Qu'une
femme soit belle, qu'elle pare toutes choses, qu'elle dégage une impression
élevée, c'est à merveille, mais il n'y aurait là qu'un masque trompeur si
elle n'entretenait pas en elle-même, avec un soin jaloux, le foyer de l'amour
du beau. Castiglione, qui aime donner à ses définitions une précision
mathématique, nous dit : « La femme doit vivre de la vie du monde et de la
vie des arts, » mettant ainsi en apparence la vie esthétique au second rang ;
mais il a bien soin d'ajouter : « Elle doit s'occuper de lettres, de
musique, de peinture, danser et festoyer[1], » c'est-à-dire que le cœur
doit renverser les rôles, que dans le for intérieur il faut mettre les
préoccupations intimes avant les occupations apparentes. La chose est
logique. Comment les femmes gouverneraient-elles le monde, si elles en
étaient réellement les esclaves ? Pour servir de phare, il faut briller. Du
reste, nous aussi, nous avons le droit de demander où ces dames comptent nous
conduire. Leur art consiste à plaire et à endoctriner. Plaire est leur
secret, nous le leur laissons ; peu nous importe de savoir si Lucrèce Borgia
taillait elle-même ses robes, où et par qui Marie Stuart faisait faire ses
chapeaux, ni si les femmes plaisent toujours par ce qui plaît à leurs maris.
Mais quand elles parlent de gouverner notre intelligence, il devient très
intéressant de savoir comment elles nous accommoderont. Leurs
provisions intellectuelles consistent surtout en impressions d'art, suivant
la formule de Castiglione. La peinture — et à plus forte raison les arts
manuels inférieurs, dentelle, broderie, tapisserie... — y occupe le dernier
rang, conformément au principe universellement admis dans le monde
platonicien, que moins un art a besoin de recourir aux sens pour toucher
l'âme, plus il est excellent. La musique l'emporte sur la peinture, parce
qu'elle transmet directement une impression ; la musique vocale, surtout,
représente presque le langage d'âme à âme, avec une très faible proportion de
matérialité. La poésie est l'art suprême, la chose vraiment aristocratique ;
personne n'aurait l'idée de la comparer à la peinture ni à aucun art manuel.
D'un trait, le poète peint à la fois l'âme et le corps[2] ; comme dit Ronsard, « il peint
dans les cieux ». Une
femme, pour faire sa provision de bonheur, commencera par vivre dans la
familiarité du beau. Les sciences lui sont inutiles ; elle a peu le goût de
les cultiver, et encore moins le temps. Mais, de même qu'il lui est
nécessaire de déjeuner, elle doit aussi tous les matins donner à son âme un
aliment, ne fût-ce qu'une gorgée de beau. Louise de Savoie, en se levant,
lisait un psaume « pour embaumer sa journée », selon son expression ; il lui
suffisait de cette lecture de quelques instants pour se verser une lumière
intérieure qui devait la réchauffer jusqu'au soir. Du
reste, les femmes ont tout particulièrement le devoir de lire : outre qu'il y
a toujours quelque chose de nouveau à apprendre ou à ressentir, la vie
intellectuelle exige un entraînement continuel, j'oserai dire « une
éducation » continuelle. Est-ce qu'un arbre qui refuserait de pomper la
sève pourrait fleurir et fructifier et tarderait à élever en l'air des bras
de squelette ? Ainsi,
avec une complète liberté d'esprit, aussi grande que la liberté matérielle,
mais bien plus difficile à conquérir, une femme s'alimentera par elle-même,
elle cherchera la beauté dans le vrai, en dehors de toute convention. Le réel
adversaire de la liberté des femmes, ce n'est pas tel ou tel homme, c'est
elles-mêmes, à cause de leur frivolité, de leur inconséquence et d'une
passion innée pour le superficiel, autrement dit pour la convention ou la
mode. Il leur faut une vraie force d'âme pour creuser quelque chose : elles
s'abandonnent avec une joie parfaite au miroitement d'une pensée, obscure
dans le fond, mais aveuglante dans la forme. Lorsqu'on n'a pas eu grand soin,
dans leur enfance, de leur donner le goût de la précision, elles risquent
fort de se volatiliser dans des habitudes de curiosité sommaire, comme
d'ailleurs beaucoup d'hommes du monde. Les
livres ont joué un rôle majeur dans la psychologie de la Renaissance. Le luxe
des livres passait pour le premier de tous : la bibliothèque qualifiait une
maison comme l'argenterie. Parmi les femmes, Anne de Bretagne, Louise de
Savoie, bien d'autres encore méritent essentiellement le titre de
bibliophiles, aimant noblement les beaux livres, à belles miniatures, faits
pour elles. On les accusait même de les lire. A cette époque, le parfum d'art
qui s'exhalait d'une belle édition paraissait destiné à accentuer la pensée
écrite, absolument comme la musique accentuait la pensée verbale : nous
sommes devenus plus sages, et nous avons compris que les beaux livres sont
des herbiers où il faut laisser sécher les idées pour mieux les conserver. Il n'a
pas manqué de rieurs pour se moquer de cette « suffisance livresque ».
« Que de livres !... Ces gens-là veulent donc porter le monde sur leur
dos[3] ! Quel gaspillage
d'intellectualisme ![4] » Et, en effet, non
seulement Marguerite de France croit aux livres, mais elle en raffole ; une
bibliothèque lui paraît un sanctuaire. Tant
y en a (de livres) que le seul remembrer Et
les nommer n'est pas en ma puissance, Mais
il faisoit beau voir leur ordonnance... Et
du scavoir qui est dedans J'en
laisse aux folz craindre les accidens... Des
livres fiz ung pillier, et sembloit Que
sa grandeur terre et ciel assembloit[5]. Nous
qui écrivons, nous trouvons assez naturel qu'on achète nos livres, qu'on les
conserve, et que même on en coupe quelques pages ; si ce sont des femmes qui
se chargent de ce soin, nous ne nous en plaignons pas. Nous fouillons
obscurément sous terre, comme un mineur, à grands coups de pic ; pourquoi
nous plaindrions-nous que, là-haut, au grand soleil, quelqu'un tamise et
monnaye-notre métal, et en répande quelque chose dans le monde ? C'est
même une assez agréable surprise de rencontrer çà et là ses propres idées,
envolées, et chaudement patronnées par des personnes qui les ont adoptées au
point de les croire leur bien propre. Quelquefois c'est un autre écrivain qui
veut bien se charger de les adopter ainsi, et alors notre impression peut
n'être pas purement agréable ; mais si c'est un lecteur ou une lectrice, nous
sommes bien récompensés ! Souvent, notre idée, en circulant, a modifié sa
physionomie, et, si quelquefois elle nous paraît affaiblie, il arrive aussi
qu'elle acquière plus de force. Tout le
monde ne peut pas écrire ! Les « amateurs » ont un rôle à eux, qui n'est pas
celui des « ratés » un rôle de synthèse, de généralisation, de critique,
d'appui, de sanction ! Le but
de pensée et de vérité que nous poursuivons ne peut être atteint qu'avec
l'aide de la conversation, si des femmes distinguées et enthousiastes se
chargent de tirer de nos livres ce qu'ils peuvent avoir de bon, et d'en jeter
la semence au dehors. De
cette collaboration presque indispensable entre la science pure et la
vulgarisation résulte la vie. Comme l'a si bien dit Mme d'Haussonville : « Un
ardent désir de savoir a possédé le XVIe siècle tout entier. L'esprit mobile
et flexible des femmes était entraîné dans le courant général. L'érudition a
été la passion de cet âge, non pas cette érudition froide et minutieuse qui
naît dans les siècles de décadence, et qui n'est souvent que l'appareil
stérile d'une science d'école, mais une érudition vivante, intelligente et
animée...[6] » c'est-à-dire animée par
l'esthétisme. A côté
de raffinés comme Bembo, de laborieux comme Lefèvre d'Etaples, d'hébraïsants,
d'exégètes attachés à leur glèbe avec une solidité virile, il y eut des
esprits brillants, peut-être plus brillants que profonds, mais libres, qui
ont fait la synthèse des travaux particuliers et qui leur ont donné une
envolée inattendue. Pour les hébraïsants, les exégètes, les philosophes et
les historiens de toute catégorie, la dispersion d'intelligence aurait été
évidemment chose fatale ; mais cette dispersion est la raison' d'être d'une
femme du monde chargée de mettre en circulation les résultats individuels. Ainsi,
le but que doivent se proposer les femmes dans leurs lectures est double :
d'abord un but personnel, esthétique, pour se ranimer elles-mêmes et se
donner l'élan ; puis un but de direction et d'apostolat, l'art de connaître
les âmes, puis de les charmer et de les conduire par la conversation. Du
reste, on ne peut pas, sur la simple vue d'une bibliothèque, se faire une
idée du possesseur. Dans les grandes maisons, par exemple chez le roi, il y a
des livres d'héritage, d'offrandes, de mode. François Ier achetait les
nouveautés italiennes[7], Pontanus, Bembo, Politien[8]. En réalité, il lisait surtout
les romans de la Table-Ronde[9]. Les
princesses ont aussi, à côté des livres à la mode, les livres qu'il a fallu
acheter ou accepter, les livres d'héritage, ceux qu'on a « pour leur dos »,
comme dit Montaigne. Les rayons s'étalent brillamment dans une grande galerie
décorée de la crème des objets d'art[10]. Le fonds commun se compose
d'ouvrages élémentaires de piété, d'histoire et de morale ; on trouve encore
des romans, des vers, Pétrarque, Boccace, des livres à gravures, qui
remplacent trop souvent les charmants manuscrits dont Louise de Savoie resta
une des dernières protectrices. Ceux
qu'on lit, ce sont les traités d'histoire, surtout d'histoire romaine, et de
médecine pratique[11]. Ensuite, cela varie. Certaines
femmes, comme Anne de France, se nourrissent des Pères de l'Eglise, des
philosophes, des moralistes. Beaucoup, tout en aimant les études de ce genre
et en se disant hautement philosophes, préfèrent qu'on leur mâche un peu la
besogne, et qu'on leur apporte des convictions toutes faites qu'elles
n'auront plus qu'à ventiler et à distribuer par la parole. Nombre de traités
italiens s'offrent à leur rendre ce petit service ; le roi de ces traités est
le livre de Castiglione. le Courtisan. Nommer Castiglione,
c'est nommer la Bible du platonisme, le code de l'esthétisme, le Machiavel de
l’anti-machiavélisme ; Castiglione se trouve dans les mains de toute femme
qui pense à l'idéal. Au
point de vue purement esthétique, les classiques sont en faveur, sauf
Virgile, auquel les gens de Mantoue restent seuls fidèles, probablement par
esprit local. Ovide, qui a tant et si bien parlé des femmes, prend sa place. Octovien
de Saint-Gelais[12] et André de la Vigne l'ont
popularisé en France par des traductions : ses éditions illustrées s'écoulent
comme on veut, même avec de vieilles gravures. Dans les très hautes sphères
esthétiques, on se réclame surtout de Cicéron[13]. Autour de Marguerite de
France, les noms favoris sont Térence et Cicéron, Castiglione et Boccace[14]. Les
jours de lecture, qui sont principalement (il faut bien le dire) les jours gris de l'existence,
ceux où l'on se sent abandonnée de Dieu et des hommes, quand il faut « se
remettre en selle », on recherche plutôt une impression légère, douce s'il se
peut, ou tout au moins gaie, réconfortante, émouvante... La Bible est très
utile pour ouvrir un peu le ciel sans avoir besoin de recourir au moine ou au
curé, car une femme intelligente n'aime que les prélats ; ou bien, pour la
psychologie, on s'adresse aux poésies, aux nouvelles, aux romans[15]. Un simple sonnet, une petite
histoire très courte, mais énergique, affriolante, peuvent suffire à. guérir
un marasme sans motifs ; dans les cas plus compliqués, on prend quelque
énorme roman, qui captive l'attention pendant de longues heures et qui prête
à la vie des reflets roses ou rouges. La
littérature de la Renaissance est bien pourvue de Nouvelles et de Facéties,
correspondant à tous les besoins de littérature salée et épicée qui se
manifestent chez une femme, même platoniste. On s'en
nourrit sans la moindre vergogne ; il est de bon ton d'en parler, d'en rire,
d'en citer des tirades. Souvent quelque abbé de cour, directeur de la
conscience de ces dames, et en mal d'évêché, se charge des explications ou de
la traduction[16]. Quelques
personnes se sont demandé si l'habitude de lectures aussi accentuées
n'oblitérait pas à la longue le sens moral, surtout chez les femmes. Brantôme
soutient que ç'a été la cause de toutes les perversions. Marguerite de France
ne le croyait pas ; elle avait dans l'art une foi si ardente qu'à son avis on
donnait une preuve de vigueur d'esprit, en abordant toutes les lectures sans
broncher. Son ami Marot le lui a dit, en riant un peu — car, dans le conflit
entre la chair et l'esprit, il tenait pour la chair — ; il cite un choix des
œuvres réputées les plus perverses[17], et il ajoute : Tout
cela est bonne doctrine, Et
n'y a rien de deffendu. Marguerite,
élevée avec Saint-Gelais et Boccace[18], était réellement vaccinée. De
plus, comme quelques femmes de mysticisme étroit, elle ne craignait pas les
contrastes : l'âme et le corps dans chaque plateau de la balance, Pétrarque
corrigeant Boccace, et vice versa... La bonne humeur, la gaieté font
partie de l'hygiène platoniste, et on les prend où elles sont. Les grosses
plaisanteries n'amusaient pas ! Un Allemand, qui a fort peiné pour écrire un Eloge
de la calvitie, en convient : « Nous sommes ridicules, même quand nous
écrivons des choses sérieuses, mais nous ne sommes jamais gais. Si nous
voulons plaisanter, on dirait, selon le proverbe, que nous sautons un
chameau... » Les écrivains soi-disant amusants sont si ennuyeux ! un vieux
philosophe croustillant comme Nifo ! ou ce bon La Perrière, ami de Marguerite,
qui dédie ses vers lascifs, ses « cent[19] considérations d'amour »,
à un greffier des Eaux et Forêts ! Il faut
que les femmes en reviennent à Boccace[20], puisqu'il était en possession
d'amuser ! Un morceau inédit de Boccace, découvert par hasard, et qui n'était
pas remarquable, couvrit de gloire Claricio
d'Imola, et fut publié aux frais d'un mécène Milanais, Andrea Calvi, sous les
auspices de Léon X, de François Ier[21]... Castiglione[22], Marguerite n'ont garde d'attaquer une pareille renommée ; leur ambition
est de la confisquer. Marguerite fit faire une traduction nouvelle de
Boccace. Elle-même, on le sait, voulut imiter le dieu : réellement, c'était
une très bonne industrie ; pour avoir démarqué Boccace, Firenzuola devint
prélat, Bandello évêque de Nérac ; un 'simple sellier, Nicolas, conquit la
faveur du roi. Sous des pseudonymes transparents, l'adresse consistait à
raconter des histoires vraies. Et cependant Louise de Savoie aimait encore
presque autant les « Actes des Apôtres[23] ». La
Facétie eut un sort moins brillant : le Pogge, Cornazano,
toujours chers aux femmes, transmirent beaucoup de leurs histoires à des
imitateurs, Domenichi, Delicado,
Boistuau, qui les repassèrent ensuite à
Shakespeare, à La Fontaine... L'ancien
roman conservait une grande faveur ; il la méritait, en ce sens qu'à un
sentimentalisme chevaleresque il alliait un piment suffisant pour qu'une
honnête dame pût le laisser traîner sur sa table[24]. Les femmes raffolaient du
vénérable roman de cape et d'épée[25], long, filandreux, héroïque ;
jadis, au mu° siècle, il avait conquis l'Italie[26]. Il plaisait aux princesses par
son côté élevé, aux portières par son intérêt abracadabrant. En pleine
efflorescence d'humanisme, d'idées nouvelles et d'esthétisme, on vit
reparaître le Roman de la Rose[27], et défiler d'année en année,
comme par l'effet d'une évocation effroyable, tous les vieux preux aux
profils enthousiastes et lugubres, les tenants du saint Graal et de Mélusine,
Lancelot du Lac et Perceforest, et Fier-à-bras, ou bien Perceval, Ponthus, Meliadus, Pierre de
Provence, tout ce monde gothique, qui se croyait si mort. Avec eux, ils
traînaient leurs parents et amis la Belle Hélaine,
Theseus, la Destruction de Troye,le-Preux Hector, Œdipus,
Alexander Magnus, ceux-là dignes, jusqu'à un certain point, de coudoyer
Platon ; mais aussi Baudouin, le Grant Voyage de Jherusalem,
la Congueste... de Trébisonde,
dans un temps qui se souciait bien peu des Croisades ! Les Italiens eux-mêmes
se jetèrent avec frénésie sur Charlemagne. Il y eut comme une étincelle
électrique, réciproque. La France s'éprit de l'Italie au large cœur, l'Italie
s'éprit de la France au grand bras ; les femmes du Midi, et les hommes du
Nord ! Les platonistes hommes eurent beau trouver l'événement ridicule ; chez
Laurent de Médicis, dans le sanctuaire, Pulci eut beau traduire toutes les
colères et faire passer aux paladins un mauvais quart d'heure, rien ne
résista, et un roman, fort mauvais d'ailleurs, intitulé I reali di Francia, devint la sève de toute une
littérature nouvelle. Les
hommes succombèrent à cette mode, parce que les femmes les y poussaient. Du
reste, les nations sont comme les veuves, elles aiment les défunts. Depuis
que la chevalerie n'existait plus, il était naturel de ne jurer que par elle.
Plus notre activité s'affaisse, plus nous nous éprenons de ce que le passé
paraît présenter de démesuré. Charlemagne remplit
donc l'horizon ; de tendres regards caressèrent les vieilles épées rouillées,
et, tandis que de jolies œuvres,, toutes pimpantes,
ne parvenaient guère jusqu'au cœur des femmes, les spectres, pour vaincre,
n'avaient qu'à paraître. Parfois, ils se présentaient tout nus, dans la
grandeur étrange de leur énergique ossature ; d'autres fois, un éditeur
intelligent leur faisait quelque toilette, les astiquait, les ornait de
petits nœuds roses ou bleus[28]. Combien Amadis, le plus
célèbre peut-être de ces romans, subit-il ainsi de
préparations ! On avait oublié qu'il venait de France ; il fut espagnol
d'abord, puis italien, puis importé en France par une traduction d'Herberay des Essarts, avec un succès fabuleux : « Qui eût
dit du mal des Amadis se serait fait conspuer[29]. » De quatre livres, il passa à
douze[30]... ; il aurait pu s'allonger
indéfiniment, comme certains procès de nos jours. Ces
vieux romans ne sont guère connus aujourd'hui que des érudits ; ouvrons au
hasard n'importe lequel : Lancelot du Lac, un des plus classiques[31] : les couleurs sont crues. A
côté de virginités mystiques, on voit fumer de grossiers appétits. Femmes et
jeunes filles ont du sang dans les veines et ne font rien à moitié, comme
toutes les personnes d'éducation un peu primitive ; il suffit d'un instant où
son mari a le dos tourné, pour que la reine « Genièvre » esquisse avec
Lancelot à la forte moustache un projet de réconciliation, et le brave
chevalier n'a pas trop besoin de supplier pour qu'on lui ouvre la fenêtre.
Messire Gauvain parlemente fort peu avec la fille du roi de Norgalles, qu'il surprend étendue sur son lit d'hermine,
dans un déshabillé virginal, mais ravissant[32] ! Artus oublie très vite« la reyne Genièvre parmi
les consolations qu'une jeune fille, « courtoise et de bonnes paroles, » lui
apporte dans son cachot[33]... En
fréquentant le beau monde platoniste, le vieux geste contracta des manières
un peu plus fines ; le roi Artus finit par s'entourer assez galamment, Roland
négligea Charlemagne pour courir après sa bien-aimée : ô horreur, Angélique
filait le parfait amour avec un page sarrasin[34] ! L'antique roman torrentueux
fit comme le Rhône, il tomba dans un lac bleu. Malgré
tout, les prélats l'excommunièrent toujours, et ils eurent le courage de
rompre sur ce point avec les femmes. Ils n'admettaient ni les anciens
maîtres, ni les nouveaux, l'élégant Cataneo, le joyeux Boiardo ; rien ne les
désarma : ni le succès de romans tels que la Célestine, ni les flatteries.
Lorsque l'Arioste offrit au cardinal d'Este son chef-d'œuvre bardé de
dithyrambes en l'honneur de tous les Este passés, présents et futurs,
l'aimable prélat lui dit : « Où donc avez-vous pris toutes ces bêtises[35] ? » Bref,
les femmes qui lisent, lisent ce qui parles d'amour : voilà' de quoi elles
font provision. La philosophie parle d'amour, elles sont philosophes ;
romans, facéties, nouvelles, poésies parlent d'amour : elles goûtent aussi
cette philosophie. Seulement, les unes ont l'esprit d'amour par philosophie,
les autres ont de la philosophie par esprit d'amour, et cela produit entre
elles de grandes différences. Les
premières sont froidement sentimentales, on ne gouverne réellement pas avec
la froideur ; elles vivent dans l'absolu, — on ne gouverne pas avec l'absolu.
Elles perdent le contact avec les -choses, elles n'ont pas la chaleur
communicative qui fait les apôtres. Ce sont des princesses, des personnes
sacrées, à admirer sans y toucher. Platon
n'a pas dégagé la règle pratique du bonheur, et ses meilleurs amis
conviennent que ses idées sociales présentent bien des côtés chimériques. Mais
celles qui philosophent par amour sont les ardentes, les actives, qui savent
que le monde obéit aux passions, bonnes ou mauvaises, et que là est le secret
de la puissance féminine, beaucoup plus que dans n'importe quel raisonnement.
La béatitude de la raison peut être naïve ; la passion a des yeux de lynx.
L'amour ne se raisonne pas et ne se fabrique pas, il se reçoit et il se donne
; la vie aussi n'est qu'un perpétuel échange, et le bonheur consiste à vivre,
tandis que Platon le cherche dans la contemplation de soi-même et dans
l'égoïsme. Pour agir sur autrui, il faut subir l'action d'autrui ; pour
rendre heureux les autres, il faut être heureux par les autres. Cette
opération manque de logique. Qu'importe ? Rien n'est plus illogique et plus
relatif que le bonheur, puisqu'il s'applique à nous. Voilà, pour beaucoup de
femmes, la science de la vie, et elles aiment le roman comme un tableau de
philosophie, non pas didactique, mais vivant, où le cœur crie au lieu de se
laisser disséquer. On
sentait le livre. Le Pogge nous raconte l'histoire d'un brave homme, marchand
et Milanais, c'est-à-dire doublement calme, qui pensa périr de chagrin à la
suite d'une lecture sur la Mort de Roland : pourtant Roland était mort depuis
sept cents ans ! A plus forte raison, les femmes ont-elles le droit de se
montrer sensibles. Aussi,
quand elles lisent, attachent-elles le plus grand prix aux formes extérieures
qui produisent une impression ; elles en sont plus touchées que des idées. La
femme de Guillaume Budé déclarait aimer les livres de son mari, non pas à
cause de ce qu'ils pouvaient renfermer, mais parce qu'elle les considérait
comme des enfants de son mari. Les femmes adorent les magnificences
d'expression, la rhétorique, le rythme, la « beauté couturière » du langage ;
la poésie leur semble l'enchantement suprême, parce qu'elle répond en même
temps à leur besoin personnel de sensibilité et à leur mission, qui consiste
précisément à semer dans la vie un peu de charme, c'est-à-dire un peu de
poésie extérieure. Du
reste, ce qu'on nommait poésie, nous l'appellerions volontiers musique. La
poésie n'est, alors, qu'un perpétuel libretto ; les paroles donnent le mètre,
la cadence, l'impression (surtout l'impression), et l'on admet qu'elles
conservent un caractère un peu effacé, que l'idée y flotte à l'état
incertain, plutôt trahie qu'accusée par l'harmonie du dehors. Notre grand
Lamartine, avec sa pensée haute et indécise, a bien été, même pour nous, le
premier des poètes. Au contraire, la mélodie musicale a pour but de saisir
hardiment tous ces mots, de les préciser, de les rendre intenses, de les
faire briller et ressortir. L'emploi principal, ou même exclusif, des voix
humaines accentue encore ce relief ; les arêtes délicates de la voix,
profilées avec une extrême adresse, semblent dessiner les contours de l'âme. Les
admirables inspirations de Vittoria et de ses prédécesseurs nous toucheront à
jamais ! Dans cette vieille musique idéaliste, tout un monde insaisissable,
nos vœux, notre amour, nos douleurs poignantes, nos prières jaillissent en
gerbe, éclatent dans le ciel comme un feu d'artifice : « Dieu ne nous a rien
donné de plus agréable, de plus doux, s'écriait un poète : c'est la messagère
céleste, la consolatrice de tous les maux[36]. » On
remit en musique et on chanta les sonnets de Pétrarque, composés, d'ailleurs,
dans ce but : Théodore Riccio donna un accompagnement de la fameuse romance Italia
mia, Ciprian van Rore du sonnet Fontana di dolore, Albergo d'ira[37]. Ronsard aussi écrivit ses
rimes sonores pour la musique : Baïf alla, comme on sait, jusqu'à proposer de
transformer l'écriture en une sorte de notation, et lorsque s'institua son
académie, les compositeurs de musique, et même les simples chanteurs, y entrèrent
au même titre que les poètes. L'art consiste à donner à la pensée toute la
beauté extérieure dont elle est susceptible... Les philosophes comptent la
musique métrique (c'est-à-dire la poésie) ou vocale comme une partie de la philosophie[38]. L'art, ainsi intellectualisé,
devient bien une religion. Au Vatican. Raphaël peint le Parnasse et Apollon
chantant comme un vieux barde[39]. Dans toutes les peintures du
Paradis que nous avons pu voir, nous n'avons rencontré ni une palette, ni un
ébauchoir, ni même une tribune aux harangues, ni un encrier : rien que la
pure conversation directe avec Dieu par la contemplation et la musique. Et
quoi de plus délicieux que les petits chœurs d'anges, imaginés par Jean
Bellini aux pieds de ses madones, comme l'encens du monde ? Melozzo donne un
orgue pour attribut à une reine[40], Titien en donne un à ses
Vénus. Il semble que ce soit le cachet du bonheur. Le
peuple lui-même était étrangement épris des harmonies intellectuelles. En
Italie, nombre de poètes passèrent leur vie sur les carrefours, comme Homère.
Aurelio Brandiolini, par exemple, qui célébrait sur
les places de Vérone les héros antiques, en vint, soutenu par les
acclamations populaires, à exécuter de véritables tours de force, tels que de
chanter en vers les trente-sept livres de l’Histoire
naturelle de Pline. Le célèbre Bernardo Accolti
tenait ses assises de ville en ville, sur la place ; dès qu'il arrivait, la
foule s'amassait, les affaires étaient suspendues, les boutiques bien au loin
se fermaient, les balcons commençaient à s'illuminer, la police accourait
assurer l'ordre ; perçant la foule par faveur, clos notables formaient autour
du poète comme une garde d'honneur ; et, cependant, sous la lampe de quelque
madone ensommeillée, vers le ciel lumineux, au milieu du silence de la foule,
la voix du poète s'élevait, appuyée d'une guitare, chantant l'amour[41]. Rien ne
caractérise mieux l'époque que cette passion populaire pour les musiciens,
les poètes et les bouffons. Loin de s'abaisser au contact de la foule, la
poésie semblait y prendre plus d'ampleur. Un pur virgilien, nommé Andrea Marone, comme Virgile, ne se sentait à l'aise que sur une
borne : dans cette posture, l'inspiration le saisissait comme une sibylle
antique ou un fakir ; ses veines se gonflaient. la
sueur perlait, une pantomime expressive de tout son être accentuait son
chant, ses yeux lançaient des éclairs, il semblait qu'une partie de son
individualité sortit de lui-même et se répandit sur ses auditeurs en pluie de
flamme[42]. Presque
toutes les femmes ont aimé la musique, car les hommes sont très accessibles à
ce charme de l'oreille. Même en France, malgré la médiocrité de l'éducation
esthétique, on ne se figure pas ce que les hameaux recélaient alors de
harpistes et de tabourins[43]. La duchesse d'Orléans, à
Blois, patronnait un flot de « guiterneux »,
ménétriers, ou trompettes[44] plus ou moins authentiques,
sans compter les guitaristes de passage, toujours bien accueillis ; elle
avait, comme toutes les princesses, son orchestre particulier[45], et deux beaux tabourins, à
plaque de vermeil, si beaux, que, pendant ses couches, elle les faisait jouer
aux pieds de son lit. Ce lui fut un grand crève-cœur d'avoir à licencier, par
un sage motif d'économie, la chapelle ducale, et même un des tabourins ;
l'ancien maître de chapelle, Pierre de Vervel,
resta toujours son ami[46]. Nous
avons montré, jadis, Louise de Savoie, une cithare en main, entourée d'une
harpe, d'un orgue et de tout un orchestre[47]. Louise Labé approuvait les
jeunes filles de consacrer à la musique le meilleur de leur temps[48]. On ne comprenait pas qu'une
femme, en possession de ce moyen divin de séduction[49], pût le négliger ; lorsque Mme
de Hauteville se faisait prier pour déployer sa voix magnifique[50], on lui reprochait cette fausse
modestie comme une sorte d'erreur professionnelle. Le matin, Marie
d'Angleterre, près de Louis XII, son vieux mari exténué, chantait avec une
guitare, et le pauvre prince se sentait revivre, tant il y prenait « plaisir
mirifique[51] » ; Marguerite de France,
qui nous a laissé des milliers de vers, se mettait évidemment à la poésie
comme on se met aujourd'hui au piano, pour laisser errer sa pensée : à défaut
de sa bouche, ses doigts chantaient. Il est fort probable que beaucoup de
femmes se sont ainsi livrées à leurs inspirations, moitié musique, moitié
poésie. On en a
été quelquefois excédé[52]. Il était agaçant de rencontrer
certaines personnes toujours un refrain sur les lèvres. Sitôt entré dans un
salon, vous vous voyiez menacé d'un instrument, il fallait vous exécuter. Et
puis, combien d'amateurs feraient mieux de se cadenasser que d'aller chevroter
leurs romances ! On a
reproché aussi à la musique un effet engourdissant, on a été jusqu'à
l'appeler un art de décadence, on soutenait que les anciens Mèdes avaient
péri par amour de la musique[53]... Castiglione s'emporte
presque à ce sujet : « Quoi ! la musique amollit ! Mais, je vous prie,
Alexandre, Socrate, Epaminondas, Thémistocle n'étaient-ils pas musiciens ?
Lycurgue l'était presque ! La harpe a-t-elle empêché Achille de verser du
sang, puisque c'est là que vous voulez en arriver ? Amollir ! Mais,
sans la musique, comment louer Dieu ? Qui réconforterait le laboureur
hélé à sa charrue, la paysanne à son rouet, le marin dans la tempête, le
voyageur sur sa longue route, la nourrice dans la fatigue des veilles près
d'un berceau ? La musique est, au contraire, le charme de la vie et son
lustre, son salut[54] ! « Aucun art ne
correspond mieux aux besoins de notre sensibilité et ne nous apporte plus
librement des impressions vives et variées. Elle adoucit, elle calme, elle
pénètre, elle émeut ou bien elle enthousiasme, elle nous enlève au ciel par
ses coups d'aile rapides, véhéments, pressants[55]. » Castiglione
traite presque la musique comme l'amour : ce sont pour lui deux termes si
proches que vraiment on ne sait si, à son avis, la chanson ne l'emporte pas
sur l'amour. Pour ce
qu'on lui demande, c'est-à-dire un peu de bonheur, la musique est une œuvre
de sentiment plutôt que de science[56]. Des notes un peu osées ou même
imparfaites se pardonnent, si elles fusent, pétillent et passionnent : on
attaque nettement, on file très doucement la fugue finale, en partie double.
L'idéal, c'est d'entendre dans un salon une voix bien timbrée, chaude,
soutenue par une simple guitare[57] ; ou plutôt de voir cette
voix, car la guitare, qui n'est pas disgracieuse comme le piano, s'anime,
fait corps avec la chanteuse, et toute la personne vibre. Pour
les idéalistes de tout à fait premier ordre, la musique flamande, française,
allemande, l'emporte sur la musique italienne, parce qu'elle exprime des
idées, tandis que la musique italienne ne va guère au-delà du sentiment, ou
même de la sensation. Rome même se laisse conquérir par les gens du Nord[58]. Au milieu de bien des artistes
distingués et souvent admirables[59], la grande figure de Jean de
Ockeghem, mort à Tours en 1495[60], nous apparaît comme celle du
patriarche qui, plus que personne, « ennoblit[61] » son art. Son
successeur, un Flamand élevé à la même école — mais dont nous avions oublié
jusqu'au nom, en perdant sa tradition —, Josquin de Prez, attaché à la
chapelle de Sixte IV, devint Romain par adoption et ne quitta Rome qu'en 1508
pour aller à Ferrare. Josquin est l'homme de la règle, de la perfection,
habile à enchaîner les dissonances, à faire cheminer les voix les unes parmi
les autres. Des arcanes sombres d'un sanctuaire, son inspiration profonde
surgit clairement pour s'épanouir en couleurs brillantes et douces ; il lance
des phrases multicolores qui décrivent leur parabole sans se confondre et
sans se nuire ; blanches, vertes, rouges..., c'est toujours la même flamme. Beaucoup
d'Italiens critiquaient, comme systématique et mystique, l'emploi exclusif
des voix humaines. Ils voulaient au moins un instrument : la grande viole (devenue notre
violoncelle), ou le
violino, dont le célèbre Amati tira, vers 1540, le
violon... C'est un violino que Raphaël met dans la
main de ses chanteurs, qui s'identifient avec l'instrument par un élan
passionné[62]. Dans
les petites cours, on cultive la musique de chambre[63] ; heureux Etats ! Aucune
affaire ne l'emporte sur la recherche d'un bon musicien4, c'est bien le règne
du dilettantisme. La cour de Ferrare passait pour un Conservatoire ; elle
avait un orchestre célèbre[64] à qui César Borgia emprunta des
violonistes en partant pour la France[65]. On avait soin d'encadrer
l'exécution des morceaux avec toutes les précautions imaginables et le
respect le plus parfait ; il ne s'agissait pas de s'empiler dans une salle,
trop chaude ou trop froide, de se serrer, de s'asseoir de travers pour
écouter de la musique à l'heure. Voici comment Lorenzo Costa nous peint la
salle de concert : tranquillement accroupies sur un tapis de gazon, à l'ombre
d'arbres au très léger feuillage, sans soleil et sans brise, les femmes
forment centre : elles dialoguent d'amour pur. Tout respire leur propre
douceur. Elles couronnent de fleurs un agneau et un bœuf ; le paysage semble
étendre la vie dans un horizon presque sans bornes, que coupe une nappe d'eau
limpide aussi bleue que le ciel. Au milieu, discrètement, on fait de la
musique ou bien l'on écrit des stances. Personne ne prête attention (tant le
charme est profond !) à un groupe militaire, assez lointain, qui repousse une
incursion, ni à un beau chevalier, solitaire et très élégant, occupé à tuer
délicatement un reptile, ni à certains groupes égarés sous la feuillée, vers
l'extrême frontière du platonisme. La
musique purement instrumentale, ou à grand orchestre, répond aux sentiments
vulgaires ; elle sert à faire danser ou à faire manger, comme dans les
banquets de Véronèse. Elle représente les voix de la Nature. On la comprend
principalement sur l'eau[66], et alors les gens sages
eux-mêmes y trouvent un des bonheurs de la vie. C'est la joie des pays de
volupté : « La musique éteinte, il faut faire la prière[67]. » A Venise, dès que les
vieilles coupoles, les hauts bronzes et les longues façades, décor d'un bal
bigarré, s'estompent de brume, on dirait que la ville nage dans la musique :
mille cloches carillonnent l'Ave Maria ; des bruits, enchevêtrés, de
sérénades et de concerts, s'élèvent des palais, des ruelles, de tous les
coins : la mer y répond ; sur la surface polie du Grand Canal glisse, à fleur
d'eau, une société bruyante ; une barque illuminée clapote sous une fenêtre,
avec un orchestre ou un chœur. Étrange enivrement Bien des Italiens pieux,
comme Alberto Pio[68], le trouvent si doux qu'ils
aiment à le transporter dans les églises. Pourquoi pas ? Ces symphonies
vibrantes ne suivent pas de très près, dit-on, les textes sacrés, elles ne
sont pas toujours de premier ordre ; « on entend les enfants hennir, le ténor
mugir, les contrepoints braire, les contraltos crier, les basses racler le
fond d'un puits », et les puritains ne reconnaissent plus là le grave
sentiment religieux, la « prononciation modulée, la parfaite énonciation, qui
fait pénétrer les paroles dans l'esprit[69] » ; c'est une musique
d'étourdissement : mais s'il faut, pour notre bonheur, que tout nous prenne à
la fois, par la sensation et le sentiment, pourquoi nous le défendre ? Même la
musique de danse peut ennoblir la danse et devenir un élément d'enthousiasme,
de paix, de joie. C'est ce que disait à merveille Mme de Sillé à un chanoine,
assis près d'elle, qui riait de voir des hommes sauter et un autre
s'époumonner à. les faire sauter en soufflant dans un morceau de bois percé :
« Comment, vous ignorez donc le pouvoir de la musique ! Le son de ce
bois nous pénètre l'esprit, puis l'esprit commande au corps, et ces pantalonnades
sont l'expression de l'âme. Préféreriez-vous jouer à la paume ? » Le chanoine
se tut, d'autant plus qu'il saisit des regards obliques dirigés sur lui, et
qu'il se vit menacé d'être traîné dans la danse par représailles... Même à
tout ce tapage de la danse, aux harpes, luths, orgues, manicordions, échiquiers,
psaltérions, rebecs, guitares, tabourins, grandes violes, flageolets[70]... on demande un peu
d'expression. Le harpiste que Mantegna nous montre, faisant danser les Muses,
y met toute son âme ; il danse le premier[71]. Ce
serait le cas de parler aussi du théâtre, mais nous en dirons peu de chose,
attendu qu'il n'exerçait pas alors, à beaucoup près, la même action qu'à
présent. Et surtout les femmes n'y participaient que comme fraction du
public. Ce fut surtout l'art des prélats, qui le transformèrent avec autant
de soin que les femmes en mettaient à conserver les vieux romans. Ainsi se
départagèrent les deux grands pouvoirs platonistes, les prélats prêts à
marcher en avant, les femmes volontiers retardataires. Le
théâtre, avec ses allures modernes, s'empara de l'Italie au XVe siècle[72], et Rome en fut presque la
patrie. Pomponius Lætus, le fournisseur attitré des pièces de Plaute et de
Térence, mourut quelques jours après Savonarole. Les cendres du moine avaient
été jetées au vent : Rome entière voulut conduire les restes de Lætus à Ara-Cœli, puisque c'est une œuvre chrétienne de faire aimer
la vie. La
palme de l'art théâtral revint sans conteste à Bernardo Dovizio
da Bibbiena, qui s'avisa de secouer le joug des traductions et d'écrire une
simple imitation de Plaute, la Calandra. Bibbiena[73] était un des types les
meilleurs de ce monde des prélats, que, malgré tout, nous ne pouvons pas
séparer de celui (les femmes. Il appartenait à l'étroite intimité de Léon X,
ayant été élevé avec lui (quoique, d'ailleurs, fils de paysan). Il avait un
entrain et une verve qui, d'après Paul Jove, « faisaient perdre le sens aux
gens les plus graves » ; il triomphait surtout à table. D'ailleurs, un de ces
hommes effrayants qui mènent de front labeur et plaisirs. Devenu cardinal, il
déploya une grande activité, fut légat, prédicateur de croisade, et mourut à
cinquante ans ; il a laissé un bon nombre d'opuscules, de poésies, de lettres
: mais c'est le théâtre qui l'illustra. On ne
saurait imaginer le bruit que fit la première représentation de sa Calandra,
à Urbin, au centre du platonisme. Tout avait été combiné avec le soin et
l'adresse d'amateurs parfaits. La
scène représentait des monuments en stuc et des trompe-l'œil exécutés par des
artistes tels qu'on en possédait alors. La salle, rattachée au décor,
figurait des fortifications, et les spectateurs s'y prélassaient commodément
sur de bons tapis, au milieu de lustres et de guirlandes de fleurs.
L'orchestre, invisible. se faisait entendre tantôt
d'un côté, tantôt de l'autre. Les
organisateurs ne négligèrent rien non plus pour soutenir la pièce elle-même
par une grande variété de spectacles : un lever de rideau joué par des
enfants ; un prologue ; quatre pantomimes d'entr'acte : l'histoire de Jason,
avec des taureaux de baudruche à naseaux fumants ; Vénus, entourée d'amours ;
Neptune, dans les flammes, tiré par des monstres fantastiques ; Junon,
entourée d'une nuée d'oiseaux tellement vrais qu'un instant Castiglione, qui
les avait fait faire, les crut naturels[74]. Tout cela dansait des pas
savants, avait des trucs imprévus. A la fin, un amour récita des
stances, q Iliaques violes cachées chantèrent une romance sans paroles,
quatre voix conclurent par un hymne Cupidon. En
somme, si les femmes n'avaient pas la direct ion de ce régal platonique,
elles n'y perdaient rien : la fête leur était dédiée, tout avait pour but la
glorification de l'amour idéal. Une pareille représenta-l ion prenait un
caractère élevé et presque solennel, dans le genre des représentations
actuelles de Bayreuth. La Calandra
était-elle un chef-d'œuvre ? Non : l’intrigue tient à une équivoque entre
deux jumeaux, Frère et sœur, qui changent de costume suivant les besoins ;
Bibbiena a tiré de là des situations risquées, des mots verts, des
explications embrouillées[75]. Mais elle obtint un succès
immense. On la représenta encore à Urbin en 1513, puis au Vatican à propos
d'une visite d'Isabelle d'Este. Sur cette scène suprême, ses hardiesses
éclatèrent au grand jour de la critique et scandalisèrent quelques cardinaux
; mais, d'un autre côté, son interprétation fut si splendide, « comme
élégance théâtrale, comme esprit, solidité et gaîté[76], » que l'enthousiasme déborda ;
la marquise Isabelle n'eut point de repos jusqu'à ce qu'elle eût organisé à
Mantoue une représentation semblable. Cet événement se produisit en 1520.
Depuis lors, d'innombrables éditions ont popularisé la Calandra, que la ville
de Lyon choisissait encore, bien des années après, pour ses galas en
l'honneur de Catherine de Médicis. La
perfection du théâtre atteignit son apogée au Vatican, sous Léon X.
L'habileté des acteurs, tous gens du monde, leur jeu sobre, attique, sans
trace de métier, fit de cet art un délice esthétique. Toutefois, les femmes
ne paraissaient pas sur la scène. Leurs rôles étaient tenus par des hommes,
et à ce titre nous devons présenter à nos lectrices un jeune prélat, attaché
de nonciature, Thomas Inghirami, qui fut, à la cour de Léon X, le coryphée
des rôles de femme. Florentin et ami intime du pape[77], qui a tenu (personne ne
l'ignore) à se
faire peindre avec lui par Raphaël, écrivain parfait, au point qu'Erasme
l'appelle « le Cicéron du siècle[78] », Inghirami aurait pu
occuper une place de premier ordre dans cette illustre génération, si son
dilettantisme aimablement nonchalant ne l'eût porté à croire qu'on abuse de
la plume ; il se bornait à briller dans la conversation, et là il était
inimitable ; Bembo, Sadolet ne parlent de lui qu'avec enthousiasme, et, (lu
reste, dans un des milieux les plus connaisseurs, mais les plus difficiles,
qui aient jamais existé, il se fit, comme causeur, une renommée européenne.
S'il n'avait pas la gaieté extraordinaire de Bibbiena, il parlait avec une
passion, un esprit, un feu éblouissants ; ses grands
yeux, noirs comme le charbon, ont une puissance incroyable ; on sent que son
cœur lance des éclairs. Il aima
le théâtre ardemment. Un jour, chez le cardinal de Saint-Georges, dans le
rôle de Phèdre, de l'Hippolyte de Sénèque, il transporta tellement les
assistants par sa distinction, et surtout par sa flamme, que le nom de «
Phèdre » lui resta invinciblement attaché. Il fut prédicateur, savant
bibliothécaire du Vatican, digne évêque de Raguse ; n'importe, d'un bout à
l'autre de l'Europe, on ne connut plus que « Phèdre », ou tout au plus «
Thomas Phèdre ». Seulement, on masculinisa le nom ; c'est ainsi qu'Erasme
écrit : « J'ai connu et aimé Phèdre » (Phœdrum). Malheureusement,
dès 1505, les correspondances de Rome retentissent d'une nouvelle lamentable
: Phèdre engraisse, Phèdre est gros. « Tant mieux,
riposte en grec Bembo, nous lui souhaitons deux jumeaux. » Le portrait du
Palais Pitti nous le montre, en effet, ce superbe type platoniste dé
pseudo-femme, déjà un peu large ! On voit qu'il a été beau, certes ! Ses yeux
continuent à flamboyer et jettent vers le plafond leur regard toujours
fougueux ; il a encore sa belle main potelée, sa bouche spirituelle : et pourtant,
assis à sa table, il n'a plus l'air que d'un beau prélat. C'est
ainsi que s'irradiant de Rome, sous les auspices de femmes comme Isabelle
d'Este[79], ou de connaisseurs comme Louis
de Gonzague, évêque de Mantoue[80], l'art du théâtre régna
noblement dans les cours et les châteaux d'Italie[81], sans rien perdre de son cachet
élégant et artistique. II se prêtait à tout avec une extrême souplesse, et il
allait, de l'opéra-ballet en plein air[82] à la comédie ou à la tragédie.
Mais il prit, comme les Nouvelles et les Romans, un caractère licencieux et
même cynique, que tout le monde trouva naturel. Ainsi, à Turin, au
commencement du carême de 1537, on représentait une comédie des plus osées :
« Quelle fête lui font les dames d'ici ! » s'exclame un témoin. A Foligno, le
préfet pontifical, un certain Orlino, réglait
lui-même la mise à la scène du Marescalco,
pièce d'Arétin fort légère, et aussitôt après la représentation ce digne
suppôt de la « tyrannie » pontificale écrivait à l'auteu
r pour en réclamer une autre semblable. La Ruffiana
de Salviano et bien d'autres pièces plus que libres
obtinrent d'éclatants applaudissements. Quelques personnes s'émurent,
déclarèrent le théâtre un foyer d'immoralité. Le Sénat de Venise, par décret
du 29 décembre 1509, interdit toute représentation, même dans un salon,
fût-ce une récitation d'églogue, et cela sous peine d'un an de prison et
d'exil, « irrémissible » disait le texte — toutefois, d'après un
post-scriptum secret, le Sénat se réservait de prononcer la peine, et à une
forte majorité —. La Calandra n'en fut pas moins représentée à Venise,
en 152i, sans aucun incident[83]... Le
théâtre italien, n'ayant pas pour lui les femmes, réussit peu en France[84]. On
vivait sur les vieux Mystères ; l'entreprise venait habituellement d'un
couvent[85], d'une ville, et, à l'inverse
de l'Italie, elle conservait un caractère d'enseignement patriotique et moral
plutôt que d'œuvre d’art[86] ; ainsi nous voyons Louis
XII faire grâce à un impresario, pour quelque peccadille criminelle, en
raison de l'excellence de sa profession[87]. Italianistes et platonistes français respectèrent cette tradition. En 1506,
sous les yeux de Louise de Savoie, la ville d'Amboise fit représenter un
mystère de la Passion, « le plus beau qu'on pût trouver ». Un prêtre jouait
le rôle du Christ ; la représentation dura huit jours, et avec un tel succès
que, deux ans après, M. de Longueville voulut la recommencer à Châteaudun et
entretint même à ce propos une correspondance aigre-douce avec les édiles
d'Amboise, qu'il accusait de confisquer le texte. Ce mystère avait coûté fort
cher : la ville mit cinq ans — ce qui paraissait alors énorme — à amortir un
emprunt de 4.000 livres contracté à cette occasion[88]. On ne voit pas que Louise de
Savoie, qui habitait le château, ait, en quoi que ce soit, contribué à la
dépense, comme le faisait M. de Longueville à Châteaudun ; elle n'y contredit
pas non plus, et. vers le milieu du siècle, c'est
encore sous les yeux d'une femme tout à fait platoniste, la seconde
Marguerite de France, à Bourges, qu'on signale les dernières assises connues
de l'art des Mystères[89]. La
première Marguerite, si hardie sur les autres points, conserva en matière de
théâtre une remarquable réserve. Elle se borna à tenter un genre
intermédiaire : des comédies religieuses, espèce de moralités italianisées,
plus faciles à représenter, moins massives que les anciens Mystères, et
d'ailleurs ni très pieuses, ni très gaies, ni très propres à saisir vivement
le public. De sorte que le théâtre conserva longtemps les traces de son
caractère initial. Voltaire encore dédiait une tragédie au pape et enrageait
de ne pouvoir se faire représenter à Genève. Le seul genre cosmopolite est
celui des farces, pochades, arlequinades, charges de carnaval, auxquelles les
plus glorieux platonistes de Florence ont attaché leur nom[90]. Arlequin et Polichinelle ont
toujours réussi en France[91] : « Ils ont de quoi faire
rire sans se chatouiller[92], » mais ils n'apportaient
rien de nouveau. Il y avait beaux jours que la farce française florissait sur
les tréteaux : ce n'était qu'une concurrence. En résumé, comme on voit, les femmes de la Renaissance ne s'ingénièrent à être ni savantes, ni bas-bleus. Elles écrémèrent simplement les livres et les œuvres d'art pour en tirer ce qui convenait à leur mission, c'est-à-dire de quoi causer et réchauffer leur enthousiasme. Elles n'ont pas été jusqu'à ce qu'on appelle « l'humanisme », comme les prélats : elles se sont bornées, à aimer le beau intellectuel, plus que le beau plastique ; elles ont cultivé les lectures sentimentales et passionnées, elles ont goûté la beauté de la forme avec une sensibilité extrême. Elles agissaient en femmes instruites, et surtout en femmes sensibles, en femmes qui veulent plaire, noblement fidèles à leur pur programme d'amour élevé. |
[1]
P. 378.
[2]
H. Salel, p. 52.
[3]
La granl Nef des folz.
[4]
Eloi d'Amerval.
[5]
Les Prisons.
[6]
Ms. fr. 2545 1, f* 1 v° ; Quentin-Bauchart, p. 8.
[7]
Recueil factice de 1538, de publications italiennes, lui ayant appartenu (Bibl.
Nat. rés. Ysd. 1210-1211).
[8]
Ces charmants petits volumes, reliés avec art, à la marque de la salamandre sur
le plat, existent encore à la Bibl. Nat. rés. Z 735
(Bembo, Epistolarun), Z 1079 (Bembo, Prose). Z 1958
(Montanus, Opera), Z 1947 (Pontanus, Opera).
[9]
Louise de Savoie.
[10]
Voir M. L. Delisle, Cabinet des manuscrits : Inventaire de Marguerite
d'Autriche.
[11]
Lucrèce Borgia n'apporta à Ferrare, pour son usage personnel, que des Heures
élégantes, quelques livres de piété, un manuel d'histoire, un recueil de
chansons, un Dante, un petit Pétrarque (Gregorovius, pièces, n° 65).
[12]
Ms. fr. 815 (exempt. de
Louise de Savoie)
[13]
Voir not. Castiglione, qui est tout à fait cicéronien et qui a emprunté à
Cicéron des passages entiers. Une traduction du De Officiis
fut publiée à Lyon dès le 11 février 1493-94.
[14]
Gruget, Dédicace de l'Heptaméron.
[15]
Calvitii laus
; IX, 43.
[16]
Brantôme. Allusion très transparente à Louise de Savoie, à sa fille et à
Octovien de Saint-Gelais, dans Corn. Agrippa, lettre du 1er mai 1526.
[17]
La Fiummella, de Boccace, l'églogue de Virgile
sur l'Amour à l'Antique, Formosum pastor, la Célestine (1re épître du
Coq-à-l'Âne).
[18]
Corn. Agrippa.
[19]
Chiffre fatidique, depuis Boccace.
[20]
Lemaire de Belges (Temple d'honneur), Bouchet (Temple de Bonne
Renommée, 72 v°), Brantôme.
[21]
Claricio, Amoroso visione.
En 1521, Andrea Calvi paya de même une édition d'œuvres inédites de Vegio (Convivium
deorum).
[22]
Préface et liv. I.
[23]
Hept., 7e journée.
[24]
Bareleta.
[25]
La duchesse d'Orléans les aimait tellement que son mari ne trouve pas de plus
galant cadeau à lui faire que le roman de Troïlus et Criséïda, et un jour elle envoie un exprès courir en toute
hâte après une dame de la cour qui, après avoir emprunté un Clériadus,
oubliait de le rendre, comme il arrive souvent. (Voir notre Histoire de
Louis XII, t. I.
[26]
Gaston Paris. Histoire poétique.
[27]
Bouchet le célèbre (Temple de Bonne Renommée). Lazare de Baïf le vante à
Charles IX (lez Passetems, p. 56) ; Molinet
lui donne un vernis religieux, Clément Marot le badigeonne au goût du jour et
l'édite à nouveau.
[28]
Voir Firmin Didot, Essai de classification.
[29]
Lanoue.
[30]
L'onziesme livre... (1555).
[31]
La lecture de Lancelot du Lac a inspiré à Dante, comme on sait, le
délicieux passage sur Françoise de Rimini.
[32]
F° 99.
[33]
F° 129.
[34]
Gebhart, Préface de Don Quichotte, I, p. 10.
[35]
Ginguené, IX, 355. Il avait pu les prendre dans la bibliothèque du
Palais. (Cappelli.)
[36]
De juc. Musicæ laudibus. Un bois, trois fois répété dans les
Illustrations de Gaule (édition de 1528), représente la France sur un trône,
ayant le Malheur sous ses pieds. A sa droite est la Noblesse, figurée par une
jeune fille jouant du violon ; Asa gauche, le Peuple, sous les traits d'un
jeune homme, jouant de la guitare.
[37]
A. Graf, p. 37.
[38]
Agrippa, De Vanitate, ch. XVII.
[39]
Vatican.
[40]
National Gallery.
[41]
Tiraboschi, VI, p. 2, p. 157, 236.
[42]
Tiraboschi, VII, p. 1, p. 211.
[43]
JJ. 234, f° 73 v°.
[44]
Histoire de Louis XII, I, 244.
[45]
B. Prost, Arch. hist., I, 436.
[46]
Histoire de Louis XII, I, 242.
[47]
Ms. fr. 143, f° 65 v°.
[48]
P. 4.
[49]
Si bien traduit par Jean Bellini, dans sa Jeune fille chantant,
d'Hampton-Court Palace ; Castiglione, pp. 115, 118.
[50]
Billon, p. 156.
[51]
Bouchet, 14e Épître familière.
[52]
Castiglione, p. 182-183.
[53]
C. Agrippa ; Bonav. des
Périers, Nouvelle 40.
[54]
P. 127-130. pp. 175, 178.
[55]
P. 72.
[56]
On peut dire la même chose de la peinture ombrienne, toujours jeune, parce que,
par-delà les habiletés techniques, elle était purement en âme.
[57]
Castiglione, p. 98, 316, 377.
[58]
Charles VIII fut même obligé de se livrer à des démarches comminatoires pour se
faire restituer un chanteur et un joueur de luth qu'on lui avait débauché quand
il traversa Florence. (Ant. de la marquise de Barat,
n° 71.)
[59]
Fétis ; Bern. Prost, Arch. hist., t. I ; Utilissima
musicales regule, etc.
[60]
Ockeghem, comme on l'a dit, « insuffle dans sa musique une âme chantante, il
l'enveloppe d'un corps harmonique vigoureusement membré, et il la revêt d'un
fin tissu de développements thématiques, ingénieux, d'imitations plus ou moins
serrées, plus ou moins larges. On trouve dans les morceaux d'Ockeghem, souvent
dans leurs voix intermédiaires, des périodes entières remplies du plus
admirable développement mélodique, et d'une douceur et d'une profondeur
d'expression extraordinaires. Ses harmonies sont assez fréquemment singulières
et antiques, mais elles ont de l'éclat et du corps. Il dispose aussi les
terminaisons de ses morceaux d'une manière parfois surprenante et étrange, mais
certainement aussi très intéressante. » (R. Eitner
cité par M. Brenet.)
[61]
ILemaire de Belges, Épître à Fr. Le Rouge.
[62]
L'Harmonie, par Paul Véronèse (fresque de Masera) ;
le Parnasse, le couronnement de la Vierge, par Raphaël (Vatican) ; F.-A.
Gruyer, 128, 138 ; Bottée de Toulmon, 36.
[63]
Luzio, p. 110.
[64]
Cf. Pietro Canal. Mantegna l'a dessiné dans une vignette, en tête des Stances
de Tebaldeo (Venise, 1522).
[65]
F.-A. Gruyer, II, 151.
[66]
Stultifere nases, grav.
3.
[67]
Proverbe napolitain.
[68]
Erasme, IX, 1159.
[69]
Erasme, t. IX, ch. II,
55 ; Agrippa, De Vanitate, ch. XVII.
[70]
Eloi d'Amerval.
[71]
Musée du Louvre.
[72]
Vasari, Paul Jove. Cependant M. d'Ancona, t. I, pp.
268 et suiv., a montré que les assertions de Vasari à cet égard sont trop
absolues, et qu'au XVIe siècle les représentations religieuses gardèrent encore
un rôle important en Italie.
[73]
Le Musée de Madrid possède son magnifique portrait par Raphaël.
[74]
Castiglione, Lettere, I, 156.
[75]
Dejob, p. 275.
[76]
Paul Jove.
[77]
Né en 1470, comme lui.
[78]
Gruyer, Raphaël, II, 23.
[79]
Luzio, p. 213.
[80]
Umb. Rossi.
[81]
Luzio, p. 271.
[82]
Un opéra-ballet fut offert en plein air par Bergonce
de Botta, dans son parc de Tortona, A l'occasion du
mariage d'Isabelle d'Aragon (Félix Clément, p. 467.) Cf. Yriarte, Venise,
p. 187.
[83]
Volpi, p. 234.
[84]
A Metz, en 1502, le public interrompit violemment et rendit impossible la
représentation d'une des pièces de Térence qui se jouaient couramment à Rome ;
la représentation ne put se continuer que le lendemain, devant une réunion
d'élite, composée en bonne partie de membres du clergé.
[85]
JJ. 234, 48.
[86]
Mystères de la Passion (publié par MM. Gaston Péris et G. Raynaud), des Trois
Dons, joué en 1509 (publié par MM. Giraud et Chevalier), de saint André, joué
en 1512 (publié par M. Marcelin Richard), de sainte Barbe (M. Petit de Julleville, I, pp. 350 et suiv.), de saint Eustache, joué
en 1504 (publié par M. l'abbé Paul Guillaume), etc.
[87]
Bulletin des bibliophiles bretons, 1re année, p. 53
[88]
L'abbé Chevalier, Inventaire des Archives d'Amboise, p. 210-213. 363-364
(octobre, novembre 1508).
[89]
Pierre, Mémoire lu à la Sorbonne, 1895.
[90]
Laurent de Médicis, Pic de la Mirandole, Agnolo Divizio
da Bibbiena. Bernardo Ruccellaï, Machiavel et autres
: c'était un défilé singulier, incohérent, burlesque, de personnages
hétéroclites, diables, morts, nymphes, courtisans, vieux maris, jeunes femmes,
religieuses en goguette, chasseurs et chasseresses, pages, vents.
[91]
Emile Picot, Père Gringoire : Farces d'Alione, rééditées par M. Cotronei.
[92]
Montaigne.