LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

VALENCIENNES

 

CHAPITRE IX. — VALENCIENNES ET CONDÉ.

 

 

I. Condé. Le général Nestor. Mesures de défense. La famine. Capitulation. Entrée des Autrichiens. — II. Siège de Valenciennes. Ferrand. Boillaud et Beaurgard. Tholosé et Dembarrère. Cochon et Briez. La garnison. Régiments de ligne, cavalerie, artillerie. Inexpérience et indiscipline. Hauteurs qui environnent Valenciennes. Comité de siège et Conseil de guerre. Mesures urgentes. Proclamations. Cérémonie du 30 mai. Lettres, chansons et pièces patriotiques. — III. Le duc d'York et Ferraris. L'armée de siège. Le front de Mons choisi pour point d'attaque. Prise de Marly. Sommation. Bombardement. Sortie du 17 juin. Incendie de l'arsenal et de la tour Saint-Nicolas. Deuxième et troisième parallèle. L'artillerie française. L'armistice du 16 juillet. Explosion des mines et attaque du 25 juillet. Découragement de la garnison. — IV. Attitude de la population et de la municipalité. Attroupements et insurrections. Journée du 26 juillet. Soulèvement des habitants et des soldats. Refus de service. Pillage des magasins. La capitulation. Scènes scandaleuses. Sortie de la garnison. Entrée des alliés. Aspect de Valenciennes. La garnison à l'intérieur. Réflexions sur la défense. Carnot. Bries et Robespierre. Ferrand et Tholosé. — V. Cobourg prend possession de Valenciennes au nom de l'empereur. La Jointe. Restauration partielle de l'ancien régime. Impuissante colère des émigrés.

 

I. Il reste à raconter ce que devinrent à quelques lieues de l'armée du Nord impuissante et immobile, les deux places de Valenciennes et de Condé.

 

Condé avait pour gouverneur le général Chancel que les soldats nommaient le général Nestor, non pas à cause de son âge — il venait d'atteindre la quarantaine — mais parce que Nestor était son prénom. Elève du génie en 1771, capitaine d'infanterie en 1780, capitaine-adjoint aux aides maréchaux-des-logis de l'armée en 1784, lieutenant-colonel en 1791, adjudant-général-colonel en 1792, chef d'état-major d'Arthur Dillon au camp de Pont-sur-Sambre, Chancel avait été promu général de brigade le 3 février 1793. Dampierre, qui le regardait comme un excellent patriote, lui donna le commandement de Condé : Chancel, écrivait-il, a quelque connaissance dans le génie, et je ne doute point qu'il ne fasse tout ce qui dépendra de lui pour défendre cette ville. Néanmoins il ajoutait que Chancel, étant de petite santé, ne pouvait tenir campagne. Bouchotte, alarmé, fit arrêter par le Conseil exécutif que Chancel paraissait plus propre à servir dans la ligne et qu'un autre officier le remplacerait à Condé. Mais Condé était déjà bloqué[1].

Abandonnée à elle-même depuis les malheureux combats du 1er et du 8 mai, la forteresse devait capituler tôt ou tard. Mais Cobourg ne voulait pas ruiner les ouvrages d'une ville dont il comptait faire sa place d'armes. Il savait que les Français n'avaient pas eu le temps de l'approvisionner et il espérait l'avoir par la famine. Le prince de Würtemberg se contenta d'investir Condé avec quatre bataillons, quatre compagnies et huit escadrons.

Chancel tint aussi longtemps que possible et fit une très honorable défense. Condé, situé au confluent de la Haine et de l'Escaut, lirait sa principale force des inondations qui l'environnaient sur les trois quarts de son pourtour et ne laissaient à l'assiégeant qu'un seul point accessible. Activement secondé par le capitaine du génie Du Gaigneau, Chancel prit toutes les précautions pour porter les inondations à leur plus grande hauteur, pour garantir les écluses du moindre accident, pour conserver la manœuvre des eaux dans les fossés du front d'attaque. Le jour de l'investissement, le 9 avril, il rompait le pont de la chaussée de Thivencelles et rompait les digues de la Haine et de l'Escaut. Tous les ponts entre le corps de place et les dehors furent réparés et terminés. La redoute du Jard fut palissadée et son chemin couvert, prolongé jusque sur la rive du Bas-Escaut, fut garni d'une batterie protégée par un grand épaulement. Les terrassements des redoutes et des autres ouvrages, encore informes et singulièrement dégradés par les pluies de l'hiver, furent mis en état. Les Impériaux avaient construit deux batteries qui canonnaient le fort de Thivencelles ; on leur opposa sur la route de Thivencelles, près du pont de la Haine, une batterie qui leur interdit les approches du fort. Ils avaient établi cinq batteries au village de Fresnes et l'on craignait qu'ils ne fissent quelque entreprise sur les forts du Mazis et du moulin de Fresnes ; on coupa la chaussée de Fresnes entre ces deux forts, et pour que l'adversaire ne pût profiter du cours de l'Escaut et battre en flanc les deux ouvrages, on coula dans la rivière trois bateaux pesamment chargés. La place ne renfermait pas de souterrains et le soldat n'avait pas d'abri pour se reposer tranquillement ; on fit des blindages avec les arbres des remparts et des jardins de Croy ; après n'avoir eu d'abord que trois toises de blindage, la forteresse en avait cent quatre vingt-six à la fin du siège.

Dans la dernière semaine du mois de juin, les subsistances commencèrent à manquer. Chaque homme ne recevait plus que onze onces de pain, deux onces de cheval, une once de riz et deux tiers d'once de suif. Le service était pénible et beaucoup de soldats tombaient malades. Chancel conseillait la patience et la résignation. Mais le Conseil de défense, voyant qu'il ne restait plus de vivres que pour quatre jours, décida de capituler. Après avoir inutilement demandé la permission d'envoyer un courrier à la Convention et à Custine pour savoir ce qu'il devait faire, Chancel, reconnaissant que sa garnison était épuisée de fatigue et de faim, rendit Condé le 10 juillet aux conditions suivantes : la place serait livrée aux Impériaux avec son artillerie qui comptait 103 pièces, ainsi que toutes ses munitions ; les troupes seraient prisonnières de guerre ; la compagnie de canonniers de la garde nationale qui servait activement et recevait une solde comme les canonniers de ligne, serait également prisonnière, mais aurait Condé pour prison et serait échangée ou rançonnée la première ; les officiers de tout grade conserveraient leur épée[2].

Le 13 juillet, au matin, la garnison sortit de la place avec les honneurs de la guerre. Arrivés à un quart de lieue, devant la maison Le Cocq, les républicains déposèrent leurs armes, bataillon par bataillon, et abandonnèrent leurs drapeaux. La plupart ne cachaient pas leur émotion. Quelques-uns baisèrent leur fusil, et, suivant l'expression d'un témoin oculaire, avec la même ardeur que s'ils avaient quitté pour toujours leur bien aimée. A bas la cocarde tricolore, leur criait-on ; ils répondirent en arrachant la cocarde de leur chapeau et en l'attachant sur leur cœur. Leur fureur éclata lorsqu'apparut, comme pour insulter à leur défaite, un escadron de ces hussards de Bercheny que Dumouriez avait entraînés dans sa fuite. Devait-on, écrit à ce propos un officier prussien, exciter au plus haut degré par les moyens les plus recherchés l'exaspération déjà si grande des deux partis et n'est-ce pas agir avec beaucoup de bassesse et d'inconséquence ? Cependant Chancel s'efforçait de calmer sa garnison, lui remontrait qu'il fallait se rendre ou mourir de faim, et que la capitulation n'était pas déshonorante. Mais le sang qui bout aux Français, dit un des assiégeants, l'emporte ordinairement sur la froide raison[3]. Un canonnier, outré de colère, jeta son fusil à terre et accabla les Impériaux d'injures et de malédictions. Ils lui firent administrer cinquante coups de bâton.

L'entrée des Autrichiens dans Condé n'eut rien de gai et de triomphal. L'idée que la famine seule leur ouvrait la ville et que leur conquête, selon le mot de Du Bois du Bais, ne leur coûtait ni un grain de poudre ni une goutte de sang, l'aspect des soldats français qui ressemblaient à des spectres, des bourgeois hâves et livides, des femmes qui tendaient la main pour obtenir un morceau de pain de munition, tout cela n'était pas fait pour gonfler d'orgueil le cœur des victorieux. On vit des Kaiserliks endurcis par la guerre et accoutumés aux scènes les plus effroyables, s'apitoyer sur les habitants de Condé, plaindre et secourir leur misère. Ces barbares Autrichiens, comme les nommaient les gazettes parisiennes, donnèrent leur pain aux affamés et leur argent aux pauvres de la ville[4].

 

II. Le 23 mai, à quatre heures de l'après-midi, lorsqu'il avait vu les redoutes de Famars emportées dès la première attaque, Lamarche était rentré dans Valenciennes et avait fait appeler le général Ferrand qui commandait la place. Valenciennes, disait-il en présence des commissaires de la Convention, serait sans doute bloqué pendant la nuit ; Ferrand resterait chargé de la défense de la forteresse et devait prendre sans retard toutes les mesures nécessaires pour soutenir un siège[5].

Ferrand était né le 16 septembre 1736 à La Caussade, près de Monflanquin dans l'Agenais. Lieutenant au régiment de Normandie en 1746, et capitaine en 1755, il avait eu part aux campagnes de la guerre de succession d'Autriche et de la guerre de Sept-Ans. Blessé grièvement au combat de Clostercamp, il obtint la croix de Saint-Louis. Il était major-commandant de Valenciennes depuis 1773, lorsqu'un décret de la Constituante supprima les états-majors des places. Mais les habitants de la ville lui déférèrent le commandement de leur garde nationale ; et le 20 août 1792, il fut nommé provisoirement par Dumouriez maréchal-de-camp à l'armée du Nord. Il menait l'aile gauche à Jemappes, et bien qu'il reçût une contusion à la jambe et que-son cheval fût tué sous lui, il resta sur le champ de bataille et combattit à pied durant toute l'action. Toutefois, s'il avait fait preuve de bravoure militaire, il n'avait montré ni décision ni énergie. Il n'eût pas enlevé Quaregnon, si Dumouriez n'avait dirigé le mouvement des troupes, et lorsqu'il dut attaquer l'extrémité droite de Jemappes, il s'engagea maladroitement sous le feu des redoutes autrichiennes dans des prairies marécageuses, pleines de fossés, et il fallut que Thouvenot vînt enflammer les bataillons et les lancer à l'assaut du village. Dumouriez, jugeant que le zèle et le courage de Ferrand dépassaient ses forces, lui confia le commandement de Mons. Là, Ferrand organisa l'annexion ; le 11 février 1793, il présidait l'assemblée électorale de Sainte-Waudru où cent cinquante jacobins votèrent l'incorporation de Mons à la France, et il assurait que ce jour qui voyait la réunion de deux peuples libres était le plus beau jour de sa vie.

Aussi fut-il promu définitivement général de brigade le 8 mars suivant. Le 26, il quittait Mons et allait de nouveau commander Valenciennes. Il hésita quelques instants lorsque le grand-prévôt Lescuyer voulut, au nom de Dumouriez, arrêter les commissaires et se saisir de Valenciennes ; sitôt qu'il sut que la population et la garnison prendraient parti contre le vaincu de Neerwinden, il fit acte de soumission aux représentants qui vantèrent son civisme. Le 15 mai, il devenait général de division. Mais il était trop faible et trop usé pour gouverner une ville forte de premier rang. Defrenne disait justement qu'il ne semblait pas avoir beaucoup de nerf et qu'on devrait le mettre à la retraite ou l'envoyer dans une place reculée. Vétilleux, méfiant, Ferrand désirait tout faire et tout voir par lui-même, entrait dans les plus petits détails, donnait des ordres à de simples subalternes, posait en personne des gardes sur les remparts. Parce qu'il habitait Valenciennes depuis vingt ans, il se croyait capable de diriger seul le service des fortifications et considérait les officiers du génie et de l'artillerie comme des agents passifs qui devaient accepter sa volonté. Il n'était que major de place, et n'était pas autre chose. Il n'avait aucune connaissance technique. Sans cesse il parlait de l'établissement des pièces, du système des mines, de la manœuvre et du jeu des eaux ; mais il ne savait pas appliquer tous ces moyens à un objet déterminé et ne les exposait, ne les énumérait que d'après des ouï-dire et sur le rapport de ses subordonnés. Nul n'était moins propre à tenir dans sa main tous les ressorts de la défense. Un seul trait peint ce caractère méticuleux et timoré. Aux premiers jours du siège, les canonniers ne réprimaient guère l'envie de chatouiller l'adversaire dès qu'il paraissait dans la plaine, et ils tiraient sur le moindre peloton qu'ils découvraient au loin. Ferrand leur reprocha de perdre leur poudre et d'indiquer la position et la portée de leurs batteries ; à l'entendre, on ne devait canonner les assiégeants que lorsqu'ils commençaient leur deuxième parallèle ; mais s'il avait fait dès le commencement le même feu qu'il fit plus tard, il aurait singulièrement ralenti les travaux du génie autrichien. Il n'y eut donc dans la résistance, comme dit un des combattants, ni plan suivi, ni prévoyance pour deviner les desseins de l'ennemi, ni conceptions grandes et hardies pour les déconcerter[6].

Heureusement Ferrand fut secondé par des hommes braves et expérimentés, non point par le général de division Blacquetot, malade et âgé[7], mais par les généraux de brigade Boillaud[8] et Beaurgard[9], par le commandant temporaire de la place Mougenot et son adjoint le chef de bataillon Fieffée, par le major de siège Boussin, par les deux officiers du génie Tholosé et Dembarrère, par les colonels des régiments de ligne Batin, Le Brun et O'Keeffe, par les commandants des bataillons de volontaires Richon, Lecomte, Gambin, Le Féron, Géraud et Léchelle. Tholosé, Dembarrère, Le Brun, Batin, Richon firent durant le siège les fonctions de général de brigade et servirent en ligne alternativement, comme Boillaud et Beaurgard. Lecomte, Gambin, Le Féron et Géraud furent nommés commandants temporaires de la place, et Léchelle commandant temporaire de la citadelle.

De tous les défenseurs de la ville, Tholosé[10] et Dembarrère[11] étaient les plus habiles et les plus actifs. Ils instruisirent les officiers de la garnison, leur firent une école de théorie, leur montrèrent, d'après des tracés en grand, comment il fallait tenir dans les fronts attaqués de la place. Tholosé rédigea sur la défense des chemins couverts un mémoire qui fut approuvé par Ferrand et remis à tous les chefs de corps pour leur servir de règle de conduite. C'est à lui que les représentants auraient donné le commandement de Valenciennes, si Ferrand avait succombé.

Cinq commissaires de la Convention, Du Bois du Bais, Briez, Bellegarde, Cochon et Courtois, étaient à Valenciennes lorsque l'armée du Nord évacua lo camp de Famars. Ils convinrent, aux termes des décrets, de se diviser : trois d'entre eux suivraient l'armée ; les deux autres, tirés au sort, s'enfermeraient dans la place. Briez avait été procureur-syndic à Valenciennes ; il était, pour ainsi dire, de la ville ; il connaissait l'esprit des habitants ; il consentit à demeurer, et celui auquel échut le dé, fut Cochon[12].

Cochon, député du département des Deux-Sèvres, était un homme intelligent qui devait être ministre de la police du Directoire et l'un des meilleurs préfets de Napoléon. Il montra pendant le siège le plus grand courage : il s'efforça de rallier les soldats dans la nuit du 25 juillet ; tous les jours, une fois et souvent deux fois, il visita les hôpitaux et parut aux batteries, aux ouvrages avancés, aux palissades, aux postes les plus périlleux[13].

Briez fut accusé de mansuétude envers ses concitoyens. Il savait mieux que Cochon compatir à leurs peines et trouver pour eux des accents de pitié. C'était néanmoins un républicain sincère, et il déploya la même fermeté d'âme que son collègue. Le commandant des pompiers avait donné sa démission sous prétexte que les pompes étaient hors de service et que ses hommes refusaient de marcher. Briez prit la direction du corps des pompiers ; il le réorganisa, le composa de grenadiers de la garde nationale et. de soldats de la garnison ; il obtint de Ferrand que chaque bataillon lui fournît dix volontaires ; il installa sur la grande place, près de l'Hôtel-de-ville, un atelier de serruriers et d'ouvriers de tout genre qui travaillèrent jour et nuit à réparer les pompes.

Les deux députés aidèrent Ferrand dans la mesure de leurs forces, et ils purent dire à leur retour, avec une juste fierté, qu'il n'est pas donné à tous les hommes d'affronter de pareils dangers pour le salut de son pays, l'amour de son devoir et la dignité du caractère dont on est revêtu. Ils n'intervinrent aucunement dans les opérations militaires, et ne voulurent jamais partager sur ce point la responsabilité du général. Ils assistèrent aux séances du Comité de siège pour se convaincre par eux-mêmes de l'ensemble des dispositions et de l'accord qui régnait entre les chefs ; mais ils ne donnèrent jamais leur opinion et ne signèrent pas les délibérations. En revanche, ils mirent leur nom au bas des procès-verbaux du Conseil de guerre qui ne traitait que des affaires générales et administratives. Ils se prodiguèrent tous deux et firent preuve d'une extrême vigilance. Par de nombreuses et utiles décisions, ils prirent des mesures et précautions de toute sorte pour assurer les subsistances, pour rétablir les fours écrasés par l'incendie et les moulins à eau arrêtés par l'inondation ou avariés par les bombes, pour régler le service des hôpitaux, pour fournir des secours aux indigents, pour remédier aux maux les plus pressants et parer à la disette des choses de première nécessité. Ils répondirent aux doléances amères et passionnées des habitants qui se plaignaient de la destruction de leurs demeures, de la perte de leur mobilier, de la mort de leurs parents, non par le châtiment et l'appareil des supplices, mais par la douceur. Au lieu d'exaspérer les esprits et de les porter aux extrémités du désespoir, ils aimèrent mieux les calmer et les ramener à l'obéissance par la persuasion. Au lieu d'ulcérer les cœurs, ils préférèrent les alléger, les réconforter. Ils craignaient de soulever une population de trente mille citoyens et tout en mêlant quelquefois les menaces aux consolations, ils se plièrent aux circonstances et ne firent la guerre qu'au dehors. Surveiller jour et nuit, disent-ils dans leur Rapport, contenir les malveillants, encourager les bocs, soulager les pauvres et les affligés, tels ont été nos principaux moyens, et tout autre ne nous eût pas si bien réussi 1[14].

 

La garnison se composait de dix-sept bataillons[15]. Elle n'était pas assez nombreuse pour faire de grandes sorties et défendre une place aussi considérable que Valenciennes. Pris au hasard dans l'armée du Nord à la veille du siège, les bataillons étaient faibles, incomplets, inexercés, et il fallut, durant les trois premières semaines du blocus, tout le zèle et toute l'activité des officiers supérieurs pour leur donner un peu de vigueur et d'énergie.

Les trois régiments de ligne Dauphin, Royal Comtois, Dillon, avaient plus de pratique que les volontaires ; mais un mauvais esprit les animait. Le 5 juillet, ils présentaient au nom de la garnison une adresse signée par neuf hommes de chacun des trois régiments ; ils voulaient faire alternativement avec les volontaires le service sûr et tranquille de la citadelle ; ils prétendaient que les blessés étaient mal soignés dans les hôpitaux, demandaient que Ferrand et les députés de la Convention se missent à la tête des troupes qui marchaient chaque nuit aux palissades[16].

Les détachements du 25e et du 26e régiment de cavalerie s'insurgèrent au mois de juillet. Ferrand se rendit à leurs campements. Le 26e, confus et peiné, protesta qu'il serait fidèle à la loi et qu'il ferait son devoir. Mais le 25e, excité par des motionnaires, ne montra pas le moindre repentir. Le général le déclara sur-le-champ indigne de combattre pour la République et lui interdit tout service pendant deux jours[17].

L'artillerie n'avait pas un nombre suffisant de mortiers, d'obusiers et de pots à feu. Deux cents canonniers au plus avaient assez de savoir pour soutenir un siège, et ce furent les seuls qui supportèrent tout le danger, qui réparèrent à l'instant les pièces démontées et les embrasures dégradées. Le reste consistait en novices qui n'avaient que de bonnes intentions[18].

Sans cesse, dans son Journal, Ferrand se plaint de l'indiscipline et de l'inexpérience de ses troupes de toutes armes. Il se plaint le 16 juin : beaucoup témoignent du zèle ; d'autres, un grand relâchement ; quelques-uns, beaucoup de crainte. Il se plaint le 17 juin : durant la nuit, l'ennemi creuse un boyau de tranchée sur l'angle saillant de l'ouvrage à corne de Mons, et les bivacs se replient sans avertir personne, et, sous prétexte qu'elles n'ont pas de munitions, les batteries ne tirent pas dès la pointe du jour. Il se plaint le 20 juin : la garnison, dit-il, ne connaît ni les ouvrages de la place ni la manière de les défendre. Il se plaint le 23 juin : les troupes ont la meilleure volonté et le zèle le plus vif, mais elles ne sont pas formées. Il se plaint le 24, le 25, le 27 juin : un nombre assez considérable de soldats se livre à l'ivrognerie, au pillage, et le tribunal, établi pour juger sommairement les délinquants, ne statue pas d'exemples. Il se plaint le 30 juin : la plupart des militaires n'ont que peu d'instruction, et l'on n'a pas chance de résister longtemps, si la garnison n'est pas sûre ; ni les artilleurs ni les postes du chemin couvert ne harcèlent les assiégeants qui sont à vingt-cinq toises des palissades et qui réparent tranquillement les parapets sans crainte de s'exposer. Il se plaint le 1er1 juillet : malgré ses ordres réitérés, beaucoup de soldats, même des officiers s'enivrent, et les troupes ne font pas feu sur le front des travaux d'approche. Il se plaint le 2 juillet : sa garnison se décourage, se cache derrière les palissades sans inquiéter l'adversaire qui n'est qu'à quinze toises, et vainement le Conseil de guerre décide que tous ceux qui s'enivreront seront tondus et rasés, puis chassés de la place ; quantité de volontaires se grisent pour être expulsés : ce sont des républicains, écrit Ferrand, ils l'ont juré, mais sans éducation nationale. Il se plaint le 3 juillet : chacune de ses tournées n'offre à ses yeux que des actes de désobéissance ; mais peut-on punir tous les coupables ? Il y en a tant ! Il se plaint le 7 juillet : Géraud, chef du bataillon des grenadiers de Paris, est complètement ivre lorsqu'il se présente aux palissades ; il faut le casser, puis le lendemain, à la prière de son bataillon, le réintégrer. Il se plaint le 17 juillet : des hommes du 29e régiment et des volontaires de Loir-et-Cher tiennent des propos inciviques. Du premier jour au dernier, et avec la plus forte insistance, il recommande aux chefs, aux officiers, aux simples soldats de ne laisser entrer ni sortir personne ; du premier jour au dernier, en dépit de ses remontrances et de ses injonctions répétées, les gens sortent de Valenciennes sans difficulté, sans obstacle, en alléguant qu'ils vont couper de l'herbe[19].

Ajoutez à toutes ces causes de désorganisation le désordre qu'apportait la foule tumultueuse des réfugiés. Valenciennes avait été si rapidement cerné qu'on n'eut pas le temps de renvoyer les suspects, les étrangers, les boulangers et les agents de la manutention, les conducteurs des charrois, les soldats qui s'étaient jetés dans la place après la déroute de Famars. On répartit tous ces fuyards et traînards dans les bataillons de la garnison. On les incorpora surtout dans le bataillon permanent dit bataillon de Valenciennes. Mais ils devaient se joindre aux attroupements séditieux et prêcher à leurs camarades l'insurrection[20].

Enfin, le terrain même où était assise la forteresse de Valenciennes offrait à la défense de très graves désavantages. Sans doute, l'Escaut alimentait les larges fossés des remparts, et les inondations pouvaient être tendues en amont et en aval dans une spacieuse vallée. Sans doute l'assiégeant, forcé d'agir sur les deux bords, devait partager son armée ainsi que son parc d'artillerie en deux tronçons, et pour aller d'une rive à l'autre, sans s'exposer au canon de l'assiégé, ouvrir des chemins avec une peine infinie sur un sol mis sous l'eau et entièrement amolli. Sans doute, la ville n'était attaquable que de deux côtés, à l'ouest où se trouvait sa citadelle et à l'est sur le front de Mons. Mais elle est dominée sur ces deux points par des mamelons qui sont à douze cents mètres du corps de place. On aurait dû fortifier ces hauteurs. Le 11 octobre 1792, le rédacteur de l'Argus représentait dans une adresse à ses concitoyens que Valenciennes ne pourrait résister à un bombardement dirigé des monts d'Anzin et du Roleur ; il demandait que la garnison s'établit sur ces deux coteaux et y mit de l'artillerie pour interdire l'approche de la ville ; il priait les habitants et les paysans des environs de s'armer de pelles et de pioches pour y élever des retranchements, y dresser des batteries et préserver ainsi Valenciennes des horreurs que subissait Lille, alors investi par le duc de Saxe-Teschen[21]. Mais Ferrand avait répondu dès le lendemain dans une lettre au rédacteur du journal, que s'il y avait autour de Valenciennes neuf à dix éminences d'où les ennemis jetteraient aisément des bombes et des boulets rouges, il ne pourrait les fortifier qu'à grands frais ; que ces éminences, vigoureusement défendues pendant le jour, seraient emportées durant la nuit par un adversaire plus nombreux ; qu'elles avaient d'ailleurs en face d'elles de très bons cavaliers pourvus de mortiers et de la plus grosse artillerie ; qu'il lui paraissait plus utile de conserver la garnison dans la place et de battre avec tous ses canons les endroits où se posterait l'assiégeant[22].

 

Ferrand et les commissaires prenaient cependant les mesures les plus urgentes. Un Comité de siège, exclusivement chargé des opérations militaires, s'assembla tous les matins. Un Conseil de guerre, sur qui roulaient les détails de l'administration, de la police et de la discipline, se réunit tous les deux jours ; il était présidé par Ferrand et se composait des officiers-généraux, des chefs de corps, des administrateurs militaires, des représentants du peuple, des membres du Directoire du district et de la municipalité, du président et de deux membres de la Société populaire qui n'avaient pas droit de vote. Mais, dit un des clubistes, il n'y eut jamais beaucoup d'ordre et de suite dans les séances de ce Conseil, et peu ou point de discussion. On y traitait des questions étrangères à sa compétence, et quelquefois Ferrand et les commissaires réglaient de leur propre autorité des affaires importantes que le Conseil aurait dû décider[23]. Les chefs de corps témoignaient à Ferrand la plus grande déférence et se souvenaient qu'ils délibéraient devant leur général ; Ferrand condescendait toujours aux désirs des représentants[24].

On fit tendre les inondations. Celle de la Rhonelle était déjà faite ; on forma celle de l'Escaut qui devait diviser les quartiers de l'assiégeant, préserver de toute agression la partie la plus vulnérable de la place et fournir en plusieurs endroits aux manœuvres d'eau qu'exigeait la défense. On hâta les travaux des mines, les palissadements, les blindages. On tua ou enfouit les quatre cinquièmes des chevaux[25]. On fixa le prix du blé, du pain, de la bière et des denrées de nécessité. On interdit aux aubergistes et cabaretiers de donner à boire après neuf heures du soir.

Briez et Cochon avaient déjà fait payer par la caisse de l'armée une somme de 130.000 livres qui fut affectée aux approvisionnements de la ville. Le 24 mai, ils annoncèrent le blocus à la population : mais, ajoutaient-ils, ils restaient avec elle pour partager ses dangers et sa gloire ; ils comptaient que Valenciennes ferait, comme Lille et Thionville, une sage et vigoureuse résistance ; ils menaçaient de l'échafaud quiconque oserait parler de capitulation. Cinq jours plus tard, dans une nouvelle proclamation, ils disaient aux citoyens que Valenciennes était une des clefs principales de la France, un des premiers boulevards de la République, et leur rappelaient les dispositions du décret du 31 août 1792 sur la reddition de Longwy : chacun verrait dans cette loi la règle de ses devoirs et le châtiment réservé aux lâches.

Le 30 mai, sur la grande place, dans un amphithéâtre au centre duquel était dressé l'autel de la patrie, les représentants répétaient et faisaient répéter à la garnison et au peuple le serment de mourir sous les ruines de la ville plutôt que de se rendre. La cérémonie fut imposante, pleine d'éclat et d'appareil. A chaque angle de l'amphithéâtre, quatre pièces de campagne. Le fond de l'autel, tendu de blanc. Sur le faîte et les côtés, des oriflammes aux trois couleurs et les emblèmes et attributs de la liberté ; sur le pourtour, des guirlandes bleues et rouges, toutes les fleurs du mois de mai, de magnifiques tapis et entre autres une tapisserie admirable du XVe siècle qu'on avait extraite pour la circonstance de l'ancien greffe des Werps et qui représentait un tournoi. Une foule innombrable remplissait la place et les rues adjacentes. Des dames coquettement parées se montraient aux fenêtres pavoisées de drapeaux. Le beffroi où flottait également l'étendard national, regorgeait de spectateurs, et les curieux s'étaient établis jusqu'au dessus de sa coupole. A trois heures, des coups de canon, tirés de la citadelle, annonçaient l'arrivée des autorités qui s'installaient dans l'amphithéâtre. La musique joua le Ça ira et des airs patriotiques ; elle accompagnait les voix d'un chœur de jeunes hommes et de jeunes filles, toutes vêtues de blanc et ceintes d'un large ruban tricolore. Les tambours battirent un ban et les deux représentants, levant la main droite sur le livre de la loi, prononcèrent l'un après l'autre le serment. Tous les généraux, les commandants, les membres des administrations, les députations des bataillons et de la garde nationale prêtèrent le même serment aux commissaires, à Ferrand et à leurs chefs. Un citoyen le prêta pareillement au nom du peuple entier. On chanta la Marseillaise, et au dernier couplet, les assistants, mettant un genou en terre, répétèrent le refrain aux cris redoublés de : Vive la France ! Vaincre ou mourir ! La scène était indescriptible ; tambours, clairons, fanfares, clameurs populaires, salves d'artillerie, tout cela formait un bruit confus et immense qui saisissait l'âme et la pénétrait d'une émotion profonde. Les citoyens-soldats et les soldats-citoyens, disaient les représentants, offraient le spectacle de l'union la plus intime et la plus fraternelle.

On s'efforçait ainsi, suivant l'expression du temps, de monter au plus haut degré l'esprit public. Des lettres gaies et patriotiques, signées du Père Duchesne et adressées, la première aux bons lurons, la deuxième aux peureux, la troisième aux indifférents de Valenciennes, furent répandues dans la ville. Des poètes du cru composaient des chansons et de joyeux couplets :

Nous voilà bloqués ici.

Les filles le sont aussi,

Il nous en est arrivé

D'Anzin, de Beuvrages ;

Les plus belles ont quitté

Pour nous leurs villages.

Les laides et les mamans

Restent là pour les houlans.

Le théâtre joua plusieurs fois des pièces républicaines comme Brutus, Guillaume Tell, le Siège de Lille et la Ligue des Tyrans l[26].

 

III. Maître du camp de Famars, Cobourg avait partagé ses forces. Il avait mis 24.000 hommes devant Valenciennes et couvrait le siège avec 20.000 autres. 10.000 étaient à Hérin où se trouvait le quartier-général. Le reste, en avant-garde, occupait Denain ou s'éparpillait sur l'Ecaillon et la rive droite de l'Escaut, à Curgies, à Jenlain, à Vilterspol. 8.000 Hessois et 7.000 Impériaux arrivèrent sous les murs de Valenciennes au milieu du mois de juillet. Ils furent répartis entre les deux armées ; celle de siège compta désormais 30.000 hommes, et celle d'observation, 29.000.

L'armée de siège était confiée au duc d'York. Il avait demandé la direction de l'entreprise et promis le concours de 45.000 Anglo-Hanovriens. Cobourg accepta la proposition, non sans inquiétude. Il marquait au duc ainsi qu'à ses deux frères les plus grands égards et mettait, suivant le conseil de Mercy, dans les attentions qu'il leur témoignait, un peu de cajolerie et de recherche. Mais il se défiait de York et des troupes britanniques qui n'avaient aucune expérience de la guerre de sièges. Il décida que York ne dirigerait l'opération que nominalement et il lui donna comme lieutenant le feldzeugmestre Ferraris, homme froid et prudent. Dans des instructions secrètes, datées du 27 mai, Cobourg pria Ferraris de regarder l'armée de siège comme la sienne propre, de faire retrancher le camp, d'y mettre les troupes nécessaires, de régler tout le service et d'en référer ensuite au duc d'York qui devrait exécuter ses dispositions. Le général-major baron d'Unterberger fut chargé de commander l'artillerie et l'ingénieur colonel baron de Froon, le génie[27].

Le duc d'York établit son quartier général à Estreux et Ferraris, à Onnaing. 48 bataillons et 10 escadrons autrichiens, sous les ordres du feld-maréchal-lieutenant comte d'Erbach, campèrent de Saultain à Beuvrages par Saint-Saulve et Anzin. M bataillons et 42 escadrons hanovriens, sous le maréchal Freytag et ses lieutenants Wallmoden, Hammerstein et Oyerhausen, occupèrent Aubry et Saint-Léger sur la rive gauche de l'Escaut et les hauteurs de Famars sur la rive droite ; ils se liaient aux Impériaux et leur position s'étendait de Beuvrages à Anzin. 7 bataillons et 6 escadrons anglais, sous les généraux Abercromby, Lake et Dundas, tenaient l'espace compris entre Famars et Saultain.

L'armée de siège divisée par l'Escaut formait donc deux parties qu'il fallait unir en aval par des ponts et en amont par des digues. Le lieutenant-colonel Zach, du corps des pionniers, commença dès le 25 mai l'installation de trois digues dans le vallon inondé. La première menait de Famars à Trith par Fontenelle et parut superbe à tous ceux qui la virent ; Français et alliés vantent unanimement la solidité de l'ouvrage, son exécution belle et hardie[28]. La deuxième digue, plus rapprochée de la ville, conduisait à Saint-Léger. La troisième allait de Maing à Trith. En aval de Valenciennes, trois chemins de communication, tracés par le capitaine Delaing, partaient d'Onnaing ; de Gilbert et de Saint-Saulve ; les ponts furent établis par le major Hohenbruch qui s'était signalé dans la guerre contre les Turcs.

On hésita longtemps sur le point d'attaque. Le colonel anglais Moncriff proposait de donner l'assaut. Ferraris déclara qu'il ferait un siège régulier. Ses conseillers et auxiliaires, Froon, Unterberger et le major de Vaux pensaient d'abord à tourner leurs efforts contre la citadelle parce qu'elle présentait un front étroit et que la nature du terrain environnant favorisait l'ouverture de la tranchée et la construction des batteries. Mais ils surent que les fossés de la citadelle pouvaient être à volonté remplis d'eau par le moyen d'écluses bien couvertes, que ses ouvrages et glacis avaient d'excellentes mines pratiquées d'après les méthodes nouvelles, et ils craignirent de s'engager dans une guerre souterraine longue et difficile. Ils aimèrent mieux assaillir le côté opposé de la place, depuis le faubourg de Marly jusqu'au bastion Poterne et à la porte de Mons. Si ce front, dit front de Mons, offrait quantité d'ouvrages, 4 bastions, 4 cavaliers, 3 ravelins, 2 contregardes, un grand et un petit ouvrage à corne avec leurs ravelins et quelques lunettes, on n'y rencontrait que très- peu de mines, et elles étaient à l'ancienne mode ; on y trouvait des fossés dépourvus d'eau et un sol avantageux à rétablissement des tranchées et des batteries ; on pouvait voir de loin, grâce à l'aménagement défectueux de plusieurs ouvrages, une bonne partie de leur maçonnerie et la bombarder vigoureusement ; enfin, on était près du grand parc d'artillerie, placé en avant d'Onnaing, sur la route de Mons ; près de la ferme où l'on avait logé le laboratoire d'artifices ; près du château où l'on avait déposé les poudres. On négligea donc la citadelle, et au milieu de l'attaque formidable que subit Valenciennes, elle ne souffrit presque pas et n'essuya le canon de l'ennemi que dans les derniers jours du siège. Mais pouvait-elle se soutenir dès que la ville serait emportée ? Elle n'avait aucun ouvrage ; elle touchait aux maisons mêmes et n'en était séparée que par un fossé. A peine aurait-elle résisté trente-six heures ; au premier instant, elle eût été battue en brèche sans obstacle[29].

 

Le 26 mai, au point du jour, les assiégeants, menés par le général Kray, attaquèrent le faubourg de Marly. Ce faubourg, situé au pied des glacis, en avant de la porte Cardon, avait sa droite appuyée à l'inondation de la Rhonelle et sa gauche flanquée par le canon de la ville. On l'avait retranché à la tête et aux issues pour disputer à l'ennemi les premières approches. Beaurgard y commandait. C'était un brave soldat et un patriote ardent, mais, disait Tholosé, officier de deux ans et officier-général de deux jours ; il prétendait que les retranchements qu'il avait élevés résisteraient longtemps, que Marly causait au duc d'York plus d'inquiétudes que Valenciennes, et, montrant à sa troupe une couche de melons, il promettait de les manger là, sur place, en pleine maturité. En cinq heures, la fameuse redoute fut conquise : de toutes parts, du Rôleur, de la Briquette, du mont Ouy, les boulets y roulaient comme d'eux-mêmes. Beaurgard s'échappa sans attendre l'assaut et n'eut que le temps de sauver son artillerie[30].

Les assiégés étaient refoulés dans Valenciennes et trois semaines plus tard, dans la nuit du 13 au 14 juin, après avoir fait d'immenses travaux pour protéger les tranchées, les digues et les ponts contre l'inondation, et construit les ouvrages qui formaient la ligne d'investissement, après avoir vu arriver au camp 120 pièces de gros calibre et des approvisionnements de toute sorte, le génie autrichien ouvrait la première parallèle, de Saint-Saulve à l'Escaut par Marly.

Le 14 juin, à midi, un trompette sommait Ferrand et la municipalité de rendre la place. Le duc d'York annonçait au général que le siège serait meurtrier et entraînerait inévitablement la ruine de Valenciennes, et il invitait les municipaux à prévenir par leurs conseils et leur influence non seulement la destruction d'une cité florissante, mais la perte de leurs propriétés et de leur existence. Ferrand se contenta d'envoyer au prince une copie du serment qu'il avait prêté le 30 mai avec ; les habitants et les soldats. La municipalité hésita, et j quelques-uns de ses membres demandèrent s'il était nécessaire de répondre. Mais Cochon et Briez étaient présents : ils mirent fin, dit un des assiégés, aux lenteurs bourgeoises ; ils déclarèrent que le silence des autorités civiles imprimerait sur elles une lâche ineffaçable ; eux-mêmes, ainsi que le procureur de la commune, Hamoir du Croisier, rédigèrent une réponse. Celle de Hamoir parut trop polie ; celle de Briez sembla trop longue ; celle de Cochon, courte, ferme, énergique, fut adoptée à l'unanimité : Nos propriétés et notre existence ne sont rien auprès de notre devoir ; nous serons fidèles au serment que nous avons fait conjointement avec notre brave général et nous ne pouvons qu'adhérer à la réponse qu'il vous a faite.

Le bombardement s'ouvrit sur-le-champ. Les alliés, sachant que la bourgeoisie était nombreuse et que des casemates à l'abri des bombes n'existaient pas dans la place, avaient résolu de diriger leur feu le jour contre les fortifications et la nuit sur la ville : ils incendieraient ainsi Valenciennes en plusieurs endroits ; ils détruiraient une partie des vivres et des magasins de la garnison ; à force de projectiles, ils fatigueraient le peuple qui demanderait bientôt la capitulation.

La première bombe, partie d'Anzin, éclata dans la rue de Tournay et ne blessa personne. L'aide-de-camp Lavignette qui se trouvait là, resta ferme sur son cheval, sans faire le moindre mouvement, et les bourgeois qui l'environnaient crièrent : Vive la Nation. Mais à minuit les bombes et les boulets rouges causaient un tel dommage dans le quartier que les habitants l'abandonnèrent[31].

Le 17 juin, Ferrand remarqua que les ennemis avaient fait durant la nuit deux boyaux de tranchée et qu'ils redoublaient d'activité pour arriver promptement à un chemin creux qui régnait sur tout le front d'attaque et qui servirait à l'établissement de leur deuxième parallèle. Il décida d'opérer une sortie : deux pelotons, chacun de cent cinquante hommes de bonne volonté, se porteraient dans les tranchées, égorgeraient à la baïonnette tout ce qu'ils rencontreraient, feraient sur les fuyards une décharge meurtrière, puis se replieraient en bon ordre sur la place tandis que les cinquante travailleurs qui suivaient chaque détachement, renverseraient les ouvrages. La sortie eut lieu le même jour, à cinq heures et demie du soir. Deux pelotons de cent cinquante hommes, composés en grande partie de soldats du 29e régiment et de volontaires de la Nièvre et de Loir-et-Cher, marchèrent vers les deux boyaux de tranchée. Courez, leur avait dit Beaurgard, courez sur ces bougres-là, jusqu'à leurs retranchements et ne tirez que quand vous y serez. Soldats et volontaires s'élancèrent pêle-mêle. A cette vue, les pionniers autrichiens détalèrent. Nous courions, écrit un des assaillants, comme si nous voulions les attraper, et ils couraient aussi, tant qu'ils avaient de jambes ; moi, à mon particulier, j'eus bien du plaisir à les voir se sauver, mais quand nous fûmes près de leurs derniers retranchements, il y en avait là en force embusqués ; ils firent une décharge sur nous ; les balles nous entouraient comme de la grêle. Les républicains rentrèrent précipitamment dans le chemin couvert. Leur attaque n'avait duré que quinze minutes et ils ne perdaient que deux des leurs. Ce fut la seule sortie des assiégés. Les journaux de Paris la donnèrent au public pour une héroïque prouesse et prétendirent que Valenciennes était un autre Mayence, que la garnison avait, dans une vigoureuse expédition, exterminé les troupes qui gardaient la tranchée, conquis les batteries, encloué ou pris treize pièces, et tué deux généraux ! Le duc d'York éclata de rire en lisant ces fables et, pour se moquer des patriotes, il fit insérer dans un obus non chargé le numéro du Courrier français qui rapportait ces fantastiques exploits ; mais l'obus ne fut pas fouillé et on ne sut que plus tard cette plaisanterie du prince[32].

Le i8 juin, le rempart, de la porte Cardon au bastion Poterne, fut battu par quarante canons et trente mortiers avec une telle violence qu'il ressemblait à un long cimetière où l'on aurait creusé des milliers de fosses. Le bastion Poterne fut quelque temps abandonné et les soldats le nommaient entre eux la porte du duc d'York, 4.000 bombes et 600 boulets rouges tombèrent pendant la nuit sur la ville et de leurs boyaux, les canonniers impériaux entendaient les cris et les plaintes qui s'élevaient dans Valenciennes[33].

Le 19, l'ennemi débouchait par quatre endroits et, s'avançant en zigzags vers le chemin creux, commençait, malgré des pluies abondantes, les travaux de la deuxième parallèle[34].

Le 20, l'arsenal de Valenciennes devenait la proie des flammes. On ne put arrêter l'incendie qui dura quatre heures. Quatorze mille fusils se trouvaient chargés et placés horizontalement sur des chevalets, de sorte que les balles allaient frapper les maisons voisines et ceux qui s'approchaient. Tout fut réduit en cendres ou calciné : fusils, mèches, sacs à terre, pelles et pioches, affûts et roues de rechange, armes et ustensiles. On ne sauva que des pots à feu qu'un intrépide canonnier osa chercher au péril de sa vie. Les assiégeants jetaient des bombes sur le brasier pour écarter les secours et criaient des tranchées Vital et Victoria[35].

Le 21, nouveaux désastres. Sous l'averse et dans la fange qui leur montait à la cheville et qui les obligea d'employer jusqu'à deux cents hommes pour trainer et pousser une seule pièce, les alliés se hâtaient d'achever la deuxième parallèle, et sur certains points ils étaient à trois cents pas des saillants du chemin couvert. Ferrand constatait avec douleur que les bastions du corps de place avaient prodigieusement souffert, que la crête des parapets se dégradait, que les murs étaient criblés de coups de canon. Les bombes et les boulets rouges ne cessaient de pleuvoir sur la ville. L'hôtel du gouverneur s'écroulait. L'église Saint-Nicolas brûlait avec sa tour. On découvrait du haut de cette tour les tranchées des coalisés dans toute leur étendue. Aussi, depuis le début du bombardement, s'efforçaient-ils de détruire l'édifice. Mais les pompiers avaient réussi chaque fois à éteindre le feu. L'ennemi fut plus heureux dans la nuit du 21 au 22 juin. Tous les secours furent inutiles. L'église entière s'embrasa ; son toit s'effondra ; les cloches s'abattaient sur les voûtes qu'elles brisaient avec un épouvantable fracas ; du clocher montaient d'épaisses colonnes de fumée à travers lesquelles perçaient des jets et des tournoiements de flammes ; on apercevait distinctement et mieux qu'en plein jour les ouvrages des Austro-Anglais.

Le 22 juin, les assiégeants déterminaient la position des batteries dans la deuxième parallèle. Peu à peu ils s'approchaient des palissades et déjà les Français s'armaient des fusils de rempart pour atteindre les servants.

Le 23, Ferrand écrivait dans son Journal que si les ennemis continuaient à bombarder la place comme ils faisaient depuis dix jours, il ne resterait pas un vestige de Valenciennes, et le surlendemain, dans la journée du 25, une des plus destructives, où deux cents maisons au moins étaient abîmées par le canon, il ajoutait que si la République ne lui portait une prompte assistance, toute la ville serait foudroyée avant une semaine.

Le 26, les bombes accablaient les quartiers où logeaient les troupes, et la garnison, contrainte d'abandonner ses casernes, allait camper dans les ouvrages où n'arrivaient pas les projectiles. Un canonnier désertait et annonçait aux alliés que leur feu produisait les effets les plus redoutables et que tout Valenciennes attribuait cette justesse et cette puissance de tir aux émigrés de l'ancien corps royal de l'artillerie. Voilà, s'écriait Unterberger, le raisonnement habituel des Français ; ils pensent qu'eux seuls voient avec deux yeux et que les autres ne voient que d'un seul œil !

Le 27, les cinquante-trois pièces des douze batteries de la deuxième parallèle tiraient avec une telle vivacité, que la terre, comme secouée, tremblait aux environs. Unterberger assure que le spectacle était effrayant et que le retentissement de tant de bouches à feu, le sifflement de tant de bombes, de boulets et d'obus, le choc et le heurt de tant de projectiles contre les murailles et les remparts, le crépitement qu'ils faisaient en tombant sur les maisons, auraient saisi de frisson et d'horreur le courage le plus froid. Ferrand marque dans sa relation manuscrite que l'adversaire démonte plusieurs pièces et ne cesse d'avancer, que le peuple se décourage, qu'une moitié de la ville est écrasée et l'autre fort endommagée[36].

Dans la nuit du 28 au 29 juin, les Autrichiens, poursuivant le cheminement de leurs tranchées, poussaient quatre boyaux au-delà de la deuxième parallèle et se dirigeaient d'un côté vers les saillants de l'ouvrage à corne de Mons et de sa demi-lune, de l'autre vers le saillant de la lunette de Saint-Saulve : ils opéraient ainsi deux attaques qui devaient se soutenir mutuellement, l'une contre le grand ouvrage à corne, le grosses Hornwerk, l'autre contre les ouvrages en avant du bastion et de la courtine de Poterne. Dès le 3 juillet, ils étaient à douze toises des saillants du chemin couvert et ils commençaient aussitôt la troisième parallèle en usant des procédés ordinaires de la sape. Ils ne purent former leur établissement au pied du glacis qu'après plusieurs jours, tant à cause de la pluie que parce que les incendies allumés dans la ville éclairaient leurs travaux. Mais ils terminaient leur troisième parallèle dans la nuit du 5 au 6 juillet, et bientôt dix nouvelles batteries, s'unissant à celles de la deuxième parallèle, couvraient les ouvrages extérieurs de projectiles de toute sorte, de grenades, de pierres, de pavés arrondis. Elles ruinaient nos défenses, écrit Dembarrère, et bouleversaient les parapets. Elles battaient le bastion de la courtine de Poterne, dont les revêtements étaient vus du dehors, et la brèche, dit un des assiégés, fut si grande en cet endroit qu'on n'aurait eu qu'à la piétiner durant quatre heures pour y monter aisément en rangs serrés. Presque toujours, dans cette partie du front d'attaque, le ciel paraissait rempli d'une épaisse fumée et d'une poussière rougeâtre qui venait des briques détachées du rempart[37].

La ville n'était pas épargnée. Chaque nuit un feu intense sévissait sur elle. Un volontaire rapporte qu'il a compté dans l'espace de trois heures 723 bombes, qu'il en voyait fréquemment 15 à 18 au milieu de l'air et qu'il en vit partir 8 à la fois de la batterie de Saint-Saulve. Le tonnerre de tant de bouches à feu répété au loin par l'écho, l'élan majestueux et terrible des bombes, le sifflement des boulets, mille éclairs qui sillonnaient le ciel, tout cela formait sur la ville une magnifique horreur, un mouvement aussi imposant à l'œil et à l'imagination qu'il était déchirant pour l'âme[38].

 

Ferrand luttait de son mieux. Tout militaire, disait-il, sait qu'il n'y a pas de place imprenable ; le devoir du commandant, c'est de retarder la progression des travaux. Son artillerie était activement servie, et lui-même reconnait qu'elle fit preuve de justesse et de célérité. Elle ripostait vigoureusement aux assiégeants, les molestait, les obligeait à n'avancer qu'avec lenteur et circonspection. Le 15 juin, elle réduisait au silence la batterie d'Anzin. Le 18, avoue Unterberger, elle se montrait supérieure, jetait des bombes en grand nombre dans la batterie du Roleur, ruinait entièrement deux embrasures, brisait quelques plates-formes et les roues de trois canons. Le 22, elle rendait très dangereux le travail des pionniers. Le 27 et le 28, des pièces ambulantes du calibre de 16 allaient et venaient sur plusieurs points de la défense, tout en restant hors de portée ; on tira sur elles, mais elles s'éloignaient aussitôt pour reparaître à un autre endroit et lancer des bombes ; on leur fit la chasse et les poursuivit, mais elles changeaient de place si souvent et avec tant de rapidité qu'on ne put leur causer un mal sérieux et Unterberger confesse qu'elles l'incommodèrent puissamment. Le 29, un boulet, tombant dans la première parallèle, faisait sauter un dépôt de bombes et de poudre. Le 30, des projectiles partis de Valenciennes démontaient trois pièces de la batterie qui prenait en rouage la contregarde de Cardon[39].

Ce fut surtout dans le mois de juillet que l'artillerie française se distingua, qu'elle déploya le plus d'ardeur et d'entrain. Le 2, le Comité de siège décidait que les officiers généraux et supérieurs auraient soin d'entretenir sur les ouvrages de l'assiégeant un feu continuel, et le jour même, Ferrand jugeait que ses canonniers avaient fait merveilles. Le 3, une des batteries de la première parallèle, prise en écharpe par la courtine de Mons, était forcée de se taire. Le 4, dit encore Ferrand, les travailleurs ennemis ne pouvaient résister et une grande partie de leurs ouvrages étaient renversés. Le 5, un obus venu de la ville incendiait un des magasins du génie autrichien ; l'explosion était considérable et du rempart, on voyait des hommes sauter en l'air. Le 6, un autre magasin sautait pareillement avec le lieutenant qui commandait le poste, et Unterberger devait remplacer plusieurs affûts fracassés et dix-sept pièces de 24 évasées ou ruinées par les bombes françaises. Le 8, les batteries ambulantes détruisaient des épaulements, mettaient quelques Impériaux hors de combat, et rendaient les communications des tranchées fort périlleuses. Le 10, la canonnade de la place était si violente qu'elle étonnait les assiégeants ; par bonheur pour eux, l'artillerie républicaine tirait trop vite et ses projectiles dépassaient le but. Le 11, en un instant, elle tuait trois hommes dans les boyaux de la deuxième parallèle et en blessait neuf. Le 12, à midi, elle avait déjà couché sur le sol près de quarante ouvriers, et dans la journée, elle fit derechef de grands dégâts dans une des batteries de la deuxième parallèle. Le 13, elle causait à l'adversaire de nouveaux dommages qu'il devait réparer en hâte durant la nuit, et les jours suivants, lisons-nous dans les notes de Ferrand, elle se donnait au service de la République avec tout le zèle possible. Le 17, elle faisait sauter un magasin de munitions. Le 18, elle envoyait ses bombes, témoigne un Autrichien, avec une extrême précision, et portait aux assaillants bien des préjudices et des désagréments. Le 20 et le 24, elle canonnait avec furie les batteries des alliés et surtout celles qu'ils établissaient près d'Anzin. Le 22, elle obligeait Unterberger à modérer son feu parce qu'il avait dans la deuxième parallèle huit pièces entièrement dégradées. Le 23, elle harcelait les deux batteries d'Anzin, leur brisait deux plateformes, leur démontait un canon, et le corps des artilleurs autrichiens avait dans cette journée deux morts et dix-neuf blessés, sans compter les servants. Le 24, Unterberger voyait sauter trois de ses magasins[40].

Les munitions commençaient à manquer. Mais on ramassa les projectiles de l'assiégeant qui n'avaient pas éclaté, et on en réunit environ six mille. Ferrand offrait dix sols pour chaque obus chargé, et lorsque les soldats rentrant en ville apportaient à la fabrique d'artifices un obus trouvé dans le fossé, ils disaient plaisamment qu'ils avaient gagné leur bivac. On scia les canons dont la bouche était altérée, et quoique très courts, ils purent servir encore. On s'efforça de combler les brèches : Ferrand, secondé par Tholosé et Dembarrère, par son aide-de-camp Moraux, par le lieutenant du génie d'Hautpoul, fit quotidiennement réparer les palissades, enlever les terres éboulées, dégager la partie du bastion qui n'était pas atteinte. Il payait largement les travailleurs et leur donnait quarante sols par heure. Les Autrichiens dirigeaient au pied des brèches un feu très vif, mais les soldats se blottissaient au moment du plus grand péril dans les fossés des ouvrages voisins, puis revenaient poursuivre leur œuvre de déblaiement[41].

Pas un instant de repos ni de relâche. Au milieu de ce tonnerre d'artillerie, pas une de ces trêves courtoises et chevaleresques comme à Mayence, où les officiers des deux armées s'abordaient avec sympathie. La lutte ne cessa et le canon ne se tut entièrement que le 16 juillet, dans l'après-midi, où eut lieu un armistice de trois heures. A la prière de Custine, le duc d'York autorisait Mme Melletier, femme du rédacteur de l'Argus, à sortir de Valenciennes[42]. Elle était enceinte et avait avec elle une domestique et une petite fille de neuf ans. On la conduisit au quartier-général d'Onnaing ; mais on ne lui permit pas d'aller à Paris ; elle dut se rendre à Mons. C'était, dit Unterberger, une zélée républicaine, et on voyait qu'elle avait, ainsi que sa fillette et sa domestique, passé par bien des épreuves et des angoisses. Des scènes curieuses se produisaient durant cette suspension d'armes. Assiégeants et assiégés se saluaient de loin, et ensuite s'accostaient. Les uns pénétraient dans les tranchées et les autres dans les chemins couverts. On se prenait bras dessus, bras dessous ; on buvait ensemble, on trinquait, on s'embrassait et se complimentait comme des amis qui se revoient après une longue absence. Les Français demandaient des nouvelles ; les alliés leur en donnaient avec empressement, leur juraient sur l'honneur que la garnison de Condé était prisonnière, qu'une femme de Rouen venait de poignarder Marat et qu'on l'avait pendue avec son complice Barbaroux, que vingt-quatre députés étaient arrêtés à Paris parce qu'ils désiraient un roi, que de grands troubles éclataient à Lyon, à Marseille, à Bordeaux. Mais bientôt la trêve expirait. Une dernière rasade d'eau-de-vie, une dernière accolade et poignée de main ! Et chacun regagnait son poste. Les républicains rentraient dans le chemin couvert ; les piquets des alliés s'abritaient dans les tranchées de la troisième parallèle ; des deux côtés on criait soit Vivent les Français ! soit Vivent les Autrichiens ! et Vivent les Anglais ! puis la guerre recommençait, et à ce pacifique entretien des deux armées succédait une canonnade acharnée[43].

La reddition de Condé avait accru les ressources des assiégeants. Ils purent remplacer par des pièces françaises aux affûts dits de Gribauval leurs canons démontés. Ils tirèrent avec plus d'animosité qu'auparavant sur le magasin aux vivres ou Munitionnaire et sur l'Hôpital Général. Pour mieux battre ces deux édifices et prendre en flanc le front d'attaque, ils placèrent de l'autre côté de l'Escaut, sur le mont d'Anzin, deux batteries nouvelles. Ils avaient résolu de réduire enfin au silence le canon ennemi et de déconcerter, de décontenancer l'adversaire. Le 23 juillet, à trois heures et demie du matin, toute l'artillerie des trois parallèles entrait en action, Il est difficile, écrit Unterberger, de se représenter ce feu redoutable. Des morceaux entiers du revêtement des ouvrages s'écroulaient dans les fossés ; des éclats de roues et d'affûts volaient en l'air ; les boulets qui s'élevaient trop haut ou qui ne faisaient qu'érafler la crête des parapets, retombaient en sifflant dans la ville et passaient avec un bruit effroyable à travers les toits et les murs des maisons. Les Français répondirent avec vigueur. Toutefois au bout de quelques heures, leur feu se ralentit sensiblement ; leurs canons finirent par se taire ; leurs mortiers seuls jouaient encore de temps en temps. Au matin, on vit qu'ils avaient pratiqué sur la courtine de Mons deux embrasures recouvertes par dessus, selon les principes de Montalembert. Mais les batteries qui pouvaient pointer sur elles, les détruisirent en peu d'instants. Le lendemain et le surlendemain, même canonnade, même duel retentissant, et même supériorité des alliés. Dans la matinée du 24, l'artillerie de la place, muette presque partout, ne se fit entendre que sur la gauche du front d'attaque. Elle sembla reprendre des forces dans l'après-midi et le 25 le feu qu'elle entama fut très chaud et très soutenu ; mais les assiégeants l'emportèrent ; nulle part les pièces françaises n'eurent l'avantage ; le grand ouvrage à corne ne jetait plus que des pierres par intervalles. La situation de Valenciennes devenait critique. Une brèche considérable s'était produite au corps de la place près du Munitionnaire et le génie français, alarmé, craignant que la montée de cette brèche ne parût praticable aux coalisés, et, comme on disait, susceptible d'assaut, augmentait le volume d'eau du fossé. Les brèches du bastion Poterne et de la courtine de Mons s'étaient élargies et les assiégés devaient continuellement enlever les éboulis. Encore ce bastion et cette courtine avaient-ils été si profondément ébranlés qu'à chaque coup de leurs propres canons, la terre s'affaissait ; il fallut reculer les batteries et les enfoncer de quatre à cinq pieds dans le sol pour former un nouveau parapet. Mais les canonniers étaient tellement accablés de projectiles qu'ils déchargeaient leurs pièces toutes à la fois et, la salve faite, se retiraient au pas de course dans une casemate qu'ils avaient construite en arrière de leur batterie.

Cependant, le génie autrichien ne restait pas inactif ; le 24 et le 25 juillet, au matin, quoique la troisième parallèle fût très proche du chemin couvert, les ingénieurs débouchaient par la sape en quatre endroits différents et gagnaient de plus en plus du terrain, sans craindre les mines que l'assiégé avait peut-être préparées pour les faire sauter. En même temps, dans les nuits du 22, du 23, du 24 juillet, des tirailleurs s'approchaient des palissades comme s'ils avaient le dessein d'emporter de vive force le chemin couvert et les ouvrages extérieurs. Les postes de la garnison eurent une attitude ferme et, comme dit Dembarrère, imposante ; accueillis chaque fois par un feu bien nourri, les assiégeants rentrèrent dans leurs boyaux. Mais ils ne voulaient qu'intimider l'adversaire, l'éloigner du chemin couvert et l'empêcher de réparer ses parapets. Tout annonçait l'assaut ou, suivant l'expression de Mercy, un événement. Les alliés déclaraient qu'ils touchaient au terme de leur entreprise et on pariait dans leur camp mille louis contre cent que Valenciennes se rendrait sous huit jours[44].

 

Dès le 8 juillet, les pionniers autrichiens s'étaient enfoncés derrière la troisième parallèle devant le grand ouvrage à corne et avaient poussé trois rameaux pour faire sauter au moyen de globes de compression les mines de la place et, au besoin, pour renverser dans le fossé le chemin couvert et la contrescarpe. Le travail n'alla que très lentement à cause du terrain qui se composait presque entièrement de pierres crayeuses. Mais il ne fut pas un seul instant interrompu, malgré les plaintes et l'inexpérience des ouvriers. Le 18 juillet, les mineurs arrivaient sous les palissades : le 19, ils recevaient de l'artillerie 150 quintaux de poudre ; le 20, ils chargeaient leurs fourneaux.

Les Français n'ignoraient pas le dessein des alliés. A la couleur des pierres graveleuses, marneuses, blanchâtres, que l'ennemi rejetait et amoncelait sur ses épaulements, les avant-postes devinaient qu'il contreminait. On veut, disait Texier de la Pommeraye, nous faire danser. Un déserteur du régiment de Brechainville confirma les assiégés dans leur opinion. Ce déserteur se présenta le 19 juillet aux palissades. La sentinelle menaça de tirer sur lui ; mais, bien que couché en joue, il avança hardiment en criant qu'il venait sauver Valenciennes et la République. La vedette appela l'officier du poste qui fit avertir Ferrand. Admis dans la ville, le transfuge déclara qu'il était mineur ; et il entra dans les plus grands détails, précisa le nombre des soldats et des travailleurs, affirma que les alliés n'osaient attaquer directement le chemin couvert et que le génie autrichien avait fouillé les entrailles de la terre en trois points différents pour chercher les mines de la place et les faire sauter. Il parlait avec assurance, décrivait exactement les galeries, leur étendue, leur profondeur, leur distance. On lui mit un habit de volontaire ; on le mena sur le soir aux palissades, et là il montra les trois endroits où les assiégeants contreminaient. Il méritait toute créance, mais le corps des mineurs était incertain et hésitant ; il avait perdu son capitaine, le seul qui fût instruit et qui connût le service ; il n'avait pris sur le front du grand ouvrage à corne que des dispositions défectueuses et incomplètes. On ne fit donc rien de ce qu'on devait faire. On jeta des cominges sur les galeries que le déserteur avait indiquées pour crever le terrain et étouffer les ennemis ; mais l'opération n'eut aucun résultat. On débourra les mines afin de juger plus sûrement du travail de l'adversaire et l'on se tint aux écoutes ; mais les mineurs rapportèrent qu'ils n'entendaient rien. On creusa le sol au saillant de l'ouvrage à corne et on pratiqua deux galeries obliques dans l'intention de rencontrer l'assiégeant ; mais la besogne était longue et l'on manqua de temps pour l'achever. On proposa dans le Comité de siège de mettre le feu aux mines ; mais on répondit que ce serait un grand hasard que l'Autrichien vînt à les éventer[45], que leur explosion ne ferait pas de mal aux alliés qui n'étaient encore qu'à vingt toises des palissades, qu'elle leur ouvrirait le chemin couvert et formerait un entonnoir où ils pourraient s'établir avec avantage, qu'on ne faisait sauter les mines que lorsque les ennemis occupaient le chemin couvert et y installaient leurs batteries[46].

Le succès des coalisés était dès lors assuré. Ils avaient décidé qu'ils feraient jouer dans la soirée du 25 juillet trois fourneaux de mine dirigés contre le grand ouvrage à corne et qu'après l'explosion le chemin couvert serait emporté de vive force. Abercromby, Erbach, Wenkheim, conduiraient trois colonnes d'assaut, la première, où ne se trouvaient que des Anglais, contre la gauche du grand ouvrage à corne, la deuxième, formée d'Impériaux, contre la droite de l'ouvrage, la troisième, composée de Hongrois et de Valaques, contre le petit ouvrage à corne et sa lunette avancée[47].

Le 25 juillet, à 9 heures du soir, pendant que la lune, à son lever, apparaissait à travers les bouquets d'arbres, au-dessus d'Estreux, le feu des Austro-Anglais éclatait de toutes parts, même sur la citadelle, sur son réduit, que battaient les mortiers, sur ses palissades, qu'accablaient les balles des mousquets et les grenades. On divisait ainsi l'attention et les forces de l'assiégé. Soudain, tandis que les canonniers de la troisième parallèle se hâtaient de rentrer dans la deuxième, trois fourneaux de mine firent explosion, à quelques minutes de distance, sur les trois saillants de l'ouvrage à corne. Ils mirent en poudre deux places d'armes, arrachèrent et brisèrent les palissades, creusèrent des excavations d'une telle profondeur que cinq mille bottes de foin les auraient difficilement comblées. La scène était épouvantable. On eut dit qu'un tremblement de terre et une éruption de volcan se produisaient tout ensemble, et jamais artiste, rapporte un des assiégeants, n'eût à peindre un spectacle à la fois plus grandiose et plus terrible. D'énormes portions du sol, des éclats de planches, des pierres, volaient en l'air, avec un bruit qui ressemblait au mugissement du plus furieux ouragan, mais qu'on n'entendait qu'à de rares intervalles, lorsque se taisait l'artillerie. A peine le dernier débris était-il retombé que les alliés s'élançaient de leurs boyaux au pas de course, les Anglais et les Hanovriens en criant hourrah, les Wallons et les émigrés en criant en avant, tue, tue, ou encore rends-toi, sans-culotte, rends-toi, carmagnole, les Autrichiens en criant Weich, Patriot, ou recule, Patriote, les Hongrois et les Valaques, suivant une habitude qui leur venait des guerres contre les Turcs, en criant Allah. Ils poussaient des cris, dit un volontaire de Loir-et-Cher, comme si on les eût égorgés et prononçaient des paroles très offensantes pour nous.

Ebranlés par la commotion, accablés par le nombre, les piquets de garde prirent la fuite. Eperdus, effarés, les détachements de réserve qui bivaquaient dans les fossés et les ouvrages avancés, se sauvèrent dans la place. La prédiction de Ferrand se vérifiait ; le 2 juillet il écrivait qu'il avait la triste perspective que sa garnison fuirait précipitamment et sans résistance lorsque l'ennemi attaquerait le chemin couvert.

On pouvait faire jouer les mines qui demeuraient intactes, et un officier du bataillon de la Charente s'y rendit aussitôt ; mais les mineurs avaient fermé les portes des galeries et quitté leur poste. Le rempart qui devait protéger la retraite des troupes et foudroyer le glacis, restait silencieux. Toutes les batteries étaient abandonnées et au bastion Poterne, à la courtine et-sur les ouvrages voisins, il n'y avait plus que la sentinelle. Seuls les bastions de Cardon et du magasin au bois, défendus par les canonniers de la garde nationale, tirèrent quelques coups à mitraille sur le flanc des colonnes d'assaut.

Cependant le chemin couvert se remplissait d'assaillants furieux et avides de carnage. D'intrépides Français, en très petit nombre, revinrent sur quelques points, se réunirent en pelotons, et après avoir déchargé leur fusil, s'avancèrent la baïonnette au bout du canon. Une mêlée horrible s'engagea ; on se prenait aux cheveux, on se déchirait avec les ongles et les dents, on ramassait des éclats de bombe pour s'assommer. Mais enfin cette poignée de républicains dut reculer et se réfugier dans la ville. Les uns eurent le temps de se replier sur la poterne de Mons ; les autres, la trouvant fermée, passèrent sous une arcade près des écluses de la porte de Mons et arrivèrent par la berme à la poterne de Cardon.

Les assiégeants avaient conquis le chemin couvert et, conformément au plan d'attaque, ils commençaient à s'y loger. Mais un émigré, l'audacieux Langeron, était descendu dans les fossés, et poussait jusqu'au corps de la place ; à sa grande surprise il ne rencontrait personne, ni dans l'ouvrage à corne, ni dans les contre-gardes, ni dans les demi-lunes. Un officier anglais, qui l'accompagnait, montait, comme lui, sur l'ouvrage à corne. Etonnés et ravis, Langeron et l'Anglais couraient dire aussitôt à Dietrichstein, lieutenant-colonel au corps des ingénieurs, que les ouvrages avancés étaient entièrement déserts. Dietrichstein entamait déjà les logements dans le chemin couvert. Il envoya sur-le-champ ses travailleurs dans l'ouvrage à corne. Par trois fois, Ferraris, qui ne soupçonnait pas toute l'importance de son succès, fit donner l'ordre à Dietrichstein de se retirer. Par trois fois Dietrichstein répondit qu'il suivrait son avantage et demeurait où il était[48].

Dans le même temps le général Kray, venu d'Anzin, passait sans bruit les digues et le canal, emportait la redoute Saint-Roch et celle du Noir-Mouton, et faisait main-basse sur les hommes qui gardaient les deux ouvrages. Mais il ne pouvait établir une communication couverte, et l'artillerie de la place l'eût accablé dès le point du jour. Il noya quatre canons et en ramena deux.

S'ils avaient eu plus de hardiesse, les alliés auraient pénétré dans Valenciennes pêle-mêle avec les fuyards. Leur lenteur permit aux Français de fermer les poternes. Mais les républicains qui restaient dans le fossé, tombèrent sous les coups d'un vainqueur qui ne faisait pas de quartier. Plusieurs errèrent çà et là jusqu'au matin ou se tapirent au milieu des cadavres. Un soldat du 29e, légèrement blessé à la tète, s'étendit à terre ; il fut dépouillé de ses habits par les assiégeants et rentra le lendemain, absolument nu. Le capitaine Texier de la Pommeraye se coucha parmi les morts et, sans bouger ni sonner mot, se laissa fouler aux pieds et dévêtir par les Valaques ; il n'avait plus que sa culotte et ses bottes que les détrousseurs jugeaient trop vieilles ; au jour, il se fit hisser par des cordes au sommet du rempart. Un sergent du bataillon des Deux-Sèvres, Robineau, usa du même stratagème que Texier et, comme lui, se mit à plat-ventre sur le sol ; lorsqu'à l'aube, il n'entendit plus de bruit, il se leva et cria : Eh ! vous autres, là-haut ! Texier le pria de se taire ; mais une voix qui partait d'un boyau voisin, lui dit en bon français : Soyez tranquille, on ne vous lâchera plus un seul coup de fusil, mais sauvez-vous comme vous pourrez. — Merci, frère d'armes, répliqua Robineau ; il appela des dragons à l'angle droit du bastion Poterne et se fil tirer sans accident sur le rempart. Il avait appris, pendant les pourparlers, que Texier était capitaine ; il le salua militairement et, bien qu'il eût le bras gauche traversé d'une balle, refusa de monter avant lui.

A la vue des troupes qui revenaient dans une affreuse confusion en criant qu'elles étaient trahies et qu'elles ne retourneraient jamais aux palissades, les habitants de Valenciennes furent saisis de stupeur, puis de colère. Mais quelques-uns des fugitifs, tout couverts de terre, encore froissés et meurtris de leur chute, se traînaient avec peine, et la pitié qu'ils inspiraient tempéra l'indignation qu'excitait la lâcheté de leurs camarades. On cherchait Ferrand et on ne le trouvait pas. Le commandant temporaire n'osait prendre sur lui de faire battre la générale. Le 29e régiment et plusieurs détachements de volontaires eurent ordre de marcher, mais ne dépassèrent pas les poternes.

Ferrand avait couru d'abord au fossé de Mons, ensuite ; à la poterne de Cardon, et il tâchait de rallier les débris du bataillon des Deux-Sèvres et du 29e régiment qui rentraient dans la ville. Mais il eut beau les supplier, les conjurer ; ils restèrent sourds à ses exhortations et à ses prières. Ferrand se rendit à la maison commune. Là Tholosé lui proposa d'opérer immédiatement une sortie vigoureuse avec des troupes fraîches, les seules dont on pût électriser le courage ; il lui remontra que si l'on tardait jusqu'au matin, les coalisés auraient le temps -de se retrancher et gagneraient ainsi huit jours de siège ; il répondait sur sa tête de reconquérir le chemin couvert et l'ouvrage à corne. Ferrand déclara qu'il fallait attendre le jour.

Le général passa la nuit sur le rempart avec les principaux officiers ; au point du jour il y plaça tout le monde qu'il put rassembler ; il fit masquer les poternes et garnir les brèches de chevaux de frise ; il fit tirer à mitraille sur les ennemis qui n'avaient pas encore disparu du fossé et leur jeta des pierres et des grenades. Au point du jour, il vit que les alliés ne tenaient que le grand ouvrage à corne et sa demi-lune. Il commanda sur-le-champ à Beaurgard d'occuper le reste des ouvrages extérieurs et d'y mettre des postes. Beaurgard exécuta l'ordre de Ferrand ; il entra dans les ouvrages sans rencontrer la moindre résistance ; il y trouva des pièces enclouées qui furent aussitôt réparées. Mais les soldats obéissaient mollement et semblaient consternés. Ce brusque et terrible assaut avait rempli la garnison d'un effroi dont elle ne devait pas se relever. Elle se croyait désormais à la merci de l'assiégeant. L'artillerie même, jusqu'alors si brave et si constante, donnait l'exemple de l'indiscipline et de l'insubordination. On s'efforça toute la nuit de ramener les canonniers ; plusieurs sortirent de leurs tentes ; les autres refusèrent de marcher. Jamais attaque de chemin couvert, reconnaît Tholosé, n'a été suivie d'une déroute aussi complète[49].

 

Ferrand comprit que tout était fini. Il connaissait exactement sa position et depuis quelques jours la jugeait difficile. Les approvisionnements ne manquaient pas. L'eau-de-vie et le vin remplissaient les magasins. Les soldats s'étaient accoutumés dès le commencement du siège à la viande salée et acceptaient volontiers le biscuit à la place du pain dit de supplément. Jamais ils ne furent mieux sustentés, puisqu'ils avaient, outre leur ration ordinaire, des légumes secs, du fromage, du lard, et les femmes qui logeaient à la citadelle, se félicitaient de partager la nourriture des volontaires de la Charente et de la Côte-d'Or[50].

Mais la garnison avait perdu de son nombre et de sa force. Presque diminuée de moitié par le bombardement, exténuée de fatigue, obligée de se porter aux incendies, elle suffisait à peine aux besoins du siège et, dit Ferrand, murmurait de son énorme service. Lorsqu'elle avait six heures de repos, elle ne pouvait trouver un asile sûr ; tous ses quartiers étaient détruits et elle avait perdu plus de monde dans ses logements qu'aux palissades[51].

Des maladies se déclaraient : la dysenterie, la gale, le scorbut. Les hôpitaux, d'ailleurs encombrés, manquaient des choses les plus nécessaires, et on se servait d'étoupe et de chanvre au lieu de charpie. Les chirurgiens, les médecins succombaient à la tâche[52].

La chaleur devenait excessive. Autant le mois de juin avait été humide et pluvieux, autant le mois de juillet était sec et brûlant. Les alliés étouffaient sous leurs tentes qui leur semblaient des fours à cuire et pour se garantir du soleil, ils avaient construit des baraques de feuillage unies les unes aux autres par des allées couvertes ; aussi comparaient-ils leurs camps à des jardins anglais pleins de berceaux. Mais les assiégés étaient accablés par la température. Tapis au pied des palissades et ne bougeant pas, de peur d'être tués, ils essayaient vainement, en mâchant du biscuit, d'étancher la soif ardente qui les dévorait. Quelques-uns buvaient leur urine pour se rafraîchir. Des blessés priaient leurs camarades de les achever. Un grenadier, mortellement atteint, s'écriait : Tant mieux, je ne souffrirai plus ![53]

Au milieu de tant de peines et d'efforts, l'espoir d'un prochain secours avait longtemps soutenu la garnison. On ignorait où était l'armée du Nord. Mais on savait par les parlementaires qu'elle existait et que Custine la commandait. On comptait sur elle et tous les matins on croyait entendre distinctement sa canonnade tantôt vers Maulde, tantôt vers le Quesnoy, plus souvent vers Bouchain. Au huitième jour du bombardement, le bruit se répandit dans la ville que la porte de Tournay était ouverte, que les hussards de Chamborant galopaient à travers le village de Raismes, qu'une forte colonne les suivait et poussait les Austro-Anglais à droite et à gauche. L'allégresse des habitants fut inexprimable, mais ils apprirent promptement que la nouvelle était fausse, et retombèrent en un profond abattement. Le 14 juillet, dans l'ouvrage à corne de la porte de Cambrai, sur un emplacement commode et assez éloigné de la tranchée, la garnison de Valenciennes répétait son serment et célébrait par des salves d'artillerie la fête de la Fédération. Mais les assiégeants victorisaient de leur côté et dès l'aube, en l'honneur de la reddition de Condé, ils avaient fait un feu de file très nourri qui partait de Famars et retentissait à trois reprises différentes sur toute la ligne. Soldats et citoyens eurent un transport de joie : ils s'imaginèrent que l'armée du Nord était tout près, qu'elle célébrait, comme la ville, la fête du 14 juillet ou plutôt qu'elle se mesurait avec les coalisés qui déchargeaient leurs fusils en tournant le dos à la forteresse. La générale battit, les troupes saisirent leurs armes pour s'élancer au dehors, pour seconder par une sortie vigoureuse l'attaque de Custine, pour courir à la rencontre de leurs frères et de leurs libérateurs. Mais bientôt elles n'entendirent plus rien ni dans la plaine ni derrière les collines. Ferrand crut que les ennemis avaient eu le dessein de l'attirer en rase campagne. D'autres pensèrent que le duc d'York voulait se divertir aux dépens des assiégés. Les autres dirent avec plus de raison que l'adversaire ne perdait pas sa poudre à de pareilles amusettes et qu'il faisait la contre-partie de la fête du 14 juillet. Depuis plusieurs jours, les alliés ne criaient-ils pas que Condé avait capitulé ? Et au même instant, ne criaient-ils pas encore, du fond de leurs boyaux, en signe de réjouissance et pour se moquer des vaincus : Vive le Roi ! et A bas la Convention et Président, je demande la parole ? On sut le jour suivant avec une entière certitude que Condé avait ouvert ses portes, et d'ailleurs le duc d'York, en permettant le surlendemain à Mme Melletier de quitter Valenciennes, déclarait qu'elle ne pourrait se rendre que dans une ville de Sa Majesté l'Empereur, à Mons, à Bruxelles ou à Condé. Quel fâcheux pronostic ! Les soldats rebutés par-laient déjà des prisons de Maëstricht, de Liège ou de Cologne qui seraient leur prochain séjour. D'autres persistaient à penser que Custine allait venir, et l'un d'eux, atteint d'une grenade à la tête, disait en tombant : Ah ! Custine, Custine, quand viendras-tu nous venger !

Mais l'armée de secours ne donnait pas signe de vie. Si elle approchait, elle ferait sûrement lever les écluses de Bouchain pour rompre la grande digue que les alliés avaient construite au pont de Trith, et l'eau arriverait à Valenciennes en abondance ; or l'Escaut ne grossissait pas. Nul émissaire ne paraissait pour apporter au moins quelques promesses. Pas d'indices, pas de signal aux endroits qu'on découvrait de Valenciennes, et l'on cherchait vainement des yeux le drapeau tricolore sur la hauteur de Lieu-Saint-Amand. Ferrand envoya trois espions qui devaient franchir les lignes austro-anglaises et percer jusqu'à l'armée du Nord ; ils avaient cousu dans la jarretière de leur culotte un petit papier avec ce simple mot : confiance, signé de Briez, de Cochon et de Ferrand ; leurs instructions étaient purement verbales et ils informeraient Custine que la place se rendrait si elle n'était pas secourue dans la première semaine du mois d'août. Mais les trois espions, dont le dernier partit le 18 juillet, furent pris et pendus.

Le 15 juin, le deuxième jour du bombardement, les assiégés lancèrent un ballon qui pesait trois quarts de livre et contenait le procès-verbal de la prestation du serment, une lettre des représentants au président de la Convention, leurs proclamations et sept à huit lettres particulières. Le ballon s'éleva et, durant une demi-heure, les officiers de la garnison le suivirent du regard à l'aide d'une longue-vue. Les assiégeants l'aperçurent et sortirent de leurs tentes en criant que c'étaient les députés qui fuyaient de Valenciennes. Le ballon tomba sur terre autrichienne[54].

Les soldats se jugeaient donc abandonnés. Il leur semblait, comme disait l'un d'eux, être à dix mille lieues de la patrie. Cette vaine attente de deux mois avait épuisé leur patience, dissipé leur courageuse illusion, et une armée qui n'espère plus peut encore tenter un coup d'audace, peut par une soudaine et généreuse résolution s'ensevelir sous les ruines d'une ville ; jamais elle ne se laissera détruire par pièces et par morceaux en prolongeant une résistance inutile[55].

 

VI. L'attitude de la population valenciennoise alarmait Ferrand plus encore que le découragement et la lassitude de sa garnison. Pourvu, s'écriait-il au début du siège, que je ne sois pas contrarié des habitants ! Dès les premiers jours du bombardement, il avait reconnu qu'ils n'offraient presque point de ressource à la défense et que la plupart, abattus, consternés par le spectacle d'une ville à moitié abîmée, refusaient de se livrer à aucune espèce de secours et se cachaient pour se soustraire au service des pompes. Ils ne se prêtaient à rien, écrit un soldat, et n'auraient pas seulement tiré un seau d'eau. Tous les membres de l'administration du district, un seul excepté, étaient républicains ; plusieurs devaient accompagner la garnison lorsqu'elle évacua la place, et deux d'entre eux, Lemoine et Goffart, que les représentants nomment de chauds patriotes, furent arrêtés par les Autrichiens et emprisonnés. Mais, comme dit Ferrand dans son Journal, on soupçonnait de longue date les habitants et leur imputait la plus grande aristocratie. La majorité du Conseil général de la commune était dévouée de cœur et d'âme à la royauté. Le maire Pourtalès et quelques autres notables s'abstenaient de paraître à cette cérémonie du 30 mai où le peuple de Valenciennes jurait de vivre libre et de mourir. Le procureur de la commune, Hamoir du Croisier, qui fut un des six commissaires envoyés au duc d'York pour traiter de la capitulation, assurait dans une lettre confidentielle que le jour de la reddition était le plus beau jour de sa vie. Benoist l'aîné, un des personnages les plus influents de la municipalité, passait pour un actif partisan des Bourbons, et Cochon lui jetait à la face, le 17 juillet, eu pleine séance du Conseil général, ces paroles accusatrices : Il y a longtemps que vous cherchez à soulever le peuple[56].

Il existait donc à Valenciennes un groupe considérable de malveillants et de malintentionnés. Ils avaient d'abord dit, pour abattre le courage des patriotes, que la ville serait bloquée, et non pas bombardée, que le duc d'York était un prince humain et généreux, qui désirait gagner l'affection des Français. Plus tard, ils adressèrent au Conseil de guerre tantôt des lettres anonymes qui contenaient des menaces, tantôt des pétitions qu'ils rédigeaient au nom du peuple. Ils tranchaient les tuyaux des pompes et les cordes des puits afin de propager les incendies et d'accroître la terreur de la population. Le 20 juin, dans la soirée, ils cassaient la chaîne et le cadenas qui fermaient l'écluse d'un moulin alimenté par un bras de l'Escaut, et les eaux, s'écoulant aussitôt avec abondance, envahissaient des fossés, submergeaient des galeries de mines et inondaient deux rues. Le même soir, aux bastions National et Cardon, ils essayaient de faire sauter les dépôts de munitions des deux batteries, en mettant de l'un à l'autre des traînées de poudre. Ils indiquaient à l'ennemi, par des fusées, les endroits où campait la garnison, et lui envoyaient, presque jour par jour, un bulletin des événements, soit par les déserteurs, soit par des gens qui allaient couper de l'herbe et par des paysans qui fauchaient les fourrages bien au-delà des postes et des sentinelles perdues, vers Notre-Dame, Anzin et le Mouton-Noir. Ferrand annonçait une fois que le bataillon permanent, qui refusait de marcher aux palissades, n'aurait aucune gratification : le lendemain, les alliés, du fond de leurs boyaux, plaisantaient le bataillon. Le général donnait à ses soldats dix sols par obus chargé ; un obus tombait dans une maison sans éclater et, lorsqu'on le débouchait, on y trouvait, au lieu de la charge de poudre, ce billet moqueur : Bon pour dix sols payable au porteur. Le duc d'York certifia, le 28 juillet, aux parlementaires qu'il n'ignorait rien de ce qui se passait dans la ville, et ce disant, il leur montrait une liasse de notes qu'il avait reçues de Valenciennes depuis le commencement du siège[57].

Ces monarchistes de Valenciennes organisèrent des rassemblements destinés à peser sur Ferrand et à lui forcer la main. Le 18 juin, à 5 heures du soir, un attroupement se forma devant l'hôtel-de-ville. Ferrand était sur le rempart ; il accourut, il renouvela le serment de mourir pour la patrie aux applaudissements du Conseil général et des représentants qui lui donnèrent le baiser de fraternité, puis regagna le poste où l'appelait son devoir. Mais la scène qui s'était produite laissa dans les âmes une impression de découragement. Tandis que les hommes, le visage morne et sombre, restaient à la porte de la maison commune, les femmes entraient avec leurs enfants et tombaient aux pieds des municipaux, pleurant, criant pitié. Monsieur, dit une d'elles à Cochon, quand cesserez-vous donc votre colère contre nous ? C'était sur Cochon que les habitants rejetaient tous leurs maux. Ils aimaient et appréciaient Ferrand ; ils le savaient bénin, paternel, et respectaient ses cheveux blancs. Ils estimaient Briez, leur compatriote, plus calme, plus modéré que son collègue et comptaient qu'il plaiderait leur cause devant le Conseil de guerre. Cochon seul était en butte à la malveillance populaire. On lui reprochait les malheurs de Valenciennes comme son ouvrage. On se répétait avec fureur qu'il faudrait tout sacrifier pour ce conventionnel qu'aucun lien n'attachait à la cité. C'est en vous, disait-on au maire Pourtalès, c'est en vous que nous avons confiance et non pas en des étrangers. On maudissait Cochon ; on le traitait de bourreau ; on le couvrait de huées. Un homme lui avait déjà mis le poignard sur la poitrine. Au sortir de l'émeute, le représentant, désespéré, alla sur le rempart ; il souhaitait d'être emporté par une bombe ou un boulet. Il vint le lendemain à la citadelle. Mais vainement on lui proposa d'y rester pour de là brider la ville, de se faire toujours escorter, de casser la municipalité valenciennoise et de créer un Comité militaire où ne siègeraient que des patriotes avérés. Cochon refusa de prendre des mesures aussi violentes. Vainement on lui conseilla d'arrêter Briez qui n'était entouré que de gens suspects. Cochon prit avec raison la défense de son collègue. Vainement on pressa les deux représentants d'établir un tribunal révolutionnaire qui les déchargerait de l'odieux des jugements. Ils objectèrent que personne à Valenciennes n'oserait remplir une pareille fonction et que la Convention interdisait à tout citoyen, sous peine de mort, d'accepter une place dans un tribunal que la loi ou un décret n'avait pas autorisé. Vainement on leur répliquait qu'ils avaient trop de scrupules, que la Convention ne leur en voudrait pas s'ils créaient ce tribunal, qu'ils trouveraient sûrement des juges, et on leur désigna deux ou trois citoyens dont on avait la parole, on leur indiqua des soldats. Cochon et Briez répondirent que la douceur était le seul procédé qui pût réussir[58].

Le rassemblement du 18 juin n'était formé que de femmes de la classe la plus riche. Ces émeutières furent arrêtées. Le juge de paix les interrogea l'une après l'autre devant les commissaires de la Convention et ordonna l'incarcération des plus coupables[59]. Mais, dans la nuit du 20 au 21 juin, Cochon et Briez reconnurent, à n'en pas douter, que le Conseil général de la commune cabalait contre eux. Fallait-il le casser ? C'était exaucer son désir, et déjà la plupart des membres avaient offert leur démission. Les représentants aimèrent mieux conserver la municipalité, tout en la surveillant. Ils déclarèrent que les membres du Conseil général resteraient à leur poste. Eux-mêmes prirent leur repas ou, comme ils disent, leur chétive subsistance à la maison commune et pendant que Cochon visitait les remparts, les hôpitaux et les établissements publics, Briez ne quittait pas un seul instant, ni jour ni nuit, l'hôtel-de-ville. La municipalité, rapporte un des assiégés, rencontrait constamment sur son chemin les commissaires qui joutaient avec elle et lui barraient le passage. Briez et Cochon, écrit Ferrand à cette date, me sont de la plus grande utilité, et coopèrent surtout à diviser les orages qui s'élèvent sur nos têtes[60].

De nouveaux troubles éclatèrent le 24 juin. Un nombre considérable d'hommes et de femmes envahirent l'hôtel-de-ville. Une pétition sans signatures fut présentée aux commissaires de la Convention. On les priait d'entrer en arrangement avec l'ennemi, de négocier une trêve de plusieurs jours et de convenir que la place se rendrait si elle n'était pas secourue dans ce délai. Cochon et Briez, serrés, étouffés au milieu de cette foule, répondirent doucement qu'ils ne pouvaient rien sans consulter Ferrand, qu'ils allaient le mander aussitôt, mais que le général ne saurait, dans une telle presse, arriver jusqu'à eux. Les femmes déclarèrent qu'elles resteraient dans l'hôtel-de-ville et que les hommes se tiendraient à la porte. Un marchand, égaré par la douleur, — le bombardement avait détruit sa maison, — faisait les gestes les plus menaçants et s'écriait que, s'il avait le malheur de perdre son épouse et ses enfants, le seul bien qui lui demeurait, il n'écouterait plus que son désespoir et assassinerait les représentants. Cochon découvrit sa poitrine : Vous pouvez me tuer ; je voudrais, au prix de mon sang, mettre un terme à votre infortune ; mais rien ne m'empêchera de m'acquitter de ma tâche ; je préfère mille morts à un acte de faiblesse ou de lâcheté. Ces paroles calmèrent le marchand ; il reconnut que les représentants avaient une mission pénible, qu'ils étaient à plaindre autant que les particuliers, et il se retira paisiblement. Sur ces entrefaites, Ferrand, qui se reposait sur un grabat, dans un des caveaux de l'Hôpital-Général, était arrivé à la maison commune. Il dit d'un ton ferme qu'il avait des devoirs envers la République et qu'il les remplirait, qu'il ne souillerait pas une réputation de cinquante années, qu'il ne trahirait jamais la nation, qu'il ne tenait pas à porter sa tête sur l'échafaud, qu'il périrait sous le fer des ennemis ou le poignard des traîtres plutôt que de capituler. En même temps se présentaient sur la place les cavaliers du 25e et du 26e régiment que les commissaires avaient appelés à leur aide ; ils se rangèrent en bataille et chargèrent leurs armes ; ils crièrent à diverses reprises Vive la République ; ils refoulèrent les femmes, les frappant du plat de l'épée, leur coupant le jupon, les menaçant, si elles y revenaient, de ne pas les épargner. L'attroupement se dissipa[61].

Les représentants essayèrent de rétablir le calme et arrêtèrent qu'une somme de cent mille livres serait distribuée aux victimes du bombardement. Ferrand déclara, dans une proclamation à tous les citoyens de Valenciennes, que leurs maisons seraient reconstruites aux dépens de la nation et leurs pertes entièrement réparées. Les familles s'entassèrent, les unes dans les casemates de l'Hôpital-Général, dont les voûtes furent blindées et chargées de fumier, les autres, dans le souterrain situé au flanc droit du bastion Sainte-Catherine. Les bataillons de la Charente et de la Côte-d'Or, qui tenaient la citadelle, vécurent sous la toile et cédèrent leurs emplacements couverts aux femmes et aux enfants. L'existence des bourgeois, témoigne un soldat, était intolérable et la multitude se serait plutôt jetée sur nos batteries que de vivre encore quelques jours sous la pluie des boulets et des bombes. Enfin, on usa de moyens d'intimidation. Ferrand jurait dans sa proclamation d'employer la plus grande rigueur contre les auteurs du moindre tumulte. Sur la réquisition de Cochon, les canonniers de la citadelle tournaient leurs pièces contre la ville et promettaient de faire rentrer l'insurrection dans la poussière. La garnison lançait une adresse énergique aux habitants. Elle avait, disait-elle, entendu d'insolentes clameurs, mais elle savait que la masse des citoyens souffrirait avec une résignation héroïque des maux inévitables et regarderait Valenciennes comme une redoute, comme un poste avancé, qui pouvait devenir la proie de l'ennemi. On avait dit au maire, ajoutait le rédacteur de l'adresse, que les espérances reposaient sur lui, non sur des étrangers ; mais les étrangers, c'étaient les Autrichiens, c'étaient ceux qui faisaient pleuvoir des bombes sur les maisons, c'étaient ceux qui, de concert avec l'assiégeant, prononçaient le mot de capitulation. Nous respectons votre infortune, concluait l'orateur de la garnison, et nos mains vont, s'il le faut, creuser des retraites profondes où vous serez à l'abri. Mais si les plaintes des mères éplorées nous déchirent l'âme, la voix du devoir parle plus haut au fond de nos cœurs ; laissez-nous nous livrer à la défense de la ville, ne nous détournez pas de ce soin sacré. Si quelques insensés osaient renouveler une proposition que nous attribuons à l'erreur d'un instant, ils seraient les premiers qui tomberaient sous nos coups. Toute la rigueur du pouvoir militaire sera déployée contre eux, et s'ils trouvent quelque appui dans des autorités faibles ou parj ures, nous saurons conserver Valenciennes à la République. Malheur au traître qui ne se souviendrait pas que nous avons tous juré de nous ensevelir sous les ruines de la place plutôt que de la rendre ![62]

Mais Ferrand, de son aveu, demeurait fort embarrassé. De nouveau, le 24 juin, au matin, des hommes et des femmes l'entourèrent en gémissant sur l'incendie de leurs maisons et le prièrent de cesser toute résistance. Il parvint à les calmer. Néanmoins, il remarquait une grande fermentation, et son Journal rapporte à cette date que des malveillants cachés cherchent à soulever des femmes pour l'engager, conjointement avec les autorités constituées, à proposer une capitulation aux ennemis[63].

Le 26 juin, une femme donna de l'eau-de-vie et un billet de dix sols à un enfant de douze ans en l'exhortant à dire qu'il revenait de Bouchain, qu'il avait remis au général d'armée une lettre de Ferrand et que Custine avait répondu : Le commandant de Valenciennes ne doit espérer aucun secours et il peut faire ce qu'il veut. La femme fut arrêtée et envoyée au juge de paix[64].

Le même jour, la municipalité, épouvantée par le bombardement et désireuse de hâter la reddition, résolut de s'assembler clandestinement à dix heures du soir. Cochon et Briez interdirent la réunion et publièrent à leur tour une adresse à la commune de Valenciennes. Ils rappelaient que la République saurait rendre aux citoyens qui soutiraient pour elle l'ample équivalent des propriétés sacrifiées à l'utilité générale ; ils mettaient la population en garde contre les agitateurs et les traîtres, l'assuraient que les secours approchaient, lui conseillaient le calme et la fermeté : La reconnaissance nationale vous attend ; efforçons-nous de ne jamais démériter de la patrie et faites que chacun puisse dire : J'ai sauvé la France par mon courage t[65].

Malgré cette proclamation, les municipaux et ceux qu'on nommait les aristocrates continuèrent leurs menées, et, comme dit un volontaire, leur travail sournois. On voulut attenter à la vie de Cochon et on promit dix mille livres à celui qui assassinerait ou empoisonnerait Briez ; on espérait, si l'un des représentants disparaissait, annuler les pouvoirs de l'autre en invoquant le décret aux termes duquel les représentants devaient être au moins deux pour délibérer. On insinuait aux gens du peuple et surtout aux femmes que l'ennemi donnerait aisément l'assaut et qu'il passerait les habitants au fil de l'épée. On distribuait de l'argent à des soldats en les excitant à enclouer les pièces du rempart et à ne tirer qu'à poudre sur l'assiégeant[66].

Le 30 juin, plusieurs femmes qui se prétendaient déléguées par la plupart des citoyennes, écrivaient à Ferrand pour lui proposer de capituler, et le général, voyant les troubles qui se développaient dans la ville, poussait cette douloureuse exclamation : Comment est-il possible que je puisse conserver cette place à la République ![67]

Le 1er juillet, dans une note qu'ils rédigeaient de concert, quelques membres du Conseil de la commune assuraient que la peste était dans Valenciennes, qu'il n'y avait pas de médicaments et presque pas d'officiers de santé, que le rempart offrait une brèche praticable. Ils allaient envoyer la note à l'impression. Mais Briez en eut avis et, pour rompre ce coup, il effraya les municipaux, leur fit croire que son collègue Cochon connaissait leur démarche et les laissait s'enferrer afin d'avoir urne arme contre eux. Ils n'osèrent publier leur déclaration. Je viens, s'écriait Ferrand avec satisfaction, de calmer la fermentation qui existait parmi le peuple, c'est-à-dire la partie la plus riche de la ville ; c'est encore une victoire de gagnée ! Le lendemain, le Conseil de guerre faisait afficher une proclamation dont Briez était l'auteur. Les citoyens, disait le représentant, devaient rejeter loin d'eux les craintes qu'on cherchait à leur inspirer ; l'ennemi ne pourrait pénétrer dans Valenciennes ni par surprise, ni par escalade, ni par une attaque de vive force, et tant qu'il n'aurait pas emporté les chemins couverts et les ouvrages avancés, il n'approcherait pas des remparts : les fortifications étaient intactes ; la garnison occupait tout le terrain jusqu'aux palissades ; d'ailleurs, en aucun cas, le Conseil de guerre n'exposerait la vie des soldats et des citoyens, si la place n'était plus tenable. Briez ajoutait que tous ceux, hommes ou femmes, qui parleraient de capitulation, seraient sur-le-champ chassés de la ville, et leurs biens, abandonnés aux pauvres[68].

Le bombardement arrêta les attroupements dans les premières semaines de juillet. Mais de jour en jour croissait le mécontentement des habitants. La bière, leur boisson favorite, commençait à manquer. Ils ne vivaient plus que de pain et d'eau, se plaignaient de n'avoir pas l'ordinaire du soldat, se lamentaient sur le défaut de laitage, de beurre, de fromage, de viande fraîche. Lorsqu'une famille obtenait par hasard deux livres de bœuf, elle croyait faire un repas de noce. La nourriture malsaine et le mauvais air des souterrains avaient produit une épidémie. Il fallait enterrer les morts dans les jardins et les remparts, augmenter le nombre et le salaire des fossoyeurs[69].

Le 3 juillet, un volontaire, dangereusement blessé à l'avancée de Tournay, appelait Ferrand qui passait par là : Général, lui disait-il, on ne compte plus que sur vous ; je vous conseille de vous méfier, de surveiller par vous-même, de mettre plus de sentinelles, car vous êtes trompé. Trois jours plus tard, Ferrand écrivait dans son Journal que des malveillants de toute espèce subornaient la garnison et la désunissaient par leurs insinuations perfides. Le 17, des gens de la ville l'accablaient de reproches et le pressaient de rendre la place ; il réussit à les apaiser. Le 18, il remarquait de nouveau que le peuple se lassait du bombardement et s'agitait ; le 22, qu'un fort parti travaillait contre lui. Il perdit patience et ordonna d'arrêter et d'employer au déblaiement des remparts tout particulier qui se serait permis la moindre équivoque[70].

Mais, le 24, Mortier, le secrétaire-greffier de la municipalité, recevait une lettre écrite au nom d'un grand nombre de citoyens de Valenciennes et signée du pseudonyme de Louis Noté. La lettre déclarait Ferrand, Briez, Cochon et une centaine de scélérats du même acabit responsables du sang versé, responsables de la disette, responsables des infirmités et des maladies que les habitants contractaient dans leurs cloaques empestés ; si les auteurs de nos maux, disait-on, ne capitulent tout de suite avec nos ennemis, tu verras de quoi est capable un peuple outragé et trompé ; nos bras se lèveront pour te punir, toi et tes semblables[71].

 

Vint la nuit du 25 juillet, cette nuit que Bries et Cochon nomment la nuit fatale. Le 26, à huit heures du matin, un trompette, envoyé par le duc d'York, se présentait aux avant-postes le drapeau blanc à la main. Il apportait deux lettres, l'une pour Ferrand, l'autre pour la municipalité.

Le prince sommait une dernière fois le général de rendre la ville. Ferrand ne signerait-il pas une capitulation qui sauverait son honneur et ce qui restait de propriétés aux malheureuses victimes de son obstination ? Ne craignait-il pas les terribles suites de son opiniâtreté ? Sa réponse déciderait irrévocablement du sort de Valenciennes ; passé ce jour, le duc n'écouterait plus aucune proposition, et la ville serait prise d'assaut.

La lettre du prince à la municipalité exprimait les mêmes idées. Il priait les gens qui pouvaient et voulaient le bien de faire cesser par une délibération sage une infructueuse résistance que la dévastation et le carnage suivraient inévitablement ; il déclarait que, si Ferrand refusait de capituler aussitôt, la ville serait pillée et la population massacrée, qu'en de pareilles circonstances le chef le plus humain ne peut soustraire les bourgeois à la vengeance du soldat irrité. Et le duc d'York disait vrai. Hohenlohe-Kirchberg assurait que les assiégeants attendaient avec une extrême impatience le signal de l'assaut, qu'ils étaient exaspérés, que les Anglais juraient de tuer tout, même les femmes, et de n'épargner que les enfants au-dessous de douze ans[72].

Ferrand convoqua sur-le-champ un Conseil auquel assistèrent les autorités constituées, les députés de la Convention et les officiers généraux. Mais pendant la conférence la municipalité fit imprimer les deux lettres du duc d'York[73]. Ce placard fut répandu partout. La foule s'assembla devant la maison commune avec des clameurs de désespoir et de rage. Des hommes armés de sabres et de poignards, de fusils et de pistolets, demandaient que Ferrand rendit la place dans l'instant. Cochon osa se présenter sur le perron et dire que les habitants entendaient bien mal leurs intérêts, qu'ils perdaient en capitulant tout le fruit de leur résistance, qu'ils perdaient également les indemnités qu'ils auraient reçues de la république, que l'Autriche ne les dédommagerait aucunement de la ruine de leurs maisons et de leurs propriétés, qu'ils s'exposaient à la vengeance des Français qui viendraient sans nul doute assiéger la ville et la reprendre. On lui répondit à bas Cochon et à bas la République. Indigné, Cochon déclara que, si l'on criait derechef à bas la République, il mettrait le feu aux quatre coins de la cité avant de la quitter, dût-il être haché en mille morceaux. On le couvrit d'insultes, et il aurait succombé à la fureur populaire, s'il n'avait requis le lieutenant-colonel Carette, du 25e cavalerie. Carette vint avec un détachement. Mais l'émeute grondait et grossissait tellement qu'il dut appeler toute la troupe à cheval ; encore ne put-il dissiper la multitude qu'après avoir, comme dit Ferrand, essuyé beaucoup de propos et non sans qu'il y eût des voies de fait sur plusieurs militaires.

Dans l'après-midi, l'insurrection éclata plus vive et plus ardente. Des bourgeois en armes arrêtèrent sur la place deux bataillons que Ferrand envoyait aux ouvrages du front d'attaque, et les bataillons refusèrent de marcher. Ferrand harangua les mutins et les pria de faire une dernière fois leur devoir. Cochon reparut sur le perron : si la ville, disait-il aux habitants, s'abandonnait elle-même et n'avait pas l'air de se défendre encore, les ennemis y entreraient sans consentir à une capitulation et ils égorgeraient citoyens et soldats. Ces paroles produisirent quelque effet et les bataillons se rendirent à leur poste. Mais les attroupements persistaient. La cavalerie bourgeoise de Valenciennes s'était reformée ; les jeunes gens, montés sur les chevaux qu'ils avaient cachés pendant le siège, caracolaient sur la place et menaçaient les représentants. Cochon requit de nouveau les dragons de la République ainsi que le bataillon de la Charente. Les dragons arrivèrent armés et équipés en guerre. La cavalerie bourgeoise faisait mine de résister. Heureusement, le bataillon de la Charente descendait de la citadelle, tambour battant et au pas de charge, son commandant Léchelle en avant, ses pièces d'artillerie sur les derrières. Les cavaliers valenciennois se retirèrent et le rassemblement se dispersa.

Mais Ferrand, toujours un peu faible et mou, ordonna que le bataillon de la Charente rentrerait dans ses quartiers[74]. Vers le soir se ralluma le soulèvement. Les régiments de ligne, dont les habitants avaient ébranlé la fidélité, parurent sur la place pour appuyer la sédition bourgeoise. La majeure partie de la garnison, écrit Ferrand, est corrompue, subjuguée par les malveillants et semble adopter l'intention du peuple. Les officiers et les soldats avaient quitté la cocarde nationale. Ils criaient vive Dillon — c'était l'ancien nom du 87e — et apportez de la paille pour brûler Cochon. Ils répétaient que les représentants étaient la seule cause des misères de Valenciennes et qu'on devait les pendre, les massacrer. Des officiers du 75e disaient qu'il fallait saler Cochon dans un saloir. L'inspecteur des vivres Barolet se mettait à la tête de la cavalerie civique. Plusieurs employés de l'armée se mêlaient à la foule et lui conseillaient de demander, d'imposer la reddition. Rien n'étonnera plus, rapportent les commissaires, si l'on considère que quantité de personnes attachées au service de la République sont demeurées à Valenciennes avec les Autrichiens et ont refusé d'en sortir avec la garnison, malgré la réquisition et les ordres formels de Ferrand[75].

Pendant que croissait l'effervescence, Ferrand recevait une lettre du sous-directeur de l'Hôpital Général et une supplique des femmes de Valenciennes. Le sous-directeur Fradel annonçait qu'au matin un boulet, entré par la fenêtre du magasin, avait tué un chirurgien et blessé trois personnes, qu'un autre boulet venait de crever la voûte d'un des bas-côtés, à l'un des plus sûrs emplacements, que les malades épouvantés ne voulaient plus rester en cet endroit et que les officiers de santé refusaient de s'y transporter, qu'il y avait beaucoup de murmure dans le peuple et parmi les soldats. Les femmes, au nombre de quatre-vingts environ, priaient Ferrand d'écouter la pitié, d'avoir pour elles les entrailles d'un père tendre, de songer aux dangers qu'elles couraient dans les souterrains de cet hôpital que l'ennemi canonnait avec acharnement depuis seize jours et avait fort ébranlé, de les faire sortir de la ville sous la sauvegarde d'un trompette : une seconde nuit comme celle-ci nous mettrait dans le plus grand péril : dépouillez-vous de toute crainte ; le blâme tombera sur nous. Ferrand leur répondit par écrit qu'il gémissait sur leur malheur, mais que son devoir lui ordonnait de résister encore et d'attendre le secours de l'armée du Nord ; que s'il rendait la place, la République ne manquerait pas de la reprendre ; que les femmes qui demandaient la capitulation, seraient alors traitées sévèrement et se repentiraient de leur lâcheté[76].

Mais, après les troupes de ligne, les volontaires, et notamment le bataillon permanent ou bataillon de Valenciennes, où Ferrand avait mis en subsistance les réfugiés du camp de Famars, se prononçaient pour la population. La garnison avait posé les armes pour ne plus les ressaisir. Elle cessait de travailler aux remparts et tranquille, indifférente, elle regardait les assiégeants qui profitaient de son inertie pour établir sans obstacle leurs logements sur le chemin couvert et réparer les ouvrages conquis. Ferrand avait enjoint de canonner l'ennemi ; mais les artilleurs ne firent pendant la journée du 26 qu'un feu très faible ; ils se disaient harassés, alléguaient que les embrasures des batteries étaient tellement délabrées qu'elles ne pouvaient servir et que les ouvriers manquaient pour les remettre en état. Ferrand avait prescrit de garnir les dehors ; la plupart des détachements les abandonnaient et se rejetaient dans Valenciennes. Au soir, Dembarrère venait à l'ouvrage à corne de Poterne et faisait tirer sur les pionniers autrichiens une pièce de quatre ; mais, dès six heures, les soldats murmurèrent ; ils se plaignaient de n'être pas relevés ; ils appréhendaient d'être surpris et écharpés ; ils avaient faim ; ils voulaient s'en aller ; les uns, et parmi eux les pelotons de Mayenne-et-Loire et du 73e, restèrent à leur poste, non sans peine et sur les vives instances de Dembarrère ; les autres rentrèrent dans la ville. Gambin, qui plaça des troupes de la porte Cardon à la porte de Mons, les entendit proférer les mêmes plaintes : On veut nous faire tous périr ; elles aussi, à l'exception d'une compagnie du Loir-et-Cher, déclaraient qu'elles s'en iraient si elles n'étaient relevées à six heures. Sur un autre point de la défense, aux contregardes et à la demi-lune de Cardon, Beaurgard et son adjoint Leconte éprouvaient de semblables désagréments. En vain Beaurgard employa la menace et, du plat de son sabre, distribua des coups avec colère ; en vain il taxa les soldats de lâcheté, leur reprocha de ternir leur réputation, leur demanda s'ils ne tenaient pas à honte d'être conduits en pays ennemi, les mains liées derrière le dos. Ils s'amoncelaient près des poternes et ne bougeaient pas de là ; pour rien au monde, assuraient-ils, ils ne sortiraient plus ; ils craignaient d'être égorgés dans les ouvrages extérieurs. J'ai la larme à l'œil, écrivait Beaurgard à Ferrand : quelle défense peut-on espérer avec de pareils hommes qui ne vont qu'en tremblant occuper leur poste ? A onze heures de la nuit, Ferrand et Tholosé, faisant leur ronde, virent les troupes couchées pêle-mêle et sommeillant dans les fossés. Ferrand s'irrita ; puis, sa bonté naturelle reprenant le dessus, laissez-les reposer, dit-il au commandant Delaage, ils n'ont pas toujours dormi[77].

Le lendemain et le surlendemain, une partie de la garnison refusait tout net le service ; l'autre ne marchait qu'à contre-cœur, de fort mauvaise grâce, et, selon le mot de Ferrand, en rechignant. C'est la première fois de ma vie, disait le général, que les troupes n'obéissent pas à mes ordres. Le 27 au matin, les détachements qui bivouaquaient aux avant-postes du front d'attaque, rentrèrent dans Valenciennes en jurant qu'ils ne se défendraient plus. Leurs officiers tentèrent inutilement de les retenir. Circonvenus et gagnés par la bourgeoisie, les soldats se rangeaient de son côté, criant avec elle qu'il fallait se soumettre à la volonté de l'assiégeant et ne plus s'opiniâtrer à une résistance qui serait suivie de l'assaut le plus funeste. Les piquets placés à gauche de la poterne de Mons écrivaient à Ferrand qu'ils ne pouvaient garder un poste si épineux et ils le sommaient de les retirer sur le rempart d'ici à deux heures, pour leur sûreté. Plusieurs n'allaient même pas aux remparts et se livraient aux plus grands excès. Le 27 et le 28, dans la matinée, ils envahirent le Munitionnaire et le dépôt d'eau-de-vie et de salaisons de l'Hôpital Général. Mieux valait prendre les effets, disaient-ils, que de les laisser à l'ennemi, et, après tout, ne manquaient-ils pas des choses les plus nécessaires ? Ils brisèrent les portes, ouvrirent les ballots, défoncèrent les tonneaux. Les uns revenaient par les rues avec des fardeaux énormes de bas, de souliers, de culottes, qu'ils vendaient au plus vil prix. Les autres étaient ivres et offraient aux passants le vin ou la liqueur qui emplissait leurs bidons. Quelques-uns, qui étaient de bonne foi, ne prenaient que les habits et les denrées dont ils avaient besoin. Des bataillons choisis et qui semblaient sûrs, furent chargés d'empêcher le désordre. Des chefs d'un républicanisme incontestable marchaient à la tête de cette troupe. On méconnut leur autorité, on les conspua, on les traina dans la boue. Ferrand dut, le 28, par deux fois, se rendre avec des officiers supérieurs, aux magasins de vivres et d'habillement, et, par deux fois, il parvint à disperser les pillards. Mais les représentants avouent tristement qu'ils ne comptaient plus sur personne, et le 29 juillet, le général se désolait que la garnison ne fût pas rentrée dans les bornes de la discipline[78].

 

Ce fut donc en pleine anarchie que Valenciennes capitula. Le 26 juillet, après avoir pris connaissance de la sommation du duc d'York, le Conseil assemblé par Ferrand avait discuté jusqu'à midi, mais, comme disait le général, sans pouvoir rien asseoir. Il fallait pourtant répondre au duc d'York. Ferrand se résolut à renvoyer le trompette qui n'avait pas quitté les avant-postes en le priant de dire au prince que le commandant de Valenciennes ferait bientôt sa réponse. Puis il demanda l'avis des autorités constituées ; elles déclarèrent qu'elles ne se prononceraient que lorsqu'elles sauraient exactement l'état des ouvrages du front d'attaque ainsi que des munitions de guerre et de bouche.

Ferrand convoqua chez lui, dans l'après-midi, un Conseil extraordinaire et purement militaire, formé des généraux de division et de brigade, des commandants des régiments et des bataillons, des officiers du génie et de l'artillerie. Il parla le premier, sans exposer son sentiment, parce qu'il attendait la décision des autorités constituées, et en détaillant les circonstances où il se trouvait. Le 26 juillet, disait-il, il croyait que la place pouvait résister encore huit à dix jours ; mais la garnison, après avoir servi pendant tout le siège avec la plus grande distinction, abandonnait ses postes et se contentait de border le rempart ; la municipalité penchait pour la reddition immédiate ; les habitants s'attroupaient et menaçaient d'arborer le drapeau blanc, d'ouvrir les portes au duc d'York. Néanmoins, il avait l'intention de défendre Valenciennes conformément à l'usage militaire.

Après lui, Tholosé lut un rapport succinct qu'il avait rédigé sur le bureau. Suivant Tholosé, l'ennemi pouvait établir une batterie sur la crête du chemin couvert pour canonner la courtine entre le bastion des Capucins et celui de Poterne ; il emploierait deux jours à la formation de cette batterie ; il aurait besoin d'un troisième jour pour achever la brèche qui, en cet endroit, était faite au tiers. Mais trois autres jours lui seraient nécessaires pour le passage du fossé où les assiégés auraient versé l'eau des inondations supérieures ; il devrait construire une digue ; il devrait creuser une cuvette dans le pourtour du fossé pour refouler l'eau dans le bas Escaut ; il devrait jeter un pont sur poutrelles. La place, concluait Tholosé, avait donc chance de résister six jours encore. Mais elle serait peu t-être réduite dans un délai plus court, si les alliés agrandissaient la brèche déjà praticable au flanc du bastion des Huguenots ; maîtres du pont Rouge, ils avaient sur ce point les moyens d'évacuer l'eau des fossés et des avant-fossés qui les séparaient du rempart.

Dembarrère prit la parole après Tholosé. Il pensait qu'on pouvait tenir quelques jours encore. Si l'on considérait, ajoutait-il, l'état matériel des fortifications de la place et les préparatifs d'attaque, la sommation du duc d'York était précoce. Mais les circonstances morales influent beaucoup dans le prolongement de la défense ; il ne connaissait pas suffisamment l'esprit de la population et les dispositions des troupes pour établir son opinion ; il ne saurait donc évaluer au juste la durée de la résistance.

Après Dembarrère et Tholosé, et à leur exemple, tous les membres du Conseil donnèrent leur avis par écrit.

Les uns s'opposaient à la reddition. Le major de siège, Boussin, déclarait qu'on devait mourir pour la patrie et défendre la place tant qu'elle serait tenable, qu'un seul jour de plus pouvait sauver la République ;

O'Keeffe, colonel du 87e régiment, qu'il jurait de ne jamais prononcer le mot de capitulation et qu'il tiendrait sa parole ;

Vacher et Agis, qu'ils défendraient Valenciennes jusqu'à la mort et qu'ils tiendraient leur serment tant qu'ils ne seraient pas abandonnés de leurs camarades ;

Léchelle, chef du 1er bataillon de la Charente, qu'il avait juré de s'ensevelir sous les ruines de la ville plutôt que de la rendre aux ennemis et qu'il n'était pas un parjure ;

Richon, chef du 1er bataillon de la Côte-d'Or, qu'il avait juré de mourir à son poste et qu'il ne voulait aucune capitulation ;

Leconte, chef du 1er bataillon des volontaires de Loir-et-Cher, qu'il persistait dans son serment de mourir à son poste ;

Lambert, chef du bataillon des grenadiers de la Côte-d'Or, qu'il n'était pas nécessaire de se rendre présentement et qu'on devait défendre la place jusqu'à l'instant où il y aurait une impossibilité physique de la conserver à la République ;

Le Féron et Evrard, chefs du 1er bataillon des Deux-Sèvres, qu'ils ne consentaient à aucune espèce d'accommodement avec l'ennemi.

Mais les autres acceptaient, avec ou sans réserves, une capitulation immédiate :

Delpuech, colonel du 73e, ex posait que Valenciennes n'espérait aucun secours de l'intérieur, que les ouvrages avancés et même l'escarpe étaient considérablement dégradés, que le nombre des combattants diminuait de jour en jour, qu'on ne pouvait plus garder la place et qu'une plus longue défense ne ferait qu'augmenter des malheurs de tout genre sans utilité pour la patrie ;

Carette, lieutenant-colonel du 25e régiment de cavalerie, qu'il aimait mieux mourir que d'être pris, mais qu'il acceptait une capitulation honorable ;

Brunière, capitaine du 1er bataillon de la Nièvre, que les fatigues intolérables de la garnison et son découragement marqué, l'insurrection des habitants, le vœu des autorités constituées, l'incertitude d'un prochain secours, nécessitaient une mesure prudente pour conserver avec l'honneur de la nation, celui des braves gens qui défendaient la place ;

Gardaire, capitaine d'artillerie, que, malgré le délabrement et le mauvais état des batteries, la place pouvait tenir huit jours encore, mais que les troupes étaient harassées et que, dans la disposition actuelle des esprits, si l'ennemi faisait la même entreprise que la veille, il entrerait peut-être dans la place par les portes qu'on lui ouvrirait dans les vingt-quatre heures ;

Ozery, lieutenant-colonel du 29e, qu'on avait déployé toute la bravoure possible, que l'honneur ne serait nullement compromis par la capitulation, et qu'un délai de quelques jours achèverait de détruire la garnison ;

Dumény, qu'il convenait d'adopter des mesures de sagesse ;

Dumarais, lieutenant-colonel du 73e régiment, que les forces n'étaient pas suffisantes et qu'il aimait mieux capituler honorablement que d'assister à l'égorgement de 22.000 habitants qui appartenaient à la République et d'une garnison qui s'était défendue avec gloire ;

Fieffée, commandant-temporaire en second, qu'il mourrait à son poste avec ses camarades, mais 'que la garnison était fatiguée et que les circonstances exigeaient des mesures de la plus grande sagesse ;

Grobel, lieutenant-colonel du 26e régiment de cavalerie, qu'il ne se départait pas de son serment, mais que la ville se soulevait, que la garnison avait deux ennemis à combattre et ne pourrait y tenir, que de sages arrangements conserveraient à la nation de braves défenseurs ;

Mougenot, commandant-temporaire, que si la résistance pouvait nuire au bien général, il se soumettait à la capitulation la plus honorable ;

Germain, capitaine-commandant, qu'il jurait de mourir à son poste, mais à condition que la garnison tint ferme et qu'il n'y eût pas d'émeute parmi le peuple ;

Lauriston, lieutenant-colonel et sous-directeur de l'artillerie, qu'il ferait son devoir jusqu'au dernier moment, mais que les fortifications étaient délabrées, que les fatigues, les veilles, la mort avaient affaibli la garnison, que la ville ne tiendrait pas plus de huit jours, qu'il était instant de sauver les soldats et les bourgeois des suites affreuses d'un assaut ;

Les généraux Boillaud et Beaurgard, qu'ils avaient juré de périr pour la défense de la place, mais Boillaud ajoutait : si l'on peut et doit compter sur la bravoure de la garnison, et Beaurgard : si la force de mes camarades d'armes répond à leur courage ;

Manceaux, commandant du 3e régiment d'artillerie, qu'il jurait de mourir à la brèche ou de repousser l'ennemi, s'il pouvait compter toujours sur la bravoure des canonniers ;

Gambin, chef du bataillon des Gravilliers, qu'il tiendrait son serment, mais si ses camarades tenaient aussi leur serment, et il remarquait que la garnison était bien affaiblie ;

Batin enfin, Batin, colonel du 29e régiment et général de brigade provisoire, Batin qui commandait les troupes du chemin couvert dans la nuit terrible, Batin disait nettement : Par la disgrâce que j'ai eue le 25 au soir, je perds confiance dans la troupe.

Les représentants Cochon et Briez refusèrent de rien signer ; ils déclaraient que leur devoir était de mourir à leur poste, qu'ils ne trahiraient pas leur serment, qu'ils aimaient mieux périr que de tomber entre les mains des ennemis et ils proposèrent à Ferrand de se retirer dans la citadelle. Mais on leur répondit que la citadelle, déjà bombardée le jour précédent, ne pourrait tenir ; qu'elle avait donné la plupart de ses canons aux batteries du front d'attaque ; qu'elle ne serait occupée que par la partie saine de la garnison ; que la partie gangrénée, ainsi que la population, se joindraient aux Austro-Anglais pour réduire en quelques instants ce dernier refuge de la résistance, et Lauriston affirma derechef qu'il n'avait plus aucun moyen de défense : 70 pièces hors de service, peu de boulets surtout de gros calibre ; peu ou point de mortiers ; plus de bombes de huit et de dix pouces ; plus de globes[79].

Muni des vœux que les membres du Conseil extraordinaire avaient émis par écrit, Ferrand se rendit à la maison commune. Il lut le résultat de la délibération et cette fois encore, il n'exprima pas son propre sentiment ; il voulait, disait-il, s'assurer auparavant de la contenance de sa garnison et surtout connaître le désir des autorités constituées et de la population. Mais, pendant la séance du Comité militaire, la municipalité, résolue de soustraire la ville au destin dont le duc d'York l'avait menacée, brusquait le dénouement par une démarche décisive. Elle nommait cinq commissaires, le maire Pourtalès, le procureur de la commune Hamoir du Croisier, et trois autres membres du Conseil général, Benoist l'ainé, Huart et Lanen-Plichon, pour faire un rapport sur la situation intérieure de la place. Ces cinq personnages s'enfermaient dans la maison de Hamoir, afin d'être plus tranquilles. Dans l'après-midi, ils revenaient à l'Hôtel-de-Ville et lisaient leur rapport qu'ils avaient intitulé : Représentations du Conseil général de la commune au général Ferrand.

Ils y retraçaient les souffrances et les sacrifices du peuple valenciennois ; édifices détruits, habitants tués ou écrasés sous les ruines des maisons, les femmes et les enfants respirant l'air fétide des souterrains, un bombardement qui durait presque sans relâche depuis quarante-deux jours. Ils montraient que la place ne pouvait être secourue : l'armée du Nord avait par trois fois inutilement tenté de débloquer Condé ; elle avait lâché sans beaucoup d'efforts le camp de Famars, et en se retirant, à la fin de mai, elle comptait 23.000 hommes de moins qu'au commencement du mois ; elle semblait ne pas exister, et peut-être craignait-on de compromettre son sort. Mais les obligations de la République envers Valenciennes et de Valenciennes envers la République étaient réciproques. Valenciennes avait fait son devoir ; la République, au contraire, ne venait aucunement à l'aide de Valenciennes ; elle abandonnait donc la ville à la première des lois, celle de la nature qui commande impérieusement le soin de la conservation. Pourquoi ne pas se rendre ? Pourquoi, par une résistance plus longue, entraîner la perte de la garnison et d'une grande cité ? Fallait-il attendre le moment où l'adversaire aurait soldats et citoyens à sa disposition et les tiendrait au collet ? Ferrand n'avait-il pas fait une défense sans exemple dans l'histoire ? N'avait-il pas mérité de la nation un témoignage honorable ? Ne pouvait-il accepter fièrement la capitulation que le duc d'York lui offrait ?

Telles étaient les Représentations. Tous les membres du Conseil général les signaient. On les lisait à la foule qui les accueillait par des applaudissements et les sanctionnait sur-le-champ en déléguant onze citoyens ou députés du peuple pour joindre leurs signatures à celles des municipaux. En outre, le Conseil arrêtait que des commissaires iraient porter sa réponse au duc d'York si Ferrand refusait d'entrer en accommodement. Il décidait même de demander au nom du peuple que la séance du Comité militaire fût publique.

Ferrand avait l'intention de se défendre. Mais, dit-il dans son journal, la population était montée d'une manière très violente et les Représentations exprimaient sa volonté non équivoque. Il dut céder à cette impulsion et reconnaissant qu'il ne pouvait e réaliser la résistance que la place aurait pu faire encore quelques jours n, il consentit à solliciter un armistice.

A six heures du soir, il écrivait au duc d'York que les autorités constituées, la garnison et le commandant de Valenciennes, n'ayant pu terminer l'objet important que le prince motivait, désiraient un nouveau délai de vingt-quatre heures ; les troupes garderaient les postes qu'elles occupaient, et le feu cesserait de part et d'autre. Le maire Pourtalès signa la lettre avec lui.

Le duc d'York accorda la trêve : elle durerait jusqu'au lendemain 27, à quatre heures de l'après-midi, à condition que toute communication fût interdite entre les deux armées[80].

Les membres du Conseil militaire profitèrent de l'armistice pour rédiger un projet de capitulation précédé d'un considérant de quinze articles. La ville, lit-on dans ce projet, est dans l'état le plus déplorable ; les malheurs du peuple sont à leur comble, et c'est au milieu des cris, des douleurs et des gémissements de tous les infortunés que le Conseil général de la commune a présenté le vœu de ses concitoyens pour la capitulation ; plus de ressources certaines ; pas d'espoir de secours ; pas de nouvelles de l'intérieur ; la brèche déjà pratiquée en trois endroits, au bastion des Huguenots, au bastion Poterne et à la courtine de Mons ; une garnison amoindrie, affaiblie, harassée, incapable de résister à l'ennemi qui peut monter à l'assaut de deux côtés ; enfin — et c'était ce qui déterminait principalement et uniquement le Conseil militaire — la demande formelle et fortement exprimée de tous les habitants de la commune. Le Conseil proposait donc de rendre la ville. Mais la garnison aurait les honneurs de la guerre ; elle emmènerait son artillerie ainsi que douze chariots couverts qui ne seraient pas visités ; elle sortirait avec chevaux, armes et bagages, tambours battants, mèches allumées par les deux bouts et drapeaux déployés ; les représentants du peuple et toutes les personnes attachées à la République, sous quelque dénomination que ce fût, jouiraient des mêmes conditions que le militaire ; les déserteurs ne seraient pas inquiétés.

Ce projet de capitulation fut porté au duc d'York le 27 juillet, à quatre heures de l'après-midi, par l'aide-de-camp Lavignette. Le général Ferrand priait le prince de lui répondre article par article et de prolonger la suspension d'armes. Il espérait encore que l'armée du Nord viendrait à son secours et il tentait de gagner du temps, usait, comme il dit, de stratagème, posait des conditions que le duc n'accepterait sûrement pas en totalité. N'était-ce point, suivant son expression, entrainer à des écritures et à des délais[81] ?

York refusa les conditions de Ferrand. La garnison, répondit-il, livrerait ses chevaux, ses canons et ses drapeaux ; elle serait prisonnière de guerre ; les représentants du peuple ne pourraient être compris dans la capitulation ; les déserteurs devraient être rendus. Le prince ajoutait que si ces clauses n'étaient pas acceptées, les hostilités recommenceraient le 28 juillet, à neuf heures du matin.

Cette réponse n'arriva que le 28, à minuit et demi. Elle parut inacceptable aux membres du Comité. La garnison était donc prisonnière de guerre sans autre explication ! Elle livrait aux ennemis tout ce qui lui appartenait 1 Elle désirait, par un article particulier du projet de capitulation, conserver ses munitions, ses pièces d'artillerie, tout ce qui faisait partie de l'armée, et le duc d'York écrivait Refusé en marge de cet article ! Elle cédait les caisses militaires et les papiers des administrations ! Ferrand, Tholosé et les officiers généraux frémissaient d'indignation, se récriaient contre des exigences si rigoureuses, si cruelles. Le premier, Ferrand prit la parole. Il déclara qu'il aimait mieux mourir que de souscrire à de pareilles conditions, et il demanda par oui ou non le vœu de chaque membre du Conseil. Tholosé approuva Ferrand. Mais la foule avait envahi la maison commune. Elle gardait les portes, défendait de sortir à qui que ce fût, consignait les représentants, les généraux et les officiers supérieurs. Elle pénétrait dans la salle où délibérait le Conseil et s'entassait en cet étroit espace qu'elle remplissait de ses vociférations. Le nombre des personnes était si grand qu'on étouffait, et le vacarme, si terrible qu'on ne s'entendait pas. Ferrand, outré, monta sur une chaise et d'une voix émue et entrecoupée, mais avec une éloquence poignante, il harangua les séditieux. Voilà vingt années que je vis avec vous. Je ne vous ai jamais voulu que du bien, j'ai mérité votre reconnaissance, et vous m'empêchez aujourd'hui de faire mon devoir ! Voyez mes cheveux blancs. J'ai cinquante ans de services sans reproche, et je ne puis capituler sans douleur. Je préfère tomber sur la brèche ou sous le fer d'un lâche assassin. Mais, puisque vous nous violentez, puisque vous entravez nos délibérations et gênez nos suffrages, je ne répondrai pas au duc d'York. Il m'a donné jusqu'à neuf heures, et si je garde le silence, la ville sera prise d'assaut. Je vous le jure, je me tairai si vous ne vous taisez pas. Égorgez-moi, égorgez-nous ; vous serez les premiers punis de votre crime, et nous, nous aurons du moins péri glorieusement pour le salut de la République ! Mais le discours de Ferrand n'apaisa pas les esprits. La foule resta dans la salle. Les clameurs, les injures, les imprécations recommencèrent de plus belle. On demandait la tête de Ferrand et des représentants ; on voulait porter sans retard au duc d'York les clefs de Valenciennes ; on criait que nul ne s'éloignerait si la capitulation n'était signée. L'agitation, dit Tholosé, s'accroissait et fut poussée à un excès que l'autorité du général ne put réprimer ; tous les liens furent rompus et chacun se livrant à son action naturelle, le gouvernement expira. Ferrand, désespéré, annonça qu'il allait écrire au duc d'York et qu'il enverrait des commissaires munis de pleins pouvoirs pour arrêter les clauses d'une capitulation aussi avantageuse que possible.

Sa lettre au prince était énergique et noble. Il déclarait que la capitulation proposée n'avait rien d'honorable et qu'il persistait dans les articles refusés par le duc. La garnison de Valenciennes sortirait avec armes et bagages, enseignes flottantes ; les représentants Cochon et Briez et leurs deux secrétaires accompagneraient les troupes ; chaque bataillon emmènerait une pièce de campagne ; il y aurait six chariots couverts ; les déserteurs ne seraient pas rendus.

Six commissaires, trois militaires, les généraux Boillaud et Tholosé et le capitaine Bruni ère, trois civils, Hamoir du Croisier, Lanen-Plichon et Perdry cadet, portèrent au duc d'York la lettre de Ferrand et furent chargés de signer la capitulation. Ils partirent au milieu d'un tumulte effroyable et lorsqu'ils traversèrent la place, ils entendirent le peuple et les soldats qui faisaient cause commune avec lui, applaudir aux partisans de la reddition et accabler d'injures les membres du Conseil qui voulaient résister encore. Un détachement de la cavalerie bourgeoise les escorta jusqu'aux portes pour bien s'assurer de leur sortie.

Diable ! dit le duc d'York, le général Ferrand me refuse. Et si maintenant je n'acceptais aucune capitulation ! Le capitaine Brunière répliqua que la conduite valeureuse des troupes et les ressources qui leur restaient pour soutenir le siège, méritaient les honneurs de la guerre. Il ajouta d'un ton ferme que la ville n'était pas réduite, qu'elle offrait des moyens de résistance, qu'elle avait ses ouvrages extérieurs, ses manœuvres d'eau et son escarpe qui n'était ébréchée que dans sa partie supérieure, qu'elle avait sa citadelle entière et intacte, qu'elle avait un général, des chefs expérimentés, une garnison courageuse. Après un instant de réflexion, le duc d'York répondit que la garnison sortirait de Valenciennes avec les honneurs de la guerre, mais qu'elle serait regardée comme prisonnière, qu'elle livrerait les armes, les canons, les munitions et tout le mobiliaire, que ses officiers et ses soldats s'engageraient à ne pas servir pendant la durée de la présente guerre contre les armées des alliés sans avoir été échangés conformément aux cartels et sous les peines militaires. Il promit de traiter les représentants comme les bourgeois et de les garantir de toute espèce d'insulte dans leur personne et leurs effets. Les déserteurs resteraient dans la place. Il n'y aurait pas de chariots couverts.

Le 28 juillet, à onze heures du matin, la capitulation était conclue. A quatre heures de l'après-midi elle fut connue à Valenciennes. Si les commissaires ne l'avaient pas apportée, a dit l'un d'eux, le peuple les eût égorgés à leur retour ainsi que les membres du Conseil qu'il tenait captifs à la maison commune. Toutes les formalités s'exécutèrent aussitôt. Trois otages, un colonel, un major, un capitaine, furent envoyés de part et d'autre, Ferrand fit signer le revers aux officiers de la garnison et dresser les listes nominatives des soldats par bataillons et compagnies[82].

Malheureusement, on avait eu l'imprudence de stipuler que les troupes françaises ne sortiraient de la ville que le 1er août. Le général et les représentants comptaient que pendant ce délai, l'armée du Nord serait suffisamment renforcée pour marcher sur Valenciennes et repousser les alliés. Mais, si l'ennemi n'avait pas connu la faiblesse et l'impuissance de cette armée, aurait-il accordé quatre jours de répit aux assiégés ? Et, remarquaient quelques-uns, n'était-il pas évident que les peureux et les malveillants quitteraient leurs abris, dès que cesserait le feu, pour jouer de méchants tours à la garnison[83] ?

Il y eut des scènes scandaleuses. Le 27, la populace avait frappé dans la rue tous ceux qui lui déplaisaient et roué de coups un aide-de-camp de Ferrand. Le 28, elle insultait les patriotes et dissuadait les soldats de se rendre à leurs postes. Elle assaillit le général Beaurgard qui passait sur la place, et lui arracha ses épaulettes. Elle attaqua le général Boillaud et le chef de bataillon Fieffée qui rentraient du bivouac, leur porta le pistolet sur la gorge, les somma d'ôter la cocarde ; les deux officiers parlèrent haut et ferme, réussirent à se frayer un passage et vinrent se plaindre à la municipalité, lui demander justice de cet affront ; mais ils ne purent obtenir satisfaction[84].

Dans l'après-midi du 29 juillet, la cavalerie bourgeoise de Valenciennes voltigea superbement par les rues et sur la place, injuriant, battant les militaires isolés. On jeta ces jeunes gens à bas de leurs chevaux. Ces mirliflores, qui font les braves, disait un volontaire de la Charente, sortent à peine de leurs caves et ils puent le moisi. Mais Ferrand dut ordonner à Beaurgard de garder les arrêts, pour le dérober aux assassins, et il nota mélancoliquement dans son Journal que la bourgeoisie avait secoué le joug et qu'elle éloignait les soldats de leur devoir, que les municipaux et les habitants ne se contraignaient plus, qu'ils augmentaient toujours dans leur opinion et manifestaient ouvertement le désir de voir les Impériaux dans leur ville. Le duc d'York humilia le vieux général en lui offrant son appui. Il écrivit à Ferrand qu'il avait appris avec chagrin les désordres de Valenciennes ; il l'engageait à maintenir la police et rendait la garnison responsable de tous les incidents qui troubleraient la tranquillité publique ; si Ferrand avait besoin de secours, les troupes de l'armée combinée marcheraient sur sa réquisition[85].

Le 30, les royalistes, s'enhardissant de plus en plus, donnèrent aux patriotes le spectacle de la contre-révolution. Ils enlevèrent de la tour du beffroi le drapeau tricolore et le remplacèrent par le drapeau blanc. Ils ; scièrent l'arbre de la liberté. Ils gardèrent à vue les membres de l'administration du district et menacèrent de les mettre en état d'arrestation. Ils maltraitaient, dit Ferrand, toutes les personnes qui paraissaient tenir à la République. Ils foulèrent aux pieds la cocarde nationale et tombèrent à coups de sabre sur les citoyens qui la portaient ; des soldats durent ôter de leur chapeau ce signe que l'Autrichien leur laissait. Le prince de Lambesc[86], accompagné de quelques émigrés, entra dans la ville et se mit à la tête de la cavalerie civique qui criait bravo, vive le roi et à bas la République. La multitude acclama Lambesc. Les femmes l'appelaient le bon prince et leur sauveur. Il semonça les assistants, blâma leurs folies passées et leur jeta une poignée d'écus en leur recommandant d'être plus sages à l'avenir. Des officiers autrichiens intervinrent, ainsi que des volontaires de la Charente, et le rassemblement se dispersa. Deux émigrés bousculaient un soldat dans la rue des Anges, et le qualifiaient de brigand. Le capitaine Texier de la Pommeraye prit sa défense, et un officier anglais tança sévèrement les émigrés, déclara qu'il dénoncerait leur conduite au duc d'York : Je ne sais, disait-il, qui de vous ou de cet homme mérite le nom de brigand ; lui, du moins, combat pour sa patrie et, se tournant vers Texier : Monsieur, excusez l'impolitesse de ces gens qui ne savent pas vivre'[87].

La journée du 31 juillet fut marquée par de semblables excès. On vouait à la mort les représentants du peuple et l'on proposait de les immoler sur les ruines des maisons que leur obstination avait réduites en cendres. Déjà, dans la soirée du 26 au 27, des royalistes armés de poignards s'étaient jetés par deux fois sur Cochon qui regagnait sa demeure. Deux grenadiers de la garde nationale de Valenciennes, Cousin et Dunoyer, accoururent aux cris du commissaire et l'arrachèrent des mains de ces frénétiques. Cochon se réfugia dans la citadelle et y coucha désormais sous la protection des volontaires de la Charente et de la Côte-d'Or. Briez se cacha chez un de ses intimes amis, membre du Conseil général de la commune. Mais, durant la nuit du 31 juillet au 1er août, le fils du maire Pourtalès, suivi de quatre estafiers qui s'étaient déguisés en kaiserliks, s'efforça de découvrir la retraite du commissaire et fit des perquisitions dans six maisons. Il saisit les deux secrétaires des représentants, les traîna au corps-degarde et leur demanda où étaient Cochon et Briez. Ils répondirent que Cochon était à la citadelle, et après avoir longtemps balancé, révélèrent le logis de son collègue. On se rendit aussitôt à la maison où était Briez, sur la grande place. Mais l'hôte du député, sa femme, ses enfants s'élancèrent au devant des forcenés et les empêchèrent d'entrer. Les alliés, dit-on, auraient désiré que le peuple de Valenciennes eût arrêté les conventionnels et, assure Fersen, on avait donné pour cela toute sorte de facilités[88].

Ces quatre jours qui suivirent la capitulation de Valenciennes, achevèrent la décomposition morale de la garnison. Personne ne commandait plus. Les Impériaux se contentaient d'occuper les ouvrages avancés et les postes extérieurs. Les commissaires de la Convention n'avaient plus de pouvoir. Ferrand se taisait ; il avait encore la garde de la police de la ville ; il devait interdire aux sentinelles, sous les peines les plus sévères, de laisser entrer dans la place les officiers étrangers et surtout les émigrés ; mais il ne voulait pas démentir dans ces derniers instants sa réputation de douceur et de bonté. Les soldats voyaient donc le gouvernement qu'ils étaient chargés de défendre, impunément outragé ; ceux-ci participaient au désordre ; ceux-là le contemplaient sans le réprimer et semblaient paralysés par le découragement. D'autres, s'indignaient en vain : Je voudrais, disait l'un d'eux, qu'il prît fantaisie aux bourgeois de nous couper à chacun une oreille pour voir si nous oserions regimber. Plusieurs craignaient qu'une étourderie, un acte de folie ne fît rompre la capitulation[89]. Un volontaire de la Charente, remarquant des factionnaires autrichiens dans le réduit de la citadelle, songeait en frémissant qu'un homme payé pour leur tirer un seul coup de fusil, déchaînerait sur la ville et la garnison les plus terribles représailles[90].

 

Mais, écrit Ferrand dans son Journal à la date du 30 juillet, plus on approche du départ, et plus je m'aperçois que les bataillons rentrent dans l'ordre. Le 1er août, à huit heures du matin, la garnison, qui formait six demi-brigades et qui ne comptait plus que cinq mille hommes[91], se réunit en colonnes serrées sur la place d'armes. Le peuple l'entourait dans un profond recueillement. A la vue de ces soldats qui s'étaient battus pour eux et qui partageaient naguère leurs dangers, les habitants se sentaient émus et saisis de tristesse. Des fenêtres de l'hôtel-de-ville, les municipaux, tout prêts à complimenter l'Autrichien, ne pouvaient s'empêcher de regarder avec mélancolie la France qui s'en allait. A neuf heures, la garnison faisant par le flanc droit, sur deux de hauteur, se dirigeait vers la porte de Cambrai et de là vers Famars. Une foule bigarrée que les coalisés qualifièrent de canaille, la précédait. Elle se composait de femmes et d'enfants, de réfugiés brabançons et liégeois, de citoyens de Valenciennes qui redoutaient la vengeance des royalistes et fuyaient, selon l'expression de l'époque, une terre désormais souillée parle despotisme. Puis commença le défilé des troupes. Il dura jusqu'à une heure et demie. L'artillerie de campagne, mèches allumées aux deux bouts, parut d'abord. Vinrent ensuite le général Ferrand, l'état-major, la cavalerie, l'infanterie, tambours battants et enseignes déployées. Des voitures chargées, les unes d'effets et de bagages, les autres de malades et de blessés, d'autres de Françaises dont les alliés remarquèrent la beauté, fermaient la marche[92].

Les conventionnels Cochon et Briez avaient traversé la ville dans la voiture de Ferrand pour se garantir de toute nouvelle insulte. Arrivés à la porte de Cambrai, ils voulurent revêtir leur costume : chapeau rond aux trois plumes tricolores, écharpe en ceinture avec une frange jaune, épée suspendue à un baudrier de cuir noir, et se mettre, avec ces insignes de leur dignité, à la tête de la garnison. Le duc d'York, averti, leur fit dire par le colonel Saint-Leger qu'il ne connaissait pas de représentants du peuple français et que les deux commissaires devaient endosser un uniforme de soldat ou se mêler à la population civile. Ferrand protesta vainement qu'il ne ferait pas sortir les députés de sa voiture, qu'il avait la parole du prince, que le duc d'York lui avait permis d'emmener tous ceux qu'il voudrait. Les représentants durent obéir et, sur le conseil du général, se placèrent au centre de la compagnie de grenadiers du 29e régiment. Cochon passa sans être inquiété ; il avait, rapporte Unterberger, une capote brune et marchait silencieux, hautain, sans regarder personne. Mais son collègue Briez fut arrêté trois fois par les Impériaux. Le fils du maire Pourtalès l'avait signalé. La première fois Ferrand courut le réclamer, et sur le refus de l'officier autrichien, envoya Boillaud au duc d'York. Le prince ordonna de relâcher Briez et offrit de punir l'auteur de l'arrestation et de le mettre aux fers. L'officier fit des excuses à Ferrand : Ce sont pourtant, lui dit-il, vos compatriotes qui nous ont dénoncé le représentant. Mais une deuxième, une troisième fois, Briez fut appréhendé ; chaque fois Ferrand intervint ; chaque fois il exigea que l'officier autrichien le suivît devant le duc d'York, et chaque fois l'officier céda. Aussi Ferrand crut-il qu'il devait prendre congé du prince et le remercier d'avoir tenu sa promesse envers les députés. Il trouva le duc d'York causant avec Cobourg et Lambesc. Ce dernier s'éloigna sur-le-champ, comme s'il ne pouvait, assurent les commissaires, affronter la vue d'un militaire vertueux et fidèle à sa patrie. York et Cobourg accueillirent Ferrand de la façon la plus aimable : Cette cérémonie du désarmement, dit Cobourg, est bien longue et n'a rien d'agréable pour vous et votre garnison. — Prince, répliqua Ferrand, je n'oublierai de ma vie la journée du 25 juillet ; sans cette circonstance honteuse pour ma nation, je serais encore dans la place.

Les paysans du Hainaut et de la Flandre, mus par la curiosité, s'étaient postés sur les deux côtés de la chaussée pour assister au passage des troupes. Un républicain vit une femme qui tenait un chapelet. Vous récitez votre rosaire pour nous, lui dit-il. — Non, répondit-elle, je remercie Dieu de nous avoir rendu notre bonne ville de Valenciennes. — Mais vous n'y aurez pas d'abri. — Oh ! nos beaux messieurs habillés de rouge nous feront bien rebâtir nos maisons. — Va t'en voir s'ils viennent, Jean, repartit le soldat, et ses camarades répétèrent ce refrain jusqu'à la Briquette.

Presque tous les assiégeants, Autrichiens et Anglo-Hanovriens, étaient là. Ils bordaient la haie sur une longueur de quinze cents mètres, de la porte de Cambrai à la Briquette, et pour mieux blesser la fierté nationale de la garnison, leur musique jouait la Marseillaise et le Ça ira. Sur le plateau, à l'endroit où s'élevait le monument de Dampierre, on avait construit un autel orné de drapeaux des puissances alliées et surmonté d'un étendard blanc aux lys bourboniens. Les plus superbes bataillons, les grenadiers hessois, la garde anglaise, habillés, parés, sanglés comme s'il s'agissait d'aller à la parade ou de faire le service à l'église, formaient autour de cet autel un vaste carré. Derrière eux se rangeait toute la cavalerie. Au centre du carré, à côté de l'autel se tenaient le duc d'York, les généraux et les états-majors. C'était, raconte Fersen, une réunion rare, un spectacle unique. Ce fut là que les assiégés livrèrent leurs armes. Les artilleurs abandonnèrent leurs pièces. Les cavaliers laissèrent leurs chevaux. Les fantassins mirent leurs fusils en faisceaux et dirent adieu à leurs drapeaux qu'ils pressaient sur leur cœur et couvraient de baisers et de larmes. Plusieurs voulaient en déchirer des morceaux ; les Autrichiens s'y opposèrent ; mais des officiers anglais arrachèrent furtivement quelques loques qu'ils jetèrent au milieu des bataillons.

L'ennemi admira surtout les canonniers. C'étaient de beaux hommes qui se faisaient un point d'honneur de montrer à l'adversaire un habit propre et des armes reluisantes ; ils avaient l'air sombre mais fier, et un grand nombre portaient encore les traces de leurs récentes blessures. Le reste des troupes était déguenillé et paraissait affaibli par les privations et les fatigues. Leur uniforme usé, sale et tombant en lambeaux, exhalait une odeur si repoussante que des spectateurs qui se trouvaient sous le vent se sentirent défaillir. Les soldats de ligne, Dauphin, Dillon et Royal-Comtois, ressemblaient à des miliciens. Les volontaires étaient coiffés, qui d'un casque, qui d'un chapeau, qui d'un bonnet de grenadier, et leurs officiers ne se distinguaient que par les épaulettes. Seul, le bataillon de la Charente avait voulu soigner ses fusils jusqu'au dernier moment et les nettoyer comme pour un jour de revue. Les assiégeants à la haute stature et à la carrure massive se comparaient tacitement à ces assiégés malingres et chétifs. Ils observaient que la plupart des Français étaient petits et de la taille d'un Allemand de douze ans. D'aucuns s'écriaient, non sans amertume : C'est avec un pareil monde qu'il faut se battre ! Mais, si les républicains s'avançaient négligemment et en désordre, s'ils ne gardaient pas leurs rangs, s'ils comptaient beaucoup de gens fort âgés et de tout jeunes hommes, ils avaient, malgré leur extérieur maladif et leurs haillons, je ne sais quoi d'alerte, de léger et d'aisé, un laisser-aller et une désinvolture gracieuse qui tenait de la danse plutôt que de la marche, et durant le défilé, ils eurent une attitude simple, décente, et ne donnèrent pas la moindre marque d'insolence et de découragement. On se souvenait de leur bravoure. On se répétait que ces soldats qui payaient si peu de mine s'étaient battus comme des lions et avaient défendu Valenciennes avec héroïsme. On se demandait comment l'amour de la liberté pouvait enflammer ainsi tous les âges, l'enfant, l'homme, le vieillard, et produire des prodiges de résistance. On considérait avec respect ce digne Ferrand aux cheveux gris, à la figure pâle et grave, empreinte à la fois de douleur et de noblesse. Les patriotes, dit un émigré à un officier autrichien, sont de vraies mauviettes. — Ces mauviettes, répondit l'officier, nous ont donné du fil à retordre. — Bah ! interrompit l'émigré, vous pourriez les mettre dans les fourreaux de vos sabres. — Monsieur, répliqua l'Autrichien, si nous avions de tels hommes, nous serions le premier peuple de la terre.

 

A deux heures de l'après-midi, le duc d'York, Cobourg, l'archiduc Charles et les officiers supérieurs de l'armée combinée faisaient leur entrée dans Valenciennes. La foule s'était amassée sur les ponts et sous les portes. La municipalité remit les clefs au duc d'York et lui adressa, rapporte Unterberger, une touchante allocution. Un homme à cheval tenait un drapeau aux couleurs de l'Autriche. De toutes parts retentissaient les cris : Vive le roi ! Vive l'empereur ! Vivent les Anglais ! Lambesc était dans l'état-major des généraux alliés. On le reconnut et le fêta. Les républicains qui n'avaient pas suivi la garnison se cachaient. Les royalistes étalaient leur joie et disaient qu'ils sentaient enfin le bonheur de vivre, d'être délivrés d'une horde de soldats indisciplinés.

 

Valenciennes offrait l'aspect le plus lamentable, le plus horrible. Les assiégeants qui contemplaient, suivant leur mot, ce grand drame d'une cité bombardée à outrance, calculaient qu'ils avaient tiré près de cent soixante mille coups, jeté quarante-six mille bombes et que chaque bombe leur coûtait trente florins de transport. Ils comparaient la ville à un tas de pierres et affirmaient qu'elle se ressentirait toujours du mal qu'ils lui avaient fait. C'était sûrement, disait un Prussien, l'une des plus belles villes de France ; elle n'est plus qu'un misérable amas de décombres, et elle ne se relèvera pas avant longtemps. La citadelle et la place du marché avaient peu souffert, mais des quartiers étaient entièrement détruits et des rues inabordables. La porte de Mons n'existait plus. Pas un bâtiment qui ne fût endommagé ; pas un carreau de vitre qui ne fût cassé. Plus de la moitié des maisons étaient, non pas incendiées, mais démolies par le canon, fendues et crevées, pour ainsi dire, par le choc et l'explosion des bombes. On ne voyait que débris amoncelés, murailles et cheminées écroulées, poutres fracassées, chevrons brisés, meubles et ustensiles écrasés et broyés. Partout des femmes et des enfants désespérés, joignant les mains, levant les yeux au ciel comme pour accuser les auteurs de leurs maux. Partout des hommes ou des créatures à face humaine, livides, bouffis par leur séjour dans l'atmosphère lourde et viciée des caves, amaigris par la faim, exténués par les veilles, tremblant encore des longues angoisses qu'ils avaient endurées, marchant d'un pas incertain au milieu des ruines de leurs demeures, mendiant une aumône ou quêtant un morceau de pain près de ceux que la guerre avait moins cruellement éprouvés[93].

Le lendemain de leur entrée dans Valenciennes, les coalisés chantèrent le Te Deum. L'armée, commandée par Clerfayt, forma sur les hauteurs devant Denain deux lignes de bataille, la première coupant la chaussée de Cambrai, la seconde appuyant sa gauche à la route. La première ligne, composée de douze bataillons et d'une magnifique cavalerie, excita l'admiration. Les troupes autrichiennes, même celles qui venaient d'assiéger Valenciennes, avaient très belle mine et l'on aurait dit qu'elles sortaient à peine de leurs garnisons. Les Anglais et les Hanovriens n'avaient pas la même prestance et la même apparence de fraîcheur. Le Te Deum fut chanté sous une tente, en avant des deux lignes, et se termina d'une façon imposante par trois salves d'artillerie et par un feu roulant qui ressemblait au tonnerre. Le soir, à Hérin, dans l'église, le prince de Cobourg réunit à sa table tous les généraux de l'armée des alliés ; le diner, dit un des convives, était très militaire, mais très bon, et ce rassemblement d'officiers de différentes nations présentait un assez rare spectacle[94].

 

Cependant la garnison française, escortée par des dragons de Latour et des hussards de Blankenstein, avait pris la route d'Avesnes-le-Sec. Sa joie fut extrême lorsqu'elle découvrit les postes avancés de l'armée du Nord et plus d'un soldat versa des larmes à la vue de la première vedette. Mais ce que la capitulation avait eu de solennel et de saisissant, était passé, oublié. Plusieurs avaient déjà dit, en déposant leurs armes : Tant mieux, voilà qui est fini ! Après le défilé, quelques-uns foulèrent aux pieds la cocarde tricolore et acclamèrent le duc d'York, Cobourg et l'empereur. Cochon disait tristement que de pareilles troupes propageraient le royalisme dans l'intérieur et que les Autrichiens aimaient mieux les renvoyer en France que de les retenir prisonnières.

La garnison conserva longtemps encore ce mauvais esprit. Elle murmura lorsqu'elle apprit que le Comité de salut public projetait de l'employer soit en Vendée soit devant Lyon. Des soldats s'esquivèrent sans permission. Les misérables, écrivait le général Boillaud, osent me tenir le langage de la plus grande licence. Ils criaient à Bapaume : Vive le roi ! Nous voulons la Constitution de 1789 ! Ils dirent aux habitants de Soissons qu'ils se moquaient de la République ; qu'ils aimaient le duc d'York et que ce prince leur paraissait digne du trône et capable de faire le bonheur de la France[95] ; qu'ils avaient prêté depuis quatre ans bien des serments et les avaient rompus ; mais qu'ils tiendraient leur serment au duc d'York ; qu'ils ne se battraient plus pour une cause injuste ; qu'ils se retireraient dans leurs foyers et que, s'ils allaient en Vendée, ils se rangeraient du côté des insurgés contre cette Convention composée d'égoïstes et de scélérats qui ruinaient la France et s'enrichissaient à ses dépens. Ils étaient à Soissons pendant la fête républicaine du 10 août ; ils refusèrent d'assister à la cérémonie et la regardèrent de loin en formant des groupes d'où partaient d'ironiques sarcasmes. Beaucoup de ces hommes, assuraient les représentants Lejeune et Lequinio, sont indignes de la liberté, indignes du nom de Français et Kilmaine mandait au ministre qu'on ferait bien de ne pas envoyer dans la Vendée des troupes qui montraient de pareilles dispositions ; cette garnison, ajoutait le général, se conduit on ne peut plus mal et nous embarrasse beaucoup par ses sentiments lâches et inciviques[96].

 

Telle fut la défense de Valenciennes. Jusqu'au 25 juillet, la garnison se montra patiente, valeureuse, et fit son service sans trop murmurer. Les vieux régiments d'infanterie se distinguèrent, notamment le 29e, qui combattit avec une intrépidité remarquable et perdit beaucoup de monde. Mais ce furent ces troupes de ligne, entraînées par leurs officiers, qui donnèrent le signal de l'insurrection. Les bataillons de volontaires, presque tous de l'ancienne formation et de la levée de 4794, restèrent, malgré quelques défaillances, fidèles à leurs serments. Plusieurs se signalèrent. Le 20 juin, à l'incendie de l'arsenal, le 1er bataillon de Mayenne-et-Loire courut arrêter les progrès du feu, et Ferrand rendit justice à son empressement. Le 1er bataillon de la Charente gardait la citadelle qui demeurait intacte. Son commandant Léchelle pria Ferrand, en plein conseil de guerre, de l'envoyer au poste de l'honneur et du péril. Le général refusa d'abord : il craignait que la citadelle ne fût l'objet d'une surprise, et ne voulait pas déplacer un bataillon qui connaissait par un assez long usage les ouvrages très compliqués de cette partie de la forteresse. Mais le 5 juillet il céda : une compagnie de la Charente et une compagnie de la Côte-d'Or allèrent tous les deux jours aux remparts ; le danger s'égalisa, et les bataillons de la ville furent un peu soulagés[97].

C'est à l'artillerie que revient la palme. Elle eut tort de canonner les batteries de l'adversaire au lieu d'empêcher ses travaux de sape. Mais elle répondit à l'artillerie autrichienne, surtout durant le mois de juillet, avec courage et habileté. Unterberger déclare qu'il faut lui rendre hommage, la louer, l'admirer ; qu'elle seule mérite d'être mise en évidence ; qu'elle seule, à proprement parler, a brillé dans la défense de Valenciennes au milieu de risques incroyables, par son adresse, par son zèle assidu, par son extraordinaire activité, par sa bravoure inouïe ; qu'elle seule a su soutenir si longtemps un feu supérieur ; qu'elle a donné un glorieux exemple de vertu guerrière ; que les Impériaux ont éprouvé dans d'autres sièges combien les canonniers de Valenciennes l'emportaient sur leurs camarades par la constance et la ténacité[98].

Mais la garnison ne fut pas secondée par la population. Dès les premiers jours de l'investissement, il y eut, comme dit un des assiégés, conflit et lutte entre deux esprits, l'esprit bourgeois et mercantile, appuyé par les autorités constituées et ne considérant que le danger présent, l'esprit patriotique et militaire, dirigé par des vues plus élevées d'intérêt national et ne connaissant que la loi. Les municipaux sacrifièrent leur devoir à la peur ; ils ne montrèrent ni énergie ni bonne volonté ; ils étaient, suivant le mot d'un soldat, plus attachés à leur terroir qu'à la République, et, dans leur froide et locale prudence, n'envisageaient que le malheur particulier de leur ville. Dès qu'il y avait un moment de relâche, écrit un lieutenant des grenadiers de Paris, les habitants sortaient de leurs souterrains, criaient à haute voix qu'il fallait se rendre, et pas un d'eux n'était punis[99].

Toutefois, il y avait à Valenciennes de fidèles Français qui, selon l'expression de Dembarrère, gémissaient d'un fatal égarement. Beaucoup firent preuve de vaillance et aidèrent de leurs mains à la défense de la place. Des pères de famille, a dit Ferrand, des commerçants aisés formèrent des compagnies de canonniers et n'ont cessé d'être à leur poste, sans avoir rien perdu de leur sang-froid inaltérable, malgré le danger continuel[100].

Les représentants Cochon et Briez attestent que les bons citoyens montrèrent courage et endurance ; que la masse du peuple, surtout la classe indigente, se dévouait au service de la patrie ; qu'eux-mêmes ont assisté aux spectacles les plus attendrissants et aux scènes les plus touchantes. Des grenadiers valenciennois portèrent à l'hôpital, au milieu d'une pluie de bombes, des blessés que les brancardiers épouvantés abandonnaient sur la grande place. Un boulanger de la rue de Mons avait sa maison écrasée et son four seul fut épargné ; Dieu est patriote, dit-il, puisqu'il me laisse les moyens de cuire du pain pour mes concitoyens, et il resta dans les ruines de sa boutique, près du four où, jour et nuit, il cuisait le pain. On annonçait à un bourgeois du nom de Pouque que sa maison s'était écroulée ; il demanda si quelqu'un était blessé, et sur la réponse négative, tant mieux, s'écriait-il, les hommes font des maisons et les maisons ne font pas des hommes. Comme à Lille, la gaieté française anima les assiégés. Un citoyen s'avisa de coiffer du bonnet rouge un gros éclat de bombe qu'il exposait, en guise de trophée, sur sa fenêtre. Au premier projectile qui tomba chez un autre citoyen, ses amis coururent au corps-de-garde lui porter la nouvelle... avec un bouquet de fleurs. Une petite maison du quartier du Béguinage reçut trois boulets à la fois ; le propriétaire se tenait à la porte en criant qui veut loger à l'enseigne des Trois-Boulets ? et il ajoutait : en voilà quatre, en voilà cinq, six, sept, et ainsi jusqu'au vingt-septième qui détruisit entièrement sa demeure[101].

Dembarrère a comparé le siège de Valenciennes à celui de Lille. Le siège de Lille, dit-il avec raison, était une folle tentative de quelques jours ; le siège de Valenciennes, une entreprise considérable, mûrement méditée, conduite avec les plus grands moyens. Le duc de Saxe-Teschen ne bloquait Lille que d'un seul côté, et la forteresse conservait ses communications avec le reste de la Flandre ; Valenciennes fut complètement cerné et nullement secouru. Lille a été bombardé durant une semaine et n'a pas essuyé d'attaque ; Valenciennes subit un bombardement de quarante-trois jours et, dans la nuit du 25 juillet, un assaut qui donna le chemin couvert aux ennemis et faillit leur donner la place. Une partie de Lille était exposée aux boulets rouges et l'autre partie, que l'adversaire n'inquiétait pas, offrait un abri sûr aux habitants et aux soldats ; Valenciennes, dominé de toutes parts, fut foudroyé de toutes parts, et les assiégeants ne ménagèrent pas un seul de ses quartiers. A Lille, l'ardeur patriotique des citoyens seconda la garnison ; à Valenciennes, un parti nombreux exigea, hâta la reddition[102].

 

Comme la capitulation de Mayence, la capitulation de Valenciennes excita dans toute la France la surprise et l'indignation. Carnot croyait que les ennemis ne prendraient pas Valenciennes et qu'ils s'épuiseraient devant la ville en impuissants efforts. Il fut abasourdi lorsqu'il sut qu'elle ouvrait ses portes au duc d'York ; il refusait créance à cette affreuse nouvelle : quels sont, disait-il, les lâches qui ont défendu cette place, et à quels hommes, grand Dieu, sommes-nous livrés ! Je m'y perds. C'est le comble de la trahison. On lui objectait que Valenciennes avait fait une glorieuse résistance ; je n'en crois pas un mot, répondait-il avec colère[103].

De même que Carnot, Barère déclara que la capitulation de Valenciennes était le résultat d'un vaste complot ourdi par l'Angleterre, et Guyomard, qu'une traîtrise manifeste avait donné passage aux alliés. Cochon et Briez rétablirent la vérité ; ils montrèrent que la ville avait dû se rendre après l'attaque du 25 juillet et sous la pression des ennemis intérieurs.

Mais les deux conventionnels qui s'étaient acquittés vaillamment de leur mission et y avaient dépensé tant de souplesse et de vigueur, furent en butte aux soupçons et aux calomnies. Briez eut l'imprudence d'irriter Robespierre qui le foudroya dans une de ses harangues les plus vives et les plus habiles. Le 25 septembre, Briez lisait à la Convention un mémoire sur la situation de la frontière ; il blâmait le Comité de garder le silence, de ne prendre aucune des mesures nécessaires, et il le sommait de faire, séance tenante, un rapport sur l'armée du Nord. La Convention décréta que le mémoire serait imprimé et son auteur adjoint au Comité de salut public. Mais Robespierre plaida pour le Comité, dont il était membre. Quoi, disait-il, ce serait à des hommes comme Briez que l'opinion donnerait sa confiance et remettrait les rênes du gouvernement, à cet artisan de discorde qui n'avait que le masque du patriotisme, et qui s'était couvert de honte en rendant aux Autrichiens une place que la nation avait commise à sa défense ! Briez répondit qu'il était incapable de perfides intentions, qu'il avait été malade depuis son retour et ne pouvait intriguer, qu'il avait prolongé la résistance de Valenciennes et conservé la garnison de cette ville à la République. Mais, entraînée par Robespierre, la Convention révoqua le décret qui adjoignait Briez au Comité de salut public et ordonnait l'impression de son mémoire. Elle acclama Robespierre lorsqu'il revint à la charge et accabla Briez dans un nouveau discours. Vainement Briez demanda que l'Assemblée fit un rapport sur la reddition du 28 juillet ; vainement il rappela qu'il avait couru les plus grands dangers, que des émeutiers menaçaient de le pendre, qu'il était toujours entre les bombes ennemies et le fer des assassins, qu'il avait quitté Valenciennes pour ne pas tomber au pouvoir des Autrichiens qui l'avaient néanmoins arrêté trois fois. Robespierre lui reprocha d'avoir dénoncé le Comité de salut public. Ce rôle d'accusateur seyait-il à Briez ? Où était ce représentant, lorsque les Impériaux entraient à Valenciennes ? Il était encore dans la ville ! Briez, ajoutait Robespierre, aux applaudissements réitérés de la Convention, Briez ne répondra jamais à cette question : êtes-vous mort ? Mais moi, si j'avais été à Valenciennes dans cette circonstance, je n'aurais jamais été dans le cas de faire un rapport sur les événements du siège ; j'aurais voulu partager le sort des braves défenseurs qui ont préféré une mort honorable à une capitulation honteuse. Et, puisqu'il faut être républicain, puisqu'il faut avoir de l'énergie, je vous le déclare, je ne serai point d'un Comité dont un tel homme fera partie !

Moins heureux que Briez, les généraux Ferrand et Tholosé, les deux principaux chefs de la défense, furent emprisonnés. Ferrand avait fait ce qu'il avait pu et il disait justement à Bouchotte que si l'on était instruit de toutes les contrariétés qu'il avait éprouvées, on lui saurait gré de ses efforts. Malgré mon âge, écrivait-il pendant le siège, je montrerai l'exemple à mes troupes et leur transmettrai des connaissances que cinquante ans de services m'ont procurées, et lorsqu'il traça les dernières lignes de son Journal, non sans incorrections ni fautes d'orthographe, il s'écriait de la plus naïve et touchante façon : C'est ici où mon journal de siège se termine ; en le closant, je le baigne de mes larmes, et chaque fois que je le lirai ou que je m'en rappellerai, mes anciennes paupières s'humecteront ![104] Mais les commissaires du pouvoir exécutif Celliez et Varin assuraient qu'il manquait de fermeté et qu'il n'avait pas osé faire un exemple effrayant. On l'accusait, non sans raison, d'avoir eu dans la matinée du 2 avril, lorsque le grand-prévôt Lescuyer voulait se saisir de Valenciennes et des conventionnels, une attitude équivoque. Le 45 août, après avoir été la veille longuement interrogé par un membre du Comité de salut public, il fut, dit le Moniteur, mené dans la prison de l'Abbaye sur une déclaration de Lescuyer. Il y resta jusqu'au 30, puis fut mis en arrestation dans son propre logement sous la garde de deux gendarmes qu'il entretenait à ses frais. Il ne recouvra sa liberté qu'après le 9 thermidor[105].

Tholosé subit un sort encore plus rigoureux. Ferrand même le dénonçait. Il reconnaissait que Tholosé s'était bien conduit. Mais pourquoi Tholosé avait-il jugé le 26 juillet que la place ne pourrait tenir que six jours ? Pourquoi, lorsque Ferrand le députait au duc d'York, les officiers municipaux accueillaient-ils ce choix avec empressement ? Enfin, pourquoi Tholosé avait-il commis la faute grave de livrer aux Impériaux tous les papiers de la direction du génie, sans informer Ferrand ?

Le ministre de la guerre et son adjoint, le chef de bataillon Dupin, avaient les mêmes griefs que Ferrand, et Dupin se plaignit très vivement au Comité que Tholosé eût laissé dans les mains des Autrichiens des documents de la plus haute importance sur la défense des forteresses du Nord. Tholosé ne pouvait-il soustraire à l'ennemi les plans et les projets les plus précieux en les jetant au feu ? Vainement le général protesta qu'il n'avait pas eu le temps de prendre connaissance de ces pièces, qu'il en ignorait la valeur, et qu'il ne pouvait les brûler dans une ville révoltée en faveur de l'empereur, que l'article 11 de la capitulation l'obligeait de donner tous les papiers du gouvernement, qu'il n'avait pas eu l'idée de faire une infidélité lorsque les dépôts nationaux étaient remis au vainqueur dans leur intégrité, qu'on attribuait d'ailleurs une trop grande portée à ces mémoires, que la coalition menait avec elle des officiers émigrés qui lui indiquaient toutes les dispositions d'attaque, et qu'il fallait craindre surtout ces atlas vivants. Il fut incarcéré et ne sortit de prison que le 18 thermidor[106].

Valenciennes capitulait cinq jours après Mayence. Mais Cochon et Briez se contentèrent d'envoyer à leurs collègues une relation des événements qu'un secrétaire lut à la tribune. Merlin de Thionville et Reubell surent frapper les esprits, saisir les imaginations par une réapparition théâtrale. Tandis que Reubell se présentait avec les membres du Comité de salut public et sous leur patronage, Merlin de Thionville se montrait à la Convention en habit de canonnier et comme un héros du siège, retraçait ses souffrances, vantait ses exploits, et l'Assemblée séduite décrétait que les défenseurs de Mayence avaient bien mérité de la patrie. La garnison de Valenciennes n'eut pas cet honneur, et sans doute elle en était moins digne que la petite armée dont les chefs se nommaient Aubert-Dubayet et Kléber. La ville de Valenciennes l'obtint à force de sollicitations. Dès qu'elle redevint française, sa municipalité entreprit de réduire à néant les accusations que renfermait le rapport de Cochon et de Briez. Elle publia la Réfutation de ce rapport et tenta de prouver que ni la garnison ni la population ne s'étaient mises en insurrection ; on avait, disait-elle, calomnié les habitants qui n'avaient cessé de peiner et de pâtir pour la cause commune ; on ne pouvait leur reprocher une capitulation inévitable, et la Convention, qui décrétait que Lille et Landrecies avaient bien mérité de la patrie, devait rendre la même justice et accorder la même réparation, la même consolation à Valenciennes. Le 19 vendémiaire an IV, la Convention déclarait que la place avait fait une résistance longue et courageuse, qu'elle n'avait capitulé qu'à la dernière extrémité et conformément à la loi, que les fautes de quelques-uns, d'ailleurs pour la plupart étrangers à la ville, ne devaient pas rejaillir sur tous, et que Valenciennes avait bien mérité de la patrie[107].

 

V. L'Autriche n'avait pas dissimulé, depuis le Congrès d'Anvers, qu'elle prendrait sa portion de dédommagement jusqu'à la rivière de la Somme. Elle voulait une barrière sûre et solide, un rempart, un boulevard qui couvrit la Belgique et la mît à l'abri des insultes de la France, la ligne de forteresses que Lloyd nommait une frontière de fer. Ce rempart s'étendrait de Sedan aux sources de la Somme. La Chiers, la Meuse, la Lys deviendraient la limite des Pays-Bas, cette partie si précaire du domaine autrichien. Mézières, Givet, Lille, Douai, Valenciennes, Condé, Maubeuge, Le Quesnoy, Philippeville, Gravelines, Aire, Saint-Omer, Saint-Venant appartiendraient dorénavant à la maison de Habsbourg. Dès le mois de mai, le comte de Metternich rédigeait un mémoire sur le gouvernement des provinces conquises ainsi que sur la façon de se concilier la population, et Mercy proposait de déclarer aux habitants qu'on les regardait comme des Belges qui revenaient sous la domination de leurs souverains légitimes et avaient le droit de revendiquer et de reprendre les privilèges dont ils jouissaient au temps des ducs de Bourgogne[108].

La petite ville de Saint-Amand fut la première à subir les lois autrichiennes. Le 9 avril, Clerfayt l'occupait au nom de l'Empereur. Le curé tint de nouveau les registres de l'état-civil. Les moines se réinstallèrent dans l'abbaye. Des sentences rendues par le juge de paix républicain furent révisées et l'ancien magistrat, se félicitant de rentrer sous l'obéissance de l'auguste maison d'Autriche, sollicita la faveur de ne faire qu'une seule et même administration avec le Tournésis[109].

Puis ce fut le tour de Condé. Le 13 juillet, une proclamation qui fut répandue avec profusion sur la frontière du Nord, annonçait que Cobourg prenait possession de la ville, forteresse et district de Coudé, au nom de Sa Majesté impériale et royale. Le représentant Du Bois du Bais répondit que les habitants de Condé garderaient leur âme libre sous le poids des chaînes et que Cobourg rendrait un jour à la valeur une place qu'il ne devait qu'à la trahison. Mais, en dépit de Du Bois du Bais et de sa réplique qui fut insérée au Moniteur, Condé devint cité autrichienne. Le despotisme et la sottise, écrivait un gazetier parisien, y sont rentrés. Le Chapitre, de retour, célébra sa première messe avec solennité. Le Magistrat fit à ses concitoyens une adresse qui respirait la haine de la Révolution. François II, lisait-on dans cette adresse, régnait désormais sur les habitants de Condé ; le temps n'était plus où ils devaient attendre l'effet d'une machine désorganisée pour en applaudir ou blâmer les perfides inventeurs ; ils retrouvaient une patrie, une patrie d'adoption, et ils vivraient sous les lois d'un souverain juste et bienfaisant, de l'Empereur et Roi, restaurateur de la religion et protecteur des opprimés ; ils renonceraient sans regret à la France, leur ancienne patrie, devenue la proie d'une faction impie et atroce, d'une faction qui détruisait les autels de Dieu et forgeait un fantôme de culte dont les ministres scandaleux faisaient rougir leurs sectateurs mêmes, d'une faction qui voulait renverser les trônes dont les possesseurs étaient l'image de Dieu sur la terre, une faction qui sacrifiait tant d'innocentes victimes et n'épargnait pas l'auguste tête d'un roi[110] !

Un commissaire-général civil, le baron de Bartenstein, intendant de l'armée, était déjà nommé. Une Junte ou Jointe fut chargée de gouverner provisoirement les pays et districts conquis sur la France. Elle comprenait cinq membres, le conseiller d'état Leclerc, président du grand conseil de Malines, les rapporteurs Mandos, Coutume et Perrin, l'actuaire de Hesdin. Elle siégea d'abord à Condé, puis à Valenciennes. Dès le 20 juillet, elle proclamait, de par l'Empereur et Roi, le rétablissement de toutes les lois et la restauration de toutes les magistratures telles qu'elles existaient avant la Révolution[111]. Elle installait à Condé un bailliage seigneurial et un Magistrat, composé du mayeur, de dix échevins, d'un greffier et d'un trésorier massard ; à Valenciennes, un prévôt, Alexandre de Pujol, un lieutenant-prévôt, deux lieutenants prévôt-le-comte, des échevins et un Conseil particulier. Les assignats furent supprimés ; mais le numéraire était si rare que la Jointe permit d'acquitter les impositions en nature. Les fonctionnaires prêtèrent serment à l'Autriche et jurèrent d'être fidèles à Sa Majesté l'Empereur et Roi. La cocarde noire, l'hirondelle, comme disait le peuple, était le signe distinctif de quiconque appartenait à l'armée autrichienne, et les militaires la portaient au chapeau ; les mayeurs, gens de loi et autres magistrats portèrent au bras droit un ruban noir.

De toutes parts le clergé rentrait dans ses biens et ses privilèges. Les capucins et les sœurs grises revenaient à Condé. Les Prémontrés de Vicoigne regagnaient leur abbaye et reprenaient possession de l'église de Raismes. Les moines d'Hasnon, de retour dans leur couvent, se hâtaient de réclamer les dîmes arriérées. Toutes les communautés religieuses et séculières de Valenciennes étaient rétablies[112]. Le curé assermenté de Bettignies essaya de rester en disant qu'il n'était plus Français et qu'il se regardait comme curé autrichien ; il fut arrêté et son prédécesseur qui se qualifiait de légitime et véritable, réintégré dans ses fonctions. Le curé de Bavay n'était pas intrus, mais il avait prêté le serment avec restriction ; il dut faire pénitence et s'agenouiller à l'entrée du chœur pendant que son vicaire célébrait l'office[113].

On prit des mesures sévères contre les partisans de la Révolution. Tous ceux qui haranguaient le peuple dans les rues et tenaient des propos séditieux ou menaçants, devaient être appréhendés sur-le-champ. Quiconque entendait des histoires fabuleuses qui pourraient troubler la tranquillité, devait les déclarer au greffe criminel. Il y avait encore à Valenciennes des anarchistes qui, suivant les expressions du Magistrat, entretenaient avec ceux du dehors une correspondance coupable, agitaient la population par des chansons et des fausses nouvelles, vantaient le gouvernement et les actes de la République française dans les cafés, les cabarets et autres lieux ; le Magistrat défendit aux personnes qui avaient commerce de lettres avec la France, de parler des événements actuels ; il somma les cafetiers et cabaretiers de dénoncer ceux qui feraient l'éloge des factieux ou chanteraient des chansons impies, et il les obligea d'apposer un exemplaire de cette ordonnance dans leur Arche-Noé ou chambre commune. Une compagnie de maréchaussée fut formée. La juridiction prévôtale se réorganisa.

Mais la Jointe ne voulait pas restaurer tout à fait l'ancien régime. De cette Révolution qu'elle avait charge de réprimer, elle gardait plusieurs institutions bonnes et utiles. Elle maintenait, pour augmenter les ressources fiscales, les droits de timbre et d'enregistrement. Elle déclarait qu'il n'y aurait plus aucune exemption des contributions publiques et que tous les biens, tous les habitants seraient indistinctement, de quelque condition qu'ils fussent, soumis aux impositions.

Elle levait le séquestre et rendait leurs propriétés aux exilés. Mais elle n'autorisait à demeurer sur le territoire conquis que les émigrés possessionnés et ceux qui y étaient établis avant 1789 ; encore devaient-ils lui demander par écrit la permission de rester dans le pays.

Le chevalier de Verteuil, accrédité par les princes français auprès des ministres des alliés, proposait d'installer à Saint-Amand un hôpital militaire destiné aux émigrés. Bartenstein et la Jointe répondirent que les émigrés français étaient assujettis à la même discipline que les soldats des armées coalisées, qu'ils recevraient en cas de blessures ou de maladies les mêmes secours, qu'on ne pouvait faire en leur faveur un établissement particulier. On connaissait, ajoutait la Jointe dans une note intime, les prétentions absurdes des émigrés sur l'indivisibilité de la monarchie française, leurs idées sur la façon de conduire la guerre, les espérances qu'ils nourrissaient et leur inconcevable illusion. N'avaient-ils pas l'intention secrète de s'attribuer dans le pays conquis une portion d'influence et d'autorité ? Ne disaient-ils pas, pour justifier la création de leur hôpital de Saint-Amand, qu'il y avait dans la ville un médecin du Roi et que les habitants témoignaient aux émigrés les plus grands égards ? Le chevalier de Verteuil ne prenait-il pas dans sa réquisition au Magistrat de Saint-Amand un langage impérieux, comme si les princes français dont il s'intitulait l'envoyé, avaient licence de parler et d'agir en maîtres dans les Flandres ?

La Jointe traita de même l'archevêque de Cambrai et le Magistrat de Valenciennes. Le prélat demandait, non sans aigreur, que les ministres des autels ne fussent pas réduits à l'indigence et il se plaignait que la Jointe leur eût conseillé de s'arranger avec les acquéreurs des biens du clergé, comme si l'on pouvait prendre des arrangements avec des propriétaires illégitimes. Le Magistrat de Valenciennes priait la Jointe dans des Représentations qu'il avait fait imprimer, de rendre à leurs anciens possesseurs des domaines ravis par la force. Pourquoi hésiterait-on à dépouiller des usurpateurs ? N'avaient-ils pas acheté les biens ecclésiastiques à vil prix ? N'étaient-ce pas des gens qui cherchent la fortune et spéculent sur les malheurs publics, des révolutionnaires, des régicides, comme Treilhard, comme Briez qui avait acquis l'abbaye du Château, comme Merlin de Douai qui avait acquis les fermes de l'abbaye d'Anchin ? On proposait de leur payer une indemnité ; mais les indemniser, c'était transiger avec la faction, augmenter ses ressources, rehausser la valeur de ses assignats. La Jointe refusa de se prononcer. Elle blâma la lettre altière de l'archevêque qui renfermait, à son avis, des termes violents et des menaces. Elle tança sévèrement le Magistrat de Valenciennes, lui reprocha d'alimenter l'inquiète curiosité du peuple et lui commanda de ne rien faire imprimer sans une permission expresse. L'Empereur, ajoutait-elle, ne sanctionnerait pas la vente des biens du clergé. Mais ne fallait-il pas distinguer entre les acquéreurs ? Plusieurs ne méritaient-ils pas une indemnité ? Quelques-uns n'avaient-ils pas acheté de bonne foi ce qui se vendait selon les formes usitées et avec l'agrément des autorités ? D'autres n'avaient-ils pas, en acquérant les biens ecclésiastiques, l'intention de les conserver intacts et de les soustraire à des mains scélérates qui les auraient dégradés[114] ?

C'est ainsi que l'Autriche trompait les espérances de ceux des habitants de Valenciennes qui pendant les mois de juin et de juillet 1793 avaient désiré et hâté la reddition de leur ville : Les municipaux qui se sont montrés si faibles, disait un soldat, ont été sacrifiés à l'ancien Magistrat. Valenciennes est aujourd'hui sous la domination autrichienne ; tout s'y fait ainsi qu'à Condé, au nom de l'Empereur, et les émigrés n'ont été que les instruments de l'Autriche. L'étranger seul triomphe et jouit, tandis que tout ce qui est français, de quelque parti que ce soit, souffre également. Rallions-nous tous autour de la Constitution, si nous ne voulons pas tous être victimes, et n'imitons pas les fanatiques de ce siècle-ci, molinistes et jansénistes, qui se déchiraient pour des frivolités, tandis que leur ennemi commun, le génie philosophique, se fortifiait en silence et s'avançait pour les accabler tous ![115]

Il n'était pas besoin de ce généreux appel qui partait de la plume d'un volontaire républicain, pour soulever chez les émigrés douleur et colère. Fersen, passant par Condé, ne pouvait se défendre d'un sentiment de tristesse en voyant la ville occupée par les Autrichiens, et il écrivait dans son Journal : le démembrement de la France m'affecta, je ne pus m'y faire. Les princes et la haute noblesse prièrent Cobourg de s'expliquer franchement ; mais Cobourg répondit que sa proclamation était suffisamment claire et qu'un mot de plus serait inutile. Les Français de toute opinion et de tout parti qui séjournaient en Belgique, protestèrent avec éclat contre la réunion de Valenciennes et de Condé aux Pays-Bas autrichiens. Ces braves émigrés que nous supportons si patiemment, disait Mercy avec ironie, annoncent leur désaveu et leur formidable opposition à toutes nos conquêtes sur le territoire français qu'ils prennent sous leur protection immédiate. Des placards affichés sur les murs de Bruxelles engagèrent les émigrés à courir aux armes pour empêcher les alliés de partager la France comme ils avaient partagé la Pologne. La police autrichienne attribua ces placards, non sans raison, à Dumouriez et à ses amis. Les généraux Marassé et Berneron, le colonel Thouvenot, La Sonde furent arrêtés. Dumouriez s'enfuit. Les émigrés, lit-on dans le Moniteur, ont été joués de tout temps par les puissances coalisées, et ces insensés ne commencent qu'aujourd'hui à s'apercevoir de leur aveuglement ![116]

 

FIN DU DIXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Charavay, Carnot, II, 106 ; Trahison de Dumouriez, 191 ; Dampierre à Bouchotte, 10 et 13 avril (A. G.) ; Rec. Aulard, III, 191.

[2] Witzleben, II, 220. Il y avait à Condé 4.009 soldats et 277 officiers. Les quartiers-maitres, les chirurgiens-majors, les aumôniers et les caporaux-fourriers furent renvoyés aux avant-postes français. Malheureux Français, leur disaient des officiers autrichiens, n'allez pas dans votre pays où vous n'avez rien à espérer ; il est maintenant en feu !

[3] Ueber den Feldzug der Preussen, 342.

[4] Ueber den Feldzug der Preussen, 283, 340 ; précis du capitaine du génie Du Gaigneau, 2 juillet (A. G.) ; Moniteur du 11 août ; détails donnés par Fouqueteau à Hoche (Moniteur du 25 juillet) ; Notes hist., de Delbrel, 37. ; Foucart et Finot, I, 536-537 ; II, 307-310 (lettre du lieutenant prisonnier Doré).

[5] Cf. sur le siège de Valenciennes en 1793, parmi les documents allemands, Schels, 51-53 ; Gesch. der Kriege, II, 48-50 ; Witzleben, II, 200-221 et surtout Unterberger, Tagbuch der Belagerung und Bombardirung der französischen Festung Valenciennes (sans date, 84 pages), et parmi les documents français, outre les pièces de la capitulation, le Journal du Comité de siège, le mémoire de Tholosé et celui du lieutenant Dementhon (A. G.), outre le très solide chapitre de Foucart et Finot, I, 463-577, le Rapport fait à la Convention par Cochon et Briez, suivi de la relation de Dembarrère, 114 pages ; le Précis historique du siège de Valenciennes, par un soldat du bataillon de la Charente (Desmarest, le futur chef de la haute police sous Napoléon), an II. 76 pages ; Texier de la Pommeraye, Relation du siège et du bombardement de Valenciennes, 1839 ; l'opuscule de Ferrand Précis de la défense de Valenciennes en 1793 (1re édit. 1805, et 2e édit. sur papier jaune, 1834) ; mais cette relation est très inexacte et, pour ainsi dire, sans valeur ; Ferrand estime à 30.000 (au lieu de 6.000) le nombre des projectiles ennemis qu'il fit ramasser, assure qu'il fut assiégé par 130.000 combattants, que 25 à 30.000 ennemis se jetèrent sur le chemin couvert dans la nuit du 25 juillet, que le feu fut très vif le 26 juillet, etc. Il est vrai que, lorsque Ferrand composa son récit, il n'avait plus ses papiers saisis par le Comité de sûreté générale. Ces papiers que nous avons consultés (A. N. F⁷ 4735) renferment, avec le mémoire insignifiant d'un volontaire de Loir-et-Cher, et des lettres diverses, le Journal du siège ; ils nous ont été indiqués par M. Tuetey, sous-chef de section aux Archives nationales, qui joint la plus grande obligeance à la science la plus sûre.

[6] Jemappes, 91, 244 ; Trahison de Dumouriez, 180-184 ; Charavay, Carnot, II, 242 ; mémoire de Tholosé ; Précis, 44 ; Defrenne à Bouchotte, 22 et 27 avril (A. G.). Jean-Henri Becays, dit Ferrand ou Ferrand de la Caussade, lieutenant au régiment de Normandie, à l'âge de dix ans (18 novembre 1746), réformé (21 mars 1749), replacé lieutenant (13 octobre 1750), capitaine (1er septembre 1755), major à Valenciennes (28 juillet 1773), général de brigade (8 mars 1793), général de division (15 mai 1793), arrêté sur une déclaration faite par Lescuyer, mis en liberté le 18 thermidor an II par le Comité de Salut public et autorisé à demander sa retraite, préfet de la Meuse-Inférieure de 1802 à 1804, sous le Consulat, mort à La Planchette, près de Clichy-la-Garenne, le 28 novembre 1805. Il s'était marié à Valenciennes avec Anne-Michelle Mauroy, fille d'un ancien receveur général et particulier des domaines du roi pour la province du Hainaut.

[7] Blacquetot écrit au ministre Bouchotte (29 juillet 1793, A. G.) qu'il a été bloqué subitement à Valenciennes, que sa maison a été brûlée, écrasée ; qu'il a trouvé un abri à l'Hôpital-général avec sa femme, dans un souterrain profond où il y avait déjà trente-six personnes, qu'il a eu la dysenterie, qu'une bombe, tombée près de lui, a blessé son oreille et provoqué une esquinancie humorale, qui lui cause de vives douleurs à la gorge et lui ôte presque l'usage de la parole ; il reste donc à Valenciennes sous le bon plaisir du duc d'York jusqu'au rétablissement de sa santé. Le 16 août, il fut suspendu par Bouchotte, mais Ferrand le déclare. brave et loyal militaire (p. 23, de la relation imprimée de Ferrand).

[8] Boillaud [Jean] né à Dijon, le 4 août 1738, et fils d'un commis-greffier des Etats de Bourgogne, soldat au régiment de Vaubécourt (24 mai 1758-11 novembre 1760), entré dans la gendarmerie, compagnie des Bourguignons (13 février 1761), réformé avec ce corps (1er avril 1788), capitaine faisant les fonctions de lieutenant de la 80e compagnie des vétérans militaires nationaux à Dijon (19 janvier 1790), élu lieutenant-colonel du bataillon des grenadiers volontaires de la Côte-d'Or (5 septembre 1792], promu général de brigade, le 15 mai 1793, au siège de Valenciennes, et, comme il dit, en face de l'ennemi et à l'embouchure du canon. Au sortir du siège, il demanda et obtint un congé pour rétablir sa santé ; je suis, écrivait-il au ministre, exténué, chargé d'incommodités. Mais il n'eut plus de service actif, et il ne cessa d'être prisonnier de guerre qu'après le traité de Lunéville. Le 24 septembre 1793, il fut nommé inspecteur-général des remontes, puis, en cette qualité, attaché à l'armée de Rhin-et-Moselle (25 prairial an IV). Le 6 frimaire an VI, il était chargé de présider le Conseil de révision de la 18e division militaire. Boillaud, admis à la retraite le 24 mars 1801, mourut à Dijon le 1er octobre 1809.

[9] Le vrai nom de Beaurgard est Woirgard. Mais toujours il se nomma Beaurgard et, avant la Révolution, à ce qu'il semble, de Beaurgard, Sa famille était originaire de Bâle. Victor Beaurgard naquit à Metz, le 16 octobre 1764. Il s'engageait pour six ans, à Boulogne-sur-Mer, en août 1782, au régiment suisse de Diesbach (compagnie de Travers) et devenait caporal en juin 1784, et sergent en février 1785. Il se rengagea à Bapaume, pour deux ans, en août 1787, dans le même régiment, mais racheta son congé en janvier 1788. Il vivait à Elbeuf lorsqu'il fut élu, le 16 janvier 1792, lieutenant en premier au 1er bataillon des volontaires de la Seine - Inférieure ; le 14 mars suivant, il était adjudant-major, et le 10 septembre de la même année, lieutenant-colonel en second. Il assista aux batailles de Jemappes et de Neerwinden. Après la défection de Dumouriez, il fut nommé général de brigade, le 12 avril 1793, par les représentants du Bois du Bais et Briez, qui le déclarèrent ardent républicain et militaire aussi brave qu'intelligent, et confirmé dans ce grade, le 18 avril, par Dampierre, le 30 avril, par le ministre de la guerre. A peine sorti de Valenciennes, il commanda les troupes du département de l'Aisne. Mais on disait, assez justement, que les Autrichiens ne feraient pas de grâce à ses soldats parce qu'il était prisonnier sur parole, et on l'accusait d'avoir de l'orgueil, de commettre des actes arbitraires, de faire tirer le canon pour annoncer la naissance de son filleul et d'alarmer ainsi tous les environs. Suspendu le 18 vendémiaire an II, réintégré le 30 thermidor et employé à l'armée de l'Ouest, sous Canclaux, qui demeura son ami et son patron, et qui le dit un brave et très bon officier, ayant des connaissances en tactique et fortification, réformé le 25 prairial an III, remis en activité à l'armée de l'Ouest, le 14 fructidor an III, dénoncé par le général Coffin et destitué par Hoche, le 10 pluviôse an IV, pour avoir favorisé le pillage et l'indiscipline, acquitté par le Conseil militaire qui déclara que les inculpations portées contre lui avaient toutes le caractère de la calomnie et de la vengeance, réintégré et traité comme officier réformé, le 8 pluviôse an V, remis en activité le 12 thermidor an VII et envoyé à l'armée du Rhin, admis de nouveau au traitement de réforme de son grade, le 1er prairial an IX, nommé commandant d'armes à Alexandrie, en Italie, le 22 pluviôse an X, réformé encore le 17 fructidor an X, après que le général Barbou eut signalé sa conduite indiscrète et tracassière, ainsi que certains écarts et absences d'esprit auxquels il était sujet, réemployé dans la 12e division militaire à La Rochelle (17 avril 1809), commandant la brigade de dragons du 5e corps de l'armée d'Espagne (19 juin 1809), Beaurgard fut tué à Valverde, près Badajoz, le 19 février 1810.

[10] Tholosé (David-Alexis), né le 20 février 1736, à Castelnaudary — son père était avocat au Parlement et fut, plus tard, maire de la ville, — sous-lieutenant-élève à l'École de l'artillerie et du génie de La Fère (26 janvier 1758), lieutenant en second à l'École du génie de Mézières (4 septembre 1758), ingénieur (1er janvier 1760), capitaine (30 décembre 1769), employé à Bouchain (20 janvier 1777), détaché à l'équipage du génie de l'armée de Normandie et de Bretagne (8 juin 1779), major (25 mars 1788), lieutenant-colonel à Douai (1er avril 1791), directeur intérimaire des fortifications à Lille en 1792, envoyé à Bruges (21 février 1793), colonel directeur des fortifications à Valenciennes (8 mars 1793), mis en état d'arrestation (7 août 1793), sorti de prison (5 août 1794), directeur des fortifications à Besançon (4 septembre 1794), confirmé général de brigade (17 octobre 1794), directeur des fortifications à Arras (24 avril 1795), inspecteur-général des fortifications (13 juin 1795-21 janvier 1800), directeur des fortifications à Lille (19 avril 1800), commandant du génie à l'expédition de Saint-Domingue (20 mars 1802), mort de la fièvre jaune 12 juillet 1802.

[11] Dembarrère (Jean) était noble de par son père, messire Jean-François Dembarrère, conseiller du roi et juge criminel à la sénéchaussée de Bigorre. Il naquit à Tarbes, le 3 juillet 1747. Lieutenant en second à l'École de Mézières en 1768, ingénieur le 1er janvier 1770, capitaine le 1e. janvier 1777, général de brigade et employé à l'armée de l'Ouest le 17 août 1793, général de division et inspecteur-général des fortifications le 16 février 1794, passé dans la ligne le 13 juin 1795, commandant des places de Luxembourg et de Metz en 1797, et de l'armée d'Angleterre, par intérim (23 juin-11 juillet 1799), rentré dans l'arme du génie (28 mars 1800), réformé (27 avril 1801), nommé de nouveau directeur des fortifications (21 mai 1801), rétabli général de division et inspecteur-général des fortifications (18 décembre 1801), retraité (10 mai 1805), chargé d'organiser les cohortes du premier ban de la garde nationale de la 11e division militaire (20 mars 1812). Dembarrère mourut, âgé de quatre-vingts ans et huit mois, à Lourdes, le 3 mars 1828. Il était oncle de Barère.

[12] Lettres des représentants, Moniteur 26 mai ; Précis, 16.

[13] Rapport, 17, 19-20.

[14] Rapport, 42, 49-52, 52-53.

[15] Les deux bataillons du 29e (Dauphin), le 73e (Royal-Comtois), le 87e (Dillon), 1er bataillon de la Côte-d'Or, 1er bataillon de Loir-et-Cher, 1er bataillon de la Charente, 1er bat. des grenadiers de Paris, 1er bat. de Mayenne-et-Loire, 1er bat. des Deux-Sèvres, te. bat. de la Nièvre, 1er bat. de la Seine-Inférieure, 1er bat. des Gravilliers, le bat. des grenadiers de la Côte-d'Or, 2e bat. de l'Eure, 4e bat. des Ardennes, 2e bat. permanent de Valenciennes, en tout : 7.900 hommes ; -deux détachements du 25e et du 26e régiment de cavalerie, nommés aussi dragons de la République, comprenant 300 hommes ; — deux détachements du 1er et du 3e régiment d'artillerie ; quatre compagnies de canonnière, formées par les habitants de Valenciennes ; une compagnie de canonniers de Douai ; huit compagnies d'artillerie parisienne, en tout 800 hommes ; — total de la garnison : 9.000 hommes.

[16] Journal du siège, 5 juillet ; Rapport, 18-19 ; Ferrand dit qu'il traita les pétitionnaires comme des camarades égarés et qu'il leur pardonna lorsqu'il les vit pénétrés de leur faute.

[17] Journal du siège, 7 et 8 juillet.

[18] Journal du siège, 21 et 22 juin, 2 juillet.

[19] Journal du siège, aux dates indiquées.

[20] Dembarrère, 100 ; Rapport, 2 ; relation imprimée de Ferrand, 40.

[21] Cf. Retraite de Brunswick, 242-250.

[22] Foucart et Finot, I, 466-467.

[23] Comme le renvoi de Mme Melletier.

[24] Précis, 22-23.

[25] On ne pensa pas à les manger, comme firent les Mayençais, et, d'ailleurs, beaucoup de citoyens cachèrent leurs chevaux et les nourrirent avec du pain (Précis, 5 ; Rapport, 74).

[26] Rapport, 5 ; Précis, 7 ; Journal de la Montagne, 9 sept.

[27] Witzleben, II, 211 et 225 ; Schels, 48 ; Thurheim, Briefe, 81 et 93.

[28] Fersen, II, 78 ; Précis, 62 ; Dembarrère, 101.

[29] Tagbuch d'Unterberger, 11-12 ; Thürheim, Briefe, 89 ; Précis, 36 ; Rapport, 57.

[30] Précis, 9 ; Dembarrère, 100.

[31] Rapport, 7 ; Précis, 12.

[32] Journal du siège, 17 juin ; Mém. d'un volontaire de Loir-et-Cher (A. N.) ; Précis, 17-18 ; Dembarrère, 103 ; Moniteur du 30 juin (lettre de Chérin et discours de Gossuin) ; Tagbuch, 24.

[33] Précis, 28 ; Witzleben, II, 214 ; Tagbuch, 24.

[34] Dembarrère, 103 ; Tagbuch, 24-25 ; on jeta, dans cette nuit du 19 au 20 juin, 800 bombes et 480 boulets rouges sur la ville.

[35] L'arsenal fut établi désormais au Collège. Mais la perte, dit Dembarrère, était irréparable et de la plus grande conséquence pour la défense. Les représentants croyaient que des malveillants avaient mis le feu à l'arsenal ; ils semblent accuser Monestier, directeur de l'artillerie ; mais Monestier s'était brûlé la cervelle le 16 juin, parce qu'il avait eu dans le Conseil de guerre une vive discussion avec Cochon. Ce dernier l'avait menacé : J'ai les yeux ouverts sur vous, et je surveillerai de près votre conduite. Monestier, écrit Ferrand, dans son Journal, m'avait paru fort mélancolique et très préoccupé depuis quelques jours ; sa partie était négligée et je lui avais plusieurs fois témoigné mon mécontentement. Le général le remplaça par le capitaine Joseph Lauriston, qui fut assisté du capitaine Georgin. Ce Georgin, disent les représentants, contribua infiniment à réparer tous les maux qui résultaient de l'incendie de l'arsenal. (Rapport, II, 45 ; Dembarrère, 104 ; Foucart et Finot, I, 514 ; Journal du siège.)

[36] Tagbuch, 26-33 ; Journal du siège ; Texier, 68-69.

[37] Dembarrère, 104-103, 112 ; Witzleben, II, 214-215 ; Dementhon ; Précis, 36.

[38] Précis, 25. Cf. Rapport, 28 et 55. En une seul nuit, la ville fut assaillie de 1.524 bombes, dont cent au moins tombèrent sur les bâtiments de l'Hôpital-Général.

[39] Journal du siège ; Dembarrère, 103 : Précis, 14 ; Tagbuch, 23, 27, 34, 35, 37.

[40] Taguch, 40, 43-44, 46, 49, 50-52, 55-56, 58-59, 65-66 ; Journal du siège.

[41] Journal du Comité de siège, 29 juin ; ordre du 30 juin ; relation imprimée de Ferrand, 34 et 42 ; Rapport, 44.

[42] Melletier avait été employé dans le Hainaut à l'exécution du décret du 15 décembre 1792. Le 16 avril 1793, il s'offrait à Le Brun pour lui communiquer la situation des armées et maintenir des liaisons secrètes avec la Belgique. Il reçut mission de prendre des informations sur le congrès d'Anvers, et il envoya au ministre des affaires étrangères quelques notes, d'ailleurs insignifiantes.

[43] Bleibtreu, Denkwürdigkeiten aus den Kriegsbegebenheiten bei Neuwied, 1834, p. 191 ; Thürheim, Briefe, 106-107 ; Texier, 107 ; Précis, 42-43 ; York à Ferrand, 16 juillet (A. N.) ; Tagbuch, 53-56 ; Unterberger, qui faisait une reconnaissance du côté d'Anzin, crut, de loin, en voyant tout ce remuement, que les assiégés désiraient capituler ; lorsqu'il sut ce qui se passait, il ordonna, dit-il, de recommencer le feu mit der grössten Verbitterung.

[44] Précis, 48 ; Rapport, 44 ; Dembarrère, 108, 112 ; Texier, 92, 96 ; Kilmaine à Bouchotte, 30 juillet (A, G.) ; Thürheim, Briefe, 114 ; Tagbuch, 53, 62-63, 65-67 ; Journal du siège.

[45] Et en effet, elles ne furent pas éventées (Précis et Rapport, 47).

[46] Précis, 44-45 ; Rapport, 44-45 ; Dembarrère, 107 ; Journal du siège ; Texier, 119, 124 ; Tagbuch d'Unterberger, 46, 48-49,51-52.

[47] Tagbuch, 67 ; Witzleben, II, 215-216. Les deux colonnes d'Abercromby et d'Erbach se composaient chacune de 174 volontaires, de 4 sous-officiers, de 12 charpentiers et de quelques mineurs ; elles étaient appuyées chacune par 2 compagnies d'infanterie et 25 chasseurs qui prendraient possession du chemin couvert ; chacune avait en réserve un soutien de 6 compagnies. La colonne de Wenkheim était divisée en trois détachements qui comprenaient chacun 50 à 100 volontaires, appuyés par 200 hommes qui devaient se loger aussitôt dans le chemin couvert, et par 2 compagnies d'infanterie.

[48] Mémoire de Langeron (A. E.) et Thürheim, Ludwig Fürst Starhemberg, 1889, p. 27-28, Dietrichstein écrivait à son intime ami Starhemberg : prends part à mon bonheur. J'ai pris Valenciennes malgré tout le monde et contre trois ordres de me retirer ; je me suis emparé d'une dernière lune et d'un grand ouvrage à corne avec tous ses canons, et cela a fait rendre la place quinze jours plus tôt et épargné peut-être 2.000 hommes. On m'adore, on ne croit pouvoir faire assez pour moi. On a envoyé mon frère avec la première nouvelle ; je porte la seconde ; je serai colonel et aurai au moins la petite croix, car, d'après les statuts, je pourrais demander celle de commandeur.

[49] Tagbuch d'Unterberger, 63-71 ; Witzleben, II, 217 ; Précis, 48, 52 ; Rapport, 17, 47 ; Dembarrère, 109 ; Texier, 138-140 ; Foucart et Finot, I, 552-555 ; Journal du siège.

[50] Précis, 38. On fit également distribuer du vinaigre pour corriger la crudité de l'eau (ordre du 3-4 juillet).

[51] Rapport, 16 ; Dembarrère, 112 ; Journal du siège, 12 juillet.

[52] Foucart et Finot, I, 542 ; cf. Précis, 63-64.

[53] Texier, 92-119 ; Ueber den Feldzug, 333-334 ; Précis, 64 ; Tagbuch d'Unterberger, 48 (il dit, à la date du 9 juillet, que, depuis trois jours, la température est extraordinairement chaude et que quelques hommes se sont évanouis dans les tranchées).

[54] Rapport, 7 ; Précis, 66. Les assiégés préparèrent un second et plus grand ballon ; l'ennemi trouva les matériaux tout prêts dans le réduit de la citadelle.

[55] Précis, 3, 10, 40-41, 64, 65, 67 ; Dembarrère, 106 ; Journal, 20 juin et 18 juillet ; Ferrand au président de la Convention et York à Ferrand, 16 juillet (A. N.].

[56] Rapport, 36 ; Précis, 7 ; Journal, 4, 20, 23, 30 juin ; Mém. d'un volont. de Loir-et-Cher ; cf. sur Hamoir du Croisier, Les représentants du peuple, de Wallon, IV, 431, et Forneron, Hist. des émigrés, I, 403 ; i sur Benoist l'aîné, sa lettre du 17 juillet à Ferrand (A. N.) et Texier, 194-195.

[57] Précis, 10, 19-20, 30 ; Rapport, 11, et Dembarrère, 107 ; Journal.

[58] Journal, 18 juin ; Rapport, 8, 49, 50 ; Précis, 59, etc.

[59] Rapport, 8. Mais à la longue, toutes les prisons furent détruites et il ne resta plus de moyens pour faire incarcérer les malveillants et les personnes suspectes. (Rapport, 8 et 54.)

[60] Précis, 33 ; Rapport, 10 ; Journal du siège.

[61] Mém. d'un volontaire de Loir-et-Cher ; Journal, 21 juin ; Rapport, 9 et 50.

[62] Précis, 25 ; Rapport, 56 et 59 ; Journal du siège.

[63] Journal du siège.

[64] Journal du siège ; Précis, 31 ; Foucart et Finot, I, 528 (interrogatoire du jeune Baudry, attaché au bataillon des Deux-Sèvres).

[65] Rapport, 13 ; Précis, 31.

[66] Précis, 33 ; Rapport, 32 et 56. Le 29 juillet, dit Ferrand dans son Journal, un sergent-major d'Eure-et-Loir, fusillé pour cause de vol, dit, avant de mourir, au curé de Curgies — homme de mérite qui faisait le service de canonnier à une batterie du rempart — qu'il avait reçu de l'argent pour enclouer des canons et tirer plusieurs coups de fusil à poudre.

[67] Journal du siège, 30 juin (A. N.).

[68] Rapport, 14 ; Précis, 34 ; Journal, 1er juillet.

[69] Foucart et Finot, I, 542 ; Rapport, 53 ; Précis, 38.

[70] Journal du siège, 3, 6, 18, 22 juillet.

[71] Rapport, 20-21.

[72] Witzleben, II, 217.

[73] Placard sur deux pages : Copie de la sommation faite par Frédérick à la municipalité de Valenciennes et Copie de la sommation faite par Frederick au commandant de Valenciennes.

[74] Précis, 53.

[75] Rapport, 25. Parmi ces officiers était Joseph Lauriston, le sous-directeur de l'arsenal, le frère du futur maréchal de l'Empire (Texier, 251).

[76] Fradel à Ferrand, 26 juillet (A. N.) ; les femmes de Valenciennes à Ferrand et réponse de Ferrand, 26 juillet (A. G.).

[77] Dembarrère, Gambin, Beaurgard à Ferrand, 26 juillet, 7 h. ½ et 8 h. ½ du soir (A. N.) ; Précis, 32 et 52 ; Dembarrère, 109 ; Texier, 149 ; Foucart et Finot, I, 564.

[78] Fromentin et le grenadier Cornu à Ferrand, 27 juillet ; procès-verbal des gardes-magasins, 27 et 28 juillet ; Journal du siège ; Mém. d'un volontaire de Loir-et-Cher (A. N.) ; Rapport, 25 ; Dembarrère, 112 ; Précis, 54.

[79] Rapport, 57-88.

[80] Ferrand et Pourtalès au duc d'York, 26 juillet, 6 heures du soir ; le duc d'York à Ferrand, 26 juillet, 10 heures du soir (A. N.).

[81] Ferrand au duc d'York, 27 juillet, et Journal du siège (A. N. ).

[82] York à Ferrand, 28 juillet et note de Ferrand ; Ferraris à Ferrand, 29 juillet (A. N.) ; Mém. de Tholosé, 14 août (A. G.). Cf. pour ce récit de la capitulation, Rapport, 33 ; Précis, 53, et surtout les papiers de Ferrand (Journal du siège et documents sur la délibération du 26 juillet, A. G. et A. N.). Tholosé a, dans un autre mémoire du 26 août (A. G.), très nettement marqué les causes de la capitulation : j'ai succombé, écrit-il, ainsi que le Conseil de guerre, à la force soldatesque et populaire qui a déterminé le commandant d'entrer en négociations, et il assure que la ville aurait pu résister encore si York n'avait corrompu la garnison et que les habitants fussent restés fidèles à la République française.

[83] Précis, 52.

[84] Dementhon ; Journal du siège, 27 et 28 juillet.

[85] York à Ferrand, 30 juillet (A. N.) ; Journal du siège, 29 juillet ; Dementhon ; Précis, 57.

[86] L'auteur de cette fanfaronnade déplacée, comme dit Ferrand dans son Journal, était le massacreur des Tuileries et le colonel propriétaire du régiment de cavalerie Royal-Allemand, qui tenait garnison à Valenciennes en 1788.

[87] Rapport, 36 ; Précis, 57 ; Texier, 173 ; Dementhon ; Journal du siège.

[88] Fersen, II, 79 ; lettre de Cochon et de Briez, 1er août (A. G.) ; Rapport, 30-32 ; Précis, 60.

[89] Cf. ce qui faillit arriver à Verdun après la reddition, lorsqu'un chasseur à cheval tua le comte de Henkel ; Invasion prussienne, 254.

[90] Précis, 69.

[91] Et non comme disent les assiégeants, 451 officiers et 9.260 soldats. Le chef d'état-major de l'armée du Nord évaluait approximativement le nombre des hommes à 7.000. En réalité, la garnison se composait, au début du siège, de 9.582 hommes ; 1.144 étaient tués, blessés ou disparus ; 956 étaient morts de maladie et surtout du typhus ; 2.500 étaient malades ; 4.982 défilèrent devant l'ennemi.

[92] Rapport, 32-35 ; Précis, 34-35, 61 ; Texier, 179-181 ; Fersen, II, 79 ; Tagbuch, 80 ; Ueber den Feldzug der Preussen, 226, 357, 360 ; Thürheim, Briefe, 119 ; Ditfurth, Die Hessen in Flandern, 1839, I, 63-64 ; Journal du siège, 1er août.

[93] Bleibtreu, Neuwied, 194 ; Ueber den Feldzug der Preussen, 363-365. En réalité, les assiégés avaient tiré 157.372 coups (84.088 boulets, 20.795 obus, 47.762 bombes et 4.625 pierres et pavés). Ils avaient 47 officiers et 1.708 soldats morts, blessés ou disparus — et non vingt-cinq mille hommes, comme prétend Ferrand. Ils trouvèrent dans la ville, outre de grands dépôts de poudre, une caisse militaire de plus d'un million (121.083 livres 10 sous en numéraire et 1.412.986 livres 10 sous en assignats) et 180 canons. Cf. Gesch. der Kriege, II, 51 ; Ditfurth, I, 65 ; Witzleben, II, 220 ; Tagbuch d'Unterberger, 81-82.

[94] Fersen, II, 80-81 ; Tagbuch, 81.

[95] Précis, 62. Le public croyait volontiers que les Anglais avaient plus de douceur et de clémence que les Autrichiens. Le farouche Autrichien, écrivait-on de Landrecies, le 7 août, voulait, la brèche faite, monter à l'assaut de Valenciennes et jouir du beau droit d'égorger nos frères. Mais l'Anglais, toujours grand quand il est victorieux, ne le voulut pas et accepta la capitulation avec une légère restriction. La garnison sortit avec les honneurs ; les Autrichiens firent un peu la mine ; les Anglais serrèrent les mains à nos soldats avec intérêt. (Moniteur, 15 août.) Desmarest, l'auteur du Précis, parle, p. 43, des attentions des Anglais pour les Français, de leur naïve amitié qui ne pouvait s'exprimer le plus souvent que par des caresses, de leur mépris et de leur aversion pour les Impériaux ; ils ont été jusqu'à nous donner de leurs cartouches pour tirer sur les Autrichiens, en nous avertissant du lieu par où s'avançait un peloton de ces derniers. Ferrand dit, dans son Journal, à la date du 13 et du 19 juillet : Il n'y a que les Anglais qui témoignent du regret de faire la guerre ; ils cherchent toujours à parler à nos soldats et leur portent des légumes. ) Le quartier-maître Fouqueteau remarque pareillement, après la prise de Condé, que les émigrés se moquèrent des assiégés, mais que les Anglais. les traitèrent fort bien et essayèrent de les consoler.

[96] Boillaud à Ferrand, 11 août (A. N.) ; Kilmaine à Bouchotte, 4 et 10 août ; la Société républicaine de Soissons à Lequinio et à Lejeune, 11 août (A. G.) ; lettre de Lequinio et de Lejeune (Moniteur du 1er sept.).

[97] Journal du siège, 5 juillet ; ordre du 21-22 juin (A. N.) ; Précis, 36-37, 63 ; Rapport, 25-26. Léchelle, qui commandait le bataillon de la Charente et qui devait être nommé, le 29 septembre suivant par le Conseil exécutif général en chef de l'armée révolutionnaire des côtes de l'Ouest, avait sauvé la vie à Cochon et lui dut, sans doute, son prodigieux avancement ; cf. P. Boissonnade, Histoire des volontaires de la Charente pendant la Révolution, 1890, p. 32-34.

[98] Tagbuch d'Unterberger, préface, 39, 51, 62-64 ; cf. Jomini, III, 181, qui écrit, sans doute d'après Unterberger, que l'artillerie française surpassa, pour ainsi dire, son ancienne réputation.

[99] Dementhon ; Précis, 2, 67-68 ; Notes historiques, de Delbrel, 40 : L'exemple du siège de Valenciennes prouve combien peu on doit compter sur les places dont la population est trop nombreuse. Il en est, j'en conviens, où, comme à Lille, les habitants ont montré du courage et du dévouement. Mais, en général, dans une ville populeuse, une garnison est compromise parce qu'elle est exposée à tous les genres de séductions, quelquefois même à des séductions qui paralysent ses efforts. Delbrel a très bien connu la situation et il indique nettement les causes de la reddition : l'attaque du 25 juillet qui jeta le désordre dans la garnison et le soulèvement des habitants : les rassemblements séditieux qui s'étaient formés plusieurs fois parmi les habitants, depuis les premiers jours du siège, prirent alors un caractère plus menaçant encore ; ils obstruèrent toutes les avenues de la municipalité et du Conseil de guerre ; le général et les représentants furent consignés jusqu'à ce que la capitulation fut signée. Aussi, dans son rapport du 23 septembre, Delbrel proposait-il de chasser sans ménagements tous les habitants des villes de première ligne qui seraient menacées par l'ennemi ; selon lui, toute place assiégée serait livrée.

[100] Dembarrère, 111 ; Rapport, 16 ; réponse de Ferrand au mémoire de Dumouriez (A. G.).

[101] Rapport, 30, 54-55 et Précis, 63.

[102] Fin du rapport de Dembarrère ; cf. sur le siège de Lille, Retraite de Brunswick.

[103] Charavay, Carnot, II, 428 et 437.

[104] Ferrand à Bouchotte, 2 août (A. N.) ; Journal, 16 juin et 1er août ; cf. encore ce curieux passage du Journal à la date du 22 juillet : une dame de Valenciennes, très bonne patriote, disait qu'elle cultivait deux lauriers pour les offrir à Ferrand après le siège ; le général les acceptait d'avance ; j'aurai, disait-il, une distribution considérable à faire, mais Cochon et Briez ont droit à la plus belle branche ; pour moi, je n'aurai que la branche la plus petite, et même, je ne l'accepterai qu'autant que mes chers compagnons d'armes auront jugé que je l'ai méritée.

[105] Celliez et Varin à Bouchotte, 3 août (A. G.) ; Moniteur du 18 août ; Ferrand, p. 7 et 44-45 de sa relation.

[106] Les papiers de la direction de Valenciennes revinrent dans nos archives en 1809 ; mais les plans des forteresses, dit Unterberger (Tagbuch, 79), furent, dans la suite, très utiles aux Autrichiens. Cf. sur cette affaire Ferrand au Comité, 12 août (A. N.) ; Dupin au Comité, 7 août ; Mémoire de Tholosé, 14 août, et lettre à Dupin, 10 août (A. G.). Voir aussi une lettre de Defrenne, du 28 avril, qui dénonce Tholosé comme un patriote de nouvelle date. Mais Gay de Vernon fils a tort de dire (p. 302) que Tholosé ne recouvra son grade de général de brigade, gagné sur les remparts de Valenciennes, qu'en acceptant, à l'âge de soixante-sept ans, le commandement du génie dans l'armée expéditionnaire de Saint-Domingue — comme si Tholosé eût été victime de ressentiments qui dataient de la capitulation de Valenciennes. Tout d'abord, Tholosé a été confirmé par le Comité de salut public, général de brigade, le 17 octobre 1794 (cf. plus haut). Ce fut cruel de l'envoyer, en 1802, à Saint-Domingue ; mais il était alors de tous les généraux de brigade celui qui comptait le moins de services aux armées ; il y va, lui mandait-on, de la conservation de votre emploi, et le ministre est inébranlable dans sa résolution. — Tholosé s'était, au sortir du siège de Valenciennes, retiré à Douai, avec la permission de Ferrand, pour rétablir sa santé, et il espérait conserver son titre de général de brigade ; il demandait même à Bouchotte — le 3 août — et il pensait obtenir aisément la place d'inspecteur des fortifications vacante par le décès du général de brigade Chermont (qui était mort de la dysenterie à Valenciennes, le 18 juillet). Et loin d'avoir la confirmation de son grade, il était jeté dans une prison et y demeurait un an ! Ce qui le navra surtout, ce fut de voir Dembarrère, simple capitaine au siège de Valenciennes, devenir, un mois après la capitulation, général de brigade et, six mois plus tard, général de division (cf. plus haut, la note sur Dembarrère). Il se plaignait amèrement au Comité de Salut public des effets inverses que le siège de Valenciennes avait eus sur sa carrière et sur celle de Dembarrère : 1° Les citoyens Dembarrère et Tholosé étaient tous deux, dans l'ancien gouvernement, de race plébéienne ; le premier de ces officiers est célibataire et le second est père de six enfants et pauvre. 2° Dembarrère était capitaine ingénieur en chef à Valenciennes ; Tholosé était chef de brigade et directeur des fortifications dans cette place. 3° Dembarrère était à son poste à Valenciennes ; Tholosé l'a choisi comme le plus périlleux, il s'y est renfermé volontairement, il avait l'ordre d'en partir pour aller à Saint-Quentin. 4° Tholosé a fait pendant le siège de cette place le service de général de brigade ; Dembarrère a été adjoint au général Beaurgard et ce n'est qu'à la fin du siège, qu'à la demande de Tholosé, il fit les fonctions d'officier supérieur. 5° Dembarrère a rempli son service à ca siège ; Tholosé a commandé en chef le service des fortifications. 6° Dembarrère, après la reddition, reçut l'ordre de Tholosé de venir à Douai, pour faire de concert le Journal du siège ; cet ordre ne fut pas exécuté ; il accourut à Paris où, pendant le temps que Tholosé écrivait au ministre de la guerre sur un objet particulier, il rendait seul compte du siège de Valenciennes. Qu'est-il résulté de cet empressement ? Dembarrère fut fait général de brigade, et Tholosé, alors malade, fut mis en état d'arrestation. 7° En partant de ce point, aussi flatteur pour Dembarrère que cruel pour Tholosé, ils ont parcouru, l'un et l'autre, les extrêmes opposés ; Dembarrère, dans sa brillante ascension, est devenu général de division et inspecteur des fortifications en activité ; Tholosé, dans sa chute rapide, a été incarcéré à Paris, persécuté, tyrannisé. Tholosé ne réclame pas contre l'avancement de Dembarrère, puisque la République a le droit de choisir ses braves pour les placer dans les rangs les plus utiles pour elle ; mais si le citoyen Tholosé, pendant un combat de 43 jours et de 43 nuits, au siège de Valenciennes, a su garder son poste dans le rang de la ligne de bataille, où le général Ferrand et les représentants du peuple l'avaient placé, peut-il rétrograder maintenant, s'il n'a pas alors reculé au feu meurtrier de l'ennemi ? Non, sans doute, Tholosé attend de la justice du Comité qu'il sera confirmé dans le grade de général de brigade. (Lettre du 7 vendémiaire an II.)

[107] Foucart et Finot, II, 665-672 ; cf. Mayence, 300.

[108] Zeissberg, Quellen, I, 82-83, 109, 111, 147, 178-179 ; D'Allonville, Mém. secrets, III, 286.

[109] Pelé, Histoire de Saint-Amand, 1889, p. 217-229.

[110] Moniteur, 30 et 31 juillet, 18 août ; adresse du Magistrat de Condé (A. G. 12 juillet).

[111] Le Magistrat de Valenciennes proposa même à la Jointe de rétablir les maîtrises et jurandes.

[112] A l'exception des Augustins qui n'étaient plus que quatre et des Capucins qui se réunirent à ceux de Condé.

[113] Après la prise d'Anzin, les Autrichiens avaient déshabillé le curé constitutionnel du village, en ne lui laissant que sa chemise ; puis ils l'avaient coiffé du bonnet rouge et promené tout autour de leur camp (Soligny à un ami, 26 mai, A. G.). La plupart des curés assermentés se jetèrent dans Valenciennes et coopérèrent à la défense (cf. plus haut, note, la belle conduite du curé de Curgies) ; après la reddition, dit Ferrand dans son Journal, ils endossèrent l'habit de volontaire et sortirent avec nous.

[114] Cf. Zeissberg, Belgien unter Erzherzog Karl, 1893, p. 24-25, et surtout Foucart et Finot, La défense nationale dans le Nord, 1893, II, chap. XVI, p. 417-510.

[115] Précis historique du siège de Valenciennes, 70.

[116] Fersen, II, 77 ; Ternaux, VI, 597 ; Zeissberg, I, 161 ; Thürheim, Briefe, 112 ; Moniteur, 2 août, 24 août et 2 septembre.