La
purification morale de la société est certainement une des conditions du
bonheur ; partant, un des buts principaux du platonisme. Le XVIe siècle, par
malheur, est un des siècles les plus pervers dont notre histoire fasse
mention. De cette constatation, suc laquelle tout le monde se trouve
d'accord, quelques personnes tirent la conclusion que l'art en était la
cause, parce que l'art, en soi, est immoral et ne constitue jamais qu'« une
excitation il la débauche ». Ces esprits paradoxaux avaient déjà, an XVe et
au XVIe siècles, des aïeux qui soutenaient la même thèse et qui voyaient dans
l'esthétisme un effondrement de l'humanité. Ils niaient l'idée du beau ; et
la pensée qu'une observation attentive trouve partout quelque trace de
beauté, que même dans l'esprit d'un criminel on peut trouver trio de facultés
quelquefois rares, et même belles, malheureusement tournées au mal, cette
pensée-lia leur semblait, comme elle leur semble encore, abominable et faite
pour conduire l'humanité aux abîmes ; tandis que les femmes platonistes et le
monde romain y voyaient au contraire un gage de régénération et de
civilisation. Nous
avons déjà dit que le monde n'était plus à pervertir ; on ne comprenait
l'amour qu'en dehors du mariage[1], et la seule question était de
savoir si cet amour resterait matériel ou pourrait devenir intellectuel. Tous
les contemporains du platonisme qui regrettent « le bon vieux temps » — et,
en France, ils sont nombreux —, Marot, Rabelais, Collerye, surnommé
Roger-Bon-Temps, Coquillart, l'ennemi juré du monde des élégants, des « daims »
comme il les appelle, tous disent pourquoi : ils regrettent l'amour « à
la française », « pour de bon », sans ambages, sans
périphrases ; un amour commode, sinon fort moral. Et quant aux personnes qui
croient que les salons ont gâté la vertu, elles n'ont qu'à s'égarer dans les
foires, banquets ou bals champêtres[2], et à causer avec une ou deux
filles d'auberge ou avec une veuve de village[3], ou même à pénétrer dans
quelques châteaux[4] ! En Allemagne, où les
mœurs sont restées antiques, le docteur Faust avec le petit amour béquillart
qui le sert[5], ou bien les grosses Vénus
bourgeoises de Wohlgemüth ou d'Albert Dürer n'ont pas l'excuse du rêve ! Le
premier contact avec l'Italie, loin de purifier ces mœurs, ne fit qu'exalter
le sensualisme : un des écrivains les plus à la mode. Octovien de
Saint-Gelais, sans hésiter, élève une statue à « Sensualité ». Les Français
ne voyaient en Italie que le côté païen de la Renaissance, celui des
Malatesta et des autres[6], et, comme il arrive assez
souvent dans ces contemplations étroites, ils n'apercevaient que lueurs
extraordinaires, prisons, poignards, au point qu'un bon jeune homme, Louis de
Beauvau, qui avait épousé contre le gré de sa famille une jeune personne modeste,
et qui s'en repentait, profita de l'expédition de Charles VIII pour se former
de ville en ville une belle collection de poisons[7]. Certains Italiens venus en
France passèrent, de même, comme des djinns précurseurs d'anarchie morale. « On
ne peut échapper aux femmes qu'à condition de ne pas les voir », s'écrie
l'un d'eux, Andrelin[8]. Du reste, la société italienne
ne tarda pas à présenter réellement un lamentable spectacle de décomposition
: l'âcreté montait aux lèvres, on se sentait mourir de dégoût[9] ! « C'en est trop, s'écrie
Palingenius, surnommé l'Etoile de la Renaissance, laissez-moi m'enfuir sur un
rivage libre, solitaire[10]... » A
partir de 1515, la Cour de France marche hardiment dans la même voie, et elle
y entraîne la France avec elle. « La belle ville que Paris pour y vivre, mais
non pour y mourir[11] ! » Quel état, et quel état !
Au bout de cinq ans, Lemaire, qui avait été un des prophètes du monde
nouveau, nous peint étrangement la situation ; il réclame, comme remède, une
convocation des Etats généraux de l'Amour[12]. Ah ! les beaux Etats, à quoi
serviraient-ils ? Devant cette pourriture d'hôpital, le poète officiel nous
montre son jeune roi, les grosses lèvres sensuelles contractées par un rire
atroce, « atteint des dames » au corps et à l'âme... L'amour
libre fleurit. Le mot : « En cas d'amour, c'est trop peu d'une dame[13], » répond
à l'axiome authentique : « Souvent femme varie[14] ». Les plus nobles dames
se déclarent « lieutenantes de Vénus[15] ». C'est l'amour le plus
bas, commercial, industriel, glacial ; rien ne lui manque de ce qui peut
l'avilir : les maris diplomates[16] ! les femmes, « marchandise
royale[17] », mais une marchandise
qui s'offre elle-même ! On prétend que déjà le caduc Louis XII ne savait, en
Italie, comment défendre sa vertu, à laquelle il tenait[18]. L'excellente Marguerite de
France s'étonne qu'une jeune fille de bonne maison ne s'empresse pas de
s'immoler à un caprice de son frère[19]. Il n'y a plus ni jeunes[20] ni vieux[21]. On voit des femmes inventer
des procès, pour le plaisir de corrompre des magistrats ! D'autres, plus
avenantes, courent au favori, au ministre du jours[22] ; d'autres, plus nombreuses,
courent à l'argent, comme le fleuve à la mer[23]. On n'imagine pas quels
expédients honteux recouvrent certaines existences, très brillantes, faites
de musique, de réceptions, de jeu[24], ni quelle étrange population
interlope, soubrettes, comparses, entremetteuses de tout rang, assiège
l'honnête homme, « Piteulx comme ung beau crucifix[25] » Le vice
est partout le même, sauf de légères nuances. Si un Italien[26] et un Français[27] racontent la même histoire,
d'une honnête dame séduite moyennant finance, ils ne varient guère que pour
le tarit : l'Italienne exige mille écus et tient mal sa promesse ; la
Française, pour cent seulement, se montre pleine de probité. Quand le fait se
découvre, le mari italien traite le complice avec égards, niais empoisonne la
dame ; le mari français se borne à la rendre pendant quelque temps à ses
parents[28]. Cela ne
signifie pas que nous ne croyons Mus qu'il existe d'honnêtes femmes : au
contraire, il en rosie beaucoup. La seule difficulté est de les trouver,
parce qu'elles se cachent, ou tout au moins elles dédaignent trop d'exercer
une influence. Les
honnêtes femmes sont souvent passives, négatives, ou tout au moins
résignées... Nombre d'entre elles, nourries du vieux principe de sujétion et
d'abnégation, ne demanderaient qu'à fermer les yeux, les oreilles[29], avec la quasi-béatitude de
momies fixées dans un éternel rêve, et qu'à ne pas croire au mal. Il est là,
sous leur toit, ce mal, il les serre de près, il les blesse ! n'importe,
elles sourient encore, et veulent paraître couronnées de roses, elles s'ingénient
à se figurer qu'elles sont heureuses[30]. Quel beau raisonnement que
celui-là, et qu'il est cher aux femmes faibles, aux timides, qui voudraient
ne jamais lutter et aimer toujours ! Vittoria
Colonna, par exemple, fait semblant de dormir, une nuit que son mari, à côté
d'elle, se livre aux incartades les plus pénibles. Nifo nous raconte, avec sa
parfaite sérénité d'homme égoïste, une histoire qui lui est arrivée
personnellement. Il s'était enfermé dans son cabinet pour écrire une
'rites-sérologie astronomique ; au bout d'un certain temps, sa femme finit
par s'inquiéter et recourut à toutes sortes de stratagèmes pour le tirer un
peu de cette claustration. N'y réussissant pas, pauvre femme ! elle alla
elle-même chercher, chapitrer, et, enfin, elle amena une jeune voisine dont
elle savait que son mari était épris ; elle les enferma ensemble, heureuse
cette fois, comme un chien fidèle, et pensant bien avoir trouvé le mot de
l'énigme... Mais non, Nifo restait figé dans sa Thessérologie. Alors
la bonne femme perdit la tête, se voua à mille saints, multiplia pèlerinages
et ex-voto... Trois mois après, Nifo, lorsqu'il eut écrit sa dernière ligne,
sortit tranquillement du tombeau, et daigna, à ce qu'il assure, ressusciter
sa femme. Il
parait que ce genre de dévouement n'était pas rare chez les femmes
d'autrefois ; il y avait même une historiette classique qui passait de main
en main, celle de Mme de Varambon ; M. de Varambon était, dit-on — il faut au
moins lui rendre cette justice —, un homme économe, et sa femme souffrait de
le savoir mal installé chez sa maîtresse ; elle finit par aller veiller
elle-même à l'installation, en grand secret. Cette anecdote, chaque fois
qu'on la raconte, excite l'hilarité des hommes ; les uns traitent Mme de
Varambon de vieille hypocrite, les autres de vieille dévote[31] ; et voilà tout le fruit (le sa
vertu. Outre
cette propension des femmes à se soumettre et à s'enfermer chez elles, il
faut tenir compte aussi d'une espèce de ligue, peu chevaleresque, des
Français contre les femmes « qui font parler d’elles ». Si on parle d'une
femme, il semble que ce doive être nécessairement en mal, et par le simple
fait qu'une dame acquiert une notoriété quelconque, même fort honorable, tout
le monde se croit le droit de la dauber. C'est là un des phénomènes qui
nuisent le plus à la bonne influence morale des femmes. Bref,
il semble à beaucoup de personnes que la vertu doive rester étroite,
prosaïque, ennuyeuse, ou n'être pas : qu'elle consiste, pour les femmes, dans
le simple culte d'un idéal familial — où pourtant elles ne trouvent pas
toujours le bonheur, et que la religion n'a pas toujours réussi à parer, car
les affections familiales sont terrestres et ne survivront, sans doute pas à
la terre —. Les maris soutiennent cette thèse, qu'ils trouvent commode. Le
vice et la vertu sont cantonnés dans leur brutalité — la vertu a sa brutalité
— : chacun son métier, et on n'admet aucun accommodement[32], aucune nuance, aucun degré ;
s'il s'agit de la vertu, Titien[33] et autres[34], avec sévérité et malveillance,
nous la représentent engoncée, désagréable ; et, en face d'elle, ils représentent
la vraie femme comme une caresse de chair. Personne
ne veut sortir de ce dilemme, si faux et si peu soutenable, pas même les
moralistes. Lotto aussi bien que Titien, fait de la femme vertueuse une
gardeuse de dindons, en lutte contre Vénus[35] ! Et même, d'écho en écho,
l'étrange parallèle, quoique adouci, s'en va pénétrer jusque dans le pur
monde platoniste Raphaël, qui était alors un -délicieux enfant de vingt ans,
issu des tendres mains de deux princesses, le voit apparaître dans son Rêve
de la National Gallery[36]. Lui
aussi, il croit timide la femme grave, qui tend une épée et un livre, il la
laisse en arrière, comme -si elle ne voulait pas se montrer, et, derrière
elle, il ne se figure qu'un escarpement et une flèche d'église lancée au ciel
; l'autre dame, au contraire, toute gracieuse de formes, lui apparaît
nettement, devant de belles prairies qui descendent à une eau fuyante. Elle
tend une fleur : ah ! pas davantage ! L'est un amour encore bien doux, bien
raisonnable, presque inefficace !... Raphaël était si jeune !... Pourquoi
donc, même aux yeux de cet enfant délicat, la vertu conserve-t-elle ce
caractère de gaucherie et de froideur ? Est-ce qu'il n'y eut alors aucune de
ces femmes d'esprit droit, d'âme ferme, qui savent laisser aux hommes leur
orgueil, les respecter pour ainsi dire, et cependant les pousser en haut pour
mettre le bonheur au-dessus des misères de la vie ? Nous ne parlons même pas
du coup de fouet de la passion ; le grand amour a quelque chose de tranchant
qui pénètre les matérialités ; c'est la purification par excellence ; il
soulèverait des montagnes et dominerait des mers ; heureuse la femme qui l'a
rencontré un jour, et surtout celle qui a su le reconnaître au passage et
l'arrêter ! car il n'a qu'un défaut, celui de n'exister quasi pas, et s'il
fallait compter sur lui pour changer la situation morale de la société, mieux
vaudrait déserter la lutte et s'enclore à triple cadenas, fermer mystiquement
les yeux au mal, attendre un miracle, ne prétendre, sur cette terre, qu'aux
larmes de son mari[37], et encore ! Nous
parlons simplement de femmes vigoureuses, faites pour soutenir et pour
guider, ce que les hommes appellent des « dragons ». C'est une espèce qui ne
réussit pas très bien dans le monde : on la trouve un peu virile, et on s'en
moque volontiers, surtout quand il y a des motifs pour le faire. Ainsi, à
Naples, on riait beaucoup d'un de ces dragons, Dona Maria d'Aragona[38], respectable mère de sept
enfants, parce qu'on prétendait qu'elle avait voulu tâter de tout et vivre
avec son mari trois ans comme femme mariée, trois ans comme amante, et trois
ans comme ennemie. Les hommes ne comprennent pas ces femmes-là ; c'est un sens
qui leur manque. Elles étaient démodées, elles étaient du XVe siècle[39], d'avant Savonarole. Elles
faisaient l'effet de ces vieux remparts, hauts et rudes, qui ont raison de
s'écrouler, et auxquels nous préférons un beau boulevard banal, encombré de
boutiques de pain d'épices. Malgré
tout, l'influence morale des femmes, au point de vue social et général, s'est
manifestée. En Italie surtout ! Il ne faut pas juger les hommes sur l'écorce,
comme le disait fort bien Anne de France ; les partis adverses se serrent de
si près qu'on ne sait trop où ils commencent et où ils finissent : il y a des
matérialistes qui ne dédaignent pas l'idéal et des idéalistes assez
sympathiques à la matière, c'est ce qui permet à la prédication morale de
s'exercer. Ainsi,
nous avons cité Nifo comme un ennemi personnel de Platon : ce bonhomme avait
commencé par guerroyer contre saint Thomas d'Aquin, dans le camp matérialiste
: l'évêque de Padoue, prélat d'esprit, lui montra que c'était une sottise, si
bien que Nifo, tournant bruyamment casaque, se mit à attaquer son maître
Pomponace[40] et devint comte romain avec le
nom et les armes de Médicis ; satisfaction bien douce, car les esprits
logiques aiment le succès. Et puis nous le retrouvons, ses in-folio à la
main, aux pieds des beautés féminines avec une agilité surprenante, bien
supérieur à M. Cousin dont les passions étaient tout en demi-teintes et par
trop posthumes[41]. M. Renan, qui a fort bien
apprécié Nifo, lui reproche le caractère un peu ondoyant de sa doctrine :
pour nous, c'est précisément ce caractère ondoyant qui nous intéresse. Si les
hommes n'ondoyaient pas, le platonisme n'aurait plus Nifo,
en somme, est un personnage qui se convertit. Il ne faut pas se plaindre, si
les hommes veulent absolument se battre, qu'une main de femme puisse parfois
les ramener dans les bons bataillons. Ainsi,
dira-t-on, la conscience et les hautes déductions d'un homme sérieux, ou même
distingué, dépendent du frou-frou d'un jupon ou de la couleur de certains
yeux ? Eh bien ! si la femme représente autre chose qu'un jupon et des yeux,
si elle a vraiment du cœur, un cœur ardent et énergique, et si à ce cœur
l'homme réchauffe sa raison, rien n'est plus naturel ni plus moral. Moyennant
quelques complaisances artificielles — peut-être même trop artificielles !
—, voilà ce Nifo, d'ailleurs laid, affreux, peu difficile, qui change de face
: s'il lui reste quelques épines de l'homme primitif, du sauvageon
péniblement greffé, que prouvent ces épines, sinon que, sous les doigts des
femmes, les buissons les plus rudes fleurissent en roses éclatantes ? Nifo en
arrive à porter presque la même livrée morale que Bembo. Il ne parle de
Platon qu'avec respect, et du matérialisme qu'avec dédain, comme d'une
doctrine peu redoutable, dont le bon goût et l'affinement intellectuel
doivent préserver les femmes[42] ; il prétend aller aussi loin
que « les imaginatifs » dans la voie de l'amour sociologique[43] ; il adopte, en principe, la
théorie de Platon sur l'amour intermédiaire entre Dieu et la créature[44] ; « la beauté, oui, il l'avoue
volontiers, est ce qui produit l'amour ». Son seul côté faible — et cela se
comprend —, c'est de ne pas pouvoir arriver à l'Absolu socratique sans passer
par cette terre, c'est de préférer au flirtage immatériel à grandes ailes,
dans le temps et les espaces, la rencontre palpable et individuelle de deux
êtres[45]. Sur ce chapitre, les derniers
logiciens ne se laissent pas réduire. La religion du beau et de l'amour, son
admirable effet sur la société et sur le monde, ils l'admettent à merveille,
avec enthousiasme : seulement, ils diffèrent sur la définition. Ils
s'arrêtent, un peu transis, devant une jolie dévote, qui prétend tout à coup
oublier son corps et n'être qu'une âme, ils ressemblent à Dante, lorsque,
dans le Purgatoire, il ouvrait les bras et ne serrait que le vide. Ils
n'adorent pas, par raison[46], ou à genoux, une ombre, un
reflet, une lueur de beauté[47] ; il leur paraît bon d'aimer
une certaine femme, en vertu d'une affinité spéciale, d'un besoin de
réemboîtement[48], et dans ce cas ils se
trouveraient, parbleu ! bien sots de se torturer, sous le fallacieux prétexte
que l'amour ne peut se satisfaire sans se tuer[49]. L'amour, disent-ils, est un et
unique, ni trop bas, ni trop divin[50] : « Si vous me citez
des héros, des saints, des anges, si vous fouillez l'antiquité entière pour
en extraire des types tels que Socrate, Anaxarche — ou bien Xénocrate qui
passa une nuit à admirer tranquillement Phryné —, tout se peut. Moi-même, je
donne un exemple magnifique, en aimant Fulvie sans aucun désir bas. Mais ce
sont chefs-d'œuvre de saints ou de philosophes, et saint Jérôme juge bien
l'humanité lorsqu'il prescrit ou d'affectionner génériquement toutes les Vierges
du Seigneur, ou de n'en aimer aucune. Horace prétendait que chez les
vieillards le corps était mort ; saint Jérôme lui répond : Vous dites que les
corps sont morts, et moi je vous dis que le diable vit toujours. H faut
distinguer l'amour de l'amitié[51]. » En
France, c'est autre chose. Les hommes s'affirment bien plus. Ils n'ont plus
recours à ces circonlocutions ni à ces tendres ironies. L'anéantissement de
la matière paraîtrait presque injurieux. Ici se produit parmi eux, un
phénomène exactement inverse de celui que nous avons signalé dans le monde
féminin. Etant les maitres, ils estiment que l'amour est indispensable, que
le beau est toujours bon[52] : « Si nous pensions les dames
estre sans amour, nous voudrions estre sans vie ; » seulement, comme l'ajoute
Erasme, ils « n'accordent rien aux femmes que par amour de la volupté[53] ; et plus ils se trouvent haut
placés, plus il leur semble naturel d'abaisser l'amour. « Contenter un prince[54], » on sait ce que cela veut
dire, et qu'il ne s'agit pas d'un amour haut, comme celui dont rêvent les
princesses. Sur ce
point-là, en France, le conflit moral est aigu. Lorsque Marguerite essaie de
sanctifier le monde de la cour par un peu de beauté, son entourage l'arrête,
n'admettant pas qu'on cherche à parer d'idéal la vie humaine. Ces hommes
tiennent de trop près au vieil esprit logique et réaliste. Ils aiment Platon,
ils aiment encore mieux la vérité. Ils ne se rendent pas compte que leur
réalisme brutal a pour effet de rejeter les femmes vers les choses d'à côté,
car il faut toujours une religion ; pour se sauver d'eux, les femmes de
grande allure et de grande race, emportées par un enthousiasme en quelque
sorte héroïque, en arrivent à une conception mystique de la vie par pure
sensibilité. Mais
alors où commence et où finit le rêve ? Sans parler même de cet interrogat
cruel de la philosophie sur la réalité de nos perceptions physiques, ni de
bien des phénomènes douteux, où donc, dans la vie morale, commence le rêve,
si, pour vivre, nous avons besoin de tant d'imaginations, de chimères :
d'amours, de lueurs, qui agissent sur nous, mais qui n'existent pas ? de
nuages, admirables, niais sans solidité ? Tomber brusquement de là-haut dans
un précipice est une chose rude et qui tue trop vite : le rêve mystique
n'est possible qu'à condition de matelasser l'âme entre les quatre murailles
d'un couvent ; dans le monde, il tombe et se perd ; tel est l'avis des
logiciens. Lorsque Marguerite raconte avec quelle énergie de vertu elle a
échappé aux assauts réalistes de Bonnivet, et comment elle la réduit au pain
sec de l'idéal, sauf quelques égratignures, son mari est le premier à rire et
à dire : « Si j'en étais venu jusque-là, je me croirais déshonoré de ne pas
arriver à la fin de mon intention[55]. » Le mot
est cynique et soulève un tollé général ; Henri d'Albret l'explique bien
tranquillement, et nous ne pouvons mieux résumer sa riposte que par cette
phrase de M. Bourget : « Vous avez la moralité de la vie, sans avoir celle du
cœur. » Henri se félicite de voir sa femme conserver les apparences, mais, au
point de vue moral, à part la diversité d'action, il ne trouve pas entre elle
et lui grande différence : « Elle et moi sommes enfants d'Adam et d'Eve. » Il
rit, il ricane des bleuissements philosophiques de la princesse, et il n'est
pas seul à éprouver cette bizarre impression de l'équipollence du péché de
l'esprit et du péché de la chair. « Place qui parlemente est à demi gagnée, »
dit, avec une fausse bonhomie, un des interlocuteurs de l'Heptaméron,
paraissant oublier que Marguerite, comme un peu bavarde, acceptait volontiers
le sobriquet de Parla-mente[56]... Non
seulement les adversaires du platonisme lui reprochent de n'être
qu'apparemment moral, mais cette apparence, qui repose sur un malentendu,
leur parait une hypocrisie aggravante. Ils la trouvent mauvaise et peu
sérieuse : Louise de Savoie, vieille rabat-joie, à la fois aigre et
miséricordieuse pour les plaisirs dont elle ne profite plus, déblatère contre
les amours de façade, les colifichets, les duperies, les viandes creuses de
l'amour pratiqué par simple art entre deux personnes qui jouent la comédie ;
elle aime mieux une faute sans scandale qu'un scandale sans faute.
D'ailleurs, la question lui paraît claire : « On aime, ou on n’aime pas. Si
on aime, pourquoi s'imposer le supplice de Tantale ? Si on n'aime pas,
pourquoi l'imposer aux autres ? » Elle préférerait réussir à une sottise
qu'échouer à un acte de vertu logique et pratique. Elle a
une manière à elle de couper court aux_ imaginations de sa fille : elle les
laisse se gonfler, se gonfler..., puis elle donne un simple petit coup d'épingle.
Ainsi on parle d'une reine assez adroite-pour avoir imposé à son amoureux
sept ans d'épreuves préalables : « Elle ne voulait donc pas être aimée ni
aimer ![57] » Si quelqu'un s'écrie
avec Arne : « Quand l'amour est fort, on ne connaît autre pain et autre
viande que le regard et la parole de la personne aimée, » elle lui répond
qu'elle voudrait bien le voir à ce régime-là[58] ! A la fin d'une histoire
drôle, une dame d'honneur, un peu surexcitée, déclare qu'elle aimerait mieux
être jetée à la rivière que de vivre dans l'intimité d'un cordelier ; Louise,
toujours de son sourire calme : « Vous savez donc bien nager ? »
L'autre riposte très irritée : « Il y en a qui ont refusé des personnes plus
agréables qu'un cordelier, et n'en ont pas fait sonner la sonnette. » Et
Louise riant de plus belle : « Encore moins ont-elles fait sonner le tambour
de ce qu'elles ont fait et accordé[59]. » C'est une sceptique et une
logicienne : dans toutes ses hardiesses de langage, il n'y a pas trop de
paradoxe. Du reste, elle s'appliquait ses principes à elle-même[60], et elle avait une telle
manière de favoriser les amoureux de sa fille que, tout naturellement, ils
s'adressaient à elle ; ainsi, dès le début de l'Heptaméron, un des
nombreux admirateurs de Marguerite, furieux de voir sa princesse rire d'une
déclaration brûlante, recourt à la mère. L'idée
d'Henri d'Albret, de Louise de Savoie, est celle d'à peu près tout le monde
en France... Le platonisme fleurit au milieu des broussailles... Et, au lieu
qu'on incline de son côté, il se produit une réaction contre les mièvreries
du temps passé, par exemple contre les « chevaliers transis », qui arboraient
des fourrures l'été et l'hiver des manteaux d'été, pour bien montrer que «
l'amour suffit à tout ». Cette façon de mysticisme, on la trouvait fade.
On préférait aussi la netteté, la vivacité, une mousse piquante de champagne
à la belle liqueur sucrée, dorée, douce, limpide, sérieuse, vieillie, qui
portait l'étiquette italienne. Rabelais, qui est notre Michel-Ange, se garde
bien d'approfondir des mystères à la suite de Ficin ou d'entasser des in-folio
à l'exemple de Nifo. Avec sa science et sa vaste intelligence, voyez-le,
devant un plat de pois au lard, saisi d'un rire inextinguible en pensant à la
« céleste et inappréciable drogue » du Banquet de Platon, et bafouant tous
les Pics de la Mirandole passés et futurs, sous la forme de messire
Pantagruel, qui soutient contre n'importe qui 9.764 conclusions, dont
quelques-unes très platoniciennes, sur « la crème philosophale des questions
encyclopédiques », sur « l'idée platonique, voltigeant dextrement sous
l'orifice du chaos[61] ». Rabelais dédie sa Vie de
Gargantua aux buveurs et aux goutteux. Et
puis, par-dessus tout, on entend s'élever le grand chant, la clameur de l'or,
de Plutus, contre lequel rien ne prévaut[62]. L'antique échoppe n'a pas
préservé les artistes, jadis chercheurs d'idéal ; ils sont venus habiter des
palais, et il y en a dont l'art consiste à fabriquer de la fausse monnaie ou
à courir après la pierre philosophale, si ce n'est pis[63]. Jusque dans les pays de rêve,
dans le fond de la Bretagne mélancolique[64], la pauvre âme humaine, lancée
sur le stade de la vie éternelle, selon la comparaison d'un prédicateur,
s'arrête et se courbe à chaque instant, comme Atalante, pour ramasser des
pommes d'or[65] ! La
lutte, ainsi, est complète sur tous les points à la fois, et elle est rude.
Il faut à des femmes un fier courage pour continuer imperturbablement, parmi
tant d'ingratitudes et de traits acérés, à répandre le spiritualisme,
l'esprit d'amour, la foi dans la beauté ! Hies ne
parviennent pas à mâter les hommes en masse, ni à diriger leurs forces
morales. Il faut y renoncer. Elles se résignent à une mission ingrate, celle
de verser individuellement un peu de faiblesse par la sensibilité, seule
aumône possible, dure aumône, souvent faite de concessions, de bien des
amertumes cachées, d'un amour mêlé de dégoût, d'une duplicité nécessaire ! Bon gré
mal gré, il faut donc se contenter d'un succès de ce genre. Pour préciser en
quoi il consiste, nous diviserons en deux parties notre petit tableau, car
l'effort de la sensibilité fut double : il consista à faire de la vertu et du
vice un art, à tempérer leurs inconvénients ou leurs excès ; d'un côté, il
amollit ou, si on nous permet ce mot, il désaustérisa les vertus trop
farouches, pour leur donner le rayonnement dont elles manquaient ; de
l'autre, il ennoblit le vice, pour le rapprocher de la vertu ; bref, on tenta
de rendre la vie belle plutôt encore que bonne, et de réhabiliter
chrétiennement tout ce qui peut devenir joli, en vertu du principe que le
beau est bon et purifie tout. 1° L'amollissement de la vertu
Voici,
en résumé, les principes déjà consacrés : le bonheur réside dans l'amour,
l'amour consiste à se donner. Il y a plusieurs manières de se donner ; on
peut se donner corps et âme, donner son corps seulement, ou son âme
seulement, ou ne rien donner du tout. Le don de l'âme est le vrai platonisme,
et le don de rien du tout est le faux. Le don du corps est l'antique arche
sainte du mariage. Comment va-t-on concilier ces divers éléments ?... D'une
manière assez simple. Nous
avons dit que le mariage était devenu un contrat humain et réciproque, conclu
dans un but déterminé, entre deux êtres semblables ; et logiquement on aurait
pu admettre qu'il finît comme il naissait, par le consentement mutuel,
c'est-à-dire par la communauté des femmes[66], selon l'idée de Platon. Mais,
au contraire, les platonistes, qui ne cherchaient pas de poésie dans la prose
du mariage, trouvèrent un mariage unique déjà bien suffisant et plutôt
excessif. De plus, l'institution était vieille : on en avait l'habitude. Pour
maintenir l'organisation sociale et les principes aristocratiques, il fallait
conserver la formule et tirer simplement les conséquences morales que
comportait le principe de 'l'égalité des droits. Jusqu'alors,
la loi morale du mariage, c'était l'autorité ou même le caprice du mari. Un
bâtard — pourvu qu'il fût né du mari — avait presque la situation d'enfant
légitime : souvent il était élevé au foyer paternel, loin de sa mère, par les
soins de la femme de son père ; en Italie, il obtenait très facilement sa
légitimation[67] et continuait, au besoin, la
race officielle. Ce qui est encore pis que de tromper sa femme, c'est que le
mari se croyait le droit de la négliger. — Désormais, le talion parut la
règle morale : au lieu de rester des nourrices en chef, d'adopter les enfants
de toute provenance[68], de travailler à effacer
jusqu'à la trace des caprices du seigneur et maitre[69], les femmes « mal mariées » ne
virent plus la nécessité de s'enchaîner, de refuser leur part de bonheur, de
ne pas disposer de ce qu'on dédaignait[70]. Ce
principe, Luther le fixa, matériellement, pari la possibilité du divorce ; il
maintint le mariage, mais en le rendant successif, c'est-à-dire qu'il
rétrograda vers les mœurs du passé dans la mesure du possible. En cas de
faillite, même involontaire, d'un des deux contractants matrimoniaux, il
trouvait juste de remplacer « Vasthi par Esther ». On sait la fortune de ces
idées ; Mélander, en bénissant un duplicata de mariage du Landgrave de Hesse,
allait dire que tout s'use en ce monde, et que la monogamie avait fait son
temps ; un livre très libéral, attribué à Bugenhagen, allait relever des
exemples de bigamie chez les premiers chrétiens[71]. La polygamie avait ses
partisans ; Ochino la prêcha sur la fin de sa vie. Les
platonistes, en revanche, n'admettent aucune retouche : l'ancienne formule
que le corps, avec toutes ses faiblesses et ses infirmités, est marqué par le
mariage d'un sceau indélébile, de même que jadis on prétendait marquer les
forçats, cette formule, après tout, leur parait salutaire, puisque le but du
mariage est d'obéir à la loi physique : « Croissez et multipliez. » Mais, une
fois la loi accomplie, par quelle étrange aberration voudrait-on river les
âmes à ce corps abandonné, vraie épave de la vie ? En matière de cœur et
d'âme, la communauté de femmes — ou, pour mieux dire, la communauté d'hommes
— est une chose morale, et constitue même la distinction la plus nette qu'on
puisse établir entre nous et les animaux. On blâme ce « libertinage spirituel
», Calvin s'en moque et préfère le divorce ! Voilà un singulier goût, peu
relevé, bien digne des pays où on cultive l'amour physique, avec échelles de
corde et sans platonisme[72]. Le mariage est quelquefois
bon, mais, comme on sait, jamais délicieux ; l'amour doit être délicieux et
religieux. La femme, entrant à son tour dans la vie, a le droit de penser un
peu à elle-même, à ses besoins les plus nobles, de soigner son cœur et son
âme, de s'épanouir, de se compléter... Se compléter, dira-t-on ; il s'agit
donc d'un second mariage ? Oui, mais d'un mariage tout moral, où les
concessions de chair sont purement esthétiques et apparentes, où on se vante —
quant aux points essentiels — d'un platonisme aussi parfait à l'égard de son
amant qu'à l'égard de son mari. En l'an
de grâce 1523, une jeune dame de l'aristocratie romaine, que l'histoire nomme
Costanza Amaretta, jolie, délicate, pieuse, vint dévotement à Florence pour
les fêtes de Pâques ; elle y rencontra son idéal, sous la forme d'un homme
instruit et distingué, Celso. Ils se réunirent dans la plus parfaite
chasteté, sous le même toit, vie et relations communes. Après Pâques, ils
partirent avec deux couples analogues pour une maison de campagne de Celso,
et là, au milieu des joies du printemps, parmi les cyprès, les pins chauves
et les premières fleurs, ce beau monde platoniste se mit délicieusement à
dévider des vers ou de la philosophie. Costanza, qui fut élue reine du
cénacle, exposa fort bien sa situation. Elle a été mariée, selon l'usage,
très jeune, à un homme d'affaires, peu éthéré, d'esprit très pratique, de
façons presque écœurantes, avec qui elle n'a réellement contracté aucun lien
moral. « Sans le désir de cet homme d'avoir de moi, qui lui semblais belle,
des fils, nous n'aurions éprouvé l'un pour l'autre que de la haine. » Près de
Celso, au contraire, le sentier de la vertu lui paraît tout couvert de roses
au lieu d'épines, et c'est ainsi qu'aujourd'hui elle voit, avec une clarté
lumineuse et souveraine, la vérité, le bienfait moral de la distinction
platoniste des deux amours, l'un bestial, matrimonial, périlleux, mondain,
mortel ; l'autre céleste, vivifiant, avant-coureur du paradis, qui ravit
l'âme et la remplit vraiment d'une irradiation divine[73]. Les
parfaits amants trouvent ainsi un parfait plaisir à s'offrir leur chair, sans
l'immoler, et à s'élever délibérément au-dessus des grossières règles
physiques, à vivre délicieusement comme des anges de chair... Castiglione
nous a cité avec beaucoup d'éloges le tour de force accompli par deux de ces
dilettantes de l'amour, qui passèrent six mois dans l'intimité conjugale,
sans fléchir[74] ; voilà ce qu'il appelle
l'amour, l'existence idéale, la beauté pure ! Il y avait même, à Milan, un
ordre religieux consacré à ce procédé d'édification réciproque des deux
sexes, mais l'archevêque finit par l'interdire[75]. Nous
ignorons, à vrai dire, quelle extension exacte prit ce genre de platonisme ;
il serait difficile d'en dresser la carte ; dans ces matières, on n'a jamais
établi de statistiques, et aujourd'hui même, que nous sommes capables de dire
en un instant le nombre de boisseaux de froment ou de paires de poulets que
chaque mois la France peut produire, il n'existe, sur la vertu des femmes,
aucun recensement. Cependant
nous sommes assez portés à croire que la vie platoniste à deux eut plus
d'adeptes qu'on ne pourrait le supposer. Tant de femmes au cœur vide et
vierge aspiraient au bonheur de bien placer ce cœur, et considéraient la
guenille, la baudruche du corps, comme si inférieure ! L'exemple de Judith
paraissait non seulement incritiquable, mais sublime[76]. Si l'on avait senti le poids
du premier mariage, ne fallait-il pas du moins mettre le second sur le
pinacle, et sauver, sauver avant tout, le rêve, l'inconnu, l'au-delà, plus ou
moins vague, qui, de la détresse morale et physique, nous ramène à la vie !
Cette jeune femme platoniste, toute âme, qui vit dans les bras de son amant,
et qui n'y laisse que son âme, croit accomplir un rêve sacré et religieux ;
l'amour, qui purifie et exalte tout, la transporte en paix et en confiance
vers les sphères célestes, car la foi est confiance, l'espérance est
confiance, l'amour est confiance. Voilà toute la thèse. Si par ce procédé on
trouve le moyen de vivre, est-ce chose si sotte ? Par
malheur, l'amour ne cherche, d'ordinaire, qu'à s'abaisser, et l'apostolat des
femmes aboutit plus souvent à des sorties agressives qu'à des enlèvements
intellectuels. Il faut que le platonisme descende un degré, et que, pour
répondre aux besoins des hommes, il se fasse lui-même défiant, banal et mensonger,
qu'il s'en tienne à l'art. Ainsi nuit une nouvelle espèce de platonisme, la
plus répandue et celle qui prête le plus aux critiques de l'ordre moral. Cet art
du platonisme secondaire resta presque italien ; il exige une patience, une
exemplaire souplesse, que nous ne possédons pas. L'impatience des Français en
matière d'amour est proverbiale : ils sont plus pressés que pressants ; ils
s'emportent, ils s'irritent, ils ne comprennent rien aux savantes tactiques
d'Ovide ou de Martial ; très souvent, ils prétendent, sans artifice,
commencer par la fin ; ils rendent tout flirt intolérable. Et puis, les
Françaises, aussi, faut-il le dire ? comprennent mal le jeu. On en voit qui
prennent feu, au lieu de se faire aimer sans aimer[77], et jusqu'en pleine cour il y a
des jeunes filles, comme Mme de Piennes, qui éclatent de désespoir pour
l'abandon d'un amant ! Nous sommes ainsi faits ; nous n'avons pas de
principes, mais nous les appliquons, tandis que les Italiens excellent à en
avoir et à ne pas les appliquer. Quoi que nous fassions. nous réussissons
donc très peu à nous régénérer par la chimère, et la vertu a infiniment de
peine à nous paraitre enivrante ; nous n'arrivons pas à nous persuader qu'on
puisse se nourrir de cailloux et d'arabesques ; nous restons fidèles à des
sensations de réalités ! Nous nous moquons du reste, et comme il y a peu de
femmes insensibles à la moquerie, avec un mot un peu caustique, c'est nous
quelquefois qui les menons là où le cœur ne les mènerait pas. L'amour
platonique passe donc en France pour quelque chose de compliqué. Les femmes
confessent qu'on n'a pas encore trouvé moyen de cristalliser les choses de la
vie, en dehors de l'ordre de la Providence qui nous a donné des corps, ni de
retenir les hommes par la simple vision de l'idéal. Aussi
nous avons vu Marguerite de France s'ingénier à faire transparaître son âme
par son corps, et les femmes autoriser de douces privautés, à leur-petit
lever ou autrement. La
pudeur, pour elles, ne consiste pas dans les systèmes, plus ou moins brutaux,
du tout ou rien, mais simplement à rester femmes. Chiches
de confidences à un médecin ou à un-aumônier, parce qu'elles ne veulent
s'assujettir ni à l'un ni à l'autre, elles apprécient l'homme qui les
considère comme des femmes, et qui n'a d'yeux que-pour elles ; pour prix de
ses soins particuliers, elles croient certainement lui devoir quelque petit
privilège, un peu plus qu'à un non-ami. Ce sont elles qui, sont les médecins,
les confesseurs, ou plutôt les-sauveteurs ; elles se jettent à l'eau pour
sauver l'homme qui se noie. Le sauver en lui donnant le-vrai don, un peu
d'elles-mêmes, cela leur paraît œuvre bonne, morale, méritoire ! Nous voilà
loin : du banal et viril shake-hand que les femmes-accordent aujourd'hui à
n'importe qui, c'est-à-dire-à personne. Sérieusement, elles croient
gagner-ainsi le ciel ; en elles-mêmes, elles ne cessent d'écouter la douce
musique du Phédon ou du Criton de Platon ; l'exquise distinction entre l'âme
et le-corps chante à leurs oreilles, et le démon familier du bon Socrate les
relie à un monde immatériel, leur souffle ses conseils, ses intuitions[78]. Elles ne voient aucun
inconvénient à donner leur indulgence, leur sourire, et un peu du reste. Il
leur suffit de « tenir ferme jusqu'au bout », et de rester de roc sur
l'essentiel[79] ; elles ne comprennent pas les
« faux scrupules », elles trouveraient cruel, ridicule de torturer un homme,
en lui refusant des « privautés que Nature a permises aux beautés », alors
que cette menue monnaie leur coûte si peu, et surtout les touche si peu ! Ah
! ce n'est pas là que git la tentation ! Dans le fond du cœur, elles
méprisent tellement les hommes légers, insignifiants, soi-disant pleins de
grands mots d'amour et de sentiment, et à qui ce misérable appât physique
peut suffire ! On
critiquait une dame, et on allait jusqu'à l'accuser de « perdre toute honte
», parce que, le matin, en recevant un de ses amis au lit, elle tolérait un
assez bon nombre d'indiscrétions, « sans mon honneur toutes fois oultrager, »
observait-elle. Elle répond avec feu qu'elle ne voit rien là que d'excellent
; son ami l'estimera doublement pour avoir vu en elle « l'esprit et le corps,
de beauté chaste unir les deux accords ». Quant au péril de cette
familiarité, écoutez sa subtile et délicieuse réponse : « Celui que j'aime,
celui que je redoute, ce n'est pas celui-là : c'est un autre qui a fait le
siège non pas de mon corps, mais de mon âme. Ah ! si je ne tenais pas mon
cœur, il y a longtemps qu'il parlerait pour l'autre ![80] » Voilà bien le cri de la
femme délicate, qui ne redoute que l'entraînement d'esprit ! Nous
n'apprécions pas son système moral, nous ne jugeons rien, nous nous bornons à
raconter[81]. Son but est de se faire aimer,
et d'une manière qui en vaille la peine. La
limite a été quelquefois franchie, on le croira sans peine : quelques hommes
abusent de la permission, surtout près des princesses de lettres, comme
Louise Labé[82], et il arrive même que, du côté
des femmes[83], au travers de cette douce
poésie socratique et de ce dédain de la terre, çà et là s'élèvent des cris un
peu trop vrais[84]. Cependant beaucoup de femmes,
se dévouant pour verser du bonheur pur, pour enchaîner les hommes et les
empêcher de se vendre, préféreraient souvent que tout se passât en
conversations, et que leurs amis se contentassent de se noyer dans leurs yeux
et dans leur âme. Leur
but est de tout réduire à la conversation ; elles se soucient peu du silence
contemplatif, des romances sans paroles : la conversation permet de
retourner, de fouiller, de caresser, de pénétrer l'âme, sans le moindre
inconvénient et avec beaucoup d'avantages. Leur art consiste, parmi des amis
un peu chauds, à leur faire réciter la vieille cantilène : « Je meurs de
soif autour de la fontaine » ; parfois, elles retiennent sous leur
propre prunelle une grosse larme insoupçonnée. A un homme qui a faim, elles
font oublier son assiette[85] ; « elles contentent
les amants de paroles, promettent récompense, et remettent au lendemain[86] ». Les
Italiens, nous l'avons dit, se délectent à déguster ainsi l'amour par petites
gorgées d'eau sucrée ; ce ne sont pas des gloutons, comme nous ; ils
paraissent nés, non pas pour forger des chemins de fer ou pour enfler des
ballons, mais tout simplement pour aimer, pour aimer à aimer, pour se
repaître d'inutile et d'imprévu, pour chanter toujours leur même chanson
vide, qui ne tue pas. Ils figurent merveilleusement aux pieds de ces femmes « devant
qui les désirs brûlent comme des cierges[87] », ils glissent sur les
réalités, comme si vraiment ils croyaient plus au bonheur par les choses
qu'on ignore que par celles que l'on sait, ainsi que l'a dit magnifiquement
le grand contempteur des femmes, La Rochefoucauld : et cela au point que,
chez eux, les intarissables sources du cœur sont assez taries pour que
l'amour ne risque plus de gêner et qu'on puisse trouver en sécurité
l'amusette nécessaire à l'effroyable ennui de la raison humaine. Heureux
mortels, gens sans souci ! Le monde étroit où ils s'agitent leur paraît trop
vaste, et leurs longues ailes touchent terre ; ils sont jeunes et vieux ; ils
éclatent de couleurs vibrantes, et pourtant fanées ; une femme peut prendre
leur bras et compter qu'en somme tout finira par le commencement. La vie n'est
pour eux qu'un flirtage sans but, une simple bataille de fleurs. On
s'est un peu moqué de ces amours mondains poussés à l'extrême perfection. Il
est bien entendu qu'il ne faut pas y chercher un secret de force et de vie,
c'est une simple occupation, un petit jeu d'esprit, et qui n'en exige pas
infiniment. Le «
sigisbée » italien, ou « mort d'amour », devient une espèce de spectre
aimable, qui ne fait ni bien ni mal ; il n'existe plus pour personne, il a le
droit de ne pas répondre aux lettres[88]. Doucement parfumé, le bas bien
tiré, une rose à la main, des fleurs aux oreilles, la bouche en cœur[89], le geste gracieux et galant,
suivi d'un valet qui doit épousseter le moindre grain de poussière, le voilà,
toujours le même, quel que soit l'objet de sa flamme[90]. Son seul souci est de bien
placer ses regards, ses soupirs, ses signes, ses saluts, et, quand il a
recueilli un sourire élégant ou un regard malicieux, il repart en
chantonnant, pour aller composer un sixain ou un madrigal[91]. L'être
fade et exécrable ! plus femme que les femmes, femme manquée, demi-femme !
Attaché comme l'ombre à la dame de ses pensées, il a pour fonctions de porter
le chien, le livre d'heures, n'importe quoi. Chez elle, il s'installe comme
la pierre angulaire des réceptions, il alimente la conversation, il entoure
le mari d'égards affectueux. L'hypocrite,
le raffiné ! Dans l'aristocratie romaine, il devient uniformément solitaire
et dévot, à Naples vigoureux et plein d'entrain, à Venise mystérieux ; en
Lombardie, il a les allures du Nord, de la gaité, de la hardiesse[92] ; à Florence, c'est un causeur,
vit -et qui riposte hardiment aux provocations des voix argentines. Peu lui
importe ; rien n'est sincère : -son habileté consiste : 1° à s'accommoder
entièrement à l'objet aimé, à abdiquer toute personnalité, -on lui appartient
; 2° à s'avancer académiquement -et sans passion, avec une extrême prudence,
par l'onction, par la douceur, en se ménageant toujours une porte de sortie,
et en s'efforçant surtout de fondre le cœur adverse. Dans toute cette partie
-du programme, les yeux servent souvent plus que la langue. Ce cap
doublé, à chacun ses voiles ! Soyez éclectique, incandescent, abstrait,
symboliste, plein d'idéal, si le cœur vous en dit : beau parleur, c'est un
grand talent qui vous permettra de tirer parti de mille petites
circonstances, mais qui, souvent <ne vous y trompez pas), ne vous mènera
qu'à des -succès de façade. Une femme avisée craint les beaux Parleurs ; il
lui semble qu'avec eux il y a matière à querelles de ménage, elle les sait
indiscrets, elle leur sourit et les tient à distance, afin de faire publier
sa vertu, et souvent elle préfère un silencieux, surtout un timide, un « amoureux
de carême », comme on dit, facile à nourrir[93]. Du
reste, impossible de dénombrer toutes les excentricités que comporte le
flirtage ! Le ridicule devient la règle ; c'est un spectacle affligeant pour
la dignité humaine. Les vieux dansent[94], les jeunes ont la fièvre, les
spirituels se font imbéciles, les imbéciles se posent en gens d'esprit.
Quelle mascarade ! et les lugubres pleurent leur amour, soupirent en prose ou
en vers ! et les convaincus adoptent une idée, une couleur ! L'un d'eux
s'était voué au vert, et observait si bien sa consigne, que non seulement sur
lui tout était vert, jusqu'à ses boutons de chemise, mais qu'il ne mangeait
que des plats verts, il buvait dans un cristal verdâtre, il avait découvert
du pain vert, il ne chantait que les objets verts, les prés, les bocages[95]. Heureusement,
la conversation relève un peu le niveau de ce marivaudage excessif et
lamentable ; au milieu du cercle des amis, on s'amusera à lancer une belle
déclaration cachée dans un aphorisme, dans un mot à double portée ; il arrive
quelquefois qu'une personne à qui on ne songe guère se croit visée au cœur ;
c'est très amusant. Ou bien on prolonge de doux tête-à-tête, et l'on égrène
des mots d'esprit[96], d'aimables compliments, on
démêle de petits problèmes de casuistique sentimentale. Quelquefois, on
parvient à ce point où les tête-à-tête vraiment doux sont ceux où l'on ne se
dit plus rien. Ici, on
va nous arrêter et nous demander si tout cela a une fin. Mais non ! il n'est
nullement nécessaire, qu'il y ait une fin[97] ; les vrais romans platonistes
n'en' ont pas. Et ils peuvent durer des années ! Une femme habile excelle
précisément à les faire durer ; si elle sent le feu s'assoupir, elle a mille
moyens de le rallumer, un mot, un geste tendre[98], un petit cadeau, une
gracieuseté par-ci, une douceur intime par-là, un peu de jalousie, que
sais-je ?... et puis elle vous propose de recommencer le petit jeu de
l'église, de la promenade, des soupirs, des pleurs, des serments... Et l'on
peut aller ainsi indéfiniment. Il y a
cependant des romans qui finissent bien ou mal. D'ordinaire, l'événement
s'annonce par de gros nuages, par de l'électricité. La plupart des hommes
n'entrent dans le platonisme qu'avec l'idée d'en sortir, et ils croient sans
hésiter qu'il y a dans la vie de toutes les femmes, même des « dragons », une
heure fatale et irréfragable... Psychologues, philosophes, poètes,
prédicateurs[99], tous ont répété à satiété le
mot d'Ovide : « Une femme chaste est celle que personne n'a tentée[100] » ; ou, comme le diront
plus tard La Rochefoucauld et La Bruyère : « Une femme insensible est celle
qui n'a pas encore vu celui qu'elle doit aimer. » La
darne n'a pas l'air d'apercevoir l'orage qui se prépare : elle fait tête
bravement, sur un ton de doux persiflage ; elle avoue qu'il lui est bien
agréable d'entendre parler d'amour, mais, entre gens comme il faut, on sait
bien ce que ce mot signifie ; il ne s'agit pas de gros et substantiel amour,
il n'a jamais été question que de propos amoureux[101]. L'ami se livre à une
recrudescence des démonstrations déjà connues ; ses plaintes deviennent plus
bruyantes, ses larmes plus grosses : sa bien-aimée ne peut s'endormir sans
entendre des aubades, ou des « lamentations espagnoles », ou de simples
soupirs qu'on dirait bramés par un esprit familier, et qu'en réalité des
voisins consentent à pousser moyennant finance. Dans la journée, à l'église,
au bal, dans la rue, sous les masques, elle ne voit plus que lui, toujours
lui. Un
matin, la femme de chambre annonce sa maîtresse que l'ami est là et qu'il a
un mot à dire, très pressé : le voilà, il se précipite ; vous 'n'en doutez
pas, il sera éloquent[102]... Ou bien, il recourt aux
grands moyens mélodramatiques : fausses clefs, échelles de cordes,
narcotiques, sortilèges, fausses confessions de moines apostés[103] ; ou aux vieux clichés de
comédie ; il exagère ses qualités, il offre mille services, et même de
l'argent ; il promet, il bâtit en l'air de beaux châteaux. L'un menace, un
autre débat hardiment avec le père ou le mari. On parle avec chaleur, on
sanglote, on s'irrite. « Fulvia étant venue me voir à cheval, j'ai imaginé une
colère superbe, comme si son acte me semblait contraire à la réserve d'une
jeune fille. Cette belle colère a beaucoup servi à me faire aimer. » Il y en
a qui emportent la place par des louanges fortes, des vers superlatifs, des
récits larmoyants, des crises de jalousie... D'autres, goutte à goutte,
creusent le marbre[104]. Si les
princesses ont cru que leur rang suffirait à les défendre de la crise finale,
il leur faut reconnaître leur erreur, surtout en France. Pourquoi l'homme
aimé, et en somme aimable, après tant de travaux, de sages délires, de
stratégies[105], d'approches couvertes, ne
réclamerait-il pas un avancement si mérité : « A bien servir et loyal estre,
de serviteur on devient maistre ! » « —
Madame, dit fièrement un des jeunes gentilshommes de Marguerite de France,
quand nos maîtresses tiennent leur rang en chambres ou en salles, assises à
leur aise comme nos juges, nous sommes à genoux devant elles ; nous les
menons danser avec crainte ; nous les servons si diligemment que nous
prévenons leurs demandes ; nous semblons être si craintifs de les offenser et
si désireux de les servir, que ceux qui nous voient ont pitié de nous, et
bien souvent nous estiment plus sots que bêtes, » et chantent la gloire des
dames qui savent ainsi se faire servir ; « mais, quand nous sommes à part, où
amour seul est juge de nos contenances, nous savons très bien qu'elles sont
femmes et nous hommes, et, alors, le nom de maîtresse est converti en amie,
le nom de serviteur en ami[106]. » Et il
ne faut pas croire qu'en pareil cas on s'en tienne à des mots ou à des
menaces, vis-à-vis des femmes les plus haut placées ! Il y a des violents que
rien n'arrête ! tel Bonnivet ! [Il arrive aussi, en cas de crise, même dans
les milieux les plus platoniques, que l'amour se tourne en fureur. L'Unico
Aretino, un des causeurs d'Urbin, outré de ce qu'il considère comme une
noire ingratitude de la charmante duchesse Elisabeth, s'emporte, au point
d'appeler sa souveraine « la traîtresse d'Urbin, la magicienne, l'enjôleuse
». Aretino avait infiniment d'esprit, mais enfin ce n'était qu'un quart de
prélat : il remplissait, à Rome, l'emploi assez modeste d'« abréviateur
apostolique » ; même, il le remplissait assez mal ; mais, comme il amusait
fortement le Sacré Collège, il était habitué à se permettre toutes les
facéties... Il ne pardonna pas à la duchesse, et jusqu'après sa mort il la
poursuivit, elle et sa belle-fille, d'incroyables outrages[107]. On ne
se figure pas les idées des hommes en pareille matière ! ils s'imaginent
qu'ils pèchent par timidité, qu'on leur fait tort, en leur proposent des « acomptes »
comme ils disent, qu'il serait ridicule de mourir de désespoir à l'instar des
héros de roman, que c'est « folie et cruauté » de vanter à un malheureux
assoiffé la beauté d'une fontaine, puis de le tuer parce qu'il veut y boire[108]. « A qui fera-t-on croire,
s'écrie Henri d'Albret, que nous devions mourir pour les femmes, qui sont
faites pour nous, et que nous craignions de leur demander ce que Dieu leur
commande de leur donner[109] ? » Oui, il fallait bien
s'attendre à cette conclusion : on sait, selon l'expression de Calvin, où
mènent les « alleschemens[110] ». Aussi une femme n'est
ni surprise, ni froissée à l'heure de la bataille. Elle a pris ou dû prendre
ses précautions ; son premier soin, comme nous l'avons dit, a été
d'éparpiller ses prédilections. Elle va au combat avec une crânerie que
quelques vieilles personnes qualifient « d'effronterie » ; elle ne veut
plus pécher par omission, comme ses aïeules. Et souvent elle triomphe, on
n'en saurait douter. Marguerite de France, à l'heure critique, se retrouve
aussi ferme sur les principes qu'Anne de France. Billon nous certifie qu'en
Normandie, pays des jolies femmes, où il ne pourrait pas cautionner un seul
homme, il ne craindrait pas de nommer un très grand nombre de femmes qu'il
garantit d'une manière absolue. Certainement, il existe des femmes impeccables,
capables de tenter l'aventure. Mais
triomphent-elles toujours ? Personne, assurément, ne le croira. Et
puis, il faut le dire, la casuistique a changé. Le corps est comme la
signature de l'âme ; autant le vice bas, froid, sensuel, tel qu'il a cours
dans le monde, parait ignoble et dégoûtant, autant on se souvient que l'amour
a sa force purificatrice... On se rappelle les paroles compatissantes de
l'Evangile, et, chose remarquable, ce sont les personnes les plus strictes
pour elles-mêmes qui se montrent les plus indulgentes à une erreur du cœur,
sincère ! Marguerite
de' France tend son piège, comme la Joconde, mais pour le bien des autres,
car elle sait où mènent les sentiers nébuleux ; elle ne peut détacher ses
yeux du grand fond noir de la vie, et tout ce qui passe au-devant lui inspire
parfois de bien cruels dégoûts. Elle aime l'humanité, mais sans le moindre
fétichisme, à condition de regarder en haut, de ne pas croire à l'homme en
particulier ; sa seule consolation était de penser que les mœurs italiennes
valaient encore moins que les nôtres[111]. Elle approuve, avec
exaltation, au point de faire rire tous ses amis, un mari allemand qui avait
eu l'idée bizarre d'enfermer sa femme avec le squelette de son amant[112]. Et cependant, quand on la
pousse sur la morale de l'amour et qu'on lui demande si le péché est véniel
ou plus que véniel, elle s'empêtre un peu. Certes, rien ne détonne plus que
la faiblesse de la chair parmi les joies du concert divin : « la vérité oblige
à la blâmer » ; mais faut-il s'irriter, refuser toute espèce de
circonstances atténuantes, parce que la toile d'araignée qu'on tissait pour
des siècles a été arrachée d'un coup de griffe, parce que, malgré tous les
airs de flûte, on n'a pas réussi à transformer ces hommes en grands enfants
au lieu de misérables, ou même, je le veux bien, parce que, dans le feu de la
bataille, des femmes ont pu s'emporter et passer à l'ennemi ? Faut-il en
conclure que l'aboutissement du platonisme soit nécessairement mauvais ? plus
mauvais qu'un autre ? Où en
étaient les femmes du monde rebelles au platonisme ?... Avec le principe que
« l'honneur d'un homme et d'une femme sont semblables[113] », et que, soit par amour, soit
par vengeance[114], la femme a droit à la même
indépendance que son mari, les maris avaient bien beau jeu à ne pas se
montrer sévères[115] : loin de jeter les hauts
cris et de jouer à l’Othello[116], ils songeaient
philosophiquement à leur propre situation[117], à la vertu du silence[118], et, rentrant en eux-mêmes avec
un certain fatalisme[119], ils ne pouvaient trouver
mauvais que leurs femmes « usassent de leur force » comme eux[120] ? Il était rare qu'un mari tuât
sa femme[121] ; le mariage était devenu une
mare d'indulgence réciproque, où l'amour passait, à condition de ne pas
laisser plus de traces que le jet d'un caillou dans l'eau épaisse ou
l'envolée d'un oiseau à travers les espaces[122]. Quant à croire qu'il pût
exister encore des Laure et des Béatrix, non seulement les sceptiques le
niaient, niais ils prétendaient même que, si Laure ou Béatrix revenaient au
monde, il y aurait de grandes désillusions[123]. Louise
de Savoie ne s'attache qu'à la question de publicité[124]. Faut-il
s'étonner que, dans une atmosphère aussi saturée d'immoralité, bien des
femmes, même bien intentionnées, se soient laissées, entraîner et que Salel,
attique ami de Marguerite, nous les représente jusque sur les rives de
l'Achéron prisonnières encore de l'ingouvernable Amour et demandant grâce
pour leur tyran ! Elles
succombent, du moins, avec une hauteur de passion que le monde, presque
toujours, méconnaît : « La forteresse du cœur, où l'honneur demeure, est
tellement ruinée que la pauvre dame s'accorde en ce dont elle n'est point
discordante[125]... » « Vraiment,
dit-elle, tout est-il donc licite à ceux qui s'aiment, pourvu que personne
n'en sache rien ? — Ma foi, répond l'autre, il n'y a de puni que les sots[126]. » Leur amour, formé d'un rêve,
se fond ainsi dans la réalité. Des femmes pures, bien armées, platonistes, se
laissent aller, par douceur — « pitié en leurs espritz domine » —, par une
tendre compassion, par charité pour autrui, si ce n'est par charité pour
elles-mêmes. Ce sont presque les martyres de l'amour ou de la bonté,
puisqu'elles poussent la bonté si loin qu'on peut la prendre pour de l'amour,
comme leur amour, si réservé, peut être pris pour de la bonté. A l'inverse
des anti-platonistes, s'il leur arrive d'être surprises, de commettre une
faute, elles ne surprennent personne, elles ne font point une sottise. C'est
par le défaut de l'humaine nature que l'amour platonique ne reste pas
toujours un « amour de cigogne », comme l’appelle Montaigne[127]. On ne se bat pas sans laisser
sur le champ de bataille quelques morts et quelques blessés. Plaignons les
morts, mais déjà on priait ceux qui n'ont jamais péché de leur jeter la
pierre ! Une
femme « si pipée », conclut philosophiquement Castiglione, mérite
sans doute l'indulgence qu'on accorde à messieurs les assassins[128]. Elle travaillait, comme dit
Michel-Ange, à « élever les âmes à la perfection. La sensualité... tue l'âme[129] ». Et
c'est pourquoi Marguerite de France, dans sa vue profonde d'effacer et de
pardonner les péchés du monde, s'inspire, elle aussi, d'une tendre, d'une secourable
indulgence. Certes, les blessures qu'elle constate sont déplorables, mais
elles ne témoignent l'as nécessairement d'une perversité absolue ; elles
peuvent venir d'une « folie naïfve », du « malheur de trop aimer » ; c'est
l'excès du bien, et la conséquence même de notre organisation. L'être parfait
serait évidemment un androgyne ; mais nous sommes des êtres imparfaits, et
dédoublés, divins et, malgré tout, profondément, douloureusement hommes ! Le
pouvoir de l'amour ...vient
de la divinité, Et son tourment de nostre humanité[130]. Il nous
semble entendre cette femme impeccable crier à Dieu : « Ô Christ, Christ
de la Madeleine, pantelant et crucifié ! que vous avez souffert ! que vous
avez aimé ! Ce sang qui coule, ces plaies éternellement ouvertes, c'est le
fait de la haine des hommes, à qui vous commandiez l'amour pur. Vous ne
pardonnerez pas la haine ! Vous ne pardonnerez pas l'âpre convoitise de la
richesse, vous ne pardonnerez ni l'orgueil altier et misérable, ni la colère
farouche, ni la honteuse nonchalance ; vous ne pardonnerez rien, sauf
l'erreur d'amour, l'erreur d'un instant, puisque c'est l'excès du bien, le
malheur de trop aimer ! » 2° Ennoblissement du vice
Le
second effet moral de la théorie du beau et de l'amour fut encore plus
pertinent que le premier. Il consista à relever extraordinairement le niveau
des amours purement terrestres et illicites ; du principe, déjà connu, que la
virginité du cœur peut résister à des épreuves professionnelles où le cœur
n'entre pour rien, l'on tira, en Italie et m(me en France, des conséquences
morales si importantes, que nous ne pouvons les passer sous silence. En
Italie, il se forma une aristocratie parmi les femmes qui faisaient métier de
plaire, une aristocratie tellement réelle que quelques-unes de ces dames
tinrent des salons, appartinrent au monde des cours et méritèrent vraiment le
nom de « courtisanes[131] ». Leur tenue était
irréprochable, leur distinction extrême, et il faut bien dire que, sauf leur
origine, elles se confondaient absolument avec les femmes vertueuses, sauf
qu'elles avaient des manières peut-être plus correctes. Leur
haute influence s'explique par ce fait qu'à Rome on manquait de femmes, dans
le monde officiel. Conformément à l'étiquette, on ne voyait à la cour que des
dames de passage ; le cœur de plus d'un prélat platonicien en souffrait, de
la manière la plus honorable, mais cruellement. Un moment, on crut que la
belle-sœur de Léon X, Philiberte de Savoie, allait s'installer au Vatican : «
Dieu soit loué, s'écrie triomphalement Bibbiena, il ne nous manquait qu'une
cour avec des femmes[132]. » Ce bonheur ne se
réalisa pas, les femmes continuèrent à briller par leur absence : et on voit
pourquoi, faute de mieux, dans l'asile suprême des gloires humaines, dans
l'éternelle Ville qui servait de phare au monde, les Ninon de l'Enclos
exercèrent à leur façon un apostolat singulier, en assumant le rôle de femmes
de cour, et en recevant superbement l'élite des poètes, des savants, des
artistes, des prélats, des diplomates, à une époque où tout le monde se
piquait de porter une de ces étiquettes, et de s'en parer près d'une femme. Il nous
reste des tableaux enchanteurs, des réceptions de ces dames : nombre de
poètes, qui ont connu le monde surtout par ce bout-là, ont vanté avec enthousiasme
le parfum de grâce répandu dans leurs nobles salons, la gloire d'y être
admis, les relations qu'on y trouvait, les fêtes superbes qui en consacraient
le charme et le lien. Cela n'était pas nouveau : Socrate, Pline témoignent
combien, dans l'antiquité grecque et latine, on avait déjà éprouvé le besoin
de se laisser guider par des femmes plus au courant des choses de la vie et
plus naturellement actives que ne peuvent l'être quelquefois les femmes du
monde. En appelant ces dames des Ninon de l'Enclos, nous n'en donnerions,
d'ailleurs, qu'une idée bien imparfaite et dégénérée, car leur influence fut
à la fois morale et intellectuelle. Elles ne pouvaient, il est vrai,
prétendre qu'à la virginité du cœur, mais, puisque c'était la bonne, elles
glorifiaient l'amour pur avec autant et plus de conviction que n'importe qui.
Une très particulière énergie, et très sincère, les poussait fortement à
réagir contre les mépris d'un monde qu'elles avaient également le droit de
mépriser ; et puis elles sentaient la nécessité de s'étourdir, pour échapper
au vide, et de se faire noblement illusion sur elles-mêmes. Plusieurs
furent de vraies patriciennes, à qui on ne pouvait reprocher qu'un peu de
fierté. Celle-ci affichait sa généalogie, qui aurait pu en remontrer aux
Colonna, ou même aux Massimo ; celle-là signait modestement « patricienne
romaine ». L'accès de leur salon était des plus difficiles : quelques-unes y
mirent des conditions un peu dures, telles que de monter la garde avec les
Suisses à la porte du palais pendant deux mois, ou de se présenter à genoux[133]. La tenue de leur maison et de
leurs équipages ne laissait rien à désirer ; elles gardaient un décorum
extrême. Nous n'avons pas besoin de vanter leur vertu : leur talent
consistait à en avoir autant que possible et à s'enrichir surtout par voie
d'héritage ; il n'aurait pas fait bon les traiter trop vivement. Tullia
d'Aragona, qui se laissa maladroitement adresser quelques pasquinate
un peu salées, eut le malheur, dans une visite dont elle honora la cour de
Ferrare, de mettre toutes les têtes à l'envers : les épreuves les plus
variées la trouvèrent inflexible ; elle repoussa avec indignation l'offre
misérable d'un collier d'or de trois cents écus. La fille d'une autre de ces
dames avait reçu une.si bonne éducation qu'elle figure au martyrologe de la
vertu et du patriotisme : elle se tua pour échapper aux obsessions du
gouverneur de Sienne[134]. Elles
étaient toujours blondes et reines d'élégance. On faisait chez elles
d'excellente musique. Elles dansaient bien. Les beaux bijoux, les beaux
tableaux, les belles statues se trouvaient là[135]. On voyait sur leur table les
livres nouveaux ou une édition rare, quelquefois agrémentée d'une dédicace
manuscrite en vers. Elles savaient le grec et le latin ; elles
s'entretenaient avec les absents par des lettres gracieuses, affectueuses, de
style cicéronien et très suffisamment spirituelles[136]. Dans la conversation, il ne
fallait pas beaucoup les pousser, pour taire jaillir quelques belles tirades
classiques, le plus souvent empruntées à Boccace ou à Pétrarque, ou même, au
besoin, une savante dissertation d'archéologie romaine. Parfois, elles
lançaient un trait de la haute piété à la mode[137]. Quelle femme du monde aurait
écrit de plus charmants sonnets qu'Imperia ou Veronica Franco[138] ? Elles
excellaient à mettre l'esprit en haleine ; Arétin confesse que, sans un
entraînement de ce genre, il ne serait bon à rien. Çà et là, quelque pauvre
diable se voyait admis à émettre un échantillon de son génie[139] ; cependant, la maîtresse du
logis préférait généralement inspirer des banquiers. Ah ! c'était un monde
sérieux et distingué, et, si quelquefois les conversations touchaient à des
sujets médiocrement mystiques, quel est le salon immaculé auquel on n'aurait
pas pu faire le même reproche ? Les
jours de fête, ces dames allaient faire leurs dévotions à la basilique
voisine, sinon fort recueillies, du moins fort élégantes[140]. L'habitude d'une excellente
société et un sentiment de dignité, qui causa bien des désespoirs, les
classaient véritablement et en faisaient l'ornement indispensable des fêtes
illustres. C'est ainsi que plusieurs d'entre elles parèrent, en 1513, la magnifique
réception offerte par le cardinal de Mantoue au jeune Frédéric Gonzaga, qui
était âgé de treize ans, pour son passage à Rome[141]. Du reste, il y en eut qui se
conduisirent en tout à fait grandes dames, et qui se montrèrent à la hauteur
de tous les dévouements, de l'amour sincère, même du désintéressement.
Quantité de poètes se sont portés garants de leur vertu. Vittoria Colonna, Michel-Ange
leur ont dédié des sonnets[142]. Souvent,
elles ont pieusement fini, enterrées dans les églises[143], et, aujourd'hui encore, on
prie à leur ombre. Michel-Ange a écrit une de leurs épitaphes. D'autres, fort
bourgeoisement, épousèrent quelque homme du monde, et celles-là, d'ordinaire,
portèrent un peu _haut l'orgueil de leur vertu et de leur blason. Une femme
d'esprit le disait alors avec philosophie : « La vie est une comédie ; pourvu
que le dernier acte réussisse, la pièce est belle[144]. » Pourtant,
ces intéressantes créatures ont eu, nécessairement, leurs détracteurs. On les
a accusées de ruse, de tromperie[145]. Même en faisant la part de la
mauvaise humeur de leurs ennemis, on ne peut pas nier que, çà et là, quelque
excentricité ne vint donner prise à la médisance : ainsi, celle qui portait
des mules couvertes de diamants et se faisait baiser les pieds comme le pape[146], sous prétexte que ce pied
était aussi, par sa beauté, digne d'adoration, celle-là dépassait un peu la
mesure. Mais, auprès du public et même des connaisseurs[147], ces délicates exigences ne
produisaient pas du tout l'effet d'étonnement qu'elles produiraient
aujourd'hui. La religion du beau était si intense que le beau paraissait
toujours beau, sous toutes les formes, à tel point que certains recueils
italiens de Vies de femmes illustres amalgament les vies de saintes et
les vies de courtisanes. On
professait pour ces dames le même culte, la même idolâtrie que pour une
princesse : on se servait absolument des mêmes soupirs, des mêmes vers, des
mêmes douceurs. Le spectacle coûtait un peu plus cher, mais, au fond, on
n'était pas très éloigné de considérer un salon de courtisane comme plus
moral que certains salons mondains, puisqu'on n'y rencontrait ni mari
ridicule, ni petites cousines mêlées aux petits cousins, ni certaines jeunes filles
du monde au verbe un peu leste. Et puis, c'était moins compromettant[148]. Y
avait-il un profit moral à élever ce qui, jusqu'alors, avait été si bas ?
Pendant longtemps on a cru sincèrement que oui, et on l'a cru à peu près dans
toute l'Italie. Il suffit, à ce sujet, de lire une bien curieuse lettre qu'un
personnage inconnu, sous le pseudonyme d' « Apollo », adresse à la
spirituelle et très vertueuse Isabelle d'Este : cette lettre est datée de
Ferrare, le 13 juin 1537, el se rapporte à la visite que faisait alors Tullia
d'Aragona : « Il vient d'arriver ici une gentille daine, si réservée dans son
maintien, si séduisante duos ses manières, qu'on ne peut s'empêcher de lui
trouver quelque chose de vraiment divin ; elle chante à livre ouvert toute
sorte d'airs et de motets ; elle a, dans la conversation, un charme sans
pareil : elle sait tout, on peut lui parler de tout. Personne ne saurait ici
lui être comparée, pas même la marquise de Pescaire. » Un ambassadeur
renchérit encore sur ces dithyrambes, et écrit gravement à son gouvernement
qu'il compose sa correspondance à côté de cette jolie femme, qui l'aide de
ses conseils[149]. Tullia
d'Aragona, qui était d'ailleurs très fière du noble sang qui coulait dans ses
veines, servait ainsi d'Egérie aux personnages les plus qualifiés, et ors ne
craignait pas de la comparer à une Mère de l'Eglise telle que Vittoria
Colonna, de la placer même Plus haut ! Elle a justifié cet enthousiasme, non
seulement par sa beauté physique et son esprit, niais par de réelles qualités
morales. Elle montra que l'esprit du beau relève les pires choses, et, si
elle ne se fit pas trappiste, si elle continua la vie du monde où elle était
née, elle y apporta un dédain de l'argent, qui était déjà une vertu
purifiante. Cette admirable créature, après avoir tenu l'Italie entière sous
le charme de ses yeux de velours, mourut dans la misère ; elle se fit
enterrer sans la moindre pompe, à côté de sa pauvre mère, dans l'église de
Sant-Agostino, où elle avait fondé des messes ; il fallut vendre à l'encan
son mobilier, et la vente produisit douze écus et demi. Imperia
se plaça encore plus haut que Tailla, et il faut croire que l'ombre de la
vertu peut en effet abriter toutes les situations, puisqu'on voit Sadolet,
type de piété sincère, chanter les louanges de cette aimable femme[150], et Raphaël placer son
portrait, dit-on, au pied du Parnasse, dans l'appartement de Jules II. Nous
ignorons — et nous préférons presque ignorer — ce qu'Imperia a pu faire pour
susciter un enthousiasme si général, elle qui mourut à vingt-six ans ! Nous
savons seulement que le 15 août 1511, jour de sa mort, fut considéré à Rome
comme un jour de deuil officiel. On grava sur sa tombe une épitaphe du plus
pur style lapidaire[151]. Les poètes, peut-être avec une
ironie très fine, la portèrent aux nues comme une nouvelle déesse du Latium :
faut-il répéter quelques-unes de ces belles phrases ? « Nos pères ont pleuré
l'Empire (Imperium) ; nous, nous pleurons Imperia.
Ils avaient perdu le monde, nous avons perdu nos cœurs et nous-mêmes... » «
Tout s'émeut de l'enlèvement de cette jeune déité sur les bords du Tibre,
s'écrie Vitali, tout, jusqu'aux vieux murs barbares, jusqu'aux fastes des
consuls !... » « Elle n'est plus sous ce marbre, s'exclame Silvanus, elle a
désormais sa place parmi les constellations, elle guidera nos flottes. »
Mais Silvanus se perd un peu dans sa mythologie, et, à propos de la nouvelle
étoile, il mêle, sans qu'on sache pourquoi, les noms de Jupiter et de Jules
II. Malgré
tant de gloire, Imperia et ses semblables ne laissèrent pas que de devenir un
peu encombrantes, et le plus esthéticien des papes, Léon X, leur porta un
coup fatal en les expulsant de Home dès 1520. Elles se réfugièrent à Venise
malgré la résistance héroïque du Sénat. Mais,
là, elles perdirent tout leur cachet ; Venise, métropole du plaisir[152], « écume de mer[153], » leur imposa son
caractère... Venise était le « paradis terrestre » des gens de l'espèce
positive, Brantôme[154], Arétin... Ce dernier écrivait
précisément à une aimable femme : « Vous ne pouvez vous figurer ces
promenades en barque à la fraîcheur, ces expéditions en coche sur la terre
ferme, ces bosquets secrets, ces festins, ces consolations inconnues... De
vos fenêtres, vous aurez un spectacle de musique, de chants, de bouffons, »
une tempête de plaisir : « vous vous croiriez devenue une reine[155]... » Mais à Venise les reines
ne gouvernent pas comme à Home : on les collectionne, voilà tout... Et
ainsi disparut une des curiosités les plus notables du monde platoniste,
celle qui a laissé les plus vifs souvenirs : elle n'était possible que sous
les belles tiédeurs du ciel romain. L'arrêt
de Léon X souleva des cris de détresse, les Français, qui n'avaient jamais
rien compris à cet art de la courtisanerie et qui en faisaient des gorges
chaudes[156], mais qui le trouvaient
admirable, ne furent pas des moins vifs à se plaindre ; on eût dit que Rome
n'était plus dans Rome : « Comme le jubilé va être triste ! Qu'irais-je faire
à Rome maintenant ![157] » s'écrie un pèlerin. Du
Bellay, hôte mélancolique de la ville attristée, chante cette nouvelle ruine
en vers bien connus[158]... Ô Rome, Rome triste et
tendre, à qui chaque génération doit léguer un arc de triomphe et des
catacombes !... Bien des années plus tard, les voyageurs notables, Henri III,
Montaigne[159], s'ingéniaient encore à
rechercher les débris des courtisanes. Au
reste, nous ne faisons aucune difficulté d'avouer que la tentative de
réhabiliter le demi-monde et de l'employer à des usages célestes nous parait
extrêmement hardie : M. Alexandre Dumas fils, en vrai Français, n'a pas osé
la soutenir jusqu'au bout. Nos aïeux éprouvèrent le même scrupule ;
malheureusement, ce n'était pas par scrupule de vertu. Ils admettaient
l'œuvre du platonisme, tant qu'elle visait à transfigurer l'amour par la
coquetterie[160], et tant qu'ils espéraient,
pour le bien de l'humanité, rendre faciles des femmes difficiles. Mais, quand
on leur parlait, pour compléter l'œuvre, de rendre difficiles les femmes
faciles, on les trouvait de roc. Ils
découvrirent une autre manière d'aristocratiser les choses non
spiritualisables. — Il faut la faire connaître, parce qu'elle comporte
également un reflet vague de platonisme ; et, d'ailleurs, en abordant ces
délicats problèmes de morale, si utiles à envisager froidement, nous n'avons
pas l'intention de les dédier à des jeunes filles. On
chercha à mêler l'idée d'une union immatérielle des cœurs, idée empruntée au
platonisme et dont on ne contestait ni la beauté ni l'importance, avec cette
autre idée, dont les Français ne purent pas se défaire, qu'une intimité
absolue, et sans réserve, devait nécessairement sceller un pareil pacte,
sinon il resterait chimérique et ennuyeux. De là vint la notion de ce qu'on
pourrait appeler un second mariage, par-dessus le mariage officiel : d'une
union de fait, reconnue, avouée, constatée, tellement honorée qu'on serait
tenté de l'appeler un huitième sacrement. A la fin du XVIIIe siècle, et
jusque dans le commencement de ce siècle-ci, sous la Restauration, on a vu
encore de semblables unions, reconnues par le monde, qui avaient quelquefois
résisté aux pires épreuves de la Révolution, de l'émigration, du dénuement,
de l'exil, sans compter l'épreuve, encore plus péremptoire, du temps. Cette
habitude de rendre publiques les unions secrètes n'est pas née du platonisme
en ligne directe : cependant les femmes platonistes ne la virent pas d'un
mauvais œil. D'abord, personnellement, elles s'estimaient presque heureuses
que leur mari, possédé d'une irrégularité en quelque sorte régulière,
respectât mieux leur dignité, leur paix, leur santé[161]. Et puis nous avons déjà dit
combien sous François ter les mœurs étaient peu platoniques, et quelle
liberté sans frein régnait à la cour. Melin de Saint-Gelais nous dépeint le
roi comme un coq au milieu d'une « poussinière », comme un soleil
dans un firmament d'étoiles, entre Canaples, l'étoile d'aurore, la belle
Saint-Paul, astre du soir, Diane au beau croissant... et bien d'autres
constellations désireuses de briller : Helly, Rieux, Tallard, Lestrange
encore. qui, si on ne les nommait pas, « le trouveraient estrange[162] ». François
Ier disait très haut qu'un homme sans maîtresse n'était qu'un imbécile[163]. Eh bien ! n'était-ce pas un
progrès d'arriver à l'institution d'une maîtresse en titre, unique et
reconnue ? Marguerite de France aurait vivement désiré voir son frère se
fixer ainsi, sagement, près de quelque personne éminente, qui aurait pris
rang après la reine[164], qu'on eût appelée reine et « miroir
de toute honnêteté ». Voilà pourquoi, sans doute, elle salue si
affectueusement, avec tant d'égards[165], si humblement, la duchesse
d'Etampes, dont on put croire un instant le règne durable. Elle écrivit pour
cette noble dame la Coche ou Débat d'Amour, petit traité destiné à prouver
que, même en dehors du pur platonisme, il peut exister un louable amour ; et,
dans l'exemplaire de dédicace, elle, sœur du roi, elle s'est fait
représenter, tout en noir, devant la reine du jour étincelante de beauté et
de bijoux, et lui disant : « Plus vous que moy, » c'est-à-dire : « Vous êtes
plus que moi. » Avec un
pareil sentiment de délicatesse féminine, peut-être un peu exagéré, Veronica
Gambara, qui fut probablement vertueuse et très certainement platoniste,
s'extasie, elle aussi, devant la bonne fortune de la « sirène » qui a su
fixer quelque temps le cœur fort peu sérieux d'Arétin ; les mots de Laure, de
Béatrix, lui viennent aussitôt à la bouche, comme si on touchait à l'idéal[166]. Henri
II se montra platoniste en ce sens ; son double ménage ne constituait pas une
infidélité : il fut fidèle à deux femmes : l'une officielle, chargée de
perpétuer la dynastie et de le suppléer pour les affaires, selon la vieille
tradition ; l'autre personnelle, pour son cœur d'homme. Diane
de Poitiers, il faut en convenir, outre sa beauté qui fut longtemps mûre,
avait tout ce qui peut séduire et attacher un cœur élevé : une naissance à
peu près égale à celle de la reine — qui n'était qu'une Médicis —, de
l'esprit, du cœur, du dévouement. Elle a expliqué, elle-même, en vers
extrêmement fins, comment sa situation, qui re paraît si fausse, naquit d'une
passion vraie : « Un beau matin, dit-elle, un jeune amour tout frais, léger,
timide, vint rôder dans ses environs et remplir sa mantille de marjolaines et
de jonquilles, et l'ensorceler : elle résista, elle fermait les yeux et les
oreilles, bien qu'elle sentît son cœur se fondre, elle ne voulait écouter ni
promesses, ni serments. Il lui tendit un laurier merveilleux, la couronne de
reine : « Non, reprit-elle, encore mieux vaut être sage que reine... » et
cependant elle se sentit « et frémir et trembler »... « ...
Et comprendrez sans peine Duquel matin je prétends reparler[167]. » L'amour
disait vrai : il lui proposait une royauté, un grand rôle[168], il lui tint parole, les
murailles du Louvre en témoignent ! Diane de Poitiers a paru à tous ses
contemporains en situation magnifique, divine ! Du Bellay a chanté cet état
comme le plus beau des mariages, le mariage d'âme : «
Dieu... vous a fait entre nous Comme
un miracle apparoistre, Afin
que de ce grand Roy, D'une
inviolable foy, Vous
peussiez posséder l'âme, Et
que son affection, Par
vostre perfection, Brulast
d'une sainte flamme. Les
Roys monstrent aux humains De Dieu l'exemple et l'image[169]. » Pour
les Français, c'est le type du platonisme, à la fois pratique et sacré : « Vous avez acquis le cœur de toute la France[170]. » Et
Ronsard n'est pas moins précis : «
Seray-je seul, vivant en France de vostre âge, Sans
chanter vostre nom, si craint et si puissant ? Diray-je
point l'honneur de vostre beau croissant ? Feray-je point pour vous quelque immortel ouvrage ?[171] » Malgré
tous les dithyrambes, il est bien clair que le platonisme de Diane de
Poitiers représente la décadence. C'était l'idéal des femmes platonistes
d'être aimées pour leur âme : l'idéal des hommes étant inverse, on avait
transigé[172]. On
transigea même plus qu'on ne voulait bien l'avouer, même en Italie, même dans
les plu, pures sphères. Nos lecteurs connaissent le délicieux Bembo,
quintessence de platonisme, admirable ciseleur de phrases, secrétaire de Léon
X, ami de tout ce qui est beau, noble et esthétique, magnifique
collectionneur, apôtre de Platon et de Pétrarque, de Dante et de Boccace[173], idole des femmes, bref, un des
hommes qui promènent autour de toutes les jupes de princesses leur éternel
marivaudage sous la forme la plus parfaite, la plus exquise, la plus haute.
Voici de lui une lettre frissonnante. Parmi toute cette cohue de princesses
qui le repaissaient de regards éthérés, il aimait une femme, la Morosina, une
femme honnête et charmante, à laquelle, dit l'excellent Mgr Beccadelli, « il
avait eu la sagesse de se consacrer[174] », et qui lui avait donné, fort
prosaïquement, un bon nombre d'enfants. Il la perd, et le voilà malheureux,
ému, douloureux jusqu'au fond des entrailles ; tout saigne en lui. Comment
retrouver le divin Bembo, prédicateur des bonheurs célestes ! La mort a
enfoncé un poignard dans son cœur. Lui aussi, il aimait ! Il s'en ouvre à un
de ses amis, Gabriel Trifon... Le jour où cette lettre, si intime[175], a passé sous nos yeux, quelle
surprise ! une âme venait de se découvrir... un Bembo, vrai et tout
frémissant de douleur, palpitait ! « Vous avez, écrit-il, allégé la douleur
qui m'accable en me-parlant comme un homme, et non comme un philosophe
platonique et divin. » Il
ajoute qu'il a essayé de se raisonner, de se-prêcher la sagesse, de faire
appel à sa passion du travail : le plus beau livre lui tombe de la main !
Entre ce livre et ses yeux, dans un brouillard de larmes, il voit reparaître
la douce image... Et, au moment où il fait cet aveu, les larmes jaillissent
encore sur son papier, son cœur est à vif, et se fond, l'homme est là ! «
J'ai perdu le cœur le plus doux du monde, un cœur qui avait soin de ma vie,
qui l'aimait et la soutenait plus que la sienne propre, un cœur si maître de
lui, si dédaigneux des vains embellissements et ornements, de la soie, de
l'or, des pierreries, des trésors mêmes, qu'il se-contentait de la jouissance
solitaire, et, selon lui, suprême, de l'amour que je lui portais. Et puis ce
cœur avait pour vêtement les membres les plus-doux, les plus gracieux, les
plus délicats ; il avait à son service les agréments du visage et de l'aspect
le plus doux, le plus plein de toutes les grâces, que j'aie jamais rencontré
en ce pays. Je ne puis pas ne pas me plaindre, ne pas m'en prendre aux
constellations qui nous ont privés de jouir, moi d'elle, elle de moi, dans
une vie si innocente. » Quel
singulier revers du platonisme ! quelle chaude douleur !... Où donc est
l'attirail platonique, les belles dames souriantes et froides, le léger
dédain pour la beauté physique, le culte de la vie mondaine, l'horreur de la
solitude ? où sont les phrases à facettes, les dissertations philosophiques ?
Bembo est devenu pieux comme tous les malheureux ; il ne veut pas accuser
injustement la Providence ; si elle lui a retiré le bonheur, il la remercie de
le lui avoir donné. Mais ce n'est pas en un instant qu'on brise des
sentiments, « qui, avec le temps, ont pris dans notre humanité de telles
racines qu'il semblait impossible de les arracher ». Il écrit avec effusion,
il remercie son ami, qu'il savait lié de vraie amitié à « cette belle et
précieuse dame ». Il parle de ses enfants ; il aura soin d'eux,
puisqu'il est leur père, et que d'ailleurs, en mourant, la Morosina, d'une
voix éteinte, après avoir rempli ses devoirs religieux, lui a dit ces mots,
qui ont pénétré dans son âme comme un fer rouge : « Je vous recommande nos
fils, et vous prie d'avoir soin d'eux et pour vous et pour moi ; soyez sûr
qu'ils sont à vous, car je n'ai jamais eu aucun tort envers vous ; c'est
pourquoi, tout à l'heure, je recevais Notre-Seigneur l'âme en paix. — Et
ensuite, après une longue pause, elle ajouta : Restez avec Dieu ! et, au bout
de quelques instants, elle ferma pour toujours ses yeux, ces yeux qui avaient
été les claires et fidèles étoiles du cours fatigant de ma vie ![176] » Ah,
voilà des larmes !... Ils avaient donc du cœur, ces platonistes mondains !
Jamais, dans aucune de ses jolies dissertations, Bembo ne nous a touchés, ni
même, si on peut ainsi dire, réjouis, comme par ce simple cri jeté à
l'étouffée, par ces larmes solitaires. Il est à terre, ayant perdu les ailes
qui le portaient de fleur en fleur... Quatre ans après la mort de la
Morosina, nous le retrouvons aussi profondément accablé qu'au premier jour,
malgré ses bonnes résolutions et les conseils de ses amis. Il demande à la
poésie des consolations ; il a commencé une « canzone » sur la mort de « sa
belle et bonne Morosina » ; il a fait la première strophe, ébauché la
seconde, et il envoie ces essais encore informes à ses intimes, pour leur
montrer, défaillant, son effort[177]. * * * * * * * * * *
En
somme, le grand mouvement moral du platonisme aboutit à ceci : répandre
beaucoup de sensibilité, et adoucir tout ; adoucir la vertu, adoucir le vice,
adoucir les femmes, adoucir les hommes. C'est quelque chose, et il y a
certainement un avantage à engourdir des hommes fort peu idylliques et à ne
rien faire plutôt qu'à faire le mal. Cet
adoucissement fut souvent extérieur et comporta une dose d'hypocrisie. Mais
pourquoi s'en plaindre ? Rien ne prouve que les hommes vaillent mieux quand
ils paraissent plus mauvais. Ceux-ci paraissaient sensibles, même quand ils
n'aimaient guère. Sous un masque d'amabilité et de douceur, leur égoïsme
restait intact[178] ; ils parlaient de
contemplation, de dévouement, de l'adoration nécessaire pour la beauté, ils
le faisaient sans conviction ; soit, mais ils auraient pu employer leur temps
plus mal, et, à leur insu, ils concouraient à répandre des idées salutaires.
Un de ces ridicules personnages qui passaient leur vie à suivre leur idole
s'aperçoit avec horreur qu'en entrant à l'église sa dame refuse l'aumône à un
pauvre ; il en éprouve une telle commotion qu'un de ses amis a fort à faire
de lui démontrer, tout en le frictionnant, que le mendiant était mal élevé,
importun, indiscret, indigne d'une aumône[179]. Voilà du moins un homme
sensibilisé. Mais il
arriva une chose fâcheuse. En cultivant la sensibilité à outrance, les
femmes, au lieu de former des hommes, les alanguirent. Anne de France sans
doute prévoyait ce péril, lorsqu'elle recommandait si vivement les
occupations vigoureuses, positives, et qu'elle mettait en garde contre les
abus de la religion de la beauté. Bien d'autres, malheureusement, vraies ;
artistes en délicatesses, se complurent dans la perfection même de leur
procédé, et il en résulta ce qui se produit toujours en pareil cas : leur art
se dégrada et se perdit en devenant un procédé. Il y a dans l'amour vrai
comme un don de soi, une joie vivifiante, une sorte de sentiment intense qui
grandit ; mais, dans l'amour mondain, il y a une fausse poésie fardée, qui
énerve. Un vieux proverbe français disait : « Quand la femme gouverne
l'homme, celui-ci n'est pas de grand vouloir[180]. » Les anti-féministes le
répétèrent avec trop de raison : « Ah ! certes oui, vous avez fait un beau
rêve. Quel bel état moral, si tout le monde s'aimait ! Plus de guerres, plus
de crimes !... Mais est-ce le résultat que vous avez atteint ? Vous avez distillé
je ne sais quelle fadeur. Où sont les hommes énergiques, jeunes d'esprit,
heureux, magnanimes, nés de votre cœur ?[181] » Et quel est le siècle
d'amour qui sortira de cette génération ? On ne
peut pas imputer au platonisme les êtres anémiés et de face patibulaire, qui
vont faire le fond de la cour des Valois : ces Panurges, faux des pieds à la
tête, qui ont mangé en herbe leur bien sous tous les rapports, ces jeunes
voluptueux à yeux troubles, que Lotto peint si bien, n'ayant même plus la
force d'effeuiller une rose[182], et leur main sur le cœur,
comme pour accuser la source du mal. Mais, hélas ! il faut rapporter à la
pure galanterie la foule des héros de parade, pâles, dorés de pied en cap[183], fleurs de tournois[184], à manières câlines[185], prêts, comme Arioste, à
chanter des exploits chimériques, « pourvu que la beauté, qui à chaque heure
leur enlève une nouvelle parcelle d'esprit, leur en laisse assez pour qu'ils
puissent accomplir leur promesse ». Ils sont ficelés autant, plus que les femmes
— sauf qu'au lieu de montrer la poitrine, ils montrent les jambes —, et
empanachés[186] ; l'hiver, écrasés de fourrures
; l'été, tout dégagés, ne pouvant même pas supporter un vêtement flottant[187] ; criblés de diamants, à les prendre
pour des vitrines du roi de Naples ou du duc de Berry[188]. Ils sont philosophes, en ce
sens -qu'ils planent au-dessus des idées nationales, et ils le prouvent en se
travestissant en costumes de tous les pays, même turcs[189]. Ils sont savants, c'est-à-dire
qu'il paraît fort chic de farcir la langue française de mots hétéroclites,
comme pour lui arracher sa sève et son cœur, et en faire, d'elle aussi, une
baudruche universellement acceptable, comme les perruques blondes et les
beautés de ouate. La
grande, l'immense réforme philosophique du platonisme dans les milieux
mondains consiste à laisser pousser sa barbe, sur le modèle des anciens sages
et des Orientaux. Jusqu'alors l'élégance obligeait à se raser, et même, pour
plus de perfection, à s'épiler[190] ; il n'y avait eu qu'un cri,
lorsque le cardinal Bessarion parut avec sa barbe à la cour de Louis XI. Or
voilà que Castiglione, les prélats romains et le haut monde platoniste
arborant la barbe philosophique, ce fut tout à coup une rage -d'en faire autant
parmi les jeunes snobs de la cour de Louis XII, les Bonnivet et autres. Cette
réforme suscita même un des plus vifs discords qu'on connaisse entre le haut
et le bas clergé. Curés et vicaires brandirent des textes contre la barbe.
Les prélats ripostèrent par de savantes dissertations[191] ; ils prétendaient qu'une
belle barbe ne nuit ni à l'honneur ni à la probité ; ils passèrent.au crible
les sentiments des anciens Romains relativement à la barbe et les trouvèrent
sympathiques ; ils établirent que les apôtres n'avaient jamais eu l'idée de
se raser ; ils démontrèrent qu'un décret d'un concile de Carthage, invoqué
par le bas clergé, était interpolé, et d'ailleurs sans autorité,
l'infaillibilité de l'Eglise n'allant pas jusque-là : un autre décret
d'Alexandre III, dont on faisait du bruit, ne s'appliquait qu'aux cheveux. Par
contre, sans même parler de la barbe de Jules II[192], il suffisait de feuilleter
l'histoire de l'Eglise pour trouver à chaque page quelque barbe de saint, et
quelquefois de grand saint, des barbes de solitaires, étrangers aux soins du
corps, à Platon et aux femmes ! Il se dépensa beaucoup d'éloquence, d'érudition,
de vivacité, d'ironie et d'âme, dans cette affaire. Elle était majeure et
elle touchait aux intérêts les plus sacrés de ce que quelques personnes du
monde appelaient le platonisme. ... Et maintenant qu'on se demande par quelle étrange et cruelle logique un siècle, bercé à ses débuts par l'idée du beau, de l'amour et du bonheur, allait devenir une fournaise de haine, la lice implacable des colères les plus farouches ! Faut-il croire qu'en renversant les barrières positives de la rigueur, et en appelant la liberté, on doive fatalement se heurter à la force, devenue plus libre et plus sauvage ? Ce serait une triste conclusion et bien décourageante, car alors il faudrait considérer l'humanité comme un recommencement perpétuel, attendu que les forbans ont beau s'insurger contre les cœurs tendres, la sagesse évangélique elle-même a beau nous prévenir de l'éternel despotisme des violents, il se trouve et il se trouvera toujours parmi nous d'incorrigibles misérables, affamés de sensibilité et ne pouvant vivre sans un rayon d'amour. |
[1]
Gaston Pâris.
[2]
Sans parler des sentines de village, alors si nombreuses. V. not. JJ. 230, f°
138 v°, 141, 142 v° ; 135, 53 v° : JJ. 231, 26, etc.
[3]
V. not. JJ. 230. 162.
[4]
V. celui du seigneur de village, voisin de Bayard (le Loyal Serviteur).
[5]
Thausing, p. 158.
[6]
Pontanus, p. 322.
[7]
JJ. 234, 58 v°.
[8]
Epistola, V.
[9]
A. Graf, p. 20.
[10]
Ch. X.
[11]
Rabelais, Pantagruel, liv. III, ch. VII, Cf. Garin ; Bouchet, les
Regnars...
[12]
Traictez singuliers, f° B, 2 v°.
[13]
Melin de Saint-Gelais, I, 309.
En cas d'amour,
c'est trop peu d'une darne,
Car si un homme
aime une honneste femme,
Et s'il ne peut
à son aise l'avoir,
Il fait très
bien d'autre accointance avoir.
[14]
M. Lalanne (p. 208) a montré qu'on avait eu raison d'attribuer à François Ier
l'inscription de Chambord. Quant au dicton, il n'était pas nouveau. Jean
Bouchet a dit de même : « Et est celluy fol... qui s'y fye. » (Les Regnars.)
[15]
Melin de Saint-Gelais, II, 73.
[16]
H. Estienne, Apologie, ch. XII.
[17]
Bonne responce, p. 67, 20 (alias, une marchandise de tare).
[18]
Seyssel, Histoire, p. 47.
[19]
Hept., Nouvelle 42.
[20]
La grant Nef des folz.
[21]
Guevara, liv. I, p 164.
[22]
Guevara, le Favori. pp. 152, 153 ; Nifo, De Muliere aulica, l.
III, ch. VII.
[23]
Dolce, Dialogo in difesa, p. 11 v* ; Hécatomphile, p. 96 ; Eust.
de Beaulieu, Rondeau LXXVI.
[24]
Coquillart. Cf. Contredictz de Songe creux, f° 57.
[25]
Coquillart.
[26]
Masaccio, Nouvelle 45.
[27]
Nic. de Troye, le grand Parangon des Nouvelles nouvelles.
[28]
G. Paris, Journal des Savants.
[29]
Billon.
[30]
Hept., Nouvelle 8.
[31]
Hept., Nouvelle 38.
[32]
La grant Nef des folz, f° 115 : Stultifera navis (Bâle, 1498), f°
130 v°.
[33]
Lafenestre, p. 27.
[34]
Cf. le tableau de Luini, an. coll. Sciarra : Otto van Veen, au Musée de
Cologne, etc. ; Bouchet, Labyrinthe de Fortune, liv. II.
[35]
Voir à ce sujet le charmant article de M. Emile Michel.
[36]
Sur l'interprétation de ce tableau, voir notre article dans la Gazette des
Beaux-Arts, janvier 1897.
[37]
Louanges... de... Mme de Taillebourg (tante de Louise de Savoie, mais
brouillée avec elle). Epitaphe de la greffière Leblanc, née Catherine Budé (ms.
fr. 1721, f° 97).
[38]
Amante, p. 190.
[39]
Bisticci, Phil. de Bergame.
[40]
Voir l'ouvrage de M. Fiorentino sur P. Pomponazzi.
[41]
Averroès, pp. 367 et suiv.
[42]
Nifo, De Pulchro, ch. IV, VI.
[43]
Thomas, Essai..., p. 83.
[44]
Mabilleau, liv. III, ch. V.
[45]
Nifo, De Pulchro, ch. VIII, XVIII.
[46]
Ch. LXVIII.
[47]
De Amore, chap. LXVII.
[48]
Ch. LXIX.
[49]
Ch. LXX.
[50]
Nifo, De Muliere aulica, chap. VII-VIII ; etc.
[51]
Nifo, De Amore, ch. XVI ; De Viro aulico, lib. I, ch. XXX-XXXIV.
[52]
N. Dangu, dans l'Heptaméron.
[53]
Eloge de la folie, p. 45.
[54]
G. d'Aurigny, p. 188.
[55]
Hept., Nouvelle 4.
[56]
Hept., Nouvelle 18, Nouvelle 25.
[57]
Nouvelle 24.
[58]
Nouvelle 50.
[59]
Nouvelle 5.
[60]
Pour y répondre, le Parlement la déshonora par un procès-verbal officiel. (Louise
de Savoie.)
[61]
La Chresme philosophale.
[62]
Eloi d'Amerval, liv. II ; JJ. 230, 193 v° ; JJ. 235, 85 ; JJ. 231, 79, etc.
[63]
V. pour plus de détails le curieux tableau tracé par M. E. Müntz, Histoire
de l'art, t. III, pp. 53 et suivantes.
[64]
Du Faïl, Propos, p. 48, p. 42.
[65]
Bareleta, d. l. Quadragesimæ. Calvin traite ses propres collaborateurs d'«
histrions », dignes qu'on leur jette de la boue : « L'avenir m'effraie,
s'écrie-t-il, je n'ose y penser ; à moins que le Seigneur ne descende des
cieux, la barbarie va nous engloutir. » (Prefatio catechismi ecclesiæ
Genevesis, p. 11. — Liber de Scandalis.)
[66]
Arétin écrivait tranquillement : « J'ai légitimé mes chères filles dans mon
cœur, pas besoin d'autre cérémonie. » (Lettere, V, 165 ; Gauliez, p.
85.)
[67]
Les enfants naturels obtenaient facilement leur reconnaissance par concession
d'armoiries (Ms. Clair, 1240, p. 187), ou leur légitimation (JJ. 235, 128, 24,
15 v° ; Le Glay, Lettres, I, 397, etc.). En Italie, la légitimation
n'était qu'une formalité fiscale ; Innocent VIII donna à ses neveux le droit
d'en accorder.
[68]
Valentine de Milan, par exemple, à l'égard de Dunois. V. à ce sujet les
observations de Cardano, II, 247.
[69]
Pasolini, III, 34, 63 ; Müntz, I, 356 ; Louise de Savoie, etc.
[70]
Castiglione, p. 477. Cf. Dolce, Dialogo di mariti, p. 8 v°.
[71]
Janssen, pp. 454 et suiv.
[72]
Difficiles aditu fugias in amore puellas. (Celtis, Quatuor libri,
f° 46).
[73]
Firenzuola, Ragionamenti.
[74]
P. 447.
[75]
Hept., Nouvelle 30.
[76]
Nannii, Dialogismi.
[77]
Castiglione, p. 486.
[78]
Ronsard, VI, p. 98.
Souvienne-toy,
regaignant ta raison,
Que ta maitresse
est de grande maison,
De noble sang,
et non pas amusée
A dévider ou
tourner la fusée ;
Et que son œil,
mais plutôt un soleil doré,
Et son esprit,
des autres adoré,
Et ses cheveux,
les liens de ta prise,
Sa belle main. à
la victoire apprise,
Son ris, son
chant, son parler et sa voix
Méritent bien le
mal que tu reçois.
[79]
Nifo, ch. LXII.
[80]
Héron (un des amis de Marguerite) ; cf. Castiglione, p. 486.
Et, si l'on dit
que le privé toucher
Faict près du
feu le tison approcher,
Je respondray :
Il y ha ja longtemps
Que, si
l'honneur, où tousjours je prétens,
N'eust en moy
deu faire plus de demeure,
Un, que nommer
je ne veux pour ceste heure,
Par les effors
de sa langue diserte
Auroit plus tost
tiré gaing de ma perte,
Que par baisers,
ne par approchements
Qui de la chair
ne sont qu'attouchemens.
[81]
Les anciens Valentiniens allaient beaucoup plus loin et soutenaient qu'il est
impossible aux spirituels de se corrompre, quelles que soient leurs actions.
[82] Qu'eust fait ce
grec, si cette image nue
Entre ses bras
fust Vénus devenue ?
Que suis-je
lors, quand Louize me touche
Et, l'accollant,
d'un long baiser me baise ?
L'âme me part,
et, mourant en cet aise,
Je la reprens ja
fuient en sa bouche. » (Edit. Troas, p. 155.)
[83]
Edit. Troas, p. 171, 183.
[84]
Ianistschek, p. 71.
[85]
E. d'Amerval.
[86]
Guevara ; Marguerite de France ; Revue des Deux Mondes, 1er déc.
1895, p. 631 ; G. d'Aurigny, etc.
[87]
Jules Lemaitre.
[88]
Nifo, ch. LXXXVIII.
[89]
Nifo, ch. LXXXVII ; la Danse des morts.
[90]
Castiglione, p. 491, 493.
[91]
Garzoni, Piazza. Cité par A. Graf.
[92]
De Bibbiena, dont nous avons déjà parlé, il y a des lettres assez vives et
amusantes ; il écrivait à la marquise de Mantoue, le 7 février 1516 : « Les
compliments que Votre Excellence a bien voulu me faire de la part d'Isabelle
m'ont fait un suprême plaisir, car j'ai toujours aimé et j'aime encore Isabelle
plus que moi-même, je suis tout à Isabelle de corps et d'âme ; tellement que,
aimant ou n'aimant pas Isabelle Mario, je suis tout à elle, et je désire
par-dessus tout au monde être aimé d'elle. » (Luzio, p. 225.)
[93]
Hept., Nouvelles 20, 23, 14 ; A. Graf, p. 13 ; Crétin, ms. fr. 1711, f°
8 v° ; Rabelais, Pantagruel, ch. XXI ; les Dictz ; P. Jove, Éloges,
ch. XCII.
[94]
Guevara.
[95]
Billon, p. 77.
[96]
Voici des mots de Phausina que Nifo trouve délicieux (De Muliere aulica,
liv. II, ch. V) : « Phausina, disait-il, depuis que je me suis pris à t'aimer,
tu es devenue une aurore superbe, resplendissante. Que j'en suis heureux ! —
Prés d'un soleil comme toi, ne devais-je pas devenir aurore et la plus belle ?
»
« Un jour, je lui demandais comment, avec ses seize ans
et sa grâce, elle pouvait aimer un vieux bonhomme comme moi, la réciprocité
d'amour résultant philosophiquement d'une certaine similitude. — C'est vrai,
nous différons, répondit-elle gentiment, nous sommes cependant tout pareils par
le point où tu m'aimes et où je t'aime » (elle voulait parler de la beauté de
l'esprit).
« Quel est le vrai amant, lui disait-il ? — L'idolâtre,
répondit-elle, est celui qui adore l'image et non la divinité ; le faux amant,
celui qui aime la figure d'une jeune fille, et qui ne respecte pas sa pudeur. »
« Comment, Phausina, pouvez-vous aimer un homme à demi
mort ? — Ce n'est pas le vieillard que j'aime ardemment, mais celui que ni
l'âge ni aucun coup n'atteindra, celui qui, après sa mort, ressuscitera
finalement. »
« Un jour, je plaisantais Phausina : pour l'agacer, je
lui disais : Voyons, Phausina, quand tu seras bien vieille, penses-tu que je
t'aimerai encore ? — Certes oui, dit-elle, ce que tu aimes en moi ne vieillira
pas. Pétrarque a aimé ardemment Laure, jeune, mûre, vivante, morte ; il ne la
voyait pas vieillir, ce qu'il eût pourtant désiré ardemment, afin de pouvoir
jouir de sa beauté sans aucun soupçon. Et je demandais alors â Phausina, pour
un tel amour, quelle serait la récompense. — C'est, dit-elle, que tu ne seras
pas un menteur dans les éloges dont tu m'accables. »
[97]
« Un jour, dans le cercle des jeunes filles, on posa le petit problème de
deviner ce qui pouvait le plus me plaire dans mes rapports avec Phausina. L'une
dit que c'était de regarder une si jolie femme, une autre que sa conversation
était très douce, une autre jura qu'en réalité c'était parce que nous nous
contrecarrions tout doucement, et qu'elle le savait, Phausina, souriante,
répondit : Personne n'ignore, mon cher Nifo, qu'il y a de tout cela dans mon
plaisir ; mais ma plus profonde satisfaction, c'est de pouvoir jouir de tout,
souvent, librement, sans crainte d'entraînements matériels, â cause de ton âge.
» (Nifo, p. 351.)
[98]
Magny, p. 7.
« Ma dame, un
jour, daigna tant s'abaisser,
Parlant à moy,
de doucement me dire :
« Je ne te veux,
amy, rien escond[u]ire
Qui soit en moy,
je te pry le penser
Et pour encor du
tout récompenser
Mon triste tueur
de l'enduré martire,
Sa blanche main
hors du gand elle tire
Et me la tend
pour la mener danser. »
[99]
« ... Et vous, Madame, si vous succombez à la chair, frappez-vous-en la
poitrine, car vous ne fuyez pas les occasions. Pourquoi vous tenir à la fenêtre
? causer avec les jeunes gens ?... pourquoi aller au bal, et vous livrer à tant
de conversations oiseuses ? Fuyez les occasions, et le diable vous laissera
tranquille. Résistez ! il fuira... » Le verbe des femmes est un des grands
instruments du démon : « J'ai fait cela, parce que le diable m'a séduite » ; on
croirait entendre Eve : « Le serpent m'a trompée. » (Bareleta, D. l.
Quadragesimæ.)
[100]
Casta est quam nemo rogavit. Bonne Responce, p. 67 ; Songe creux,
Dolce, Difesa, 8 v°, 14, etc.
[101]
Castiglione, pp. 472, 475.
[102]
Hécatomphile, p. 96.
[103]
Billon, p. 76.
[104]
Nifo, De Amore, ch. LX, LXIII, LXIV, LXV ; Guevara, p. 148 v° : Pompeo
Colonna.
[105]
Rec. Montaiglon, X, 240.
[106]
Hept., Nouvelle 40 ; prologue de la 1re journée.
[107]
« Illustrissime mauvaise fille. Lorsque la terrible duchesse Elisabeth vivait,
elle m'a tellement rendu son martyr el, protomartyr, et vous peut-être, et
certainement même, avec votre visage d'ange et votre cœur de serpent, vous avez
été son perfide conseil à mon détriment, et maintenant me voilà obligé, à force
de médecine, de soutenir comme je peux les restes, misérables d'une vie ainsi
épuisée. Par un effet de cette pitié que vous ne connaissez ni en vie ni en
peinture, vous daignerez me faire la grâce de m'envoyer un baratollo ou
plutôt un petit arbre de barbe di calcatrepuli, dont Urbin a la
spécialité, afin que je puisse me vanter d'avoir été une fois exaucé par les
dames de roche de la Maison Gonzague. Je ne me recommande pas à Votre
Excellence, pour ne pas jeter des paroles au vent. Je prie seulement le Ciel de
La maintenir longuement en félicité et santé, pour qu'Elle puisse longuement
faire litière (macello) de ses serviteurs.
Serviteur
pour la vie,
Unicus. »
(Luzio, p. 256-270.)
[108]
Nouvelle 8.
[109]
Nouvelles 9, 10.
[110]
Lettres, I, 288.
[111]
Heptaméron.
[112]
Une des dames répond tranquillement : « J'aimerais mieux toute ma vie voir les
os de tous mes serviteurs en mon cabinet que de mourir pour eux ; car tout peut
s'amender sauf la mort. » (Hept., Nouvelle 32. Cf. Nouvelle 15.)
[113]
Billon, p. 79, 70 v°, 73 v°. Cf. Dolce, Dialogo di... mariti, p. 8.
[114]
La grant Nef ; Marguerite de France.
[115]
Coquillart ; la grant Nef.
[116]
Coquillart ; JJ. 230, 20.
[117]
Clément Marot.
Je le sçay bien,
mais point ne le veux croire,
Car je perdrois
l'aise que j'ai reçeu.
[118]
Cardanus, II, 245.
[119]
Bonne Responce, p. 56. V. Dolce, Dialogo di... mariti, p. 11 v°,
14.
[120]
L'Amye de court. Dolce, Dial. di... mariti, p. 16 v°.
[121]
H. Estienne, I, 145 ; JJ. 230, 79, 145 ; 232. 63, 23.
[122]
Le Livre des Visions.
[123]
Hütten écrit : « Que dire de Samson qui, presque encore dans les bras d'une
femme, reçoit l'inspiration du Saint-Esprit ?... Et Salomon, qui eut trois
cents reines et un nombre infini de concubines jusqu'à sa mort, et qui,
cependant, aux yeux des docteurs, passe pour sauvé ? Qu'en conclure ? Je ne
suis pas plus fort que Salomon, ni plus sage, et il faut bien avoir parfois
quelque joie. Il le faut, d'après les médecins, pour guérir la mélancolie. Eh
bien, que dites-vous de ces sérieux auteurs ? L'Ecclésiaste a dit : L'homme ne
peut mieux faire que se réjouir en son œuvre. Aussi je dis à mon amie avec
Salomon : Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon épouse, tu as blessé mon cœur
avec un de tes cheveux. Que ta poitrine est belle, ma sœur, mon épouse ! Ton
sein vaut mieux que le vin, et cœtera. »
[124]
Hept., Nouvelle 15.
[125]
Hept., Nouvelle 18.
[126]
Hept., Nouvelle 13, et fin de la journée.
[127]
Liv. III, ch. V.
[128]
P. 461.
[129]
Sonnet II, édition Lannau-Rolland.
[130]
Le Franc, pp. 216-217.
[131]
Cf Dolce, Difesa... di mariti, p. 14.
[132]
V. Mme Coignet, p. 15.
[133]
Cinthio, Hecatommiti.
[134]
Rodocanachi, p. 16.
[135]
Amante, p. 170.
[136]
V. la jolie lettre publiée par M. Casanova.
[137]
Ferral, Lettere di cortigiane del secolo XVI, Florence, 1884.
[138]
Graf, pp. 27-29.
[139]
Calmo, cité par Graf, p. 30.
[140]
Rodocanachi, pp. 47, 59 et suiv.
[141]
Luzio, Federico Gonzaga, pp. 46-47.
[142]
Edition Guasti, p. 165.
[143]
Panormita, mort en 1471, avait déjà employé sa muse à pleurer les courtisanes
défuntes, par exemple :
Hoc jacet
ingenme format Catharina sepulcro ;
Grata fuit
multis scita puella procis, etc.
(Quinque illustrium, p. 15.)
[144]
Suz. Valente ; citée par Amante, p. 251.
[145]
Cortigiana, d'Arétin.
[146]
Billon, p. 60.
[147]
Diarium, de Burckhardt.
[148]
Guevara, le Favori de court, ch. XVII, p. 148 v°.
[149]
Guido Biagi ; Rodocanachi, pp. 5-6 ; Enr. Celani, le Rime, pp. 30, 45.
[150]
Müntz, Raphaël, p. 289.
[151]
Forcella, II, 104.
[152]
Pasquillorum, I, 23.
[153]
M. Volpi, append. I, cite, vers 15 :10, 210 courtisanes. M. Amante,
probablement en comptant tout, en indique 1650 (p. 227).
[154]
II, 31.
[155]
Calmo, Lettere, liv.. IV, XIII, p. 279 (A. Graf).
[156]
Ms. fr. 1747, f° 90, Epitaphium ; les Emblèmes, d'Alciat ;
Brantôme... Cf. Guevara, Epistres, 157.
[157]
Calmo (Rodocanachi, p. 10).
[158]
II, 282.
[159]
Graf, pp. 220 et suiv. ; Tassini.
[160]
« Les femmes peuvent reconnaitre nos services jusqu'à une certaine mesure et
nous faire sentir honnêtement qu'elles ne nous dédaignent pas. Car cette loi
qui leur commande de nous abominer parce que nous les adorons, et nous haïr
parce que nous les aimons, elle est, certes, cruelle... Une reine de notre
temps disait ingénieusement que de refuser ces abords, c'est témoignage de
faiblesse et accusation de sa propre facilité, et qu'une dame non tentée ne se
pouvait vanter de sa chasteté... Si en quelque chose la rareté sert
d'estimation, ce doit être en ceci. »
Et encore : « De mon temps, le plaisir d'en conter
(plaisir qui ne doit guère en douceur à celui même de l'effet) n'était permis
qu'a ceux qui avaient quelque ami fidèle et unique ; à présent les entretiens
ordinaires des assemblées et des tables, ce sont les vanteries des faveurs
reçues et de la libéralité secrète des dames. Vraiment, c'est trop d'abjection
et de bassesse de cœur de laisser ainsi fièrement persécuter, pétrir et
fourrager ces tendres mignardes douceurs, à des personnes ingrates, indiscrètes
et si volages. » (Montaigne, liv. III, ch. V.)
[161]
Le vice était incroyablement bas et ignoble encore à la cour de Charles VIII et
de Louis XII. A la suite de la cour de France se trairaient d'abjectes
loqueteuses à qui les princes faisaient l'aumône les jours de fête. (V. not.
ms. fr. 26105, n° 1214, 1244. Sur la camériste avec son dévouement billique,
voir not. JJ. 232. 87 v° ; Recueil de Montaiglon, 1, 95 ; Hept.,
Nouvelles 5, 54, etc.)
[162]
Ms. fr. 25451.
[163]
Rappelons que, sous Louis XII, ce système de double mariage n'était pas admis,
et que le roi avait exigé le renvoi de la noble dame à qui Louise de Savoie
avait cru devoir conserver son rang. (Cf. Louise de. Savoie.)
[164]
Ms. fr. 25451.
[165]
Génin, p. 378.
[166]
Rime et lettere, sonnet 40.
[167]
Quentin Bauchard, I, 63.
[168]
Cf. Guillaume Chrestien, p. 106.
[169]
II, 104.
[170]
II, 106.
[171]
V, 330.
[172]
Quelques historiens, Le Laboureur et récemment M. Lenormand ont soutenu que
l'amour d'Henri II pour Diane était purement platonique.
[173]
Cian, p. 126, 107, 80-101 ; Nolhac, la Bibliothèque, pp. 93 et suiv.
[174]
Bembo était tenu au célibat comme prélat et aspirant au cardinalat ; mais, au
point de vue des ordres, il n'avait encore reçu que les ordres inférieurs.
[175]
Encore inédite.
[176]
11 août 1535. Copie ms. ital. 1111, p. 3-4.
[177]
Lettre inédite, à Isabelle Quirina, 10 juillet 1539. Orig. ms. ital. 1111.
[178]
Gautiez, p. 243 ; Bembo, Epist., pp. 6 et suiv.
[179]
Castiglione, p. 260.
[180]
Garin.
[181]
Nifo, ch. LXXIII, XCI.
[182]
Em. Michel.
[183]
Castiglione, p. 173 ; Cf. Gérusez, I, 308 ; Discours de la court.
[184]
L. Labé, p. 60.
[185]
N. du Faïl, p. 44.
[186]
La grant Nef des folz ; Louise de Savoie. Arch. de La Trémoille.
[187]
Castiglione, p. 155.
[188]
Pontanus, De Cultu, p. 139 v°.
[189]
Castiglione, p. 211-215.
[190]
La grant Nef.
[191]
Pierio.
[192]
Avant d'être pape, Jules II avait porté le menton rasé. C'est sous son
pontificat que la discussion s'envenima. Clément VII patronna l'opuscule de
Pierio.