I. — VUE GÉNÉRALE DU IVe SIÈCLE. Caractère des tendances nouvelles. — Si le mouvement intellectuel et artistique d’un siècle n’est jamais entièrement semblable à celui du siècle précédent, il n’en est jamais non plus indépendant. Tout se tient, en somme, et tout se continue, dans la vie de l’esprit humain comme dans celle de la nature. Mais rien ne se continue sans changer. Dans ce changement nécessaire, il y a progrès et développement sur certains points, affaiblissement et diminution sur d’autres, et toujours introduction d’éléments nouveaux. Le Ve siècle avait été, en philosophie, un temps d’initiative féconde et ardente. Différentes directions s’étaient ouvertes devant l’effort de la pensée qu’excitait le besoin de savoir et qui se plaisait à construire. On aurait pu s’attendre à voir la recherche se poursuivre en divergeant de plus en plus. Mais, dès la fin du siècle, un penseur, Socrate, s’était séparé de tous les autres. Le IVe siècle allait montrer tout ce qu’il y avait de richesse dans la méthode dont il avait été l’initiateur. C’est la pensée socratique qui va devenir alors la source du plus important développement philosophique que l’antiquité ait connu. Dans le domaine de l’histoire aussi, le Ve siècle avait été créateur. Là, le génie d’Hérodote et celui de Thucydide avaient donné des exemples qui ne pouvaient être perdus. C’est sur leurs traces naturellement que les historiens du IVe siècle devaient se sentir obligés de marcher. Imitateurs, ils le seront du moins diversement, et, en imitant, ils seront, à certains égards novateurs ; leur mérite sera d’adapter l’historiographie au goût de leur temps, de la mettre, pour ainsi dire, à la mode du jour, d’en faire un des sujets de lecture, à la fois agréables et nécessaires, dont aucun esprit cultivé ne pourra désormais se passer. Tous, à des degrés divers, ils y introduiront l’observation et la peinture de la vie, les portraits, la mise en scène des individus ; formés presque tous par les maîtres de l’éloquence contemporaine, ils seront à leur tour d’utiles instructeurs pour les orateurs. A l’éloquence politique, ils fourniront l’aliment solide de la connaissance historique, l’étude réfléchie des événements et des actions, d’où elle tirera une force incomparable. A l’éloquence judiciaire, ils suggéreront le goût d’une fine et délicate psychologie, d’accord en cela d’ailleurs avec la tendance moralisante de la philosophie. Quant à la poésie, c’est elle évidemment qui va subir, au IVe siècle, la plus sensible diminution. La tragédie, si grande au temps d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, s’éteint entre les mains de leurs successeurs. La poésie lyrique perd toute grande et généreuse inspiration. Seule, la comédie, après une période d’hésitation, retrouve pour quelque temps une vitalité nouvelle, qu’elle doit à une fine imitation de la vie du temps ; elle crée ainsi des œuvres charmantes, qui constituent un genre nouveau, destiné à se perpétuer jusque dans les temps modernes. Tout ce qui vient d’être dit des œuvres littéraires s’applique d’une manière générale aux for mes de l’art, architecture, sculpture, peinture, arts décoratifs. Partout se font sentir des tendances communes, qui donnent à la civilisation grecque du IVe siècle son caractère distinctif. Etudions les sommairement dans leurs principaux représentants. II. — LA PHILOSOPHIE : PLATON ET ARISTOTE. Caractère religieux de la philosophie de Platon. — Socrate a été représenté plus haut comme l’initiateur d’une philosophie toute pénétrée de religion. Platon, son plus illustre disciple, supérieur de beaucoup à son maître par l’étendue de ses connaissances et par son génie créateur, recueillit cette tradition et la développa avec toute son âme. La religion de Socrate n’était encore qu’à l’état d’ébauche dans ses entretiens, où il s’attachait moins à construire immédiatement qu’à jeter les fondements d’une construction future. Platon, par une méditation assidue et par un long enseignement dont ces œuvres écrites nous ont conservé l’écho, lui fit prendre une forme arrêtée ; il la rendit ainsi capable de se perpétuer après lui, sans qu’elle eût à subir chez ceux qui s’en sont faits les continuateurs, de modifications très profondes. Depuis longtemps déjà, et presque dès l’origine, la pensée philosophique s’était sentie obligée de s’émanciper de la religion traditionnelle. Elle l’avait fait de telle manière, avant Socrate, qu’en fait elle Semblait devoir abolir en même temps le sentiment religieux. Ce sentiment était au contraire très fort chez Socrate, il essaya de transformer la religion au lieu de la détruire. Chose singulièrement délicate et difficile. Quels éléments de croyance populaire était-il indispensable d’éliminer ? Que convenait-il de conserver et d’adapter P Il ne semble pas qu’il art réussi Y se fane sur ces questions une opinion définitive. Platon s’y appliqua toute sa vie. Associant étroitement, comme son maître, la morale à la religion, et soumettant celle-ci à la raison, il n’hésita pas à rejeter ouvertement tout ce que la mythologie contenait d’immoral ou d’absurde. Il le fit même avec une vivacité qui rappelait les hardiesses satiriques de Xénophane. Toutefois, cette réprobation n’allait pas jusqu’à proscrire la conception polythéiste ; il lui suffisait d’y introduire une notion d’ordre et de hiérarchie qui donnait satisfaction à la tendance monothéiste de sa pensée. Attaché fermement à l’idée d’une intervention divine dans les choses humaines, il rie lui répugnait pas de l’imputer à des paissances distinctes, à la condition seulement de subordonner celles-ci à une autorité supérieure et de les représenter comme collaborant à un même dessein. Définit d’une façon précise la nature et les pouvoirs de ces dieux secondaires n’était pas d’ailleurs, selon lui, chose possible ni nécessaire, aussi, par une complaisance d’imagination qui ne lui paraissait pas tirer à conséquence, s’en remettait-il de ce soin à la tradition et aux révélations antiques, sans leur attribuer néanmoins une autorité dogmatique ; c’était faire au mythe sa part, tout en réservant à la pensée philosophique sa liberté. L’essentiel lui paraissait être l’affirmation d’un ordre universel, conforme à la raison. De telle sorte que de ce polythéisme restreint, où les antiques croyances trouvaient leur compte, se dégageait en définitive l’idée d’une souveraineté divine, caractérisée à la fois par la perfection et par la puissance. Non pas, toutefois, puissance absolument illimitée ; un certain dualisme subsistait dans la pensée du philosophe ; il le croyait nécessaire pour expliquer le mal. La puissance divine, suivant lui, tout en voulant uniquement le bien et en cherchant à le réaliser par la création, ne pouvait créer que dans la matière, c’est-à-dire dans le fini et dans l’imperfection. Ainsi était ouverte la voie où devait s’engager pour longtemps toute philosophie désireuse d’expliquer l’antinomie de l’idéal et de la réalité. Manifestement, cette théologie, qu’elle le voulût ou non, tendait à se dépouiller de tout caractère national ; et c’est là un fait sur lequel il importe d’attirer particulièrement l’attention. En s’affranchissant de la mythologie et de ses fables poétiques, elle rompait les attaches qui enchaînaient les croyances de la Grèce au sol natal. La religion de Platon n’était plus la religion d’un peuple déterminé ; rien ne l’empêchait de devenir universelle. Et elle s’y prêtait d’autant mieux qu’elle complétait sur des points essentiels les données vagues ou insuffisantes de la tradition. Le premier, en effet, Platon essaya de démontrer méthodiquement l’immortalité de l’âme par un enchaînement de preuves qui lui paiais5alent se compléter mutuellement. Sous l’influence du pythagorisme et aussi des idées orphiques, qu’il traduisait et transposait à sa manière, il se fit sur ce sujet une doctrine, qu’il a développée particulièrement dans le Ménon, dans le Phédon et dans la République. Il admettait que l’âme de chaque homme apportait, en prenant corps, les souvenirs plus ou moins effacés d’une vie antérieure, où elle avait eu l’intuition des réalités substantielles que l’intelligence peut ensuite ressaisir. Et il enseignait que, selon qu’elle savait plus ou moins ranimer ces souvenirs par la réflexion et la dialectique au contact des impressions sensibles, elle se préparait un sort plus ou moins heureux dans des existences ultérieures. A cette doctrine, — en s’inspirant de l’orphisme et des mystères, mais en adaptant librement ces emprunts à ses idées personnelles, — il joignait la conception d’un jugement des morts, de peines et de récompenses, d’un cycle de transformations, auquel il assignait pour terme, comme le but suprême à atteindre, le retour à la pure contemplation de Dieu. C’est ainsi que sa philosophie essayait de répondre à des questions troublantes que l’humanité se posait bien avant lui ; et si ses réponses ne prétendaient pas à une certitude absolue, elles s’appuyaient du moins sur des raisonnements et des suggestions dont beaucoup d’esprits, désireux d’apaisement spirituel, ont pu se contenter. Valeur morale de la religion Platonicienne. — Cette religion se liait étroitement dans la métaphysique clé Platon à sa morale. D’après lui, les choses que nous connaissons par les sens ne tiennent en effet leur réalité que de leur participation à des essences pures, qu’il appelait les Idées, et qui ne peuvent être connues que par la raison. Or la plus haute de ces Idées, celle qu’il semblait identifier parfois à Dieu lui-même, était l’Idée du Bien. Il pensait donc que tout l’effort de l’âme devait tendre vers la possession la plus complète possible de cette Idée, ce qui revenait à dire que le culte le plus pur, le plus digne de Dieu, le meilleur aussi pour l’homme, était la vertu. Et celle-ci, telle qu’il la concevait ne pouvait se réduire à une honnêteté vulgaire, à l’observation consciencieuse de la justice, à la pratique du courage ou de la tempérance, à l’obéissance aux lois. L’élément nouveau qu’il y introduisait, le principal à ses yeux, était l’amour, conçu comme une aspiration ardente vers l’idéal. Il se représentait la vertu comme une ascension continue, par laquelle l’âme, se détachant et s’éloignant de plus en plus du monde des sens, s’élevait toujours plus haut, jusqu’à se rendre, autant que cela était humainement possible, semblable à Dieu lui-même. Et il lui semblait que ce développement progressif de la vie spirituelle, orientée vers le Bien suprême, était à la fois la condition nécessaire et la plus sûre garantie du bonheur C’est par là que la philosophie platonicienne a dépassé singulièrement toutes les autres formes de la morale antique et qu’elle reste, après plus de vingt siècles, une des plus nobles affirmations des tendances de la conscience humaine. La philosophie de Platon comme science. — Mais si, sous ce premier aspect, elle se présente comme une véritable religion, nul ne peut méconnaître qu’elle ne doive être considérée aussi, à titre au moins égal, comme une science, ou plutôt comme une synthèse de sciences. L’école fondée à Athènes en 387 par Platon sous le nom d’Académie a été, en effet, un des foyers d’études et de recherches savantes les plus actifs que la Grèce ait connus avant Aristote. Lui-même considérait les mathématiques comme indispensables au philosophe. Il s’adonnait avec une ardeur infatigable à la science des nombres, à la géométrie, à l’astronomie, et aussi à la connaissance de la nature. Continuateur de Pythagore, d’Empédocle, d`Héraclite, il ne voulut rien ignorer de leurs recherches et il travailla à développer ce qu’ils avaient découvert. La conception de l’univers exposée par lui dans le Timée dénote un esprit riche en connaissances variées, disposant de tous les matériaux amassés jusqu’alors par la science hellénique et d’ailleurs assez puissant pour les approprier à ses vues personnelles. Mais ici, nous avons à considérer de préférence ce qu’il a fait pour la logique, la psychologie et la politique. C’est par lui surtout que nous connaissons la dialectique antérieure à Aristote, telle que l’avaient faite les Éléates, les Sophistes, Socrate et l’école de Mégare. Il n’est pas douteux que Platon, en la pratiquant lui-même, en lui donnant dans ses dialogues la forme d’une action dramatique, ne l’ait aiguisée, assouplie, disciplinée et, en somme, perfectionnée. La méthode dite socratique, telle qu’elle a été définie précédemment, a pris chez lui toute son efficacité. Nous l’y voyons se produite sous des aspects multiples, avec autant d’adresse que de sûreté. La définition, l’analyse, la comparaison, l’induction et la déduction ont chacune leur rôle dans ces argumentations vigoureuses et fines, quelquefois subtiles. Mais la dialectique platonicienne va bien au delà ; elle ne s’arrête pas, comme celle de Socrate, à des définitions, elle n’est même plus une simple méthode de raisonnement, elle embrasse toute une éducation de l’esprit, toute une discipline intellectuelle, qui se propose d’accoutumer la raison à se détacher de plus en plus des choses concrètes pour se rendre, capable de s’élever jusqu’au plus haut degré de l’abstraction, où se trouve pour Platon la suprême réalité. Sa psychologie est en quelque sorte le reflet de cette dialectique. Si elle ne forme pas un ensemble très arrêté, quelques traits néanmoins ressortent fortement et permettent de la caractériser. La distinction des trois parties de l’âme, qu’il appelle raison, sentiments généreux, appétits sensuels, si loin qu’elle soit de satisfaire aux exigences d’une observation vraiment scientifique, n’en est pas moins un premier essai d’analyse et de classification dont il faut reconnaître la valeur. A cette distinction fondamentale se coordonne celle du désir et de la volonté, qui n’en est qu’un corollaire. Mais c’est surtout dans l’étude des opérations de l’intelligence que Platon a manifesté sa perspicacité. Nul ne s’était encore appliqué avec tant de soin à rendre compte de la nature de la connaissance et des formes diverses qu’elle comporte. Il les a répartis en une double échelle, mettant d’un côté la connaissance inférieure, qu’il subdivise en opinion conjecturale et jugement, et, de l’autre côté, la connaissance supérieure qui est d’abord réflexion et qui s’achève dans la science. C’est à l’élaboration de cette dernière notion qu’il s’est particulièrement attaché ; il lui revient le mérite d’avoir défini ce degré dernier de la connaissance, qui est la pleine possession de l’objet, complètement pénétré par l’intelligence. Et si peut-être il n’a pas assez nettement marqué la limite du domaine accessible à l’esprit humain, il a bien vu du moins à quoi il devait tendre. Quant à sa politique, il s’en faut de beaucoup qu’elle se résume, comme on le croit trop souvent, dans la construction d’une utopie fondée sur le communisme. L’État dont il a tracé l’image dans sa République n’est pas pour lui un État réel. C’est une sorte d’hypothèse suggestive, qui lui sert à faire sentir vivement ce qu’il y a de défectueux dans la plupart des sociétés humaines et l’influence funeste des passions qui les divisent. Mieux que personne avant lui, il a vu et montré quelle étroite relation existe entre le caractère d’un peuple et la forme de son gouvernement ; mieux que personne, il a su mettre en lumière cette vérité essentielle, que ce sont les bonnes mœurs politiques qui font les bons gouvernements ; et il a défini, en traits décisifs, les conditions d’où résultent la solidité ou l’instabilité des institutions. Autant d’aperçus profonds, qui sont devenus de précieuses acquisitions pour la science politique. Influence de Platon. — Ln somme, c’est dans son œuvre, pour la première fois, que la philosophie s’est révélée comme la synthèse de toutes les sciences. Il est vrai qu’aucune des parties de cet ensemble immense n’était encore ni élaborée suffisamment ni même délimitée avec la précision désirable. Cette synthèse puissante appelait donc une série de révisions, qui exigeaient de longues et patientes analyses, mais le génie de Platon avait tout aperçu de haut, il était nécessaire seulement qu’après lui l’observation et l’expérience fissent leur œuvre pour contrôler, corriger, ou développer ses vues, une par une. A son disciple, Aristote, revient l’honneur d’avoir commencé ce travail et d’avoir ainsi frayé quelques-unes des voies que devait suivre dans l’avenir la recherche scientifique Aristote. Son école et son caractère. — Très différent de ce maître merveilleux, en qui le génie athénien avait trouve un de ses meilleurs interprètes, Aristote, de Stagyre en Macédoine, n’avait rien de sa sensibilité ni de sa poétique imagination. Il était né observateur. Le sens clé l’exactitude, le besoin de la précision, la passion de la recherche s’associaient en lui à la finesse pénétrante de l’esprit et à la force de la pensée. C’est pour avoir su assujettir l’étude des faits à une méthode ferme et raisonnée qu’il nous apparaît comme le plus excellent représentant de l’esprit scientifique dans l’antiquité ; disons mieux, comme un des pères de la science moderne. Principes de sa méthode. — Sans entrer ici dans le détail de sa métaphysique, il est nécessaire d’en rappeler du moins quelques principes fondamentaux qui expliquent sa méthode. Toute chose déterminée procède, d’après lui, de trois causes : 1° de la matière dont elle est faite, 2° de la forme qui modifie cette matière et la détermine, 3° d’une fin qui est la raison de cette modification. Dans la matière, ce qui doit être appelé à l’existence n’est encore qu’en puissance ; la cause formelle, en opérant le passage de l’indéterminé au déterminé, le réalise en acte ; cette réalisation tend vers un terme qui est pour cette chose le meilleur état possible, sa cause finale. Il résulte de là que l’observation, chez Aristote, est dominée par la notion de finalité. Selon ce principe, on ne connaît vraiment un être quelconque ou ses parties que si l’on a trouvé à quoi ils sont destinés. C’est en cela que la science, telle qu’il l’a conçue, diffère le plus de la science moderne, celle-ci, depuis Bacon, ayant écarté systématiquement toute recherche de la fin des choses. Mais cette différence, à vrai dire, si importante qu’elle soit théoriquement, l’est beaucoup moins dans la pratique. Car, d’une part, Aristote, dans ses multiples observations, ne fait autre chose le plus souvent que rattacher les effets qu’il note à leurs causes efficientes ; et, d’autre part, la science de la vie, aujourd’hui même, ne peut étudier un organe sans déterminer sa fonction. L’étude de la nature. — C’est peut-être dans le vaste domaine des études naturelles que le génie d’Aristote a le mieux fait voie sa valeur. La nature jusqu’à lui n’avait été interrogée que partiellement. Il fut le premier qui conçut le dessein d’une investigation méthodique et universelle. Rassembler pour cela le plus de matériaux possible lui parut la tâche indispensable. Ses dix livres de Recherches sur les animaux témoignent du zèle, de la passion qu’il apportait à ce travail, ainsi que de la variété des enquêtes qu’il dirigeait ou provoquait. Et, sans doute, ils laissent voir aussi combien il était alors difficile de se procurer des informations sûres et à quel point la connaissance du monde vivant demeurait encore imparfaite. Mais l’exemple ainsi donné n’en était pas moins excellent. Ces matériaux réunis, il s’agissait pour le penseur de les élaborer scientifiquement, et, dans ce second travail, éclatait la force de son génie. Ses remarquables traités sur les organes des animaux, sur leurs manières de se mouvoir, sur leur reproduction, nous révèlent comment il y procédait. Son esprit pénétrant excellait à décomposer les faits complexes, à en discerner les éléments simples, à les rapprocher d’après leurs ressemblances, à les classer Non moins habile d’ailleurs à découvrir les liaisons des phénomènes, les concordances obscures et inaperçues jusque-là, l’intuition si nécessaire au savant illuminait chez lui l’observation et la fécondait. Enfin la vigueur logique de sa pensée lui permettait, mieux qu’à tout autre, de passer, grâce au raisonnement, des connaissances acquises à des connaissances nouvelles. Et là, sa prudence d’observateur le mettait en garde contre le danger des conclusions hâtives. Une des choses qu’il faut admirer chez lui, c’est le scrupule avec lequel il recueille tout ce qui avait été dit auparavant sur les mêmes sujets ; c’est aussi le soin qu’il prend d’aller au-devant des objections, et, lorsqu’il ne peut les résoudre, de le reconnaître sincèrement. Telle est, sommairement, la méthode qu’il n’a cessé d’appliquer aux sciences de la nature, soit dans les ouvrages qu’il a rédigés lui-même, soit dans ceux dont il a été l’inspirateur, sur la physique, sur les plantes, sur les phénomènes célestes. Les sciences morales. — Dans les sciences morales, même esprit, même méthode, mêmes résultats. C’est, là aussi, par l’observation attentive des farts que débute la recherche. Sa morale, condensée dans son Éthique à Nicomaque, laisse deviner un travail préalable, qui a consisté à noter les formes de la vie moi ale, à les distinguer et à les définir. De ce travail d’enquête se sont dégagées les idées générales qui dominent l’œuvre entière On y reconnaît la modération naturelle de son esprit, jusque dans quelques vues particulièrement contestables, telles que la conception de la vertu considérée comme un milieu entre deux excès ; on y retrouve aussi ses instincts les plus personnels, par exemple dans la valeur attribuée à la vie contemplative, qui lui paraît la plus complète réalisation du bonheur. Etroitement liée à cette morale, sa Politique procède de la même méthode. Nous possédons, en effet, les fragments d’une collection de Constitutions, dans laquelle avaient été rassemblées et passées en revue les institutions de nombreux États, Ce qu’était ce recueil, nous pouvons en juger par la République des Athéniens, retrouvée de nos jours en Egypte. La Politique elle-même abonde en références à des lois, à des coutumes, à des constitutions diverses, à mille événements historiques soigneusement relevés par l’auteur. C’est de l’expérience qu’il veut déduire tous ses enseignements, mais d’une expérience interprétée par la raison. Ainsi se précisent et se formulent la notion de la famille et celle de la cité, la distinction de leurs éléments, la théorie des diverses formes de gouvernements, celle des dangers qui les menacent sans cesse et des moyens d’y parer, en un mot une véritable philosophie des sociétés humaines, la plus instructive et la plus complète que l’antiquité nous ait léguée. Étude de l’esprit humain. — Non moins curieux de connaître l’esprit humain en lui-même et dans ses opérations que la vie de l’univers et celle des êtres qui le peuplent, il s’est appliqué avec le même zèle et la même perspicacité à l’observer et à le décrire. Si son Traité de l’âme marque brillamment le début de la psychologie méthodique, les ouvrages qui composent ensemble ce que le moyen-âge a désigné du nom collectif d’Organon ont dégagé définitivement un certain nombre d’observations fondamentales relatives aux formes nécessaires de la pensée, à ses relations avec le langage, à la structure du raisonnement déductif, aux sophismes et aux moyens de les dépister (Catégories, De l’expression de la pensée, Analytiques, Topiques). Peu d’écrits ont exercé une influence glus profonde et de plus longue durée que ceux-là, influence excessive à certaines époques, mais qu’une critique plus éclairée a pu restreindre sans la renier et qui se justifie par une somme importante de vérités finement aperçues. Enfin, sa Rhétorique et sa Poétique sont, elles aussi, des études solides de certaines facultés de l’esprit et de leurs productions ; et l’observation n’y a pas une moindre part. Observation des mœurs et des passions d’un côté, revue des ressources de l’art, de l’autre côté ; préceptes déduits de l’histoire des genres et fondés sur la psychologie des auditeurs ou des spectateurs ; en somme, une doctrine nullement abstraite, mais inspirée au contraire d’une connaissance approfondie des réalités. IV. — LES ÉCOLES DE PHILOSOPHIE. L’Académie et le Lycée. — Mais ni Aristote ni Platon, si grands qu’ils soient, ne doivent être considérés isolément, si l’on veut apprécier la part qui leur revient dans la civilisation hellénique. Ils fuient l’un et l’autre des fondateurs d’écoles, des promoteurs d’activités intellectuelles qu’ils ont dirigées d’abord et qui se sont perpétuées après eux. L’Académie, instituée par Platon, fut représentée après lui, au IVe siècle, par Speusippe, Xénocrate, Polémon ; école de métaphysiciens, de mathématiciens et de moralistes, nous la verrons se continuer et se transformer dans les siècles suivants, jusqu’au temps où une partie de ses doctrines sera absorbée dans le christianisme. Le Lycée, inauguré par Aristote, dirigé ensuite par Théophraste, devait, lui aussi, produire jusqu’au temps de l’Empire une longue série de philosophes, connus sous le nom de péripatéticiens, et généralement animés de l’esprit de curiosité positive qui avait été celui du maître dont ils revendiquaient l’héritage, Nous les verrons plus loin se mêler au mouvement intellectuel d’une autre époque. Aucune des autres philosophies n’eut au IVe siècle une importance comparable à celle de l’Académie et du Lycée. Il est impossible, toutefois, dans un aperçu de la civilisation de ce temps, de passer sous silence les noms d’Antisthène et d’Aristippe, puisque d’eux devaient sortir les écoles qui eurent la plus brillante fortune dans la période suivante. Antisthène. — C’est par le côté moral de son enseignement qu’Antisthène affirma surtout son originalité. Estimant comme son maître, Socrate, que la morale est la science du bonheur et que le bonheur est identique à la vertu, l’intransigeance de son esprit lui fit pousser à l’extrême cette affirmation. Il voulut être l’ennemi personnel du plaisir. Il le fut avec une conviction ardente, jusqu’au paradoxe ; d’autant plus qu’il était raisonneur subtil et vigoureux, homme d’esprit, écrivain habile. Ses dialogues eurent grand succès. On peut douter, il est vrai qu’il ait convaincu beaucoup de ses lecteurs ; mais il les intéressait ou les amusait par de piquantes satires, par une critique mordante des mœurs, peut-être par des allusions qui plaisaient à leur malignité. La sévérité de sa vie donnait d’ailleurs crédit à sa doctrine. Il se faisait honneur de sa pauvreté. Ses disciples, comme il arrive, allèrent encore plus loin que lui dans cette voie de renoncement et d’abstinence dédaigneuse, Diogène de Sinope inaugura le cynisme proprement dit, protestation hautaine et quelque peu tapageuse d’une austérité farouche, non seulement contre le luxe et la mollesse, mais conta e les usages mêmes du monde, y compris la politesse, la discrétion et la bonne tenue. Il eut des continuateurs. Cette manière étrange de vivre en marge de la société, et presque en révolte conne elle, n’est pas un des traits les moins caractéristiques de ce temps si favorable à l’individualisme. De cette tradition, combinée avec quelques éléments différents, devait sortir, à la fin du siècle, le stoïcisme de Zénon, dont il sera question plus loin. Aristippe. — Dans une société où chacun était plus que jamais libre de vivre à sa guise, il était inévitable qu’à cet ascétisme une tendance contraire s’opposât, Celui qui l’érigea en doctrine fut un autre socratique, Aristippe de Cyrène. Son principe étant que le bonheur n’est qu’une somme de plaisirs, il professait que la recherche du plaisir est la loi naturelle de la vie, puisque tout être vivant veut par instinct être heureux, Et, de ce point de vue, les plaisirs des sens lui paraissaient aussi justifiables que ceux de l’esprit. C’est ce qu’il exposa dans des écrits qui eurent unie certaine vogue. Si relâchée que fut cette morale, il est à noter, toutefois, que le sens de la mesure, si naturel à l’esprit grec, ne laissait pas de s’y faire sentir. Aristippe était loin de vivre en débauché grossier ; c’était un esprit fin, cultivé, qui voulant qu’en tout on prît conseil de la raison. Le sens pratique et le bon goût corrigeaient en lui jusqu’à un certain point l’erreur de la doctrine. Aussi peut-on le considérer comme représentant assez bien la morale moyenne d’un grand nombre de ses contemporains. Mais de même que les leçons d’Antisthène se tournaient chez les Cyniques en un défi à l’humanité, celles d’Aristippe aboutirent chez les Cyrénaïques à la négation de toute discipline. Sa pensée vraie devait être reprise à la fin du siècle, avec plus de modération et de science philosophique, par Epicure, qui l’organisa, comme nous le venons, en tin système soigneusement construit. V. — L’ART ORATOIRE. Les plaidoyers civils. — Tandis que la philosophie élargissait ainsi son influence, l’art oratoire, profitant du progrès réalisé au Ve siècle dans les écoles de rhétorique, sans s’asservir toutefois ni à leurs préceptes ni à leurs exemples, s’adaptait de mieux en mieux à toutes ses tâches, C’est ainsi qu’un genre d’éloquence vraiment nouveau apparaît dans les plaidoyers civils qui nous ont été conservés. Ceux de Lysias, qui datent du début du IVe siècle, sont le modèle achevé d’un art qui se dissimule à dessein. Ecrits pour des plaideurs de condition diverse, qui les obligeait à soutenir eux-mêmes leur cause, ils visent à imiter le langage, la manière de raconter et de raisonner qui étaient naturels à chacun d’eux. Et dans ces récits, dans cette argumentation brève, précise, dans la naïveté de certains détails, se fait sentir une finesse d’imitation dont le charme est très vif. Chez Isée, de qui les plaidoyers conservés se rapportent à des questions d’héritage, une dialectique serrée, mais toujours simple, sans rien de tendu ni de laborieux, se joue au milieu des faits plus ou moins compliqués qu’il s’agit d’éclaircir ; elle mène l’esprit du luge à son but, en lui ménageant des repos, pour le mieux reprendre et le presser ensuite plus vivement. De Démosthène et de quelques autres, dont l’œuvre s’est mêlée à la sienne, nous possédons aussi, en dehors des grands discours politiques dont nous aurons à parler, une collection de plaidoiries relatives à des contestations de propriété, à des litiges entre héritiers, à des affaires de commerce ou de banque ; et nous voyons là, également, une éloquence simple, agile, valide de ton, vigoureuse quand il le faut, qui atteste un art dégagé, associant l’aisance à la force. Enfin, dans d’importants fragments d’Hypéride, notamment dans ceux d’un discours qui retrace les roueries d’un aiglefin, nous admirons, avec les mêmes qualités, un joli enjouement, une grâce légère, et piquante. C’est dans cette classe d’œuvres littéraires qu’il faut chercher, non pas assurément tout l’atticisme, mais une des formes très séduisantes de l’atticisme du IVe siècle, imbu s’observation morale et singulièrement propre à commenter spirituellement les choses de la vie commune. L’éloquence politique. — Mais, nulle part, l’art oratoire n’a brillé avec autant d’éclat que dans la politique. Plus la situation générale était alors confuse, plus l’éloquence avait à faire d’efforts pour vaincre les hésitations et déterminer les buts ou les moyens. Elle usa pour cela de toutes ses ressources. Le IVe siècle fut à Athènes le siècle des orateurs. Les noms d’Eschine, de Lycurgue, d’Hypéride, et plus encore celui de Démosthène, sont demeurés illustres, et les discours qui nous restent d’eux n’ont pas cessé d’être admirés. C’est qu’en effet, quelque jugement que l’on porte en définitive sur les hommes et sur les événements, des œuvres telles que les Philippiques, ou encore les discours des deux adversaires sur l’Ambassade ou sur la Couronne, ont en eux-mêmes une valeur durable. Et cela, non pas seulement pour leur mérite oratoire, comme des modèles de style ou de composition, mais plus encore à titre d’études contradictoires sur une même situation politique, dans lesquelles se manifestent, sous les palus pris et la violence des passions, de rares qualités d’intelligence pratique, de réflexion forte et pénétrante, une large expérience humaine. Louées ou critiquées pour leur tendance générale, elles ont été de tout temps lues et méditées avec profit par les historiens, par les hommes politiques, par tous les esprits de haute culture, et tous y ont trouvé des leçons de psychologie, d’analyse historique, de raisonnement, des suggestions fécondes non moins que de nobles inspirations. Particulièrement, chez Démosthène, le plus grand des orateurs grecs sans contredit, l’éloquence déploie toutes les qualités dont la Grèce s’est fait honneur : l’ordonnance claire et habile, la vigueur de la pensée, la logique du raisonnement, l’art de grouper et d’interpréter les faits historiques, celui de rattacher les effets à leurs causes, de découvrir les motifs des actions, de mettre en scène les hommes, de composes des récits émouvants, Et, avec cela, la justesse de l’expression, une simplicité grave et forte, une noblesse sans emphase, et tout à coup des élans admirables. Il y a des passages du discours de la Couronne qui sont égaux en valeur morale à quelques-unes des plus belles pages de Platon. A côté de ces orateurs passionnés, Isocrate doit être aussi mentionné, mais comme appartenant à une autre famille d’esprits. Il représente à la fois une tendance plus rapprochée de la philosophie et un art plus soucieux de paraître. Célèbre comme maître de rhétorique, il s’appliqua, dans des œuvres oratoires longuement élaborées, à réaliser tout ce qui avait été peu à peu inventé pour donner à la parole une élégance achevée. Par le soin de la composition, par l’équilibre harmonieux des phrases, par le développement savant des périodes, l’exactitude et la variété des rythmes, le choix et l’invention des mots, par l’agencement des antithèses, il séduisait les plus difficiles. Et, dans cette forme brillante, il exposait des idées générales qui répondaient aux sentiments d’une partie de ses contemporains. Epris d’un idéal généreux, mais irréalisable, — pacification entre les cités grecques et union nationale contre le barbare —, il faisait de cette politique la matière de harangues fictives, de lettres, de plaidoyers imaginaires, par lesquels il croyait exercer une influence sur l’opinion publique ou sur les hommes d’Etat de son temps. Quelque illusion qu’il se soit faite à cet égard, son œuvre reste cependant comme le témoignage de sentiments élevés et d’intentions vraiment humaines qui honorent l’hellénisme de ce temps. VI. — LE DRAME ET LA PEINTURE DES MŒURS. La peinture des mœurs et des caractères. — Ce siècle, si favorable à l’éloquence, ne le fut pas moins à la peinture des mœurs et des caractères, et, en partie pour les mêmes raisons. La grande diversité qui apparaissait de plus en plus entre les hommes, à mesure que l’ancienne formation sociale se dissolvait, et la prédominance croissante de l’individualisme appelaient l’analyse psychologique. Nous venons de la voir pénétrer dans l’éloquence et s’y faire une large place, tantôt sous une forme familière, tantôt dans des exposés graves ou passionnés. Elle s’imposait également aux philosophes et aux historiens, Bon nombre d’entre eux manifestent alors le même goût pour l’étude et la représentation de ces variétés morales. Elles sont mises en scène dans les dialogues socratiques, dont Platon et Xénophon nous ont laissé de vivants spécimens. Chez Platon surtout, nous voyons passer sous nos yeux toute une série de personnages prestement dessinés, qui ont chacun leur physionomie propre. Ailleurs, en particulier dans certaines parties de la Morale, de la Rhétorique et de la Politique d’Aristote, ce sont des notations précises et fines, qui font ressortir les traits caractéristiques des différents âges ou ceux par lesquels les passions humaines se distinguent les unes des autres. Théophraste. — Le plus illustre disciple de ce philosophe, Théophraste, s’est fait connaître en ce genre par le petit livre des Caractères, qui a servi de modèle à La Bruyère. C’est, comme on le sait, une collection de portraits, qui représentent moins des individus que des types, chacun de ces types étant caractérisé par un groupement de traits qui sans doute n’ont jamais été réunis dans un même homme, mais qui font partie d’une même définition. Il y a de l’esprit dans le choix et le groupement de ces détails, un genre d’esprit qui n’est et ne veut être que de l’observation aiguisée. La comédie nouvelle. — Sous l’influence de ce goût, riait alors une forme de comédie, très différente de celle qui avait fait les délices des Athéniens du Ve siècle. Celle-ci, avec ses exagérations bouffonnes, sa fantaisie exubérante, ses inventions folles, ses violentes attaques contre les hommes du jour et son âpre satire des nouveautés, avait fait son temps. Elle ne convenait plus à une société de jour en joui plus polie et qui en même temps se montrait curieuse de la réalité, à mesure qu’elle en découvrait l’intérêt. Euripide, déjà, dans la tragédie même, avait fait sentir tout ce due la vie commune contenait de matière dramatique. Ce fut cette matière que la comédie du IVe siècle, après une période d’apprentissage et de transition, sut exploiter excellemment. Dans le dernier tiers de ce siècle, ce genre nouveau atteignit à sa perfection avec Philémon et Ménandre. Ce qu’ils représentent sur la scène, c’est en somme la société de leur temps. Dans le cadre d’une intrigue empruntée aux incidents de la vie contemporaine et développée à l’aide de quelques combinaisons ingénieuses, ils groupent et mettent en action des personnages dont les sentiments, les travers, les ridicules, les manières sont l’image vive du milieu social qui était le leur. Leur art se pique avant tout de naturel, de vérité, Ils se proposent de faire en sorte que leurs spectateurs se reconnaissent, ou du moins reconnaissent leurs voisins, dans ces êtres fictifs. Le goût du public exige que les aventures mêmes n’aient rien d’impossible ni de trop extraordinaire, Ce sont fréquemment de simples faits divers, qu’on dirait tirés de la chronique du jour. Et justement parce que ces pièces imitent de près la vie, elles excitent à penser tout en amusant Elles posent des problèmes pratiques, font appel au jugement, donnent à ceux qui réfléchissent des leçons utiles. Cet art délicat complète de la façon la plus heureuse l’art plus simple, plus large, du siècle précédent. Il tient plus de compte des petites choses, tout en se gardant de s’y absorber. Ménandre fait passer sous nos yeux des hommes de toute sorte, des avares, des indiscrets, des fanfarons, des bavards, des étourdis, des amoureux légers et inconstants, caractères de médiocre relief et pourtant bons à regarder pour qui s’intéresse, selon sa formule même, à tout ce qui est humain. Il nous montre les fines particularités qui tiennent à leur âge et à leur condition, leurs émotions passagères et les sentiments qui ont leur racine dans leur nature propre. On voit chez lui des riches et des pauvres, des gens du peuple, des affranchis, des esclaves, on y voit des mères de famille, des épouses, des jeunes filles et aussi des femmes d’intrigue et des courtisanes, Rien ne donne mieux l’idée de ce qu’était alors la société grecque. Elle se découvre là dans sa vérité et dans sa diversité, avec ses défauts et même ses vices, comme aussi avec ses qualités, son élégance, son humanité, terme qu’il convient de prendre ici au sens le plus large comme celui qui la caractérise le mieux En tant que forme d’art, cette comédie a eu d’ailleurs une influence tout autre que celle qui l’avait précédée. La comédie ancienne, celle d’Aristophane et de ses contemporains, était trop exclusivement athénienne pour qu’on pût la transporter aisément sur un théâtre étranger. Au contraire, rien n’empêchait celle de Ménandre et de ses rivaux, où la vie humaine était dépeinte telle qu’elle est en tout temps, de s’adapter à des sociétés diverses. C’est ce qui explique qu’elle ait pu servie de modèle à Plaute et à Térence. Ceux-ci, à leur tour, ont trouvé des imitateurs dans les pays de civilisation latine ; et ainsi elle a fourni aux littératures modernes le type de la comédie d’intrigue, de la comédie de mœurs et même de la comédie de caractères. Molière, quelle que soit l’originalité de son génie, se rattache à eux par des intermédiaires connus. Nous saisissons ici, comme à propos de la tragédie et d’autres genres littéraires, l’influence de la civilisation hellénique sur la nôtre. VII. — L’HISTOIRE. L’histoire et le goût public au IVe siècle. — Comme le drame et comme l’art oratoire, l’histoire, au IVe siècle, ne pouvait manquer de modifier plus ou moins la tradition dont elle héritait. Ses principaux représentants furent alors Xénophon, Ctésias, Ephore et Théopompe ; la popularité dont ils jouirent prouve que les récits historiques trouvaient autour d’eux de nombreux lecteurs. Ce qui vient d’être dit explique cette faveur et permet de comprendre quel était en cette matière le désir général. Le public grec devenait de plus en plus curieux du spectacle de la vie ; il demandait aux historiens de la lui montrer sous ses aspects multiples ; ceux-ci, comme il est naturel, s’étudièrent à lui procurer satisfaction. Xénophon et l’influence socratique. — Chez Xénophon, l’histoire nous apparaît toute pénétrée de l’esprit socratique. Jeune encore, il avait subi d’autant plus profondément l’influence de Socrate qu’elle était en intime accord avec ses tendances naturelles. Les enseignements de ce maître et l’expérience personnelle qu’il acquit dans la suite se confondirent en une morale dogmatique, dans laquelle vinrent s’encadrer toutes ses conceptions. Elle est exposée en dialogues dans ses Mémoires sur Socrate ; elle remplit tout le roman historique qu’est sa Cyropédie ; elle se fait reconnaître et sentir jusque dans les couvres où il est proprement historien, l’Anabase et les Helléniques. En racontant dans l’Anabase l’expédition du jeune Cyrus contre son frère, le roi Artaxerxés, et la retraite des dix mille mercenaires grecs qui y avaient pris part, ce qu’il fait surtout ressortie, c’est la valeur de la discipline, du coulage raisonné, de l’endurance, ce sont les services que peuvent rendre, au milieu des plus rudes épreuves, le sang-froid, la réflexion, la confiance en la protection divine ; et l’intérêt de l’ouvrage naît de la notation judicieuse des sentiments que ces épreuves provoquent soit chez les soldats, soit chez les quelques personnages que les circonstances détachent de la foule Il en est de même des Helléniques, où est retracée la série des événements qui agitèrent la Grèce entre 411 et 362. Quelque droit que l’on ait de reprocher à l’auteur ses préventions, sa partialité et trop souvent sa médiocre intelligence des hommes et des choses, on ne peut lut refuser le don d’intéresser et de plane. Et ce n’est pas seulement par son élégante simplicité, par une certaine grâce naturelle qui séduit et qui attache, mais c’est aussi parce qu’il y a, chez ce narrateur agréable, un moraliste, qui appelle notre attention sur la qualité des actions et des motifs et qui invite par là même à les juger. Les autres historiens du IVe siècle. — Ctésias, Ephore et Théopompe ne sont plus connus que par des fragments, des extraits raies et courts, des témoignages assez nombreux, mais qui ne sautaient supplées, pouf les apprécier, à leurs œuvres perdues. Ce que nous en savons suffit du moins à nous faite sentir, chez eux aussi, quelques traits caractéristiques de leur temps. Ctésias, qui avait séjourné assez longtemps en qualité de médecin à la cour de Suse, excita vivement l’intérêt de ses lecteurs par les informations qu’il y avait recueillies. Les Grecs du IVe siècle étaient particulièrement curieux de connaître l’Asie, avec laquelle leurs relations politiques et commerciales devenaient de plus en plus fréquentes. Ctésias se fit accueillir, à tort ou à raison, comme un témoin qui venait les instruire sur beaucoup de choses qu’Hérodote n’avait pu qu’entrevoir. Ephore et Théopompe, avant de se faire historiens, avaient été l’un et l’autre disciples d’Isocrate ; ce fut même lui, dit-on, qui les engagea à traiter des sujets historiques. L’art oratoire, en la personne de ce maître renommé, revendiquait donc l’histoire comme une partie de son domaine. Tous deux, malgré la diversité profonde de leur nature, semblent bien s’être inspirés de cette pensée La tâche que s’était proposée Ephore, en écrivant son Histoire universelle, était de mettre en œuvre, dans une large composition, tous les renseignements que d’autres avant lui avaient amassés. Un tel dessein réduisait à peu de chose la recherche personnelle. Le succès qu’il obtint était dû à l’heureux emploi de ces matériaux divers, à l’ordonnance claire qui permettait de suivre le cours des événements et qui les groupait néanmoins de manière à en faciliter l’intelligence, à l’intérêt de cette immense revue historique dans laquelle tout le passé de la Grèce était exposé, depuis les temps primitifs jusqu’au milieu du IVe siècle, avec un remarquable talent de narrateur et d’écrivain. Quant à Théopompe, orateur brillant et passionné, c’était aux choses de son temps qu’il s’était attaché dans ses Helléniques et ses Philippiques, comprenant d’une part les dernières années clé la guerre du Péloponnèse et l’hégémonie de Sparte jusqu’en 394, de l’autre, les événements qui avaient suivi et le règne entier de Philippe de Macédoine. De brillants discours, des récits dramatiques, des fictions ingénieuses même en formaient le tissu, Les hommes du temps y étaient mis en scène et jugés d’après les sentiments personnels de l’historien, qui ne dissimulait ni ses antipathies ni ses préférences. Quelques réserves qu’il y ait lieu de faire sur cette manière de comprendre l’histoire, il n’est pas douteux que l’œuvre ne fût singulièrement vivante et suggestive, abondante en portraits, en descriptions morales, très appropriée par conséquent à satisfaire la curiosité du public auquel elle était destinée. VIII. — LES ARTS. L’art du IVe siècle. — Comme il est naturel, les changements que l’on voit se produire au IVe siècle dans les mœurs, dans les sentiments, dans les idées et qui se reflètent dans la littérature, se manifestent également dans l’architecture, la sculpture et la peinture. L’art de ce temps se distingue donc de celui du siècle de Périclès, dont il procède pourtant directement. C’est que, sans renoncer à la simplicité des lignes, à la pureté du dessin, à l’harmonie intime, dont le génie grec ne pouvait se passer tant qu’il restait lui-même, il devient moins sévère et, pour ainsi dite, moins abstrait. Certes, on ne cesse pas d’admirer alors, la noblesse, la beauté sel erre des œuvres d’Ictinos, de Phidias et d’Alcamène, mais on demande aux artistes une imitation plus réaliste de la vie. Et ceux-ci répondent à ce besoin de nouveauté par une recherche plus curieuse du mouvement et de la variété. Ainsi apparaît un art inférieur en noblesse, en valeur idéale, mais charmant, mais séduisant par son élégance, par une liberté pleine de grâce, qui permet à chaque artiste de faire sentir davantage sa personnalité. Évolution de l’art architectural. — En architecture, le siècle de Périclès avait créé des modèles dont il était désormais impossible de se détacher. Le temple grec avait été dessiné une fois pour toutes. Sa forme et même ses proportions essentielles s’imposaient comme quelque chose d’intangible, C’était donc dans l’ornementation, dans les détails, dans l’adaptation à telles ou telles conditions particulières, que l’originalité inventive des artistes du IVe siècle pouvait surtout s’exercer. Quelques rares monuments épargnés par le temps, d’autres ruinés, mais dont les débris peuvent du moins être interrogés utilement, nous permettent encore de nous en faite une idée assez exacte. Ils nous montrent la faveur toujours croissante de l’ordre ionique, le succès de l’ordre corinthien, à peine connu dans la période antérieure. L’un et l’autre tendent à prévaloir sur l’ordre dorique plus sévère, qui avait prédominé antérieurement et ils cherchent à plaire de plus en plus. L’ordre ionique s’enjolive, s’assouplit, prend une parure plus var rée, comme en témoignent les débris du Didyméion de Milet, ceux du temple d’Athéna à Priène, le tombeau du roi Mausole à Halicarnasse et d’autres monuments contemporains. L’ordre corinthien pose sur les pilastres et les colonnes la couronne de ses chapiteaux à feuilles d’acanthe, relevés parfois de couleurs qui en font valoir les reliefs et les découpures. L’ensemble des édifices s’adapte à cette mode nouvelle. La décoration se fait plus délicate ; elle s’anime, pour ainsi dire, et se diversifie ; elle appelle les inventions ingénieuses. De petits édicules même, ainsi parés, offrent au regard un spectacle des plus agréables, tel le petit monument choragique de Lysicrate à Athènes, avec sa jolie forme, sa sveltesse, la fantaisie de sa frise circulaire où se joue un petit drame à nombreux personnages, l’élégance de son couronnement, formé d’un trépied de victoire qui se détache sur un support de volutes, Voici d’ailleurs que l’architecture doit satisfaire de nouvelles demandes. C’est au IVe siècle que commencent à s’élever dans les villes grecques les théâtres de pierre. Si la disposition générale de ces édifices ne fart que reproduire dans ses glandes lignes celle des théâtres de charpente du siècle précédent, il n’en est pas moins évident que, construits pour durer, ils sont en fait tout antre chose. Des règles générales s’établissent et se perfectionnent peu à peu par l’effet de l’expérience. Il s’agit de réaliser les meilleures conditions possibles pour que le spectacle soit vu d’un public nombreux, pour que la voix des acteurs se fasse entendre aisément, pour assurer l’entrée et la sortie de la foule, pour facilites la mise en scène Ces conditions varient naturellement selon les lieux. De plus, la scène et ses dépendances exigent le concours d’artistes divers, auxquels l’architecte doit imposer ses vues d’ensemble ; et, bien qu’il soit souvent difficile aujourd’hui de retrouver sûrement, sous les remaniements postérieurs, ce qui appartient à ce temps, il n’est pas douteux que l’unité d’effet n’ait été obtenue sans nuire à la variété des détails. Le type architectural du théâtre, tel qu’on le voit à Épidaure par exemple, fut incontestablement une des plus brillantes créations de l’art du IVe siècle. Il faudrait toutefois, pour en faire apprécier tous les mérites, rappeler ce que firent les architectes du même temps pour les stades, les hippodromes et aussi pour les ports, les arsenaux, les constructions militaires, sans parler des villes nouvelles, dont ils eurent à tracer les plans. La technique raisonnée, créée au siècle précédent par Hippodamos de Milet, eut certainement alors d’intelligents continuateurs, Mass nous devons nous en tenir ici à ces simples indications. La sculpture. — Dans la sculpture, nous retrouvons les mémos tendances, plus nettement caractérisées encore ; elles y sont représentées par des artistes dont les noms sont demeurés illustres, un Scopas, un Praxitèle, dans la première moitié du siècle, un Lysippe un peu plus tard. Leur ait, à tous, si on le compare à celui de leurs prédécesseurs, devient, selon l’expression d’un excellent connaisseur, plus intime et se dégage de la tradition religieuse pour chercher dans la vie réelle le caractère individuel et personnel[1]. Cette conception nouvelle ne peut être méconnue dans l’œuvre de Scopas de Paros, d’après les témoignages anciens Sollicité par un grand nombre de villes grecques qui tenaient à honneur de posséder quelques-unes de ses couvres, il peuplas leurs temples de statues de dieux et de déesses. Mais ce qu’on admirait dans ces statues, c’était moins la majesté divine que la grâce des formes et des attitudes, la souplesse des membres, le jeu des draperies, le mouvement et le pathétique Il fut le premier qui demanda au marbre de traduire les agitations violentes de l’âme. Nous savons qu’il collabora au Mausolée d’Halicarnasse, élevé en 353 par les ordres de la reine de Carie, Artémise. Rien n’empêche de croire que la frise de ce monument, en partie conservée, n’ait été exécutée de sa main, sort en entier, soit au moins partiellement, et, en tout cas, d’après un modèle créé par lui. Elle atteste qu’au plus vif instinct de l’élégance s’associaient chez le maître des qualités d’un autre ordre. L’œuvre, qui représente un combat de Grecs et d’Amazones, est remarquable par la fougue des mouvements, par la hardiesse des postules, par la vie intense qui anime les combattants ; et l’invention dramatique des situations, la représentation saisissante des fureurs de la lutte la rendent particulièrement émouvante. L’Athénien Praxitèle, un peu plus jeune que Scopas, ne fut pas moins renommé. Aucun des artistes grecs ne semble avoir possédé autant que lui le don inné de la grâce. Toute l’antiquité a célébré ses nombreuses figures d’Aphrodite. On citait particulièrement comme digne d’admiration sa statue d’Aphrodite de Cnide, représentant la déesse au moment où elle venait de déposer ses vêtements pour le bain, chef-d’œuvre dans lequel l’artiste avait réalisé son idéal de beauté féminine, caractérisé par la délicatesse juvénile des formes. Au sentiment religieux se substituait une séduction voluptueuse. Le marbre prenait, sous le ciseau de l’artiste, l’apparence de la vie en fleur. Cette grâce affinée se retrouvait dans les figures de jeunes dieux, qu’il aimait à créer. Nul ne se complut autant que lui à mettre en pied le dieu de l’amour, Éros ; non plus, bien entendu, l’Éros mythologique du vieil Hésiode et des théogonies, contemporain des origines du monde ; non pas même la personnification divine de la passion, le dieu redoutable qu’avait chanté Sophocle ; mais plutôt l’amour sensuel et pourtant élégant, tel que le concevaient la plupart de ses contemporains. C’est celui-là qu’il avait sculpté pour Phryné et que celle-ci voulut consacrer à Thespies. D’Apollon aussi il fit un éphèbe, bien différent du dieu aux flèches terribles que dépeignait Homère ; il le montrait dans sa nudité un peu gracile, en lui prêtant une posture légèrement alanguie, propre à faire valoir la souplesse de ses membres. Et c’est encore une conception voisine de celle-là que l’on admise dans l’Hermès d’Olympie, œuvre authentique de ses mains, retrouvée si heureusement de nos jours. Quoique mutilée et imparfaitement restaurée, elle est le témoignage d’un talent délicieux, qui, sans effort visible, alliait à la perfection du travail le charme du sentiment. Dans la seconde partie du siècle, le bronzier Lysippe de Sicyone se montra plus attaché que Praxitèle et Scopas aux traditions de l’âge précédent, particulièrement à celle de Polyclète, dont il procédait ; et cependant, lui aussi fut, à certains égards, un novateur. S’il aimait, comme Polyclète, à faire sentir la force et le leu des muscles, il s’attachait comme ses contemporains aux détails individuels, notamment à l’expression personnelle clé la physionomie C’est ce qu’atteste le grand nombre d’effigies qu’il exécuta et qui reproduisaient les traits des hommes illustres de son temps, en particulier ceux d’Alexandre le Grand. Il représenta le conquérant à divers moments de sa vie, masquant avec finesse les variations de sa physionomie. Nous savons en outre, par le témoignage de Pline l’Ancien, qu’il traitait avec quelque minutie certaines parties secondaires de ses figures, notamment les cheveux, et qu’il essayait de donner à ses personnages une sveltesse élégante en allongeant le corps et en diminuant les proportions do la tète. Cette interprétation nouvelle de la nature eut grand succès. Lysippe a été considéré avec raison comme le précurseur du naturalisme hellénistique ; et lorsque Rome s’initia aux arts de la Grèce, il n’y fut pas moins goûté que Praxitèle et Scopas, Un jour vint où leurs chefs-d’œuvre allèrent orner les demeures des riches Romains ; et c’est par leur influence surtout que se fit l’éducation artistique de l’Italie latine. Apogée de la peinture grecque. — Au sujet de la peinture, il faut répéter ici ce qui a été dit précédemment : la disparition totale de ses œuvres ne nous permet d’en parler que sur la foi des auteurs anciens. Mais nous savons par eux que les grands peintres du IVe siècle, Apelle et Protogène, ne furent pas seulement les dignes successeurs des Zeuxis, des Parrhasios et des Polygnote ; ils les surpassèrent. Ce qu’on nous en dit met hors de doute, en effet, qu’ils ne continuèrent pas servilement, eux non plus, la tradition des maîtres dont ils héritaient. La réputation que se fit Apelle comme peintre de portraits atteste un goût nouveau de l’analyse psychologique, une finesse remarquable du coup d’œil, habile à saisir les traits propres d’une physionomie, à noter les indices extérieurs qui révèlent le caractère. Et ce n’était pas seulement ce qu’il y avait de permanent dans l’Individu qu’il découvrait ainsi. Il excellait à traduire les agitations de l’âme, émotions violentes ou troubles passagers. Les sentiments délicats, les nuances de la vie morale, ne lui échappaient pas davantage. Et, pour les exprimer, la précision de son pinceau était merveilleuse. Jamais sans doute la vie, dans son extrême variété, n’avait été encore mutée avec pareille perfection. Il était à peu près dans la peinture ce qu’étaient Philémon et Ménandre dans la poésie. Ne soyons pas surpris qu’il ait partagé avec Lysippe la faveur d’Alexandrie. Sa réputation d’ailleurs semble avoir été presque égalée par celle de son contemporain Protogène ; il est impossible aujourd’hui de dire en quoi ils se distinguaient l’un de l’autre. Parmi les arts mineurs, celui des coroplastes mérite d’être particulièrement mentionné, comme complément du tableau que nous traçons ici à grands traits. Il n’en est aucun qui nous fasse mieux connaître les aspects familiers de la civilisation grecque de ce temps. C’est au IVe siècle, en effet, qu’appartiennent la plupart de ces jolies figurines de terre cuite qui, de nos jours, se sont répandues dans tous les musées, dans toutes les collections d’amateurs, et qui ont popularisé particulièrement le nom de la petite ville béotienne de Tanagra. Tout le monde a vu quelques-unes de ces menues statuettes de jeunes filles ou de jeunes femmes, qui nous ont fait connaître tant de détails amusants et gracieux d’une coquetterie raffinée. C’est un plaisir pour les yeux que d’en savourer l’élégance, la gentillesse exquise, d’y étudier le naturel des attitudes, l’ajustement des draperies, d’y prendre sur le fait la vie familière dans son amusante variété, la promenade, la méditation plus ou moins sérieuse, les jeux de l’enfance ou de l’adolescence. Ainsi, dans l’art comme dans la littérature, le IVe siècle a su ajouter à toutes les créations de l’âge antérieur des traits qui lui sont propres. Et ces traits se sont incorporés de la manière la plus heureuse à l’ensemble de la civilisation grecque. S’ils lui avaient manqué, elle n’en serait pas moins restée pouf la postérité une des plus admirables manifestations de l’humanité, mais elle nous paraîtrait aujourd’hui plus imposante et par conséquent plus éloignée de notre vie actuelle. C’est le goût du IVe siècle, ce sont ses œuvres variées qui l’ont rapprochée de nous en lui prêtant un aspect plus à notre mesure, en ajoutant à sa majesté la séduction d’une grâce plus familière. |