La
doctrine que nous venons d'indiquer n'a jamais, en théorie, suscité
d'objection bien péremptoire ; ses adversaires l'attendent à la pratique. La
Loi Nouvelle nous a rachetés dans l'amour, soit : mais les politiques sont du
même avis que les moralistes de l'école de Du Four. De Machiavel à Calvin,
beaucoup de gens trouvent plus simple et plus sûr de mener l'humanité à coups
de bâton que par le sentiment. Tout au plus accepteraient-ils une sorte de
sociologie sentimentale. Quant au reste, on croit que c'est un rêve de
philosophes ; l'Eden, à peine entrevu et sur lequel veille maintenant l'ange
à l'épée terrible, le buisson ardent d'où sortait la voix de Dieu, mais près
duquel Moïse n'osait pas s'agenouiller de peur que ses vêtements ne prissent
feu et que la flamme ne touchât sa chair... Certes,
la science pratique du platonisme est plus difficile que sa métaphysique :
elle suppose chez les femmes l'art d'apprivoiser adroitement les hommes par
un appât d'amour, sans se laisser mordre. Il arrive aux plus habiles
dompteurs de recevoir un coup de griffe, mais il leur arrive aussi de mourir
dans leur lit. Voilà toute la question. Les femmes sont-elles capables
d'exercer ce métier de dompteurs et de se rendre suffisamment invulnérables ?
et, secondement, les hommes sont-ils susceptibles de s'apprivoiser ? Sur le
premier point, les amis du Beau se montrent pleins de confiance. Ils
s'adressaient à des femmes délicates, plus que délicates, raffinées,
prémunies par le mariage contre les matérialités, et à qui le vice banal, tel
qu'il se produit sous leurs yeux et jusque dans leur entourage, n'inspire que
du dégoût. Comme dit Du Bellay, les mœurs de Caton s'allient parfaitement aux
discours de Platon[1]. Marguerite de France descend
nettement dans la cage et se collette avec son ami Bonnivet[2]. Elle croit à l'invulnérabilité
des femmes ! Castiglione aussi[3], et bien d'autres. Les
platonistes[4] n'éprouvent aucun embarras à
justifier leur thèse : dès la plus haute antiquité, ils citent d'héroïques
exemples de vertu féminine, et autour d'eux encore, dans la vie quotidienne,
ils en rencontrent d'admirables. Castiglione,
Dolce nous montrent dans les pires milieux des anges de chasteté, presque
toujours parmi les jeunes filles ; une pauvre fille de Capoue (bien souvent
citée), qui, pour
échapper à un escadron de Gascons, se jette dans la rivière[5] ; à Mantoue, une pauvre
paysanne, déshonorée par un misérable, et qui se noie avec une espèce de
frénésie, en repoussant toutes les cordes qu'on lui tend : tragique suicide,
anti-chrétien en tant que suicide, et cependant si chrétien par la grandeur
du désespoir que l'évêque de Mantoue voulut élever une statue à cette noble
plébéienne ; malheureusement, il mourut avant d'exécuter son projet, car dans
ce temps-là on redoutait les statues inesthétiques. Les
exemples de vertu ne se rencontraient pas seulement dans les basses classes,
les plus exposées au mal. Toute Rome s'émut du sort affreux d'une jeune femme
de la bourgeoisie, attirée dans les catacombes de Saint-Sébastien par la
complicité d'une soubrette, et qui se lit étrangler plutôt que de céder aux
violences d'un infâme guet-apens. Celle-là aussi, certes, aurait pu, sans
remonter au jour, prendre sa place parmi les cases silencieuses où dorment
tant de victimes pures, sous le sceau d'une croix et d'une 4 colombe ; mais
Rome ne voulut pas paraitre oublier cette fleur de vertu, même dans une terre
si sacrée : on couronna de laurier le pauvre corps, et, en grand triomphe, on
le porta comme un trophée par toute la ville enfiévrée d'enthousiasme, entre les
bouges et les temples. Non !
les femmes ne sont point naturellement sensuelles ; la brutalité leur répugne
horriblement, et, pour peu que leur éducation ait été soignée, leurs plus
vives passions sont pour l'esprit d'un homme, pour son autorité morale,
beaucoup plus encore que pour sa beauté physique, souvent difficile à définir
; quand elles aiment profondément, fût-ce quand elles se donnent, c'est
encore avec un sentiment de réserve et de pudeur ; on dirait qu'il leur faut
aussi le raffinement du respect. Assurément, on sait bien que l'homme, au
contraire, n'a pas le sens du respect, et que, même sans aimer, il ne cherche
qu'à agir et à prendre. C'est à des Vénus singulièrement terrestres que se
portent en foule peuples et rois, magistrats et justiciables[6]. Est-ce une raison pour
désespérer ? La faiblesse apparente des femmes, leur délicatesse, le
caractère attachant d'un amour presque religieux, ne peuvent-ils pas devenir,
aussi, un élément d'attraction et de force ? On dit que les femmes
s'exposent, de propos délibéré, à de rudes combats. Cela est vrai. Mais si
les hommes étaient platonistes, quel mérite auraient-elles à l'être ? Et
voudrait-on donc poser, comme première règle de la sociabilité, l'obligation
pour les hommes de rester de marbre à côté de belles personnes passionnées et
faites pour enthousiasmer ! Ah ! « impossible !
» s'écrie Marguerite de France, à qui cette idée seule parait presque une
insulte. Il est sage de connaître le danger, mais il serait honteux de le
fuir ! Dans la France ennemie du beau, ennemie du sentiment, les femmes, qui
prêchent l'amour, sont, comme nous l'avons dit, des femmes de haut parage, à
qui leur situation même donne charge d'âmes, et dont la noblesse fait partie
du patrimoine public. Peut-être ne se croient-elles pas impeccables 'par
destination ; mais, en même temps qu'elles ont un prodigieux trésor de bonté
et de générosité, elles sont fières, vibrantes, courageuses. Loin de les
épouvanter, le péril les excite. Anne de France, qui représente la sagesse
incarnée, trouverait honteux de se dérober. Les femmes ne sont pas si
fragiles qu'on se plaît à le dire ! Elles ne le sont que quand elles le
veulent. Or ici elles agissent par devoir. La
vraie difficulté n'est donc pas de ce côté-là. Le difficile, c'est de trouver
une méthode sûre pour bien saisir les hommes. Déjà nous avons constaté deux
nuances de doctrines. H y a de même deux systèmes pratiques. Le
premier consiste à intéresser le cœur dans l'affaire, le second à jouer tout
simplement un rôle ; le premier est concret, réel, passionné, énergique ; le
second tout en abstractions, en coquetterie, en transactions, et il ne va pas
au-delà d'une simple sentimentalité. Anne de
France, qui se rattache manifestement au premier système, en parle avec une
chaleur, avec un luxe de périphrases qui montrent tout à la fois combien la
question l'intéresse et combien elle la trouve ardue. Elle
est d'avis de ne pas pousser l'enthousiasme jusqu'à courir au-devant de
l'amour ; on peut l'attendre, il vient bien tout seul !... Malgré sa
simplicité très réelle, on sent toujours chez elle un peu de fierté, et puis
elle écrit pour sa fille... Mais quel noble cœur, comme il est ardent et
généreux ! Autant elle se défie de l'amour uniquement provoqué par la beauté
physique, parce qu'elle le trouve imparfait, médiocre, banal, peu solide,
sujet à toute sorte de tourments et de remords, autant (habituée qu'elle est
à traiter largement et grandement les choses) l'amour vrai, celui qui jaillit
du cœur et de l'esprit, celui que les années en s'accumulant ne feront que
cimenter et consacrer, celui-là lui parait cher et fort ! Quand on peut
raisonner l'amour, se dire qu'il tient à telle ou telle beauté, fût-ce la
plus exquise, fût-ce celle des yeux, fût-ce celle du charme ou de l'esprit,
l'amour est petit. Mais quand il vous saisit tout entier, qu'on ne sait qu'en
dire ni à quoi l'attribuer, quand il vous enlève en pleine vigueur et vous
tient sous la dépendance d'une autre personne dont on réfléchit l'impulsion,
surtout quand il vous inspire ce sentiment effrayant de la possibilité de
vivre désormais sans autre horizon, alors il a une superbe envolée ; il prend
l'âme, le cœur : le reste n'est que surcroît, intimité plus complète ou gage
d'affection. La femme qu'on aime le plus n'est pas celle qu'on convoite le
plus. A vingt ans, on peut confondre sensations et sentiments ; et voilà
pourquoi on ne connaît que plus tard le vrai amour. Il se dédouble ; et alors
il devient si puissant qu'il fait vibrer toutes les facultés impulsives.
C'est à cette fécondité nouvelle, à ce coup de fouet, qu'on mesure la valeur
d'un homme. Extérieurement, par leur côté banal, tous les hommes se
ressemblent ; leurs âmes seules ont des physionomies différentes ; le jour où
on les remue à fond et où on les fait sortir d'eux-mêmes, on voit qu'il y a
de grandes âmes et de petites. Ni trop grandes, d'ailleurs, ni trop petites :
toutes humaines ! il ne faut pas compter sur des miracles, ni sur la
perfection que Dieu s'est réservée. Mais quelquefois aussi la réalité vaut
mieux que les apparences : « L'abit ne fait
pas le moyne[7]. » On ne doit pas
s'effaroucher trop facilement d'une contrariété, ni désespérer des hommes qui
pèchent par excès de vraie sensibilité ; ce sont les plus aisés à convertir. Anne de
France est d'avis de procéder par la franchise, princièrement. Elle n'admet
pas qu'avec les meilleures intentions du monde, une femme ait l'air de
promettre ce qu'elle est bien résolue à ne jamais accorder ; à ce compte,
mieux vaudrait rompre tout de suite, sans scrupule, et attendre
tranquillement une autre occasion de livrer bataille. Si, au
contraire, l'amour offre des perspectives rassurantes, on peut accepter.
L'amour honnête est si beau, si plein de « biens et d'honneurs » !... Mais
précisément parce que c'est un état adorable, il est rare, et le démon ne
néglige rien pour le traverser. Aussi convient-il de s'avancer avec bien de
la prudence pratique, même avec de la défiance ! Le monde est si vil ! On a
vu des amours délicieux tourner mal et bien cruellement ! En agitant cette
psychologie tendre et douloureuse, on dirait que la grande princesse, sous
son impassibilité apparente de femme philosophe, jette un cri de douleur, et
que quelque chose saigne en elle : « J'ai connu, dit-elle, un chevalier, qui
multipliait les serments, les serments les plus sacrés, jusque sur les saints
autels, sur l'Evangile, et qui ne les a pas tenus jusqu'au soir. » Elle est
de celles qui, donnant leur cœur, le donnent totalement, et on comprend
combien cela est périlleux. Vraie platoniste, d'ailleurs ! elle n'admet pas
de nuances dans l'honneur, elle trouve qu'il ne se découpe pas en tranches,
qu'il faut le garder « entièrement » : et, primitive, énergique, presque
naïve, elle conclut que la chasteté ne consiste pas seulement à « soy garder du fait ». Parmi les femmes qui tentent
de plus près l'expérience, elle ne pense pas qu'une seule sur mille n'ait pas
perdu quelque chose de son honneur ou de ses illusions[8]. Cette
vue sculpturale de l'amour, grandiose, sacrée comme certains accords de
Wagner, mais nécessairement fort rare, est celle dont Michel-Ange nous a
donné un spécimen pratique. Follement
épris, à cinquante et un ans, d'une femme de trente-six ans[9], qu'il ne vit d'ailleurs que
douze ans plus tard ; réduit, dans son trouble, à écrire deux lettres qui
nous paraissent inouïes, et que cependant MM. Milanesi, Gotti
et Mézières sont parvenus à déchiffrer, refaisant trois fois de suite une
lettre, sans se décider à l'envoyer (elle se trouve encore chez lui), voilà
l'homme qui s'appelle Michel-Ange. Pourquoi
aime-t-il la marquise de Pescara ? pour sa beauté ? Non. Pour son esprit ?
Non. Il l'aime parce qu'il l'aime, voilà tout. Il ne lui demande rien. C'est
la femme de son cœur, il lui a voué toutes les fibres de sa vie. Par elle, il
voit et il agit, « ne sentant plus rien que son souvenir[10] ». Et il est heureux, et
malheureux. Quelle énergie d'expression dans ses sonnets[11], quand sa vigueur s'échappe en
plaintes incandescentes[12] ! Mais la plupart du temps
cette vigueur semble fléchir elle-même sous le respect et l'enthousiasme. Vraie
grande dame, douce et simple, la marquise de Pescara comprit avec une finesse
admirable l'homme qui lui parlait, et montra bien ce qu'une femme, en pareil
cas, peut faire d'un homme. Condivi, qui avait vu sa correspondance, la dit pleine d'un amour grave et pénétrant ; les débris
qui nous en restent indiquent encore mille petites délicatesses : « Notre
amitié est stable, et notre affection très sûre ; elle est liée par un nœud
chrétien. » Et voici l'adresse extérieure d'un billet : « A mon plus que magnifique
et plus que très cher Messer Michel-Ange Buonaroti[13]. » Les
conversations entre eux étaient de même ; l'amour ne servait qu'à leur donner
son coup d'aile. Ln certain François de Hollande, qui s'y trouva un jour en
tiers, nous en a conservé un échantillon ; la marquise formulait tout un
programme d'idéalisme magnifique : « La peinture, disait-elle, nous fait
bien mieux voir, que tout autre moyen, la modestie des saints, la constance
des martyrs, la pureté des vierges, la beauté des anges, l'amour et la
charité dont brûlent les séraphins ; elle élève et transporte notre esprit et
notre âme au-delà des étoiles, et nous fait contempler l'éternel empire... Si
nous désirons voir et connaître l'homme que ses actions ont rendu célèbre,
elle nous en montre l'image. Elle nous présente celle de la beauté, dont une
grande distance nous sépare, chose que Pline tient pour très importante. La
veuve affligée retrouve des consolations dans la vue journalière de l'image
de son mari ; les jeunes orphelins lui doivent le bonheur, une fois devenus
hommes, de reconnaître les traits d'un père chéri[14]. » N'est-ce
pas là le vrai amour, celui qui consiste à aimer ensemble la même chose, la
beauté ; n'est-ce pas le délicieux enchantement rêvé par Anne de France, si
doux pour une femme, et qui enlève un homme « au-delà des étoiles » ?
Mais cet amour est terriblement individuel et exclusif ! Vingt
ans après, Michel-Ange perdit la femme de son âme. Il la vit mourir[15]. Avec respect, avec piété, il
déposa sur sa main un long baiser, sans oser, même dans la tragique chasteté
de la mort, effleurer ce front décoloré ; bien des fois, il est vrai, il
regretta la timidité de son adieu... Condivi nous dit qu'il était fou de douleur.
La nuit s'était faite pour lui ; jamais il ne put entendre parler de la
marquise, sans que des larmes lui montassent aux yeux : « Nous nous voulions
un grand bien, disait-il : la mort m'a enlevé un grand ami[16]. » Un grand ami !... Il devint
pieux ; dans sa robuste vieillesse, son âme flamboyait toujours, comme
certaines eaux profondes qui, en pleine nuit, reflètent encore les feux du
couchant. Il mourut à quatre-vingt-dix ans, et on retrouva dans ses papiers
les lettres de la marquise et ses envois de sonnets, bien que d'intelligents
voleurs en eussent dérobé une partie, qu'ils ont malheureusement gardée pour
eux[17]. L'autre
école platoniste, plus répandue, part d'un principe absolument différent.
Elle est beaucoup moins individuelle, et beaucoup plus sociologique. Elle est
savante, sans fougue apparente, délicate, tout à fait mondaine et, si elle
tend à l'idéal, c'est par une foule de méandres, de sentiers couverts, de
manèges, dont il serait quelquefois difficile de dessiner la carte exacte.
Elle est philosophique ; elle consiste à cajoler l'animal humain, à converser
avec lui, à l'appâter par quelques menues douceurs, et à lui passer une foule
de petits lacets qui finissent par l'enserrer. on la
juge très méritoire, et, en effet, elle exige infiniment de tactique, de
temps et de patience : il ne s'agit de rien moins que de dresser « l'autre »
à rester bien élevé et discret, à se contenter de quelques friandises d'amour
ou de charité, à ne pas montrer les dents ou les griffes, à tout bout de
champ, en criant « merci[18] », le cri carnassier, le
rugissement de la bête ! il y faut une main légère. Les hommes, pris
froidement au piège, paraissent si vulgaires et si pareils ! Les
petites faveurs par lesquelles on les maintient n'ont rien de répréhensible,
elles sont la vertu même, car la fin justifie les moyens. L'art de ces
douceurs peut. avec raison, passer pour compliqué ;
il sort de la routine et ne s'apprend pas dans les livres, c'est le
machiavélisme d'une charité spéciale, un dévouement suprême, bien souvent
l'immolation de l'égoïsme ; et par ce beau côté, précisément, le platonisme
se distingue de la coquetterie : « Amour, s'écriait Bembo, par toi les
vertus suprêmes régissent les inférieures[19]. » Combien nous pourrions
citer de ces femmes admirables et étranges, qui consumaient les hommes comme
de véritables minotaures, et qui, après les avoir consumés, auraient voulu
les ressusciter pour les consumer encore[20] ! La
marquise Scaldasole, de Pavie, fut une de ces
terribles accapareuses : pourtant, elle agissait avec une absolue franchise.
Un jour, dans un bal, elle disait au jeune protonotaire de Lescun, qui
perdait un peu la tête « Vous voyez, je fais comme vos gens d'armes, qui
attachent une houppe à la croupe d'un cheval, pour avertir de ne pas
approcher, » et elle lui montrait sa robe bleu ciel — en Italie, le bleu
était la couleur des sentiments célestes —. Lescun se consuma comme les
autres. Par un étrange caprice du sort, il vint se faire grièvement blesser
sous les murs de Pavie, à la fameuse bataille de François Ier. Quand on le
releva tout sanglant, il demanda à être transporté chez « sa chère dame et
patronne ». La marquise reçut avec des transports de bonté ces tendres
lambeaux de vie humaine : c'est dans ses bras que Lescun, soutenu par son
doux regard, consolé par sa voix pieuse, rendit le dernier soupir[21]. Je ne
sais pas comment La Rochefoucauld a pu dire : « On garde longtemps son
premier amant quand on n'en prend pas un second. » C'est le vice des hommes
de ne pas savoir s'arrêter : rien ne désespère Marguerite de France, comme de
penser que, pour être qualifié « homme d'honneur », « gentil
compagnon », il faille tuer un homme pour un démenti et aimer une
douzaine de femmes[22]. Elle ne saurait admettre qu'un
homme « bien pourvu », comme elle dit, fût-ce platoniquement, courre le monde
; « le plus sage est de faire halte où l'amour nous arrête[23] ». Quant
aux femmes, au contraire, sûres de remplir leur devoir social, elles se
croient tenues de semer l'amour à pleines mains, de multiplier leurs faveurs
; elles se défendent ainsi contre la malignité, mais c'est au prix d'un
véritable labeur et de beaucoup d'embarras, car pour quelques hommes d'esprit
et d'éducation qui savent ne pas se montrer trop bizarres[24], combien de jaloux, de
susceptibles, de fâcheux ! Une princesse ne peut pas moins faire que de
chérir plusieurs préférés ; Marguerite de France n'est pas loin d'aimer sa
douzaine, et c'est encore peu ; cela tient à la difficulté de recruter des
hommes platoniques. Il faut
bien se rappeler l'état d'esprit initial de ces femmes ; il est absolument
l'inverse de celui qui prévaut aujourd'hui. Actuellement, les femmes se
gardent de généraliser ; elles trouvent plus commode de tout personnaliser,
la médecine par le médecin, la religion par le prêtre, la famille par le
mari, l'amour par l'amant... Les femmes du XVIe siècle, nous ne saurions trop
le répéter, ont une foi ardente dans les choses, mais aucune foi dans les
hommes ; elles n'entendent pas du tout s'assujettir à un homme quel qu'il
soit, elles préfèrent remonter directement à l'idée ; et faire ensuite, de
celui qui l'interprète, leur apôtre ou ce qu'elles veulent Elles aiment
l'amour, mais il est incontestable qu'elles tendent à regarder l'amant comme
un objet un peu secondaire, ou tout au plus comme le serviteur de leur culte,
et non comme leur maître. La confidence, le don de soi leur paraissent
délicieux, désirables, religieux, presque nécessaires, quand ils se fondent
sur un grave principe de liberté et qu'ils assignent un but à la vie du cœur. Il faut
insister aussi sur une considération fort importante, qu'on a déjà entrevue.
Ces dames ne travaillent pas pour leur bonheur personnel ; elles n'ont, la
plupart du temps, aucun espoir d'y arriver. Elles trouvent moyen de donner la
vie à d'autres, mais elles en manquent ; elles ont trop connu l'existence, à
moins qu'elles ne l'aient pas connue assez. Elles sont lasses ! lasses de
tout, peut-être lasses d'elles-mêmes ; elles ont été mères, et ce sont des
vierges. Car l'âme, comme le corps, a besoin de se donner ; et c'est à cette
condition qu'elle vit et fructifie. Or beaucoup de ces femmes ont l'âme
embrumée et profonde, une âme que personne ne s'est occupé de feuilleter ;
elles se contiennent, mais elles ont beaucoup souffert, et elles souffrent.
Jusqu'à présent, elles n'ont donné que leur corps, c'est-à-dire la plus
médiocre partie d'elles-mêmes, la partie contaminée, celle qui se perd à se
donner, tandis que l'âme, en s'abandonnant, se fût anoblie et purifiée. Il
leur a fallu se diviser, assister virginalement à la chute d'une partie de
soi, et il n'y a rien de plus douloureux que cette division ; des philosophes
ont même soutenu qu'elle était impossible, et que, quand on prêtait son corps
par obligation, par nécessité, quelquefois avec dégoût, on ne donnait rien,
qu'on restait tout à fait vierge, parce que la vraie virginité est celle du
cœur. C'est, en effet, une idée, alors favorite, que le mécanisme corporel
peut subir des vicissitudes, mais que l'âme seule les sanctionne[25]. Voilà
donc de tristes dilettantes de l'amour, forcément pures, tant la passion
brutale leur semble l'antipode et presque la négation de la passion vraie :
et ainsi elles arrivent par le platonisme à prêter leur âme au genre humain,
avec un désenchantement souriant, presque heureuses d'avoir au moins
l'assurance que, dans ce jeu inoffensif, la violence de l'amour n'éclatera
que par sursauts. Elles font le bien : elles sèment à pleines mains, dans un
terrain souvent ingrat, les germes d'un amour dont elles sont durement
sevrées, et dont elles espèrent probablement que d'autres recueilleront les
fruits. Souvent elles ont aimé, mais on n'aime bien qu'une fois, et parmi ces
charmantes femmes, qui paraissent tout feu, il y en a qui portent dans
l'extrême fond de leur cœur un poids mort, insoupçonné, qui les oppresse et
les écrase[26]. Chez quelques-unes, la passion
a continué à gronder ; on en a vu s'attacher désespérément à un homme, fût-ce
leur mari[27], ou même se jeter dans un
cloître[28]. La plupart, plus malades que
ceux qu'elles veulent guérir, et intérieurement défaillantes sous les grâces
de leur dévouement, vont leur chemin, cherchant vainement, dans le désert de
la vie, le cœur, l'unique cœur, assez fin pour les comprendre. Elles marchent,
avec sang-froid, parmi les écueils, en pleine sécurité, hélas ! et sans rien
mettre en jeu que leur raison, tout au plus leur bonté, ce qu'Anne de France
appelle sévèrement leur hypocrisie. Ah ! la douloureuse hypocrisie, et
qu'elles la paient de leur sang ! On voudrait
déchirer les voiles, leur crier de penser à elles, de croire un peu à la
passion[29]. Mais non, elles vont devant
notre lamentable cortège, ainsi que des enfants de chœur, et, renfonçant
leurs larmes, comme Marguerite de France, elles jettent sous nos pas
misérables quelques pétales de roses ; De
petits amours à fleurettes, D'autres
petites amourettes, Mesmement de vieilles amours[30]. et
le seul profit est pour nous, ou du moins pour les hommes capables de jouir
d'une illusion : parfois, elles arrivent, par leur infinie bonté, à nous
donner quelques heures divines, de celles qui valent la peine de vivre ;
elles parviennent à lancer en nous cette étincelle électrique qui accroit nos
facultés, qui répand au dehors quelque chose de notre vie, qui nous fait
paraître intéressantes les actions banales, qui donne à ce qui nous entoure
;plus de relief et de couleur. Elles font une bonne œuvre, une œuvre pie, une
œuvre sociale. Et c'est pourquoi cet amour sans amour est surtout le fait des
princesses. Au premier abord, l'idée d'aristocratiser l'amour à outrance
parait un peu singulière et presque répugnante... A quoi bon la distinction
de la naissance en pareille matière ? pour les cœurs sincères, elle ne peut
créer qu'un obstacle au vrai bonheur ; tel est, notamment, l'avis d'Anne de
France. Faudrait-il décorer du 110M d'amour ou de platonisme une misérable
coquetterie qui consisterait à s'attacher aux femmes les plus en vue, quelles
qu'elles soient, car enfin il y en a de laides ! et, qui pis est,
d'influentes ! en sorte que ce soi-disant amour oscillerait entre le snobisme
et le genre de démarches qu'aujourd'hui -on accomplirait près d'un ministre,
même laid. Certes, on peut aimer de tout cœur une femme 4aide, c'est même,
dit-on, l'amour le plus fort ! Mais combien il devait être difficile à une
princesse -de ce temps-là de croire à un amour désintéressé ! et, quand même
elle aurait été en possession de ce bonheur, pouvait-elle jamais s'y fier ? Aussi
l'amour de princesses, qui caractérise essentiellement le platonisme, part-il
en réalité d'un principe très spécial. Les princesses (et autres
grandes dames)
n'éprouvent pas du tout le sentiment (très masculin et un peu moderne) que
tout leur soit dû, et qu'un certain haut égoïsme complète
naturellement une haute situation. Au contraire, elles s'imaginent être le
bien de la société et, pour ainsi dire, ne pas s'appartenir ; et, comme de
plus elles se rendent compte qu'un grand nom isole et engourdit, tout aussi
bien, si ce n'est plus, qu'une grande fortune, elles se croient
particulièrement obligées de se tenir en haleine. Leur fierté leur rend
l'effort plus doux. Que la femme ait le château et l'homme la chaumière,
qu'elle soit riche et lui pauvre, cela leur parait bon ; c'est le
renversement des vieilles données, mais c'est la consécration de ce qui doit
être. Elles trouvent comme une saveur particulière dans la disparité toute
matérielle des situations il est souvent pénible d'avoir à élever un homme
moralement, il est doux de l'élever matériellement : comme l'a dit Balzac, «
un homme n'a jamais su élever sa maîtresse jusqu'à lui, mais une femme place
toujours son amant aussi haut qu'elle ». Voilà
pourquoi, aux yeux de tous les amis du beau, à cette époque, toute princesse
est belle, c'est-à-dire qu'elle remorque le monde vers l'idée du beau ; faute
de princesse, ou de grande dame, ou de femme éminente[31], on peut se rabattre sur une
simple demoiselle d'honneur, mais ce serait presque manquer de respect aux
princesses de sang royal que de ne pas devenir amoureux d'elles, puisqu'elles
sont nées dans ce but ; et même un certain accent de vivacité ne leur déplaît
point, « car, se disent-elles, personne n'ignore qu'on ne fait à une
forteresse l'honneur de lui donner l'assaut que si l'on ne croit pouvoir en
espérer ni faiblesse ni trahison[32] ». Rien n'est plus flatteur :
selon le joli mot d'Alfred de Vigny, « dans les plus pures relations du
monde, il y a pourtant des choses qui ne sont versées que dans un seul cœur,
comme en un vase d'élection[33] ». Ce vase d'élection doit
être rare et délicatement ciselé, tout formé d'idéalisme, d'esprit et de
douceur. L'amour
de princesses, fût-il sincère et capiteux, se présente donc avec une pureté
de cristal. Quand des poètes vantent à outrance la beauté de leur princesse,
qui est quelquefois d'âge mûr, on peut les en croire, il s'agit de la beauté
de l'âme, « qui suffit bien, » comme le dit ingénument Marguerite. Le seul
malheur des princesses, c'est souvent de ne pas bien connaître le cœur humain
; elles voient trop de surfaces mondaines, pimpantes, convenues, et &est
ce qui les rend généralement si pessimistes. Mais leur influence est grande.
Et comme les douceurs, venant d'elles, ne tirent pas à conséquence, elles ne
s'en montrent pas avares : de quoi n'est pas capable une femme qui n'a rien à
craindre, ni des autres, ni d'elle-même ? En pareil cas, le péril n'existe
que pour l'homme. Certaines femmes prennent les hommes, les remuent, les
secouent comme un arbre dont on veut faire tomber les fruits. Et pour tout
dire, on leur a même reproché de pousser cette science-là trop loin.
Marguerite de France notamment a passé pour une virtuose consommée : il est
certain que souvent elle nous déroute, et on craint de lui servir de jouet.
Elle se vantait elle-même de jongler avec le cœur des hommes, de « gagner ses
serviteurs », et de les traiter si bien que littéralement ils ne savaient
plus que penser. « Les plus assurés, dit-elle, étaient désespérés, et
les plus désespérés en prenaient assurance[34] » ; aussi, tandis que ses
historiens intimes, Mme d'Haussonville, M. Anatole France[35], Mme de Genlis[36], se portent garants de son
absolue vertu, ceux qui la regardent par la fenêtre, comme Brantôme, la
traitent de coquette : sa mère même était de cet avis... Faut-il l'avouer ?
moi aussi, pendant les années, déjà longues, de ma vie, que j'ai consacrées
au service de plusieurs de ces femmes touchantes, parmi tant de longues
heures vécues avec elles, dans leur agréable intimité, entièrement occupé à
déchiffrer l'énigme de leur cœur, j'ai compris, j'ai connu ces singulières
perplexités. Un jour, elles m'ont ravi, elles me donnaient presque des ailes,
et, un autre, elles m'ont accablé ; un jour, j'aurais voulu leur baiser les
mains avec une certaine ardeur, pleine de piété et de foi, et, un autre,
j'aurais voulu effacer jusqu'à la trace de leurs pas. Parfois, je me suis
glorifié : cet amour si chaud, dont elles parlaient si bien, j'ai cru en être
maitre, et tout vibrant de leur enthousiasme communicatif, j'ai vu, à leur
suite, le monde se transfigurer, nos pâles brouillards du nord devenir de la
pourpre, notre ciel se faire diaphane, et le lendemain je marchais
machinalement derrière elles sans les comprendre. La passion et l'ironie ont,
tour à tour, secoué ma plume, et se sont détruites l'une par l'autre, si bien
que j'ignore s'il en est resté quelque chose. Aujourd'hui encore, que je
cherche décidément à balbutier la gloire de ces dames, et que, pour prix d'un
grave et constant effort, je sollicite d'elles quelque gage certain de leur
pensée, elles volent devant moi, comme des papillons ! Pourtant,
elles ont du cœur, beaucoup de cœur, on n'en peut douter, un cœur ferme et
ardent[37], mais elles craignent de s'en
servir. Elles jouent à la sensibilité crépusculaire ; telle la noble Génoise,
Thomassine Spinola, qui avait rompu tout lien matériel avec son mari pour
consacrer ses pensées au roi Louis XII : un jour, le bruit courut,
faussement, que Louis XII était mort ; aussitôt, on apprit à Blois que
Thomassine l'était aussi. Là-dessus, le poète officiel entonna une énorme
élégie[38]. Par bonheur, Louis XII et
Thomassine vécurent encore longtemps. Personne n'osait sourire de aloses
aussi respectables ; cependant Anne de France s'en indigne : à son avis,
c'est abuser de l'amour que le traiter ainsi, elle absoudrait assez
volontiers les hommes qui ne prennent pas ces douces comédies au sérieux... Etranges
femmes ! Peut-être n'osent-elles pas elles-mêmes sonder leur âme ! Leurs
peintres ont dû s'arrêter longtemps, et chercher le fond de l'icône, et se
demander s'ils peignaient Béatrix ou Vénus. Un voile étrange s'étend sur
leurs visages : comme un artiste habile qui se borne à indiquer ce qu'il ne
peut rendre, leur âme s'estompe volontairement, pour ne pas laisser voir ses
limites et pour nous lancer dans l'inconnu. Elles se donnent et se réservent,
elles attirent et elles repoussent, elles enlacent et elles tiennent à
distance, el les séduisent et elles éloignent. On dirait une terre vierge et
des sentiers trop battus. Les contemporains s'y trompaient : nous pouvons
bien, nous aussi, ne pas comprendre ce platonisme, nous qui le voyons dans le
lointain. C'est
ainsi que Léonard enveloppe sa Joconde d'une brume magique ; il a tout dit,
sans rien dire, sinon qu'il affirme que c'est elle, toujours elle. Il indique
à peine l'esprit subtil, la chair douce, fine ; on croit sentir flotter dans
l'atmosphère un parfum léger. Le monde lui-même, à l'entour, paraît plongé
dans la torpeur ; le paysage se perd en suggestions bizarres, sans fin... Et
la femme dominatrice nous poursuit de son regard compliqué, ce regard
qu'elles ont toutes ; il y a en elle plusieurs
femmes superposées, pétries d'appétits successifs, de lassitudes combinées,
de pensées accablantes, de chair accablée. Elle tient en réserve la volupté
et la raison. On a peur d'elle, car elle est trop riche, elle ne donnera rien
: elle a trop d'esprit. Et
cependant nous avons tort de ne pas chercher à comprendre ces femmes ! Nous
ne les comprenons pas, parce que nous les isolons, que nous nous tes figurons
seules, dans leur attitude défensive, sans voir l'atroce flot humain auquel
elles opposent précisément ce regard de méfiance. Autour
d'Anne de France ou de Vittoria Colonna, nous avons rencontré Michel-Ange.
Mais auprès de toutes ces gracieuses prêcheuses d'amour, qui allons-nous
trouver ? d'abominables désœuvrés, des ambitieux, des stupides, des
adolescents à la mode ou désireux de se pousser dans le monde[39], de mauvais plaisants, des
savants automnaux, toute une tourbe de gens qui ont leurs raisons d'aimer le
régime de l'eau claire, et qui, si on ne leur avait pas parlé d'amour, n'y
eussent certes pas songé. Est-ce bien tromper de pareils hommes que les tromper
? Il y en a de sceptiques, comme l'excellent Montaigne, qui aiment pour se
distraire de leurs soucis ; d'autres par gageure, comme Nifo, qui se faisait
amoureux parce que le cardinal Pompeo Colonna le trouvait drôle. Il y a des
pédants, des épilogueurs ; il y en a qui socialisent, qui subtilisent, qui
parlent aussi de leur amour pour l'humanité en bloc[40], pour les choses irrationnelles[41], pour le Grand-Tout[42], pour les créatures
supra-humaines, pour les anges[43].... Ils font une partie d'amour
comme on ferait une partie de dés ou de cheval. Ils comptent sur leurs doigts
les manières d'aimer. Nifo
s'est amusé à cataloguer les motifs d'amour ou « réamour » mondains ; il en a
trouvé quinze principaux : 1° La
jeunesse ; 2° la noblesse — puisque l'aristocratie vient de l'amour et
l'amour de l'aristocratie — ; 3° la richesse, source impure, mais abondante ;
4° le pouvoir. C'est à cette catégorie que, malignement, il rapporte l'amour
des princesses, le plus pratique de tous et le meilleur. Ambitieuses par
destination, dit-il, les princesses désirent nécessairement la gloire ; elles
sont donc plus accessibles que d'autres, et personne ne rend l'amour plus
grave, plus élevé, plus substantiel ; 5° la beauté, facteur très
encourageant, mais secondaire ; 6° le simple entraînement des sens. Hélas !
bien des femmes, et des plus hautes, lui ont dû d'indignes relations ! 7° la
gloire. L'idée de se voir chantées, peintes, sculptées, analysées,
dissertées, inspire beaucoup d'amour aux femmes ; elles aiment la postérité
sous cette forme ; 8° l'amour pour l'amour, le dilettantisme de se sentir
aimée, adorée ; 9° l'amour élégant, fait de beaux pourpoints et d'écurie ;
10° l'amour obséquieux, peu amusant, mais pratique et fréquent ; un amour à
petits soins, à petits cadeaux symboliques, à bals, à diners : Nifo a vu le
prince Ferdinand de Salerne triompher par un bal. — Et après ces catégories
principales, il y a les amours par procédés secondaires, qui, malgré la
banalité, ne cessent pas de réussir : les belles colères mélodramatiques,
comprenant le-dépit, la jalousie, la fureur, tous d'un bon placement, ou bien
les moyens paisibles et élémentaires, l'amusement, à condition d'avoir de
l'esprit, l'adulation (moyen très recommandé), la prière, encore-excellente,
selon la maxime de Martial : « Jamais encens ni prière n'offensa
Jupiter. » Les amateurs n'ont que l'embarras du choix, et l'avantage de
ces-sentiments, généralement faux, c'est que, grâce à eux, tout le monde,
avec de médiocres ressources, peut s'y faire un sort : c'est le bazar de
l'amour. Et
ainsi le rude individualisme, principe de-l'énergie humaine, doit se
transformer et tendre à. un objet collectif. Pauvres femmes ! elles ne se font pas d'illusion, sur l'effet superficiel qu'elles produisent le plus souvent ; elles savent que tout se bornera peut-être à. une amélioration de parade, et qu'au fond l'homme-restera ce qu'il est, vulgaire et personnel[44]. Cette-pensée les confirme dans le platonisme et dans-la vertu : faute de mieux, elles se disent qu'après tout elles ne perdent absolument pas leur temps, même à faire montre de simple sensibilité, que c'est, déjà un mérite de polir le vice, de l'« astiquer », de lui donner de l'hypocrisie, de gouverner les-hommes et de frapper leur intelligence par un moyen même détourné ; elles trouvent l'occupation aussi intéressante que de faire empiler des draps ou de faire briller un mobilier. Elles espèrent que-l'avenir justifiera leur dévouement. En somme, leur-amour n'est qu'un moyen : le but est de verser-dans la vie un peu de joie, un peu de baume, de la lumière, de la force, du bonheur, et de verser le-bonheur partout. |
[1]
II, 139, 140, 156, 157.
[2]
Louise de Savoie.
[3]
P. 458.
[4]
Dolce, Institution della maritata.
[5]
Castiglione. p. 455 ; Billon. p. 63.
[6]
Champier, Nef des princes, liv. II. ch. V ; Bouchet, Parc de noblesse,
f° 23-35 ; Castiglione, p. 456.
[7]
P. 127, 131.
[8]
P. 31-37, 77.
[9]
Gabr. Thomas, pp. 67 et suiv.
[10]
Milanesi, Le Lettere, pp. 467, 468.
[11]
« Si une âme en deux corps s'est faite éternelle, tous deux tirant au
ciel, et avec des ailes égales ; si l'amour, d'un seul coup, d'un seul trait
doré, brille l'intérieur de deux poitrines et les déchire ; si s'aimer l'un
l'autre, et pas soi-même, d'un seul plaisir et d'un seul amour, avec cette joie
qu'une seule fin attire les deux volontés : mille et mille choses
vaudraient-elles la centième partie d'un tel nœud d'amour, d'une telle foi ?
est-ce qu'une colère peut la rompre et la briser ? » (Sonnet 32.)
[12]
« Ah ! dit-il, fuyez l'amour, fuyez le feu ! L'incendie est âpre, la plaie
mortelle !... Voyez sur mon visage votre mal !... » Il
écrit, en vers, à la marquise de Pescara : « Vous seule, de mon mal je vous
vois satisfaite. »
[13]
Carteggio, pp. 210, 268.
[14]
Charles Clément, Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël.
[15]
Au monastère de Sainte-Marie, à Milan, 1541.
[16]
Milanesi, pp. 270-273, 528.
[17]
Billon, p. 63.
[18]
C'est-à-dire « récompense ». — « Mercy est accorder la grâce que l'on demande,
et l'on sait bien celle que les hommes désirent » (Hept., Nouvelle 56.)
[19]
P. 650.
[20]
Castiglione, p. 508.
[21]
Paul Jove, Dialogo ; Brantôme. IX, 128.
[22]
Hept., Nouvelles 43, 45.
[23]
Nouvelle 8 (paroles de Dangu).
[24]
Cian, p. 165.
[25]
A l'inverse, nous l'avons vu, certaines jeunes filles, vierges de corps, sont
traitées de demi-vierges.
[26]
Marguerite de France. Anne de France, etc.
[27]
Castiglione, p. 368 ; Nifo, ch. XCIX.
[28]
Hept., Nouvelle 19.
[29]
Guevara, Epistres, I, pp. 337 et suiv. Cf.
Nifo, ch. LXXIV et suiv.
[30]
Voiture.
[31]
Gilles d'Aurigny, p. 161.
Amoureux suis
d'une paintresse
Qui est belle en
perfection.
Son geste plein
d'affection
La fait juger
demie princesse.
[32]
Hept., Nouvelle 18.
[33]
Lettre du 22 septembre 1850, Revue de Paris, 15 septembre 1897, p. 310.
[34]
Hept., Nouvelle 58.
[35]
Préface de l'Heptaméron, édition Lemerre.
[36]
I, 26.
[37]
Voir les lettres étranges, presque éperdues, de Marguerite à son frère (Génin, Nouvelles Lettres, pp. 31, 26).
[38]
Jean d'Auton.
[39]
D'Héricault, édition Cl. Marot, p. 49.
[40]
Nifo, ch. CIV.
[41]
Nifo, ch. CV.
[42]
P. 108.
[43]
Nifo, ch. CIII.
[44]
Hept., Nouvelle 14.