LES FEMMES DE LA RENAISSANCE

LIVRE DEUXIÈME. — LA VIE DU MONDE

 

CHAPITRE PREMIER. — LA PHILOSOPHIE DE LA VIE.

 

 

Marguerite de France a dit le mot très incisif : « Le défaut des femmes, c'est la timidité. » Elles sont peureuses.

Elles ont pris l'habitude d'un rôle passif et secondaire. Elles désirent en sortir, elles éprouvent un besoin de grand air et d'activité, il leur pousse des ailes, elles adorent la liberté d'esprit, du moins elles le disent — et, en effet, elles ont déjà rompu bien des chaînes ; — mais dès qu'on les aborde d'un peu près et qu'on lie conversation avec elles, on s'aperçoit qu'elles sont encore tenues par une foule de timidités secondaires, par de petits-fils invisibles, qui viennent souvent des conventions sociales les moins importantes. Elles ne peuvent pas prendre leur vol, ou bien il faut qu'un homme parte le premier et les entraîne, ou bien qu'une nécessité absolue, un enthousiasme, un dévouement les pousse.

Elles ne s'émeuvent Das par raisonnement, mais par suite du sentiment, plus ou moins vague, que leur vie intime ne leur a pas apporté d'amour, qu'elles sont faites pour l'amour, et qu'elles ont une mission d'amour à remplir. Un esthéticien moderne, pourtant homme et médiocrement sensible, a expliqué ainsi en lui l'appel de la grâce : « Je n'avais rien à aimer. Mes parents n'étaient pour moi en quelque sorte que des pouvoirs visibles de la Nature[1]. » A plus forte raison pour les femmes ! Il faut quelque chose à aimer ! Séparées de leur famille, le mari incarne pour elles, dans toute la force du terme, le pouvoir visible de la Nature : en sorte que l'ardent instinct qui les attire vers la lumière est bien complexe, bien mêlé de douleur et d'entrainement, c'est une soif d'amour presque cruelle. De même que leur mari s'honore par une activité extérieure et par des services publics, elles entendent un pareil appel de la destinée. Il y a autour d'elles une vie à répandre, une douceur à semer, des faims à nourrir, des plaies à panser, un cri, un immense cri de détresse et de rudesse à consoler, et cela est indispensable. Une petite bourgeoise peut se confiner dans l'étroit égoïsme de son arrière-boutique. Une femme de cœur pouvait-elle ignorer la crise profonde de la société ? devait-elle rester l'enjeu passif, la proie ? n'était-elle pas appelée à prendre parti, en sa qualité de créature intelligente et libre ?... Bon gré mal gré, il fallait sortir de sa maison et de soi, s'envoler ! A vingt ans, on est excusable de confondre l'idéal avec la vie : dix ou quinze ans plus tard, cette illusion-là n'existe pas. On sent le besoin de fixer son cœur en un lieu fort, certain et noble, où les remous de l'existence ne l'atteignent pas et un jour arrive ainsi où toute femme, capable de réfléchir et d'aimer, jette un regard d'interrogation sur ce qui l'entoure.

Et alors, que lui répond le grand mystère de la vie ? Elle voit un colossal agencement de force visible et de matière, qui germe, lutte, éclate par l'impulsion silencieuse d'une force invisible, et qui, sans un but placé en dehors de lui, n'aurait ni existence ni beauté. Le régisseur de ce monde est l'homme, pourvu d'une intelligence plus puissante que la matière, en sorte que l'homme se trouve ici-bas comme l'ambassadeur de la vie et le type de la beauté. Lui-même obéit à un moteur presque unique, l'amour : il ne peut être vivement remué que par la passion. Ainsi le monde entier obéit à la loi de la beauté et de l'amour. La vérité, le bien forment pour ainsi dire son squelette ; la beauté est sa vie[2], l'amour, l'instrument de sa vie. Certains esthéticiens modernes ont cherché à établir une antinomie entre l'homme et la nature : ils représentent l'homme comme un ennemi, qui, en usant de la Nature, forcément la viole et la déforme, tandis que, laissée à elle-même, elle serait toujours belle[3]. Il nous paraît inexact et subversif de subordonner ainsi l'homme à la Nature ; c'est le contraire qui doit être ; nous pouvons abuser de tout, mais les forces matérielles ne font que gagner à recevoir de nous une sage direction. Notre rôle est de vivre en harmonie avec la nature, selon cette loi, magnifique et unanime, que plus l'amour se donne, plus il s'accroît : « Allez et donnez votre bien aux pauvres, » a dit l'Evangile : voilà le beau ! Semez, donnez ! donnez toujours ! donnez votre bras à la terre jusque-là stérile, donnez votre cœur aux cœurs trop arides ! Le beau ne peut pas être avare. Il n'y a d'autre hiérarchie dans le monde que celle qui part des êtres incapables de donner, raidis contre l'amour, pour s'élever jusqu'à ceux qui, splendidement épanouis, versent leurs dons sans compter. Du caillou, seulement sensible à l'attraction mécanique, jusqu'à la fleur embaumante, partout gît l'idée profonde, une même grande voix s'élève, toutes choses crient, et leur voix unique est celle de l'amour. Tout ce qui se meut tend à s'enlacer, à s'unir et à se confondre, toute vie tend à se verser dans une autre, à se donner, et c'est par là qu'elle renaît, et que toutes les vibrations particulières forment l'immense unisson. Et, au-dessus de cette symphonie matérielle, le cœur humain en chante une autre toute semblable dans les sphères intellectuelles de la vraie vie, qui montent jusqu'à Dieu. L'amour de l'homme, suivant l'expression de l'Imitation, est un cri poussé vers Dieu.

L'amour est donc la règle du monde ; il est noble, superbe et nécessaire ; en déployant ses larges ailes, il domine facilement les petitesses et les conventions, il répond à tous les besoins, à ceux de l'âme et de la société, il vivifie les cœurs délicats. Mais on voit aussi quelle lutte il va produire, par sa double nature, entre l'esprit et la matière, une lutte admirable, et délicieuse, et rude.

Les femmes sont faites pour comprendre ce tiraillement de l'amour matériel et de l'amour intellectuel, elles qui, à un certain détour de l'existence, sentent si fort le contraste entre les cruautés, les ironies de la matière et les finesses du cœur. Elles traînent un corps souvent faible, souffrant, misérable, un corps déformé, sanglant et honteux, une chair à couleur, née pour l'amour et le respect, tombée dans la chirurgie... Il arrive un moment où elles voudraient oublier la bête, et la laver de ses impuretés, si possible : leur âme est devenue plus âme. Si elles frissonnent au souvenir de certaines nécessités physiques, le secret du bonheur, par cela même, leur apparaît plus simple, lumineux, plus dépouillé de matière ; stigmatisées par la vie comme certains mystiques l'ont été par l'amour divin, le flanc percé, les membres fouillés et brisés par la main des hommes, elles ont soif d'amour, d'enthousiasme et de vénération, elles comprennent qu'aucune argutie d'esprit, ou aucune dissection doctrinale, ne vaut une échappée d'amour. Elles savent la douceur des choses. Je dirai plus : elles savent l'extraordinaire influence des forces morales sur la santé physique ; le corps, comme la société entière, a besoin d'être réchauffé par l'âme et par le cœur.

Cette vérité apparaît, radieusement, par une sorte d'intuition. Mais il s'en faut que les femmes puissent toutes en profiter, parce qu'elles ont à compter avec mille obstacles pratiques ; elles auraient besoin d'une grande liberté d'esprit et d'une forte dose d'énergie, pour ne pas se laisser arrêter par une foule de conventions, de partis pris et d'usages plus ou moins respectables. Or la timidité, la nonchalance, la frivolité sont choses naturelles.

En France particulièrement, il fallait aux femmes un véritable courage pour affirmer leur volonté d'agir et de concourir à l'œuvre sociale, au milieu d'une société essentiellement constituée pour les empêcher d'émettre utilement une idée : une société énergique et terre à terre, tout à fait étrangère à la philosophie et au rêve, enchaînée à des traditions de bon sens très élémentaire et à une simplicité orgueilleuse, composée de familles qui désiraient vivre à leur gré, sous la direction de leur chef, sans grande notion de solidarité générale : le roi était le chef de la principale famille ; à ce titre, on éprouvait pour sa personne la vénération la plus patriarcale, mais, pourvu que la police générale de l'armée et des frontières fût assurée avec le moins de frais possible, on s'inquiétait peu de son existence. Ainsi le pouvoir despotique du mari n'était pas seulement un pouvoir familial, mais un pouvoir politique ; l'homme était maître de la terre et du village comme de la femme, et il administrait le tout sans remuer beaucoup d'idées, dans une conversation intime avec ses bœufs et ses chênes. Ces figures enluminées de campagnards, à l'œil simple, nous les retrouvons dans les portraits : l'homme n'a rien d'extraordinaire ni de gigantesque ; il est de fer, voilà tout[4] ; et à côté de cet être solide végétait, à demi étouffée, la fleur fine et précieuse, une femme parfois un peu frêle, au regard humide et doucement voilé, toute faite de passion concentrée, de douceur passive, d'impressionnabilité.

D'autre part, en contraste avec ce monde individualiste, qui, par principe même, vivait isolé, on vit alors s'épanouir à la cour, à la ville et dans certains grands châteaux, un monde extrêmement actif, celui des salons : effervescent, bruyant comme les nouveaux venus, pompeux, doré, d'élégance raffinée et factice, il représentait bien ce que tant d'écrivains appelèrent le « théâtre du monde » ; décor mirifique, grandi, diminué, allongé, rapetissé au gré de certaines projections lumineuses, et au milieu duquel des acteurs s'évertuaient à jouer un rôle. Quels étaient ces acteurs ? D'où venaient-ils, où allaient-ils ? souvent on n'en savait trop rien, on ne s'en inquiétait guère, et parfois mieux valait l'ignorer ; car, Dieu merci, ce n'est pas pour moisir dans un fonds de campagne qu'on intrigue, et on n'assassine pas pour devenir épicier. Çà et là, généralement à la fin d'un acte financier, quelqu'un disparaît, mais sans mouvements tragiques, puis (sauf Semblançay, qui fut pendu) il reparaît et continue la pantomime. On ne put que louer le noble emploi que fit l'amiral de Graville d'une majestueuse fortune, un peu discutée ; Du Plessis se démêla si bien dans les mailles de la justice qu'Il nous a légué l'admirable cardinal de Richelieu. Les Bohier, les Briçonnet, les Robertet, les Duprat, bien d'autres encore, petits ou grands, édifièrent en toute paix leurs brillants châteaux, triomphe de l'art, mais insultants pour les vieux machicoulis en ruines qui se morfondaient sous le lierre. C'était la royauté de l'or[5].

Cette somptuosité, cette grâce, cette vie éclatante, qui semblaient devoir tout effacer autour d'elles, n'éblouirent pourtant pas le vulgaire, et tout d'abord elles excitèrent plutôt un sentiment de répulsion, si ce n'est de jalousie. Des cris s'élevèrent. Il semblait que la richesse perdait son caractère d'affectueuse et patronale simplicité, pour ne plus mettre en relief que les silhouettes, égoïstes et fières, d'enrichis qui croyaient pouvoir tout acheter[6] : la vertu, l'esprit, l'honneur, aussi bien qu'un tableau rare ; le pauvre n'est donc plus qu'un « corps sans âme ![7] » l'homme vertueux est celui qui habite un palais, et celui qui donne à dîner a beaucoup d'esprit !

A cette tyrannie s'ajoutaient les inconvénients particuliers[8] ou sociaux[9] d'un monde naturellement instable et sans cesse renouvelé par la spéculation[10]. De là ces clameurs : « Vous faictes tant de gens crier hélas », puissiez-vous « descendre la teste la première[11] » !...

L'or et la volupté sont les dieux à qui nous avons dû le charmant XVIIIe siècle. Mais ils mènent à des révolutions. C'est ce qui apparut très bien, et même trop bien, en Italie, et ce qui obligea à lutter pour ramener ces deux grandes forces du monde à des limites bienfaisantes[12]. Dès le XVe siècle, le socialisme chrétien dressa hautement la tête, à Florence et à Rome, et de ces menaces naquit une science forcée de la philosophie.

En présence du péril social, certains hommes durent sortir de leur égoïsme, et ils montrèrent aux femmes timides la route à suivre pour éviter les représailles vengeresses. On vit des gens d'affaires, des banquiers, des notaires... se grouper, se réunir avec la ferme résolution de laisser à la porte les affaires, l'intérêt, l'ambition, même leurs espérances généralement despotiques dans une intervention de l'Etat, et chercher à se donner, emprunter, s'il le fallait, une âme quasi idéale de philosophe ou d'artiste, afin de consacrer pratiquement leur élévation en travaillant à celle d'autrui. Le peuple florentin se prit à l'hameçon ; à la fois ardent et fin, il mêlait admirablement le raisonnement pratique et le sens idéal. Et on fit ainsi le premier pas.

Cependant, c'est surtout à Rome que cette pensée, encore rudimentaire et mal définie, de purifier la vie et de rechercher le bonheur social par la douceur du beau fit des progrès. Elle trouvait là un terrain bien préparé. La culture de l'esprit, l'élégance du langage ne représentaient pas à Rome, comme ailleurs, un simple luxe, c'était la substance de l'Etat ; l'argent se trouvait intellectualisé par son origine et par son but ; nulle part aussi, on ne concevait mieux l'idée d'une société oligarchique, d'une république tempérée par le pouvoir absolu. La haute prélature formait un monde tout à fait unique, aussi éloigné du caractère militaire ou frivole qu'on reprochait à certaines noblesses, que du goût pour les grossières jouissances, propre à certains enrichis ; elle donnait bien l'exemple vivant d'une vraie aristocratie, dans le sens précis du mot[13], c'est-à-dire de la réunion d'hommes hiérarchisés, avancés et mis hors de pair par quelque don éminent, les uns par une grande situation politique ou une grande naissance, les autres par une grande fortune, les autres par de grandes œuvres, une vertu célèbre, une science illustre, un talent reconnu. Elle avait horreur des coteries et des petitesses : à la grandeur de la situation devait correspondre la grandeur des idées. Et cette belle aristocratie, ainsi composée de l'élite sociale, se plaisait à se recommander d'aïeux antiques ; elle ne se parait ni de généalogies particulières — bien qu'il y en eût d'éclatantes —, ni d'un étalage de fortunes — bien qu'il y en eût d'énormes — ; elle prétendait se rattacher à tout ce que le passé, depuis les Romains et les Grecs, avait fait émerger de plus illustre parmi l'espèce humaine : Platon, Socrate, Archimède, Cicéron étaient ses ancêtres. Et ainsi, avec une force étrange, elle tendait sans cesse à élever jusqu'à elle, par son exemple, par ses doctrines, par sa fréquentation, les hommes qui se sentaient une étincelle de génie, de talent, ou même, tout simplement, d'ambition.

Dans cette atmosphère se développa fort naturellement le programme d'esthétique sociale, dont Castiglione a buriné les traits principaux : « Il faut lutter contre le luxe, fût-ce par des lois[14], il faut donner à la vie du monde un but moral et gouvernemental[15], il faut que les lois s'appuient efficacement sur la coutume, pour réprimer les appétits[16]. Le pouvoir d'un seul prête à la corruption ; mais il a ce bon côté qu'on trouve plus facilement la sagesse, la bonté, la justice, dans une seule personne, soutenue par de fortes traditions, que dans le hasard de la réunion de citoyens inconnus[17]. » Il faut instituer dans le monde une royauté par la justice, par la beauté, plus réelle et de droit plus divin qu'aucune autre. Mammon, c'est-à-dire l'amour de l'or, l'amour de la force et de la jouissance, ne saurait régner qu'à condition de faire la nuit, si nous avons des yeux et que nous ne voyions pas, si nous avons une bouche et qu'il n'en sorte aucun cri humain, si nous sommes morts à l'enthousiasme, et si notre existence à tous consiste à manger...

En France, le danger socialiste, se présentant avec beaucoup moins d'acuité, ne pouvait pas produire les mêmes effets ; le peuple, qui, cinquante ans plus tard, allait montrer les dents, se taisait encore, et on ne se préoccupait de l'avenir que dans les classes élevées.

L'argent témoignait d'une certaine modestie, et s'entendait à merveille avec les représentants les plus qualifiés de l'ancienne noblesse. Mais la noblesse, n'étant plus, féodale, n'avait plus rien à faire, et dans les rangs de cette aristocratie purement basée sur la naissance et sur la fortune une crise morale très grave se produisait ; la pure vanité remplaçait l'orgueil[18] ; « la fumée[19] » des titres l'emportait fortement sur l'amour de la gloire.

Les grands financiers devinrent presque tous barons, afin de se mettre au-dessus de la finance ; les possesseurs de fiefs devinrent barons, comtes, marquis ; les simples mortels se trouvèrent posséder un fief ; le moindre colombier tourna au château ; la société fit un pas en avant, et tout le monde fut satisfait. C'était une vraie course au clocher, selon le système italien. Pontanus, qui en rit avec malignité, avait en vain sollicité le titre de baron : le bon duc d'Urbin, grand philosophe et d'exaltation fort récente, s'était débarrassé, par un coup de poignard, d'une jeune fille de la simple noblesse, que son fils aîné aimait et voulait épouser ; Louise de Savoie approuvait chaudement cette belle intransigeance[20].

Les généalogies prirent d'étranges proportions. Il fallait la simplicité morale de Marguerite d'Autriche pour se contenter, com me aïeux, d'anciens rois de Germanie[21] ; le moindre archer écossais descendait tout aussi bien des anciens rois d'Écosse[22]. Louise de Savoie débuta par rattacher modestement la maison de France à la plus ancienne dynastie royale, celle de Babylone.

On alla plus loin ; on sonda les ténèbres de l'histoire, les temps de fer et de pierre, où quelque sauvagesse, rencontrée par quelque sauvage dans un bois, fut notre aïeule, et où il aurait suffi de cinq minutes de pluie au lieu de soleil, pour que toute une immense lignée d'âmes se trouvât biffée de l'immortalité... Anne de Bretagne descendit d'un des géants, fils directs de la Terre[23]. Rabelais, très gravement, nous présente avec correction son héros, fils aussi d'un propre fils de la Terre : « Plût à Dieu, ajouta-t-il, que chacun sût aussi bien sa généalogie depuis l'arche de Noé ! »

Mais, en réalité, sous le couvert de ces vanités nouvelles et savantes, l'argent brutal, le vulgaire argent, qui va aux vulgaires, menait la danse et pêle-mêle entraînait l'élite de la nation. Le Baisse du temps, Robert de Balzac, a rempli plusieurs pages rien qu'à citer des types de la cohue mondaine, qui, suivant son expression, se presse, effrénée et presque sauvage, sur la route de l'hôpital[24] ; ce sont des voluptueux, des désordonnés, des luxueux, des gens gorgés d'or et qui en ont soif ; ils se jettent, ils se hissent tumultueusement vers une étoile chimérique, atrocement tourmentés et agités ; les uns après les autres, ils tombent dans le gouffre, cependant qu'au premier plan continue lentement, et avec une cadence de pendule, l'éternelle parade. En sorte qu'à côté de ce triomphe insultant et fou de For les haines se développent, et on commence, dans l'ombre, à parler du triomphe, horrible, de la misère[25] ; on peut prophétiser l'heure où le matérialisme d'en bas répondra épouvantablement au matérialisme d'en haut.

Les femmes auraient dû remédier à cette crise. Elles devaient empêcher les hommes de s'abêtir et de se ruiner[26]. Anne de France n'ose pas proposer à tous ces nobles oisifs de s'occuper de choses intellectuelles, mais elle voudrait au moins les retremper dans une vie d'abnégation physique ; sans le courage militaire, la noblesse, dit-elle, ressemble à « un arbre sec », sans la vertu « elle ne vault rien[27] ».

Ce qu'elle n'espérait pas, une fraction du clergé commença à le réclamer. C'était, au milieu de la foule des paysans en soutane ou des grands seigneurs en rochet, un petit groupe lettré, inspiré par le cardinal d'Amboise, moins hardi que Rome, moins rétrograde que l'Allemagne. Ceux-ci reconnaissaient les mérites traditionnels de la gloire militaire, de la naissance, de l'argent, mais ils auraient voulu les concilier avec les vertus nouvelles, les fondre en une seule lumière, homogène comme la lumière du soleil, qui se compose de couleurs si diverses ; ils auraient voulu que, comme à Rome, toutes les gloires réunies formassent l'arc-en-ciel. Un moine de Cluny[28], Clichtoue, prie, supplie les jeunes gens bien nés de ne pas s'engourdir dans l'infatuation, dans l'oisiveté, dans le vice. Il a la bouche pleine d'exemples pour montrer comment les goûts littéraires[29] peuvent s'allier à la vie des camps ; il révère tellement les principes de hiérarchie qu'il en découvre l'application partout, jusque dans les métaux, mais il brûle de réunir en faisceau toutes les forces vivantes de la société ; il est philosophe, on peut même dire précurseur. Il annonce Platon ; il déborde de Bible, plus que ne le fera Luther, et d'Antiquité, tout autant qu'un prélat romain[30] ; l'avenir lui parait se dessiner clairement : « Après la vertu, la noblesse ne peut avoir de plus bel ornement que les lettres. La philosophie ne reçoit pas le noble, elle le fait[31]. » Il conjure les hommes distingués de prendre véritablement souci des obligations sociales qui leur incombent, sous peine de perdre leur rang. Il ne disconvient pas de l'agrément qu'on éprouve à penser qu'on a eu des aïeux et qu'on aura des descendants, mais ce but dans la vie ne lui parait pas suffisant, quoique honorable ; si l'on ne trouve pas moyen de réunir les deux noblesses, celle du corps et celle l'esprit, nul doute (à son avis) que la noblesse de l'esprit l'emportera ; Salomon, qui ne passe pas pour moderne ni même pour socialiste, le disait déjà dans son temps : e Je ne suis, moi aussi, qu'un homme mortel, semblable aux autres, de la lignée terrestre du premier homme ; j'ai été fait chair dès le ventre de ma mère... En naissant, j'ai respiré l'air de tout le monde, je suis tombé sur la terre commune, mon premier cri a été celui de tous, un pleur. Il a fallu m'envelopper pour me faire vivre, et m'entourer de soins. Parmi les rois, quel est celui qui a commencé autrement ? Tous les hommes entrent de même dans la vie, tous en sortent de même. »

Malgré tout, Clichtoue, ainsi que ses amis, les Lamennais, les Montalembert de l'époque, se bornait à des conseils et à des pronostics, que l'avenir devait en grande partie justifier : il n'avait pas encore trouvé la formule exacte. Elle lui brûlait les lèvres, mais il n'y arrivait pas ; il semblait, en France, que les mots « beauté, amour », ne fussent pas virils ni ecclésiastiques. Ces nobles mots, si hauts, devaient venir d'en haut, et de lèvres de femmes.

Marguerite de France les prononça enfin et on les prononça autour d'elle.

Le remède qu'on cherchait, avec tant d'efforts, contre le matérialisme, le voici, tel que Jean Bouchet l'expose au nom de Marguerite : « Raffiner le monde, en éliminer les éléments grossiers[32] ; n'admettre la fortune, comme source de distinction sociale, qu'en dernière ligne, et encore à condition que le nouvel enrichi « vive noblement », c'est-à-dire d'une manière désintéressée, et qu'il « s'étudie à beaux faits » La noblesse vraie n'est pas une cocarde, une étiquette, un nom, mais une réalité morale ; elle « vient de l'âme, et non de la richesse[33] ». Les esprits nobles et fiers se reconnaissent précisément au don de la simplicité ; ils laissent les dorures et les bruyants blasons aux « fils de porchers, couturiers, chaussetiers et autres gens mécaniques... Mais ceux qui sont illustres d'ancienne noblesse monstrent assés leur noblesse, car ils ont en euls je ne sçay quoy d'une bonté naïfve qui les sépare manifestement de la férocité des fauls nobles. » Fringante, piaffante, vrai pur-sang, rebelle au bâton d'un mari, mais tressaillant jusqu'à sa dernière fibre au moindre appel d'un sentiment délicat, Marguerite de France est restée obstinément fidèle à ces principes ; ç'a été l'étoile polaire, qui a réglé sa marche pendant toute sa vie. La dernière phrase que nous avons citée a été dite dans une circonstance qui lui donne une portée particulière : dans l'oraison funèbre de Scævola de Sainte-Marthe, qui n'a pas cru pouvoir jeter sur la tombe de sa princesse des fleurs plus douces et plus éternellement éclatantes[34]. Marguerite elle-même n'a jamais manqué une occasion d'accentuer avec la dernière énergie la peur affreuse qu'elle avait du pouvoir de l'argent.

Aimer l'argent,

Sinon pour s'en aider, c'est servir les idoles ![35]

Vis-à-vis de ceux qui traitent l'humanité en maquignons, et qui croient que le bonheur s'achète, elle a des apostrophes passionnées dignes des plus ardents socialistes chrétiens :

Ilz ont plaisirs tant qu'ils en veulent prendre,

Ilz ont honneurs s'ilz y veulent prétendre,

Ilz ont des biens plus qu'il ne leur en fault[36]...

Voilà le point précis où l'on vise. Le cadre militaire de la société est brisé : on considérerait/ comme un crime de lui substituer un cadre financier, et le grand danger se trouve là. Pour employer une comparaison approuvée par François Ier, deux chars parallèles courent la carrière du monde : il faut opter ! Le char de Plutus, plein d'or, de fornications et de vices ; le char de l'Honneur et de l'Amour, escorté de toutes les vertus[37]. Le dilemme est net : pour son bonheur, pour sa gloire, le monde doit repousser le culte de l'argent, la puissance de l'argent, et proclamer la puissance de l'amour vertueux.

Ainsi, peu à peu, la formule cherchée se dégage et commence à se discerner. Voici un grand trait de lumière : pour être heureux, il faut s'élever au-dessus de la matière, et établir le monde sur une philosophie de l'amour. La vraie richesse, c'est la vie, le beau ! Le plus faible des hommes, le dernier de nos malades et de nos loqueteux, la femme, au corps faible et à l'âme ardente, sont plus riches qu'un lingot d'or, plus éternels que les Alpes, plus grands que la mer et que l'immense nature, par ce motif qu'ils ont en eux la vie, et la vie vraie, c'est-à-dire la conscience de la vie, la confiance en la vie, l'amour de la vie !

Et par suite de la même idée qu'il faut chercher le bonheur par la vraie vie, on reconnaît accessoirement qu'il est nécessaire de s'occuper de l'hygiène de cette vie ; jusqu'à présent, il n'y avait eu de médecine, de soins et de pitié que pour les maladies du corps, pour les plaies béantes et sanguinolentes qu'on avait sous les yeux ; quant aux plaies du cœur et de l'esprit, on les oubliait... On n'était arrivé qu'à rendre la vie somptueuse et brillante, à la gaspiller dans une sorte de trépidation ou d'enivrement... Le cœur ne s'achète pas... ; pour réparer ses brèches, il n'y a pas de devis possible : il faut qu'elles se réparent elles-mêmes...

L'art consistera donc à réaliser autant que possible la plénitude de la vie, c'est-à-dire à tirer du christianisme, qui est espérance et charité, une philosophie esthétique : « Je suis le Dieu des vivants, a dit le Maître. En réunissant les paroles sur la Vie éparses dans 1'Evangile, on obtient un vrai code d'esthétisme ; quant aux paroles d'amour, elles forment la trame même de la doctrine. Au lendemain de la Résurrection, alors que les hommes rudes, appelés à répandre la sainte nouvelle, ignorent tout, le Maître se montre d'abord à l'Amour ; il paraît aux portes d'un jardin mystérieux, où va passer Madeleine : Madeleine, une femme pardonnée, glorifiée, parce qu'elle a beaucoup aimé, parce qu'elle a péché par l'excès du bien.

Cette doctrine d'amour n'avait point prospéré dans le monde, elle y trouvait des ronces trop enracinées, des épines trop cruelles ; elle s'était faite surnaturelle, sacrée, tellement sublime, qu'elle échappait à la terre, elle se réfugiait étiolée dans les cloîtres, comme dans une serre chaude, et laissait la place libre au vice. La douceur ne semblait venir que de la faiblesse ; toute forme d'art semblait immorale, tout amour pervers et déséquilibré, et on ne comprenait pas combien il faut d'intelligence pour être bon. Les petitesses de la dévotion féminine, malheureusement encouragées par une partie du clergé, tendaient à rendre l'amour divin lui-même peu pratique et presque ridicule. L'auteur de l'Imitation a pourtant défini l'amour comme la vraie source d'activité :

« Il n'y a rien au ciel et sur la terre de plus doux que l'amour, rien de plus fort, de plus élevé, de plus étendu, de plus agréable, de plus rempli ni de meilleur, parce que l'amour est né de Dieu, et qu'il ne peut trouver de repos qu'en Dieu, en s'élevant au-dessus de toutes les choses créées. Celui qui aime vole, court et est dans la joie ; il est libre, et rien ne le retient. Il donne le tout pour le tout, et possède tout dans le tout, parce qu'il se repose au-dessus de toutes choses, dans le seul et souverain bien, d'où découlent et procèdent tous les autres biens. Il ne regarde pas aux dons, niais il s'élève au-dessus de tous les biens pour ne voir que celui qui les donne. Souvent l'amour ne garde pas de mesure, mais son ardeur l'emporte au-delà de toute mesure. L'amour ne sent point sa charge : il ne compte point le travail, il veut faire plus qu'il ne peut, et ne s'excuse point sur l'impossibilité parce qu'il croit que tout lui est permis et possible. Aussi il est capable de tout, et, pendant que celui qui n'aime point s'abat et se décourage, celui-là exécute bien des choses et les achève[38]. »

Pourquoi donc cette belle religion, cette belle philosophie n'étaient-elles pas devenues celles du monde ? Pourquoi n'avaient-elles pas répandu au dehors leurs sources d'activité ? On veut résoudre cette question, et rendre au monde la philosophie méconnue, traduire l'amour comme il doit l'être, par des impressions, par la sensibilité, et non par l'esprit ; c'est pourquoi Castiglione a dit : « On ne voit Dieu que par les femmes. »

Evidemment, ce mot ne s'adresse pas à toutes les femmes ; il vise celles qui sont dignes d'exercer une action.

A cette mission d'élever philosophiquement le monde jusqu'aux plus nobles idées par la religion sociale de la beauté, s'opposent des obstacles naturels : les Français sont des êtres positifs, pratiques, sceptiques ; entre le paysan et ses animaux, entre le seigneur et le paysan, il existe une parenté solide et, après tout, heureuse. De plus, les Français sont particulièrement hostiles aux idées de hiérarchie intellectuelle : ils manquent de sensibilité ; le beau leur déplaît, les choque ; et dès qu'une révolution leur donne ce qu'ils appellent un moment de liberté, ils s'amusent à défigurer le plus possible de statues, ils rasent leurs cathédrales, ils brûlent leurs lambris des grands jours, avec tout l'enthousiasme que peut inspirer la vengeance d'un grief personnel. De même pour l'amour, l'idéal, la pudeur, pour tous les sentiments délicats et esthétiques, nous éprouvons un certain plaisir à les braver ; dès que nous possédons un diplôme quelconque, nous nous en servons dans ce but.

Et cependant, quoi qu'on fasse, les choses hautes peuvent seules nous élever, on respire dans les montagnes un autre air que dans les vallées.

H faut élever, sur les hauteurs, des femmes éminentes, qui se crucifieront, s'il le faut, pour attirer à elles la glèbe, selon la parole du Christ : Omnia traham ad me ; des femmes douées de tout ce qui glorifie : l'argent — le dédain de l'argent est le luxe des riches —, un noble sang éclairci par les champs de bataille ou par les luttes intellectuelles, un esprit original et net... le Christ était à la fois fils de rois et fils de Dieu ! Voilà la consécration du bonheur par la philosophie d'impression et de sentiments. Platon a dit que, pour le bonheur de l'humanité, il fallait « des philosophes qui règnent ou des rois qui philosophent[39] ». N'en croyez rien ! il faut des rois qui gouvernent et des femmes qui philosophent. Les hommes s'imagineront toujours que la liberté et l'égalité s'établissent par décret ; la philosophie n'est pour eux qu'un gagne-pain. Cremonini, illustre professeur, mais homme d'esprit, tirait sa révérence à la fin de ses cours, et disait : « Tout ce que je vous ai enseigné est vrai selon Aristote, mais non au sens absolu : autant croire à saint Roch ou à saint Antoine[40]. » Nifo se contredisait lui-même avec une grâce parfaite, quoiqu'il n'admit pas la contradiction d'autrui... En vérité, ces excellents professeurs de philosophie pouvaient-ils s'attendre à ce que, trois siècles et demi plus tard, un M. Mabilleau, un M. Fiorentino ou un M. Ferri s'acharneraient à découvrir et à critiquer sous la poussière des archives leurs élucubrations inédites ?...

On touchait à cet état de lassitude et de sagesse où l'on comprend parfaitement combien sont vains et indignes d'occuper un homme sérieux les jeux du raisonnement. Il n'y a que deux agents de vie : la force ou l'amour. Anne de France en compte quatre : la beauté, la jeunesse, l'argent, la force[41], mais ces quatre termes se réduisent aux deux que nous indiquons[42]. Il fallait donc une doctrine d'amour. On la découvrit chez Platon.

Il y eut ainsi deux maîtres opposés : Platon et Machiavel.

Platon est poète autant que philosophe, aussi admirable par ses impressions et ses institutions que par ses idées. Il croit à la beauté. On avait dit que la beauté ne comptait pas, qu'il n'en était pas fait état dans l'Evangile, que la forme ne signifiait rien, sauf peut-être un symbole, que la vérité était métaphysique. Il fallait revenir de cette erreur. La beauté existe réellement et joue en ce monde un rôle majeur[43]. Dieu ne s'en est pas désintéressé, l'Ecriture nous le montre versant la vie à larges gouttes, et se plaisant à se mirer dans l'homme. Platon, en somme, développe cette même théorie, et de plus il entonne l'hymne de l'esthétisme dans un des plus beaux langages qu'ait jamais balbutiés langue humaine. Il apportait donc la formule rêvée. Avec lui, on ne songeait qu'à aimer autrui, à chasser les passions mauvaises par le pur amour ! Une brise de mai soufflait sur les cœurs ; elle était philosophique, chrétienne. Luther a-t-il imaginé une réforme aussi tranchante, aussi vive que celle-là ? On remontait au temps béni où, sans passer par les arguties de la Sorbonne et de la science allemande, le Ciel nous a dit tout simplement : Aimez-vous les uns les autres. » On croyait avoir trouvé le secret du rajeunissement, de la renaissance, et il y eut des gens tellement enivrés qu'ils en vinrent à se demander si la charité autorisait le commerce ou les impôts[44]. Toute l'idée tient dans une ligne : la sauvagerie résulte de la force, la civilisation de la beauté.

Cette formule convient aux forts et aux faibles à tout le monde[45] ; elle n'appartient ni aux hommes, ni aux femmes, elle n'est ni du Midi ni du Nord. Et cependant, les gens du Nord, considérant Platon d'un mil purement philosophique et technique, ne la trouvèrent pas ; à Venise, place d'armes de ses éditions parfaites ; à Paris, où on le proclamait prophète, ancêtre du christianisme[46], où l'on se hâta d'imprimer les commentaires florentins, où même on publia un commentaire inédit de Ficin[47], personne ne songeait à chercher dans la philosophie de Platon la recette du bonheur. On se défiait même tellement de Inique l'Italien Vicomercati, appelé, en 1542, à professer la philosophie au Collège de France, crut devoir, comme don de bienvenue, immoler Socrate dans sa leçon d'ouverture[48].

Ce sont les Florentins, en vrais gourmets de la vie, qui découvrirent le dilettantisme de la vie platonique. Les femmes encore ne furent pour rien dans cette première déduction, qui consista à rattacher les choses de la nature au personnage humain, de manière qu'elles ne formassent plus qu'un long cortège de notre cœur. A Florence, on fêta tendrement et agréablement cette religion nouvelle.

Le jour anniversaire de la mort de Platon, les invités couronnaient le buste du maître, puis dans un magnifique repas, sous un bel ombrage, ils chantaient des laudes, des canzoni en l'honneur de l'esprit nouveau. Presque tous étaient poètes, notamment Laurent de Médicis. Ils se maintenaient en étroite communion avec les idées chrétiennes. Le jeune Jean de Médicis, le futur Léon X, élevé parmi eux, recevait, dès l'âge de sept ans, avec la tonsure ecclésiastique, d'honnêtes bénéfices, et, à treize ans, le chapeau de cardinal. Tous les coryphées du mouvement, Ficin, Pic de la Mirandole, Politien, se sont honorés des encouragements pontificaux[49]. Rome aussi était le foyer d'un mouvement semblable : l'académie de Pomponius Lætus y faisait revivre les beaux jours de la République : là, comme à Florence, on respirait un air intellectuel, léger, vif, extrèmement libre. Aux Facéties de Pogge, dégoisées en petit comité dans une chambre du Vatican, devant quelques monsignori de belle humeur, répondaient les joyeuses énormités de Panormita, commensal du Magnifique Laurent. On riait, on était heureux ; les besants ou pièces d'or, gloire de l'écusson des Médicis, flamboyaient au soleil, comme des étincelles d'esprit.

Les tiédeurs de l'air, l'ombre, les oiseaux, les jardins, les statues, les marbres antiques prirent ainsi, dans la philosophie platonicienne, un rôle indispensable. Un banquet en l'honneur des neuf Muses nous valut la charte du Monde nouveau ; Marcile Ficin, désigné par le sort, entonna, en l'honneur du caractère divin de l'amour, un chant superbe, dont l'écho allait longuement retentir.

Les critiques savants ont quelquefois reproché à Ficin de ne pas serrer d'assez près le texte du maitre, et de se permettre des accès de virtuosité, qu'on taxe d'Alexandrinisme[50]. Cela se peut ; Ficin était Ficin : il était homme, libre, enthousiaste, point idolâtre ; il volait au bonheur ; quelle que fût son admiration pour Socrate, il ne s'imaginait pas que ce grand homme eût nécessairement dit le dernier mot en toute matière, pas plus qu'il ne nous croyait éternellement voués aux chapiteaux corinthiens ; il rêvait d'une maison humaine, noble, commode, habitable pour tous, un abri vivant pour la vie ! Tout en poussant de bien belles reconnaissances sur les routes du ciel, Platon évidemment avait laissé les esprits en suspens sur des points fort importants pour notre bonheur ; il paraissait sage d'y suppléer, les yeux fermés, par les solutions du christianisme.

Mille voix nous crient, comme Montaigne et Charron, qu'on ne peut pas prouver l'immortalité de l'âme par la seule force du raisonnement : en tout cas, quelle longue attente, s'écrie Marguerite de France ! depuis combien de siècles certains endormis attendent leur réveil !

Le moyen âge répondait à cette question avec sa logique terrible. Il nous campait au bord de l'abîme, et là il nous répétait qu'il n'y a pas en ce monde de bonheur, mais seulement des consolations ; il nous attachait à une vie suprême, placée en dehors de nous, comme ces statues émaciées, rigides, viriles, qui appartiennent à la pierre des cathédrales et dont le cœur est cette pierre ; nous vivions d'une autre vie cille la nôtre, nous aimions d'un autre amour ; si nous perdions un être chéri, nous pouvions jeter des fleurs sur le fauteuil vide, sur le berceau inutile, autels de la vraie vie !... Le Platonisme préfère nous prendre pour ce que nous sommes. Ne supposant pas que la Providence nous mette sur la terre pour lutter contre ses propres dons, les platoniciens croyaient qu'en rendant la religion plus aimable ils rendraient le monde moins païen, et qu'en la rendant philosophique, ils la feraient accepter des incroyants ; l'amour leur semblait un réservoir de vie, comme ces nobles sources qui tombent de haut, sous les ombrages d'un parc, et qui de là, par un réseau d'artères plus ou moins apparentes, s'en vont vivifier jusqu'à des cailloux. Bientôt nous n'existerons plus : les heures que nous vivons sont sacrées ; à quoi bon les troubler par tant d'agitations ? Nous sommes faits pour désirer le Paradis, et rien n'empêche de le désirer dès ce monde.

On aborda ainsi l'étude de Platon, librement, en y ajoutant tout ce qui pouvait illuminer la doctrine dont ce grand homme avait posé les prémices : l'Evangile avec la Bible, que, dans le monde romain, on se piquait fort de consulter directement, puis la philosophie arabe, musulmane même, dont il était de bon ton de se réclamer[51]. Et l'on comprenait bien qu'une recherche poussée avec une magnificence si subtile, dans le dégoût de la réalité et du sensualisme brutal, exigeait un esprit fin, tout à fait indépendant, une âme pleine de loisir, et une grande lassitude de la chair ; sinon, il faudrait renoncer à goûter la duperie exquise de l'amour terrestre quasi divin. Voilà pourquoi, dès le début, cette philosophie s'adressait aux femmes et aux salons. On en vint à parler de Platon, comme, nous aussi, nous avons entendu parler de Schopenhauer et autres éminents penseurs par des personnes qui s'inquiétaient peu de les lire. On savait que Platon chante ce qu'il faut aimer, qu'il a un sourire moins rébarbatif que celui de saint François d'Assise et qu'il procède par dialogues. Justement, on procédait aussi par dialogues et par conversation. De ces doux entretiens on écartait le vulgaire : il n'y pouvait rien comprendre. ; on ne pouvait pas lui demander de saisir les machinations délicates qui vaporisent l'amour et le rendent impalpable ; il n'en aurait tiré qu'un thème à perversités grossières. Ceux qui ont le don de la science et de la compréhension montèrent sur l'Acropole, comme M. Renan, pour entonner leur cantique dans un petit temple à eux, dont les dimensions leur paraissaient suffisantes ; le secret aristocratique remplaça l'ancien secret hiératique ; ainsi Cataneo chuchota tout bas son livre sur l'Amour, qui ne s'adressait qu'aux prêtres et aux enfants de chœur du temple[52]. Bembo se serait bien gardé de nommer ses interlocuteurs et interlocutrices des Asolani, « pour ne pas scandaliser le populaire » ; tous s'accordaient à respecter hautement l'ignorance du peuple, comme nous respectons celle des jeunes filles. Et, par le même motif aussi, ils abusaient de cet étrange jargon de mythologie, qui nous parait aujourd'hui un si pur pathos ; la mythologie a des avantages esthétiques ; elle incarne les passions : mais cela ne suffirait pas à expliquer sa vogue écœurante dans un monde plein de goût, de scepticisme et de légèreté, si elle n'avait pas présenté surtout l'intérêt de fournir une sorte de langue technique, à laquelle se reconnaissaient les initiés et qui tamisait le vulgaire. Les princes de l'esprit éprouvaient tellement le besoin de se qualifier, qu'avant d'adopter ce parti pris pour leurs œuvres ils avaient commencé par s'affubler eux-mêmes d'une livrée antique : un nom grec ou latin leur servait d'uniforme[53], comme San Severino qui s'appela Pomponius Lætus, le vieil orgueil nobiliaire cédant lui-même devant cette vanité d'un nouveau genre. La gloire artistique prit l'habit convenu : en Raphaël, personne n'eut l'idée saugrenue de pleurer l'interprète exquis des madones ; on déplora la perte du rival de la Nature, du peintre à l'antique : « Raphaël avait ressuscité la Rome antique, s'écrie Castiglione, il avait rappelé à la vie et à la gloire antique Rome, ce cadavre rongé par le feu, le fer et les années[54]. » Voilà le langage des cours, des femmes et de la haute prélature ; on avait tout dit en comparant Raphaël aux peintres du temps d'Auguste, dont nous ne connaissons pas fort bien les œuvres, et en rappelant que la Rome nouvelle n'était qu'une Rome dégénérée, si ce n'est moribonde.

Nous insistons un peu sur cet état d'esprit si particulier, si complexe, dont on tira quelquefois des conséquences contradictoires, parce que nous y trouvons l'explication indispensable du mouvement qui va se produire jusqu'en France. Le Platonisme est une impression, une essence de libre pensée, purement esthétique, chrétienne dans son principe et quelquefois païenne par ses résultats, certifiée platonicienne d'étiquette et d'origine, quoiqu'un peu éclectique de composition : mystique encens de la liturgie de Vénus[55], arome un peu vague, qui flotte dans l'air des églises en même temps que dans celui des théâtres : on le respire dans les réunions de ville ; et à la campagne, sous les ombrages des villas, il domine les effluves de la nature ; si on ouvre un livre, il s'en dégage ; la peinture même et la musique s'ingénient à le traduire de leur mieux : dans les dîners, dans les danses, dans les mille occupations de la vie mondaine, on ne va respirer que lui ; il répand comme une éternelle saveur de fleurs d'oranger ; c'est ce qu'on appelle une philosophie.

L'esprit platoniste, tiré de l'esprit, de Platon, en fut souvent le contraire. Les femmes et les poètes que Platon condamnait[56], les prélats, chefs du christianisme, en furent les propagateurs. Des théories un peu socialistes de Platon on n'avait pas grand'cure. On allait à Platon comme nous allons à Nice, pour avoir du soleil et échapper au martelage du raisonnement. Platon a dit un mot profond : « Ceux qui contemplent l'ensemble immuable des choses ont des connaissances et non des opinions[57]. » C'est ce qu'on désirait ; on aurait couru après des illusions et même des erreurs, pourvu qu'elles fussent bienfaisantes. A quoi bon rechercher ce qui altère ? le sage s'en tient à ce qui calme. D'autres s'agitent, soucieux, fatigués ; lui, jouit, insouciant ; somme toute, ils meurent et il meurt, ce qui revient sensiblement au même.

Pour devenir utilisable, le Platonisme subit ainsi une longue et délicate préparation, qui le mit au goût du jour. Ce travail se fit encore en Italie, d'où l'on nous envoya le produit tout fabriqué.

Le bon Platon, de son œil un peu archaïque, n'avait vu de beauté que dans l'homme ; d'un homme, il passait à l'espèce ; puis, de cette espèce, à l'âme, c'est-à-dire à la beauté intellectuelle, qui lui paraissait la seule véritable[58]. Il fallait faire coïncider cette doctrine avec la doctrine pratique, celle de l'attraction spécialement exercée sur l'homme par la beauté de la femme. Or, outre que Platon plaçait la beauté chez l'homme et l'amour chez la femme, il attribuait à l'amour un caractère assez secondaire, celui d'un phénomène sensuel et égoïste, où ne se découvrait aucune vue intellectuelle, si ce n'est peut-être l'instinct de l'immortalité. Mais, cet instinct même, Platon ne l'appréciait guère ; car l'immortalité à laquelle on prétendrait en remplaçant par des êtres tout neufs les êtres décadents, si elle sert les intérêts de l'espèce humaine, ne sert pas beaucoup ceux de l'individu : du moins, Platon la trouve à la fois vulgaire (tout le monde, ou à peu près, pouvant y prétendre) et incomplète, car transmettre la vie, ce n'est pas la conserver ; et il faut être bien dépourvu de ressources intellectuelles pour se contenter d'une si modeste étincelle d'immortalité. On ne se survit que par la pensée. Les derniers lambeaux de la pensée d'Homère ou d'Hésiode vivront longtemps, et longtemps feront sortir de terre des temples ; quel est l'enfant, en chair et en os, qui porterait ainsi, à travers les siècles, la gloire de son père ?

Les premiers interprètes de Platon, Ficin et Politien, s'étaient écartés assez timidement de sa doctrine ; l'un éclectique et sage, l'autre aventureux[59], ils n'allaient pourtant pas beaucoup plus loin qu'à formuler une doctrine générale de l'amour. Ficin[60] exaltait l'amour, sagesse suprême, créateur et conservateur par excellence, lien des choses de la terre entre elles et de la terre elle-même avec le ciel, inspirateur des grands actes et des nobles pensées, élément nécessaire de la vie. Il prêchait l'amour pour l'amour : « Celui qui aime, aime avant tout l'amour ; l'amour se satisfait à lui-même et trouve en soi sa fin : il est vrai, il est bon, il est pur. » Mais, pour se rapprocher de l'esprit nouveau, Ficin admettait comme tirée de Platon — bien qu'elle ne s'y trouve pas[61] — une distinction capitale, sur laquelle va porter entièrement le Platonisme de la Renaissance : Il y a deux amours, de degrés différents, l'un né du ciel et qui regarde le ciel, l'autre né de Jupiter et qui ne cherche qu'à produire une forme semblable à lui.

François Cataneo[62] s'empressa d'insister sur cette précieuse distinction[63]. Il dédoubla l'homme, où il trouvait un esprit, source du vrai amour intellectuel, et une sorte de force intermédiaire, difficile à définir, « âme ou vie », d'où naît l'amour sensuel, ou, si l'on veut, « l'amour profane ». Cataneo maltraitait encore l'amour profane ; il le représentait nu-pieds, en signe de sa folie, maigre, faute d'aliments, ailé, car il est esclave de la beauté corporelle, de la « guenille » ; et c'est parce que le monde ne connaissait pas d'autre amour que celui-là[64] qu'il fallait prêcher la Réforme. Quant aux femmes, Cataneo continuait à les considérer comme les pierres d'achoppement : il héritait de tous les vieux préjugés scolastiques ; il ne voyait en elles que des hommes imparfaits, simplement créés dans le but de perpétuer la race ; et l'homme lui semblait encore le type parfait[65].

Mais bientôt, avec quelle chaleur, avec quel feu, Bembo, prélat romain, futur cardinal, dégagera devant le cénacle d'Urbin les principes modernes, et, rejetant au loin les langes des premiers jours, s'avouera franchement féministe[66] !

« La beauté terrestre qui excite l'amour, dit-il, est un influx (influsso) de la beauté divine, s'irradiant parmi la création ; sur des traits réguliers, gracieux et harmoniques, elle se fixe, comme la lumière ; elle pare ce visage, elle y reluit, elle attire les yeux, et par là elle pénètre l'âme, l'émeut, la délecte, y fait naître le désir. En sorte que l'amour naît réellement d'un rayon de la beauté divine, transmis par un visage de femme. Par malheur, les sens parlent ; on voit dans le corps lui-même la source de la beauté, on veut en jouir... et on se trompe ! on ne jouit pas ainsi de la beauté, on satisfait un appétit, et l'on arrive vite à la satiété, à l'ennui, souvent à l'aversion. Les déceptions, les regrets qui en résultent prouvent bien qu'on s'est égaré, car on aurait dû trouver la joie et le repos, si l'on avait cherché la vraie fin, et au contraire l'amour donne naissance à mille maux : à des peines, des tourments, des fâcheries, des taciturnités, des désespoirs, même à des catastrophes ; le cœur ne parvient jamais au terme de ses désirs, ou bien on se perd dans l'amour sensuel, on s'abaisse au niveau de la bête jusqu'à devenir incapable de comprendre les clartés suprêmes, et toutes ces épreuves se paient cher. Il faut être un homme mûr pour savoir aimer ; il n'y a même que les vieux qui le sachent bien[67]. Leur science consiste à éviter la poussée des sens, à fuir tout ce qui est vulgaire ; si on ne peut faire autrement, il faut s'aiguiller dans la voie de l'amour divin, et prendre la raison pour guide[68]. »

Ainsi le vrai amour est un amour désintéressé, inspiré par la femme à l'homme. Et là-dessus Bembo, qui s'y connaissait d'autant plus qu'il avait beaucoup aimé, qu'il était jeune, et qu'il n'entendait pas encore sonner pour lui l'heure de l'amour divin, entame une prière véhémente : « Amour, très bon, très beau, très sage, qui viens de la bonté, de la sagesse divine, et qui y retournes ! Lien du monde, parmi nous, pauvres gens terrestres et mortels ! Tu inclines les vertus supérieures à gouverner les inférieures[69] ! Tu unis les éléments, tu perpétues la vie périssable, tu parfais les imperfections, tu appareilles les dissemblances, tu rends amis les ennemis, tu donnes les fruits à da terre, la tranquillité aux flots, et au ciel sa lumière vitale ! 0 père des vrais plaisirs, des grâces, de la paix, de la mansuétude, de la bienveillance, ô ennemi de la barbarie, de la fierté et de la paresse, tu es l'alpha et l'oméga de tout bien !

« Tu transparais par la beauté terrestre ! Entends nos vœux, illumine nos ténèbres, guide-nous dans le labyrinthe de cette terre, corrige la fausseté de nos sens. Nous te demandons humblement le souffle embaumé du monde spirituel, un peu d'harmonie céleste, une source intarissable de vrai contentement ! Chasse l'ignorance, et fais-nous voir dans sa perfection la beauté d'En Haut ! L'amour, c'est la communion à la beauté divine, le banquet des anges, la divine ambroisie[70]. »

C'est ici le cas de répondre à une objection que le lecteur a pu formuler depuis longtemps et que Bembo aperçoit parfaitement.

Oui, les femmes ont pour mission parmi nous de représenter la beauté, et par conséquent l'amour ; et l'amour est l'inspiration des nobles pensées, des grandes actions. Mais ces vérités sont tellement vieilles que ce n'était pas la peine pour les trouver de remuer tant d'idées, tant de poésie, et de recourir à Platon.

Le savant livre Di Natura d'Amore, où Equicola essaie simplement de dénombrer les diverses espèces d'amour connues depuis le XIIIe siècle, ressemble à une collection de papillons. Il y en a de toutes les couleurs, brillantes ou sombres ; les nuances sont presque infinies du côté sentimental, depuis le superbe amour de Boucicaut, servant toutes les femmes pour l'amour d'une, qui était la sainte Vierge[71], jusqu'à l'art d'aimer pour aimer[72], toujours en vogue dans les salons et très cultivé, comme une bonne recette d'émotions inoffensives et de renommées faciles. Certes, on savait bien aimer ! Mais rarement l'amour est réciproque ; comme on l'a dit, l'un aime et l'autre tend la joue. Jusqu'à présent, c'est la femme qui passait pour belle, et par conséquent pour aimée, et qui tendait la joue.

La nouveauté du système de Platon, c'était de transférer la beauté à l'homme, ce qui contrariait toutes les idées reçues. Cette théorie semble dure à Bembo. Que les femmes soient capables d'aimer, certes il le croit et il se plaît à le croire[73] ! Mais renoncer à aimer les femmes, cela lui parait trop cruel. Il aime mieux déformer le Platonisme, et admettre la réciprocité de la beauté et de l'amour. En somme, il en revient au Pétrarquisme.

Michel-Ange a affirmé le vrai platonisme moderne, en professant un amour viril et pur, avec une fougue extraordinaire : « Je l'ai souvent entendu raisonner et discourir sur l'amour, écrit Condivi, et j'ai appris des personnes présentes qu'il n'en parlait pas autrement que d'après ce qui se lit dans Platon. Je ne sais pas ce que dit Platon, mais je sais bien, ayant longtemps et très intimement pratiqué Michel-Ange, que je n'ai jamais entendu sortir de sa bouche que des paroles très honnêtes, capables de réprimer les désirs déréglés et effrénés qui pourraient naître dans le cœur des jeunes gens[74]. »

Michel-Ange dit et répète qu'on voit Dieu dans la beauté terrestre ; l'amour n'est qu'un chant au Créateur : « car si chacune de nos affections déplaisait au ciel, dans quel but Dieu aurait-il créé le monde ?[75] » Un grand amour n'a rien que de très moral, il donne des ailes à l'homme, pour un vol sublime[76] :

« Ton admirable beauté, image du bien qui fait la gloire du ciel, présentée à nos yeux terrestres par l'Eternel Artiste, lorsqu'elle s'évanouira avec le temps et avec l'âge, ne se gravera que plus profondément dans mon cœur ; je penserai à cette beauté que ne peuvent atteindre ni les ans ni les frimas. »

Si l'âme n'était pas créée à l'image de Dieu, elle ne poursuivrait que la beauté extérieure ; mais précisément elle dépasse cette forme trompeuse, pour abstraire, pour s'élever au point d'atteindre l'idéal, ou la forme universelle : Trascende nella forma universale[77], et ainsi la beauté nous élève, vivants, dans le monde des esprits, des élus[78]. Beaucoup de vers de Michel-Ange traduisent sous des formes diverses cette même idée :

« La vie de mon amour n'est pas mon cœur, car l'amour dont je t'aime est sans cœur, et il tend vers un but où ne peuvent exister ni affections mortelles remplies d'erreurs, ni coupables pensées. »

L'amour dont je t'aime est sans cœur ! Voilà bien la formule du nouveau platonisme[79] !

Malheureusement, Michel-Ange éclate comme une exception gigantesque. On ne peut guère le considérer comme un chef d'école ; et, la plupart (lu temps, le platonisme devint tout simplement une science mondaine : l'antidote du mariage, l'union cérébrale entre un homme de tête solide, de bras vigoureux, et une femme pleine de douceur et de sagesse, la formule du gouvernement de l'homme par la femme. Son origine restait philosophique, son but également ; en fait, ce fut une sociologie sentimentale. S'il s'était agi de philosophie, personne n'eût mieux représenté Platon que Savonarole[80]. Mais Savonarole ne représentait pas l'esprit du monde ; derrière lui, on croyait sentir le souffle de tous ces déguenillés, ces dépenaillés révoltés à Rome contre l'Académie de Lætus, à Florence contre les Médicis : Tullia d'Aragona, une courtisane, a exercé au contraire une influence platoniste par son excellent livre de l'Infinité du parfait amour. D'autres traitaient sans façon Socrate ou Platon de menteur, de coquin[81], et n'en passaient pas moins pour platonistes, puisqu'ils exaltaient la religion du beau, et son prêtre essentiel, — la femme, — puisqu'ils voyaient dans l'amour le lien du ciel et de la terre[82], et le remède contre le socialisme[83]. En somme, le platonisme, c'est le féminisme. On peut croire parfaitement au dogme de l'amour[84], sans couper l'amour en deux et nous placer dans une alternative impossible, entre la matière sans esprit ou l'esprit sans matière[85] ; cette liberté d'appréciation ne s'appelle pas matérialisme[86], mais simple besoin d'une perception matérielle pour arriver à l'idée de la beauté.

Voilà pourquoi en France on accueillit si mal l'esprit platoniste. C'était l'art de rendre la vertu aimable et contagieuse ; or on était convaincu que la vertu a besoin, pour se défendre, d'airs rébarbatifs[87].

On ne se souciait pas d'intellectualiser l'amour : le clergé inférieur, celui des paroisses, appliquant, en toute matière, une morale peu raffinée, ne distinguait pas le sentiment de la sensation, il proscrivait tout : il résumait la vie religieuse dans une foule de pratiques, qui avaient pour résultat d'assujettir les femmes l'étroitesse de cette morale produisait de brusques inconséquences. On prétendait que rien qu'à voir à son balcon une dame un peu inquiète, on pouvait dire : « Elle est Française[88]. »

Anne de Bretagne proscrivait une amourette de fiancés, la meilleure, la plus innocente, la plus légitime du monde, aussi vivement que la plus grosse intrigue ; mais Louise de Savoie ne s'effarouchait pas davantage de la plus grosse que de la plus petite[89].

Entre les deux camps, l'animosité était grande.

Mme de Taillebourg tournait résolument le dos à ses nièces, Louise de Savoie et Marguerite de France, comme atteintes de l'esprit nouveau ; la reine Anne prenait en personne la tête de la croisade en faveur des vieilles idées : Antoine Du Four, son aumônier, publia, à demi officiellement, un recueil de quatre-vingt-onze vies de femmes pieuses, en opposition aux recueils italiens ; et il conjurait les dames de ne pas succomber à la contagion nouvelle, de rester dans leur bienfaisante ornière, car, disait-il, la France n'a jamais produit « plus de bonnes et sages dames qu'à présent », à commencer par la reine Anne, « abîme de vertus » ; « sous forme de science et de philosophie », tous ces gens « de langue et de plume », qui veulent attribuer aux femmes un grand rôle, ne cherchent, déclarait Du Four, qu'à saper leur pudeur, à perdre leur réputation.

Il y avait certainement dans ces critiques une part de vérité. Mais elles étaient exagérées en ce qu'elles anathématisaient sans distinction le bien et le mal.

La France eut, comme l'Italie, ses « primitives », philosophes, apôtres de la philosophie d'amour, mais très peu nombreuses, et surtout, par suite de la résistance que nous venons d'indiquer, peu influentes ; des femmes admirablement douées et solidement trempées, fort instruites, animées de l'énergie, un peu sombre, que développe nécessairement le contact d'un monde un peu farouche. Comment, par exemple, ne pas citer l'ancienne dame de Beaujeu, Anne de France, vraie figure de Michel-Ange, grande et sévère comme une cathédrale ?...

Nous nous la figurons toujours dans son rôle de régente, de femme politique, militaire, diplomatique, soutenant la fortune de la France, et déployant dans les plus grandes difficultés son incomparable génie. Ce rôle-là, pourtant, n'avait pas son cœur ; elle le remplissait comme un devoir familial, elle s'y donna entièrement, mais ce fut la croix de sa vie. Dès qu'elle put, elle déserta sa rude vie d'affaires, pour revenir précisément à la vie du cœur. Elle ne récusait ni labeur, ni responsabilités, et, plus que personne peut-être, elle a compris la joie profonde et mystérieuse qu'éprouvent les âmes altières à étendre leur individualisme propre pour rayonner puissamment sur autrui. Mais elle sentait trop bien qu'en faisant métier d'homme elle agissait à la façon d'une veuve ou d'une sœur aînée, non pas d'une femme libre ou d'une princesse, et que ni la politique ni l'armée ne sont les instruments directs du bonheur, qu'en écrasant des révoltés elle ne les rendrait pas heureux, qu'elle-même serait la première victime de son dévouement.

C'était vrai ; on sait comment, par le jeu même de la bascule politique, elle tomba sous les coups de Louise de Savoie[90] qui lui devait tout ; atteinte dans ses intérêts les plus vifs[91], dans ses affections uniques, dans le sentiment de dignité qu'elle portait haut, elle mourut drapée à la romaine :

Elle attendoit venir l'heure opportune

Que la justice ou Dieu y mist la main,

écrit un serviteur de François Ier[92].

C'était donc une fausse froide, mais elle en imposait si bien par son stoïcisme apparent, que nombre de gens, même parmi ses amis et ses admirateurs, ont cru réellement à cette insensibilité douloureuse. Et puis Anne de France n'aimait ni les mièvreries, ni toute la traînée pitoyable de la Cour : « elle renvoya Cypris à Paphos[93], » ce que certains personnages ne lui pardonnèrent guère ; Octovien de Saint-Gelais, notamment, qui, a pourtant chanté sa douceur, l'appelle « une autre Sémiramis, une nouvelle reine des Amazones, ressuscitée pour imposer la paix[94] ». Sa raison vigoureuse, son caractère franc, impitoyablement vrai, sa façon de tout grandir et de tout élargir, désorientaient un entourage à la fois rude et faible. Il ne lui a manqué, dit un de ses amis, que d'aimer :

S'elle avoit un peu de cella,

Ce seroit la plus accomplye

A qui Dieu donna oncques vie[95].

Elle eut beaucoup, infiniment de cela, seulement elle en eut sérieusement ; on aurait pu dire qu'elle ne faisait pas « tourner toute son imagination autour des problèmes du sentiment » ; elle n'était pas d'avis de mêler l'imagination aux choses du cœur, elle s'en défiait : c'est par l'âme, et par les besoins vrais de l'âme, qu'elle entrevoyait le programme dont nous venons de parler ; mais, précisément, comme elle avait, pour ces idées, de la foi plutôt que de l'entraînement, comme elle trouvait l'action du cœur parfaitement juste, bienfaisante et nécessaire, elle ne voyait aucun motif de la troubler, de la farder, de l'enguirlander. Elle était un peu tout d'une pièce, dévouée, d'une bonté absolue, compassée dans ses allures, ferme de décision, mais chaude, passionnée, aimant à se donner, et ne se donnant pas à demi. Elle a adoré, en son âme, tout ce qu'une honnête femme adore : son fils, un• pauvre enfant dont la mort faillit la tuer, sa fille[96], son gendre qu'elle aimait comme un fils[97] ; elle goûta ardemment l'amitié, et surtout cette affection si particulière, si délicate, tendre et profonde, qui ne s'établit que d'homme à femme[98] elle n'eut d'autre ambition que de se faire aimer[99]. Elle ensevelit au fond de son cœur un chaste roman qu'aucun historien n'a raconté et dont son entourage même (réserve qui la peint bien !) ne paraît pas s'être douté ; jusqu'au jour de sa mort, elle porta au doigt un anneau. Nous avons pu connaître cet anneau : c'était le gage de ses fiançailles avec un jeune homme, le duc de Calabre, dont son père l'avait séparée, puis qui était mort, mais qu'elle ne put jamais oublier[100].

Voilà certainement une des femmes qui eussent été les plus aptes à comprendre et à répandre en France le programme de la recherche du bonheur. Elle ne croit pas, comme Du Four, qu'une espèce de naïveté passive soit le dernier mot de la vertu : elle cherche autre chose ; sans doute elle voudrait que l'amour donnât son grand coup de fouet à l'activité des femmes[101], comme pour les Espagnoles, qui ne rêvaient toutes que de Zénobie, reine de Palmyre[102]. Son ami Champier a complété sa pensée en rappelant le mot de Platon que « celui qui aime est mort en soi et a la vie en autrui[103] ». Nourrie de la lecture des Pères et des philosophes, elle salue avec joie le principe de l'amour platonique, « l'amour dont parle le Philosophe, c'est-à-dire que l'honnesteté en soit la fondation ».

Mais, quelle que fût sa haute situation, Anne de France ne se trouvait pas en état de populariser sa pensée dans un pays où une idée ne réussit qu'à condition de devenir une mode ; il fallait que la philosophie nouvelle arrivât torrentiellement, charriant le bien et le mal, et qu'elle fût imposée par la cour. C'est ce qui se produisit autour de François Ier ; le jour où il devint de bon goût de parler philosophie et occultisme[104], hellénisme[105] ou surtout italianisme[106], et d'accepter les yeux fermés les modes d'outre-monts[107], on parla de Platon[108]. Le roi aimait fort les femmes, et ne pouvait dédaigner aucune glorification de leur sexe ; il appréciait peu « Noble-Cœur », « Noblesse-Féminine[109] », et autres savantes évocations de la vieille chevalerie : il espéra que le platonisme pourrait les renouveler, et il demanda à Castiglione, oracle de la nouvelle école, de donner à son Courtisan un pendant qui s'appellerait « La Courtisane ». Castiglione se déroba à cette flatteuse instance[110].

Avec François Id monta sur le trône une sorte de triumvirat, composé de deux femmes et d'un homme : « Ung seul tueur en troys corps[111]. »

Louise de Savoie, vieillie et de vieux style, se réserva autant que possible la politique ; François Ier, la parade, l'argent, les passes d'armes, les satisfactions matérielles du pouvoir ; Marguerite de France prit, à l'italienne, la direction des âmes et des intelligences ; elle a été plutôt reine de la France intellectuelle que duchesse d'Alençon ou reine de Navarre.

Elle faisait tellement partie de son frère qu'elle lui emprunta ostensiblement tout ce qu'elle était, notamment son nom. On l'a appelée des noms les plus divers, sans parvenir à s'entendre, parce qu'elle adopte généralement le nom de son frère, qui en a souvent changé : sœur du comte d'Angoulême, elle s'appelait Marguerite d'Angoulême ; sous Louis XII, sœur du duc de Valois, héritier du trône, Marguerite de Valois ou d'Orléans ; sœur du roi, elle devint Marguerite de France, nom définitif, sous lequel elle a rempli sa mission.

Pendant trente ans, elle présida ainsi à un mou-veinent d'esprit étonnant ; toute l'âme pensante de la France a relevé de son sourire. Elle a incarné le platonisme.

« Dans une galerie de Chantilly, dans ce sanctuaire de la Renaissance, sa grande figure, à longs traits nets, précis, distingués, un peu secs, comme ciselés dans' du cristal de roche,') sourit toujours et :nous encourage : elle' a des yeux clairs, pleins de flamme, et la bouche 'fine, spirituelle, un peu ironique, un peu bienveillante, un peu réservée ; quelque chose à la fois de doux :et de défensif, d'acéré et d'enthousiaste, une singulière figure de sibylle[112], l'énigme d'un gouvernement imaginaire, le gouvernement par l'esprit' et par l'amour ; une femme très femme, attirante, voulant attirer, mais dédoublée, à fonds et à tréfonds, se dérobant dans deux ou trois retranchements intérieurs selon la vieille tactique féodale, comme sainte Thérèse dans ses « châteaux de l'âme ».

Elle a régné sans partage, de toutes les forces de son cœur, avec ses infinies délicatesses féminines, avec une adresse triomphante.

Elle était vraiment de feu, celle qui écrivait à son frère prisonnier en Espagne : « Quoique ce puisse être, jusques à mettre au vent la cendre de mes os pour vous faire service, rien ne me sera ni étrange, ni difficile, ni pénible, mais consolation, repos et honneur. »

Aussi on l'a aimée ; on l'a louée sous toutes les formes. Son nom est demeuré populaire et revit jusque parmi nous, dans des livres charmants, comme celui que lui a consacré une femme d'un rare esprit, bien naturellement appelée à reprendre les traditions d'influence féminine, Mme la comtesse d'Haussonville. Et cependant nous nous demandons toujours ce que couvre ce sourire de Chantilly.

Marguerite est doublement complexe, comme femme d'abord, puis comme vraie femme du xvi° siècle. Elle est essentiellement de son temps ; c'est par là qu'elle doit nous intéresser. Ses pensées, un peu mêlées, et parfois enveloppées d'une forme un peu bizarre, s'ajustent assez difficilement les unes aux autres parce qu'à l'inverse de celles d'Anne de France, elles n'ont rien de primesautier ni d'original. Presque toutes viennent d'ailleurs. Son aimable esprit, assez élevé, n'a pas le caractère âpre ni aride ; il ne comporte ni effets sublimes, ni neiges éternelles ; il plait et il intéresse précisément parce qu'on y accède par une bonne route, dont beaucoup lui savent gré ; cela ne vaut-il pas mieux pour les gens fatigués que tant de sommets virils, inutiles et dangereux ? Elle résulte du paysage, comme les agréables montagnes du centre de la France, et, tout en mettant à même d'observer le ciel, elle tient à la terre, et nous pouvons de là contempler la carte exacte d'un pays plantureux et de cratères très décoratifs. C'est le « Belvédère » par excellence. Nulle part, nous ne saurions mieux juger son temps que du haut de son esprit.

Mais il est bien évident que ce serait une erreur de s'entêter à lui réclamer les pics et les abîmes qu'elle n'a pas. On a très exactement prouvé que Napoléon, dans bien des circonstances spéciales, et simplement s'il avait été tué au siège de Toulon, serait mort capitaine d'artillerie ; à plus forte raison, sans l'avènement de son frère, sans la poussée de l'italianisme féminin, sans peut-être bien d'autres circonstances encore, Marguerite de France serait sans doute morte femme du duc d'Alençon ou du roi de Navarre, ou même moins. Et cependant, mieux que jamais, on peut comprendre aujourd'hui combien son hégémonie a eu d'importance. Sa génération est celle dont nous sommes nés, à qui nous devons notre sang et nos nerfs. Notre société subit à peu près les mêmes incertitudes et les mêmes assauts ; elle a autant besoin de femmes intelligentes et actives... Marguerite visa moins à être une femme exceptionnelle qu'à remplir son rôle de première femme de France. Elle joua très bien ce rôle : elle a eu sa pléiade. Et à ses côtés même, elle éleva pour lui succéder une autre Marguerite, sa nièce, la future duchesse de Berry et de Savoie, qui continua en effet la tradition ; non moins aimable, non moins distinguée, mais arrivant plus tard et par conséquent plus douce encore, et surtout plus calme, plus tempérée.

Marguerite de France n'avait jamais lu Platon, et, vers la fin de sa vie, lorsqu'elle le découvrit, elle crut trouver son chemin de Damas : en revanche, elle n'admettait pas qu'on ignorât Boccace[113] ; sa philosophie n'est donc pas très psychologique, mais elle est très sociale. Les théories de Bembo lui semblèrent doter les femmes d'un pouvoir considérable et bienfaisant : cela lui suffisait. Il faut avouer d'ailleurs qu'elle envisageait les questions sociales elles-mêmes d'un peu haut, et avec une bienveillance forcément éclectique. Elle ne connaissait qu'une personne, son frère, qui, même dans les erreurs les plus claires, lui parût l'idéal de la perfection, « le vray Christ[114] ». Hors de lui, elle n'aima que Dieu[115], et elle prit pour emblème un souci tourné vers le soleil, c'est-à-dire qu'elle entendait ne vivre et ne respirer que pour « les choses hautes, célestes et spirituelles[116] » ; les autres, y compris ses maris, lui semblant mesquines et misérables. Et ainsi, en femme d'esprit, elle prétendit régner par le cœur ; ses plus empressés flatteurs n'ont vanté que son cœur ; même après sa mort, un pieux respect continua à veiller sur ses œuvres, dont on publia seulement un choix ; et pourtant elle ne donna au monde que son intelligence.

Sa théorie sur l'amour est assez particulière. Bien entendu, l'amour lui parait la pierre angulaire de l'édifice social : en soi, il est toujours bon, il ne devient mauvais que par l'usage qu'on en fait[117]. Marguerite très platoniste, en ce sens qu'elle proclame l'existence de deux amours, l'un bon, l'autre mauvais ; mais pour elle la distinction se simplifie : l'un est l'amour des hommes, l'autre l'amour des femmes ; les hommes aiment mal, terrestrement ; les femmes seules peuvent aimer célestement. Quelquefois, il leur arrive de se laisser prendre dans les rets des hommes : qu'elles fuient alors ! « car les plus courtes folies sont toujours les meilleures ». Ainsi c'est aux femmes d'aimer. L'amour d'une femme, bien fondé sur Dieu et sur l'honneur, celui-là même qu'Henri d'Albret qualifie « d'hypocrisie ou de malice couverte[118] », forge un lien divin et sacré. Marguerite ne tarit pas sur les vertus de l'amour féminin, amour pur, amour ardent, instrument et but de la civilisation, acte suprême de l'humanité, prière admirable entre toutes les prières qu'une créature vivante puisse adresser au Créateur. Elle donne de cet amour dans la 184 Nouvelle de l'Heptaméron une définition fort catholique, et à peu près empruntée à Castiglione :

« J'appelle parfaits amants ceux qui cherchent dans ce qu'ils aiment quelque perfection de beauté, de bonté ou de bonne grâce, ceux qui tendent toujours à la vertu, et qui ont le cœur si haut, si honnête, que, dussent-ils en mourir, ils ne voudraient pas viser aux choses basses que l'honneur et la conscience réprouvent ; l'âme n'est créée que pour retourner au bien suprême, et, tant qu'elle est renfermée dans le corps, elle ne fait qu'y tendre. Mais le péché du premier père a rendu obscurs et charnels les sens, son intermédiaire forcé ; ne voyant par eux que les choses visibles qui approchent de la perfection, l'âme court, pour trouver dans la beauté extérieure, dans la grâce visible et les vertus morales, la beauté, la grâce, la vertu souveraines. Elle les cherche, et elle ne les trouve pas, et elle passe outre ; elle essaie de monter plus haut, comme les enfants qui changent de poupées en grandissant. Et quand enfin l'expérience consommée lui a montré qu'en ce monde ne se rencontrent ni perfection ni félicité, elle désire chercher le grand facteur et la source même du beau. Mais alors, que Dieu lui ouvre les yeux ! Sinon, elle tomberait vite dans une philosophie erronée. Car la foi seule peut montrer et donner le bien, que l'homme charnel et animal n'atteindrait pas seul. »

Ainsi le culte de la beauté n'est pas forcément mystique, mais c'est une vraie religion. On part de Dieu, et on arrive à Dieu par l'espérance et par l'amour, beaucoup plus sûrement que par un raisonnement quelconque. L'amour sacré du beau, de la perfection, purifie l'âme mieux qu'aucune pratique, et, peu à peu, l'élève au sentiment idéal de la beauté parfaite. L'âme alors s'élance vers Dieu, soutenue au-dessus des abîmes insondables par la foi !

Ainsi il faut annoncer le bonheur, la paix, la douceur, la joie aux hommes de bonne volonté, et même aux autres, pour les enlever à eux-mêmes, aux ambitions, aux haines et aux rudesses... Quelle erreur que de prêcher à de pauvres êtres, déjà trop misérables, la religion terrible !

Oh, que je voy d'erreur la teste ceindre

A ce Dante, qui nous vient ici peindre

Son triste Enfer et vieille Passion[119].

Que les femmes apprennent à connaître leur devoir !

Elles sont prêtres dans la religion du Beau.

Il faut qu'elles fassent aimer ! il faut qu'elles aiment ! il faut qu'elles soient le baume répandu sur les aigreurs, la beauté qui calme, l'amour qui pratique la Passion nouvelle, qui prend sur soi toutes les douleurs des autres. Jadis, on reconnaissait un grand seigneur à ce qu'il savait donner et à ce qu'il donnait, non pas son superflu, mais quelque chose de lui-même, son sang à son pays, son bras ou son affection à ses frères. Il n'y avait qu'à féminiser et à intellectualiser cette tradition superbe. Les femmes donneront leur cœur, c'est-à-dire qu'elles répandront le bonheur, la communion en la vie suprême, la vie ! « L'amour est le vray moyen que l'homme est homme et sans lequel n'est rien. »

La vie, hélas ! A ce mot, Marguerite frissonne... Elle voudrait pénétrer le grand secret de notre destinée. Elle se penche sur l'agonie d'une de ses demoiselles d'honneur pour essayer de surprendre le passage de l'âme... Elle reçoit un amant sur la tombe de la femme qu'il venait retrouver, et d'un geste tragique : « Elle est là, » s'écrie-t-elle[120]... Elle n'aime et ne prêche que la vie. Elle sait qu'il arrive de mourir ; elle espère que cet accident peut se produire brièvement, sans de longs « faubourgs », et elle s'en remet avec confiance au Dieu platonicien, qu'elle croit, qu'elle sent tout amour. De l'amour terrestre, elle compte s'envoler d'un seul bond dans les bras de l'autre, du grand Amour : « de la félicité qui se peut seule nommer en ce monde félicité, voler soudain à celle qui est éternelle[121]. » Et ainsi, à ses yeux, l'amour et l'espérance, appuyés sur la foi, enveloppent notre lin... Ils sont là, au milieu des villages, sous la mousse et h' chèvrefeuille, les humbles tombeaux, asile sacré de ceux que nous aimions, tout revêtus de vie, près de la croix de bois radieuse ! Un rayon de soleil les noie dans la lumière, comme un trait de l'amour d'en haut. Ce même rayon pénètre notre cœur, pour nous dire que tout n'est pas fini et que sur ce coin de terre s'épand encore un peu de joie. Laissons Dieu compter les heures ! laissons-le, en pleine paix et confiance !... Comme toute chose humaine, le platonisme n'atteint pas à la perfection ; forcément, il néglige un peu la naissance des hommes et leur mort. Pour compléter la réforme, il faudrait peut-être, comme le suggère Gœthe dans la seconde partie de Faust, qu'on trouvât un moyen de fabriquer homunculus, c'est-à-dire de faire naître les hommes autrement que par l'antique procédé ; puis, qu'au lieu de les laisser mourir, on pût aussi les transporter confortablement dans un autre monde. Mais, en attendant, c'est la philosophie des vivants, et, vraiment, il est remarquable de voir un mouvement mondain se baser sur de si hauts systèmes, et tirer un si noble parti, intellectuellement, moralement et religieusement, du désir naturel que le monde a toujours eu de s'amuser.

Une étrange génération s'élevait : de 1483 à 1515, naissaient pêle-mêle Luther, Calvin et saint Ignace, Rabelais et sainte Thérèse. Et néanmoins, grâce à cette philosophie, tout porte la livrée du bonheur. Le poignard et le poison se cachent dans l'ombre. Jamais on n'agita avec plus de joie les problèmes les plus troublants. Oui, les femmes savent le vrai prix de la chimère et de l'immatériel, de ce qui n'est pas seulement dollar, or, bronze ou argent, le prix des richesses d'âme... Le monde latin devient, à ce moment, un grand atelier de beauté, le vrai travailleur n'étant plus quiconque vend, pioche, maçonne ou goujate, mais quiconque vit de pensée et d'amour. Tout s'étend et s'élargit, les frontières s'abaissent ; la religion du beau rapproche aussi bien les nations que les individus. Et les femmes, ministres du cœur, ont pour mission de regarder, de juger, de modérer, de développer les facultés des hommes. Cette mission leur semble belle. Faut-il s'en étonner ? Elles éprouvent des ardeurs de paladins ; elles se croient des chevaliers, elles arborent des devises : Non inferiora secutus, hémistiche masculin, auquel les hommes ont renoncé, et que Marguerite de France reprend pour montrer qu'elle porte haut son cœur d'or et ses pétales blanches « Amour et foy », autrement dit : « Les femmes et Dieu », devise de Mme de Lorraine, devise pleine de joie et d'agrément, car, si l'on aime parce qu'on croit et si l'on croit parce qu'on aime, la vie, simplement, devient délicieuse.

Entre le mysticisme et la débauche, on a trouvé un moyen terme : c'est l'amour.

Quand les femmes savent s'attacher les hommes par l'amour pur, toutes les forces individuelles éclatent, la nation fleurit, les peuples sont en paix.

Voilà du moins la conviction nouvelle.

 

 

 



[1] Ruskin, cité par M. de La Sizeranne.

[2] Voir, dans notre précédent volume, Louise de Savoie, l'Idée du Beau.

[3] Théorie favorite de J. Ruskin.

[4] Castiglione, pp. 112, 113, 125.

[5] « Le débat de l'homme et de l'argent » représente, dans deux bais grossiers, mais fort curieux, un homme contemplant un écu, une femme contemplant un écu. (Catalogue J. de Rothschild. t. I, pp. 356,351.)

[6] Eustorg de Beaulieu.

[7] Meschinot.

[8] Nic. Denise, Sermons, f° 63, v° ; Eloi d'Amerval.

[9] La grant Nef des fols.

[10] Le Jeu des eschez moralisé. p. 97.

[11] Coquillart.

[12] Nifo, De Divitiis.

[13] Platina, De vera Nobilitate.

[14] P. 594.

[15] P. 526.

[16] P. 572.

[17] P. 558.

[18] Erasme, Dialogue de la Noblesse.

[19] « N'avez-vous donc jamais réfléchi sur ce que vaut cette fumée ? » dit un vieil auteur (Balth. Gracian, III, 249).

[20] Hept., Nouvelle 51.

[21] Corneille Agrippa, t. II, p. 1100.

[22] Bonaventure des Périers, Nouvelle 41.

[23] Louise de Savoie.

[24] Amateurs de femmes, ambitieux, mondains tard couchés et tard levés, acheteurs à crédit, amateurs de procès, prodigues, « gens povres qui se marient par amourettes sans avoir rien », flâneurs, philosophes qui vivent au jour le jour, officiers qui mangent en un mois leur solde trimestrielle, maris ruinés par les toilettes de leurs femmes, par la bombance de leurs domestiques, qui ne tiennent pas de comptes, qui, sans être princes ou grands seigneurs, mettent dix-huit aunes de velours dans une robe, qui dépensent beaucoup et qui gagnent peu, qui laissent périr leurs chevaux, pourrir leurs tapisseries et leurs meubles, voler leurs fruits, qui ne dépenseraient pas deux sous et en jettent vingt par la fenêtre, qui dotent trop leurs filles, qui travaillent sans rime ni raison, qui endossent des responsabilités financières... En veut-on encore ? les gens faibles, qui ne suivent pas leurs procès, qui se laissent mener par leur entourage, qui chantent souvent un gaudeamus et jamais un requiem, qui font de tout, hâbleurs, légers, glorieux, « rogiers bon temps, » gros mangeurs, débauchés.

[25] Eust. de Beaulieu ; Meschinot ; Coquillart ; Erasme, Eloge de la folie. p. 14 ; les diverses Nefs des fous ; dessin d'Holbein, au Musée du Louvre...

[26] Cf. Castiglione, pp. 112, 113, 125.

[27] P. 57. La miniature que nous avons reproduite dans Louise de Savoie montre combien cette théorie était en faveur vers 1508-1509.

[28] Placé sous les ordres de l'abbé de Cluny, frère du cardinal d'Amboise. Claude de Seyssel aussi, prélat du grand monde, s'effraie surtout de l'invasion du luxe et du confort.

[29] Qui comprenaient, pour le dire en passant, la musique et la gymnastique (Nifo, De Principe, ch. XXIII-XXVIII).

[30] Seulement, il n'entend se laisser absorber ni par l'une ni par l'autre.

[31] P. 51 v°. Ob solam ge.eris nobilitatem nullus homini debelur honor aut laus.

[32] B. Gracian, l'Homme de cour, max. XXVIII : — Non inferiora seculus.

[33] Hécatomphile, p. 103.

[34] Édition Montaiglon, p. 32.

[35] V. Hept., Nouvelle 51. Cf. La Perrière, Miroir, p. 47.

[36] Poésies (édition Le Franc), p. 158.

[37] V. Papillon, la Victoire et Triomphe. Un exemplaire appartenant au baron Pichon (n° 168 du catalogue) comprenait deux miniatures : 1° le Triomphe d'Argent ; 2° le Triomphe d'Honneur et d'Amour, figuré par François Ier, assis sur un char traille par deux licornes et conduit par Diligence, Sapience, Sobriété. Vertu.

[38] Imitation, liv. III, ch. V.

[39] Niphi, Opuscula, p. 3.

[40] Mabilleau, p. 342.

[41] P. 120.

[42] Billon, p. 137 v°.

[43] Castiglione, p. 629.

[44] Bouchet, Labyrinthe, liv. II.

[45] Voir à ce sujet les jolies pages de M. Edouard Rod, dans le Sens de la vie, pp. 129 et suiv.

[46] La Forest des philosophes, f° 58, 65.

[47] Le Franc.

[48] Le Franc.

[49] Ficin était prêtre.

[50] Mabilleau, p. 105. Quelques critiques lui dénient même la qualité de platonicien. Voir à ce sujet les remarquables articles de M. Huit.

[51] Castiglione, p. 467, 363 ; Corn. Agrippa ; — Louise de Savoie.

[52] Opus minime plebeium, dit-il.

[53] Pour que rien ne manquât, un vrai Diogène se mit â courir les rues avec sa lanterne et son manteau percé (Paul Jove).

[54] Carmina.

[55] Lemaire, Description du Temple de Vénus.

[56] Erasme l'observe malignement : « Quand Platon a semblé douter s'il mettrait la femme dans le genre des animaux raisonnables ou dans celui des brutes, il ne voulait pas dire que la femme n'est qu'une bête ; il prétendait seulement désigner par là la folie de cet aimable animal. » (Eloge de la folie, p. 43.)

[57] La République, ch. V.

[58] Burnouf, p. 145.

[59] Cecchi, Torquato Tasso, p. 30.

[60] H. Commento.

[61] Aujourd'hui encore, on attribue généralement à Platon cette théorie des deux amours, même dans des traités philosophiques.

[62] Mort en 1522.

[63] Panegyricus in amorem.

[64] Traité De Amore, en trois livres.

[65] Traité De Pulchro : Panegyricus in amorem.

[66] Son ardente harangue a été sténographiée dans le Cortegiano de Castiglione qui devint le bréviaire du monde nouveau ; nous savons que Castiglione reproduisit fidèlement ses paroles et que, pour plus de sûreté, il en soumit préalablement la copie à Bembo.

[67] P. 615.

[68] P. 633.

[69] Non inferiora secutus.

[70] P. 650.

[71] A. Campeaux.

[72] Graf. p. 720 ; Nifo, ch. LXXII.

[73] P. 655.

[74] Vita di Michelagnolo Buonaroli, p. 65.

[75] Sonnet IX, édition Lannau-Rolland.

[76] Sonnet VIII.

[77] Édition Guasti. sonnet LII.

[78] Sonnet LXXXI.

[79] Si distinguée qu'elle fût nécessairement, la femme qui inspirait de tels accents n'avait rien d'aussi tragique ni d'aussi sublime. Elle écrit :

Amor, tu sai, che mai non torsi il piede

Dal carcer tuo soave, ne disciolsi

Dal dolce giogo il collo, ne ti torsi

Quanto dal primo di l'alma ti tiede

Tempo non cangiô mai l'antica sede

Il nodo è stretto anchor coMio l'avolsi,

Ne per il frutto amar ch'ognihor ne cotai

L'alta cagion men cara al cor mi riede.

Visto hai quanto in un punto fido ardente

Puo oprar quel caro tuo piu acuto dardo,

Contra del cui poter morte non valse,

Fa homai da te, che'l nodo si rallente,

Che à me di liberté gia mai nol calse,

Ainzi di ricourarla hor mi par tardo.

[80] « Femmes qui vous glorifiez de vos ornements, de vos cheveux, de vos mains, je vous le dis, vous Mes toutes laides. Vous voulez voir la vraie beauté ? Regardez l'homme ou la femme pieux, en qui l'esprit domine la matière ; voyez-le, je vous dis, quand il prie, quand brille sur lui un rayon de la beauté divine, quand sa prière s'achève ; vous verrez la beauté de Dieu briller sur sa face, vous verrez un visage presque angélique. » (XXVIIIe sermon sur Ezéchiel.)

[81] Opera, I, 151, 157. Cf. Antigorgias, dialogua, seu de recta vivendi ratione. Opera, I, 641.

[82] Mabilleau, liv. II, ch. V.

[83] Thomas, Essai, p. 83.

[84] Nifo, ch. IV.

[85] De Muliere aulica, ch. VII-VIII. De Amore, ch. LXVI.

[86] Nifo, ch. VI.

[87] L. de Lincy, appendice ; ms. fr. 1721, f' 109. Voici une lettre de femme d'ancien style : « Monsieur, si vous estiez aseuré de la prudence et discrétion que vous dictes estre en moy, vous ne prendriez peine de m'escripre courte ne longue lettre, car ou deux telles vertuz consistent, une n'a lieu : qui servira de briefve response à tout ce que m'escripvez. De mon vouloir, il est tel, sans jamais changer propos, que je seray telle que je doibz estre, et que ne m'estimez estre si bonne par vostre lettre : ouy bien autant qu'il me sera possible, et quelque jeune d'aage que je soye, si cognois je bien que en suyvant ces deux devant dictes vertuz, l'on ne se peult desvoyer. Quant à l'audience que me demandez, je ne puis, et ne veulx ; et, sansplus m'escripre. à Dieu prenez en gré et ne vous desplaise. » (La Fleur de toutes joyeusetez.)

[88] Jean Marot, pp. 197, 230 ; Hécatomphile, p. 97 ;

La Françoise est entière et sans rompeure.

Plaisir la meine : au proffit ne regarde.

Conclusion : qui en parle ou brocarde,

Françoises sent chef-d'œuvre de nature...

Pour le desduiet (le plaisir).

(C. Marot, rondeau 13.)

[89] Louise de Savoie ; déclarations de Louise de Savoie, dans l'Heptaméron. Cf. Billon, p. 181.

[90] Cornelius Agrippa nous apporte à ce sujet un témoignage singulier. Disgracié par Louise de Savoie, il se demandait d'où venait la haine de la princesse : tout en y songeant, il ouvre machinalement sa Bible, et se trouve en face du passage où Achab s'exprime ainsi à propos du prophète Michée : « Je le hais, parce qu'il ne me prophétise pas de bien. » Voilà mon histoire, s'écrie-t-il ; et il se rappelle qu'un jour il a prophétisé que M. de Bourbon remporterait une victoire. Laquelle ? il ne l'a luis dit. et pour cause : mais cela suffisait... Aussitôt il prend la plume, et il écrit un long plaidoyer pour prouver qu'il n'est pas, qu'il n'a pas été, qu'il ne sera pas bourbonnien, malgré les avances qu'on a pu lui faire... Il en fut pour sa prose ; quelque temps après, Bourbon était tué à Rome, et, ajoute Agrippa, « Jezabel possède sa vigne... L'Ange du Seigneur m'a averti et m'a sauvé de la femme mauvaise. Il ne reste plus qu'à précipiter Jezabel et à la donner en pâture aux chiens. » (Epistolarum, lib. IV, epist. LXII. Opera, édition par Beringos, II, 880 ; et lib. V, ep. LII, p. 932.)

[91] Voir notre volume précédent, Louise de Savoie.

[92] La Vauguyon, p. 38 rv°.

[93] Hil. de Coste, p. 55.

[94] Séjour d'honneur.

[95] L'aisnée Fille de fortune.

[96] Ses Enseignements.

[97] Marillac.

[98] Sur ces divers points, voir La Vauguyon, f° 10, 11 : Enseignements, pp. 119, 125, etc.

[99] La Vauguyon peint avec émotion les regrets de ses serviteurs et de ses vassaux : « Que pourrons-nous désormais devenir ?... La mort a saisy nostre mère... » (f° 41 v°, 42.)

[100] La Vauguyon, Procédures politiques.

[101] Brantôme, VII, p. 162.

[102] Guevara, liv. II, pp. 215 et suiv.

[103] Le Livre de vraye amour.

[104] Du Bellay, Épitaphe de l'abbé Bonnet, II, 359.

[105] Laz. Baylli, Rei vestiariæ, ch. II ; Castiglione ; Cl. de Seyssel ; Hütlen, Lettre à Pirckheymer ; Montaigne, liv. III, ch. X. Cf. Doutrepont, pp. 238, 338, 339.

[106] Mellin dé Saint-Gelais au fils du roi, Œuvres, I. 287.

[107] La Prison d'Amour, par exemple (Carcel de Amor) de Diego de San Pedro, imprimée à Séville en 1192, fut donnée en italien à Venise, en 1513, par Lelio Manfredi. Sur cette traduction italienne, on a publié une traduction française anonyme chez Galliot du Pré, 6 mars 1525 (1526). In-8°.

[108] Il s'en publia une traduction dès 1518 (Le Franc) ; Commentaire du Timée, par Amaury Bouchard.

[109] Un poète français, un peu naïf, la bouche encore pleine de « grâce » et « espérance », nous montre avec un certain dépit la cour de France militairement gardée par deux Italiens, Pasquil et Arétin, qu'il qualifie de bohèmes à l'aspect sinistre. A peine si « Diligence » et « Bon vouloir », vieilles divinités d'autrefois, pouvaient timidement y accéder (Fr. 25,451). « Noble-Cœur, dit un poète, trouve sa » joie temporelle » à deviser avec les dames et à les servir ; Nature encourage Noblesse-Féminine à régir les hommes, car il y en a des bons et des mauvais. Dans un jardin délicieux, l'arbre de l'humanité fleurit ; il se divise en deux rameaux égaux, c'est-à-dire entre les deux sexes « d'un même être, d'une même substance, d'une même dignité », séparés seulement par hasard. Vilain-Cœur et Malebouche s'ingénient depuis longtemps contre Noblesse-Féminine : à l'instigation de la Nature, Noble-Cœur va enfin s'armer pour la défendre. »

[110] Flamini, pp. 228,238 et suiv.

[111] Jean Marot, édition Coustelier, p. 250.

[112] Elle ressemble tort au portrait que traçait M. le comte J. Primoli.de la princesse de Sayn Wittgenstein : « Une sibylle avec sou nez d'aigle, son regard inquisiteur et son sourire bienveillant. » (Revue de Paris, 1er septembre 1897. p. 197.)

[113] Hept., Début.

[114] Franck, III, 211.

[115] Brantôme.

[116] Paradin, Devises, p. 41.

[117] Hept., Nouvelle 25.

[118] Nouvelle 21.

[119] Marguerite au Roi, 1534.

[120] Brantôme.

[121] Hept., Nouvelle 40.