qui les princes faisaient l'aumône les jours de fête. (V. not. ms. fr. 26105, n° 1214, 1244. Sur la camériste avec son dévouement billique, voir not. JJ. 232. 87 v° ; Recueil de Montaiglon, 1, 95 ; Hept., Nouvelles 5, 54, etc.)

[162] Ms. fr. 25451.

[163] Rappelons que, sous Louis XII, ce système de double mariage n'était pas admis, et que le roi avait exigé le renvoi de la noble dame à qui Louise de Savoie avait cru devoir conserver son rang. (Cf. Louise de. Savoie.)

[164] Ms. fr. 25451.

[165] Génin, p. 378.

[166] Rime et lettere, sonnet 40.

[167] Quentin Bauchard, I, 63.

[168] Cf. Guillaume Chrestien, p. 106.

[169] II, 104.

[170] II, 106.

[171] V, 330.

[172] Quelques historiens, Le Laboureur et récemment M. Lenormand ont soutenu que l'amour d'Henri II pour Diane était purement platonique.

[173] Cian, p. 126, 107, 80-101 ; Nolhac, la Bibliothèque, pp. 93 et suiv.

[174] Bembo était tenu au célibat comme prélat et aspirant au cardinalat ; mais, au point de vue des ordres, il n'avait encore reçu que les ordres inférieurs.

[175] Encore inédite.

[176] 11 août 1535. Copie ms. ital. 1111, p. 3-4.

[177] Lettre inédite, à Isabelle Quirina, 10 juillet 1539. Orig. ms. ital. 1111.

[178] Gautiez, p. 243 ; Bembo, Epist., pp. 6 et suiv.

[179] Castiglione, p. 260.

[180] Garin.

[181] Nifo, ch. LXXIII, XCI.

[182] Em. Michel.

[183] Castiglione, p. 173 ; Cf. Gérusez, I, 308 ; Discours de la court.

[184] L. Labé, p. 60.

[185] N. du Faïl, p. 44.

[186] La grant Nef des folz ; Louise de Savoie. Arch. de La Trémoille.

[187] Castiglione, p. 155.

[188] Pontanus, De Cultu, p. 139 v°.

[189] Castiglione, p. 211-215.

[190] La grant Nef.

[191] Pierio.

[192] Avant d'être pape, Jules II avait porté le menton rasé. C'est sous son pontificat que la discussion s'envenima. Clément VII patronna l'opuscule de Pierio.