LES FEMMES DE LA RENAISSANCE

LIVRE DEUXIÈME. — LA VIE DU MONDE

 

CHAPITRE IV. — LE CADRE MONDAIN.

 

 

Et maintenant, il faut vivre, agir ! tirer le bonheur de toutes les occupations naturelles et forcées d'une femme, aussi bien et mieux que des meubles ou des pierres ! Nous voudrions passer en revue le plus grand nombre possible de ces occupations ; nous montrerions que, petites ou grandes, il n'en est pas une seule qui ne paraisse à une femme un foyer de joie et de gloire, si elle y met de l'amour. Tout ce qu'elle fera d'infiniment humble, fût-ce de pétrir du pain pour son mari ou de lui laver les pieds..., s'anime d'une lumière prestigieuse le jour où elle agit par esprit d'abnégation, où elle pense que ce mari n'est pas le seul homme existant au monde, ni une sorte de caporal domestique, mais qu'il représente l'idée, l'éternelle idée qui chante dans tout cœur. Nous les avons vues, déjà, dans les jours de lutte, ces nobles femmes, toutes frissonnantes de dévouement, au chevet du mari malade : il en est de même dans les jours de bonheur. Elles trouvent leur force dans l'abstraction ; les choses qui nous entourent changent si bien d'aspect, se rapetissent ou s'agrandissent tellement, selon que nous les prenons pour ce qu'elles sont ou que nous les glorifions de pensées d'au-delà ! de pensées, et non de chimères ! ni de chimères roses, ni de chimères noires ! ni de dehors trop brillants, ni de revers trop désolés ! C'est principalement dans la vie domestique que l'abstraction est utile. Il faut tremper ses mains dans la beauté, remplir ses yeux d'amour, puis regarder les choses hardiment et véridiquement. Tout parait glacial, vulgaire et positif aux matérialistes, même le vice ; les femmes doivent — oui, doivent, et non pas seulement peuvent — tout rendre chaud et gai, — même la vertu.

Prenons au hasard quelques-uns de leurs actes les plus marquants : manger, se promener, aller à la campagne, occuper son dimanche... De chacun, elles peuvent faire jaillir l'étincelle sacrée. Nous allons voir comme tout se transfigure entre leurs mains.

Manger, d'abord. Rien de plus matériel en soi, et rien ne se spiritualise mieux.

La mise en scène d'un dîner de cérémonie caractérise une maison : c'est la pierre de touche du vrai luxe. On met sur la table les massives et lourdes argenteries, trésor familial, dont la maîtresse de maison garde la clef et qui comptent dans la fortune (certaines valent un million). Les jours de gala, la table flamboie d'or massif ; pour les dîners intimes, on se contente d'argent.

Le règlement des menus passe, avec raison, pour si important et si difficile que des hommes du plus haut mérite se sont appliqués à en fixer les principes ; Fulvio Orsini ne nous a rien laissé ignorer des meilleures traditions de la Rome antique. Platina. le Raphaël du genre, a publié, sous les auspices du cardinal Roverella, un traité qu'on peut citer comme un parfait modèle.

Dans les pays étrangers aux idées nouvelles, les hommes ne songent qu'à leur bouche, os sublime, selon le mot ironique de Brandt. En Allemagne, la joie, c'est la ripaille, à rares intervalles, mais énorme. A la fin du siècle, Montaigne demandait encore, à un ancien ambassadeur en Allemagne, combien de fois il avait dû s'enivrer pour le service de son roi : l'autre, très sérieusement, fit le compte, et affirma que, somme toute, il s'en était tiré en trois fois.

La tradition française était la même. Foires, marchés, pèlerinages, noces, baptêmes, enterrements, anniversaires, réunions de confréries ou de corporations, tout servait de prétexte à des mangeailleries villageoises pleines d'ivresse, souvent égayées par des rixes, aussi bien entre femmes qu'entre hommes. A la fin d'un de ces festins, nous voyons une présidente de confrérie traiter on ne peut plus énergiquement un buveur qui l'appelait « vieille sorcière[1] ». Les châteaux n'aimaient pas moins la grosse chère[2]. Les historiens devraient bien consulter les comptes de cuisine ! Sans eux on n'arrivera jamais à asseoir de sérieux jugements ; nous ne connaissons pas de document humain plus probant, ni qui établisse plus sûrement la synthèse d'une vie. Malheureusement, les vieux livres de cuisine français nous offrent un spectacle désolant : c'est une grande route, où passent des troupeaux de bœufs et de moutons, d'innombrables volailles, des lapins et des perdrix à la douzaine, le menu gibier par centaines ; le porc s'y étale en tranches colossales. Et toute la partie délicate, dans les maisons les plus distinguées, se réduit à quelques clous de girofle ou de cannelle pour fabriquer de l'hypocras ; quant au vin, c'est du vin de l'année, tiré au tonneau[3] ! César Borgia dut être bien surpris, chez Mme de La Trémoille, un vendredi de l'hiver 1498, de voir défiler un service de deux cent cinquante poissons. Le lendemain, qui était encore jour maigre, les avenues du château se couvrirent de charretées de poisson, en l'honneur de la visite du roi Louis XII : il arriva notamment sept cent cinquante anguilles[4]. C'était dans le pays de Rabelais. Aussi, en fait de génies tutélaires de la table, on ne connaissait encore que des spectres affreux, dame Goutte, dame Gravelle ou dame Apoplexie[5], qu'on saluait[6] gaiement[7].

La philosophie, plus salutaire, vient s'asseoir à leur place.

Elle apprend à dîner par cœur.

La table s'idéalise ; on se préoccupe de la parer et de régaler les yeux en étalant de beaux oiseaux avec leurs plumes chatoyantes ou gaies, des paons, des cigognes, ou bien des brochettes de petits oiseaux, très jolies. L'art de la maîtresse de maison consiste à faire servir dans l'or et le cristal des choses fines, qui montent un peu la tête, tout en ménageant l'estomac ; d'abord le dessert, composé de fruits et de sucreries, puis des compositions d'œufs ou de poisson, des plats légers, où pistaches, poivre, gingembre, romarin, thym, menthe..., tout ce qui a une douceur ou un parfum s'insinue et se joue en combinaisons multiples[8]. Comme au Banquet de Platon, on se met à table non pas pour manger, mais pour causer, parce qu'il n'y a pas de cadre plus gai, plus chaud, plus tranquille que celui-là. Souvent, dans le système platoniste, une femme unique préside, et tout aboutit à elle : de ses yeux pleuvent les amours », c'est-à-dire, selon les convives, « le manger et le boire, l'ambroisie et le nectar[9] ». Elle donne l'essor ; les mots s'entrecroisent et partent comme des fusées, ou bien l'esprit voltige doucement, pendant qu'un petit rire bourdonne. D'un avis unanime, ce sont des heures charmantes. On se grise de mots : « C'est mon plus grand vice, » confesse Erasme.

Cet art s'acclimata si bien à la cour de François Ier[10], qu'il devint bientôt la joie de la France : Marguerite de France nous parle avec enthousiasme de ces dîners où l'on s'échauffe « plus de paroles que de viande ». L'esprit français, qui tient toujours un peu à l'estomac, pétille tout naturellement.

En Italie, on avait le défaut de trop soutenir le dîner par des moyens esthétiques ; on n'osait pas se fier à la conversation tout simplement, on faisait de la musique, ce qui paraitrait en France une hérésie[11]. Le roi Alphonse de Naples, qui passa longtemps pour le docteur du bien vivre, compliquait même ses dîners par toute sorte de raffinements ; après les premiers services, c'était l'enchantement d'une harmonie aussi douce que la brise de Capri, devant une mer aux traînées étincelantes, ou bien des mimes, le pulcinella, un éclat de rire, puis ses hôtes se remettaient à table jusqu'au moment où, la tête pleine des ondulations capiteuses et des généreuses fumées du falerne, ils se retiraient en emportant l'argenterie[12].

En Allemagne, on passait la journée à table, avec une liberté souvent triviale, et toute cette vieille gaieté du moyen âge, dont les Propos de table de Luther nous ont conservé un excellent spécimen. Pourtant le Rhin n'est pas si large et les Alpes ne sont pas si hautes que bientôt de pareilles habitudes ne parussent choquantes et désastreuses, lorsqu'on put les comparer à la fine science d'urbanité qui se répandait dans le monde. Beaucoup d'écrivains s'ingénièrent à polir ces façons, en publiant des manuels de civilité et des recueils de bons mots. S'ils n'établissaient pas l'art de la conversation, ils en indiquaient les rudiments, et, en somme, ils réussirent suffisamment pour qu'en 1549 il ait été nécessaire de remanier la 4e édition du recueil classique de Gastius et d'en élaguer un certain nombre de plaisanteries qui paraissaient dépaysées, « vu la calamité des temps ». Ainsi l'esprit de la table eut tant de succès, que, même en Allemagne, on chercha à s'en rapprocher ; mais ce qui en fait le sel, l'humour, resta jusqu'à nouvel ordre une qualité française.

Le bal et la danse, quoique bien plus esthétiques en eux-mêmes, ont été beaucoup plus difficiles à idéaliser, parce que le côté sensuel y tient plus de place. Il ne faut rien exagérer pourtant, et les proscrire serait absurde. Rien de plus ridicule que la jalousie de certains maris — les maris ne craignent pas assez le ridicule ![13] —. Et c'est d'ailleurs bien inutile. Une femme avisée ne manque jamais de prétexte pour aller dans le monde, elle a toujours sous la main une jeune fille à y conduire[14]. On cite bien une jeune dame, de la propre cour de Louise de Savoie, qui, pour éviter une attaque d'apoplexie à un vieux mari, eut l'héroïsme de se cloîtrer[15] ; mais ceci est le contraire même de l'esprit de sociabilité. Pourquoi se forger des chaînes inutiles ? Vives lui-même, qu'on ne peut pas suspecter, convient que « la danse accompagne tout naturellement les plaisirs du monde et les dîners ». Seulement il y a danse et danse. L'idéal de la joie platoniste et du bonheur, ce serait une danse libre et tout à fait intellectuelle 4, d'après un rythme calme et délicieux, une danse qui fasse jouir de la vie ; en légers vêtements flottants, nu-pieds, nu-tête, sans ceinture, à l'air doux du printemps, sur un tapis de gazon, parmi le jaspe et le corail, sous les palmiers aux longues feuilles, dans le parfum des roses et des pins, une danse enivrante, dont le mouvement, très pur, s'harmonise à la grande musique de la nature, aux roucoulements des colombes, aux puissantes arpèges de la mer. La femme qui, seule, ou la main dans la main de ses compagnes, s'abandonne à ce charme exquis, à cette douceur magique, qui s'associe à ce rythme impondérable de toutes choses, ne représente-t-elle pas une déesse du bonheur, et n'arrive-t-elle pas à incarner pour nous le charme divin de la Nature ?

En pratique, la danse n'atteint guère cet idéal ; cependant, même renfermée dans un salon et réduite à un art de société, elle peut encore répondre à de hauts besoins (l'association morale, et devenir pour les femmes un instrument du charme le plus respectable. Les Italiens, surtout, excellent à lui donner un air solennel de gravité sentimentale : certaines de leurs fêtes ont marqué dans l'histoire, par exemple le bal donné à Milan, le 15 octobre 1499, par François Bernardin Visconti en l'honneur du conquérant Louis XII[16], ou bien, au point de vue du luxe, le bal par souscription, des gens de maison à Venise, en février 1524[17]. Voilà des œuvres d'art mémorables ! Mais, en France, on n'a jamais compris cette haute portée du bal. Quand on donne un bal, on s'inquiète faiblement de la postérité, et beaucoup d'un certain nombre de petites jouissances présentes, qui font un peu descendre les femmes de leur piédestal.

Il y a notamment un usage particulier, fort gracieux par lui-même, mais peu céleste et qui prête à des abus ; c'est celui du baiser.

Par tous pays, les gens bien élevés aiment à baiser respectueusement la main d'une femme[18]. Les Italiens le font avec ferveur ; au besoin, ils baiseraient les pieds, et il faut être Allemand[19] pour taxer d'idolâtrie le baisement appliqué aux mules du pape ! Les italiennes jouent de ce baiser avec une grâce parfaite, avec toute sorte de petits raffinements : dans une rencontre banale, elles se borneront à une bonne poignée de main ; mais, vis-à-vis d'un homme qu'elles veulent honorer, elles seront les premières à baiser la main, et cela tendrement, sans aucune de ces affectations de respect qui inspirent quelquefois d'amères réflexions. C'est un usage charmant, et bien naturel ; mais, en France, il a une couleur toute différente : les hommes, étant les maîtres, ne s'arrêtent à aucune nuance, il leur suffit d'avoir à saluer une femme agréable ou à prendre congé d'elle, pour lui appliquer un baiser sur la bouche, et ils donnent pour motif que ce procédé leur paraît « amyable et doulx[20] » ! Au bal, c'est bien autre chose ; chaque figure de danse aboutit à un baiser, et, si l'on ajoute qu'elle se complique d'entrechats évaporés, il faut reconnaître qu'un bal français a le goût du terroir. En vrai Français, Louis XII se crut obligé, au bal de Bernardin Visconti, de baiser à la file toutes les darnes qu'on lui présenta, autrement dit toute la Lombardie.

Ah ! si l'on écoutait les platonistes et les vrais amis des femmes, les choses changeraient ! Ils sont outrés de ce spectacle, qui leur gâte leurs joies intellectuelles. Déjà, dans son temps, Pétrarque s'élevait contre des habitudes bien moins pertinentes[21] : que dirait-il, grands dieux, s'il ressuscitait ! Le pis est que ces mœurs françaises font la tache d'huile, et Castiglione constate qu'elles s'infiltrent en Italie[22], lui qui a vu le temps où l'on n'osait même pas prendre la main de sa danseuse ! Quant à Vivès, il brosse un tableau de danses et de baisers -avec sa fougue espagnole : « Que veulent dire tant de baisers ? Il estoit anciennement licite de présenter seulement un baiser aux parentes ; maintenant la manière est partout, en Bourgogne et en Angleterre, de baiser qui on veut... Quant à moy, je voudrois bien scavoir de quoy sert tant baisotter... A -quoi servent tant de saults que font ces filles, soutenues des compagnons par sou lis les bras, afin de «regimber plus hault ? Quel plaisir prennent ces sauterelles à se tormenter ainsi et demeurer la plus-,part des nuicts sans se soûler et lasser de la danse[23] ? »

On s'est demandé plus d'une fois jusqu'à quel point les bienséances autorisaient, ou surtout obligeaient, des femmes bien nées à tendre leurs lèvres à tout venant, ou à se prêter à n'importe quel entrechat[24]. La question est très discutée[25] ; généralement, les gens les plus sages considèrent qu'on ne peut pas se soustraire absolument à cet usage, accepté dans la bonne compagnie, mais qu'on peut faire ses réserves, par exemple, présenter sa joue au lieu de sa bouche[26]. Montaigne plaint de grand cœur les femmes « d'avoir à prêter leurs lèvres à quiconque a trois valets à sa suite » ; mais, précisément, une sujétion si banale lui parait, par sa banalité même, manquer d'intérêt : « La cherté donne goût à la viande[27]. » Il est un peu de ceux qui voient là un simple acte de courtoisie, auquel une honnête dame n'a rien à dire[28], ou tout au plus une faveur si mince qu'il n'y a pas à en faire de bruit[29]. Nous devons ajouter pourtant que tout le monde n'est pas de cet avis ; et il ne manque pas de dilettantes qui n'estiment point cette douceur si négligeable ; Ronsard, très franchement, la trouve exquise et s'y complaît infiniment[30]. Quant à Niel in de Saint-Gelais, un jour qu'aux petits jeux il a gagné douze baisers, il jure que c'est bien peu : « Douze est bien peu, au prix de l'infini[31]. »

lei encore, les mœurs l'emportent sur la philosophie, et, sauf des exceptions un peu isolées, en matière de baisers et de danses rien ne résiste. Les exemples viennent de partout, de la cour, avec ses bals masqués si libres[32], et du fond des provinces : témoin cette grève singulière des dames d'Aix en Provence, à qui le parlement avait interdit, par pudeur, la danse de la volte — une sorte de cancan — et qui menacèrent alors de se retirer en masse chez le pape, en Avignon ; les maris apeurés durent obtenir l'annulation de l'arrêt[33].

Les platonistes ou leurs amis connaissaient trop bien le monde pour entrer délibérément en campagne contre des abus impossibles à déraciner. Ils se bornent à en gémir. Il leur parait déplorable devoir des hommes s'amuser pendant des heures entières à faire les polichinelles aux dépens d'honnêtes femmes ; ils trouvent absolument ridicule qu'on prétende interdire, dans le courant de la vie, d'effleurer par un mot, par un geste, par un regard, une femme qui plaît et qu'au bal tout soit permis[34].

Le remède, pour eux, consisterait à donner aux femmes des goûts plus sérieux et plus relevés ; ils croient qu'une femme, habituée aux idées vraiment belles, saura se placer assez haut, pour se faire aimer, sans se plier aux caprices du premier venu.

Les huguenots ont suivi une politique différente, et n'ont pas craint d'attaquer la danse à tour de bras, quelle qu'elle soit ; on dirait qu'ils ne dansent pas. Ils parlent de rapprochements de bêtes, de confidences désastreuses : « Voyez, s'écrie le bon Daneau avec horreur, cette dame, tête haute, qui se guinde, se démène, se branle, qui fait résonner ses pas... » C'est le bal... Connaissez-vous rien de plus ridicule ?... Mais ce qui l'attire, c'est qu'au vestiaire elle laisse sa pudeur. en même temps que son manteau, aux mains des laquais... « Là, les yeux de chacun peuvent choisir, jusques entre les bras de leurs maris ou de leurs mères, celles que bon leur semble. c'est-à-dire celles où les adressent leurs convoi- tises ; et celles que les yeux ont choisies, les mains les lient, et, comme déjà saisis et jouissant de leurs désirs, ils les baisent, les embrassent, les promènent ; les jeunes gens s'efforçant de se montrer dispos et gaillards pour faire la fête et caresser avec mille tours et approches celles qu'ils tiennent, et celles-là ne rendent moindre peine à leur répondre de même. En la volte, il y a des artifices ordinaires pour faire bondir et lever si haut celles que l'on tient, qu'aux yeux de la troupe se découvrent et prostituent les grèves, les tymbres jusques à la cuisse, sans honte. Le bal aura ses passages, ses revues, ses rapprochements, et, à la rencontre, les œillades, les cabrioles, les gaîtés redoublées, comme témoignages de cœurs soulevés d'aise, de se revoir si près de leurs désirs. Chaque sorte de danse donnera des inventions de plaire, de voir, de toucher plus privément. Et encore ce sera au son de toutes sortes d'instruments[35]. »

Les huguenots, comme on voit, ne mâchent pas les mots. Mais la danse ne s'en trouve pas plus mal. D'après les féministes, elle n'est, en soi, ni mauvaise, ni ridicule : l'art consiste à idéaliser l'œuvre des jambes, comme on a idéalisé celle de l'estomac ; du reste on convient que, le cerveau se trouvant plus loin, il y a plus de difficulté.

En revanche, les femmes abandonnent volontiers ce qui n'a pas trait à la sensibilité : le jeu par exemple. Leurs maris ont la frénésie du jeu : hommes faits ou enfants[36], oisifs ou gens occupés, tout le monde joue ; à une table de jeu, il n'y a plus de rangs ; tel grand seigneur emprunte cent écus à son barbier[37]. Qu'est-ce qu'une salle de jeu ? un endroit où on ne parle pas, où on n'entend que des interjections ou des jurons. Les femmes admettent bien une partie de dames, d'échecs[38], de trictrac[39] ; ne leur parlez pas du reste. Elles préfèrent les embrassements dont se plaignent Daneau, Vivès et les maris.

Pour les personnes de condition modeste, il y a un moyen usuel de produire son effet de charme : c'est d'aller à la messe, surtout le dimanche, à la messe élégante : cela leur tient lieu de salon.

Bien entendu, nous ne parlons pas ici des sentiments religieux, mais du procédé extérieur pour capter les hommes.

On se rend à l'église comme à un rendez-vous général et familial. Dieu est le bon père, qui réunit ses enfants une fois par semaine ; le dimanche est le jour consacré aux impressions élevées, à la jouissance en commun des choses qui font la vie, le jour esthétique, le jour de la musique, des belles fresques, des déploiements d'élégance. On traite le temple avec une affectueuse familiarité, contre laquelle les prédicateurs protestent vainement depuis bien longtemps.

Dans les pays du Nord, cette familiarité comporte en effet des scènes assez déplaisantes, et le clergé prend beaucoup de peine pour en restreindre les abus. A Tournay, par exemple, il paraissait très désagréable aux vicaires de la cathédrale de servir tous les ans de mannequins pour la procession grotesque des saints Innocents, et d'être ensuite sacrés évêques des fous dans un cabaret ; ils obtinrent la suppression de la fête en 1489. Mais la grosse gaîté n'était pas morte : tout le monde, y compris les principaux personnages de la ville, prit fait et cause pour les enfants dépossédés d'un si vénérable privilège ; et la fermentation se traduisit encore en 1498 par un charivari nocturne qui rendit fort soucieux le parlement de Paris[40].

Dans le Midi, on n'a pas à craindre de pareilles excentricités : l'église est le temple du beau, parce qu'elle appartient aux femmes. La foule arrive, bariolée, houleuse, bruyante ; il faut du temps avant que chaque rame ait pu installer ses atours[41] sur son coussin, à l'endroit convenable pour bien voir et bien entendre[42]. Alors s'élève un bourdonnement confus de bavardages plus ou moins discrets, un bruit de rires étouffés, de coussins qui s'agitent : « Il n'est meilleur lieu à devis que l'église[43] » ; on dirait un concert de « pies prises au piège ». Les dames s'appellent : « Jeanne, Catherine, Françoise... » Une dame qui arrive en retard veut se glisser devant une autre, arrivée d'avance[44], l'orchestre domine avec peine tous ces bruits ; les oremus restent en souffrance. Beaucoup d'hommes, debout dans les bas-côtés, se croient à la Bourse et causent de leurs affaires[45] ; il fut un temps où les gandins arrivaient l'épervier au poing, ou avec leur chien ; d'autres, immobiles, machinaux, pensent on ne sait à quoi, peut-être à rien[46]. Beaucoup regardent, dans la nef, les roulis multicolores, les chignons frisottés, les petits chapeaux. On lorgne un beau corset bleu à lacets jaunes et à manches vertes, bien décolleté. Les dames ont le talent de se tenir droites, dans une pose avantageuse qui va du profil au demi-profil, les yeux brillants et quelquefois furtifs. Voilà ce qui s'appelle une grand'messe ou l'alentour d'un confessionnal à la mode[47].

Ainsi s'établit de la manière la plus parfaite, aux pieds des autels, beaucoup mieux que dans n'importe quel palais, la belle égalité philosophique ; les coteries même disparaissent ; une femme qui a peiné à son rouet toute la semaine s'étale à côté de la grande dame, dans le même sentiment d'élégance, d'oisiveté et d'art. Pour peu qu'on ait la moindre étincelle de sensibilité ou d'amour du beau, l'église devient le pays du rêve, le point de départ de tout ce qui nous pousse en haut. L'église gothique, avec ses grands traits verticaux, lins et aériens, enlève l'âme dans une sorte de modulation mystique : l'église italienne a quelque chose de plus chaud, de plus humain et de vraiment intime : les femmes, illustres ou modestes, y éprouvent un sentiment tout à fait délicieux ; elles contemplent, avec une tendre confiance, la madone imperturbable qui a vu déjà passer bien des générations et qui continue à les regarder du fond du mur avec son sourire de femme, ce sourire infiniment doux, d'une tenace et universelle miséricorde, qui s'adresse en même temps aux enfants et aux morts, à quiconque souffre, aime, pleure ou rit, un sourire embaumé comme un encens de purification et de grâce : les Italiens aiment l'appareil des temples, les marbres vibrants de soleil, les voûtes demi-sombres où l'âme peut se dévoiler sans blasphème, et toutes ces petites chapelles retirées, où chacun trouve son saint et vient pendre son pauvre cœur tel qu'il est, souvent ému, défailli, comme le total ex-voto de la vie. Il y a, dans ces splendeurs cachées, dans le charme de la musique mystique, qui s'élève au milieu des peintures, des sculptures, des ornements dorés et des parfums, au milieu du passé et de l'avenir, une volupté tout à fait douce. C'est avec une profonde philosophie que Caviceo[48] place derrière un autel le premier entretien de sa belle et de son héros : certainement, en s'enveloppant de ce voile délicat et pudique, l'amour prend un caractère sacré. Aussi l'église devient-elle, en toute miséricorde, le refuge (les âmes sensibles et chastes, et même de quelques-autres[49]. Anne de Rohan donne des rendez-vous à son fiancé, dans la chapelle d'Amboise[50], une jeune-fille d'Orléans se sert machiavéliquement d'un cordelier pour attirer un étudiant qu'elle aime[51]. Pontanus nous dépeint les longues méditations des dames de Naples, bien après que le dernier des cierges s'est éteint dans la nef sombre[52]. On pourrait citer mille traits de ce genre : François Ier, poursuivant de sa dévotion une charmante enfant dans l'église d'Amboise[53] ; Panurge attaché par Rabelais aux pas d'une noble darne, lui offrant pieusement de l'eau bénite, lui glissant pendant la messe des billets incendiaires, et lui jouant les tours les plus pendables pour se faire remarquer ; le poète Crétin, furieux que les offices de Lyon tournent à l'avantage presque exclusif des jeunes élégants ou des gros banquiers...

Les pèlerinages aussi peuvent devenir, pour les artistes du bonheur, une source d'émotions ex-q aises. L'auteur de l'Imitation a dit qu'à beaucoup pèleriner on se sanctifie rarement. Au moment des pardons, les porches des églises disparaissent en effet derrière la fumée des rôtisseries ou les baraques de foire ; et un vieil auteur se plaint que les regards ne puissent même plus se croiser[54]. Mais comme l'esprit esthétique transfigure ces pardons grossiers et en tire des effets ravissants !

Ce ne sont plus des peintures ou des sculptures que regardent les cœurs troublés et les cœurs purs ; ils pénètrent le ciel limpide. Heureux les purs !

La douce, la tendre Isabelle d'Este part ainsi, pour aller porter son âme à travers les campagnes de l'Ombrie, vers les calmes et glorieux nids de paix et d'art, de Loreto et d'Assisi... C'était au premier printemps, par des journées radieuses, transparentes : chaque matin, après la messe, la petite caravane se remet en marche avec son escorte pittoresque, pieusement, tranquillement, idéalement ; elle fait halte, pendant les fêtes de Pâques, chez le duc et la duchesse d'Urbin, dans le joli palais de Gubbio, tout souriant du haut de ses jardins et de ses fontaines[55].

La femme, qui a su vivre ces heures de pur enthousiasme, a eu conscience qu'elle accomplissait une bonne partie du rêve ; elle parvenait à rassembler deux forces disparates, les forces de la nature et les forces du cœur, et elle en combinait un amour conforme au verbe de Platon et au pinceau de Raphaël.

Dans leurs rapports avec la nature, les platonistes cherchent surtout à l'élever et à la sentimentaliser, ils ne l'aiment point mâle et sévère, ils la veulent féminine.

Ils ne lui demandent pas de s'affirmer par d'immenses horizons, par un déploiement de vigueur sauvage ; indomptée, elle leur déplaît : autant dire un écrasant mécanisme qui s'agiterait et se torturerait sans but, tandis que la pensée humaine doit le posséder et le dominer : au contraire, plus elle s'assouplit, plus elle se fait docile, attentive et presque tendre, mieux elle répond à leur attente. Ils n'apprécient point les choses de la Nature, mais ils estiment une belle journée radieuse, un bel horizon, les fleurs qui embaument, les mers qui étincellent, caressent ou bercent, les bourgeons éclatant de sève et de vie, parce que cette vie, c'est la nôtre ; Platon a indiqué le besoin qu'il éprouvait d'un pareil cadre dans le célèbre prologue de Phèdre, lorsque Socrate et son ami, en suivant l'Ilissus, vont s'asseoir près d'un temple des Muses, à l'ombre d'un haut platane, sur un de ces gazons épais où les pas marquent leur trace : sous l'âpre poussée du soleil ardent, la vie crie et chante de toutes parts, le murmure de l'eau se mêle aux cris des cigales et à des myriades de bourdonnements confus ; des senteurs de toute sorte peuplent l'air et font respirer la vie, mais au milieu de cette symphonie profonde de tous les êtres l'esprit des philosophes règne.

Il s'en faut donc de beaucoup qu'on considère l'homme comme l'ennemi de la Nature ; il en est l'ami et le maître. La Nature nous parle, et nous lui parlons, nous en subissons l'action au plus haut degré. Non seulement le climat, la température, la beauté de l'horizon exercent sur nous une influence majeure, comme l'ont si bien compris les moines amateurs de larges horizons et de nobles sommets, mais on peut dire qu'il n'y a pas un arbre, pas une plante, qui n'influe sur nous par son voisinage. L'amour de la nature rayonne, quoique à un degré moindre, comme l'amour d'une femme, comme tout amour. II est donc bon et juste de ne pas négliger cette source si importante de sensibilité. La nature nous charme, elle aussi, parce qu'elle nous sourit et qu'on la sent aimable, parce qu'une force supérieure donne un sens à ses rochers orgueilleux et dirige les feux d'artifice de ses volcans. Il nous parait agréable (surtout dans les pays chauds) de nous tailler dans l'ampleur du monde, un peu trop vaste pour nous, une demeure particulière, de nous prolonger par exemple à travers les bois par des ouvertures droites qui portent au loin l'effet de notre volonté, de teindre et de transformer les fleurs, de tout marquer du sceau unique ; ainsi on élague ce qui sent l'imperfection ou la rudesse, on ne laisse voir qu'enchaînement et affection ; car, selon le mot d'un homme de ce temps-là, si l'on vient à la campagne, ce n'est pas pour « descendre de la lumière dans les ténèbres[56] ».

Salut ! palais, jardins, paradis de délices,

Dont les beaultez font ignorer les vices[57].

Dans ces conditions, les femmes, les philosophes, les prélats considèrent la campagne comme un cadre parfait pour la vie intellectuelle. On y jouit de soi-même plus complètement qu'à la ville — et cependant la vie citadine n'était pas aussi affairée qu'aujourd'hui ! —. Les redoutables heures de solitude contribueront elles-mêmes à cet agrément, si on sait y glisser un délicieux égoïsme ; elles permettront de récapituler bien des pensées passagères, de les déguster, de s'en servir le festin à soi tout seul, selon la préoccupation sublime de Lucullus, un jour que, par hasard, il dînait seul : « Est-ce que Lucullus ne reçoit pas aujourd'hui Lucullus ? » Nous retrouvons donc à la campagne la même mise en scène qu'à la ville, les mêmes meubles, la même argenterie, mais dressée sous le plafond lumineux d'un ciel d'été ; la même danse, mais à la clarté des torches et des étoiles[58]. Tout respire et tout pense : les arbres, artistement taillés, tendent derrière des statues leur draperie sombre, de jolies allées se profilent ou disparaissent entre les dédales de lauriers, de thyms, de romarins, une cascade légère tombe à petit bruit d'un rocher un peu mignard, et vite elle s'enfuit, sans tempête, dans la miniature d'un pré bien fauché. Ou bien, si la fortune du propriétaire est de force à se mesurer royalement avec la nature, ce sont de larges décors, de splendides villas, gloire de Rome, comme cette villa d'Este, à Tivoli, sorte de Versailles avant la lettre, si émouvante aujourd'hui encore dans la vie posthume de ses ombrages dépeuplés, de ses fontaines sans eau, de ses marbres brisés.

Il faut même noter ce phénomène singulier que la bonté et la générosité de la Nature paraissent aux esthéticiens une chose due. On n'aime la nature pour elle-même que dans les pays où elle se montre marâtre ; les Lombards, les Français, les Anglais, en sortant de villes enfumées et laborieuses, ne craignaient pas de vivre au fond d'un solennel domaine et de se mêler à la rusticité ; on les voyait sur la place de leur village, causer, se distraire avec les laboureurs. A Paris, on raffolait de fleurs naturelles, les statisticiens en évaluaient la consommation annuelle à 15.000 écus d'or[59], l'Université même les préférait aux feuillages en papier. Les gens du Midi, au contraire, enfants gâtés d'une terre qui rend même ce qu'on ne lui donne pas, foulent aux pieds les roses ou les violettes, sans penser à les ramasser. Les peintres italiens ornent les manuscrits de volutes savantes et d'or ; les femmes encadrent leur visage d'or et de perles[60], elles n'estiment les fleurs que pour les morbidesses du parfum ; beaucoup jonchent leur alcôve de lys, de roses et de violettes[61], comme quintessence de douceur. Mais on avait horreur de la vie de la campagne. Castiglione n'a qu'un mot pour qualifier l'existence des gentilshommes-farmers : « C'est indécent[62] ». Quant à Marguerite de France, sa grosse injure, son qualificatif démonstratif à l'égard d'un cœur récalcitrant, est celui-ci : « Ô cœur dur, rural et champestre[63] ! »

Il ne faut pas s'attendre à trouver, non plus, parmi les platonistes le goût des animaux ; lest femmes n'apprécient que l'animal d'alcôve, petite bote affectueuse, obéissante, bien à elles, qui reçoit passivement leurs baisers et sur qui elles peuvent placer en toute sûreté une partie de leur tendresse : un oiseau, un carlin. Je dis un, car l'unité est presque la règle ; à quoi bon une foule d'animaux de tout poil, même élégants, comme ceux qui remplissent les toiles de Véronèse ? Une femme aime bien mieux un seul petit chien, qu'elle porte sur son bras, contre son cœur, qui couche avec elle, avec qui elle se fait peindre[64] : « Qui m'aime, aime mon chien[65]. » La Vénus du Prado, de Titien, est nue, mais elle conserve les ornements indispensables : collier de perles, instrument de musique, petit chien. Marguerite écrit gaiement à M. de Montmorency qu'elle garde « les meubles » de sa nièce, c'est-à-dire « son perroquet et ses filles[66] ». La mort de l'oiseau chéri ou du petit carlin est un événement cruel. On le pleure : un petit chien si fidèle ! qui pourrait en remontrer à tant d'hommes[67] ! A peine si quelqu'un se permet de parler des puces du défunt, du poil qu'il semait partout, et des autres emplois que des femmes pourraient trouver pour leur cœur[68].

On n'aime pas les troupeaux d'animaux, sauf peut-être à titre de décor lointain : des troupeaux de paons, de cerfs... comme chez le roi de Naples[69], ou chez le cardinal d'Amboise. Anne de France avait établi une sorte de jardin d'acclimatation, où elle acclimata les dindons, et elle élevait des perroquets[70]. Mais cela n'a rien à faire avec l'esthétisme.

La vie à la campagne nous amène à aborder la grave question de l'utilité des exercices physiques pour les femmes. Question beaucoup plus difficile à trancher qu'elle ne paraît au premier abord ! Allez donc demander à tant de châtelaines françaises de vieux style, cuirassées de hâle, robustes aux intempéries, coureuses de bois, d'abandonner les exercices violents : la chasse, l'escrime, le pugilat, la paume, sous prétexte qu'elles y gaspillent leur charme ? Elles n'en croiront rien. Et cependant, après mûre discussion, le cénacle d'Urbin juge ces exercices-là tout à fait incompatibles avec le sens féminin[71].

Il faut venir à Lyon pour qu'une femme jolie et spirituelle, comme Louise Labé, se pose en « Brada-mante », en « Marphise », et vante ses cavalcades, ses coups de lance ! Toute italienne bien née déteste des allures aussi hommasses. Lorsque Charles VIII arriva à Naples, la princesse de Melphes, pour complaire aux goûts du barbare, lui présenta sa fille à cheval, mais montée de façon à ne « pas faire tort à son sexe[72] ». Il y a là un problème de pure esthétique ; non pas que les femmes, comme Isabelle d'Este et autres, manquent d'énergie ; au besoin, elles donneront des preuves d'une vigueur inouïe ; Marguerite de France, en Espagne, dans sa passion de servir son frère, enfourcha un cheval et courut jusqu'à la frontière avec une endurance, une prestesse, que les services de poste ont rarement atteintes ; seulement, si, sous le coup d'une ardeur véhémente, elles accomplissent ces prodiges, elles ne s'en vantent pas. Quel charme aurait pour nous Marguerite, malgré tout son héroïsme, s'il nous fallait la voir, bride abattue, à califourchon sur son bidet ? On ne peut pas citer une femme-militaire, d'un tempérament plus énergique que Catherine Sforza : craignait-elle de coucher sur la dure, de passer des nuits en plein air ?... Eh bien ! dès qu'elle a une heure de tranquillité, elle accrédite avec solennité chez ses voisins un brocanteur juif chargé de lui découvrir un certain duvet à matelas, qui passe pour exceptionnellement moelleux[73].

La défaveur, très nette, des exercices violents chez les femmes, eut son contre-coup chez les hommes et diminua infiniment l'ardeur pour tout ce qui était sportif ou athlétique. Même autour de Jules Il, on se moqua, à gorges déployées, d'un jeune cardinal qui, au lieu de montrer à ses visiteurs des livres, des tableaux ou des monnaies, les emmenait sauter dans son jardin[74]. En France, on perdit tout à fait — du moins dans le monde de la cour — le goût des exploits violents. On parlait bien devant les dames le langage des romans, vertu des armes, noblesse de la vertu, et, en disant cela, les jeunes gens brandissaient une épée inoffensive. Les tournois furent en faveur, comme une parade propre à séduire les yeux féminins, et simplement décorative, à moins d'accident. Il y avait des passes en habits d'argent, d'autres en habits rouges, verts, bleus ; à la fin, le vainqueur, suivi de pages, faisait au galop le tour de la piste, sur du sable fin, pour recueillir les bravos. Malgré tout, les femmes apprécièrent peu ce reste de barbarie ; elles ne voyaient pas la nécessité philosophique de se harnacher d'une lance et d'un cheval, pour courir le grand prix de la vie ; d'après elles, ce grand prix s'appelle « repos et joie souveraine[75] » ; il ne se gagne ni au galop ni à la vapeur.

La question de la chasse donne lieu à des appréciations assez diverses. La chasse plaît à l'homme comme la guerre ; pour lui, elle est noble, elle est sainte, puisqu'elle a pour but de verser le sang ; sous ce rapport, elle déplaît aux platonistes. Mais, d'autre part, l'homme est né pour se battre, et en définitive on ne peut que l'encourager à user sa combativité contre des animaux, créés précisément pour être tués par lui. L'état de boucher n'a rien de criminel ; mieux vaut tuer un veau qu'un homme, et un sanglier qu'un veau. Ainsi la chasse était un expédient utile.

Mais dans un temps attique, dans un temps divin, où la douceur infinie du beau finissait par pénétrer jusqu'à la moelle des hommes, on devenait plus exigeant, et on se demandait si de la chasse on pouvait tirer une idée éclatante : ou bien s'il ne suffisait pas, pour faire la part de l'animalité, de vaguer sans but, de prendre l'air sans prétexte, de cavalcader sous les yeux des femmes, fût-ce avec l'apparence trop évidente d'un homme qui promène sa bête ? Peut-être cela valait-il mieux.

D'un autre côté, à Rome on aimait la chasse.

Les chasses de la campagne romaine étaient célèbres d'ancienne date. Le chevreuil passait pour y être très vite, le sanglier très dur ; les lévriers des équipages appartenaient à ces races sacrées et savantes qui ne s'acquièrent pas à prix d'or, et dont potentats ou princesses sollicitent des rejetons avec une bassesse parfaite[76]. De plus, le luxe un peu matériel de la chasse, faute de pompes militaires, paraissait nécessaire aux intérêts politiques de la papauté, et par conséquent aux intérêts religieux, vis-à-vis de certains hauts personnages plus accessibles à de-pareils arguments qu'à ceux de la théologie : et. il ne faut pas l'oublier, les prélats romains sont, malheureusement pour eux, des hommes politiques en même temps que des esthéticiens ; tout en se liguant avec les femmes, il leur faut compter avec les hommes : la chasse offerte par Paul II à Borso d'Este, en 1471, est restée justement célèbre dans les fastes de 1'Eglise. Ainsi, il s'agissait moins de-tuer des animaux que de sauver des âmes, et on peut dire que la chasse tendait, sous ce rapport, à un but intellectuel.

Les grands papes de la Renaissance ne la cultivèrent pourtant qu'avec une certaine tiédeur : Alexandre VI, quoique excellent écuyer, chassa peu et médiocrement. C'est à peine si Jules II, çà et là, s'en allait dans les vignes ; marin de naissance, il préférait jeter au large ses filets, comme saint Pierre. Léon X caracolait davantage, à cause de ses menaces d'obésité[77] ; il chassait avec soin, avec éclat, avec son amour habituel de la perfection, mais sans ce qui fait l'art, ce je ne sais quoi que les chasseurs appellent « le feu sacré » ou le « diable au corps ». et que les amis du beau appellent l'amour. C'était un Florentin, et bien évidemment il n'attribuait pas au chasseur le beau rôle : en galopant, il ne pouvait pas s'imaginer qu'il chevauchât des idées. On dirait que, pour les gens comme lui, la Nature est vraiment femme ; ils voudraient la mettre sous verre... En revanche, nombre de prélats[78] réchauffent la chasse de leur enthousiasme, ils la diaprent de poésie, ils y portent leur gravité, leur douceur, leur décorum. Dès que les vieilles murailles de la Rome barbare ou les travertins du Colisée rougeoient (les premiers feux du jour, ou que les vieux arcs de triomphe secouent une fois de plus leur poussière devant le sourire des monts de la Sabine, un brillant cortège fait retentir sous le sabot des chevaux les dalles pontificales. Voici de grands esprits qui passent : la fière Catherine Sforza, Tebaldeo, le poète habile à parcourir les sentiers des forêts, Pontanus, veneur méthodique, philosophe silencieux, ou bien l'honneur de Venise, le sémillant Bembo, un peu fiévreux, car il veut « percer » le sanglier, trancher la hure et en faire honneur à la Vierge des bois « en vers qui passeront à la postérité » ; voici la blonde Lucrèce Borgia, « gloire de sa race », près de qui s'empresse Hercule Strozzi, qui écrit eu ce moment pour elle son grand poème la Chasse, moitié chasse et moitié politique. Qui encore ? l'omnipotent cardinal Ascanio Sforza, vice-chancelier de l'Eglise Romaine, tout fougueux, tout plein de l'animation juvénile qu'il conservera, à travers les plus cruelles épreuves, jusqu'au jour du grand repos dans l'église Santa-Maria del Popolo ; puis le cardinal Adriano Castelli, le spirituel diplomate, moissonneur de cœurs, l'humaniste admirable qui va célébrer cette chasse. Ces femmes, ces prélats chantent la gloire de Diane ; il leur semble que la noble déesse guide en personne leur longue théorie, parmi les tombeaux, dans le silence majestueux de ce grand désert romain, où de longs aqueducs, végétation étrange, promènent leur mélancolique décor.

Elle a relevé sa chlamyde peinte,

Ses cheveux d'or flottent aux vents,

Des cothurnes de pourpre lui couvrent les jambes,

Son carquois doré résonne sur l'épaule.

Ascagne réunit ses cohortes,

Seul, très attentif entre tous.

Haut perchés, tous ces hommes montent des chevaux de Lybie.

C'est fait : au pied de la montagne, le sanglier est débusqué, les lévriers volent, les chasseurs, dispersés, galopent par monts, par vaux, solides, infatigables... enfin, des cris ! des aboiements, des hurlements de chiens blessés ! Victoire ! le cardinal Ascagne apparait, l'œil en feu, le teint rouge, l'habit rouge, la dague plus rouge que tout, près du sanglier rouge. C'est l'apparition épique et enivrante. Les chiens se bousculent, les piqueurs s'agitent, les chasseurs débusquent de tous les côtés. Soudain, le calme s'est fait ; comme par enchantement, un repas exquis se trouve servi ; la douceur philosophique des guitares, la voix des chanteurs, les applaudissements des convives réveillent seuls l'écho alangui, pendant que circulent les larges flacons d'un vin généreux. Le cardinal Castelli se lève, et entonne, dans son beau latin pindarique, un hymne en l'honneur du triomphateur, « gloire superbe du sénat pourpré ». Rien de plus chrétien et de plus doux que cet hymne de chasse. Le cardinal rappelle comment le Rédempteur, « empereur de la vraie religion », a dissipé les divinités vaines et consolé l'humanité périssante, comment Il a apporté la vie, la force, la joie... Ascagne répond par cette invocation :

Ô Diane, vierge patronne des bois et des forêts,

Que tu veuilles te nommer Proserpine qui reluit dans la nuit,

Ou Lucine, Hécate, ou la douce Junon,

Dictynna ou Trivia,

Toi qui soutiens à chaque heure ma vie laborieuse,

Toujours je te tiendrai dans mon cœur !

Puis le soir arrive, l'ombre s'étend... Bientôt des piaffements joyeux retentissent sur la Voie Sacrée : ce sont les maîtres de Rome, que les ombres de Tibère et de Constantin saluent dans la nuit...

Pendant qu'à Rome la chasse s'alliait ainsi à la poésie, on devine qu'en France elle ne prenait pas un pareil essor... Le bon Louis XII, sagement régnant, n'aurait pas eu grand effort à faire pour donner à ses exploits un caractère sérieux et calme, car sa santé l'obligeait à chasser en litière, et plus souvent avec des oiseaux qu'avec des chiens ; même, au chenil de Blois, l'esprit poétique opéra sa timide trouée : les poètes de la cour exaltèrent les faucons et les chiens royaux, n'ayant pas à leur disposition la mythologie romaine, ni les ombres de Tibère et de Constantin ; on honora d'une charmante épitaphe le vénérable Chailly, doyen du chenil, type de probité et d'honneur, qui, après avoir suivi le roi jusqu'en guerre, avait doucement achevé sa vie près de la reine Anne ; on chanta aussi l'illustre faucon Muguet, terreur des hérons, « petit de corps, mais de cœur tout rempli » :

Trois passetemps parfaits a eu Louis douzième :

Triboulet et Chailly, et je fus le troisième[79].

Mais toute cette belle poésie ne célébrait que le cœur des animaux ; elle n'empêchait pas le gibier d'être tué, elle laissait à la chasse son cachet primitif, qui continuait à froisser la sensibilité[80], et ne permettait pas de faire jaillir la moindre étincelle de vie morale.

Un homme se rencontra, qui prit le parti héroïque de réformer les chasses françaises dans le sens romain. Cet homme était Guillaume Budé, générale-nient connu comme fondateur du Collège de France, et pourtant aussi bon chasseur qu'helléniste, et sous ce rapport, aussi digne de gloire,

Budé incarne avec éclat.la genèse intellectuelle de beaucoup d'hommes de sa génération.

Fils de hauts fonctionnaires, il avait suivi la filière habituelle[81] : un précepteur, les maîtres à la mode, un grec spécial, Georges Hermonyme, venu en ligne droite de Lacédémone, pour lui faire balbutier l'alphabet grec, à raison de 500 écus par mois ; mais ni Lefèvre d'Etaples n'avait pu faire de lui un philosophe, ni Fra Giocondo, un mathématicien. Puis Budé, ayant un peu flâné sur les bancs longanimes de l'Université de Lois d'Orléans, s'était résigné à suivre la voie paternelle ; en dehors de la chasse, on ne lui connaissait ni science ni passion, sauf pour la pèche. C'est ainsi qu'il alla à Rome comme secrétaire d'ambassade, lors de l'avènement de Jules Il. Il y trouva son chemin de Damas. La splendeur esthétique lui apparut et le saisit ; il éprouva cette commotion électrique, ce renversement d'idées, que, de tout temps, l'esprit du beau, subitement révélé, a infligés à certains esprits d'élite : il revint tout autre. Il se fit apôtre : il résigna ambassades, fonctions de secrétaire du roi, il refusa même une retraite confortable au parlement, pour se consacrer -à la noble vie intellectuelle, dont la lumière lui avait rempli le cœur.

Il renonça à tout, sauf à la chasse. Et c'est alors que se posa dans son esprit, avec une intensité particulière, le cruel problème de la rendre spirituelle.

Il y a fait une réponse des plus originales, et il nous l'a communiquée sous forme d'une conversation, vraie ou supposée, entre lui et le roi François Ier. Cette conversation eut même un certain succès : écrite en latin (à la romaine), elle a eu l'honneur d'être traduite par le grand traducteur de la cour, Louis Le Roy : M. Chevreul l'a rééditée de nos jours.

Budé a une idée tout à fait simple, et propre, croit-il, à impressionner François Ier. Le roi n'était pas bien savant, mais il avait beaucoup de bonne volonté et une grande confiance dans les idées nouvelles, notamment dans celles de son ami ; pour réconcilier la chasse avec la science, Budé lui propose simplement d'adopter le latin comme langue de vénerie. Au premier abord, François Ier ne comprend pas très bien le sel de cette proposition ; cependant, il ne dit pas non ; et même, en y réfléchissant, il remarque qu'elle vient à point ; il y a des personnes qui s'agitent pour supprimer le latin de la procédure, sous prétexte de la rendre claire : voilà un bon moyen de leur fermer la bouche, en leur montrant que le latin peut servir à tout, du moment où il peut servir à l'argot du turf.

L'histoire ne nous dit pas si François Ier harangua ses chiens en vers latins ; cependant la semence jetée par Budé ne fut pas perdue, et un autre savant, commentateur d'Aristote et d'Hippocrate, Michel-Ange Blondo, reprit la même thèse en sous-œuvre : dans un savant traité de vénerie en latin, Blondo montre combien il importe aux chasseurs d'être lettrés ; il scrute, à leur usage, toutes les matières canines depuis les temps les plus reculés : races, hygiène, maladies, dressage, sur tous ces points il relie noblement le fil de la tradition ; il n'oublie pas non plus la biographie des chasseurs les plus illustres, jusques et y compris François Ier, et parmi eux, naturellement, il cite avec honneur tant de nobles femmes passionnées pour la chasse, et pour qui cela a presque toujours été comme une consécration de virginité : la belle Atalante, contemptrice du mariage ; Calixto, fille d'un roi d'Arcadie ; Aréthuse, fille du centaure Hippechrome ; Amimone, nymphe bretonne, fille de Damans ; mille autres vestales encore, inutiles à rappeler, dit-il, étant « fort connues de tous les chasseurs dignes de ce nom[82] ». Après une pareille énumération, on pourrait être tenté de croire en effet que, tout au moins pour les femmes, la chasse élève l'âme et a des vertus platoniques.

Malgré tout, les femmes artistes en charme ne pensent pas qu'elle mérite de leur part encouragement ni sympathie. En quoi ce sport a-t-il une efficacité morale particulière ? il a, au contraire, l'inconvénient de donner un aspect un peu viril, d'émousser chez une femme tout ce qui fait l'essence de la douceur platoniste[83].

La grande chasse à courre n'est plus le fait que de quelques dames trop vigoureuses et un peu vieux-jeu[84], comme Marguerite d'Autriche[85], qui était si fière de ses têtes de loup empaillées[86] ; ou Anne de France, veneuse passionnée et classique, qu'un de ses fidèles compagnons d'équipage, le sénéchal de Normandie, qualifie avec enthousiasme grande maîtresse de ce « beau métier[87] », mais qu'il appelle aussi sa dernière représentante. Anne chassait, comme elle faisait tout ; froidement et méthodiquement, elle vérifiait de ses yeux la piste, elle ordonnait l'attaque, puis elle partait avec les chiens, et tout d'un coup s'échauffait, s'animait, criait, donnait fort bien son coup d'épieu. C'est grâce à de telles allures qu'elle s'est toujours fait inexactement juger, même par ses amis intimes, et qu'elle s'est donné une réputation toute virile, alors que dans le fond de son cœur elle était infiniment femme, et femme philosophe.

Le très grand nombre de ses contemporaines se seraient bien gardées de l'imiter, et si elles prirent leur parti de la chasse, ce fut par raison. Personnellement, elles ne pratiquaient guère que la chasse à l'oiseau[88]. Il leur était indifférent qu'on galopât ou qu'on tuât plus ou moins ; mais elles aimaient les alentours de la chasse, les soirées, favorables au flirt, quand les chasseurs n'ont pas trop faim ou trop sommeil, les lendemains, jours de repos, où le laisser aller de la campagne permet de se lever tôt, de descendre à l'air frais, presque sans coiffure et sans mouches, le teint net, le sang à la peau, d'expédier rapidement une messe de chasse, et de se mettre à bavarder à l'ombre, sur les mérites respectifs des chiens et des oiseaux, jusqu'à l'heure du déjeuner[89]. En somme, pour les femmes platonistes, la vraie chasse, la bonne, c'est celle où l'on chasse le moins. Si les hommes tiennent absolument à répandre du sang, qu'ils fassent vite ! qu'ils remplissent leur parc de cerfs domestiqués et qu'un beau matin ils en massacrent une partie. Mais, de grâce, qu'ils ne parlent plus de leurs ruses d'Apache ou de leur concours d'instinct avec les animaux ! Vraiment, s'écrie Marguerite de France, la prise d'un cerf vaut-elle « le travail d'un prince ?[90] » autant celui d'un maçon ou d'un paysan !

La conclusion, c'est que, si on ne veut pas vivre au chenil, il n'y a qu'à ne plus chasser ; et elle est plus logique que l'effort tenté par Budé ou par Blondo pour infuser aux chasseurs de hautes et bizarres idées qui ne valent pas un bon piqueur.

Comme toutes choses humaines, les théories charmantes que nous venons d'exposer ont d'ailleurs leur revers ; il est certain qu'à force de subordonner la nature, de la rendre gracieuse, aimable, de la pomponner et de la transfigurer, on arrive assez bien à en perdre même la notion. Un paysage devient un salon Lemaire de Belges et autres ne nous entretiennent que de branches doucettement branlantes, de feuillettes bruissantes, de l'automne palissant, de cabanes où de faux bergers en fausses peaux de bique écoutent souffler la bise de l'hiver avec un ravissement qu'on a peine à ne pas se figurer un peu faux[91]. Si au moins ces fadeurs menaient toujours à l'idéal ! Mais non ; les naïves bergères font beaucoup de façons à toutes les heures, sauf à celle du berger, lorsque ce serait peut-être le cas d'en faire...

L'école voluptueuse de Venise, coloriste, naturaliste, un peu païenne, a beaucoup mieux exprimé nos relations avec la nature. Elle ne nous ouvre plus une simple alcôve, mais une immense usine de volupté, d'où s'élèvent mille aspirations profondes et un souffle pénétrant. Giorgione et Titien ont merveilleusement rendu la poésie de ces horizons pleins d'amour ! De la mer molle, ou des mousses brûlées, ou des prés en fleurs, tels que leur pinceau nous les montre, des voix montent en clameur, et il ne manque plus que l'ancienne mythologie ingénieuse pour personnifier toutes les unions indéchiffrables, indéchiffrées, dont o'n sent que le monde physique tire chaque jour sa vie et sa soif impérieuse de renouvellement. Les épicuriens se laissent glisser au caprice d'un coup de rame[92] et se bornent à donner leur note, qui est bien légère dans cette colossale orchestration. Les platonistes, au contraire, ne veulent pas se laisser entrainer, et ils combattent la nature tout en la caressant, préférant trop la soumettre que trop lui obéir. A leur avis, sauvage ou voluptueuse, elle tuerait l'homme. C'est une esclave, faite pour nous subir, qui médite sa vengeance et qui veut ou sucer notre sang ou le répandre : on la range parmi les esclaves.

Il faut enfin dire un mot d'une vie qui tient le milieu entre la vie des champs et celle de la ville, la vie d'eaux et de bains de mer. En France, la mode s'en introduit difficilement : la bonne société préfère l'existence large et confortable de château, mais les eaux sont fort à la mode en Italie.

Sauf à l'église, il n'y a pas de théâtre où chacun puisse mieux se rencontrer, et se prendre plus au sérieux sans mentir : une piscine représente l'idéal de l'égalité ; on y entre, on y figure, on en sort, tout le monde s'y trouve aussi prince que son voisin c'est un salon libre, où des gens qui, hors de là, ne se connaissent pas, bons amis, familiers, ont tous une même pensée, celle d'exprimer leur vie goutte à goutte, comme la source voisine.

On a attribué à des motifs bien divers la difficulté avec laquelle l'usage des eaux s'est acclimaté en France. Suivant une vieille tradition, beaucoup de prédicateurs du XVIe siècle tonnent encore contre l'habitude de se baigner. Sur trente femmes qui vont se baigner, dit celui-ci, il n'y en a pas une qui puisse se dire chaste. « Ô funeste lavage, fécond en mortels principes, » s'exclame un autre[93]. « Femmes qui vous étuvez, dit. Olivier Maillard, je vous convoque aux étuves de l'Enfer[94]. » Les calvinistes renchérirent sur ces indignations, et plus d'un médecin même s'est cru tenu à une certaine réserve. A la fin d'un long traité d'hygiène, Gazius dit : « Il me reste à parler des bains, ce que je ferai brièvement, car l'usage n'en existe pas chez nous, et d'ailleurs c'est un plaisir qui ne va pas sans danger ; peut-être vaudrait-il mieux n'en pas parler de peur de paraître y pousser. Moi, qui n'ai jamais pris un bain, je ne m'en porte pas plus mal, grâce à Dieu. » Cependant, Gazius, pour ne pas se brouiller avec les anciens, ni avec les Arabes, ni avec ses confrères, finit par reconnaitre que l'eau froide est en usage « dans des pays très distingués » ; pour sa part, il ne voit même aucun inconvénient à une douche, suivie de frictions ou de massage[95].

Mais il faut bien comprendre ce discours, plutôt moral qu'hygiénique.

Nous retrouvons ici, à l'improviste, des principes déjà connus. Ni les prédicateurs, ni les calvinistes ne veulent admettre qu'un motif utilitaire puisse induire une femme qui se respecte à se dépouiller de ses vêtements, ou quasi, soit en plein air[96], à l'antique[97], soit dans un de ces établissements publics de bains, qu'on annonçait tous les matins dans les carrefours entre les artichauts et le fromage[98], et où la police tolérait quelques indiscrétions. Beaucoup d'historiens ont conclu sans ambages que calvinistes ou prédicateurs avaient horreur de l'eau ; ce n'est pas absolument exact ; ils recommandaient les bains à domicile. Ainsi un canon du concile de Bâle invite les particuliers à installer des salles de bain dans leurs maisons[99]. Les platonistes partageaient d'autant plus vivement l'avis du concile de Bâle, qu'ils traitaient leur corps avec des égards pour ainsi dire sacerdotaux, et qu'aucune délicatesse ne leur paraissait excessive pour forger l'arme du délicieux amour. Quelques femmes subtiles préféraient à l'eau les moyens secs — poudres, pâtes, râblures d'épiderme[100] —, ce qui permet encore de dire « qu'elles ne se lavaient pas les mains » ; mais la plupart devaient beaucoup à l'eau, et la salle consacrée à cette régénération était un sanctuaire. On connaît les petites salles de bain du XIIIe siècle ou du commencement de ce siècle, toutes tendues de glaces. L'idolâtrie du XVIe siècle a été moins éclatante, mais non moins ardente ; Raphaël en personne a décoré la salle de bains de Bibbiena, et on sait que le charmant prélat avait choisi pour thème de ses fresques l'histoire de Vénus et de Cupidon[101].

Dans une de ses lettres les plus amusantes, Mme de Sévigné gémit de la nécessité de prendre des douches à Vichy ; elle trouvait cet état « humiliant », et, pour se donner du courage, elle avait la singulière idée de s'entourer de ses deux femmes de chambre, afin de « voir des figures de connaissance ». En même temps, elle faisait cacher derrière un rideau son médecin, qui était homme d'esprit, afin de causer avec lui pendant l'opération.

Nous ignorons les impressions des descendantes de Mm" de Sévigné, mais nous savons que ses aïeules étaient, de ce chef, fort délicates. Marguerite de France, pour ne pas perdre de vue l'histoire de la chaste Suzanne, s'en fit faire un surtout de table[102].

On devine donc la réserve qui s'imposait en matière d'hydrothérapie. Mais, d'autre part. les amis de l'antiquité remirent l'eau en honneur ; des savants démontrèrent que les Romains l'avaient beaucoup aimée ; les membres du haut clergé s'en tirent les apôtres. Georges d'Amboise et ses frères multiplièrent les fontaines à Rouen[103], à Blois, à Gaillon, à Clermont... comme le pape le faisait à Rome.

Quant aux eaux minérales, c'est sous les auspices du pape et du Sénat de Venise que parut le grand guide officiel, in-folio[104], où l'on peut voir qu'il y a des eaux pour toutes les maladies, comme des saints pour toutes les misères[105], mais qu'il ne faut pas s'y risquer sans consulter qui de droit.

Voulant aller aux eaux, vous interpellez un médecin ; si c'est un spécialiste comme Savonarole, il verra tout par des yeux aquatiques, et commencera votre initiation à domicile par des bains (l'espèces variées, oléagineux, vineux, laiteux, de feu, d'air comprimé ; un beau matin, il vous dira que les eaux minérales se transportent mal, qu'il est las de vous faire boire de l'eau gâtée, et il vous expédiera à telle source[106].

La plupart des eaux italiennes, du moins celles qui sont achalandées, ont le bon goût de couler dans une ville ou à peu près, et on a la chance d'y retrouver des figures de connaissance, ne fût-ce que parmi les habitués. Sous Louis XII, la ville de Gênes se révolta parce que son capitaine français, le sire de Roquebertin, au lieu de s'occuper d'affaires, d'ailleurs ennuyeuses, passait sa vie aux eaux d'Acqui[107].

Néanmoins, une femme distinguée commence par s'assurer une bonne escorte d'accompagnateurs ; c'est ainsi que Marguerite de France avait entraîné à Cauterets toute sa troupe. Ensuite elle subit les dernières exhortations de son docteur, homme méticuleux, intelligent, qui ne parait pas se fier outre mesure ni à ses confrères, ni à sa cliente, et qui la catéchise, qui lui fait lire l'in-folio : il lui signale huit ennemis qui la guetteront à l'arrivée : céphalalgie, insomnie et autres, il lui apprend comment en étudiant bien ses petits vices intimes, en ne perdant pas de vue un seul instant son ventre ou telle autre partie de sa personne, elle arrivera à la victoire. Puis il consulte avec circonspection l'état du ciel, des étoiles, des vents, de la température. la carte des épidémies, il s'assure de la qualité de l'année — car il y a des années où les eaux tuent leurs malades ou les mènent à mal —, et enfin il prononce l'exeat.

On secoue ces visions terrestres, et on s'envole. Tant pis si c'est vers la Porretta, près de Bologne, station très fréquentée, mais très purgative ; cependant, l'esprit du beau sait tout idéaliser, et un agréable poète, Battista de Mantoue, s'est chargé de montrer toutes les satisfactions morales ou esthétiques qu'on peut trouver à boire trois verres d'eau laxative, puis à laisser faire la nature.

Il dépeint ce manège en fort beaux vers :

Loin de vous, le lit et ses joies.

Allez, venez, avancez-vous à pas lents... etc.

Du reste, l'idée de vous rajeunir, la pensée de récupérer par de si petits sacrifices un esprit libre, un cœur chaud, un corps souple, de voir les rides s'évanouir d'elles-mêmes, bref k programme même du devoir de beauté poétise bien des choses et mérite bien que vous vous imposiez vingt et un jours d'efforts[108]. N'importe, les gens à la mode préfèrent les stations où l'on se baigne à celles où l'on boit.

La vie des eaux présente cet admirable avantage qu'on y jouit de la liberté la plus parfaite ; nulle part, on ne se voit mieux, on ne cause plus intimement, on ne profite plus à fond les uns des autres. -C'est ce qui lui donne un prix infini ! Les hommes qui ont suivi la princesse de leur cœur n'ont absolument rien à faire que de se consacrer à elle, car ils ne se font frictionner ou purger que par acquit.de conscience. Que de bons moments, entre deux verres d'eau, pour s'élever l'esprit ou pour raconter des histoires ! plusieurs recueils de Nouvelles sont nés près d'une source[109]... C'est à une saison de Lucques, en avril 1538, que Vittoria Colonna fit la connaissance de Carnesecchi, l'aventureux théologien, et se lança avec lui dans les plus hautes spéculations religieuses[110]... Chacun suit sa voie, et les gens qui n'aiment pas les maris y sont encore moins gênés qu'ailleurs[111].

Irons-nous jusqu'à dire que le platonisme dominait sans partage les baigneurs italiens ? Non[112], mais c'était déjà quelque chose qu'il eût sa place. On ne voit pas qu'une vertu beaucoup plus pure ait régné au nord des Alpes, parmi les races vertueuses. Les allures des bains de Baden, en Argovie, ont scandalisé jusqu'à Brantôme[113]. Un Florentin[114], qui croyait la vie de Florence déjà agréable, nous a raconté avec une stupéfaction naïve ses impressions ; dès en débarquant, il est tout ébaubi. Le beau platonisme de sa province, toujours flanqué de maris jaloux et d'Impedimenta de toute sorte, lui parait un pur enfantillage, un fantôme, une fleur sèche, une arabesque dans les espaces, en face de ces manières boulevardières, qui, du reste, ne lui déplaisent pas : « Bravo ! s'écrie-t-il, voilà qui est platonicien, puisque Platon prêche la communauté des femmes. Ici les maris prennent tout, absolument tout, du bon côté. Quelle véritable sagesse ! Ces Allemands ne se torturent pas pour des soupçons, ils jouissent du présent. » Et lii-dessus, quoique Florentin, il nous décrit les charmes de Baden avec un véritable enthousiasme : les rues élégantes, où on ne voit pas trace d'infirmités (Baden était recommandé aux femmes sans enfants), des femmes du monde exquises, des hommes en habits (l'or et d'argent, des beautés un peu exotiques, débarquées, sans qu'on sache trop d'où, avec un laquais et une ou deux femmes de chambre, çà et là quelques nobles abbesses, de piété raisonnable... Quel vertige ! C'est à qui se précipitera vers le plaisir !

Les gens sérieux, qui se soignent et qui désirent se guérir, prennent trois ou quatre bains par jour ; ceux-là vivent comme des canards. Il y a pour le vulgaire des piscines communes on ne peut plus pittoresques, mais chaque hôtel décent possède une piscine masculine, et une piscine féminine avec un promenoir où les hommes sont admis en peignoir. Dire la gaieté qui y règne est chose impossible : là-dedans, on cause, on rit, on mange, on boit, on danse en rond ; les messieurs jettent des pièces d'argent que les baigneuses attrapent du bout des doigts ou dans leur chemisette de lin, avec des contorsions et des batailles. Parfois, quand une société se connaît bien, elle finit par fraterniser dans un réceptacle unique, ce qui est beaucoup plus amusant et ce qui plaît aux médecins, parce qu'il n'y a pas de bains plus consciencieux. Honni soit qui mal y pense !

Le soir, une vaste prairie sert de casino ; on continue à y danser en rond, à y chanter ; on entremêle ces ébats de divertissements variés, tels que le jeu de la balle à grelots, qui donne lieu à toute sorte de bousculades.

Voilà Baden.

Il se produit ceci de singulier : le platonisme passe pour compliqué, pour savant, et même il se croit tel ; l'anti-platonisme, au contraire, affecte des airs de la plus complète simplicité : or, chaque fois qu'on les met en présence, c'est le platonisme qui est le plus naïf.

 

 

 



[1] JJ 230, 185 ; 231, 162, et passim.

[2] Les jours ordinaires, chez Marie de Clèves, on absorbait facilement la moitié d'un veau, le quart d'un bœuf, cinq ou six moutons, et des douzaines de poulets. (Histoire de Louis XII, II, 246 ; Titres, 761.)

[3] Titres Orléans, 878.

[4] Chartrier de Thouars.

[5] Eloi d'Amerval ; Cardanus, I, 221, 225.

[6] La goutte, s'écrie-t-on, elle est reine, elle est noble ! c'est une synthèse de maux. Elle est discrète et courtoise ; elle ne s'attaque qu'aux parties montrables de l'individu. Elle n'a rien de hideux comme la lèpre. Elle purifie l'homme et exalte sa valeur morale comme toute douleur, plus que toute douleur. Pourquoi est-elle l'ennemie des grands dîners ? et des veilles ? et de toutes les tensions charmantes de l'esprit et du corps ? (Cardanus, De male medendi usu, grief 95.) Une belle cantilène allemande lui est dédiée :

Ô reine Goutte, ô déesse toute-puissante,

A qui n'inspires-tu pas de craintes ? Ta divinité

Ne fléchit pas devant Jupiter,

Devant le ciel, la mer ou la terre.

Ecoute, ô déesse, les prières de ceux qui t'implorent

Rends la paix aux pieds des goutteux,

Rends la bonne santé,

Apporte les forces du corps.

(Podagræ laus.)

[7] La goutte était très répandue. Ainsi Louise de Savoie était goutteuse.

[8] Platina, p. 21, 170.

[9] Arétin, Lettere, V, 323.

[10] Brantôme, III, 93.

[11] Montaigne. liv. III, ch. VIII.

[12] Pontanus, De Conviventia. Opera, p. 141.

[13] Le Doctrinal.

[14] JJ. 231, f° 169.

[15] Hept., Nouvelle 13. Voir Louise de Savoie, p. 295.

[16] Prato.

[17] Volpi, p. 181.

[18] En entrant chez une dame, on lui baise les mains, et même on emploie volontiers cette gracieuse périphrase pour rappeler le souvenir d'une première présentation : « La première fois que je lui baisai les mains. »

[19] Hütten, V, 417.

[20] Michel d'Amboise. Epistres, f° 23.

[21] H. Drudonis, De Vanitate sallationum. Cf. Bonne responce, p. 11.

[22] Amante, p. 195.

[23] Cité par Rosselot, I, 147.

[24] Pour civiliser ses États, Pierre le Grand exigea que ses sujets et ses sujettes apprissent â danser, et lui-même commandait les manœuvres, militairement. Il obligeait les dames à se faire baiser sur la bouche par les danseurs. (Waliszewski, Pierre le Grand, p. 461.)

[25] Melin de Saint-Gelais, II, 117.

[26] Montaiglon, VIII, 305.

[27] Liv. III, ch. V.

[28] Du Bellay, II, 127.

[29] Hept., Nouvelle 54.

[30] I, 230.

Ou soit d'un baiser sec, ou d'un baiser humide,

D'un baiser court ou long, ou d'un baiser qui guide

L'âme dessus la bouche et laisse trespasser

Le baiseur...

Ou d'un baiser donné comme les colombelles.

[31] I, 200.

[32] M. de Saint-Gelais, I, 167.

[33] Billon, p. 58.

[34] Agrippa, De Vanitate, ch. XVIII ; la grant Nef.

[35] Ch. X.

[36] Voir Louise de Savoie, p. 295.

[37] Chartrier de Thouars, compte d'avril 1509, bons du 30 janvier 1511 ; Cardano, De Vita propria, 14, De Ludo alex, ch. XXIX ; Eloi d'Amerval ; ms. fr. 1863, f0 1 (miniature) et passim ; Castiglione, p. 223.

[38] Castiglione.

[39] Comptes de Marie de Clèves.

[40] Ms. fr. 2915, f° 54 ; Bibl. de l'Ecole des chartes, III, 512.

[41] Guevara.

[42] Montaiglon, VIII, 304.

[43] Eustorg de Beaulieu, rondeau XX ; Bareleta.

[44] Saint Bernardin de Sienne (Thureau-Dangin, p. 194).

[45] Le P. Chérot, p. 525 : la grant Nef.

[46] La Nef (1497), p. 36, 36 v°.

[47] Anne de France, p. 64 ; Amante, p. 171 ; Arétin, De la Ruffianaria.

[48] F° 45 et suiv.

[49] Cl. Marot, p. 311-312.

[50] Hept., Nouvelle 21.

[51] Bonav. des Périers, Nouvelle 114. Cf. Garin ; l'Advocat des darnes ; JJ, 230, 138 v°.

[52] De Liberis.

Templa pudicitiam maculant, ni rite peractis

Rebus abis : templi noria sœpe more est.

[53] Hept., Nouvelle 42.

[54] Plaidoyers et arrests, p. 265.

[55] Luzio, pp. 72 et suiv.

[56] Pontanus, De Cultu. Opera (édition de juin 1518), p. 140.

[57] Marguerite de France, édition Le Franc, p. 150.

[58] Fresques du palais Borromeo, à Milan.

[59] Bonnardot, p. 34.

[60] Cataneo, Marsifa, ch. I, fin.

[61] Firenzuola, Della bellezza, p. 406. Charles VIII en jonchait son lit.

[62] P. 174, 178.

[63] Oraison de l’âme, édition Jouaust, 81.

[64] Marguerite de France, Dessin à Chantilly ; Lemaire de Belges, l'Amant vert (sur le perroquet de Marguerite d'Autriche) ; L. Catti, f° 3 (Ad Avem Lydiæ).

[65] Billon, p. 72 v°.

[66] Genin. p. 232.

[67] Billon.

[68] Guevara. Epistres, pp. 349, 351.

[69] Pontanus, De pascendis domi.

[70] Navagero.

[71] Castiglione, p. 575. Cependant les femmes jouaient à la balle. en Lombardie. (Fresque de Besozzo, palais Borromeo, à Milan).

[72] Brantôme, VIII, 142.

[73] Pasolini. III. 102, n° 237.

[74] Castiglione, p. 175. — Billon, p. 61.

[75] Marguerite de France, éd. Le Franc, p. 155.

[76] « Illustrissime et Excellentissime dame, ma dame la plus respectée, écrit la comtesse de Forli à la duchesse de Ferrare ; les relations sûres, les informations parfaites que m'apportent une infinité de personnes, de l'extrême bonté, de la rare munificence de Votre Excellence, m'inspirent l'audace de m'adresser à Elle en confiance. Je sais que l'Illustrissime Sv' votre époux et votre Illustrissime Seigneurie adorent la chasse et les oiseaux, et que vous avez toujours en abondance des chiens de toute sorte, excellents, parfaits. Je prie très vivement Votre Excellence qu'elle daigne me faire un très beau et très précieux cadeau, c'est-à-dire une paire de levriers bien dressés et grands coureurs, suffisants pour les chevreuils de la campagne romaine, qui sont très vites : une paire de bons limiers et une paire de braques à autours, bons et tels que j'espère dire, devant leurs prouesses, quand ils prendront leur bête : « Voilà les chiens que m'a donnés l'Illustrissime duchesse de Ferrare. » Je sais que Votre Excellence ne m'enverra rien que d'excellent... » Elle recommande vivement le fauconnier qu'elle envoie polir les ramener et probablement pour les choisir. (Lettre de Catherine Sforza à la duchesse de Ferrare, 1481. Pasolini, II, n° 173.

[77] Andin, II. 447, etc.

[78] Martial d'Auvergne, Vigiles.

[79] L'auteur a recueilli les diverses pièces, encore inédites, où sont célébrés ces chiens et oiseaux de Louis XII.

[80] Agrippa, De Vanilate, ch. LXXVII.

[81] D. Rebitté.

[82] F° 26.

[83] Michel d'Amboise, f° 39.

Kathin alloit bien montée a la chasse,

Portant espieu. Cupido la pourchasse

Avecques son arc, et luy dit : « Combatons,

Puisqu'ainsi est que nous avons bastons. »

Elle respond : « Amours, que pense tu ?

Longtemps y a que je t'ay courbatu

Sans entre armée : a présent, je le suis ;

Retourne-t-en, et plus ne me poursuis,

Car seure je suis que tu seroys batu. »

[84] Voir les détails que nous avons donnés sur les chasses de Marie de Clèves, Histoire de Louis XII, I, 240.

[85] Ms. des Echecs amoureux, de Louise de Savoie, miniature, f° 116.

[86] Le Glay, Lettres, I, 38, 284.

[87] Le Livre de la chasse.

[88] Dunoyer de Noirmont, III, 87.

[89] G. Crétin, Débat.

[90] Éd. Le Franc, p. 148.

[91] Thibaut, pp. 196 et suiv.

[92] Stultifere naves (1500), grav. 6. Les critiques représentent presque toujours l'épicurisme en bateau.

[93] Dialogiemi Heroïnarum, p. 18.

[94] Sermon 28.

[95] F° 21 v°, 23.

[96] Pétrarque, éd. Léouzon Le Duc, pp. 280, 281.

[97] Ciacconius, p. 71.

[98] Les Cris de Paris.

C'est à l'image saincte Jame

Ou se vont baigner ces femmes ;

Et baignez, et estuvez, allez.

Bien servies vous y serez.

De varletz, de chambrière,

De la dame bonne chère.

Allez tost, les baings sont prestz.

[99] Convivalium sermonum, p. 38.

[100] Bonnaffé, Revue des Deux Mondes, 1893, p. 619.

[101] Ch. Ravaisson-Mollien, les Manuscrits, ms. C.. p. 1 v° ; Ronsard, 1,251 ; Ch. Ephrussi, les Bains de femmes. p. 15 ; C. Celtis, Urbs Norimberga, ch. IV ; ms. fr. 143, f° 104 v°.

[102] La Ferrière, Marguerite d'Angoulême, p. 123.

[103] Voir not. Archives municipales de Rouen, 241 bis.

[104] Ouvrage, pour notre époque. où l'usage des eaux minérales est si répandu, très utile aux médecins, mais plus encore à toutes autres personnes, et très agréable.

[105] Exemple : « Le bain de Saint-Barthélemy : Un homme de Feltre, nommé Pétrarque, à la suite d'un accident au genou, ayant été soigné par une série je ne dirai pas de rebouteurs, mais de destructeurs, éprouva de vives douleurs : un écoulement se produisit ; on y appliqua des astringents et des remèdes froids ; il en résulta une induration, qui ne lui permettait plus de marcher sans bâton et béquille. Au bout de deux ans, il vint nie voir ; je lui prescrivis les bains. Il s'en trouva si bien qu'au bout de quinze jours il repartit sans béquille. » (De balneis, 1563.

[106] Cardanus, De malo medendi usu, 49e grief.

[107] Jean d'Auton, IV, 93.

[108] Sylvarum, liv. VIII, s. IV.

[109] Not. Sabadino degli Arienti.

[110] Carteggio, p. 159.

[111] Hept., Prologue.

[112] Gregorovius a publié dans Lucrèce Borgia (I, 28) le récit d'une fête des plus libres offerte, à Sienne, à d'aimables baigneuses, et d'où les maris et les frères avaient été exclus.

[113] IX, 295.

[114] Le Pogge.