Enfin
nous arrivons à la conversation ! Ceci
est le but, le sanctuaire, le bonheur lui-même. Tout ce dont nous avons parlé
jusqu'à présent tend à cet objet unique : car tout vise à l'amour, et l'amour
doit se passer en paroles. Une réunion d'hommes autour d'une femme, et cette
femme parlant ou faisant parler, voilà la formule suprême et dernière de la
vie. La
conversation est donc le grand art des platonistes, mille fois plus grand que
la peinture, que la sculpture, plus grand que la musique, plus grand que la
poésie, que l'art oratoire, parce qu'il établit seul la vraie communication
d'âme à âme et qu'il a le privilège de produire toute une gamme d'impressions
inexprimées, qui se figeraient au bout d'une plume ou d'un pinceau et que la
musique elle-même rendrait mal. Aux mots qui jaillissent avec l'éloquence de
la spontanéité, s'ajoute je ne sais quelle force de vie impossible à analyser
; mille détails y concourent, l'inflexion de la voix, le geste, l'expression
des yeux, de la bouche, de tous les traits. Une eau minérale prise à sa
source a, comme on sait, des vertus singulières, qui s'affaiblissent si on la
transporte au loin, et que la chimie la plus habile ne peut pas lui
restituer. Eh bien ! il faut aussi boire l'esprit humain à sa source. Au
besoin, cela mérite un voyage. Si les
femmes n'existaient pas, la conversation n'existerait pas. Un homme qui
prétendrait causer sans subir le joug féminin n'a qu'à s'en aller de son
côté, comme Cardano, cet insupportable bavard, qui, tout en écrivant 255
volumes, a osé publier un Éloge du silence : « Jamais, s'écrie-t-il,
je ne suis plus avec ceux que j'aime que lorsque je suis seul[1]. » On serait plutôt de l'avis
de cet aimable émigré que ses amis engageaient à épouser l'objet de sa
flamme, et qui répondait : « Mais alors, où passerais-je mes soirées ? » Pour
extraire un homme de lui-même et lui apprendre ce qu'il peut donner, il faut
qu'une femme jette l'appât, et qu'un besoin de plaire, un instinct de
sympathie et puis mille riens fugaces, insaisissables, vrais microbes du
sentiment, fassent le reste. Mais nous n'hésitons pas à ajouter que, sans les
hommes, les femmes ne sauraient guère causer. On a assez souvent maudit la
loquacité[2], la médisance[3], l'indiscrétion[4], la moquerie[5], l'esprit cancanier et mesquin
des « conversations » rudimentaires et inartistiques que tiennent les femmes livrées
à elles-mêmes : ce genre de conversation ne peut pas plus s'appeler une
conversation que certaines amours ne peuvent s'appeler l'amour, ou que le
badigeonnage d'une maison ne ressemble à un tableau. Certains
petits défauts des femmes restent des défauts ou deviennent des qualités
selon qu'elles savent ou non s'en servir. Bavardes, les femmes qui savent
penser et parler le sont, et se vantent de l'être ! On ne peut appeler cela
un défaut que pour celles qui n'ont rien à dire. Marguerite de France avoue
que, quand elle prend la parole, c'est pour longtemps[6]. Quelquefois aussi, les femmes
éprouvent une certaine timidité intellectuelle, qui vient ou de leur
éducation, selon leurs amis, ou de leur tempérament, suivant leurs
adversaires ; elles se font facilement une volonté, rarement une idée[7] : leur esprit grimpe comme le
lierre sur quelque principe réputé solide, c'est-à-dire affirmé en dehors
d'elles, ou traditionnel, ou seriné dès l'enfance ; et le moindre souffle de
raillerie les y rattache plus étroitement. Cette
disposition serait fatale à un écrivain. Pour écrire quoi que ce soit, il
faut la force de penser par soi-même et de le dire virilement, au risque de
se faire une réputation d'être paradoxal ou bizarre ; niais pour causer, rien
de moins nécessaire : au contraire, le convenu est très utile. La
conversation sert à éprouver les idées courantes ; elle leur donne pour ainsi
dire une frappe, un contrôle, une estampille, et les femmes en comprennent
d'autant mieux l'utilité qu'elles en tirent grandement parti, et qu'elles se
font par-là leurs convictions. D'autre part, elles possèdent par essence ce
qui fait le jeu de la conversation : la facilité d'assimilation, sans avoir
besoin de sucer la moelle de rien, la faculté d'exprimer vite, clairement,
abondamment l'impression du moment ; la science des nuances ; l'adresse Ù
bien présenter une idée et à la soutenir avec l'onction, la grâce, la chaleur
nécessaires. Il n'en faut pas davantage. L'époque
où nous vivons, se piquant d'esprit pratique, a négligé cet art de la
conversation ; nous en avons presque complètement perdu le sens, parce qu'il
est sans prétentions, et nous le déclarons sans conséquence, sous prétexte
que nous ne sommes plus platonistes et qu'ainsi nous ne pouvons plus trouver,
dans de simples mots, le bonheur suprême de la vie. Cependant, c'est un art
d'une utilité majeure au point de vue du charme de l'existence, un vrai art,
fort intellectuel, et devenu, au XVIIIe siècle, une de nos gloires
nationales. Par l'esprit de conversation, les femmes de la maison de
Mortemart avaient acquis à leur race une illustration qui valait celle de
tous les artistes ou de tous les capitaines. Saint-Simon nous a très bien
défini le talent de trois d'entre elles, qui ne se piquaient ni de
mysticisme, ni peut-être de philosophie, Mesdames de Montespan, de
Fontevrault, de Thianges : « Leur cour était le centre de l'esprit, et d'un
tour si particulier, si lin, mais toujours si naturel et si agréable, qu'il
se faisait distinguer à son caractère unique... Toutes trois en avaient
infiniment et avaient l'air d'en donner aux autres. On sent encore avec
plaisir ce tour charmant et simple dans ce qui reste de personnes qu'elles
ont élevées chez elles, et qu'elles s'étaient attachées ; entre mille autres,
on les distinguerait dans les conversations les plus communes. » Voilà
bien l'objectif des femmes du XVIe siècle, puisque c'est le moyen de donner
aux hommes la vie éternelle, et la vie terrestre en attendant, puisque c'est
le bonheur. On ne
comprendrait guère l'empire que certaines femmes ont exercé, si l'on ne
tenait pas compte de cette puissance de la parole, et si on les jugeait par
leurs écrits, même par leurs lettres. Ainsi les écrits de Marguerite de
France (à
tort ou à raison)
n'obtenaient pas de succès : Marot, pour en faire compliment à sa chère
princesse, recourt à un subterfuge assez spirituel : « Quand je ne vois que
vos poésies, je m'étonne qu'on ne les admire pas davantage ; mais quand je
vous entends parler, je tourne bride et je m'ébahis qu'on soit assez sot pour
s'en émerveiller[8]. » Comme beaucoup
d'autres, Marguerite régna par la conversation. Quelques
gens moroses s'imaginent que les femmes qui causent n'ont rien à faire, que
les amis naissent et se groupent tout seuls, que l'art se réduit à finir sa
toilette pour le déjeuner, puis à laisser aller sa langue jusqu'au soir...
C'est bien simple, disent-ils ?... Bien simple ! Ils croient donc qu'il
suffit d'ouvrir la grande porte à certains jours, et d'offrir çà et là un
goûter d'un air compassé et réfrigérant ? « Les gens sont si clairsemés que,
quand on les a, on les doit bien cher tenir, » dit fort justement Anne de
France. Bien simple, de ne pas s'en tenir au clinquant des relations, de
s'emparer de ses visiteurs, de créer un foyer d'amis ! C'est une grande
charge ! Si, aujourd'hui, les femmes n'exercent plus, pour ainsi dire, aucune
influence sérieuse, n'est-ce pas un peu précisément par leur faute ? une
éducation superficielle et étroite les a souvent rendues incapables d'un
effort... Elles ont peur d'une conversation large et sérieuse... ; elles ne
veulent pas se gêner ni se donner de peine. Or, pour créer un cercle, il faut
qu'une femme ne s'appartienne plus, qu'elle appartienne à ses amis : elle se
« nourrit » de conversation, suivant une expression pittoresque, et,
réellement, elle en prend l'habitude au point de ne plus pouvoir s'en passer
: il faut qu'elle cause, fût-ce avec son mari. Marie d'Angleterre en arrivait
à causer avec Louis XII : Soubz
le drap couvert d'orfebvrerie, Qui
reluisoit en fine pierrerie, Passions
temps en dictz solatieux Et
en propos plaisans et gracieux. Les
deuils, les malheurs ne font que rendre la conversation plus nécessaire. De
même qu'on a causé et ri plus que jamais dans les cachots de la Terreur,
Emilia Pia, proscrite, dépouillée, persécutée, n'aurait pas pu sortir dans
une rue de Rome sans une file de prélats et d'adorateurs. Un
homme bien élevé se considère littéralement comme en droit de s'emparer des
femmes pour les faire causer. Il survint à ce sujet une bien curieuse
mésaventure à des magistrats du Parlement de Paris, obligés d'aller siéger à
Poitiers. En plein xvi' siècle, par ce temps de vie à la vapeur et
d'électricité morale, il se trouva encore une ville où, comme trois cents ans
plus tôt, les dames se seraient crues perdues d'ouvrir leurs portes. Jean
Bouchet, quoique infiniment Poitevin, a traduit l'immense éclat de rire qui
s'empara de la France lorsqu'à ces pauvres magistrats des femmes pudiques
répondirent par un judas : Non possumus. Les dames de Paris envoyèrent
elles-mêmes à leurs « collègues » de Poitiers une supplique, pour
leur demander de ne pas laisser périr de tristesse leurs maris : les
Poitevines répliquaient en rougissant : « Nous n'avons à Poitiers tel usage[9]. » Elles gardaient la tradition
de l'ennui. A Lyon,
qui est, au contraire, la ville moderne, l'écuyer Sala, se trouvant à sa
fenêtre par une belle matinée de printemps, aperçoit dans la rue trois dames
de ses parentes, en pèlerinage pour Saint-Irénée. Fondre sur elles, leur
faire jurer de s'arrêter à leur retour, est l'affaire d'un instant : et voilà
un homme heureux, sûr d'une bonne journée. Nous ne sommes plus à Poitiers.
Les dames reviennent, on dîne gaiement, on passe dans la bibliothèque ; tout
en échangeant quelques mots, une des assistantes ouvre machinalement une
Bible au chapitre des « Rois ». Il n'en faut pas davantage. Quel beau sujet !
Cette dame avoue qu'elle aime à lire « bien à l'aise » l'histoire des rois de
France ; chacun se met à parler, cite quelque haut fait royal, et ainsi voit-on
défiler Alexandre, Agis, Brennus, César, les Mérovingiens, les héros
classiques (Charlemagne, Godefroy de Bouillon), divers rois de France, Louis surnommé le
Gros, Philippe l'auguste, le noble saint Louis, tous les princes du XVe
siècle ; à la fin, Sala promet de raconter aussi une histoire de François Ier.
Malheureusement, l'heure était arrivée, depuis longtemps, de se séparer, de
s'arracher à cette ivresse ; il faut avouer qu'à leur retour ces dames
trouvèrent leurs maris ayant déjà soupé[10]. Si
c'était un esclavage, les femmes en prenaient volontiers leur parti, et les
hommes ne négligeaient rien pour le leur rendre doux. Nous avons tous connu
des hommes dressés au manège des conversations féminines, et qui en tiraient
une grande manière d'influence ; ainsi (pour ne parler que des morts), Mgr Dupanloup, ou dans un
genre différent M. Mérimée, cet échappé du XVIe siècle, extraordinairement
sceptique, mais, par scepticisme même, incurablement sensible, libre
d'esprit, libre de cœur, mais toujours appuyé sur une femme !... Les hommes
du XVIe siècle devinrent des charmeurs. Un exilé politique de Milan, issu
d'un milieu de femmes, le médecin Marliano, acquit une influence inouïe dans
les Pays-Bas par le simple attrait de sa conversation : c'était à qui
célébrerait sa « suavité », sa « céleste ambroisie », son « miel », sa « douceur[11] ». On
reconnaitrait entre mille les hommes pétris par des mains italiennes : ils
savent tout dire. Bien des écrivains d'esprit éminent auraient beaucoup gagné
à n'être pas trop sages. Personne
n'a pu se soustraire à ce charme ; et, vraiment, on comprend que les
platonistes aient cherché le bonheur dans une occupation soi-disant si
futile, puisqu'ils disent sans cesse : « J'étais heureux, on est heureux. »
Cardano, lui-même, se rappelle avec enthousiasme l'époque où il était censé
étudier la médecine à Venise : « J'étais heureux[12]... » Toujours le même mot !
Aussi l'on soignait son bonheur. « Ferrare,
dit Lamartine, ressemblait à une colonie de la cour d'Auguste, de Léon X ou
de Médicis ; des princes lettrés, des princesses héroïnes d'amour, de poésie
ou de roman, des cardinaux aspirant à la papauté, des érudits, des artistes,
des poètes, moitié chevaliers, moitié bardes, s'y réunissaient tous les
soirs, dans les salles somptueuses d'Hercule d'Este, à la ville et à la
campagne[13]... » A
Urbin, on coupait les causeries par des cavalcades, des envolées de faucons,
des bals, des jeux, de la musique ; l'existence ressemblait à un
kaléidoscope, mais l'esprit se glissait partout, comme le levain nécessaire.
Le duc était fort malade et se couchait de bonne heure ; après son départ, la
soirée continuait, et on passait des moments charmants : la jeune duchesse «
semble une chaîne qui nous tient tous agréablement unis », disait
Castiglione. On faisait cercle autour d'elle, sans apparat ni étiquette, au
hasard, hommes et femmes alternés ; outre le groupe habituel, la réunion
comprenait assez souvent quelque étranger, homme d'esprit, savant ou artiste
de passage. On parlait librement aux femmes sur le ton de l'amitié. Vers la
fin de la soirée, les uns allaient danser ou faire de la musique, les autres
continuaient à poser des questions, à narrer des contes égayés d'allégories
transparentes[14]. L'été, cette pimpante réunion
se tenait dans le jardin... Souvent,
quand nous dessinons des figures du passé, on dirait que nous n'avons pour
modèles que des loups, des lions, des animaux sauvages, ou bien un coq dressé
sur ses ergots, une poule qui pécore : ici, pour peindre cette société polie
et enthousiaste de son bonheur, il nous faudrait des couleurs qui manquent
sur la palette, les transparences du ciel de la Grèce, l'indigo de certaines
mers, l'azur humide de certains yeux... Pendant plus d'un siècle, la cour
d'Urbin passa pour le chef-d'œuvre à imiter : au XVIIe siècle, l'hôtel de
Rambouillet s'ingéniait encore à en faire la copie ; malheureusement, ces
choses-là ne se copient guère. Il
serait assez difficile de tirer de la conversation d'Urbin un ensemble de
règles d'art. On n'affichait aucun programme sur les murs. Il y eut pourtant
des principes certains : une apparente fraternité, qui allait de la parfaite
courtoisie à l'affectueuse intimité ; un sentiment réel d'égalité, de la
vraie égalité, née d'une exacte appréciation des diverses valeurs, et par
conséquent aristocratique sous cette forme ; enfin, et surtout, la liberté,
la plus absolue liberté d'esprit, l'absence d'ambitions et de prétentions, du
moins extérieures, la joyeuse habileté à s'ébattre sur les surfaces ou à
aborder sans effort et sans raideur les régions les plus vastes. Dans
toute l'Italie, la beauté un peu cicéronienne et attique de la forme joue un
rôle majeur : les hommes se distinguent par leurs grandes manières et par une
politesse qui ne sent point l'écurie. Nous ne pouvons juger de leurs façons
qu'indirectement, par leurs correspondances ; celles de Bembo, de Castiglione
et autres suffisent à nous en donner une idée : une femme pourrait y voir
comment on conquiert les suffrages des hommes en restant femme jusque dans
son style, combien l'affection, qu'elle s'appelle amour, amitié, ou
simplement bons rapports, gagne à s'épanouir finement. Les femmes jouaient le
rôle de juges ; on leur permettait, à la rigueur, de se réserver, de rester
silencieuses ou de parler franc[15] ; mais pour les hommes un air
très doux était indispensable[16] ; il fallait extérioriser le
mérite : « Le mérite ne suffit pas, s'il n'est fécondé de l'agrément, de qui
dépend la plausibilité des actions[17]. » Mais les apparences
suffisent quelquefois. Même dans leurs portraits, les hommes comme
Castiglione conservent quelque chose d'infiniment engageant et aimable, une
fleur sur les lèvres, une douceur dans les yeux[18]. Quand nous retrouverons à
Venise des portraits d'hommes énergiques, affirmés, c'est que les femmes
auront perdu leur empire ; on verra en face des portraits de femmes passives,
tout en moelleux et en volupté. Ces
lèvres si tendres qui ne s'ouvrent que pour parler aux femmes, ces yeux qui
caressent, ne sont pas trompeurs. Le ramage des hommes est imprégné d'une
douceur de colombe, d'une adoration, toute intellectuelle en apparence, pour
le beau. Castiglione, très gracieux, caressant, enjôleur, a la phrase
coulante, un peu molle, légèrement redondante, une phrase parfumée, sans
jamais aucune « saleté à la française », comme il dit[19]. Vittoria Colonna écrit à Paul
Jove une lettre charmante, où elle parle avec un grand enthousiasme de « son
» Bembo divin ; Paul Jove s'empresse de communiquer cette lettre à Bembo : « Je
vous envoie, dit-il, une lettre de votre amoureuse, l'Illustrissime marquise
; elle est jolie, elle parle de vous, je vous l'envoie tout de suite, sans
prendre aucun de ces ombrages que des rivaux sont toujours prêts à prendre,
car je suis très assuré que l'amour de Son Excellence pour Votre Seigneurie
est en tout et pour tout semblable à celui que j'éprouve pour Elle,
c'est-à-dire céleste, saint, très platonique. Son Excellence est venue
d'Ischia à Naples avec les autres divines Seigneuries : j'entends par ce mot
la sereine Amalfia et la superbe Vasta, avec la Francavila, un miroir de
vertu et vraiment une beauté unique[20]. » L'agrément
de ces relations de femmes et de prélats résulte, outre la grâce de la forme,
d'une habileté parfaite à effacer sa propre personnalité, à bien indiquer le
don de l'âme (l'indiquer, ici les apparences suffisent). Un rustre fait la roue,
s'écoute parler, se compose un sourire, recherche les mots à effet[21], petits ridicules bien plus
insupportables qu'un grand vice ! C'est par son outrecuidance involontaire
que le clergé inférieur se rend si odieux dans le monde de la Renaissance :
le moine ne parle que de son ordre, le curé croit qu'aucune messe ne vaut la
sienne et qu'il n'y a de bonne musique que dans son église[22]. Il vaudrait mieux qu'ils
fussent moins vertueux et moins ennuyeux. La
conversation peut glisser légèrement. Un aimable causeur n'est pas toujours
capable d'écrire ou de peindre des choses profondes : il y a quelque chose de
plus beau qu'un tableau, c'est la figure de la femme qui le regarde et qui en
jouit. On se moquait, et non sans motifs, de certains brillants parleurs,
habiles à se faire une réputation universelle, sans s'être rendus «
catarrheux ni maladifs » à pénétrer Horace ou Virgile, et tout simplement en
parlant de tout sur le même ton enjoué, c'est-à-dire en paraissant ignorer à
demi ce qu'ils savent, savoir à demi ce qu'ils ignorent[23] et en sachant lancer, sans
fausse modestie, un dixain de circonstance[24]. Ces causeurs-là sont, en
réalité, de très second ordre, et ne tardent pas à perdre l'équilibre. Il
arrive couramment, dans un salon, d'aborder des sujets élevés, et alors la
conversation prend des allures qui permettent de juger les hommes ; au moment
où elle paraît s'ébattre, toute pimpante et nette, elle plonge, elle
reparaît, elle s'envole, elle replonge : pour la suivre, il faut une
habileté, une force intellectuelle, une souplesse qui ne s'improvisent pas.
On peut en juger par le portrait que Castiglione nous trace du duc d'Urbin.
Le duc, malgré ses habitudes de couche-tôt, était bon causeur, comme ses
hôtes ; il avait la parole onctueuse, fine, facile, pittoresque, habile à
fixer les choses par un trait. Mais, sous cette apparence aisée et ouverte,
il possédait une instruction hors ligne. Il pouvait réciter des tirades
entières de tous les auteurs classiques, notamment de Cicéron. Il parlait le
grec ancien dans la perfection, et vivait de préférence dans l'intimité des
Grecs, surtout de Lucien, et plus encore de Xénophon, qu'il appelait « la
Sirène antique ». Nous, ajoute Castiglione, nous l'appelions « l'autre Sirène
»... L'histoire
ancienne et moderne, la géographie, la science de l'Orient lui étaient
familières. Il mourut à trente-six ans, après une longue et très douloureuse
maladie ; il avait étudié son mal, et il voyait la mort s'approcher à pas
lents, sachant parfaitement que ni la douceur du climat d'Urbin, ni les soins
les plus empressés ne la retarderaient d'une heure. Et cependant, jusque sous
le poids des dernières angoisses, il garda son esprit charmant, plein de
flamme et de sérénité. Ses amis faisaient semblant d'espérer : « Pourquoi,
leur disait-il avec douceur, m'envier un bien si désirable ? Être délivré de
ce faix de douleurs épouvantables, n'est-ce pas un bien, avouez-le ? » Au
moment d'expirer, se tournant vers Castiglione, il lui récita encore un des
plus beaux passages de Virgile[25]. Il mourut en causant. Ainsi,
avec ces nobles entretiens, tout rayonnants de bonté, on endormait jusqu'à la
douleur. Naturellement,
on parlait souvent philosophie et amour ; c'était pour raffiner ses
sentiments, pour s'analyser, pour se poser d'ingénieuses questions, qu'on
scrutait à loisir[26], pour intellectualiser l'amour
; par exemple : «
Est-il plus facile de simuler l'amour que de le dissimuler ? Réponse :
Oui, parce qu'un acte volontaire est toujours plus facile qu'un acte
involontaire. Est-il
plus méritoire pour l'amour de mener le sage à la folie que le fou à la
sagesse ? — Non ; il vaut mieux édifier que détruire, et l'on ne peut rien
édifier sur la folie. L'excès
d'amour tue-t-il ? — Galien dit oui ; indirectement, par maladie. Qui
aime le plus facilement ? — La femme, à cause de sa nature variable. Qui
peut le mieux se passer d'amour ? — La femme. Qu'y
a-t-il de plus facile, gagner l'amour ou le garder ? — Le garder. Après
la persévérance, quelle est la meilleure preuve d'amour ? — Le partage des
joies et des peines. Qui est
le plus fort, la haine ou l'amour ?— L'amour. Un
avare peut-il aimer ? — Oui, l'amour peut détruire l'avarice. » Et
ainsi de suite. Bembo
nous a raconté, dans un petit livre dédié à Lucrèce Borgia — objet de son
admiration passionnée pendant trois ans —, trois journées de conversation,
tenues à l'issue et à propos d'une noce. Après une fête charmante, où des
jeunes filles, armées de violes harmonieuses, avaient tour à tour chanté des
hymnes pour ou contre l'amour, trois demoiselles étaient restées à discourir
avec trois gentilshommes, sur un gazon fleuri, parmi les bassins de marbre et
les bosquets taillés. On
donne à l'amour un détracteur d'office, qui en fait consciencieusement valoir
les amertumes, les désespoirs, les larmes, les révoltes, les catastrophes. La
discussion s'engage, si pénétrante, si émouvante, que parfois de vraies
larmes coulent. On se moque un peu des gens perpétuellement ardents, qui
arborent une salamandre pour emblème. Mais avec quelle chaleur les amis de
l'amour le défendent, ce dieu, nu, parce qu'il est dénué de raison ; enfant,
parce qu'à l'instar de Médée il insuffle une jeunesse éternelle ; la torche
en main, parce que, à son école, on se brûle les doigts ! C'est vers cette
petite torche que le monde entier voltige et gravite comme une immensité de
papillons, pendant que l'archer divin vise au cœur ses victimes. L'amour,
ajoutent-ils, est la force et la vie. Quanti on aime, on ne craint pas la
mort... Un des interlocuteurs, dans son emportement, déclare même appeler la
mort, et comme on lui reproche de ne pas savoir ce qu'il dit, il insiste et
explique sa subtile langueur ; il appelle la mort, mais il ne la désire pas,
ô condition misérable ! Malgré l'extrême gravité et la conviction avec
lesquelles on traite toujours, en Italie, ces questions de cœur, les
interlocuteurs ne peuvent ici réprimer un sourire. Mais le discoureur ne voit
rien, il s'échauffe : son martyre n'est que trop sérieux ; la flamme de
l'amour ne peut s'éteindre que dans un « lac de pleurs » !... Et un autre
répond : « Quand vous voyez dans les sanctuaires fameux un tas d'ex-voto qui
témoignent des mille et mille périls de la mer, allez-vous nier ces périls,
ou vous résigner à ne jamais mettre le pied sur un bateau ? Non, n'est-ce pas
? Eh bien ! de même, il faut prendre son parti des traversées amoureuses, »
et là-dessus il en décrit chaleureusement les avantages. Au bout
de trois jours, un ermite clôt l'entretien par une petite dissertation
calmante, sur la vanité du monde[27] ! Naturellement,
même en Italie, la conversation ne plane pas toujours à de pareilles
hauteurs. D'un grand sujet on passe à une tète d'épingle ; c'est un talent de
faire quelque chose avec rien ! Le premier venu n'a pas l'esprit de dire sous
une forme inédite qu'il pleut, qu'il fait beau, et de lancer là-dessus une
fusée de paradoxe ! Qu'importe l'idée, si le trait qu'elle décoche part bien
? autant vaut la toile d'un tableau ! On s'étend à loisir sur un grand sujet
: sur les petits, on n'appuie pas, on rit, on pleure, on brille, on est
aimable, joyeux, élégant, coquet, artiste[28] ; tout est bon, avec une touche
nette, vive, fine. La conversation a pris un cachet féminin qu'elle n'avait
pas dans l'antiquité ; c'est l'art de faire la cour à une femme en tout
honneur. Les
Français n'aiment point cette tournure sentimentale et émue. Ils causent pour
s'amuser, pour rire. Rire est leur grosse affaire ; il est de bon goût de
tout prendre en riant, même les affaires du cœur ; il suffit qu'un sentiment
soit vrai, pour paraître ridicule, au rebours de l'Italie, où le sentiment
faux s'applique à paraître vrai ; de même, il ne convient pas de parler de
questions sérieuses, de ne pas se présenter comme un homme absolument futile,
incapable, fort au-dessus (ou au-dessous) de toute littérature[29] ; en revanche, on aime
l'imprévu, les phrases courtes, les parades, les ripostes vives[30] ; c'est un duel ; les Français
de cette époque sont inimitables de verve et d'esprit ils ont une aisance,
une forme alerte, vraiment uniques. Quand les Italiens veulent les imiter,
ils n'arrivent qu'à perdre leur onction et à se donner des airs godiches[31]. Autour
de François Ier, on cause, on flirte sans précautions platoniques. S'il vient
un bon mot, on le dit franchement, vertement[32], et avec des gestes !... Comme
l'observe La Bruyère, « il coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles ne
sentent point, il coûte encore moins aux hommes de dire ce qu'ils sentent[33], » et plus ils le disent
crûment, plus ils passent pour joyeux compères[34]. Une femme du monde peut tout
entendre ; elle répondra « oui », « non », sans jamais s'offenser[35]. Plus la
domination de l'homme s'affirme, plus cette liberté de parole et d'action
s'accentue, et il arrive que les femmes, pour se hausser jusqu'aux hommes, ne
croient pouvoir mieux faire que de parler un langage de corps de garde, de
citer couramment les livres les plus salés[36], elles vous font cadeau de leur
jarretière. Naturellement, les hommes approuvent fort, ne détestant pas les
femmes commodes à prendre et à laisser. Un Allemand délectera une jeune
personne, sa voisine de table, en lui disant de grosses bêtises, par exemple
de boire beaucoup, de se décolleter hardiment, de montrer sa jambe, de
chercher ses puces, ou bien, pour paraître intellectuel, il lui soutiendra
que le mal n'existe pas, que c'est une invention humaine[37]. Un autre admettra qu'on
plaisante sa femme ou sa fiancée[38]. Rabelais, Hutten sont les
dieux de cette école de conversation. Savonarole, en sa qualité de moine
populaire, y a quelquefois confiné, lui aussi ; çà et là dans ses sermons, il
y a des mots à faire rougir un cuirassier[39]. Le
platonisme italien n'est pas ennemi du rire, tant s'en faut : le soir, après
dîner, à l'heure actuelle du cigare, les gens d'esprit, gais et sans souci — trois
conditions que le cigare à lui seul ne remplacerait pas —, rient ferme et en
comptent d'assez bonnes pour se reposer de l'idéal ; seulement, comme les
femmes sont là, et que jamais on n'aurait seulement l'idée de se passer
d'elles, la forme reste toujours plus soignée. Le platonisme, délicat,
correct et très révérencieux, ne se départ pas d'une phraséologie exquise,
même en racontant des gaudrioles, même quand il n'y a pas à se gêner. Les
Français, au contraire, rient un peu fort, après dîner, ou bien par une de ces
après-midis massives où le ciel terne nous prend comme dans une souricière.
Notre besoin de gauloiserie ne s'est jamais laissé arrêter par les
observations des moralistes[40], ni des prédicateurs. Les
femmes ne parvinrent pas davantage à trier nos sujets de conversation ; il
fallait ou nous abandonner à nous-mêmes[41] et passer pour ennuyeuses, ou
se mettre au diapason. Le dilemme paraît délicat. Elles affrontent le feu et
se bornent à ne pas rire de certaines plaisanteries ; mais, dans leur for
intérieur, elles préfèrent l'homme bien à elles, qui sait se montrer pieusement
doux. La
conversation se compose naturellement de dialogues. Dès qu'elle s'élève un
peu, il faut, pour soutenir celui qui parle, un contradicteur. On dit que la
contradiction est l'affaire des femmes, et La Fontaine a répété à ce propos
le vieil apologue sur la femme noyée dont le cadavre avait dû certainement,
par esprit de contradiction, remonter le fil de la rivière[42]. Cela
peut être vrai des femmes frustes, mal débrouillées, des bonnes ménagères
étrangères aux artifices du goût. La femme du monde préfère profiter de tous
ses privilèges, elle plane sur la conversation et ne s'y mêle que pour lancer
un mot, une critique, urne réflexion, un argument, ou pour conclure : par
exemple, au milieu d'une discussion sur l'amour, Marguerite jette cet
aphorisme que « les femmes de grand cœur » cèdent plutôt à « l'esprit de
vengeance qu'à la douceur de l'amour[43] ». Il faut
souvent qu'un homme se dévoue au rôle de contradicteur d'office ; les
gourmets apprécient assez ce petit jeu et s'en acquittent avec conviction ;
du moins, s'ils n'en ont pas, ils en mettent. C'est même un vrai
dilettantisme de soutenir tantôt une idée, tantôt l'idée contraire, comme
Philippe de Beroalde, qui nous a conservé deux de ses dires, un pour
l'ivresse, un contre. La question des qualités et des défauts des femmes
fournit en France un thème inépuisable à controverses mondaines, et il ne manque
pas de gens pour y prendre parti : en Italie, elle a moins de succès, parce
que les rangs des antiféministes sont clairsemés. Cependant, à Urbin[44], Fregoso se dévoue au rôle
ingrat d'attaquer les femmes, et bravement il les traite d'animaux
imparfaits, sans valeur intrinsèque, impossibles à comparer aux hommes,
sensibles seulement aux freins matériels de pudeur ou d'amour-propre, très
facticement dotés de quelques qualités. Cependant,
comme on ne peut toujours dialoguer ni discuter, les habiles narrateurs
d'anecdotes, d'histoires, de farces, sont très à la mode ; certains hommes du
monde poussent ce talent à la perfection. Ici encore, parmi les conteurs
spirituels, nous retrouvons un Mortemart, Aimery de Mortemart[45]. On citait aussi Germain de
Bonneval. Les
narrations comportent en Italie l'espèce de gravité et de discipline qu'on
retrouve partout : chacun parle à son tour sur la désignation d'une « reine »
qu'on a commencé par élire[46]. Elles arrivent très facilement
au genre poivré, mais l'art ennoblit tout ! Firenzuola en dédie un recueil[47] à la mémoire d'une dame
idolâtrée, qu'il appelle sa Diotime, sa Monique, sa Vittoria Colonna[48]. En
France, elles tiennent beaucoup de place et remplissent des après-midis entre
messe et vêpres ; celui qui va parler, averti d'avance, prend ses précautions
et, tout en écoutant les autres, il aiguise sa pensée. L'Heptaméron
n'est pour ainsi dire qu'une suite de conférences sans estrade et sans eau
sucrée. où chaque assistant fait sa réflexion. On en entend quelquefois d'un
peu vertes : quand l'anecdote doit dépasser une certaine limite, l'orateur en
est quitte pour une légère précaution préliminaire : Si
ce n'estoit que j'ay peur d'offenser La
netteté de vos chastes oreilles[49]. Marguerite
de France, qui n'était pas spécialement farouche, « savait bien dire un conte
et de bonne grâce, et en rire aussi quand on lui en disait un ». Un
autre art, très apprécié encore, très élégant, très joli, très répandu, est
celui des impromptus en vers. Un jeu de fins lettrés et de prélats ! Léon X[50], Octovien de Saint-Gelais y
excellaient[51]. Les
bouts rimés, ou « Ventes d'Amour[52] », quoique un peu anciens,
fournissaient aussi leur contingent. Un homme lançait à une femme, ou vice
versa, un nom de fleur, et il fallait répondre par un vers, tourné autant que
possible en épigramme ou en compliment. Pour faciliter les improvisations, on
publia des manuels de rimes galantes[53]. Tel
était le bonheur ! C'est pour jeter l'ancre dans ce port de la conversation
sous ses diverses formes, qu'on avait orienté la vie entière, avec les mille
précautions et habiletés que nous avons racontées ! Et on se payait de ses
peines par la satisfaction de rapprocher les âmes. de les unir étroitement,
de les fondre en un affectueux enthousiasme. La parole écrite n'arrivera
jamais à un pareil résultat ! Les vrais délicats, comme Inghirami, trouvent
qu'on écrit trop, et s'ils prennent la plume, c'est par nécessité, ou tout au
plus pour conserver à la postérité les conversations, les Nouvelles, les
petits sonnets qui leur ont paru jolis ; quand on exige d'eux une œuvre de
longue haleine, ils se drapent dans un air solennel et grave, comme des gens
qui vont au cimetière. Tous ces brillants causeurs vivent paisibles, intimes,
sans trop changer de place, sans la trépidation morale que nous donnent le
chemin de fer et les télégraphes : ce sont des insouciants d'âme profonde, un
peu orientaux, persuadés qu'on n'existe ici-bas qu'une seule fois, des riches
qui jettent leur esprit par les fenêtres, sans chercher à l'économiser pour
en vendre des spécimens à une foule anonyme. Ils jouissent, dans toute sa
plénitude, de cet adorable plaisir de laisser partir d'elles-mêmes les idées
au hasard ; elles s'envolent, cela est vrai, on ne les revoit plus, elles
éclatent dans l'air comme des bulles de savon ; mais il reste de quoi en
faire d'autres. Voilà
le grand royaume des femmes. La mission des femmes consiste à faire éclore le
bonheur que voilà, à le surveiller, à le conserver, à en tirer le parti
convenable, à faire fructifier ces bulles de savon. Ce
devoir, comme tout autre, a des lois austères. Il ne suffit pas d'être «
reine » par élection, ou même par droit de naissance, pour se croire arrivée
à un résultat. Le
gouvernement féminin ne s'impose qu'à force de patience, de tact, de
précision, et surtout au prix d'une véritable abnégation. Combien de petits
ennuis, que d'épreuves à subir ! Composer avec l'Espagnol sévère ou le
Napolitain vantard, se résigner à entendre un Français disserter sur sa
chasse et sur ses modestes revenus, un Milanais ou un Génois parler de ses
affaires[54], et puis, tout doucement, presque
subrepticement, par simple instinct e finesse[55], opérer la sélection, retenir
par un accueil facile et loyal ceux à qui on sent du mérite, se lier avec eux
en leur parlant leur langue, sagesse aux sages, piété aux dévots, intérêts
pratiques aux administratifs, gaîté aux jeunes, et les acheminer ainsi tous
vers le perfectionnement requis. Du reste. pour cette éducation élémentaire,
il suffit à une femme de se maintenir dans des données élémentaires,
autrement dit d'éviter les cancans et les commérages. Mais comme son rôle
devient difficile, lorsqu'elle a en face d'elle des hommes d'esprit, de cœur
chaud, de tempérament vif ! Il est vrai qu'il ce moment aussi il devient
intéressant, et qu'elle en tire elle-même un profit qui compensera sa peine :
« Mesdames, s'écrie Champier, si vous voulez prendre du plaisir à
deviser avec les hommes, choisissez du moins ceux qui peuvent vous rendre
meilleures et vous guider[56]. » Il ne s'agit plus de se
retirer sur le Mont Aventin et, à tout propos, de se croire perdue[57] ; il faut dresser et tenir en
bride ces hommes difficiles[58], connaître la puissance d'un
mot, d'un geste, d'un silence[59]. Se
retirer sur le Mont Aventin ! Mais ce serait criminel ! La parole est
l'aumône nécessaire à porter partout où il existe une misère morale. La
conversation n'est pas qu'un plaisir ! Si on tente, vers le beau, un grand
effort, c'est que le règne du beau doit assurer efficacement le règne du vrai
et du bien. Croit-on qu'une femme puisse se cantonner dans son salon, et
qu'il lui suffise de se montrer belle, aimable, douce, spirituelle, tendre
vis-à-vis des hommes dignes de composer sa société ? Point du tout ! La femme
est reine, parce qu'elle est rédemptrice. Présider ou même organiser des
œuvres de charité..., envoyer de l'argent aux misérables sans regarder
par-dessus les murailles quels hommes souffrent et meurent..., ce serait la
négation même du but social de la conversation. Par la conversation, une
femme se met en face des réalités. Il faut qu'elle se montre en personne aux
misérables, elle leur doit son sourire, sa beauté et sa grâce : oui, elle
doit être belle, aimable, douce, spirituelle, tendre, pour ceux qu'aucun
rayon du Ciel ne console ; elle doit saluer les petits, et quand même elle ne
pourrait leur parler le langage de Platon, elle ne doit pas moins les soigner
par la grande et suprême médecine du beau, les entretenir de leurs intérêts,
de leurs soucis, causer avec eux, répandre pour eux sa manne d'espoir, de
patience et, s'il se peut, de lumière[60]. Maintenant,
on nous demandera peut-être combien de femmes se sont montrées à la hauteur
de cet apostolat du beau, et si, en pratique, nous pouvons en citer beaucoup.
Certes, beaucoup ! Malgré le caractère un peu trop artistique que le
platonisme donne aux relations mondaines, plus d'une femme tire simplement de
son cœur un commentaire que n'avaient trouvé ni Ficin, ni Bembo. En France,
nous citerons Anne de France, comme très convaincue du devoir social de la
conversation. En Italie, les personnalités les plus hautes, Isabelle d'Este,
Vittoria Colonna, légèrement enivrées de Beauté, ne fréquentent guère que les
prélats, les princes, les lettrés, et, sous ce rapport, on a peut-être raison
de reprocher à la Renaissance de trop raffiner ; cependant elles ont à un
rare degré le talent de dégager une atmosphère de douceur. A Urbin, près d'une
cour de province, assez fermée, on respire, jusque dans les échoppes
d'artisans, un air ambiant délicieux ; Raphaël fleurit tout naturellement ;
mille petits épisodes de la vie locale nous apportent des traits de grâce et
d'amabilité. L'influence est indirecte, mais très puissante. LA CORRESPONDANCE Il
semblerait logique de considérer la correspondance comme le complément de la
conversation, comme une conversation à distance. Mais non, c'est une parole
écrite, que par conséquent on n'aime guère, et dont on se défie, à cause des
hasards. Pourtant certaines femmes intellectuelles du lm° siècle témoignent
encore là d'une activité inouïe. On les croirait tout à leurs cosmétiques ou
à leurs amis. Eh bien ! leur esprit, leur vivacité les emportent ; la plume
parait trop lente à leur pensée frémissante. Souvent, dans les lettres de
Giulia Gonzaga, on voit que cette dame a arraché l'écritoire à son secrétaire
dès la troisième ou quatrième ligne, et qu'elle a achevé elle-même son épi
ire, rapidement, sans se soucier de rhétorique, ni de calligraphie, ni de décorum[61]. Les
lettres trahissent graphologiquement bien des petits secrets philosophiques
qui ne sont pas à dédaigner. Les écritures du XVIe siècle — généralement
indéchiffrables, surtout en France — sont de hautes écritures, libres, très
nerveuses, très personnelles, affranchies du caractère méthodique et positif
d'autrefois ; le trait est fin, distingué, un peu sec, sujet à toute sorte de
crochets, d'abréviations et de soubresauts. Quel « miroir de l'âme » que
cette écriture de Marguerite de France, serrée, compliquée, ou celle de la
duchesse d'Etampes, sèche, nerveuse, ferme, hautaine, saccadée, irrégulière[62] ! Vittoria
Colonna est claire, simple, un peu masculine, mais également nerveuse,
saccadée, pleine d'abréviations et de grands traits[63]. Rien qu'à regarder les lettres
de ces femmes dominatrices, on se sent pris de pitié. Les malheureuses ! de
combien de tourments secrets, d'inquiétudes, d'agitations, elles pétrissent
notre bonheur et notre paix ! Devant ces documents humains, devant ces
écritures pleines de nerfs, on se demande s'ils ont bien raison, les docteurs
qui assurent que, pour verser le bonheur à autrui, il faut d'abord le
posséder soi-même. Est-ce au prix de son bonheur, ou au prix de son sang, que
le Christ nous a rachetés ?... Je ne sais si je me trompe, mais dans ces
blessures de l'écriture je crois voir quelquefois comme une goutte de sang.
Les hommes, au contraire, sont heureux. L'écriture de Castiglione a des
allures élégantes et tranquilles, unies, légères, un peu tourmentées, mais
tourmentées d'affectation, en hauteurs et en astragales[64]. Bembo conserve paisiblement la
vieille forme courte, grasse, appuyée[65]. Le
style des lettres confirme aussi ce qu'on a pu déjà entrevoir au sujet des
relations sociales. On se gêne fort peu dans les lettres de famille ; elles
sont simples, brèves[66], officiellement affectueuses,
d'une banalité presque stéréotypée ; on n'y parle guère que des choses
matérielles de la vie, affaires, médecine, santé, événements domestiques[67] ; quant à la partie sentimentale,
on y insiste peu, probablement parce que les sentiments familiaux sont
nécessairement sincères. Au
contraire, les lettres pour les amis, si nombreuses en Italie, sont
charmantes, tendres, gracieuses, souvent avec un joli mot de la fin : « Votre
petite sœur..., qui aime Votre Seigneurie autant qu'elle-même ; Isabelle, de
sa propre main. » Ces
derniers mots, « de sa propre main », ne sont pas inutiles, car une femme
élégante, ne se piquant pas de style télégraphique, est obligée, par principe
et par dignité, de laisser autant que possible la plume à son secrétaire.
Malheureusement, le secrétaire, qui ne tient pas à passer pour un simple
scribe, soigne le style, retouche les périodes, de manière qu'à moins d'avoir
un autographe sous les yeux on ne sait jamais trop, dans ce qu'une femme
écrit, ce qui vient d'elle. De plus, une femme un peu connue sait que sa
lettre sera montrée, peut-être même transcrite ou publiée ; Bernardo Tasso,
Arétin et bien d'autres ont vu sans frémir une partie de leurs
correspondances active ou passive former des livres ; les lettres les plus
intéressantes de Vittoria Colonna ont paru dès le XVIe siècle. On peut donc
dire que les lettres tiennent le milieu entre la conversation et le livre :
elles sont à demi imprimées. Il n'y a directement de leur auteur que la
signature et les quelques mots autographes qui la précèdent. Cela n'empêche
pas les correspondances de la marquise de Pescara, d'Isabelle d'Este, de
former des recueils délicieux et bien caractéristiques. Après
une visite d'Isabelle, la duchesse Elisabeth d'Urbin lui adresse ce billet : « Je
ne sais comment guérir le chagrin que m'a laissé le départ de Votre
Seigneurie : il me semble que j'ai vu partir non pas seulement une sœur
tendrement aimée, mais que mon âme même est partie ; il me faut vous écrire à
toute heure, et ce que je voudrais vous dire de bouche, y suppléer avec ce
papier[68] : si je pouvais y exprimer
clairement mon chagrin, je suis sûre qu'il aurait tant de force que, par
compassion, il ferait retourner en arrière Votre Seigneurie. Si je ne
craignais de lui être à charge, je crois que je n'hésiterais pas moi-même à
la suivre. L'une et [autre chose ne se peuvent : ma seule ressource est de
prier Votre Seigneurie de penser à moi aussi souvent que je la porte dans mon
cœur[69]. » On
pourrait citer bien des types de cette grâce délicate et douce, presque trop
douce[70]. Emilia Pia, par exemple, une
des causeuses d'Urbin, écrit à leu près comme elle parle, avec un enjouement
parfait, et toujours avec pareille vivacité, qu'il s'agisse de recettes de
toilette ou de philosophie[71]. Les hommes ont le même charme
et quelquefois se croient autorisés à employer les mêmes délicieuses formules
de tendresse. Brocardo appelle Marietta Mvrtilla « ma très douce et chère
petite sœur..., ma douce et unique petite sœur, aimée comme mon propre cœur
», et signe : « Ton très doux, très doux Brocardo[72]. » Ce que
peut et doit respectueusement écrire -à une femme du monde un homme bien
élevé, nous le voyons dans une, lettre de Castiglione (alors
ambassadeur en Espagne),
à Vittoria Colonna : « Il a, dit-il, éprouvé tant de joie des victoires -du
marquis, que tout d'abord il n'a pas voulu écrire une lettre : une lettre,
c'est trop banal ! on en écrit pour des événements bien moindres. Il avait
pensé à des feux d'artifice, des fêtes, des concerts, des chants, et autres
démonstrations bruyantes, que des motifs très raisonnables lui ont montrées
inférieures au propre concert de son cœur : et alors il est revenu à l'idée
d'une lettre, persuadé que la marquise saura voir ce qu'il a dans l'âme,
encore que ses paroles ne l'expriment pas. » Et il s'étend sur ce don (le la
divine marquise de pénétrer dans les cœurs, et d'y lire ce qu'on ne dit pas,
il la félicite de la joie qu'elle doit éprouver. « Et quant à ma servitude
envers elle, je la prie de s'en informer près d'elle-même et de s'en croire
elle-même, car je suis sûr qu'elle ne se mentira pas à elle-même, sur ce que,
non seulement elle, mais tout le monde voit transparaître dans mon âme comme
dans le plus pur cristal. Et ainsi je reste en lui baisant les mains, et en
me recommandant hum-liement à sa bonne grâce. Madrid, le 21 mars[73]. » Deux
ans après, il lui écrit à propos de la mort de son mari : « Les calamités
sont venues comme un déluge. Je n'osais pas d'abord écrire à Votre
Seigneurie, car je la tenais pour morte avec le marquis, et aujourd'hui, en
toute vérité et avec admiration, je tiens le marquis pour vivant dans Votre
Seigneurie. » Veut-on
d'autres spécimens de lettres gracieuses et un peu quintessenciées ?
Castiglione écrit ceci à la célèbre marquise Hippolyte-Florimonde Scaldasole[74] : « Très excellente dame,
si Votre Seigneurie avait à cœur de vivre sans cesse dans ma mémoire, autant
qu'il me serait infiniment doux de vivre dans la vôtre, je désirerais fort
lui en apporter le témoignage par cette lettre, puisque, pour le moment, je
ne puis faire autrement. Mais comme Votre Seigneurie a montré au monde, avec
tant d'autres dons supérieurs, qu'elle était femme vaillante sous les armes,
et non seulement belle, mais encore belliqueuse, comme cette autre Hippolyte,
je crains qu'elle ne se soit un peu élevée en fierté et qu'elle n'ait oublié
un peu ses serviteurs, ce que je ne voudrais guère ! Aussi ai-je tenu à vous
écrire et à prier Messer Camille Ghilino[75], mon très cher ami, de vous
parler pour moi et de vous dire qu'en Espagne, comme à Milan et à Pavie, je
suis vôtre ; et que, quand je suis venu à Pavie, où me conduisait l'armée,
ces murs, ces remparts, ces tours, cette artillerie, toutes ces choses me représentaient
Votre Seigneurie, sachant qu'elle était derrière, et toute animée de la
pensée de combattre contre un si grand prince que le roi de France ; vous
avez vaincu, et je crois que maintenant personne ne sera plus assez hardi
pour combattre contre vous. Votre Seigneurie daignera le croire comme
moi-même, et, si elle n'est pas la dame du monde la moins aimable, je la
supplie de me souhaiter d'être à Milan et où elle est ; blesser Camillo
pourra bien dire quelle différence c'est de se trouver en si douce compagnie
que celle de Votre Seigneurie ou de se trouver en Espagne. Je vous baise les
mains, et toujours me recommande à vous, bien désireux de savoir que ce benedictus
fructus soit récolté par un agriculteur qui en soit digne. » (A Tolède, ce
21 juin 1525.) En
somme, la lettre ressemble nécessairement à la conversation. En Italie,
toujours c'est la note douce qui domine, la note enjôleuse, caressante, même
lorsqu'elle est gaie. Certaines lettres de Bibbiena sont véritablement
pleines de cœur, et cependant on ne peut pas citer d'homme plus gai ; il ne
demande qu'à s'échapper. Isabelle d'Este lui reprochait de ne plus venir à
Mantoue : « Comment, riposte-t-il avec une indignation très peu sincère,
comment a-t-on pu faire entrer dans ces petites oreilles si délicates tant de
grosses accusations contre moi !... Ici, je vois votre fille, qui me parait
être toute la Sérénissime Madame sa mère. Direz-vous encore que je suis un
libidineux, et, parbleu, cela est vrai comme si le Christ l'avait dit :
voulez-vous que je jure autrement ?... Bien dévotissement, je vous baise les
mains, et à ma chère dame Alda je me recommande un million de fois[76]. » L'aimable prélat faisait
alors à Mlle Alda Boïarda, dame d'honneur de la marquise, une cour très
fervente et qui n'avait peut-être pas beaucoup plu à tout le monde. C'est
encore un usage extrêmement italien, et charmant, de se rappeler au souvenir
de ses amis par un petit présent. Vittoria Colonna envoie à Bembo son
portrait avec quelques vers de sa main : « Vers clairs et légers ! s'écrie
Bembo, écrit plus pénétrant qu'une simple lettre ! » ou bien elle charge un
de ses amis, qui allait à Mantoue, de porter au marquis de Mantoue « des
paroles aimables et humaines », avec un petit souvenir quelconque. L'ami crut
bien faire d'offrir un sachet de roses ; le marquis s'empressa de remercier
directement la donatrice avec un tendre respect : Vittoria, en termes très
affectueux, s'excuse, pour la forme, que son envoyé l'ait « assez peu honorée
» pour offrir un souvenir si modeste[77]. Nous
devons à la vérité de convenir que les femmes françaises se montrent, en
cette matière, beaucoup moins femmes, et c'est pourquoi nous insistons sur le
charme de leurs voisines. Les plus italianisées n'ont pas su atteindre cette
grâce câline. Dans toute la correspondance de Marguerite de France, on ne
trouvera pas une lettre qui rappelle celles que nous venons de citer presque
au hasard. Marguerite s'est pourtant bien appliquée (et même on le
sent), mais sa
langueur n'aboutit guère qu'à la prolixité. Il ne faut point forcer son
talent ! Renée de France, qui fut duchesse de Ferrare, n'acquit jamais le tour italien ; elle continua à écrire brièvement à la française[78]. Diane de Poitiers[79], la duchesse d'Estampes nous étonnent par la précision, presque aride, de leur style : elles en auraient remontré au meilleur procureur, rien ne trahit une envolée de passion ni une finesse de cœur. La jeune génération du temps de Henri II se rapprocha un peu plus du bon langage ; les deux filles du roi, Madeleine et Marguerite, ont une écriture calme, fine, droite, uniformément appuyée, large, nette, très distinguée, et elles emploient des formules douces, aimables, des phrases vraiment affectueuses[80], surtout dans l'intimité[81] ; mais, elles aussi, elles excellent dans le petit billet, et les plus gracieuses lettres sont toujours très courtes[82]. Le grand charme reste le secret de l’Italie. |
[1]
De Prudentia civili, ch. I, ch. XXIX ; Opera, I, p. 53, 596.
[2]
« Comme langue, sept hommes ne valent pas une femme. » (Erasme, Colloquia.
Puerpera.)
[3]
« Qui de tout se taist, de tout a paix » (P. Meyer, p. 565) ; Anne de France,
p. 101-102. Cf. Les La Trémoille, III, 40 ; le Discord dey trois
chevaliers : Christ. de Pisan, les Trois Vertus.
[4]
Noël du Fall, Contes et Discours, ch. XXXIII ; Amyot, les Œuvres
morales, Du trop parler.
[5]
Eloi d'Amerval ; Anne de France, p. 84-92 ; Champier, le vraye Amour ;
Vivès.
[6]
Hept., Nouvelle 10.
[7]
Guevara, Épistres dorées, I, p. 265 ; Vivès.
[8]
P. 247.
[9]
Épistres familières, n° 75, 76.
[10]
Ms. fr. 10420 ; dédicace publiée par M. G. Guigue, pp. 34 et suiv.
[11]
Buslniden, cité par Néve, p. 113.
[12]
Il ajoute : « Nous jouions, nous faisions de la musique, nous nous promenions,
nous soupions, nous travaillions (quoique rarement) ; aucun ennui, aucun souci
!... nous fréquentions les nobles vénitiens ; la verdeur de ma vie
s'épanouissait. Rien de plus agréable que cette vie, qui dura cinq ans et demi
(de septembre 1526 à. février 1532) ; nous causions avec le préfet, son palais
était notre royaume et nos rostres... » (De Vita propria, ch. XXXI, Op.,
t. I, p. 22.)
[13]
Voir E. Rodocanachi, Renée de France, p. 69-71.
[14]
Castiglione. liv. I. Cf., sur la cour d'Isabelle d'Este, Lod. Frati, dans l'Archivio
st. Lombardo, 1898, p. 350.
[15]
Nifo, De Muliere aulica, ch. III.
[16]
Nifo, De Re aulica, ch. XV.
[17]
B. Grecina, l'Homme de cour, p. 315.
[18]
Portrait de Castiglione par Raphaël.
[19]
P. 237, 367.
[20]
Cian, Un decennio, p. 165.
[21]
Montaigne.
[22]
Comme ce bon curé, qui, voyant une femme pleurer s chaudes larmes à la suite
d'un superbe exultet, s'approche charitablement pour la consoler de ce
qu'il croit être le résultat de la musique, et s'arrête terrifié devant la
réponse de la bonne femme : « Ah ! j'ai cru entendre mon ane qui vient de
mourir. » (Bareleta.)
[23]
Voir ce portrait du beau parleur, par Marguerite de France. Poésies, Le
Franc, p. 161.
[24]
Du Bellay, II, 67 et suiv.
[25]
Lettre à Henri VIII.
[26]
Nifo, ch. LXXI : Quœstiones amatoriæ.
[27]
Gli Asolani.
[28]
Nifo, De Re aulica, ch. XVI.
Ô liberté
aujourd'hui clairsemée
Et cher vendue,
on te doit bien servir,
Car en tous
lieux souvent est réclamée.
(Alloma)
[29]
Castiglione.
[30]
Voici un spécimen de ces ripostes : « Comment, Daffloin, dit Simontaut,
êtes-vous encore à savoir que les femmes n'omit ni amour ni regret ? ? — Je
suis encore à le savoir, dit Dagoucin, car je n'ai jamais osé tenter leur
amour, de peur d'en 4ffliver moins que j'en désire. — Vous vivez donc de foi et
d'espérance, dit Nomerfide, comme le phivier du vent ? Vous êtes bien aisé à
nourrir. » (Hept., Nouvelle 32.)
[31]
Castiglione, p. 238.
[32]
L'Amye de court.
[33]
« Les femmes, quand elles se confessent, disent toujours ce qu'elles n'ont pas
fait. » (Vieux proverbe italien. Bonne Responce, p. 44.)
[34]
Castiglione.
[35]
Coquillart.
[36]
C. Agrippa.
[37]
Dedekind.
[38]
Albert Dürer, etc.
[39]
Sermon 12e, édition de Venise 1544, p. 124.
[40]
Facelus.
[41]
Burckhardt, p. 146 ; Castiglione, p. 299.
[42]
Voir cet apologue dans Facéties et Mots subtils, p. 187.
[43]
Hept., Nouvelle 62.
[44]
Castiglione, p. 301, 250, 262, 26t.
[45]
Louise de Savoie, p. 262.
[46]
C'est le système qu'on a essayé de faire revivre dans certains salons spéciaux
du XVIIIe siècle. Le règlement des Lanturelus, élaboré chez Mme Geoffrin,
comportait l'obligation d'être juste, loyal, joyeux et bienfaisant ; il
défendait de vieillir, c'est-à-dire d'avoir de l'humeur et de médire du temps
présent. Les séances, sous la direction d'une « reine », se divisaient en deux
parties, l'une consacrée aux chansons, poésies et facéties, l'autre à la
philosophie. (V. P. de Ségur, le Royaume de la rue Saint-Honoré, p.
186.)
[47]
Epistola in lode.
[48]
Bonneau, Nouvelles de Agnolo Firenzuola, Paris, 1881, p. 9.
[49]
Des Périers, t. 1, p. 89.
[50]
Il s'amusait d'un faiseur d'impromptus un peu ivrogne, un Romain, nommé Querno,
qu'il appelait en riant Archipoeta. Querno lui dit :
Archipoeta
facit versus pro mille poetis,
Léon X répond :
Et pro mille
aliis Archipoeta bibit.
Archipoeta :
Porrige quod
faciat mihi carmina docta, Falernum.
Léon X :
Hoc etiam
enervat debilitatque pedes (donne la goutte).
(Huard, Mélanges, p. 356. Cf. Ginguené, t. III.)
[51]
Comme Marguerite, d'après Marot.
[52]
Christine de Pisan.
[53]
Les Ventes d'amour, l'Amant, l'Amye (s. l. n, d. Lyon, vers 1540). Voir Catalogue
James de Rothschild, I, 361.
[54]
Bouchet.
[55]
Castiglione, p. 72, 98.
[56]
De vraye Amour.
[58]
Castiglione, p. 369.
[59]
Marguerite de France, Hept., Nouvelle 52.
[60]
Anne de France, p. 68-71.
[61]
Amante, pp. 282, 422 et suiv. M. Amante a recueilli 75 lettres de cette
princesse.
[62]
Ms. fr. 3021.
[63]
Ferrero, Müller, Tordi, p. 129.
[64]
Ms. ital. 1111. p. 18.
[65]
Ms. ital. 1111. p. 1.
[66]
Cardano, De Prudentia civili, ch. CI.
[67]
Anne de Laval, par exemple, écrit à sa sœur : « J’ay entendu que Monsieur mon
frère ce vante que à son retour j'auré ung petit neveu. Plust a Dieu qui fust
ainsi, d'aussi bon tueur que je le desire. L'espérance que j'en ay me faict
vous envoyer des poix en gousse, qui est viande de femme grosse. » (Les La
Trémoille, III, 87-88.) Gregorovius, Lucrèce Borgia, appendice ; Lettres
de Vittoria Colonna.
[68]
Luzio, p. 161.
[69]
Luzio, p. 77.
[70]
Lettres d'Isabelle d'Este et d'Élisabeth d'Urbin ; Luzio, pp. 244, 253 et suiv.
; de Veronica Gambara, Lettere volgari, f° 50.
[71]
Luzio, p. 84.
[72]
Lettere volgari, f° 179 v°, 181.
[73]
Lettere volgari, liv. II, ch. III.
[74]
Serassi, t. 1, p. 169.
[75]
D'Alexandrie.
[76]
Luzio, p. 245.
[77]
Carteggio, p. 88, 15, 70.
[78]
Voir not. sa lettre de Ferrare, 7 octobre 1554, au connétable de Montmorency.
Ms. fr. 3147, f° 62.
[79]
Guiffrey.
[80]
Lettre de Marguerite à Montmorency, Verceil, 20 février (1560). Ms. fr. 314l, P
62.
[81]
Voici quelques échantillons de ces lettres intimes :
« Monsigneur, tant et si tres humblement que je puis a
vostre bonne grace me recommende.
Monsigneur, je vous suplie tres humblement croire que
la créance que remais a ce porteur n'est que la plus grande obaissence que
james tres humble fille ne servente vous saroit porter et couine la plus
obligée de ce monde.
Monsigneur, prie Dieu qui vous dont tres bonne et tres
longue vie.
Voutre
tres humble et tres obaissente fille,
Magdalene.
Adr. : Au Roy mon souverain seigneur. » (Entièrement
autogr. Ms. fr. 2915, P 33.)
« Ma cousine, je n'ay point voullu que ce porteur soit
passé par Chantilli sans vous porter de mes laitres ; je vous en usses plutost
envoie, mes les piteulses nouvelles qu'avons repsues de Hedin m'an oust
engardé, car je n'aime poinct a mander de mauvesses nouvelles, et en cete perte
j'ay esté tres esse (l'entendre que Monsieur le conte de Villars vostre frere
est seulement prisonnir (sic) avecq tant d'onneur que je suis sure que vos
prieres luy oust beaucoup servi. Vous feres tant pour moy. ma cousine, de
croire que tout ce qui vous touchera que je ceray mervelleucement esse qu'il
soint anci hureulx comme vous le desires et moy anci ce que je suplie de bien
bon cueur Dieu et de vous donner bonne vie et longue et a moy l'eur de vostre
bonne grasse a laquelle de bien bon cueur me recommande.
Vostre
melieure cousine et amie,
Marguerite
de France.
A ma cousine Madame la connestable [duc]esse de
Montmorency. » (Autogr. fr. 3119, f° 12).
« Mon pere, je ne voulu leser aler se pourteur sans
vous faire savoir de mes nouvelles, lequeles sont bonnes, pour se que je
aeudire souvan des vostres qai me pabise bien, car s'et au proufit du roy et a
vostre ouneur. Je prie Dieu vous i vouloyr tenir ; je ne yetis oblier a vous
faire mes reconmandasions bien fort voustre bonne grase.
Vostre
bonne fille,
Marguerite.
»
(Bonne grosse écriture inexpérimentée. « A Monsieur le
grant maistre, » fr. 2915, 81.)
« Mon pere, j'ay esté tres esse d'entendre par vostre
cegretere preSil 10 porteur du bon partement du Roy et du vostre et aucy que
toutes les afaires continuent de mieulx en mieulx ; cant a cele conpagnie. la
Royne et monsieur ce portent tres bien, aucy faict tout le reste. Nous ne
fesons faute de prier bien Dieu tout les jours pour le Rov ; après luy, mon
pere, je vous puis assurer que vous estes le prumier (sic) en mes auraisons. Je
vous prire (sic), mon pere, presanter mes tres humbles recommandasions au Roy
et me tenir en sa bonne grasse et an la vostre. A laquelle de bien bon ceur me
recommande, et prie Dieu vous donner bonne vie et longue.
Vostre
milieure figle et cousine,
Marguerite de France. — A mon pere, Monsieur le
connestable. »
(Autogr. ms. fr. 3126, f° 92.)
[82]
Voir not. un charmant billet, ms. fr. 3119, f° 40.