La
France est un singulier pays. Nous sommes un peu grecs, à demi latins ou
ligures, très gaulois ou très germains, et dans l'ouest, pays de Gulf Stream
intellectuel, nous sommes des rêveurs, les Celtes, chantés par M. Legouvé.
Tous ensemble, au Moyen Âge, nous avions fait profession d'adorer les femmes
; l'auteur d'un vieux fabliau prête à la (1 Vierge, en face d'un de nos
braves chevaliers, cette question subtile et profonde : « Ta dame est-elle
plus belle que moi ?... » Mais en pratique, c'est-à-dire en ménage, nous
traitions les femmes comme des femelles, à coups de bâton. Il faut
bien dire aussi que, pendant tout le XVe siècle, la France n'avait pas eu le
loisir de philosopher : la guerre de Cent ans, la véritable agonie qui en
résulta, ensuite, sous Louis XI, un régime de férule et d'impôts,
régénérateur, mais très dur, puis encore la guerre civile, l'expédition
d'Italie, tout cela ne nous laissa pas respirer et pouvait excuser, dans une
certaine mesure, uni regain de grossièreté. C'est seulement dans les dernières
années du siècle que la paix nous permit de songer à nous ; il se produisit
alors comme une-détente électrique d'activité, de bien-être et de bonheur.
Louis XI, qui avait des droits positifs sur la France, l'avait traitée en
mari énergique : Louis XII, qui l'épousa par hasard, la traita avec le culte
délicat d'un amant (pie n'embarrasse point le prosaïsme de la vie. Par
quelle aventure, sous cette influence de paix affectueuse et de contentement
individuel, les Français, jusque-là si portés, quoi qu'ils en pussent dire, à
n'apprécier les femmes que par le côté physique, firent-ils un pas de plus
vers le Midi et en arrivèrent-ils à penser que les femmes pouvaient nous
servir de guides sociaux ? Il y eut là une singulière genèse d'idées. Ces
idées vinrent d'ailleurs. Pendant
notre convalescence, l'Italie s'était transformée. Une grande révolution
morale, religieuse, scientifique, et surtout esthétique, avait mis aux prises
une fois de plus les deux éternels protagonistes, les spiritualistes romains
et les amis de la force matérielle, c'est-à-dire de l'Allemagne impériale. Les
hommes penchent généralement pour le parti de la force ; ils se fout une idée
du bonheur qui consiste à imposer aux autres leur volonté, fût-ce
brutalement, ou tout au moins à endosser un uniforme ; ils naissent
massacreurs ou jockeys. Les
femmes, au contraire, ne peuvent prétendre à une action directe et efficace
que par la spiritualisation de la société ; et ce n'est pas en se mettant à
la discrétion des hommes, quels qu'ils soient, maris, amants, médecins,
hydrothérapistes, ni en se masculinisant de façons ou de langage qu'elles
conquièrent leur liberté. Elles valent au degré où elles se font valoir, et à
condition d'accentuer leur caractère de femmes. C'est
ce que comprirent à merveille les Italiennes, et elles s'y prirent si bien
que la crise tourna à leur profit tout naturellement, sans thèse d'aucune
sorte[1]. Ni les classiques à la mode,
ni Platon ne leur vinrent en aide : elles triomphèrent par elles-mêmes,
souvent à leurs dépens, parce qu'elles firent leur éducation avant
d'entreprendre celle des autres. On en vit beaucoup, d'instruites, de
vaillantes, de noblement généreuses, qui, pendant que les hommes usaient leur
activité au dehors, incarnaient fermement au logis ce superbe mot de
l'Evangile : « Ne soyez pas inquiets » (la seule formule de guérison
qu'on ait découverte contre la neurasthénie). On se moqua un peu d'elles, on
les accusa de vouloir « porter la culotte »[2]... Pas plus que d'autres, les maris
italiens ne se précipitèrent au-devant de leurs femmes pour les proclamer des
divinités : non, ils s'habituèrent à elles peu à peu, sans presque s'en
apercevoir. H était naturel que les dégoûts, les ennuis, les cruautés de la
politique ou des affaires les rejetassent de ce côté ; ce qui était plus
heureux et moins prévu, c'est que, les femmes ayant pris le monopole des
choses qui aident à vivre, on s'aperçut un jour qu'elles faisaient la gloire
de toutes les maisons notables, et que, grâce à elles, la vie était devenue
un art, une passion. Elles
débutèrent ainsi par un rayonnement tout familial ; c'est en remplissant leur
maison de lumière, d'espérance et de gaieté, qu'elles commencèrent à animer
aussi le monde. La science du bonheur se constitua sous une forme tout à fait
pratique et expérimentale, comme la simple médecine, car c'est une médecine
aussi, que la médecine du cœur, et plus difficile, plus délicate peut-être
que la médecine du corps ! Où peut-on appliquer un thermomètre pour savoir
comment l'âme est enfiévrée ? Les don-leurs morales ont cela de particulier
qu'elles se dissimulent, même quand il en résulte un désastre physique ; on
ne les explique pas bien, et personne ne les comprend : et puis, elles se
manifestent étrangement ; c'est dans l'orgueil de la vie, au moment où l'on se
croit le plus fort, qu'on est faible et qu'on court un danger ; la paix est
plus perfide que la bataille, la santé plus dangereuse que la maladie, la
force plus faible que la faiblesse ; ou bien, si l'on sent le mal, on
désespère de trouver le remède, qui se compose de compassion et de
générosité... La médecine féminine consiste à aimer et à haïr. Aimer,
c'est-à-dire donner quelque chose tiré de soi-même ; agir non pas par cette
large charité mondaine, d'ailleurs très méritoire, — et souvent fort
ennuyeuse, — qui a pour but de mettre son nom ou même sa personne en tête
d'une œuvre, mais par cette modeste charité individuelle, qui distribue
humblement, sans bruit, un peu de cœur, un peu de flamme, un peu d'élan. Ces
femmes-là sont vraiment grandes dames ; donner est un besoin pour elles et
comme une seconde nature. Elles sont nées généreuses. Elles cherchent leur
bonheur par le bonheur d'autrui, sans même se demander si cela est
philosophique. Haïr !
Elles détestent et combattent résolument les facteurs de la force, dont les
hommes jouissent le plus, et qui, d'après elles, produisent les pires maux :
le pouvoir de l'argent, le pouvoir de la guerre. L'égoïsme
de l'argent est, à leur avis, la, source même du matérialisme, contre lequel
il faut lutter. Elles soutiendront de ce côté-là une bataille longue et
savante, que nous suivrons dans toutes ses phases. Quant à
la guerre, c'est l'ennemi' élémentaire contre lequel on se débat d'emblée.
Les petites guerres italiennes du moyen âge ne ressemblaient pas à nos vastes
hécatombes, mais elles fourmillaient d'atrocités, de ripailles et de
vengeances[3] ; la guerre est moins cruelle,
peut-être, quand on ne joue pas avec elle. Un assaut, au début de la
campagne, passait presque pour une mesure de tactique et d'humanité,
puisqu'il économisait, par la suite, bien des résistances : mais quelle
horrible chose ! et, naturellement, ce sont les femmes qui en pâtissent le
plus. Elles ont beau se bousculer, parmi les flammes, aux pieds d'un ange de
pierre ou d'une madone à l'éternel sourire... on voit de pauvres filles se
jeter à l'eau, ou de nobles dames, sereines, chercher à sauver habilement ce
qui peut se sauver, la vie de leur mari ou leur fortune. Bien des siècles
avaient passé, depuis que saint Augustin offrait ses tendres consolations aux
victimes des barbares ; il aurait pu les formuler encore, lorsque les
Français prirent Padoue ou les Allemands Home, ou même à ce modeste assaut de
Rivolta, en 1509, où un capitaine italien mangea le cœur d'un de ses ennemis
politiques, éventra la femme de cet homme et fit de son cadavre une mangeoire[4]. En
dehors de ses grands éclats, la guerre n'était pas plus humaine. L'historien
de Bayard n'a pas de termes pour célébrer la magnanimité de son héros, parce
qu'il voulut bien, à Brescia, respecter deux jeunes filles distinguées qui
l'avaient reçu, soigné et guéri de ses blessures avec un dévouement de sœurs de
charité[5] ! Et, même en temps de
paix, les habitudes militaires devenaient tellement[6] gênantes que les gens paisibles
réclamaient ardemment une guerre pour s'en débarrasser[7]. Depuis
des siècles, les savants, les philosophes dissertaient sur les inconvénients
de la guerre ; les conciles avaient essayé d'intervenir, et la guerre florissait
toujours. L'idée de la supprimer paraissait une simple utopie. On
aurait pu du moins essayer de l'endiguer, en faisant appel au concours des
forces morales ; mais c'était un phénomène singulier que, plus le XVe siècle
italien paraissait prendre d'éclat artistique et intellectuel, plus ses
forces morales semblaient décliner. Le
christianisme, trop souvent passé à l'état de mécanisme, « pullulant[8] » d'abus, chargé de
pratiques, touchait médiocrement les esprits. A côté de quelques savants
membres du clergé, un peu hors rang, il y avait une masse de praticiens qui
ne s'inquiétaient guère de repenser à nouveau ce que d'autres avaient pensé
avant eux : on ne parlait ni d'amour, ni d'espérance, mais seulement de foi :
une foi que les âmes brutales voulaient abattre et que quelques âmes
délicates voulaient vivifier, ce qui la mettait également en péril. Pour le
peuple, il se laissait encore bercer de la vieille cantilène habituelle,
nonchalamment ; il restait chrétien par paresse, ainsi que beaucoup de gens
du monde ; mais on pouvait se demander si, à la première secousse, il ne
réclamerait pas un air plus gai, « un air de flûtes et de violons, » comme dit
M. Heine ; le paradis, au lieu de l'enfer. Quant à
la science, les beaux esprits s'accordaient à reconnaître sa faillite, qui ne
faisait pas de doute. On était las, las de raisonner, de lire, d'écrire, de
s'inquiéter ! Tragique et épouvantée, la science ne cherchait qu'à se
prosterner devant la foi[9], ou plutôt on se demandait si
elle existait réellement. Un éminent professeur de Sorbonne, Tiphernus, bien
vu à Home, confesse que toute cette science, dont on fait tant d'état et
d'étalage, ne lui paraît pas autre chose que le gagne-pain des professeurs,
le syndicat de toutes les vanités, la franc-maçonnerie d'une foule de
pédants, de critiques plus ou moins ignares, ou d'imitateurs sans vergogne,
qui forment de petites sociétés hors desquelles il n'y a pas de salut. « A
les en croire, s'écrie-t-il, nous ne valons pas les Anciens » : alors les
lions ont perdu leur férocité, les lièvres leur pleutrerie ! car, enfin, la
Providence luit pour tout le monde, et nous ne pouvons pas, nous seuls,
dégénérer ! Syndicat, syndicat ! Sous prétexte de haute science, on drape ses
vices, et notamment sa paresse. Or, quoi qu'on fasse, nous marchons ; chacun
de nous se sent poussé en avant. Les pontifes de la raison, parvenus et
dolents, ont beau vouloir tout confisquer et arrêter le monde au cran de
leurs livres, ils ne nous persuaderont jamais que leur défaillance soit celle
de la nature !... Tiphernus
mourut vers 1466. Ainsi, dès ce moment, on se moquait de la science. Elle
donnait pourtant ce qu'elle devait donner : les armes à feu, la Grèce,
beaucoup de choses admirables, tout sauf le bonheur, qu'elle ne s'était
jamais chargée de procurer. Et c'est sur ce point-là précisément qu'éclatait
le malentendu : à quoi bon la science, l'argent, le travail ou même les
apparences de la joie, si une vie batailleuse, lourde, nous oppresse ?
Pourquoi naître spirituel, gouverner des foules, électriser les âmes, habiter
des palais, si l'on a le cœur vide ? Quand nous connaîtrions les ressorts les
plus cachés de la création, quand il n'y aurait pas sous terre un filon qui
ne fût exploité, ni sur terre une herbe qui ne fût fauchée, quand le genre
humain constituerait un troupeau magnifique, bien nourri et même pacifique, à
quoi bon encore tant d'efforts, s'il n'y a pas une joie ? Tout vit par
l'amour ; au-dessus du travail, et au-dessus de la raison, le cœur se fait
entendre et réclame pour la vie une récompense, un but. Nous périssons faute
d'avoir quelque chose à aimer ; par pitié pour nous, nous devrions nous faire
l'aumône de la vie, c'est-à-dire de l'amour. Tout est vanité, sauf cette vanité-là,
parce qu'avant notre naissance et jusqu'à notre mort, et durant toute notre
existence, elle porte devant nous le flambeau de la vie. Peut-être
vaudrait-il mieux que les hommes pussent se gouverner mécaniquement et
raisonnablement, du fond d'un cabinet, à coup de syllogismes.
Malheureusement, ils n'aiment que ce qui leur plaît ; ce sont de grands
enfants gourmands, sévères et inertes quand on leur parle de la raison, mais
qui, avec enthousiasme, se font tuer pour une chimère. Il est donc
indispensable de bien choisir les chimères et de bien les placer. L'éternelle chimère, c'est l'amour. Mais
qu'est-ce que l'amour ? Voilà la vraie question. Si c'est une fleur à la
Pétrarque, nous l'écrasons sous nos bottes garnies d'acier ; si c'est une
sensation grossière, il nous écrase et nous devons précisément réagir contre
lui. Il faut donc arriver à un fait nouveau : à un amour qui ne soit ni un
objet de luxe, ni un objet de sensualité, qui relève directement du culte du
Beau. Il faut
découvrir une nouvelle sensibilité, haute, forte, féconde, intellectuelle,
presque sacerdotale, qui serve de lien aux intelligences dans la commune
recherche d'un but élevé. Cette subtile énigme nous paraissait fort
décourageante et peut-être oiseuse, mais on en comprenait bien l'importance
en Italie, la terre classique des quintessences d'amour, où, aujourd'hui
encore, on devient député ou sénateur en parlant d'amour plutôt que de
betteraves. La
science de la sensibilité est lettre close pour la plupart des hommes ; ils
se croient toujours trop forts ! ils marchent droitement, parallèlement les
uns aux autres ; le dévouement militaire est leur vertu ; les femmes seules
peuvent servir de lien, tout amollir et tout parer, passer le vernis de
gloire, de désintéressement, sur les choses qui en manquent. C'est pourquoi,
en dehors de leur mission domestique, on peut dire qu'elles ont à jouer un
rôle social de première importance ; plus les hommes deviennent sensibles à
leur action sociale, plus ils se civilisent. Or,
précisément, à l'époque où la France se décida à s'ébranler, les Italiennes
étaient arrivées depuis longtemps à montrer ce qu'on pouvait attendre des
femmes sous ce rapport. Souvent elles affichaient des sentiments qu'on peut
taxer de hardis ou de naïfs, des sentiments primitifs, à la Botticelli ou à
la Pérugin, pleins de verdeur ; il y avait évidemment beaucoup de femmes de
cœur frais et jeune, qui opposaient à la naïveté de la force brutale cette
belle espèce de naïveté, cette adorable confiance dans les choses de la vie
que donne aux âmes tout à fait nettes le culte du beau. Elles sont aux femmes
du XIIIe siècle ce que Memling est à Watteau. Pour bien comprendre leur état
d'âme, il faudrait faire comme elles : résoudre le problème du féminisme dans
le sens féminin ; être femmes, et plus que femmes, archi-femmes. Rien
qu'à remplir leur fonction naturelle, de• présider aux choses agréables,
elles avaient déjà un assez vaste ministère, dans un pays où l'art et le-goût
tenaient une si grande place. Mais elles allaient plus loin. Elles
enseignaient la force morale par le beau ; elles pensaient relever les
hommes, plonger dans leur vie comme des rédemptrices. Certains critiques
disent que l'intervention des femmes, prouve toujours notre décadence, et
que, quand elles, nous sauvent, c'est que nous avons besoin d'être sauvés.
Malheureusement, nous en avons toujours besoin. Certes, les femmes
représentent la Croix-Rouge de la société ; nous, blindés et cuirassés, nous
avons le devoir de ne pas sentir le mal, ou même d'y trouver un certain
bonheur, et de rester froids comme la lame d'une épée ; elles, elles n'ont
pas le droit de n'être pas blessées de ce qu'il y a parmi nous de pitoyable
et de honteux. Elles préféreraient, dites-vous, rester tranquillement dans
l'enceinte de leur parc, à cueillir des fleurs ; certes oui, elles n'agissent
que par devoir, parce qu'elles, ne veulent plus servir d'enjeu aux batailles,
parce qu'il n'y a pas une misère, pas une injustice, pas une ignominie dont
une femme de cœur ne doive se sentir responsable. En remplissant cette
mission, elles ne nous abaissent pas : au contraire ; il n'y a pas, pour
nous, d'ambition plus élevée que de désirer la paix, ni d'acte moins
dégradant que de nous incliner avec respect devant ce que le monde a de plus
noble, la faiblesse et le sentiment. C'est la conviction de tous les fils de
la Renaissance et de ses arrière-petits-fils (même les derniers et les plus
sceptiques, comme M. Mérimée) que le sentiment a des clartés plus hautes que
la raison, et que certaines intuitions du cœur nous découvrent, comme jadis à
Socrate, des horizons fermés à nos yeux ou à notre analyse, un avant-goût du
divin. Las de tourner dans le cercle, étroit et vain, du raisonnement, ces
hommes, sceptiques malgré eux, en arrivent à se confier au sentiment, à
l'espérance, à l'amour ; ils s'en remettent aux femmes qui ont les yeux du
cœur[10]. Ils trouvent à cela un certain
bonheur, et en tout cas le secret de la force. Sans doute, les gens du XVe
siècle n'attachaient pas à l'idée de nombre l'importance philosophique qu'on
lui a donnée depuis lors ; on admettait qu'au nom des droits de
l'intelligence un général commandât toute une armée, un professeur ses
élèves, un maître ses ouvriers ; trois voleurs réunis contre un honnête
homme, quoiqu'en majorité, ne paraissaient pas avoir le droit pour eux ; mais
il n'en est pas moins vrai que l'isolement intellectuel a toujours créé une
situation pénible : « Le vulgaire peut me juger à sa façon et me prendre pour
qui il voudra, s'écrie avec beaucoup de feu Tiphernus, ce professeur dont
nous avons déjà parlé ; que d'autres plaisent à la multitude ! je mets ma
fierté, moi, à plaire à deux ou trois personnes. » Tous les subtils qui
tiennent ce beau langage relèvent fatalement de la femme[11] ; car enfin l'approbation de
deux ou trois hommes, même d'esprit, ne les mènerait pas loin, tandis qu'avec
l'enthousiasme de deux ou trois femmes on peut, à la rigueur, se satisfaire.
Et ainsi s'accomplit l'acte de la civilisation ; on remplace la vulgarité,
fût-ce celle du bon sens, par l'apprêt des choses parfaites, les femmes ayant
horreur de la force, de la loi du nombre, de la grossièreté banale. Telle
est l'atmosphère absolument nouvelle et un peu surchauffée, où l'influence
des femmes se développe et fleurit. La révolution était profonde :
jusqu'alors, le système du monde avait porté entièrement sur les principes de
bien ou de vrai, dont on tirait une morale pratique et utilitaire : on se
déliait extrêmement de l'idée du beau, et, loin de la croire purificatrice,
beaucoup de gens n'y voyaient qu'un motif d'affaiblissement moral. On avait
prêché la religion terrible et le formalisme des pratiques : il semblait
qu'il n'y eût aucun milieu pour la vie, entre les virginaux enseignements
d'un catéchisme actuel de Persévérance ou les derniers degrés du, vice. Et
voici que maintenant les générations nouvelles ne voulaient plus considérer
le bonheur terrestre comme une chimère, ni l'amour prêché par l'Evangile
comme un leurre, et se flattaient de trouver un moyen de bâtir la vie sur la
liberté... Un mysticisme, fait de neige et de brouillard, avait célébré
l'anéantissement, le scepticisme terrestre, la volupté de la souffrance, ou
tout au moins la recherche du bonheur par la résignation, et il avait eu pour
effet d'élever à une perfection éthérée une toute petite élite, et de
déchaîner sauvagement, sans frein, la masse du monde ; le pendule moral avait
oscillé violemment de l'éther à la boue, de la boue à l'éther : M. Huysmans
nous a décrit cet état d'instabilité. Et, au
contraire, on voulait se trouver désormais sous un ciel calme et rayonnant ;
il s'agissait de prendre les dons de Dieu pour ce qu'ils étaient, sans nier
ni le corps ni l'âme, et de tout idéaliser. On se bornait à affirmer la
primauté de l'âme ; if semblait que la science du bonheur devait
consister à s'abstraire des personnalités matérielles et à remonter aux
idées. Dès lors, c'est bien aux femmes qu'il appartient de gouverner le monde
supérieur, le royaume du sentiment. Elles endormiront les appétits, elles
prendront les hommes d'âme pesante, que le labeur matériel retient à ras
terre ; elles trieront les délicats, les âmes légères, pour en former une
aristocratie intellectuelle ; quant aux autres, elles les tiendront un peu
au-dessus d'eux-mêmes. Les
délicats se reconnaissent à la soif d'idéal. Au premier abord, on pourrait
croire qu'on les rencontrera surtout parmi les hommes du monde, ou tout au
moins parmi les hommes de loisir : ceux-là ont la bonne fortune de se
scruter, la possibilité de s'écouter, la facilité des impressions ; ils ne
sont point déformés par le labeur quotidien, ils se sont retrempés dans les
grands spectacles ; la Méditerranée, délicieuse et enjôleuse, les a bercés
sur son flot caressant et a pu déjà accomplir à leur égard la moitié de la
tâche, en réfléchissant le ciel dans son sourire féminin... Mais non ; faute
de discipline, les oisifs penchent vers le sensualisme. Par conséquent, les
femmes s'adresseront surtout aux hommes qui savent travailler. Et leur
programme sera celui-ci : Elles s'interposeront entre ciel et terre, presque
comme des anges ; elles nous aimeront, et nous les aimerons ; elles
transposeront légèrement la gamme de la vie, de manière à en faire une œuvre
d'art. Elles effaceront deux des trois forces aveugles qui nous gouvernent,
la Mort, la Fortune et l'Amour[12]. Si elles n'empêchent pas
toutes les défaillances ou les faiblesses, elles les réconforteront par un
puissant élixir, emprunté à un Dieu philosophique, comme les médecins qui
guérissent par les contraires[13]. Tant de ressorts crient et se
cassent faute d'une goutte d'huile ! elles verseront cette goutte. Tant de
nobles choses manquent de la sève de vie ! elles mettront -cette sève, cette
vie, cette âme. La sève d'amour fait fleurir les épines ! «
Si l'amour fault, la foy n'est plus chérie ; Si
foy périt, l'amour s'en va périe. Pour
ce, les ay en devise liez : Amour
et foy[14]. » Et par
là, il s'agit d'arriver à la transformation, ou du moins à l'amélioration du
monde. Les hommes ne sont peut-être pas aussi revêches et brutaux qu'ils
l'affirment : à les en croire, ils se satisferaient fort bien d'accomplir le
voyage de la vie en dormant et en mangeant, portières fermées. Il ne faut pas
les croire. Ils se sont renfermés dans un rude atelier : ouvrez les fenêtres,
faites entrer largement le soleil[15], la chaleur, la lumière, les
effluves de la vie[16]. L'ancien système de la morale
à verrous, on n'en a que trop vu les effets : le dégoût du vice, le noble
orgueil de la vertu et de l'intelligence esthétique sont des forces aussi ;
et, seules, de la demeure terrible, elles peuvent faire une demeure vraiment
sacrée, ouverte, libre, chère à nos cœurs, le monument de la piété humaine et
du bonheur. Ainsi,
en résumé, on arrivait à cette conclusion que les femmes peuvent se
transformer et devenir le premier facteur sociologique, celui du bonheur.
Elles étaient jusqu'à présent la doublure de leurs maris, elles se croyaient
obligées de s'intéresser aux travaux, aux idées, aux goûts d'un homme, sans
autre récompense que la satisfaction du devoir accompli. Il fallait qu'elles
sortissent, comme le papillon de sa chrysalide, et qu'elles devinssent des
femmes pleines de charme pour diriger les choses dont les hommes croient
avoir la conduite, et pour séduire, envelopper, lutter au besoin, mais sans
violence ni éclat ; puis, de là, elles devaient passer au degré supérieur,
devenir des femmes aimées, répandre l'amour, tout rapprocher. Grâce à
ces idées, l'Italie avait pris, à la fin du XVe siècle, un prodigieux élan
vers le beau[17]. L'Espagne,
de même, s'était élancée vers la chevalerie ; on eût dit un lever de rideau,
tant la transformation fut soudaine ; les femmes, jusque-là confinées dans
leur gynécée, apparurent toutes rayonnantes, comme des déesses. La
France, au contraire, se méfia profondément de ces idées nouvelles, et les
repoussa longtemps, parce que c'était une mode italienne. Nous connaissions
l'Italie, mais sous des couleurs très fausses ; elle mettait sa gloire à
s'élever 'au-dessus de l'or et du sang, à vivre par les femmes, les prélats,
les artistes, et nous ne la connaissions que par des commerçants et des
soldats. Ses banquiers, établis dans nos villes, les « lombards », comme on
disait avec mépris, passaient aux yeux du peuple pour des hommes sans patrie,
des oiseaux de proie alliés aux juifs ; nos chevaliers, encore ensorcelés des
joies de leurs expéditions, ne parlaient soi-disant que d'un peuple sans
armes ou de femmes sans défense. Le clergé français ajoutait à ce concert sa
note très anti-romaine. Et ainsi on se figurait l'Italie assez facilement
comme une caverne de plaisir ; mais d'aller y chercher le secret
philosophique du bonheur, l'idée paraissait bizarre. Au
point de vue intellectuel, l'Italie se fit aussi assez mal juger chez nous
par les personnages qu'elle nous députa : des professeurs plus ou moins
avariés[18], exilés plus ou moins
volontaires[19], besogneux, âpres, prétentieux[20], et fort peu philosophes à
l'égard de leurs concurrents[21] : ou bien tous ceux qui
carillonnaient l'honneur que nous avions eu de les battre, les Stoa, les
Soardi, les Équicola, fort appliqués à faire de Louis XII un nouveau
Charlemagne — dans ce temps-là, Charlemagne était encore français — ; ou
encore César Borgia et son brillant cortège, que nous regardâmes
irrespectueusement défiler[22]. Parce que César Borgia nous
déplaisait ou parce que plusieurs d'entre nous avaient rencontré sur les
grandes routes d'Italie quelques femmes de tenue facile, une idée italienne
nous paraissait une idée fausse : nous nous cantonnions dans ce que Pontanus,
Jules II et autres Italiens restés en Italie appelaient notre « barbarie
», et, comme nous nous vantions de logique, nous ne sortîmes de cette répulsion
que pour adopter absolument et indistinctement toutes les modes d'Italie ;
pour cela, il fallait que Louis XII se dévouât à mourir et François Ier à
régner ; c'est du moins ce que Castiglione, le docteur de la nouvelle école,
a affirmé en termes formels, après l'avènement de François Ier[23] ; et c'est ce qui se produisit. Ainsi
les femmes sont reines ; elles passent comme des fées. « C'est peu de dire
d'une femme qu'elle ne détruit pas les fleurs là où elle pose le pied, il
faut qu'elle les ranime. Les campanules doivent, non s'affaisser quand elle
passe, mais fleurir[24]. » Nous ne
prétendons pas que ce système soit parfait, et notre but est précisément d'en
examiner avec le plus grand soin les côtés brillants et les côtés faibles ;
mais il est certain que, de prime abord, à côté de presque tous les hommes
illustres qui fleurissent alors si nombreux, on voit se dessiner la
silhouette de la femme indispensable, non pas tyran ni même directrice, mais
tutrice, régente[25]... mère plutôt, puisqu'elle les
enfante à la vie supérieure, ou plutôt encore lumière, soleil, chaleur
réchauffante et vivifiante, selon le mot de Schiller : « L'amour est le
soleil du génie. » — « Sans les femmes, dit Castiglione, il n'y a
rien de possible, ni courage militaire, ni art, ni poésie, ni musique, ni
philosophie, ni même religion ; on ne voit vraiment Dieu que par elles. »
Cette observation n'était pas nouvelle, Salomon l'avait déjà faite ; mais il
faut croire qu'il y avait des conclusions nouvelles à en tirer, puisqu'on
espérait y trouver la réponse à cette irritante question du bonheur qui se
pose vainement depuis le commencement du monde. Pour
bien comprendre comment les femmes se transformèrent, il faut, à leur
exemple, se rendre l'esprit libre. Elles eurent ce courage ! elles
regardèrent la vie en face, d'un mil de femme, il est vrai, fin, subtil et
compliqué ; elles regardèrent, et souvent elles ne comprirent pas très bien
leurs propres impressions, mobiles et plutôt ardentes que très définies ;
souvent aussi, sous le coup de ces impressions, elles agirent en vraies
femmes, avec des ruses et des réserves, se dérobant aux conséquences de leurs
théories, tournant l'obstacle qu'elles poussaient à attaquer (le front. Leurs
œuvres et leurs pensées sont difficiles à préciser. On ne peut pas ici, comme
dans une histoire ordinaire, se laisser aller à un simple enchaînement de
faits ; on doit agir comme un chimiste, analyser ces éléments si divers et si
compliqués, et chercher à retrouver une formule commune. Cette
formule, la voici : vivre, c'est-à-dire aimer la vie, se rendre maître de la
vie sans se laisser écraser ni dominer par elle. Cela
vaut bien la peine de déchiffrer quelques cœurs de femmes, quand même ils
seraient d'une écriture moins claire que les manuscrits ordinaires !... On
s'appliqua sincèrement à aimer la vie, on l'aima, on repoussa tout ce qui est
négatif, ce qui l'obstrue, l'accable ou la paralyse, la mort ! Au lieu de
céder au scepticisme des choses, on voulut porter l'amour jusqu'au degré
stoïque, soulever les poids les plus lourds, regarder la consolante étoile
qui nous parle de l'amour éternel. Chaque
femme va commencer par se racheter elle-même... Elle est d'abord livrée à
l'existence, encore enfant, et presque inconsciente : tout aussitôt,
d'austères devoirs, d'une nature matérielle et écrasante, s'emparent d'elle ;
elle est comme broyée et laminée par des forces très rudes, l'autorité si
ferme du mari, l'idée d'obéissance, les épreuves de la maternité, fécondes en
joies, mais aussi en duretés et en soucis ; tandis que sa volonté est
annihilée et asservie, et que son cœur souvent reste inexploré, elle assiste,
avec souffrance, avec dégoût, au désastre de sa chair, cette chair devenue
chair de douleur, chair de mort, pour donner naissance à la vie matérielle. Comment,
tout d'un coup, un tressaillement peut-il se produire, et de cette triste
larve faire sortir l'être lumineux ? Comment, de cette matière toute humaine,
les femmes arrivent-elles à tirer quelque chose de divin et passent-elles de
la production physique à la production intellectuelle, voilà ce que nous
devons avant tout chercher à déterminer. Il ne
faut pas s'attendre à ce que nous présentions aux lecteurs des femmes
avocats, ni ingénieurs, ni professionnellement savantes et encore moins
pédantes. Non, ces femmes sont tout simplement des femmes modestes, mêlées
aux plus humbles devoirs de la vie courante, mais qui, tout simplement aussi,
ont découvert, en dehors de la charité matérielle, la nécessité absolue d'une
autre charité, la charité morale, pour les pauvretés morales et
intellectuelles, pour ces indigents de bonheur, qui sont si nombreux et qui
se trouvent partout, même derrière les barrières du Louvre. Si elles accomplissent une révolution, c'est une révolution pacifique et intime. Elles ne soulèvent aucun pavé, elles n'affichent rien, elles ne lancent aucune déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne. Bien que les lois ne leur soient généralement pas favorables, elles ne réclament aucun amendement aux lois ; les mêmes magistrats que par le passé continuent sur les mêmes sièges à rendre les mêmes jugements, les politiques continuent à s'enrichir, les laboureurs à labourer, les ingénieurs à faire des ponts et à empierrer les routes, les notaires à compulser des rôles. Rien n'est changé, en apparence, dans le train matériel du monde, sauf qu'un pouvoir moral s'est institué, et que, comme les déesses du bonheur peintes par Nattier, des femmes, faussement nonchalantes, se sont donné la garde d'une urne mystérieuse, d'où la vie semble couler toute seule, sans le secours de juges, d'ingénieurs ou de notaires, et qui n'en répand pas moins, à chaque instant, le courant essentiel de fraîcheur et de fécondité. |
[1]
« L'histoire du mariage est l'histoire d'une relation dans laquelle les femmes
ont graduellement triomphé des passions, des préjugés et des intérêts égoïstes
des hommes : voilà l'image d'un vrai progrès. » (M. Brunetière, analysant
d'après E. Westermach, Revue des Deux Mondes. 1er mai 1895, p. 145.)
[2]
Une caricature italienne, d'environ 1430, représente satiriquement une lutte
violente des femmes, pour porter le haut-de-chausse (reproduction dans le Recueil
de la Société internationale chalcographique, 1886, pl. I). Les Français
ont refait cette caricature au XVIe siècle (Bouchot, Femmes de Brantôme,
p. 272).
[3]
M. Thureau-Dangin, p. 224.
[4]
Heptaméron, Nouvelle 51.
[5]
P. 339.
[6]
Voir notre livre : la Veille de la Réforme.
[7]
Guillaume Houvet écrit avec un grand soupir de soulagement : « On annonce que
le roi va en guerre contre les Vénitiens pour délivrer le royaume de France
d'on tas de brigands. Dieu veuille qu'il en soit ainsi ! » Voilà le remède
qu'on trouvait : acclimater la guerre. Quant à François Ier personnellement,
avant même de monter sur le trône, il ne cachait pas son appétit d'une
expédition à Milan. (Voir Louise de Savoie.)
[8]
Cl. Colet.
[9]
V. la description du tombeau d'Aragozzi, secrétaire de Martin V, par Michelozzo
Michelozzi (vers 1428) à Moutepulciano, dans M. P. Bourget, Sensations
d’Italie, p. 86.
[10]
Billon, p. 145.
[11]
Voir aussi les élégies, distillantes de miel antique, adressées à une jeune
fille blonde et chaste, par Octavio de Viterbe, dit Cléophile.
[12]
Pierre Michault, dans la Danse aux Aveugles, voit en songe tout le genre
humain qui danse devant Cupidon, la Fortune ou la Mort. « La Mort, la Fortune
et l'Amour sont trois aveugles-nés qui gouvernent le monde. » (Voltaire, cité
par Sainte-Beuve, Tableau... de la poésie française au XVe siècle,
édition 1813, p. 19. Voltaire a écrit Plutus, la Fortune et l'Amour.)
[13]
Le Jeu des eschez moralisé, p. 91.
[14]
Clément Marot, sur la devise de Madame de Lorraine, Amour et Foy, édition
d'Héricault, p. 204.
[15]
Castiglione, p. 556.
[16]
Pontanus.
[17]
Une des femmes les plus distinguées de l'Italie actuelle, en° la comtesse
Pasolini, nous assure que la grande influence que les femmes exercent encore en
Italie vient de ce qu'elles sont beaucoup plus rapprochées que les hommes des
idées du XVe siècle.
[18]
Pour le dire en passant, l'italianisme de la fin du siècle, qu'on considère
généralement comme né de l'expédition de Charles VIII en Italie, remonte
réellement à Louis XI. Nous avons eu occasion de montrer combien Louis XI était
Italien d'éducation et de goûts (notre Histoire de Louis XII, t. I). Les
Italiens affluèrent en France sous son règne. M. Henri de la Tour nous a
récemment montré, dans une très intéressante notice, l'Italien Jean de Candida,
attiré à la cour de France en 1482, et, en même temps que médailleur de
profession, auteur, pour l'usage du jeune Charles VIII, d'une Histoire de
France, d'ailleurs assez médiocre, que M. Couderc a fait connaitre. Candida fut
lié avec tous les principaux personnages de la cour ; il exécuta pour Louise de
Savoie la médaille de François à l'âge de dix ans.
[19]
Cornelio Vitelli, qui s'intitulait Corythius pour le public, vint chez nous, en
1482 (Ginguené, pp. 146 et suiv.), par ce simple motif qqe le séjour de son
pays lui était devenu impossible. On n'a pas beaucoup de détails sur lui, non
plus que sur son collègue Girolatno Balbi, personnage altier et batailleur. Un
troisième Italien, Fauste Andrelini de Forli, débarqua en 1848, sous les
auspices du marquis de Mantoue. Andrelini, qui vécut à Paris fort à son aise
jusqu'en 1518, année de sa mort, avait pour tout bagage les souvenirs d'une
petite amourette, qu'il nous a confiés en trois livres de vers, ses « pages
de jeunesse », comme on dirait aujourd'hui. Exilé, mendiant, quasi nu,
mais poète, il fut, aussitôt son arrivée, choyé, adopté, idolâtré et le favori
du chancelier Guillaume de Rochefort et de la fortune.
[20]
Fauste Andrelin fut l'objet d'incroyables flagorneries ; Erasme, qui est un
sage, se borne à l'appeler a divin », mais on ne se gênait pas pour proclamer
que « lui seul avait rendu la France de famélique rassasiée, d'inculte bien
cultivée, de sèche verdoyante, de barbare latine » (Giov. Cordigero), et un des
plus nobles caractères du temps, Guillaume Budé, s'est laissé aller â lui
dédier cette étonnante épitaphe : « Cy glt Faustus. Si les destins ne nous
l'eussent donné, le Gète lui-même ne serait pas plus barbare que le Français. »
Sitôt enterré, on ne le traita plus que de coquin. (Tiraboschi, VII, 400.)
[21]
La polémique d'Andrelini contre Balbi surexcita violemment les esprits.
Guillaume Tardif écrivit des Anti-Balbica, Gaguin prit très vivement parti dans
sa pièce Pœsis in detructorem, Gaguinus, Fausta poete regio, imprimée en
plaquette. Andrelini se montra injurieux jusqu'à l'ignoble vis-à-vis du
professeur de grec Aleandri (not. F° 110).
[22]
Une académie â l'italienne florissait cependant à Valence, chef-lieu de ses
domaines français (De Laudibus prudentie).
[23]
P. 112. On peut voir, à Fontainebleau, la fresque, si curieuse, où François
Ier, sans fausse modestie, s'est fait représenter ouvrant la porte du temple de
la Civilisation.
[24]
Ruskin.
[25]
MM. Iriarte, Müntz, Burckhardt, etc.