« La
femme est, selon moi, la pierre d'achoppement de la carrière d'un homme. Il
est difficile d'aimer une femme et de rien faire de bon, et la, seule façon
de ne pas être réduit à l'inaction par l'amour, c'est de se marier. » Cette
réflexion, que Tolstoï[1] met dans la bouche d'un de ses
personnages, n'a rien de nouveau. Telle était la théorie du moyen âge :
l'amour fatal ! Le nouveau marié n'avait pas d'autre préoccupation : il s'est
marié pour se guérir de l'amour[2], disons mieux, pour s'en
passer, pour se mettre au-dessus des femmes et en dehors : ses devoirs
d'époux ne lui paraissent pas du tout une fonction cérébrale. Il n'a pas
apporté de poésie en ménage, et il n'en mettra pas par la suite. Le mariage
est le carrefour des matérialités. De son
côté, la jeune fille ne s'est pas attendue à autre chose. Les personnes
graves qui l'ont élevée se sont appliquées à prévenir chez elle toute espèce
d'illusions et à lui montrer la vérité pure. Elle n'ignorait absolument rien
de ses nouveaux devoirs ; et sur ce chapitre plus encore que sur aucun autre,
on a cru indispensable de l'armer contre des ignorances ou des enthousiasmes
qui pourraient se traduire par des désenchantements. Elle a considéré le
mariage comme une fonction classique de la nature, et elle en a étudié les
règles, au moins élémentaires, afin de pouvoir se gouverner en connaissance
de cause dans une carrière qui a nécessairement son côté technique. C'est
ainsi que le médecin Champier a expressément rédigé pour la perle des jeunes
personnes du monde, Suzanne de Bourbon, un petit traité fort en dehors de ce
que nous appelons la littérature de jeunes filles ; et cependant il faut
avouer que cet écrit, si nettement physiologique, constitue bien la meilleure
défense qu'on puisse imaginer contre les entraînements saugrenus. Champier
établit, avec une rigueur astronomique, les règles intimes de la vie de
ménage, il prêche la sagesse, la modération, la régularité et, en regard du
précepte, il place les adversaires menaçants, goutte, anémie, distension
d'estomac, affaiblissement de la vue[3]. Ajoutons que les sermonneurs
de ce genre s'adressent surtout aux femmes[4]. Leur prédication paraissait
essentiellement nécessaire et morale. Puisque
le mariage est une association dans le but de perpétuer une race et d'avoir
des enfants, la femme doit naturellement accepter sans sourciller les
conséquences du contrat, conséquences qu'il ne faut ni ravaler, ni exalter.
Mais, autour d'elle, tout rappelle que c'est là une fonction sacrée et pleine
de décorum[5] ; des arbres généalogiques
étendent leurs vastes rameaux sur les murs et, en invoquant le passé, ils
posent pour l'avenir, sérieusement, presque solennellement, le grand point
d'interrogation, qui nous distingue des animaux ; un artiste les a illustrés
de figures rationnelles, « Entendement », « Honneur », « Raison[6] », qui en accentuent la
signification haute. « Le mariage est une religieuse liaison, et dévote
; le plaisir qu'on en tire doit être sérieux et mêlé à quelque sévérité[7]. » S'attacher à « ce
plaisir », en faire l'axe du monde, paraîtrait une idée misérable.
Grâces au Ciel, une femme qui se respecte peut rester aussi et devenir un
être moral et religieux. Ainsi,
à l'égard des choses[8], ni révolte, ni enthousiasme ;
entre les deux associés, ni amour, ni haine, une bonne sympathie, un peu prudhommesque
et tout à fait pratique, telle est la voie droite. Hors de là, il n'y a
qu'erreur et difficultés. Quant à
ce que vaut cette sagesse, on sait que de tout temps les avis ont été assez
partagés : l'institution du mariage est la vieille cible, sur laquelle tout
le monde a le droit de s'exercer, ce qui n'empêche pas qu'après un mariage il
en vient un autre, et que l'institution se perpétue imperturbablement[9]. On juge bien qu'à une époque
de conversation, de libres discussions et de philosophisme presque à
outrance, personne ne s'est privé de dire son mot sur les essais ou les
avantages du lien conjugal, et même si bien, que, pour la première fois, on
s'aperçut, alors, que les ironies portaient et qu'après tout la cible
commençait à s'user[10]. Et ici
s'affirme une vérité que le lecteur aura déjà vue poindre dans le croquis,
impartial et minutieux, que nous avons essayé de tracer, du commencement de
la vie des femmes ; c'est que la domination des hommes avait abouti à
d'étranges principes d'égoïsme. On pourrait croire que, livrées en pâture
comme nous venons de le dire, les femmes mariées se plaignent d'être
sacrifiées, et qu'au contraire, en contractant, si je puis ainsi dire, un
abonnement qui ne les gêne en rien, les maris ont ce qu'ils désirent. Pas du
tout : l'humanité est ainsi faite que, lorsqu'elle est plongée dans un
esclavage absolu et qu'elle ne peut rien voir au-delà, elle aime cet
esclavage, tandis que plus elle jouit de la liberté, plus sou appétit
s'exalte. Dès que nous croyons qu'un lendemain existe et qu'une amélioration
quelconque peut se produire, le présent ne compte pas ; pour que nous aimions
le jour actuel, il faut que l'avenir se déroule dans un sombre inconnu, et
c'est par ce motif sans doute que la Providence fait peser sur nous la grande
énigme de la mort. Dans le mariage, il en est de même. Ce sont les maris qui
déblatèrent. La monogamie les irrite. Il est certain que, malgré toutes les
précautions possibles, elle donne presque fatalement à la femme une
influence. En vertu du principe classique de diviser pour régner, la polygamie
seule pourrait assurer au mari une autorité incontestée, et c'est pourquoi,
au fond, elle paraît, à beaucoup d'hommes qui
n'osent pas l'avouer, le luxe le plus naturel[11]. Il y a aussi des savants qui
vous démontreront que dans bien des pays on a su alléger ou utiliser le lien
du mariage : on en a fait régulièrement un bail au mois ou à l'année[12] ; les Babyloniens aimaient
mieux prêter leur femme que leur âne[13]... Du côté
des femmes, au contraire, nous constatons une résignation qui tient en grande
partie à la manière dont elles ont été mariées, suivant un code de parfait
réalisme. Elles
se trouvent en présence d'un fait irréfragable, et d'ailleurs acquis. Tout
est consommé, et il ne reste plus qu'à payer le tribut. Sitôt qu'elles
pourront se considérer comme quittes, le problème de la liberté pourra aussi
se présenter ; mais naturellement ce ne sera pas sous les pesantes espèces
des idées de divorce, de remariage, de polygamie, qui flottent dans l'air. Le
mariage conserve aux yeux des femmes un caractère de sacrement : la thèse
d'un contrat librement passé entre leurs maris et elles leur
parait difficilement acceptable, pour plusieurs motifs. D'abord, on
croyait médiocrement à ce système de contrats sociaux, dont nous sommes si
férus aujourd'hui. La vie ne se comprenait pas sans une forte dose de fatalité.
La veille ou ajour de notre naissance, quel contrat avons-nous bien pu passer
? tandis que nous avons subi des lois certaines, et que nous continuons à les
subir. Dans le mariage, qui est une de ces lois, l'idée accessoire de contrat
n'a rien de déraisonnable, et cependant, même là, avec toute la liberté de
choix qu'on pourra imaginer, on ne trouve pas la véritable substance d'un
contrat. Ce contrat n'est-il pas spécialement compliqué par des circonstances
latentes de temps, de lieu, d'entraînement, qui n'agissent pas également sur l'une
et l'autre des parties ? Lui-même, il comporte tant d'inconnu, tant d'aléas,
tant de causes d'erreurs de toute espèce et de fragilité, qu'à peine
mérite-t-il le nom de présomption plutôt que de contrat. Erasme s'étonne
qu'on trouve encore des femmes pour se prêter à toutes les épreuves de la
maternité[14]. En effet, on en trouverait
peut-être difficilement, si, avant de se lancer parmi tant de risques, elles
ne pouvaient pas s'assurer contre l'égoïsme des hommes par une idée de devoir
supérieur, plus forte et surtout plus durable que l'idée contractuelle. Elles
consentent très bien à ne pas se leurrer, à n'envisager le mariage que sous
un aspect très terne : encore veulent-elles lui conserver son cachet d'abri
rustique et pratique. Elles se moquent des théories chimériques de Platon sur
l'union libre, et, en somme, toute réflexion faite, aucune ne regrette
d'avoir été mariée, suivant l'antique usage, puisqu'on n'a pas encore trouvé
moyen d'assurer autrement une honnête maternité. Les unions de haute
convenance et de situation, on le sait bien, n'amalgament pas les cœurs,
elles deviennent trop souvent les « faubourgs de l'enfer ». Mais par quoi les
remplacer ? par des mariages de passion et d'amour ? Au fait, dit un homme
caustique, puisque maintenant, nous autres hommes, nous ne comptons plus, ou
que, du moins, en comparaison des femmes, nous nous valons tous, la question
va devenir beaucoup plus simple : une princesse pourra se marier à son gré,
épouser un prince ou un berger, puisque c'est la même chose. A quoi bon ?
riposte un sage : les mariages d'amour tournent aussi mal que les autres...
La seule philosophie matrimoniale qui soit à retenir pour les femmes, c'est
qu'en cette matière il n'y a pas de philosophie. Inutile de chercher à
quintessencier : il faut s'en tirer pratiquement, le mieux qu'on peut, avec
une sorte de vertueuse affection, selon les volontés insondables de la
Providence : « Le mariage, dit Marguerite de France, ne doit comporter
aucun objectif ni de plaisir ni d'intérêt : ce n'est pas non plus un état
parfait ; il suffit de le prendre sagement pour ce qu'il est, un état moyen
et honnête[15]. » Ainsi,
en raisonnant la vie de ménage (c'est bien leur droit 1), les femmes vont
simplement arriver à cette conclusion qu'elles se prêtent à leur mari, mais
qu'elles ne se croient plus tenues de s'assimiler à lui, de s'identifier dans
tous les instants et pour tous les caprices, ni de vouer à cet être la même
vénération superstitieuse qu'autrefois ; elles le voient tel qu'il est, un
homme, avec certaines qualités naturellement humaines et des défauts
naturellement peu divins ; un créancier physique, dont elles ne contestent
pas, mais dont elles savent mesurer la créance. Au
risque de paraître téméraire, dans une matière où les preuves mathématiques
sont si difficiles à administrer, nous croyons même pouvoir affirmer que la
plupart des femmes mariées (nous parlons des femmes du monde) désirent rendre leur sujétion
physique aussi légère que possible ; elles estiment presque cette obligation
le revers de la vie, une erreur de la Providence. Et elles se font d'autant
mieux valoir, que, comme les petits drames domestiques finissent toujours par
s'ébruiter, elles sont presque certaines d'avoir les rieurs de leur côté,
notamment en France. Les Français refusent tout droit aux femmes mariées,
mais ils prennent toujours leur parti, même quand elles ont tort, précisément
à cause de l'opinion qu'ils ont du mariage, où le mari représente le
gouvernement et la femme l'opposition : les querelles du ménage alimentent le
théâtre et fournissent certains types très populaires ; par exemple, « le
trop tost marié », ou surtout « le trop tard marié
», si fêté, depuis que le bon Louis XII, s'immolant à un désir dynastique, a
épousé « son supplice »... Le rôle des maris est donc, en réalité, assez
difficile. S'ils sont platoniques, intellectuels, on n'a aucune
commisération, c'est à qui excusera leur femme. En face aussi d'un mari qui
tousse, qui ronfle, qui est jaloux, le « droit nouveau » accorde toutes les
absolutions possibles : on le sait bien, une robe de soie ne suffit pas au
bonheur[16] ! et parce qu'il plaît à
un mari d'être sourd ou aveugle, il n'est pas admissible que le monde entier
doive l'être également[17]. En
revanche, une femme a le droit de se réserver et de faire la mijaurée.
Généralement, un brave homme, un peu vulgaire, mais bon administrateur, bon
père de famille, n'a pas grand succès dans son ménage, et en insistant sur ce
qu'il croit la mission de sa femme, d'avoir des enfants, il se trompe tout à
fait. Madame a pour mission d'être châtelaine : quant à « lui »,
qu'il aille à son bureau, et « qu'il s'estime trop honoré que Dieu lui ait
fait la grâce de l'avoir ». S'il s'agit de recevoir de beaux amis à la mode,
des gens de cour, Madame a des grâces incomparables : mais dès que le
bonhomme articule quelque intimité, c'est généralement un jour de migraine[18]. Il y a
une foule de bons ménages, d'excellents, qui sont des demi-ménages ; les
apparences sont sauves au point de vue du monde, et même au point de vue des
époux ; de part et d'autre, on a le bon goût de glisser sans trop appuyer, en
recueillant simplement les fruits naturels de l'association. Chacun jouit de
sa liberté : la femme est tranquille et maîtresse d'elle-même ; le mari
voyage, navigue, remplit des ambassades, s'en va flirter de cour en cour, comme un galant homme qu'il est, et ses succès font
honneur au ménage. Castiglione, type parfait d'homme du monde, voyait sa
femme de temps en temps, et gardait avec elle de parfaits rapports :
évidemment, il n'avait pas l'idée de l'emmener avec lui, mais il lui montra
toujours de la manière la plus délicate combien il appréciait son mérite. Il
s'amusa, à Rome, à mettre en vers une lettre qu'il
lui attribuait[19]. C'est à Rome aussi, en août
1520, qu'il apprit sa mort, et en même temps la naissance d'une fille ; avant
d'expirer, l'aimable femme avait eu la force de ramasser un dernier sourire
et de dicter encore un joli petit billet[20]. Montaigne
plaint beaucoup les femmes soumises à cet hygiène écossais : «. Les voilà de
pire condition que vierges et veuves... Nous les voulons, ensemble, chaudes
et froides. » Il ne remarque pas que, pour un motif quelconque, — dégoût de
la matérialité trop pure, besoin de tranquillité, coquetterie, dédain du
sensualisme, ou tout autre, — la plupart de ces femmes n'acceptent d'être
femmes que pour être mères, et se satisferaient volontiers d'un état de
vierges et mères ; quelques-unes se considèrent presque comme des
idoles-tabou. Le pape Alexandre VI, quoique très gai et très spirituel, ne
comprenait pas très bien toutes ces subtilités et ce rare dégoût de la chair
; il eut beau s'exclamer pittoresquement, en 1502, sur l'amusante résistance
de la duchesse d'Urbin, à qui on offrait, par des raisons péremptoires et
incontestables, l'annulation de son mariage, et qui refusait absolument
d'échanger son mari pour un mari français de belle encolure, tandis que le
duc, cause de ce débat, acceptait un chapeau de cardinal ; Alexandre VI eut
beau rire, avec toute sa verte gaîté, de cette « magnanimité fraternelle[21] », il y avait, dans ce simple
incident d’Urbin, tout un programme nouveau. D'autres dames poussèrent
l'esprit de « fraternité » jusqu'à une vaillance vraiment abusive.
Paul Jove, qui appartient corps et âme au monde philosophique, jette lui-même
les hauts cris, en constatant le tour de force de Julia Gonzaga, comtesse de
Fondi, à qui, après bien des années de mariage, il arriva d'être veuve sans
jamais avoir cédé sur le point essentiel. Le mariage, ainsi compris, ne
devient absolument qu'une association politique ou commerciale[22]. Nous ne
voudrions pas nous étendre outre mesure sur ce délicat problème de la
rédemption des corps ; mais cependant il se pose si couramment, et surtout il
est de si grande conséquence pour le développement ultérieur des idées
mondaines, qu'on ne peut guère y échapper. Les prédicateurs, qui autrefois
mettaient quelque ardeur à séparer les ménages pour certaines échéances de
piété, en viennent, en pleine chaire, à préconiser, par le même sentiment de
piété, la pratique contraire, et à prêcher le carême de façon toute nouvelle.
Nous savons l'histoire d'un brave pharmacien de Pau qui « ne tenait compte »
de sa femme, « sinon la semaine sainte[23] ». Jusqu'au fond des campagnes,
il devint de bon ton de faire chambre à part[24] : le fait n'a rien de secret,
et on plaisante beaucoup sur cette casuistique entre gens de bonne compagnie
; c'est un des points sur lesquels Henri (l'Albret ne manque pas d'agacer sa
femme Marguerite. Elle lui riposte, moitié riant, moitié furieuse : « Henri,
peut-être que celle que vous pensez devoir être bien marrie pourrait trouver
de quoi se compenser s'il lui plaisait. Mais laissons-là les passe-temps où
deux seulement peuvent avoir part, et parlons de celui qui doit être commun à
tous. » Alors Henri, élevant le ton, comme il convient, au-dessus de ces
misères, s'adresse à l'ensemble de l'humanité : « Puisque ma femme a si bien
entendu la glose de mon propos, et qu'un passe-temps particulier ne lui plaît
pas... je m'en rapporte à son opinion[25]. » Nous
avons souvent lu des éloges de Marguerite de France, sœur de François Ier, et
des hommages rendus à sa vertu conjugale : il n'y a aucun motif d'y
contredire ; cependant, il faut constater de quelle pâte elle faisait sa
vertu ; Henri II a pu écrire : « Sans moi, elle ne fût jamais retournée avec
son mari[26]. » Du reste, elle ne s'en
cachait aucunement. Un jour
qu'on racontait quelque frasque d'un mari peu fidèle, Henri d'Albret lui dit
avec une feinte amabilité : « Je vous assure bien que je ne ferai jamais
si grande ni si difficile entreprise ; pourvu que je vous rende contente, je
n'aurai pas mal employé ma journée. » — Marguerite, un peu sèchement et
esthétiquement : « Si l'amour réciproque ne contente le cœur, toute autre
chose ne le peut contenter. » Vers la fin d'un mois de décembre, il arriva à
la bonne princesse d'éprouver divers troubles de santé ; à.
ce propos, elle écrit bravement à son frère : « C'est du jour de saint Firmin
(25
septembre), ou ce
n'est pas[27]. » Ceci nous rappelle certaine
gageure de M. de La Rochepot contre la reine Eléonore, femme de François Ier
; La Rochepot prétendait que la reine se vantait, — qu'elle n'était pas aussi
libre qu'elle voulait bien le dire : galamment, d'ailleurs, il n'insista pas,
et s'en remit au témoignage contraire des intéressés[28]. Mais
voilà qu'au milieu de cette symétrie un peu froide, ou même de ces
malentendus sérieux[29], la maladie brusquement vient
frapper un grand coup ; le mari est atteint. Aussitôt tout change. La bonté
féminine jaillit comme d'une source naturelle. Il ne s'agit encore, et
toujours (comme
dans toutes les questions matrimoniales), que du monde des corps, mais l'âme transparaît :
la femme s'affirme pour la première fois, moins peut-être par affection pour
un- homme qu'hier encore elle bannissait, que par suite d'un instinct naturel
de lutte contre la matière, contre la douleur et le mal[30]. Diversités d'esprit, de
caractère, de situation, vues philosophiques, tout s'éclipse ; la sensibilité
seule éclate en triomphe. La maison est en rumeur, des émissaires courent le
pays à la recherche de médecins lointains, l'aumônier part en quête de messes
et de cierges[31]. Au chevet de Pierre de
Bourbon, voyez la grande Anne de France, celle qui fut régente du royaume et
si magnanime, les yeux braqués sur le malade, jour et nuit, sans prendre un
instant de repos, sans accepter l'aide de personne ; elle dose elle-même potions
et remèdes, elle les administre, elle bassine le lit, elle rend au malade des
soins infiniment intimes, et cela sans nulle contrainte : un témoin va
jusqu'à dire qu'elle y prenait « ses délices[32] ». La femme mariée n'est
pas une amoureuse ni une faiseuse de vers, elle n'a pas besoin d'imagination,
de grâces, ni d'enthousiasme : la voici, dans sa grandeur sévère. Elle est
sœur de charité. Telle qui ne pardonnerait pas à un mari maussade, se résigne
sans hésitation à un avenir de cataplasmes, de tisanes, de rhumatismes[33]. Il y en a qui soutiennent
cette gageure pendant des années sans faiblir[34], qui l'abordent dès le
commencement de leur mariage[35]. C'est une vocation naturelle. L'attraction
qu'exerce la douleur sur les femmes constitue un des phénomènes les plus
singuliers du monde psychologique. Elle est aussi évidente que celle de
l'aimant sur le fer. Les femmes naissent garde-malades et médecins, avec la
passion de soigner, de se dévouer de toutes les finesses de leur cœur, de
consacrer leurs doigts fins à panser des plaies. Entre cette passion-là et
celle de l'amour, il y a une parenté intime ; il s'agit toujours de donner la
vie à l'homme ; mais ici le problème, très simple, ne présente aucune des
complexités morales (le l'amour. Les femmes positives et pratiques ne sont
pas les moins convaincues de la vocation de leur sexe pour la médecine. L'impression
est si générale à cet égard, qu'un pieux auteur conseille d'ouvrir aux femmes
les portes de l'Ecole de médecine à deux battants, de leur apprendre ce qu'on
apprend à des médecins hommes, et même un peu plus (le grec,
l'arabe), et puis
de les expédier en Terre sainte, afin d'aider à la conversion des Infidèles[36]. Pourquoi
ne pas garder en France des femmes si instruites ? Le lecteur s'en doute :
les médecins sont là, gardiens jaloux de leur monopole, déjà enragés contre
les chirurgiens, les apothicaires, et les femmes « de rien du tout » qui se
mêlent de soigner les enfants[37]. Ils sont masculins, et même
très hommes : pour tuer, ou tout au moins médicamenter[38] ses semblables, ils exigent une
culotte[39] : « C'est un sot animal que la
femme qui se mêle de notre métier[40]. » La
femme s'en mêle pourtant, par dévouement, et surtout par respect pour
elle-même. Et, à ce sujet, il nous faut noter des idées absolument inverses
de celles qui prévalent aujourd'hui. La pire
des humiliations et des sujétions aurait paru être de dépendre des hommes
pour les mille soins de santé, tout à fait intimes et spéciaux, auxquelles
les femmes se trouvent si souvent sujettes. Sans doute, les femmes étaient
d'avis qu'il y a dans la pudeur quelque chose de relatif et que les «
intentions » y jouent un certain rôle. Aussi admettaient-elles volontiers des
indiscrétions esthétiques, amicales, volontaires, personnelles ; mais, même
malades et souffrantes, elles entendaient rester femmes ; et l'idée de n'être
plus telles, de passer comme le bétail par les mains et les yeux d'un
vétérinaire, sous le simple prétexte que la pudeur d'une jeune fille ou d'une
femme est un reste de barbarie, et que toute réserve à cet égard a presque
l'air d'une offense envers un praticien, ne leur paraissait pas une chose
toute simple ; elles y résistaient absolument ; du reste les idées romaines,
grecques, arabes, alors si fort à la mode, confirmaient leur résistance. Loin de
croire qu'un homme a plus de droits parce qu'il est payé ou parce que la
multiplicité ou la vulgarité de ses sensations peut les émousser, l'une et
l'autre de ces conditions leur semblaient ajouter à l'humiliation et à la
confusion. Elles ne recouraient, pour leurs maux spéciaux, qu'à des soins de
femmes ; et même, comme, en pareil cas, l'ennui, la peine morale s'ajoutent à
la peine physique, c'était une œuvre de charité vraiment exquise et délicate,
pour les femmes du monde, pour les grandes dames, de se livrer à une étude
approfondie de ce genre de maladies, afin d'épargner à leurs semblables la
tristesse des soins mercenaires ! Rien de
plus doux ; et rien de plus naturel. La
science, à cette époque, était la science, et nu homme était un homme ; il
paraissait aussi loisible d'étudier la médecine et de s'en servir, même sans
brevet, que de toute autre science, telle que l'histoire, les mathématiques
ou la chimie... Avoir traîné quelques années sur les bancs d'une école n'est
certainement pas un mauvais moyen pour apprendre. niais
ce n'est pas le seul, et il ne devait pas consacrer pour la vie entière une
présomption absolue de connaissances universelles et d'impeccabilité : là,
comme ailleurs, on a vu parfois de soi-disant « amateurs[41] » l'emporter sur des
professionnels. Or, quelle est la science que les femmes peuvent plus
naturellement cultiver, qui répond mieux à leurs desiderata de délicatesse et
d'égalité, qui les affranchit plus légitimement[42] ? L'usage de la médecine
fut leur première conquête, l'assise essentielle de leur liberté. Nombre de
femmes, notamment des femmes distinguées qui avaient du loisir pour apprendre
et un cœur charitable, exercèrent pour ainsi dire la médecine : un savant célèbre,
tout en formulant de discrets regrets, a dédié à Diane de Poitiers, comme à
un confrère, avec mille protestations d'estime scientifique, un traité sur
les maladies féminines[43]. Sauf à
guetter l'heure propice pour reprendre leurs avantages[44], les médecins se résignèrent ;
ils laissaient la malade aux mains d'une femme, et se bornaient, sur le
rapport qui leur était fait, à libeller une ordonnance, de manière à
sauvegarder au moins le fond et la forme[45]. On entendit même dans des
chaires officielles prêcher la médecine aimable[46], la médecine philosophique ; en
plein amphithéâtre de Paris, dans une cérémonie officielle, un « prince
de la science », comme on dit aujourd'hui, déclara que la Nature a un
certain cachet féminin, qu'elle a enrichi spécialement les femmes et les a
rendues plus complètes que les hommes[47]. Il faut
dire que, si les médecins eurent le bon esprit de ne pas rompre avec la
redoutable puissance des femmes, et de transiger, cela tint probablement
aussi à ce qu'ils subissaient une crise qui devait les induire à une grande
prudence. 11 y avait contre eux une levée de boucliers. On ne se contentait
plus de rééditer de vieilles plaisanteries[48] ; les malades prétendaient être
guéris[49]. En outre, la discorde la plus
complète régnait dans le monde scientifique ; c'était à qui s'appellerait sot[50], pied plat, « spécialiste[51] ». Paris restait fidèle à
l'esprit traditionnel et philosophique[52], tandis que Paracelse brûlait
Galien et Avicenne[53]. Beaucoup de gens traitaient la
médecine d'empirisme[54], dépourvue de théorie et bonne
à apprendre par cœur en six mois. L'activité scientifique ne faisait
qu'ajouter au trouble intellectuel[55]. On allait jusqu'à rendre les
médecins responsables de leurs actes[56], et à soutenir qu'on leur
devait de l'estime au prorata de leurs mérites[57]. Il ne manquait pas de
sceptiques, même parmi les femmes. Marguerite de France, dans une de ses
comédies, nous représente un malade ballotté entre son médecin et sa femme,
et elle le fait guérir par les prières de la cuisinière. Cependant,
un véritable lien d'amitié et de confraternité s'établit, le plus souvent,
entre femmes et cet étranger qui s'appelle un médecin. C'était une sorte
d'intimité domestique et personnelle. On sait combien les femmes ont besoin
d'autorité ; elles aiment aussi qu'on s'occupe d'elles, et c'est ce que
comprenaient à merveille certains médecins, comme tel docteur qui n'abordait
jamais une femme sans essayer de lui arracher quelques confidences de santé ;
on s'en étonnait : « Eh ! eh ! disait-il, en hochant la tête, il y a des
flacons bien bouchés qui 'ont des fêlures. » En réalité, il pensait qu'on lui
saurait gré de sa sollicitude[58]. Le
médecin qu'on estime devient un ami ; il écrit à une dame pour lui demander
de ses nouvelles, et l'appelle « ma douce princesse » : s'il la sait malade, il
accourt ; si elle meurt, il la pleure. Ses sentiments passent parfois avant
ses intérêts, et il arrive de trouver dans la succession d'une noble femme
des notes formidables de médicaments qu'elle a oublié de payer[59]. Du reste, si dans les cas
spéciaux il y a des limites à la confiance physique des clientes, il reste
encore un champ assez vaste pour l'intimité, et cela prête passablement à la
médisance. Du haut
de la chaire, on recommande officiellement de respecter la médecine « à cause
de la nécessité[60] » ; prêtres et médecins se
soutiennent, ils se partagent l'empire[61] ; les savants exhument
l'histoire antique d'un étudiant en médecine qui se comporta comme un ange
auprès d'une Aspasie[62], mais ces petits plaidoyers
n'empêchent pas de méchantes gens, Ronsard, Brantôme[63] et autres, de se gausser
encore, avec une indignation plus ou moins vertueuse, sur le compte des
médecins. Dolce s'amuse à nous raconter la mésaventure d'un jeune mari, qui,
après avoir confié à un médecin son vif désir de devenir père, se plaignait
ensuite devant les tribunaux de l'être devenu trop rapidement. Le public est
toujours prêt à rire d'histoires semblables. On considérait la science
comi.ie souvent corruptrice. Champier, qui était médecin à Lyon, accuse
formellement ses confrères de devenir de véritables agents de démoralisation
et de pervertir le sens moral chez leurs clientes[64]. Les
femmes, en fait de médecine, se montrèrent des plus modestes dans leurs
ambitions. Beaucoup des femmes médicales étaient des femmes d'ancien style,
qui admettaient la supériorité de l'homme. Elles se bornaient à un certain
champ d'études : sitôt son mariage, la femme entrera en lutte avec la maladie
; puis elle aura des enfants à soigner : ensuite, elle aura le devoir de
rester belle et avenante ; voilà une carrière médicale bien tracée. Elles
restent tributaires des hommes sur les autres points, elles leur laissent
notamment les hautes spéculations. L'astrologie
tenait alors dans la médecine officielle une place éminente, si ce n'est la
première ; les médecins avisés lui devaient une grande partie de leur
prestige[65]. Certes, on peut bien admettre (c'est l'avis
de Platon et la doctrine chrétienne) que l'univers ne s'arrête pas à l'homme et
qu'au-dessus de nous il y a une hiérarchie d'êtres surnaturels,
insaisissables à nos sens, dont nous dépendons, et dont les ailes quelquefois
semblent nous frôler ; ces êtres, que Ronsard, en si beaux vers, a invoqués
comme témoins de son cœur : Ailés
démons, qui tenez de la terre Et
du haut ciel justement le milieu, Postes
divins, divins postes de Dieu[66]... Beaucoup
de médecins croient que la partie la plus noble de leur art consiste à se
rendre compte, s'il est possible, de l'influence de ces forces
supranaturelles. D'ailleurs,
même dans le simple ordre des choses matérielles, ne faut-il pas constater
une harmonie universelle[67], les rapports intimes de la
santé des femmes et du mouvement des mers avec les révolutions du ciel, et
mille liens, D'innombrables
liens, frêles et douloureux, Qui
vont dans l'univers entier de l'âme aux choses, comme
dit M. Sully-Prudhomme ? Les gens qui croient le moins aux saints sont alors
ceux qui croient le plus au ciel[68] et aux étoiles[69]. On pense volontiers que si
notre esprit, qui vient de Dieu, est libre, notre misérable corps physique
dépend totalement des astres : Aux
corps vous donnez vostre loy, Comme
un potier à son argile. Ces
célestes flambeaux gouvernent l'univers ; en vain l'homme lutte, peine,
combat, s'efforce ; il appartient à une destinée mystérieuse. Ainsi
vous plaist, estoilles
!... En
vain l'homme de sa prière Vous
tourmente soir et matin ; Il
est traîné par son destin, Comme
est un flot de la rivière[70]... Les
femmes, particulièrement sensibles au mystère des choses, n'ont pas pu fermer
l'oreille à de si hautes préoccupations scientifiques : Renée de France se
réclame des astres[71], Marguerite s'écrie que « leurs
effectz des corps humains se sentent[72] ». Pourtant elles ne s'y
abandonnent pas, comme on pourrait le croire : c'est un fait bien remarquable
que, malgré leur impressionnabilité naturelle et leurs facultés d'envolée,
elles ne prêtent pas volontiers à la médecine des clartés aussi hautes. Pour
elles, la médecine est une science terre à terre, pratique et expérimentale.
Le seul principe métaphysique qu'elles y mêlent vient du dehors ; c'est celui
de la charité. En
revanche, elles sont fort crédules[73] ! Une de leurs passions
consiste à collectionner des recettes quelconques, étranges, exotiques[74]. Catherine Sforza, cette femme
d'Etat, passe des heures dans son officine particulière, à recevoir une juive
qui lui apporte un onguent universel, ou bien à vérifier des formules « d'eau
céleste », une cérébrine en moelle d'âne, un aimant destiné à réconcilier les
ménages, mille recettes encore de même force. Un de ses ambassadeurs lui
envoie une drogue à base d'œufs et de safran, qu'il vante avec un
enthousiasme délirant : « Je veux assister à l'expérience... Je ne changerais
pas avec le roi de France, tant je suis heureux devant un objet si admirable
; et d'ailleurs Votre Excellence ne trouverait pas d'homme semblable à moi
car il faut du courage, pour ne pas craindre les esprits ; de la foi, pour
croire ; du secret, pour ne rien trahir, et enfin les instruments que j'ai ;
les Universités de Bologne, de Ferrare, de Paris, de Rome n'en possèdent
point de semblables... » Au moment même d'une prise d'armes, Catherine
n'oublie pas d'écrire pour commander les bocaux nécessaires à ses
expériences... Pourtant, à travers toutes ces enfilades de formules, si
souvent puériles, et acceptées à titre de collection, il y avait plus qu'une
manie de collectionneur ; il faut y voir la soif de l'inconnu, l'effort
expérimental vers un au-delà impénétrable. Cet effort n'était pas très
scientifique ; soit ! Mais celui des médecins les plus patentés l'était-il
davantage ? Les femmes admettent que notre cœur et nos nerfs dépendent du
soleil, notre foie de Jupiter, le reste de Vénus[75]... mais elles ont cette
supériorité (le ne tirer de là aucune conséquence, de viser surtout à
l'hygiène et de borner leur ambition à conserver la santé, la jeunesse. Sous ce
rapport, elles réussissent : rarement, on a vu des femmes verdoyer d'une
étrange beauté jusque dans un âge avancé, comme ces femmes du début du XVIe
siècle. Elles mènent une vie très active, elles boivent sec ; mais elles
n'abusent de rien, voilà leur grand secret[76]. Secret bien simple secret
inappréciable ! et on allait en comprendre la valeur dès la génération
suivante, lorsqu'à force de braver la nature, de s'écraser sous les buscs et
les pierreries, ou de se découvrir la poitrine[77], ou de faire de la nuit le
jour, ou d'exagérer tout, le monde allait se peupler de faces pâles et
mauvaises, aux lèvres blanches ; et aussitôt un cruel cortège, crises de
nerfs et de larmes, coups de couteau partis du cœur, naissances douloureuses
d'êtres malingres, signaleront le retour de la neurasthénie, qui semblait
oubliée[78], et qui revivra, triomphante,
sans qu'on y trouve d'autres remèdes que le retour à la vie de nature, l'air,
le repos, l'oubli des habitudes mondaines[79], la végétation continue !... En
résumé, la femme mariée, entrée par le fait du mariage dans une carrière
physiologique, s'attache à défendre son corps et à rester maîtresse
d'elle-même, en face de son mari, de son médecin et de toutes choses. Elle a
fort à faire. De plus, sous des formes très diverses, elle est enserrée par
une invasion de matéçialités, qui l'accableraient
vite, si elle ne savait leur tenir tête. Elle a encore à administrer le
ménage, à régler jour par jour le boire, le manger, le dormir, l'organisation
domestique. Les
maris sont tous les mêmes ; c'est, en grande partie, pour avoir une maison
qui « marche bien », et toute seule, qu'ils se sont mariés ; ils
trouvent extrêmement naturel qu'une femme se consacre à doubler leur vie,
qu'elle s'attelle en sous-ordre, silencieusement, à des besognes ingrates,
comme le cheval de renfort décrit par Salomon et qui est aussi nécessaire au
monde que le blé ou les planètes : « Elle travaille la laine et le lin avec
des mains joyeuses, elle se lève avant le jour pour distribuer les provisions
à sa maison et le travail à ses servantes. Elle ceint ses reins de force...,
la vertu et le courage lui servent de vêtement... Trompeuse est la grâce,
vaine est la beauté, mais la femme qui craint le Seigneur sera louée
éternellement. » Les
prédicateurs s'ingénient à montrer qu'en effet elle sera louée, que son idéal
est glorieux, quoique obscur, et qu'il y a un bonheur à manier des clefs, à
sentir que toute une maison agit par votre unique impulsion : « La femme sage
a élevé sa maison, » de la sagesse, de la correction de cette femme ont
dépendu la grandeur ou la décadence de la famille[80]. Les fous détruisent, les sages
construisent ; et n'est-ce pas une belle mission, s'écrient les prédicateurs
avec une chaleur croissante, que celle de construire ; construire le bonheur
des siens, son propre bonheur en ce monde et dans l'éternité[81] ! « Trompeuse est la
grâce, vaine est la beauté ! » Voyez-la, cette femme massive, probablement
heureuse à sa façon, toute en forte chair, les lèvres pincées, le regard
énergique et gouvernemental, sans poésie, très nette, cette matrone de Lotto,
insensible aux signes qu'un clair de lune ironique grimace derrière elle ; ou
bien cette superbe chose épaisse, chargée d'une grappe d'enfants, qu'Holbein
nous présente comme sa femme. On voit bien qu'elles se lèvent à six heures et
se couchent à dix, ces personnes-là, et que dès l'aube leur seul objectif est
de prendre l'air, d'entendre une messe, de se faire majordomes, tapissières,
lingères... Nulle utopie ne les tourmente, aucune idée philosophique ne ride
leur destinée vulgaire. La
plupart des Françaises sont issues de ce type sous la forme la plus affirmée,
la forme rurale, et elles ne peuvent guère se modifier. En France, les gens
distingués appartiennent presque tous à la catégorie des propriétaires
fonciers : depuis quelques années, ces propriétaires subissaient une
véritable crise ; pour peu qu'ils eussent trois ou 4.000 livres de rente[82], ils devaient se laisser gruger
par un certain nombre de fonctionnaires[83] traditionnels ; et, d'un autre
côté, les besoins croissants du luxes le changement de valeur de l'argent les
débordaient. Plus d'un avait cru voir s'ouvrir en Italie une mine d'or, et
avait repris l'épée avec plaisir, mais il était revenu appauvri, fatigué,
sinon endetté[84], et de mauvaise humeur. Le
gentilhomme campagnard supportait donc assez mal sa médiocrité ; frayant avec
le paysan — le dernier des paysans se croyait un seigneur[85] — et avec les autorités
villageoises, ennemi des juifs, des financiers[86], des accapareurs[87] ; démocrate, persuadé que
tous les hommes se valent, ou à peu près, résigné d'ailleurs à être la tête
de son village puisqu'il faut une tête, mais se souciant fort peu des autres
autorités sociales, il s'enfermait dans son domaine comme son grand-père et
son père, parmi les fils et petits-fils des gens qui avaient entouré ces
respectables personnages ; il était plein de bonne humeur, d'appétit,
excellent homme, résolu à laisser son fief à son fils aîné le plus tard
possible et à disperser le reste de sa famille, les fils à l'armée ou dans
des cures, les filles chez des voisins. Il reprochait à Louis XII de ne
donner à l'agriculture que de belles paroles : François Ier, qui multiplia et
paya grassement les charges de cour, lui parut davantage le roi des
agriculteurs[88]. Voilà
près de quel homme et pour quel homme vivent la plupart des femmes de la
société française. Au fond, ce mari est un idéaliste ; il méprise l'argent et
s'en vante avec une certaine coquetterie ; mais, dans l'intimité de la vie,
il agit souvent en réaliste absolu et en pur arithméticien. Il admettrait
volontiers, et très chevaleresquement, que les femmes, en général, soient des
êtres d'élite, dignes de beaucoup de liberté ; seulement il tient à ce que la
sienne, en particulier, reste au second rang et s'occupe des choses pratiques[89]. Il lui reconnaît l'honneur de
tenir les comptes, il l'autorise même à intervenir dans un marché, à réclamer
un dû[90] : lui, il chasse, il sert
d'arbitre à ses paysans, il circule, ou bien il ne fait rien. Montaigne
avoue, avec le plus grand empressement, que les affaires ne le regardent pas
: il trouve ridicule, injuste « que l'oisiveté de nos femmes soit
entretenue de notre sueur et travail », il admet, de la manière la plus
libérale, le droit des femmes au travail, et il le fait par bonté, car les
femmes aiment gouverner et une femme qui travaille n'est pas à plaindre !
Pendant que Mme de Montaigne compte, plante, moissonne, dirige des maçons,
son spirituel mari épilogue avec bonhomie sur l'humanité, ou regarde en paix
le dos des reliures de sa bibliothèque, ou flâne en Italie, selon le principe
que le voyage du mari est le sel du ménage ; sur la route, il s'enquiert curieusement
de tout, il s'arrête aux villes d'eaux, il visite les jeunes personnes
intéressantes, mais combien il vénère sa femme ! Au retour, lorsqu'il la
retrouvera au milieu des bottes de foin, il sent que ce sera d'un cœur
absolument neuf : « Ces interruptions me remplissent d'un amour récent envers
les miens et me redonnent l'usage de ma maison plus doux... Je sais que
l'amitié a les bras assez longs pour se tenir et se joindre d'un coin du
monde à l'autre... Les stoïciens disent qu'il y a une si grande colligence et relation entre les sages que celui
qui dîne en France repaît son compagnon en Egypte... » De Rome, « je tiens et
régente ma maison..., je vois croître mes murailles, mes arbres et mes rentes[91]. » C'était
un bien bon apprentissage philosophique que la direction d'une maison dans ce
temps-là, puisqu'il y avait un point d'honneur à nourrir un bon nombre
d'oisifs ; ainsi Mme de La Trémoille devait régir, alimenter et coordonner
quarante hommes, dont quatre attachés à son service personnel (un aumônier,
un tailleur, un palefrenier, un fourrier), et trois femmes seulement, dont
une nourrice[92]. Il fallait maintenir ce monde,
donner à l'ensemble un cachet de haute respectabilité et de discipline[93], chose d'autant plus difficile
que les serviteurs étaient importants, inamovibles, et quelquefois
héréditaires depuis plusieurs générations ; autrement dit, la maison leur
appartenait en vertu de je ne sais quel collectivisme familial. D'autre
part, un préjugé très invétéré faisait de la générosité une marque spéciale
d'aristocratie ; et cette vertu, croissant en raison de la grandeur du rang,
ne laissait pas que de présenter l'inconvénient de simplifier le budget ! Sur
un très gros budget, Mme de La Trémoille ne disposait que de 200 livres pour
son ordinaire particulier : souvent un prince était plus misérable que ceux
qui vivaient à ses dépens. Et
puis, la « générosité » ne se manifestait pas seulement en argent :
elle s'affirmait par des démonstrations affectueuses et douces, qui se
résolvaient encore en charges. Ainsi, à Blois, aucun événement de famille ne
se produisait dans le personnel, sans que la duchesse d'Orléans y participât
; elle s'occupait des mariages et faisait un cadeau ; ses enfants étaient
parrain, marraine ; elle protégeait jusqu'aux bâtards de ses serviteurs ;
elle suivait les vieillards ; elle s'apitoyait sur les malheurs des uns et
des autres, ou même de leurs amis ; elle intervenait près du roi pour obtenir
la grâce d'un coupable, une remise d'impôt : « Et vous ferez grant charité et aumosne, lui
écrivait-elle, et à moi singulier plaisir. » Çà et là, dans ses modestes
comptes, s'ouvre une petite brèche ; c'est un abandon de redevances à des
tenanciers gênés, une remise de fermage, une annulation de créance[94]. Dans
les registres des principales maisons françaises, on rencontre toujours un
chapitre suggestif, celui des aumônes. L'ingéniosité de l'esprit charitable a
beau tendre un voile devant ces quelques lignes volontairement sommaires, on
respire en passant un parfum de douceur, comme le long d'une sévère muraille
on devine, à des bouffées de parfums, les roses et les violettes qu'on ne
voit pas. C'est le devoir des femmes de veiller à l'aumône[95], et par là encore, à travers
l'aridité des préoccupations matérielles, s'ouvrent pour elles de grandes
vues vers l'idéal. Une femme de ce temps-là est bonne de bonté pure ; elle
peut laisser sa charité rayonner spontanément, sans efforts. Elle Nit au milieu
des misères ; au lieu de se dérober à sa vue et de s'embastiller dans des
faubourgs pleins de haine, l'échoppe sordide s'accroche aux murs de son
château, comme une végétation naturelle[96]... Quelle
femme pourrait fermer l'oreille aux clameurs de la misère ? Aussi la charité
tient-elle une place officielle. Louis XII lui consacrait un budget de 6.000
livres qu'il augmenta de 1.642 livres en 1509[97], et pour assurer une
distribution plus exacte il créa même, outre le service de son confesseur et
de son aumônier[98], un fonctionnaire particulier,
Jacques Acarie, qui reçut le titre de « trésorier des offrandes, aumônes et
dévotions ». Cette tendresse pour l'aumône, il l'avait héritée de sa mère,
Marie de Clèves. Marie
de Clèves était la générosité même. Elle ne s'en tenait pas aux distributions
traditionnelles ou presque obligatoires : aumônes de Pâques4 ou de la
Toussaint[99] ; cadeau d'une robe au roi du
château le jour que l'on tirait la fève[100] ; étrennes du premier janvier,
à toute une population de musiciens improvisés, qui venait l'assourdir de
tambour, de clairon, de noëls[101], de cris : « Au guy l'an neuf ![102] » Elle sortait, elle
allait découvrir des pauvres, et, en cachette, elle les aidait sur ses fonds
de menus plaisirs. Mais il s'en fallait que ces fonds fussent inépuisables...
Comme beaucoup de femmes, elle s'était attachée avec prédilection à une œuvre
spéciale, qui était celle des femmes en couches ; elle avait organisé un
service régulier d'envois de viande, sans parler des secours occasionnels en
argent ou en nature. Elle
s'occupait personnellement aussi de l'Hôtel-Dieu, et elle travaillait de ses
mains dans un ouvroir, créé par ses soins, qui chaque année distribuait, dans
la petite ville de Blois, cinq cents chemises et cinq cents robes[103]. Et puis
il y avait encore la longue catégorie des œuvres plus spécialement qualifiées
de pies : petites dots de cinquante, de soixante sous, distribuées à des
jeunes filles pauvres, qui portent quelquefois des noms notables : « Jeanne
la belle..., Laurence et Jeanne de Saint-Prest[104]... » pensions à des étudiants
sans ressources ; aumônes à des couvents ; subventions à des églises... La
famille de Jeanne d'Arc avait un droit particulier : « Perrette du Lys »
recevait cinquante sous pour « nourrir ses enfants[105] ». La
charité vraiment florissait en France, c'était presque une chevalerie
nouvelle. Certains hommes du monde sous le nom d'« ami
spirituel » d'un couvent d'hommes ou de femmes, se faisaient quêteurs[106] On ne
peut pas dire que la France ait rien dû sous ce
rapport à l'italianisme. Les Italiens maniaient beaucoup d'argent, beaucoup
plus que tels et tels Français d'une fortune antique et parfois délabrée,
mais leurs charges étaient plus lourdes ; il fallait donner des fêtes,
acheter des tableaux, des villas. Sans vouloir exagérer l'importance d'une
anecdote, il est assez curieux de comparer aux bons procédés en usage à la
cour de France un trait de Jules II : Pendant l'expédition contre Bologne, on
dit au pape qu'un des vieux serviteurs de la cour venait de perdre son unique
mule : « De quoi est-elle morte ? riposta brusquement Jules. — De la mauvaise
eau de Pérouse. — Qu'on fasse venir le maitre d'écurie ! » Tout le monde
croyait que c'était pour remplacer la mule défunte, mais Jules II dit
simplement : « Aie soin de ne faire boire que de l'eau bouillie[107]. » Il y a
en Italie beaucoup de grandes œuvres charitables : la douceur de mœurs, la
compassion y sont extrêmes[108] ; toutefois les banquiers de
là-bas n'aiment pas beaucoup l'aumône anonyme. Cela tient sans doute à ce que
sous un ciel d'azur la misère se porte plus allégrement. Chez nous, où les
astres ne suffisent malheureusement pas à nourrir les loqueteux, les femmes,
malgré les entraînements du luxe, conservèrent noblement les vieilles
traditions. Anne de France et Anne de Bretagne reçurent l'une et l'autre le
surnom de « Mère des Vierges[109] », par allusion aux jeunes
filles sans dot. Anne de France, qu'on a parfois taxée d'avarice, s'ingéniait
à répandre sourdement ses bienfaits, avec autant d'adresse que d'autres à les
afficher. A ses frais, des enfants du peuple intelligents suivaient les « escolles », jus- qu'au « rond bonet
doctoral », les orphelines apprenaient la couture ou un métier quelconque,
les pauvres honteux, les veuves, les impotents, les mendiants, les désespérés
voyaient tomber du ciel une manne inattendue ; les gens de mérite se trou-N.
aient réchauffés, soutenus, élevés, « chéris, nourris, » par un cœur
invisible[110]. Quelle
belle et rare science que celle de savoir donner ! De nos jours, nous voyons
organiser d'innombrables œuvres de charité, des quêtes à outrance, des
moissons d'œuvres. Mais combien de personnes aiment donner ! Marguerite
de France, aussi, en vraie princesse. rut généreuse, et aima le don discret,
ne voulant point, selon l'expression sévère d'un de ses biographes, agir «
comme un bateleur qui joue sur un échafaud », pour ne pas paraître acheter la
faveur du peuple ; « elle disoit les rois et
les princes n'estre les maistres
et seigneurs des pauvres, mais seulement leurs ministres[111] ». Quand on écrit une histoire morale, il faut sonder tous ces doux replis de l'âme féminine, où s'accomplit un si mystérieux travail ! Plus tard, nous verrons les femmes s'agiter sur la scène publique, et offrir au monde ce qu'il réclame. Ici, dans le silence du cœur, elles n'agissent que pour Ales-mêmes ; cependant, même au point de vue social, piles n'accompliront jamais une œuvre plus haute ni plus efficace. Sur la route, si âpre, où tant de malheureux ne peuvent guère faire de philosophie, ne fallait-il point étendre un tapis un peu moelleux, pour rendre les pas plus légers, les cahots moins rudes ? C'était bien, déjà, une véritable œuvre d'amour que celle-là, et bien conforme à la parole du Christ : « Il leur sera beaucoup pardonné, parce qu'elles ont beaucoup aimé ! » Dès les débuts de leur vie, dans les rudiments du ménage, presque à leur insu, les femmes donnent un coup d'aile vers l'idéal, vers l'amour. Ici, l'amour s'appelle la charité, c'est-à-dire l'amour des malades, l'amour des pauvres, l'amour de tout ce qui est faible et de tout ce qui souffre. |
[1]
Anna Karénine.
[2]
Hept. ; La Perriére,
Miroir, pp. 64, 81 et suivantes, 75 et suiv., etc.
[3]
Bouchet, les Triumphes, f° 17 et suiv. :
Pontanus, Amoram, pp. 108, 58 Champier. —
Chappuis, Platina, dans le livre qu'il a dédié au cardinal de Saint-Clément,
prêchent la même doctrine, mais avec la nuance de Montaigne. Voir aussi Gazius.
pp. 17 et suiv.
[4]
S'adressant, cette fois, aux hommes.
« Y cuidez-vous
avoir repos.
En mariage, mes
mignons ?
Ouy dea ! » ricane R. de Collerye
[5]
Barbari, De Re uxoria.
[6]
Ms. fr. 1191.
[7]
« Ce doit estre une volupté aucunement prudente et
consciencieuse (Montaigne, liv. I, ch. XXIX). L'homme n'est-il pas un misérable
animal qu'il ne puisse jouir de rien sans le corrompre ; à peine a-t-il en sa
possession un plaisir entier et pur, qu'il doit se mettre en peine d'en
retrancher ou d'en rabattre. Il faut farder le bonheur comme le malheur. »
[8]
Anne de France.
[9]
Eustache Deschamps, le Miroir de mariage : Champier, la Nef des
darnes : Marc Palingenii, Zodiacus
vitæ ; L. Dolce, Dialogo... della maritata ; Guevara, l’Horloge ; P. ile Changy ; Bouchet, Parc
de noblesse, f° 102 ; Gaufrès...
[10]
Cf. Hept., Nouvelle 51.
[11]
Boemo Aubano, teutonico..., p. 94.
[12]
Boemo Aubano, teutonico..., p. 372.
[13]
Boemo Aubano, teutonico..., p. 79.
[14]
Eloge de la folie, p. 23.
[15]
Hept., Nouvelle 40 ; Louise Labé, p. 52.
[16]
Alione, Complainte d'une jeune fille : Débat du vieulx et du jeune.
[17]
Coquillart, les Droitz nouveaulx.
[18]
Les XV joyes, 5e joie.
[19]
Carmina.
[20]
L'abbé Serassi nous l'a conservé : « Mon cher mari,
j'ai eu une fille, je crois que vous n'en serez pas fiché. Je l'ai eue avec
plus de niai que la précédente, et il m'est arrivé te que je vous ai écrit ;
j'ai eu trois accès de bien forte fièvre. Actuellement pourtant, je me trouve
mieux, et j'espère n'avoir plus de mal. Je ne vous en fais pas écrire plus
long, pour n'être pas trop gaillarde. De tout mon cœur je me recommande à Votre
Seigneurie. Votre femme qui un peu starocca du mal.
Mantoue, le 20 août 1520. »
[21]
Giustinian, I, 279 ; Sanuto. IV, 568 ; Luzio. p. 141.
[22]
Amante, p. 71.
[23]
Hept., Nouvelle 68.
[24]
Du Fall, p. 42.
[25]
Hept., Prologue. — Nouvelle 45.
[26]
Génin, Lettres, I, 313.
[27]
La Ferrière, Marguerite, p. 178.
[28]
Cl. Marot, Epigr. 29.
[29]
Louise de Savoie.
[30]
Les XV joyes, 5e joie.
[31]
Les La Trémoille, III, 44.
[32]
La Vauguyon, f° 28, 29.
[33]
Thibaut, p. 58.
[34]
Dolce.
[35]
Changy, p. 169.
[36]
De Recuperatione, t. II, pp. 316, 333, 344.
[37]
Cardano, De malo medendi usu, grief 23.
[38]
Champier, le Gouvernement de mariage, dans la Nef des dames.
[39]
Gazius, f° 4.
[40]
Guy Papin.
[41]
Nous entendons par « amateurs » les hommes, même non patentés, qui ont le
loisir de pousser à fond leurs études scientifiques. On sait que, de notre
temps, M. Pasteur, M. Claude Bernard n'auraient pas eu le droit de donner une
consultation.
[42]
Agrippa, Epistolarum, liber V ; epistola VII.
[43]
Quelques fragments de son petit discours méritent d'être rapportés. « Je scay véritablement que vous prenez voluntiers
grand plaisir à entendre tels secrets, qui ne sont communément congneus à tous, pour charitablement en ayder
et faire secours aux femmes tant pusillanimes et craintives qu'il leur sembleroit avoir engagé leur honneur ou offensé leur
pudicité si elles descouvroient leurs griefves passions (souffrances) aux médecins doctes et bien
expérimentez, qui ne peuvent tousjours deviner sans préallable déclaration, ne congnoistre
leurs secrètes maladies, néantmoins qu'ils y usent de
conjecture artificielle, dond (sic) elles ne peuvent estre si tost ne si seurement guaries, comme elles seroient en les faisant bien entendre. C'est le tort qu'aujourd'huy se font les femmes trop timides, qui plus tost ont recours aux autres femmes imprudentes qu'aux scavants et experts médecins, qui sans fraude les peuvent
secourir. » (Guill. Chrestien,
p. 105.)
[44]
Montaigne, liv. I, ch. XXIX.
[45]
Dr. Nicaise, p. 78.
[46]
Portesii, Sacra mediciniæ
mysteria, p. 5.
[47]
Portesii, De Laudibus medicinæ : Cf. Champier, le Gouvernement de mariage,
ch. XVII ; Montisiani, Quæstiones, p.
30 ; Gazius.
[48]
La grant Nef des folz
: Palingenii, Zodiacus.
« Je ne dis pas que je ne puisse être emporté un jour à cette opinion ridicule
de remettre mn vie et ma santé à la merci et gouvernement des médecins. dit
Montaigne ; je pourrai tomber en cette rêverie, je ne puis répondre de ma
fermeté future : mais lors aussi, si quelqu'un s'enquiert à moi comme je me
porte, je lui pourrai dire comme Périclès : Vous le pouvez juger par là. »
(Liv. II, ch. XXXVIII.)
[49]
Le Malade ; Sicci, p. 16 v° ; le Jeu des
eschez, p. 38 v ; Gazius, f° 4.
[50]
Cardano, De mato medendi usu.
[51]
Ars memorativa.
[52]
Troïli, Oratio.
[53]
Franck, Paracelse.
[54]
Agrippa, De Vanitate scientiarum,
ch. LXXXIII.
[55]
M. le Dr Nicaise (p. 11) n'a pas relevé moins de 1514 publications médicales
imprimées avant 1505.
[56]
Summa angelica, f° 313.
[57]
Parc de Noblesse. « Ô céleste médecin, s'écrie sainte Thérèse, vous ne
ressemblez que de nom â ces médecins de la terre ! Vous visitez les malades
sans qu'ils vous en prient, et plus volontiers les pauvres que les riches. »
(I, 419.)
[58]
Domenichi, p. 37.
[59]
Pasolini, III, 603.
[60]
Sermones aurei,
1, 3.
[61]
On sait, d'ailleurs, que les médecins devaient être des clercs et ne pas se
marier.
[62]
Le Jeu des echez, p. 39.
[63]
IX, 211, 569-570.
[64]
Champier, le Gouvernement de mariage. ch. XVII.
[65]
L'astrologie, au contraire, paraissait de grande envolée. Savonarole, qui la
combattit en vain (Opus singulare contra l'astrologia ; un bois, de ses œuvres, le représente
discutant avec un astrologue), se moque des prélats romains qui ne faisaient
pas une démarche sans consulter leur astrologue. Les capitaines, les
souverains. Ludovic Sforza, François de Gonzague, n'agissaient pas autrement.
Dans les maisons princières, un médecin, s'il ne se résigne pas à faire de
l'astrologie, jouera toujours un piètre rôle. Il a beau montrer ses fioles, «
contre la mort n'a médicine », tandis-que l'astrologue, homme du monde,
beau, gras, replet, riche, regarde le ciel qui est sans fin (la Danse des
morts) ; il n'y a pas. de métier plus lucratif que
l'astrologie, ni qui tente plus les ambitieux. Il comporte quelque mise en
scène. D'abord l'astrologue est généralement un étranger, nul n'étant prophète
en son pays : Allemand en Italie, ou, ce qui vaut encore mieux, basané. Il se
fait valoir, il se fait attendre. Si on lui envoie une date de naissance pour
tirer un horoscope, il ne répond pas ; il a les yeux tellement perdus par les
veilles, il est si las ! Et les princesses qui font antichambre se (lisent,
émerveillées, qu'il faut prendre patience avec de « telles cervelles » (Luzio,
p. 91). Et puis, on n'imagine pas à quoi servent les étoiles.
Bonaventure des Périers raconte la plaisante histoire
d'un médecin de Paris, qui, sous prétexte de quintessence d'astrologie, ne
montrait d'amabilité à sa femme que les jours de pluie. L'autre, désolée, finit
par s'ingénier d'un expédient très simple ; tous les soirs, elle faisait verser
un baquet d'eau sur le toit, de manière à produire dans les tuyaux un bruit de
chute, et il pleuvait tous les jours. A ce beau jeu, le médecin rendit l'âme ;
sa veuve, qui se trouva riche, se vit l'objet de nombreuses sollicitations.
Elle écarta de prime abord tous les médecins, puis elle demanda à ses
prétendants s'ils connaissaient la lune et les étoiles. Chacun croyait bien
faire de l'affirmer solennellement, et recevait son congé. Il n'y en eut qu'un
assez sot pour avouer que sa science se bornait à prendre la lune et les
étoiles à témoin quand il allait se coucher. Celui-là eut la palme (Contes
et Récréations, Nouvelle XCV). Aucune gloire n'a manqué à l'astrologie :
les médecins et les savants, Blasius, Friese, Schonheiz, Cardano (De Prudentia civili, 128), l'ont pratiquée, défendue, enseignée. Les
grands seigneurs la protègent. Le maréchal Trivulce agrée la dédicace de la Défense
de l'astrologie, de Pirovano. Cette science
compte d'éminents adeptes. Luther s'en sert, à l'appui de sa doctrine
(Friedrich, pp. 16, 106 et suiv.). Michel Servet, après avoir vainement essayé
de la théologie, puis de la médecine, se met a professer l'astrologie transcendante ; il annonçait
les éclipses, les pestes, les guerres, les morts de potentats ; il obtenait un
très grand succès, les écoliers, l'écoutaient bouche bée. Malheureusement, la
Faculté, jalouse, lui fit ordonner de revenir aux sciences naturelles et
d'abandonner l'« almanach ». Servet alors se fit
géographe, et ne tarda pas, du reste, à rentrer dans la mêlée religieuse. L'Atlas
des Astrologues, un des plus curieux monuments du détraquement moral,
dénombre une foule d'astrologues, parmi lesquels les Sibylles du Vatican, le
roi Alphonse de Naples (Triompho, de Fanti,
avec privilège du pape Clément VII).
[66]
Ronsard, Œuvres, I, 19. Cf. Pastor, V, p. 149.
[67]
Nifo, De Intellectu et Dæmonibus.
[68]
Mabilleau, pp. 242 et suiv.
[69]
P. Andrelini, f° 204.
[70] Ronsard, V, pp. 148 et suiv.
[71]
Rodocanachi, p. 13.
[72]
Édition Le Franc, p. 146. Sur la faiblesse des papes de cette époque pour
l'astrologie. V. Pastor, t. V, p. 147.
[73]
Les Évangiles des quenouilles (p. 61) pronostiquent à une femme grosse
un fils ou une fille selon qu'elle aime des récits de bataille, ou qu'elle a
des envies de danse et de musique.
[74]
Pasolini, t. III, pp. 601 et suiv.
[75]
La Nef de santé.
[76]
Gazius ; Chartrier de Thouars, compte de mai 1514.
[77]
Matth. Bossus, dans Drudon.
[78]
Mercato, pp. 153, 179, 218. — On la crut, comme M. Charcot, de nature
hypocondriaque.
[79]
Rod. a Castro, p. 319.
[80]
Erasme, Chriatiani matrimonii
institutio : De Pueris.
[81]
Sermones aurei funebres, Paris, P. Gandoul.
1519 ; serm. VIII.
[82]
JJ. 234, 58 v° : Une des plus grandes dames du temps, Marie de Luxembourg,
comtesse de Vendôme, vit sur le pied de 16.000 livres de rentes.
[83]
Comptes du sire de Créances.
[84]
Histoire du sire d'Azincourt, JJ. 234, 72. Cf. Le Pogge.
[85]
JJ. 231, 169, 1 v°. 81 v°, 234, 72 ; 235, 89 v° ; 230, 136 v°, 202, 17 ; 232,
91. etc.
[86]
G. Cretin, aux dames de Lyon.
[87]
JJ. 320, 129 ; Jouvence!, II, 67, 80.
[88]
Noël du Fall, Propos rustiques ; notre livre la Veille de la Réforme.
[89]
Ch. de Pisan, le Livre des trois vertus ; Platina ; J. Méliot.
[90]
JJ. 231, 66 : Procédures politiques (V. Codeber-Carre).
[91]
Livre III.
[92]
Arch. de La Trémoille, Comptes de 1499-1500, 1505-1506.
[93]
Champier, le Mariage, ch. XVII ; Changy, pp. 224 et suiv. ; Cardan, De
Prudentia, ch. XXXVII ; Bouchet, Epistres, ch. XI-XII ; Molmenti,
le Banquet des chambrières ; Pompeo Colonna, Guevara, etc.
[94]
Voir notre Histoire de Louis XII, Il, 247 et suiv.
[95]
Christine de Pisan.
[96]
Odet d'Aydie.
[97]
Ms. fr. 20421, f° 11, pièce 14.
[98]
Dystiques de Faustus Andrelinus
à Laurent Bureau, confesseur du roi, imprimés à la suite de l'opuscule De secunda victoria.
[99]
KK. 88, 148 v°. Arch. de La Trémoille, compte de novembre 1313 (Charles de La
Trémoille).
[100]
Histoire de Louis XII, II. 244.
[101]
Jour de l'an, malgré les computs officiels, qui comptent le commencement
de l'année à des époques variables. Voir not. Facéties de Pogge, édition Liseux, facétie 189 (les calendes de janvier, quod est anni principium : l'année
florentine officielle commençait au 25 mars) ; Sanuto, pour Venise, etc. etc.
[102]
Scène de ce genre à La Rochefoucauld. JJ. 234, 135 : Marcilius,
Historia strenarum, pp. 11, 23, 46.
[103]
Histoire de Louis XII, II, 251.
[104]
KK. 88, f° 18, v° 134.
[105]
KK. 88. f° 134.
[106]
Adrien de Genlis, Honorat de la Jaille sont ainsi « amy
espirituel » (KK. 88, f' 159, f° 181 v°).
[107]
Serassi, Lettere, I,
186.
[108]
Voir Pasolini, I genitori di Torq.
Tasso, pp. 146 et suiv., 56 et suiv.
[109]
Epitaphe, fr. 3939, 2 v°.
[110]
Elle pourvut tant de jeunes filles, « par mariage, et si grant
oing en eust, que mérita mère en estre
nommée ». (La Vauguyon, 3 v°, 33 v°, 34.)
[111]
Sainte-Marthe. Oraison funèbre, p. 3i.