LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

VALENCIENNES

 

CHAPITRE VII. — CUSTINE ET BOUCHOTTE.

 

 

I. Attaques contre Custine et les nobles. Les jacobins de Paris. Articles de Marat, de Laveaux et de Hébert. — II. Général et ministre. Stengel. Le Veneur. L'administration des subsistances. Devrigny. L'ordre de fusillade. Opposition de Bouchotte et de Vincent. Lettres violentes de Custine. Affaire de Favart et de La Marlière. Arrêté du Conseil exécutif (11 juin) et décision da Comité (26 juin). Le déplacement des canons et le désarmement de Lille. — III. Les commissaires du pouvoir exécutif. Distributions des journaux de Laveaux et de Hébert. Defrenne à Maubeuge. Celliez à l'armée du Nord. Arrestation de Celliez et de son secrétaire. Dispositions des troupes. Custine rappelé à Paris, arrêté et condamné.

 

I. Custine, rapporte un témoin du temps, était notre plus grande réputation militaire. Mais, quel que fût son renom, les Jacobins n'oubliaient pas qu'il appartenait à la noblesse. Ils avaient prédit que Dumouriez serait le second tome de Lafayette ; ils prédisaient que Custine serait le second tome de Dumouriez. Un général aimé des soldats et regardé comme indispensable leur donnait de l'ombrage. Dans la Convention même, de sourdes menaces se firent entendre contre Custine. Le Comité de salut publie de Montpellier avait prétendu que l'armée du Nord refusait d'arrêter la marche des troupes girondines. J'aime à croire, s'écria Jeanbon Saint-André, que Custine sera fidèle à ses devoirs, et s'il osait méconnaître la représentation nationale, vous vous souviendriez de Lafayette et de Dumouriez[1].

Dès son arrivée en Flandre, Custine fut donc en butte aux calomnies jacobines. Les clubistes d'Alsace ne se lassaient pas de le dénoncer aux journaux parisiens, et de Strasbourg, de Belfort on écrivait que l'armée du Rhin ne regrettait pas cet être vil et méprisable, cet enfonceur de portes ouvertes. A peine était-il dans le Nord, que la Société de Lille et ses meneurs, l'adjudant de place Calandini et le général de brigade Lavalette, le battaient en brèche. Calandini mandait à Paris que ses principes républicains n'étaient pas bien accrédités ; Lavalette, que Custine n'avait vu, pendant son séjour à Lille, que des hommes réprouvés par les patriotes de l'armée et qu'il déplorait la démission de Beauharnais[2]. Notre généralité, disait Lavalette, est d'un autre pays, d'un autre siècle que nous, et il ajoutait que la vaisselle de Custine et ses ustensiles de toilette portaient encore ses armoiries : En 1793, après le 31 mai, cela est fort ! Si Custine était un de ces êtres insouciants qui ne voient rien, j'en accuserais son barbier, mais il frotte et essuie tout lui-même, il a cet esprit de rangement minutieux qui l'a rendu si insupportable quand il était inspecteur[3].

D'ailleurs, d'un bout à l'autre de la France, se répandaient alors des bruits de trahison. Partout, dans les clubs, dans les administrations des départements et des villes, dans les gazettes se répétaient, se propageaient comme un cri de panique les mots : plus de nobles à la tête des armées ! Les ci-devant étaient suspects et il fallait les renvoyer sur-le-champ. Il suffit, lit-on dans une lettre de l'agent Defrenne, qu'un homme soit douteux pour qu'il soit destitué ; n'attendons plus que la trahison soit exécutée et la République ruinée, pour chasser les scélérats. Certes les officiers gentilshommes avaient beaucoup de capacité et de pratique, mais on était convaincu qu'ils ne servaient qu'avec mollesse et répugnance, qu'ils ne cherchaient qu'à se faire battre, qu'ils connivaient avec l'ennemi. On devait donc les expulser, les remplacer au plus tôt par des plébéiens dévoués au nouvel ordre de choses. Les sans-culottes qui conduiraient l'armée n'auraient pas le savoir et l'habileté des aristocrates ; mais ils seraient sûrs et fidèles ; ils déploieraient de l'activité, de la vigueur, de la résolution ; ils auraient ce nerf et cet esprit d'entreprise qui manquaient aux officiers de l'ancien régime ; on ne craindrait de leur part ni laisser-aller ni traîtrise. N'avaient-ils pas les vertus du peuple ? N'étaient-ils pas francs, intègres, étrangers à la corruption des cours ? Les bons généraux ne sortent-ils pas de la plus humble condition ? Rome et la Grèce n'avaient-elles pas déterré dans l'obscurité les maîtres de la stratégie ? J'aime mieux, écrivait au Journal de la Montagne son correspondant de Péronne, un brave homme qui n'a pas toute l'expérience possible qu'un traître à grands talents ; chez le premier, l'on peut au moins compter sur la probité qui se trouve fréquemment chez l'homme du peuple et rarement chez le courtisan de Versailles ; les hommes véritablement grands dans l'art militaire sont nés dans la pauvreté ; on ne fera jamais un bon général d'un sybarite qui a passé sa vie à dédaigner les plus vertueux d'entre ses semblables. Du reste, les sans-culottes ne s'étaient-ils pas formés et aguerris ? Ne se formaient-ils pas tous les jours ? N'avaient-ils pas pris à la longue l'habitude des combats et acquis, avec le temps et à force d'écoles, la connaissance du métier ? Le patriote, soutenait Thirion, aurait d'abord le désir de faire le bien, et bientôt en aurait le pouvoir ; il s'est instruit depuis un an même sous des généraux perfides ; il a profité de leurs erreurs, de leurs bévues, de leurs trahisons[4].

Les Jacobins de Paris enveloppèrent Custine dans l'anathème qu'ils lançaient à tous les nobles. Le 9 juin, ils accueillaient sans protestation une lettre de Cambrai qui mettait en doute son républicanisme, et Thirion le blâmait de calomnier Houchard, de donner des dégoûts aux officiers issus de la roture[5]. Nos malheurs, disait un membre de la Société, dans la séance du 14 juin, sont venus de la coalition des législateurs actuels avec les ex-constituants et les ex-nobles ; c'est un Custine, c'est un Biron, c'est un Daprez-Crassier, c'est un Menou, c'est un Beauharnais qui commandent nos armées ; tous ces hommes appartiennent à la caste nobiliaire[6]. Le 23 juin, Laveaux assurait au club que Custine trahissait la patrie. Ce noble, ce scélérat ne refusait-il pas de chasser des commissaires des guerres qu'il savait aristocrates, et lorsqu'on lui remontrait qu'ils seraient cassés par décret, ne répliquait-il pas : Je m'en moque ; quand la Convention m'envoie des décrets qui ne me plaisent pas, je les jette au feu ? Ne devait-on pas rompre entre ses mains le poignard dont il menaçait la République ? Et, dociles à la voix de Laveaux, les Jacobins décidaient qu'une députation, chargée de solliciter de la Convention un décret d'arrestation contre Carra, demanderait en même temps la destitution de Custine[7]. Le 5 juillet, Dufourny accusait le général d'avoir eu la pensée de retenir à Mayence les représentants qui lui auraient servi d'otages et répondu de la vie de Louis XVI[8]. A la nouvelle de l'assassinat de Marat, Thirion déclarait que l'Ami du peuple avait été tué parce qu'il dénonçait le royaliste Wimpffen ; ce qu'a fait Wimpffen, ajoutait Thirion, n'est qu'un prélude ; un autre, Custine sans doute, l'aurait fait aussi, et il réclamait la destitution de Custine, le plus criminel des généraux[9].

 

Comme les Jacobins, les gazetiers de la Montagne attaquaient Custine et le noircissaient à l'envi, le décriaient, s'efforçaient, jour par jour, de le démolir. Dès le 5 avril, en pleine Convention, Marat le rangeait parmi les généraux inciviques et nullement patriotes qui tramaient la ruine de la République. Le 31 mai, il insérait dans son Publiciste la diatribe d'un lieutenant de volontaires, Misobasile Forel, qui traitait Custine de conspirateur et lui reprochait d'avoir déshonoré l'armée du Rhin à l'affaire de Rülzheim. Le 11 juin, il publiait deux lettres des commissaires du Conseil exécutif, Garnerin et Gateau, qui derechef incriminaient la conduite de Custine à Rülzheim et l'appelaient un imbécile dans l'art militaire, un faquin qui n'était même pas l'embryon d'un héros, un coquin qui jouait son armée aux dés et sa patrie à la banque ; son effronterie, son ton altier, sa suffisance, sa brutalité, sa férocité, sa forfanterie, sa dépravation et une phrasimanie séduisante lui tiennent lieu, auprès des bonnes gens, de courage, de vertus et de talents ; à l'ombre de ses insolentes moustaches, il parle et agit en vizir ; c'est le plus vil, le plus faux, le plus infâme et le plus dangereux des hommes, et Gateau affirmait que Custine suivait la même marche que Dumouriez, qu'il jetterait bientôt le masque — ce masque qu'on devrait lui écraser sur la figure — qu'il serait prochainement dictateur, qu'il avait le dessein de livrer et de vendre la nation[10].

Puis, le 21 juin, paraissait dans le Publiciste une lettre du parisien Baude. Selon Baude, un officier de l'armée du Nord, qui permettait à ses soldats de se baigner dans l'Escaut, avait été traduit par Custine devant le Conseil de guerre, et fusillé, — et cela pour une faute que l'ancien régime aurait punie d'une réprimande ou de quelques jours d'emprisonnement. Les défenseurs de la liberté, s'écriait Baude, obéiraient-ils longtemps, en machines, à la volonté capricieuse d'un contre-révolutionnaire qui les menait à la boucherie ?

Custine répondit que ce Baude n'existait que dans l'imagination furibonde de certains maniaques et que, s'il existait, il ne saurait citer ni le nom de l'officier fusillé, ni son poste, ni le jour et le lieu de son exécution ; que personne n'avait encore été puni de mort au camp de Paillencourt ; qu'un général ne pouvait s'écarter des lois et règlements militaires ; qu'il n'était pas et ne serait jamais le boucher de ses frères d'armes ; que les troupes avaient l'esprit trop éclairé pour obéir en machines à l'ordre d'un contre-révolutionnaire[11].

Marat ne se rebuta pas. Le 1er juillet, il imprimait une lettre anonyme datée de Wissembourg. Custine y était qualifié d'incapable et de traître ; il rejetait, disait-on, toutes ses fautes sur autrui ; il abandonnait Mayence, il osait exiger des renforts de l'armée du Rhin qui devait délivrer la place et réparer par ses brillants succès les échecs de l'armée du Nord. L'Ami du peuple annota le factum ; il nommait Custine le digne successeur de Dumouriez, l'accusait d usurper la puissance dictatoriale, d'exercer le droit de vie et de mort sur le soldat, de disposer sans contrôle de tous les emplois militaires, d'organiser les armées pour la contre-révolution[12].

Le 6 juillet, lettre de Marat à la Convention sur le danger de conserver Custine et de remettre le sort de la République entre les mains d'un homme qui se rendait indépendant du Conseil exécutif et méprisait les décrets de l'assemblée. Marat demandait que Custine fût destitué sans délai et alléguait que le général n'était autrefois qu'un bas valet de la cour, qu'il avait tenu dans la Constituante une conduite anticivique, que sa dureté pour le peuple, sa barbarie envers le soldat, ses procédés tyranniques, ses propos annonçaient la trahison ; si Custine restait inactif au camp de César, c'est qu'il attendait une grande insurrection des départements pour pénétrer dans l'intérieur et mettre la nation aux fers[13].

Le lendemain, Marat informait ses lecteurs que la Convention avait refusé de l'écouter. Mais il prenait acte des vains efforts qu'il faisait pour ôter le commandement des armées à Biron et à Custine, ces deux courtisans, de tout temps royalistes gangrenés et trop visiblement suspects[14].

Enfin, le 44 juillet, dans le dernier numéro qu'il publiait, Marat reproduisait pour la seconde fois le pamphlet de Misobasile Forel et prophétisait que Custine renouvellerait bientôt, et peut-être d'une manière plus déplorable encore, les opérations désastreuses de Dumouriez[15].

 

Laveaux, le rédacteur du Journal de la Montagne, faisait avec Marat campagne contre Custine, non par haine personnelle ; mais il croyait sincèrement que les généraux aristocrates étaient traîtres ; depuis la défection de Dumouriez et de Wimpffen, il était convaincu que la République devait renvoyer les ci-devant de ses armées et il voulait dire sur Custine, sans passion et sans crainte, tout ce qu'il savait[16].

Le 22 juin, il publiait une lettre de l'armée du Nord. On y lisait que les officiers des troupes de ligne n'avaient pas encore revêtu l'uniforme national et que Custine laissait dans les bataillons des femmes et des enfants, des borgnes, des boiteux, des bossus, des incurables. Laveaux joignait à cette lettre ses propres observations. Custine, assurait-il, avait dit à des représentants du peuple qu'il jetait au feu les décrets de la Convention qui ne lui plaisaient pas. Custine rédigeait, comme Lafayette et Dumouriez, de belles missives où il parlait du patriotisme et des enfers ; mais il flagornait l'Assemblée et se gardait bien de demander l'examen de sa conduite. Custine devait, comme tous ses pareils, céder la place à des sans-culottes. Des généraux républicains n'obtiendraient-ils pas la confiance du soldat ? Ne seraient-ils pas la terreur de l'ennemi ? Combattre des marquis, des roués, des souteneurs de tripots, tout ce que la société produisit jamais de plus vil et de plus méprisable, il ne faut point de canons pour cela ; il ne faut que des croix, quelques aunes de ruban et de l'or. Custine, concluait Laveaux, a suivi l'impulsion de Dumouriez ; qu'on analyse ses lettres et les compare avec les faits ; on verra qu'il se moque de la nation ; il faut rappeler Custine.

Il revenait à la charge le 26 juin, et dénonçait à la fois le représentant Haussmann et Custine. Monsieur Haussmann, écrivait Laveaux, se faisait, dans le Bas-Rhin, l'ami, l'avocat officieux de tous les hommes suspects ; il déclarait que, sacs Custine, la République était perdue ; il remplissait la tribune des louanges de Custine ; il vantait les dispositions que le général avait prises pour défendre Mayence. Ne devait-il pas dire, au contraire, où passait l'argent que la vente des écuries, des meubles et des effets précieux de l'Électeur avait rapporté à Custine ? Ne devait-il pas dire où étaient les procès-verbaux qui constataient l'état de situation de Mayence avant que Custine eut abandonné la ville ? Ne devait-il pas dire pourquoi la maîtresse de Custine, logée dans le palais du prince, insultait à la misère du peuple par un équipage élégant, attelé de six chevaux ? Custine, ajoutait Laveaux, souhaite la reddition de Mayence pour dérober ses friponneries qui sont claires, évidentes, et tous ceux qui le soutiennent, après sa conduite scélérate, sont véritablement ses complices[17].

Le surlendemain (28 juin) il critiquait de nouveau le luxe asiatique que Custine étalait à Mayence, et il s'indignait qu'on vît un général républicain, chargé d'établir l'empire des sans-culottes, se promener dans le char doré de l'Electeur, entretenir à grands frais une pimpante maîtresse, disputer au roi de Prusse et les myrtes de Cythère et les lauriers de la victoire[18].

Custine entreprit de réfuter ce calomniateur à deux sols dans une lettre au président de la Convention. Laveaux lui reprochait des friponneries et des déprédations. Mais les comités de l'Assemblée savaient que Custine était un homme intègre et un vrai patriote, et leur réponse aurait sans doute autant de poids que les déclamations d'un journaliste. Laveaux demandait où étaient les sommes d'argent qui provenaient de la vente des effets de l'Electeur et les procès-verbaux qui constataient la situation de Mayence. Mais les représentants Merlin et Reubell sortiraient un jour de la ville assiégée et rapporteraient toutes les pièces de comptabilité. Laveaux accusait Custine d'avoir une maîtresse au su et au vu de Mayence. Mais cette accusation faisait rire de pitié tout être raisonnable. Il existait, disait Custine, une femme dans le palais électoral, à mon entrée à Mayence ; je l'ignorais et je ne l'ai appris que cinq jours après par la demande qu'elle me fit d'un entretien. J'éludai d'abord, mais vaincu par son opiniâtreté, je consentis à lui parler, et m'étant aperçu à son langage et à son maintien que cette femme était de ces intrigantes qu'on rencontre assez communément dans les résidences des petits princes allemands, je la quittai brusquement et lui fis signifier le lendemain qu'elle eût à quitter le logis, et sur son opiniâtreté à vouloir rester, nonobstant mes ordres, j'usai même de rigueur pour l'en expulser. En aurais-je usé ainsi envers une maîtresse que j'aurais promenée pompeusement par la ville ? Il est vrai que j'ai appris depuis que cette femme s'était affichée pour ma maîtresse et s'était prévalue du prétendu crédit qu'elle disait avoir sur moi pour faire des dupes et prendre de toutes mains[19].

Cette réponse ne radoucit pas l'impitoyable Laveaux. Il publia dans son Journal de la Montagne des notes qu'il recevait de l'armée du Rhin, une lettre de l'allemand Pape, des observations d'un Jacobin qui représentait Custine comme un objet de haine pour tous les patriotes, le long mémoire d'un témoin oculaire qui rappelait, souvent avec vigueur et justesse, les fautes du général Moustache, les Prussiens se saisissant de Francfort, les gaspillages et les malversations de notre administration en pays mayençais, la fusillade de Spire, Hanau manqué, les habitants de la Wetteravie et des bords du Rhin se prenant à délester la France, Hofmann menacé d'être pendu, la déroute de Bingen et celle de Rülzheim.

De ces témoignages Laveaux tirait de terribles conclusions. Il comparait la retraite de Custine à celle de Dumouriez : Ces deux machines contre-révolutionnaires tiennent au même fil d'archal. Custine ne mérite pas la confiance de la nation ; je le dis encore, et je le dirais même quand il remporterait des victoires, et le journaliste ajoutait que si Custine occupait le camp de César, il n'était pas un César, et que, s'il devenait César, il finirait comme cet exécrable Romain[20].

Vainement Duhem, un des commissaires de la Convention, défendait Custine avec chaleur, et mandait à Gasparin, un des membres du Comité de salut public, que le Journal de la Montagne causait le plus grand mal par ses dénonciations absurdes, que Custine n'avait fait fusiller personne, qu'il avait des manières franches et qui plaisaient, qu'il dressait de bons plans, que ses entours étaient sûrs et que, si quelques officiers donnaient de l'ombrage, on devait les garder parce qu'on avait besoin de talents. Laveaux répondit à Duhem en le persiflant ; il vanta la logique de Duhem, son esprit, son éloquence, sa pénétration extraordinaire, son jugement exquis sur les choses militaires ; seul, Duhem ne s'était pas laissé tromper sur le compte de Custine ; seul Duhem avait su connaître à fond le général et lui rendre justice ; sa lettre lumineuse désabusait la France ; Duhem, docteur en médecine et représentant du peuple près l'armée du Nord, avait parlé, et sa décision était terrassante ; patriotes, jacobins, journalistes, allaient se rétracter et rougissaient ; Duhem approuvait Custine et ses manières et ses plans ; Duhem louait Custine de livrer Mayence au bombardement, de ne s'ouvrir un passage vers cette ville qu'au mois d'août, et Laveaux terminait sa moqueuse réplique par cette exclamation : Quand viendra le temps où le titre de représentant du peuple français n'inspirera plus l'étourderie, le ton tranchant, la vanité, le ridicule, l'orgueil dégoûtant ![21]

Enfin, le 15 juillet, Laveaux reproduisait dans sa gazette une Adresse des Jacobins de Strasbourg à la Convention. La Société censurait les faits et gestes de Custine en Allemagne ; elle lui reprochait son impéritie, ses actes arbitraires, ses façons despotiques ; et comme si elle-même eût été la gardienne des bonnes mœurs et un parangon de tempérance et de chasteté, elle protestait que Custine n'avait ni la frugalité, ni l'austérité, ni la continence d'un vrai républicain ; elle conjurait l'Assemblée d'ôter au général le pouvoir énorme dont il était investi ; et Laveaux, commentant l'adresse des Jacobins strasbourgeois, déclarait qu'après tant de dénonciations et de preuves, après le cri unanime des patriotes, le Comité devait destituer Custine ; tout manifestait en lui sinon un coupable, du moins un suspect ; sa suspension serait le signal de la victoire ; elle rendrait leur vigueur aux départements de la frontière qu'il avait découragés[22].

 

Avec Laveaux et Marat, Hébert, le rédacteur du Père Duchesne, animait l'opinion contre Custine. Lui aussi jugeait qu'on devait se passer des nobles et des talons rouges. Quiconque, disait-il, n'a exercé que les plus viles fonctions de l'antichambre, qui se croyait trop honoré de présenter les pantoufles au lever et au coucher de l'ogre royal, qui était obligé du matin au soir de faire le chien couchant et de ramper devant le plus méprisable des tyrans, qui, quand Sa Majesté riait, était obligé de rire, et de pleurer à chaudes larmes si le perroquet, le toutou, le minet d'une Pompadour, d'une Du Barry, d'une Antoinette ou d'autres guenons de cette espèce avait eu quelque accident, oui, le plat j..... f..... qui pendant toute sa vie n'a fait qu'un métier aussi dégradant, n'est pas digne de servir dans les armées d'un peuple libre. Il s'étonnait que le Comité eût mis à la tête des troupes un Custine, un pilier de biribi qui avait été dans la Constituante le plus imbécile et le plus enragé avocat de la royauté, qui frappait les soldats avec une verge de fer et régnait sur eux par la terreur, qui traitait les Français comme des Allemands et comme un vizir n'oserait traiter des Turcs, qui ne voulait sous ses ordres que des généraux nommés par l'infâme clique des Brissotins, et qui bouffi d'orgueil, étouffant d'ambition, envoyait faire f..... le ministre et la Convention nationale. Il nommait Custine Dumouriez cadet et l'accusait de suivre de point en point l'exemple de son aîné, de désarmer les communes, d'enlever aux places leurs approvisionnements[23].

 

II. A ces attaques des plus ardents jacobins et des journalistes attitrés de la Montagne se joignaient les insinuations malignes et parfois les inculpations virulentes que des commis de la guerre, Audouin, Sijas, et le secrétaire-général Vincent portaient contre Custine à la tribune du club de Paris. Ils étaient aux aguets, épiaient attentivement ses fautes et ses échecs pour les dénoncer aussitôt. Si du moins le général n'avait pas blessé l'amour-propre de Bouchotte ! Mais de gaieté de cœur il suscita l'animosité et la colère du ministre. Infatué de son mérite et plein de lui-même, irascible, souffrant avec impatience la plus légère contradiction, incapable de se posséder et de se maîtriser, abondant en son sens avec une imperturbable confiance, persuadé qu'il avait raison dans toute circonstance et que le Comité, le Conseil exécutif et la Convention devaient subir sa volonté, Custine traita Bouchotte avec une hauteur méprisante, et jamais commandant d'armée n'écrivit au ministre sur un pareil ton de rudesse et de violence. En vain son fils l'engageait à garder dans les discussions et controverses le plus grand ménagement pour les personnes. Véhément, impétueux, se découvrant toujours. Custine, dit Gay-Vernon, ne savait cacher le moindre de ses mouvements intérieurs ni dissimuler une intrigue. Il s'opiniâtra ; sa bile s'échauffa et sa tête s'exalta ; il se crut indispensable ; il s'imagina qu'à force d'injures et d'outrages il ruinerait le crédit de Bouchotte ; il voulut le renverser, le remplacer par un de ses amis, par La Marlière, et lui-même eut un instant l'idée de diriger l'administration de la guerre, d'exercer ainsi sur les opérations militaires une sorte de dictature, d'imposer ses plans aux généraux et par l'impulsion qu'il donnerait aux armées, par l'ascendant qu'il aurait à Paris dans le Conseil exécutif et dans le Comité de salut public, par l'éclat de ses nouveaux services conquérir la puissance suprême. Ne s'était-il pas à demi-mot désigné comme le sauveur du pays ? Dès le mois d'avril n'avait-il pas dit que la France ne pouvait être tirée du péril que par un homme d'une âme pure et d'un grand caractère, que cet homme avait des ennemis, mais qu'en dépit des vils agitateurs il réussirait à inspirer la confiance par sa vertu et à prévaloir par l'utilité de ses plans[24] ?

Des escarmouches précédèrent la bataille entre le ministre et le général. Le 15 mai, Custine avait écrit de Wissembourg à Xavier Audouin qu'un capitaine de grenadiers, du nom de Gourdan, avait obtenu du ministère la permission de se rendre à l'armée du Rhin dans deux mois, mais qu'il devait gagner son poste sur-le-champ ou être remplacé ; jamais à la guerre, ajoutait Custine, je n'ai connu pour un officier de prétexte ni d'obstacle. Quelques semaines plus tard, il demanda que le lieutenant-colonel du 104e, Ledoux, atteint de maladie, pût aller aux eaux de Plombières ; Audouin lui répondit que Ledoux, de même que Gourdan, ne pourrait avoir de congé, et qu'à la guerre-il n'y a ni prétexte ni obstacle pour un officier[25].

Bouchotte avait donné sans hésitation Hédouville et Tholmé à Custine. Mais il 'lui refusait Stengel et Le Veneur. Le brave Stengel, accusé d'avoir causé le désastre d'Aix-la-Chapelle, venait d'être acquitté par le tribunal révolutionnaire, et Custine désirait lui confier son avant-garde : Stengel, disait-il, avait de grands talents, un caractère décidé, la réputation d'un bon officier, l'estime et la confiance des troupes ; les hommes de cette trempe étaient si rares que le Conseil exécutif ne priverait pas de Stengel l'armée du Nord. Bouchotte répondit que Stengel était hors de sa procédure, mais qu'on ne trouvait pas de motif suffisant pour le proposer, et au bout de plusieurs jours, il priait Stengel qui n'était pas inscrit sur la liste des officiers-généraux proposés par le Comité et agréés par la Convention, de s'éloigner des armées de la République à la distance de vingt lieues[26].

Custine avait dès son arrivée demandé Le Veneur qui aurait le grade de général en chef de l'armée du Nord. Le Veneur, assurait-il, lui était indispensable pour le remplacer et le suppléer durant ses tournées en Flandre. Laisserait-il Lamarche quarante-huit heures à la tête des troupes ? Le Veneur, d'ailleurs l'ancien de Lamarche, était le seul sur lequel il comptait ; s'il n'avait pas Le Veneur, il ne pourrait courir le pays, visiter les cantonnements et les camps, reconnaître toutes les parties de son commandement. Mais Le Veneur n'était pas sur la liste des officiers employés parce qu'il avait tenu dans les premiers jours d'avril et après la défection de Dumouriez une conduite négative[27] ; Bouchotte répondit qu'il ne saurait le proposer et qu'il s'en référait au Comité. Custine, irrité, jura qu'il porterait ses plaintes devant la nation entière, c'est-à-dire devant les représentants, si le ministre lui refusait des coopérateurs nécessaires et l'empêchait de revivifier une armée détruite. Le Veneur vint à Paillencourt, et lorsque Custine s'absenta, il reçut des représentants Courtois, Beffroy et Bollet le commandement provisoire du camp. Bouchotte protesta.

Le Comité blâma les commissaires. Mais Courtois, Beffroy et Bollet répliquèrent que la désapprobation de leurs collègues les frappait de douleur et de surprise ; ils n'avaient pas voulu étendre leurs pouvoirs ni en abuser ; ils connaissaient la situation de l'armée, que le Comité ne connaissait pas et ne pouvait connaître ; ils avaient dû nommer provisoirement un commandant en chef pour prévenir un grand danger ; ils ne tenaient pas à Le Veneur et ne tenaient à aucun homme ; si le Comité leur envoyait un général, ils révoqueraient leur arrêté. Le Veneur resta[28].

Custine avait prescrit au commissaire ordonnateur Petitjean de verser dans les magasins de Douai, de Lille et d'Arras les approvisionnements des villes ouvertes du voisinage pour les mettre à l'abri d'un coup de main. L'administration des subsistances refusa de les livrer et informa le ministre. Bouchotte demanda des renseignements à Custine ; il devait, disait-il, pour répondre aux administrateurs, connaître les motifs qui déterminaient Custine à prendre cette mesure. Le général eut un nouveau transport de colère. Une simple administration se permettait des observations semblables ! Elle entravait des dispositions militaires ! Elle faisait suspendre une opération essentielle ! Fallait-il lui communiquer tous les projets et, sur ses remontrances, arrêter l'exécution des plans de défense et d'attaque ? Y avait-il rien de plus fatal aux intérêts de la République ? Je ne vous cache pas mon étonnement, écrivait Custine au Comité, que le ministre Bouchotte ait eu la faiblesse de déférer au vœu de l'administration des subsistances et je vous prie de lui faire sentir combien sa conduite ministérielle est fausse[29].

Custine avait chargé le chef de brigade Devrigny d'inspecter la cavalerie de l'armée et l'infanterie de l'avant-garde. Sur son conseil, les représentants Bollet, Courtois, Delbrel et Duhem autorisèrent Devrigny, nommé général de brigade, à se faire livrer, dans l'arrondissement soumis aux ordres de Custine, les selles, les brides, les harnais de l'Etat et des particuliers, les sabres, pistolets, fusils, mousquetons et autres armes propres à la cavalerie ainsi que les couvertures des chevaux. Devrigny devait en outre passer la revue de tous les corps de cavalerie nouvellement créés : ceux qui ne pourraient fournir la moitié d'un régiment capable de servir dans l'armée, donneraient leurs chevaux, leurs armes et leurs harnais ; on ne leur laisserait que les harnais, armes et chevaux nécessaires à l'instruction. Bouchotte se récria. N'était-ce pas un désarmement complet ? Que d'indemnités à payer 1 Que de sommes considérables à débourser ! Et un seul homme, Devrigny, disposait de la propriété d'autrui, détruisait les corps militaires, pourvoyait à leurs besoins ! Un pouvoir de telle étendue ne causait-il pas de l'inquiétude, et Devrigny n'était-il pas un aristocrate, le même Devrigny que le club de Landau accusait d'avoir émigré ? Les représentants disaient à la fin de leur arrêté que le ministre de la guerre ferait sur-le-champ remplacer les objets qui auraient été pris. Mais, remarquait Bouchotte, les représentants peuvent-ils prescrire des mesures au ministre ? Est-il obligé d'adopter aveuglément ce que Devrigny aura fait et dicté ? Sans se soucier des objections de Bouchotte, les commissaires soutinrent et stimulèrent Devrigny. Il rencontrait des difficultés à Fontainebleau : Allez votre train, lui écrivaient-ils, nous sommes toujours disposés à seconder les opérations qui doivent concourir à sauver la patrie, et ils l'autorisaient, le requéraient d'enlever de Fontainebleau cinq cents chevaux qui seraient montés par les cinq cents braves du 2e hussards. Mais Bouchotte et Vincent rendirent coup pour coup. Bouchotte sommait l'inspecteur du dépôt des remontes de n'exécuter que les ordres du ministre, et de désobéir formellement aux réquisitions de Devrigny. Vincent lisait aux Jacobins un mémoire contre Devrigny et Custine. Quoi, disait-il, Devrigny, ce monstre qui joignait à l'impudente jactance de sa caste toute la brutalité et l'immoralité d'un satrape, était chargé par son digne maître de désarmer les départements de la frontière ! Il recevait pleins pouvoirs des représentants pour consommer ce forfait politique ! Il avait le droit de connaître toutes les ressources nationales, de les employer à sa guise, et sans doute pour servir les projets de Custine ! Il venait à Fontainebleau et à Compiègne trancher du souverain, menacer, suspendre les envois, gêner et contrarier de grands arrangements l Et les commissaires de la Convention ordonnaient à Bouchotte d'accélérer les marches contrerévolutionnaires de Custine et de Devrigny, son complice ! Non, ajoutait Vincent, Custine ne devait pas conduire plus longtemps des troupes françaises. N'avait-il pas, dans une lettre fameuse, décerné le titre d'Altesse et de pacificateur du monde au duc de Brunswick[30] ? N'avait-il pas de la sorte imprimé son arrêt et appliqué sur son âme de boue le cachet de l'infamie ? Et cet esclave commandait les deux armées les plus importantes de la République ! Il combattait les rois ! Il faisait la guerre à ce Brunswick qu'il flagornait ! Et la nation n'avait pas encore arraché des camps ce brigand, ce nouveau Dumouriez ? Elle n'avait pas encore donné mille échafauds à ce tyran, à ce barbare plus coupable mille fois que les tyrans les plus sanguinaires ! Custine, concluait Vincent, peut en un jour mettre sa patrie sur le bord de l'abîme. Qu'aucun républicain ne se repose que Custine n'ait été frappé du glaive de la loi ![31]

 

Une affaire plus grave et plus retentissante mit aux prises le général et le ministre. Custine avait enjoint, le 5 juin, de fusiller quiconque serait pris fuyant ou autorisant la fuite d'un soldat, quiconque donnerait un congé absolu ou limité, quiconque aurait ou signerait une permission pour aller aux eaux. Vincent s'éleva contre ce règlement inhumain, atroce, qui portait en trois cas la peine de mort, et il invoquait un texte précis, l'article 26 de la loi sur l'insubordination : d'après cet article, le général d'armée fixerait, par des règlements particuliers, les cas que la loi n'avait pas prévus, mais il devait adresser sans délai ses ordonnances au corps législatif, sans qu'il pût y être porté peine de mort. De son côté, Bouchotte admonestait Custine. Le caractère national, lui mandait-il, accorde beaucoup aux bonnes façons, se raidit contre la sévérité, et le système populaire auquel nous sommes attachés, n'est autre chose qu'une pratique constante d'humanité. Il obtint même du Comité de salut public un arrêté qui désapprouvait Custine ; l'ordre du 5 juin, disait le Comité, était extrêmement sévère au fond, alarmant par l'expression, et le général ferait bien de mettre plus de mesure et de douceur dans la discipline. Custine répondit au Comité que les lâches qui abandonnaient le drapeau de la liberté et les scélérats qui cherchaient à détruire l'armée, méritaient le plus grand châtiment, c'est-à-dire la mort. Le mot fusillade avait peut-être quelque chose d'effrayant. Tant mieux ; c'était atteindre le but de la loi et empêcher la désorganisation ; il fallait intimider les malveillants qu'on n'avait fait qu'encourager jusqu'alors. Allait-on capituler avec les expressions ? N'avait-on pas inutilement employé les moyens les plus doux et les discours les plus paternels ? La peine de mort subsisterait. Si Custine s'en départait, il ne se croirait plus comptable de la sûreté des troupes qu'il commandait. Il ne pouvait abroger une punition dont le bien du service lui faisait un devoir. Puis il se tournait contre Bouchotte. Le ministre prétendait que le système populaire était une pratique constante d'humanité. Mais n'était-ce pas s'écarter de ce système bénin que d'exciter chez les soldats la haine de leurs chefs et le dégoût de leur métier ? Il est vrai, ajoutait Custine, que la peine de mort contre les traîtres et les désorganisateurs doit alarmer Bouchotte plus vivement qu'aucun autre ; de tous les êtres malfaisants et ennemis du bonheur de leurs concitoyens et de la République, il n'en est pas un seul qui mérite plus que lui de fixer l'animadversion de la loi, et par sa stupide méchanceté, et par tous les moyens que lui et son collègue Deforgues, ci-devant son adjoint, emploient pour obstaculer la marche des succès que l'esprit français permet d'espérer. Tant que ces êtres resteront au timon des affaires, les généraux les plus zélés ne pourront être que passifs, et il ne leur restera plus qu'à se démettre d'un commandement dans lequel ils ne pourront faire le bien. Et il jurait que, s'il donnait sa démission, il ne la reprendrait pas avant d'avoir vu l'ineptie et l'intrigue confondues ramper dans la fange d'où l'on n'aurait jamais dû les tirer[32].

La lutte s'envenimait de plus en plus. Custine débordait ; exaspéré, hors d'état de se contraindre et de se contenir, il devenait plus âpre, plus intraitable que jamais et parlait à Bouchotte comme naguère à Pache et à Beurnonville. Il affectait la désobéissance. Il morigénait le ministre à tout propos, l'accusait de partir de suppositions fausses et de se tromper lourdement.

Le 2 juin, il lui reprochait de ne pas faire réponse à ses demandes et de peu s'occuper à contrebalancer les ennemis. Quatre jours plus tard, il lui écrivait sur le ton le plus cavalier et le plus impertinent : Oui, citoyen ministre, j'ai dû contrarier les dispositions de votre adjoint, parce que le service de la République l'exigeait. L'intérêt que je prends aux succès de l'armée du Rhin, quoique je ne la commande plus, me fait une loi de relever vos erreurs. Je vous rends grâce de l'indulgence avec laquelle vous glissez sur ce que ma lettre a d'oiseux. Vous ne voyez, dites-vous, que la raison, la République, et vous êtes loin de penser que j'ai voulu manquer à un de ses ministres. Et moi aussi, citoyen ministre, je ne vois que la République ; mais lorsque le succès de ses armes exigera que je reproche à un ministre son ignorance et son inaptitude aux fonctions difficiles qu'elle lui a confiées, je ne croirai pas manquer à la République en me prononçant fortement contre lui. Le temps n'est plus où le général regardait un ministre, même imbécile, comme un dieu. Je n'ai jamais été de ces hommes sans caractère. Républicain avant la République, toutes les fois que j'ai rencontré de ces idoles ministérielles, je les ai frappées de mépris. Je pense, comme les amis de la République, que rien n'est plus avantageux à la nation que de donner de la publicité aux correspondances. Cette mesure met tous les hommes publics sous l'œil de la surveillance et sert également à faire connaître ceux des fonctionnaires dont les travaux méritent le plus de droits à la confiance nationale et ceux que leur parfaite nullité en éloigne. Dénoncez-moi, si je suis de ce nombre.

Le 30 juin, il mandait au président de la Convention que les choix de la nation devaient désormais porter le caractère qu'exigeait la crise où se trouvait la France, et non l'empreinte des sourdes intrigues qui caractérisaient l'ancien régime. Nous triompherons, disait-il, si l'homme sans mérite n'occupe plus les places qui n'appartiennent qu'à l'homme énergique et instruit ; si le ministre de la guerre a des talents militaires, des vues profondes, et s'il est capable de diriger en grand les plans des généraux, capable de les faire exécuter ou de les combattre par la force de ses raisons. Le grand décret de la Constitution que vous venez d'achever, doit faire l'admiration et le désespoir de ses ennemis. Mais, je le répète, il faut à la République des ministres purs et habiles, et conséquemment bien différents de ceux que l'intrigue ou les passions nous ont donnés jusqu'à ce jour. Alors nous ne pourrons plus craindre que la République n'ait été qu'un songe agréable, et la France verra j s'affermir sur des bases soli les le plus heureux des gouvernements et s'élever avec gloire l'arbre triomphant de la liberté.

Le 2 juillet, mêmes récriminations contre Bouchotte. Si nous obtenons une organisation qui puisse nous promettre une nerveuse discipline, caractère distinctif du militaire des républiques florissantes, nos succès seront assurés, et les vils courtisans seront forcés de renoncer à l'insolente prétention de donner des lois à la nation.

Le 15 juillet, il se révoltait ouvertement contre Bouchotte et refusait avec éclat d'obéir à ses ordres. Le ministre de la guerre, marquait-il à la Convention, est ignorant ou coupable, et semble marcher sur les traces de ses prédécesseurs. Il enlève des bataillons entiers et de la cavalerie à l'armée du Nord pour les faire marcher d'un autre côté ; dussé-je en être la victime, je déclare que je donne les ordres les plus exprès pour empêcher qu'aucun des corps des deux armées que je commande, se mette en mouvement sans une autorisation de la Convention[33].

 

Vint l'affaire de Favart et de La Marlière, l'affaire que les Jacobins ont appelée le déplacement des canons ou le désarmement de Lille. Custine faisait grand cas de La Marlière. Avant de le connaitre personnellement et sur le rapport des commissaires qui prônaient ses talents et son civisme, il l'avait mis à la tête d'un corps d'armée qu'il dénommait le corps de la Flandre maritime. Ce corps devait être mobile ; il harcèlerait les ennemis et les empêcherait de pénétrer dans l'intérieur, d'imposer des contributions au plat pays ; il comprendrait quinze mille hommes qui seraient tirés du superflu des garnisons, quatre mille de Lille, quatre mille de Douai, sept mille des places de seconde ligne ; si les forteresses étaient assiégées ou investies, les bataillons regagneraient le poste qu'ils occupaient précédemment.

La Marlière avait donc sous ses ordres la garnison de Lille. Bouchotte s'étonna. Favart, écrivait-il, était gouverneur de Lille et ne dépendait pas de La Marlière : donner à ce dernier le commandement des troupes de Lille, c'était lui donner le commandement de la place. Custine répliqua que La Marlière devait disposer des troupes pour entretenir les communications entre les villes fortes ; il connaissait Favart, et il savait que cet ingénieur, habile aux solides constructions, n'était guère propre à conduire et à manier des bataillons ; le détail des besoins de la place roulerait sur Favart, mais La Marlière dirigerait les mouvements de la garnison. Je dois, disait Custine à Bouchotte, passer par-dessus toutes les décisions du Conseil exécutif, et je suis obligé de vous rappeler souvent que vous vous placez toujours au temps du ministère de l'ancien régime. Il se croyait infaillible ; mais persuadez-vous enfin que dans une République, avec un ministre aussi peu instruit que vous de tout ce que vous devez savoir — puisque vous êtes chargé de ce ministère — non seulement un général, mais tout citoyen a le droit de vous instruire, et moi, à qui la sûreté de cette armée est confiée, je dois prendre tous les partis qui peuvent l'assurer. Il ajoutait qu'il informerait le public, si le ministre tardait plus longtemps à fournir des chevaux, des selles, des brides, etc. Si je ne remplis pas mes devoirs, faites-en autant à mon égard ; voilà les principes et la conduite d'un républicain.

Fort de son droit, Bouchotte répondit que Favart commandait à Lille et y commanderait sous les ordres de 1 Custine, sans aucun intermédiaire. Custine, à son tour, déclara que La Marlière resterait à la tête des troupes de Lille : Le bien du service l'exige, et je le demande instamment, et je soutiendrai l'ordre que j'ai donné. Il répétait qu'une immense responsabilité pesait sur lui, qu'il était comptable de ses opérations à la nation entière, qu'il assignait à chacun sa tâche, qu'il devait seul connaître le poste que tous, des généraux aux soldats, occupaient dans son armée. Mais, le 11 juin, Bouchotte fit arrêter par le Conseil exécutif que Favart conserverait le commandement de la ville sous les ordres de Custine et que si La Marlière requérait des corps ou détachements dans la garnison, quatre mille hommes au moins resteraient toujours dans la place. De telles précautions, disait-il, étaient sages et conformes aux règles de la guerre. On devait concilier la sûreté de Lille avec l'activité des opérations de l'armée. La Marlière pouvait-il, sous prétexte d'augmenter ses forces et de faire de grandes entreprises, prendre dans la garnison autant de troupes qu'il lui plairait, et dégarnir, abandonner totalement une si précieuse forteresse ?

En même temps le ministre dénonçait Custine au Comité de salut public : Custine refuse de souscrire à cette décision. Ceci vous donnera une idée du relâchement des ressorts du gouvernement et des embarras qui accompagnent tous ses mouvements. Si un général d'armée qui doit obéissance aux ordres du Conseil de la République, s'y refuse, peut-on prétendre que les agents descendants lui rendent une obéissance plus complète ? Le 26 juin, le Comité répondit à Bouchotte que l'arrêté du Conseil exécutif devait être strictement exécuté, sans qu'on pût y porter atteinte, et que dans tous les cas La Marlière devait laisser au moins quatre mille hommes dans une ville dont la garnison comptait dix mille hommes en temps ordinaire el quinze mille hommes en temps de guerre.

Aussitôt Bouchotte écrivit à Custine qu'il exigeait l'exécution stricte de l'arrêté du Conseil exécutif. Il envoya à Favart, au département du Nord, au district, à la municipalité, au Conseil défensif, à la Société populaire de Lille une copie de J'arrêté des ministres et de la lettre du Comité. Il enjoignait à Favart de faire dans la place toutes les dispositions ordonnées par le gouvernement. Il priait le Département, le district, la municipalité de détourner les effets du crime qui guettait nos négligences sur la frontière, de provoquer l'attention du peuple, d'empêcher toute espèce d'assoupissement funeste. Il engageait le Conseil défensif à seconder Favart dans le service de la place. Il exhortait les jacobins lillois à montrer plus que jamais leurs sentiments populaires et leur sollicitude pour la chose publique[34].

Mais l'affaire de Lille n'était pas encore terminée. Quelques jours plus tard, Custine demandait à Favart pour le camp de Paillencourt trente-huit canons et huit obusiers, et il autorisait La Marlière à tirer de la place trente pièces pour armer les redoutes et retranchements du camp de La Madeleine. Favart s'éleva contre cette grande sortie d'artillerie, contre cette violente soustraction de soixante-seize pièces : c'était désarmer Lille, réduire ses forces répressives, et jamais les maîtres de l'art n'auraient approuvé pareille mesure. Que le camp de La Madeleine fût emporté par les ennemis. Comment ferait-on rentrer l'artillerie dans la ville ? Où trouver sur-le-champ deux cents chevaux ? Où trouver des charretiers fermes et courageux ? Irait-on recourir à des valets de brasseurs et de meuniers ? Ne se souvenait-on pas du désarroi qui s'était produit le 23 mai à la prise du camp de Famars ? Les pièces de position placées dans les redoutes ne seraient-elles pas le premier trophée du vainqueur ? Custine répondit au timide Favart qu'il persistait dans ses dispositions : si le camp de La Madeleine était forcé, ne serait-il pas facile d'évacuer les redoutes et d'amener les canons dans le chemin couvert[35] ?

 

III. Custine faisait la guerre non seulement à Bouchotte, mais aux envoyés de Bouchotte, à ces commissaires dits du pouvoir exécutif qui devaient, selon leurs instructions, surveiller le matériel et le personnel, et en réalité entretenir le civisme des soldats, connaître les officiers, répandre dans les camps les journaux ou papiers-nouvelles. Dès son arrivée en Flandre, il avait déclaré qu'il abandonnerait son poste lorsque les agents du Conseil exécutif entraveraient ses démarches et mettraient en péril l'armée qui lui était confiée. Il avait, disait-il, observé la scène et les acteurs de la Révolution ; il avait vu Dumouriez paraître à la tribune des Jacobins, le bonnet rouge sur la tête ; il avait vu bien d'autres encore cacher sous de faux dehors leur haine irréconciliable contre la République, et il préférait un citoyen réservé, sage, estimable, plein de valeur et de talent à l'homme qui aboie le patriotisme. Il eut le dessous dans cette lutte contre les agents de Bouchotte ; il les expulsa de son armée, mais ils déterminèrent sa chute. A force de s'égosiller contre Custine, disait l'un d'eux, les patriotes le feront rappeler à Paris, et il n'en reviendra pas[36].

Les deux principaux émissaires du ministre à l'armée du Nord étaient Celliez et Defrenne. Ils donnèrent parfois de bons conseils et d'utiles avis. Defrenne assurait que l'amalgame des volontaires et de la ligne était indispensable et qu'il fallait anéantir l'esprit de corps. Celliez s'élevait contre le grand nombre de femmes qui suivaient l'armée sous un costume masculin ; il signalait à l'attention du ministre les désertions fréquentes ; il écrivait que le complément des troupes ne se faisait pas, que les recrues n'arrivaient que lentement et par petits pelotons, que les bataillons manquaient d'hommes ; il révélait l'existence d'une agence qui fabriquait des congés et les vendait aux soldats ; il dénonçait les officiers qui portaient les insignes proscrits par la Convention, les emblèmes de la royauté et les marques de la féodalité, les fleurs de lys sur les boutons, sur les retroussis de l'habit et sur le drapeau, les épaulettes blanches, la ganse blanche du chapeau ; il réclamait la disparition de l'uniforme blanc qui blessait les yeux des soldats républicains.

Mais Defrenne croyait à de sourdes manœuvres des officiers de ligne. Celliez affirmait que les généraux et chefs supérieurs étaient pour la plupart des monarchistes notoires, qu'une foule d'officiers cherchaient à dépraver le soldat par des insinuations perfides, que l'armée ignorait tout ce qui se passait, qu'elle ne recevait les nouvelles que tardivement, par hasard, et encore défigurées. Il tonnait contre le luxe asiatique de l'état-major. Il proposait de chasser sans miséricorde tous les nobles, quels que fussent leurs grades, puisque la noblesse était un brevet d'incivisme. Il accusait plusieurs régiments, le 98e, le 58e, le 45e surtout, d'être dans les mauvais principes. A l'entendre, la ligne avait un esprit détestable ; elle devait à chaque instant tourner ses armes contre la liberté ; elle se battrait pour avoir un roi. Tous les officiers, ajoutait Celliez, étaient des partisans ou des créatures de Lafayette et de Dumouriez, des royalistes déguisés, des hommes qui haïssaient la République parce qu'elle donnait les places au mérite et non à l'intrigue ; ils formaient des projets liberticides ; ils corrompaient leurs subordonnés, et, comme Defrenne, Celliez disait et redisait qu'il fallait disperser les soldats de ligne, les incorporer à des sans-culottes et les répartir dans les bataillons nationaux : ils instruiraient aux évolutions les volontaires qui, à leur tour, les éclairciraient et les forceraient à marcher dans le sens du patriotisme.

Enfin, Defrenne et Celliez distribuaient dans les camps le Républicain, le Journal de la Montagne et le Père Duchesne que Bouchotte leur envoyait de Paris, et Celliez prétendait le 2 juin que depuis quinze jours, grâce aux gazettes, l'armée du Nord n'était plus reconnaissable, non pas qu'elle fût plus nombreuse, mais sa force avait doublé, un zèle véritable l'animait, les soldats se livraient à l'exercice avec une infatigable ardeur, les bataillons de volontaires manœuvraient avec une précision que les régiments de ligne n'avaient pas ; rien n'était plus propre à fortifier l'esprit public que la lecture des papiers ! Les deux agents oubliaient que ces papiers calomniaient le général en chef et ruinaient la discipline en inspirant aux troupes défiance et soupçon[37].

Defrenne était alors à Maubeuge. Tourville, qui commandait la ville et le camp retranché, s'indigna que ce commissaire du Conseil exécutif, qui ne devait que recueillir des armes et pourvoir aux approvisionnements, répandît des écrits désorganisateurs comme le Journal de la Montagne et l'ordurier Père Duchesne où l'on trouvait sans cesse des horreurs et des atrocités contre Custine, les généraux, les états-majors, et des motions pour expulser les ci-devant de toute fonction et les remplacer par des invalides. Il fit venir Defrenne, le tança rudement et lui défendit de propager de vagues dénonciations contre les chefs de l'armée. Puis il écrivit à Bouchotte que le petit Defrenne serait maltraité par les soldats, s'il restait plus longtemps à Maubeuge. Personne, remarquait-il, ne pouvait croire que le ministre eût chargé cet agent de distribuer de pareils pamphlets. N'était-ce pas provoquer dans la division de Maubeuge des insurrections que lui-même, Tourville, ne pourrait maîtriser ? Et il priait Bouchotte de ne pas lui imposer la double lâche de combattre les ennemis au dehors et au dedans.

Le petit Defrenne répondit d'abord à Tourville qu'il irait en avant sans s'émouvoir ni s'effrayer. Il fit afficher dans Maubeuge l'ordre qu'il avait reçu de l'adjoint du ministre, Prosper Sijas. On l'accusait, disait-il, d'avoir distribué des journaux qui inculpaient Custine ; que Custine agisse en républicain, qu'il expulse de notre territoire tous les vils esclaves des tyrans, c'est la meilleure réponse qu'il pourra faire ; mais qu'il se donne bien de garde d'empêcher dans son armée la libre circulation des journaux, tels que le Père Duchesne, le Républicain et surtout la Montagne ; il est plus que temps que nos frères d'armes soient instruits de tout ce qui se passe afin de ne pus servir d'instrument à ceux qui auraient l'audace de vouloir les égarer encore. Defrenne ajoutait qu'aucune considération particulière ne le détournerait de distribuer lui-même les journaux qui lui seraient envoyés par le ministre, et il déclarait une guerre éternelle aux états-majors perfides, aux dilapidateurs, aux ennemis publics, jurait de les dénoncer impitoyablement. Mais la clameur qui s'élevait contre Defrenne était trop forte, et depuis huit jours, il éprouvait, de son aveu, beaucoup de désagrément. Il se voyait regardé comme un oiseau de mauvais augure et perdu dans l'esprit du soldat. Tout Maubeuge le traitait d'incendiaire. Les habitants d'Avesnes se plaignaient de lui au représentant. Il regagna Paris. J'ai tant de choses à dire, mandait-il à Bouchotte, qu'une journée d'écriture n'y suffirait pas, et il pronostiquait que l'armée serait derechef trahie et vendue ; il conseillait des mesures rigoureuses, et la principale, l'essentielle, selon lui, c'était de licencier tous les états-majors et de les recréer dans les vingt-quatre heures[38].

Celliez avait eu moins de chance. Le 1er juillet, il distribuait, avec son secrétaire et ami Compère, un numéro du Journal de la Montagne et un autre du Père Duchesne[39] qui couvraient d'outrages le général Moustache. A cette nouvelle, Custine éclata. Quoi ! ces deux particuliers se disaient commissaires du pouvoir exécutif et prétendaient prêcher le bon ordre et la discipline ! Il ordonna de les arrêter aussitôt. Les adjudants-généraux Chérin et Jarry coururent au camp, et dès qu'ils virent Celliez et Compère, halte-là ! crièrent-ils. Ils saisirent un paquet de journaux et appréhendèrent au corps Celliez et son secrétaire, les accablant de reproches, les nommant des agents de Cobourg, les vouant, ainsi que la faction de Bouchotte, à l'exécration de l'armée. Un rassemblement se forma. Les soldats, dégainant, menaçaient les deux apôtres. Chérin et Jarry entraînèrent leurs prisonniers et les mirent en présence de Custine. Le général apostropha violemment Celliez et Compère. Vous êtes, leur dit-il, des êtres méprisables, et d'un geste dédaigneux il commanda de les traduire devant Beffroy, représentant du peuple.

Beffroy aimait et appréciait Custine ; on veut, écrivait-il au Comité, jeter des soupçons sur Custine ; mais il est dangereux d'écouter les ignorants et les intrigants qui occupent les places en très grand nombre et qui portent envie à quiconque s'élève au dessus d'eux. Il s'entretenait avec les deux adjudants-généraux Chérin et Jarry lorsque Celliez et Compère lui furent envoyés. Il les semonça et leur demanda combien ils recevaient de Pitt et de Cobourg pour répandre le Père Duchesne qui osait dénigrer et calomnier Custine. Les adjudants-généraux se joignirent au représentant et, derechef, chargèrent d'invectives les deux commissaires. Voilà bien, disaient-ils, où l'on désire en venir ; on réclame la destitution des nobles pour nous enlever trois ou quatre bonnes têtes qui nous restent.

Par décision de Beffroy et de son collègue Bollet, Celliez et Compère furent envoyés à la citadelle de Cambrai. Mais, au bout de quatre jours, les représentants les relâchèrent. Ils jugeaient que Celliez et Compère avaient donné quelquefois avec trop de légèreté leur opinion personnelle et commis l'imprudence de propager des soupçons odieux sur le compte de Custine : mais, que s'ils s'étaient écartés des principes et de la dignité de leur mission, ils n'avaient fait qu'obéir à des ordres supérieurs. Les deux distributeurs de journaux étaient outrés. Compère mandait sur-le-champ à son frère qu'il fallait voir Bouchotte, informer la Convention ; l'aristocratie triompherait-elle toujours du ministre ? J'ai fait, s'écriait Celliez, ce que tout bon républicain eût fait à ma place ; j'ai dit des vérités que je défie de démentir ; j'ai dit plus de nobles, plus de nobles et plus de nobles. Il dénonça Custine à Bouchotte : Ces despotes ont lâchement abusé de leur pouvoir ; mais en me tyrannisant, on dirige les coups contre un ministre qui est l'effroi de tous ces scélérats. Il accusa le général de rester inactif, de s'abstenir de diversions utiles, de laisser Valenciennes aux prises avec l'ennemi. Il lui reprocha d'avoir fait une critique amère et indécente de la nouvelle constitution en donnant le 30 juin pour mot d'ordre Condorcet, Paris et pour mot de ralliement Constitution[40]. Il demanda, non son propre rappel, mais la destitution de ce Custine dont la présence offusquait les vrais patriotes. Il répandit de nouveau la gazette de Laveaux et celle de Hébert : Si Custine s'en fâche encore, tant pis pour lui, cela prouvera davantage que les scélérats craignent toujours la vérité. De Paris on le rassurait, l'encourageait, l'exhortait à ne pas plier. Bouchotte lui répondait qu'il avait vu son arrestation avec peine, qu'elle était la preuve d'un abus de pouvoir, que Celliez devait se consoler en pensant que tous ces efforts malveillants ne faisaient qu'affermir la liberté. Hébert fulminait de plus belle contre Custine. Incarcérer ainsi, disait le Père Duchesne, deux fonctionnaires publics qui n'avaient fait que remplir leur devoir en portant l'instruction à l'armée, n'était-ce pas agir en despote et en dictateur ? Et il n'y avait pas eu dans l'entourage de ce traitre un homme de courage pour lui brûler la cervelle, comme la loi l'ordonnait ! Et le Comité n'arrêtait pas ce Custine qui finirait par perdre l'armée du Nord, cette armée composée de la fine fleur de la sans culotterie ? Ce bandit était-il le dieu du jour ? Ne voyait-on pas qu'après avoir joué le bon apôtre, il laissait percer le petit bout d'oreille, qu'il parlait en maître, qu'il se moquait, se f..... des décrets de la Convention, qu'il menait les ministres tambour battant, qu'il faisait tuer les hommes comme des mouches, qu'il défendait au soldat de lire les journaux patriotiques pour l'empoisonner de toutes les rhapsodies du brissotisme agonisant ? Quelques-uns vantaient sa valeur et sa bonne volonté. Mais pourquoi demeurait-il si longtemps les bras croisés à la tête des meilleures troupes de la République ? Pourquoi n'entrainait-il pas tous ces braves lurons au secours de Valenciennes et de Condé ? Hébert jurait de ne point donner de relâche à Custine. Je ne le quitterai pas plus que son ombre, et jusqu'à ce que la Convention lui ait donné de la pelle au c..., je crierai, je tempêterai. Il affirmait que Custine enlevait des canons de Lille pour livrer aux Autrichiens cette clef de la France, et que si le général Moustache commandait l'armée huit jours encore, la République tomberait pour ne pas se relever. Plus de nobles, répétait-il avec Celliez ; on me fera plutôt prendre la lune entre les dents que de me persuader qu'un valet de cour puisse devenir républicain ; quiconque a sucé le lait de l'aristocratie est traître ou le sera[41].

Mais les troupes que Hébert et consorts croyaient hostiles à Custine murmuraient contre le ministre et ses agents. Lorsque Celliez et Compère furent conduits à la citadelle de Cambrai, elles les huèrent et les auraient pendus sur-le-champ si Chérin et d'autres officiers n'étaient intervenus. Custine leur avait fait connaître l'article où Laveaux l'accusait d'être le client de Haussmann et d'avoir friponné et tripoté à Mayence. Il était sûr, disait-il, du bon esprit qui les animait et ils liraient avec indignation cette pièce atroce qui inculpait leur général et le représentant Haussmann, l'un des républicains les plus zélés et les plus purs de la Convention ; elles jugeraient ces calomnies absurdes et les œuvres de ténèbres de ces hommes qui voulaient subvertir la chose publique ; elles s'empresseraient de désigner celui qui serait assez ennemi des lois de son pays pour suivre un pareil exemple. Dans le bulletin de l'armée, le chef de l'état-major, Des Bruslys, rendait compte de l'arrestation de Celliez el de Compère. Ces deux agents n'avaient-ils pas une conduite irrégulière ? N'avaient-ils pas donné des soupçons véhéments d'un esprit désorganisateur ? N'avaient-ils pas tenu quelques propos exagérés et distribué des journaux où régnaient d'atroces absurdités ? On les avait relâchés après avoir examiné leur correspondance et reconnu qu'ils étaient de vrais amis de la liberté, induits en erreur par des ordres supérieurs ; mais pourquoi avaient-ils exécuté ces ordres inconsidérément et sans informer les représentants du peuple[42] ?

L'armée entière approuva son général. Celliez confessait lui-même que l'opinion avait un peu baissé depuis quelques jours. Duhem écrivait à Paris que les soldats jugeaient le Journal de la Montagne et couvraient de boue cette gazette qui semait les alarmes. Des bataillons déchirèrent et d'autres brûlèrent le Père Duchesne en criant que Custine était un brave homme et que les outrages d'Hébert n'ébranleraient pas la confiance qu'ils avaient mise en leur chef. Le chirurgien Dauvers fit, dans une brochure qui parut le 15 juillet, l'éloge de Custine : les journaux, disait-il, soulevaient l'armée contre celui qui devait la conduire ; n'était-il pas légitime de les prohiber ? Le militaire Francœur, vieux républicain, répondit au nom de ses camarades que Custine établissait une stricte et salutaire discipline, que l'armée connaissait son patriotisme, qu'elle faisait fond sur lui[43]. Chérin déclarait que Bouchotte avait tort de distribuer aux troupes le Journal de la Montagne, qui n'avait de patriote que son titre, et il annonçait que l'entêtement du ministre lui serait funeste. L'agent Gadolle plaidait la cause de Custine avec chaleur et dans son bizarre langage prônait l'homme qui perfectionnait les instruments de la défense avec tant d'ardeur et de fermeté ; les soldats obéiraient-ils désormais à leur général si l'on répandait la méfiance contre lui et lui témoignait du mépris ; ne ferait-on pas mieux de le surveiller, tout en respectant son utilité et d'attendre les preuves certaines de sa culpabilité ? Tourville mandait à Bouchotte franchement et non sans crânerie que le Père Duchesne était visiblement payé par les ennemis pour tout désorganiser, qu'il serait infiniment dangereux de le propager dans l'armée, que Hébert avait sans doute pour instruction de travailler à la perte et à la proscription de tous les ci-devants qui restaient fidèles à leur poste et qui seraient remplacés par des ignorants ; et n'était-ce pas livrer la nation pieds et poings liés aux puissances étrangères[44] ?

Mais le 12 juillet Bouchotte transmettait au Comité la correspondance de Custine et de La Marlière avec Favart. Custine, disait-il, dépouillait Lille de soixante-seize bouches à feu, affaiblissait la garnison, désobéissait à l'arrêté du Conseil des ministres et à la lettre du Comité qui prescrivait de laisser dans la place quatre mille hommes au moins. Custine faisait emprisonner arbitrairement des commissaires du pouvoir exécutif. Custine donnait l'ordre tyrannique de fusiller les soldats pour des fautes qui ne méritaient pas une pareille peine. Le Comité prononcerait ; mais s'il gardait le silence et s'il ne prenait pas une prompte détermination, Bouchotte croyait de son devoir d'envoyer les pièces à la Convention.

Le Comité de salut public avait été renouvelé deux jours auparavant. Ce n'était plus le Comité de Danton ; c'était le Comité de Robespierre et, disait le Père Duchesne, il se composait de bougres à poil. Il fit ce que demandait Bouchotte. Le 12 juillet, peu d'instants après avoir reçu la lettre du ministre, il arrêtait que Custine viendrait. aussitôt à Paris pour conférer sur la situation des armées, et le même jour Bouchotte mandait au général d'exécuter sur-le-champ l'ordre du Comité. Hébert cria bravo : Le Comité n'a pas laissé à Custine le temps de perdre la République ![45]

Custine partit après avoir donné ses instructions et remis le commandement des troupes à Kilmaine. Le 18 juillet il arrivait à Paris. Il écrivit au président de la Convention, en termes assez singuliers, qu'il ne voulait pas exister dans le lieu des séances de l'assemblée sans lui offrir l'hommage de son respect, de son obéissance aux lois, de son inviolable attachement à l'unité et à l'indivisibilité de la République. Puis il se rendit au Comité. Bouchotte était présent. Custine l'interpella de la façon la plus dure. Votre inimitié, lui dit-il, date du jour où j'ai quitté l'armée du Rhin. Votre inhabileté — sachez-moi gré de l'expression — est telle qu'elle semble l'effet du plus honteux calcul. Depuis près de deux mois vous abandonnez à un incroyable délabrement la seule armée qui puisse sauver Valenciennes ou fermer aux coalisés la route de Paris. Prétendrez-vous que vous n'avez à votre disposition ni armes, ni hommes, ni munitions, ni argent ? Chacun ici vous démentira. Les armées du Rhin, de la Moselle et de la Vendée ne recevaient-elles pas abondamment ce que vous refusiez à la mienne ? Si vous ne vouliez pas m'envoyer des renforts, du moins ne fallait-il pas m'enlever une division entière d'infanterie et deux régiments de cavalerie. Votre intention secrète est de me perdre et de me perdre seul. Mais ne risquez-vous pas de compromettre le salut de la République ? Vous avez pensé que je laisserais mon armée périr sans me plaindre. Non, non, vous ne ferez pas le mal impunément ; j'ai écrit contre vous, je vous ai dénoncé, j'ai essayé de montrer dans quelles mains pitoyables était tombée l'administration de la guerre. Obéissez à Vincent puisque votre faiblesse et votre intérêt vous condamnent à cette soumission ; mais moi, tant que je serai revêtu d'un commandement en chef, je me croirai au-dessus d'un de vos commis ! Bouchotte ne chercha pas à se disculper. Il vanta le civisme et l'activité de Vincent. Quant à lui, disait-il, il s'était attiré l'inimitié de certains généraux parce qu'il avait découvert leurs trames secrètes, et il reprochait à Custine un esprit inquiet, jaloux, déréglé, qui voulait usurper tous les pouvoirs ; Custine affichait un grand zèle pour la chose publique, mais son âme était dévorée d'une ambition qui serait tôt au tard fatale à sa patrie. A ces mots, Custine ne se contint plus ; il accabla Bouchotte d'invectives, et lorsque le Comité leva la séance, le ministre et le général étaient plus que jamais ennemis mortels[46].

Bouchotte prit les devants. Le 20 juillet, il proposait à ses collègues de discuter s'il était utile de conserver Custine. Le Conseil exécutif arrêta que le ministre de la guerre lui présenterait sur cet objet un rapport écrit. Le lendemain, Bouchotte lisait son rapport, et le Conseil décidait que Custine, gravement compromis, serait mandé le jour suivant à une heure pour se justifier[47].

Custine était déjà sous les verrous. Il croyait avoir raison de son adversaire et n'imaginait pas qu'il venait à Paris en accusé, en suspect, pour rendre compte de sa conduite. Le 21 juillet il parcourut les rues, et on s'empressa de le voir, de l'approcher, de le saluer, de l'applaudir ; au Palais-Royal, quelques jeunes gens l'entourèrent en criant vive Custine. Le soir même, le Comité de sûreté lui défendait de sortir sans être accompagné d'un gendarme, puis, le 22, au nom du même Comité, Basire proposait à la Convention d'arrêter Custine. La présence du général, disait Basire, avait ému les esprits, et la veille, les habitués des tripots l'avaient acclamé ; évidemment il fomentait l'agitation, et d'aucuns le soupçonnaient d'avoir distribué de l'argent à des femmes pour exciter des mouvements en sa faveur. Sans doute, ajoutait Basire, Custine était gardé à vue par un gendarme, mais il ne devait pas, comme Dumouriez et Lafayette, paraître dans les lieux publics et y provoquer l'enthousiasme. On ferait donc bien de le mettre provisoirement en état d'arrestation. N'avait-il pas donné pour mot d'ordre à son armée Condorcet, Paris, Constitution ? Ses adjudants et ses gens de confiance ne disaient-ils pas à qui voulait les entendre que leur général marcherait sur Paris pour imposer la constitution de Condorcet ?

Simond appuya Basire. Custine, remarquait-il, ne donne pas un gendarme aux soldats qui manquent à leur devoir ; il les charge de fers ; pourquoi traiter doucement un homme qui se vantait de faire des papillotes avec les décrets de la Convention ?

Danton s'efforça de résumer le débat. La Convention, s'écriait-il, devait enfin savoir ce qu'était Custine ; Confié vient de se rendre ; Valenciennes est cerné de toutes parts et chauffé de très près ; la nation a des doutes sur le général ; qu'il soit jugé !

Devars défendit la motion de Danton : des bruits contradictoires couraient sur Custine ; les uns le disaient arrêté ; d'autres prétendaient qu'il avait regagné l'armée avec carte blanche ; l'assemblée devait savoir s'il était traître ou franc patriote, et demander séance tenante un rapport du Comité et du ministre de la guerre.

La Convention adopta les conclusions de Basire. Elle décréta que Custine serait arrêté et conduit au Luxembourg[48]. A peine avait-elle rendu son décret qu'elle recevait une lettre du Conseil exécutif : Custine était destitué et Diettmann Je remplaçait. Elle confirma la nomination de Diettmann[49].

Mais le 28 juillet éclatait, comme un coup de foudre, la nouvelle de la capitulation de Mayence. Custine triomphe, écrivaient les représentants du peuple près l'armée du Rhin, Montaut et Soubrany, Custine enfin triomphe, et ils conseillaient au Comité d'arrêter aussitôt cet homme profondément corrompu qui n'avait d'autre talent qu'une insolente jactance, ce scélérat qui voulait débloquer Mayence au 15 août, qui livrerait bientôt Valenciennes et Condé, qui détestait la République et ne cherchait qu'à la perdre. Barère lui à la Convention la dépêche des deux représentants et proposa le décret d'accusation contre ce Custine qu'il recommandait naguère comme le seul général qui pût soutenir la fortune de la France. Custine, disait Barère, dégarnissait les places fortes et enlevait à Lille 76 bouches à feu malgré le refus opiniâtre de Favart. ; le girondin Barbaroux assurait dans une lettre interceptée que la Convention se préparait à livrer les frontières du Nord, mais que Custine était là pour les défendre ; un bulletin de Rennes portait qu'il fallait inviter Custine à garder son poste, lors même qu'il serait destitué par les factieux de la Convention. Custine, ajoutait Barère, pactisait donc avec les députés transfuges ; c'était un conspirateur, et on le frapperait sur-le-champ. La Convention décréta qu'il y avait lieu à accusation contre Custine.

Le lendemain, Billaud-Varenne déclarait que Bordeaux attendait impatiemment la reddition de Valenciennes et les grands événements qui en résulteraient ; Custine trahissait sûrement, et plus il était criminel, moins il méritait de ménagements ; on devait le renvoyer au tribunal révolutionnaire qui le jugerait d'urgence et ferait tomber sa tête avant huit jours. La Convention, entraînée, décréta que le général serait traduit devant le tribunal révolutionnaire.

Le procès commença. Custine était condamné d'avance. Qui peut douter, disait Chabot, que Custine soit coupable ? Condé, Valenciennes, Mayence déposent contre lui, et le Père Duchesne s'écriait de même : Que la Convention fasse jouer Custine à la guillotine ; que le peuple ne cesse de répéter du faubourg Saint-Antoine au faubourg Saint-Germain ces mots terribles : Mayence, Condé, Valenciennes. Les témoins à charge furent nombreux. Custine, rapportait Celliez, a prononcé la peine de mort contre les soldats, donné un mot d'ordre et de ralliement incivique, arrêté et emprisonné les commissaires du pouvoir exécutif qui distribuaient des journaux. Custine répondit qu'il avait enjoint de fusiller le soldat pour ranimer la discipline, mais que ce règlement n'avait jamais été mis en vigueur ; que Le Veneur avait donné le mot d'ordre en son absence et sans l'avoir prévenu ; qu'il n'avait pas empêché, la distribution des journaux et que les députés de la Convention, et non le général, avaient fait arrêter les commissaires. Mais vainement Du Roy affirma qu'il voyait dans Custine un franc républicain, incapable d'un acte d'incivisme. Vainement Courtois assura qu'il avait surveillé Custine et ne savait rien de désavantageux sur son compte, que les notes des espions le représentaient comme un homme redouté des Autrichiens. Vainement Cambon reconnut que Custine avait pris sincèrement le parti du peuple et que ses armées, mieux tenues que celles de Dumouriez, coûtaient moitié moins à l'Etat. Vainement Bollet, Johannot, Haussmann attestèrent son patriotisme, ses principes d'économie, son attachement aux lois. Vincent rappela devant le tribunal tous les griefs de Bouchotte et des Jacobins entre Custine : 76 pièces de canon soustraites à la défense de Lille ; le commandement des troupes donné et, malgré les instructions du conseil exécutif, conservé à La Marlière ; l'arrestation de Celliez et de Compère ; les lettres qui gourmandaient le ministre en style de dictateur et avec des expressions plus que déplacées ; les pouvoirs monstrueux conférés au contre-révolutionnaire Devrigny ; les menaces de fusillade. Il prétendait, avec Celliez et Basire, que Custine était d'intelligence avec les ennemis de l'Etat, puisqu'au 30 juin il avait donné les mots d'ordre Condorcet, Paris, et le mot de ralliement Constitution ; ce qui signifiait évidemment : adopter à Paris la constitution de Condorcet. Custine, concluait Vincent, a été rebelle ; il a désobéi aux autorités supérieures ; il a formé le projet de livrer Lille aux Impériaux, et, s'il n'eût pas été révoqué, nous n'aurions plus ni frontière ni armée du Nord[50].

En même temps paraissaient des pamphlets qui reproduisaient les accusations de Laveaux, de Marat, de Hébert contre le général. On rappelait ses sévérités d'autrefois lorsqu'il était colonel et faisait mouvoir son régiment comme une machine à coups de plat de sabre. On le traitait d'espion royaliste ; on contait qu'il avait siégé dans le comité autrichien des Tuileries, qu'il tenait à la Constituante une conduite équivoque, qu'il embrassait toujours le parti du plus fort, qu'il s'était jeté dans la Révolution pour escroquer la confiance et préparait de longue main la contre-révolution. Sans doute il avait pris Mayence et vaincu les ennemis ; mais ne devait-il pas établir d'abord sa réputation ? N'abhorrait-il pas les volontaires ? Ne criait-il pas sans relâche à l'insubordination ? Ne vexait-il pas les patriotes qu'il ne pouvait corrompre ? N'aurait-il pas un jour pris la fuite après avoir fait égorger les meilleures troupes[51] ?

Le 28 août, Custine eut la tête tranchée.

 

 

 



[1] Gay-Vernon, Custine et Houchard, 177 ; séance du 9 juillet, Moniteur du 11. Cf. ce mot de Lafitte-Pelleport à Deforgues, 6 juillet (A. E.) : Custine gagne la confiance de son armée et la tient dans une bonne discipline ; mais tel est le sort des grandes Républiques à armées nombreuses que cette confiance et cette discipline sont, l'une, contraire aux principes du gouvernement, et l'autre, dangereuse à sa stabilité ; le monarchisme de l'armée mange le républicanisme de l'État.

[2] Qui avait été nommé ministre de la guerre par la Convention.

[3] Journal de la Montagne, 16 juillet ; Déclaration du citoyen Vincent contre Custine, 27-28 ; Calandini aux jacobins, 16 juin, et Lavalette à Bouchotte, 20 juin (A. G.).

[4] Defrenne à Bouchotte, 30 avril (A. G.) ; Journal de la Montagne, 5 juin et 16 juillet.

[5] Journal de la Montagne, 13 juin.

[6] Journal de la Montagne, 17 juin.

[7] Journal de la Montagne, 25 juin.

[8] Journal de la Montagne, 8 juillet.

[9] Journal de la Montagne, 16 juillet.

[10] Le Publiciste de la République française, n° 206 et 213.

[11] Journal de la Montagne, 6 juillet, n° 35, et Publiciste, n° 225.

[12] Publiciste, n° 230.

[13] Publiciste, n° 235 (lettre datée du 4 juillet).

[14] Publiciste, n° 236.

[15] Publiciste, n° 242.

[16] Journal la Montagne, n° 35, 6 juillet.

[17] Journal de la Montagne, n° du 26 juin.

[18] Journal de la Montagne, n° du 28 juin.

[19] Journal de la Montagne, 4 juillet (lettre de Custine datée de Cambrai et du 30 juin).

[20] Journal de la Montagne, 29 juin, 5 et 6 juillet (les hauts faits et gestes du soi-disant républicain Custine), 7 juillet (lettre de Pape employé à la correspondance secrète), 8-11 juillet (mémoire sur le général Custine fait par un témoin oculaire).

[21] Journal de la Montagne, 13 juillet, n° 42 (Duhem à Gasparin et réponse de Laveaux).

[22] Journal de la Montagne, 15 juillet, n° 44 (adresse des jacobins de Strasbourg, 31 juin).

[23] Le Père Duchesne, n° 251, 252 et 257.

[24] Wallon, Hist. du trib. révol., II, 566 ; Gay-Vernon (le père) à Berthelmy, 11 juillet (A. G.) ; Gay-Vernon (le fils), Custine et Houchard, 188 ; Moniteur, 14 avril ; Déclaration de Vincent contre Custine, 32-33.

[25] Custine à Audouin, 15 mai et 14 juin, Audouin à Custine, 21 juin (A. G.).

[26] Custine à Stengel et au Conseil exécutif, 8 juin ; à Bouchotte, 9 juin (et note de Bouchotte) ; Stengel au Comité, 20 juin (A. G.).

[27] Le 29 avril, Le Veneur avouait au Comité qu'il avait quitté son camp parce que les troupes se prononçaient pour Dumouriez et qu'il désespérait de les ramener. (Rec. Aulard, III, 523.)

[28] Le représentant Beffroy au Comité de salut public, 11 juin ; Courtois, Beffroy et Bollet au Comité, 26 juin ; Custine à Bouchotte, 2 et 9 juin (A. G.).

[29] Custine au Comité, 30 juin (A. G.).

[30] Wissembourg, 9.

[31] Des Bruslys à Custine, 4 juin ; lettre de Bollet, Courtois, Delbrel et Duhem, 16 juin, et note de Bouchotte ; lettre des mêmes à Devrigny, 22 juin ; Bouchotte à l'inspecteur des remontes, 10 juin ; mémoire de Vincent aux Jacobins (A. G.), et Déclaration contre Custine, 9 ; Charavay, Carnot, II, 411 (états de services de Devrigny qui fut suspendu le 30 juillet 1793 et mourut à la Martinique le 28 juillet 1803). Les jacobins de Landau accusaient Devrigny, dans une lettre du 12 juin au Comité, d'avoir donné la bastonnade à un volontaire, d'avoir traité de la façon la plus dure et la plus humiliante un sergent-major du 21e d'infanterie, d'avoir dissuadé les habitants de Spire de prêter le serment civique, d'avoir un instant émigré ; il joint, disait le club, à ces différentes inculpations un péché d'origine ; c'est un ci-devant marquis et il en a toute la jactance ; ses principes contrerévolutionnaires, son incapacité, sa brutalité reconnue le rendent tout à fait indigne de commander aux défenseurs de la République. Le nom de Devrigny fut cité plusieurs fois dans le procès de Custine. L'agent Gateau le traite de bavard et de fanfaron, d'aristocrate fieffé, de chevalier du poignard, et son collègue Garnerin lui reproche d'avoir vexé les soldats. Cf. deux lettres de Gateau et de Garnerin à Bouchotte (21 et 24 mai) ; ils assurent que Devrigny s'est fait nommer colonel du 12e régiment de cavalerie par une intrigue, tandis que le véritable colonel était malade ; qu'à Landau où il était commandant amovible, il a tenu la même conduite que son patron Custine ; intrigant par état et par caractère, impérieux, insolent, brutal, ambitieux, sans talent et d'une morgue dont l'ancien régime fournit peu d'exemples, tel est Devrigny.

[32] Déclaration de Vincent contre Custine, 11-12, 44 ; Bouchotte à Custine, le Comité à Bouchotte, 26 juin ; Custine au Comité, 2 juillet (A. G.). Cf. la lettre du volontaire Millard, d'un bataillon de la Manche, à un représentant : Custine a envie de perdre l'armée. A-t-on jamais rien vu de plus despotique qu'un seul homme décide de la vie des citoyens, et cela pour une permission accordée à celui qui en a le besoin le plus pressant ? Nous espérons que la Convention non seulement annulera l'ordre tyrannique que vient de donner Custine, mais qu'elle le fera punir comme un contre-révolutionnaire qui emploie tous les moyens de désorganiser l'armée en la dégoûtant de servir une aussi belle cause. (Lettre du 8 juin. A. N. w. 297.)

[33] Custine à Bouchotte, 2 juin et 6 juin (A. G.), au président de la Convention, 30 juin (Moniteur du 4 juillet), 2 juillet (Moniteur du 4 juillet), 15 juillet (Moniteur du 17 juillet).

[34] Custine au Comité, 28 mai, et à Lamarche, 30 mai ; instructions à Des Bruslys, 29 mai ; à Bouchotte, 6 juin et 11 juin (A. G.) ; arrêté du Conseil exécutif du 11 juin (Rec. Aulard, IV, 514) ; Déclaration de Vincent, 2 ; Bouchotte au Comité, 15 juin ; le Comité (Delacroix, Delmas, Guyton-Morveau) à Bouchotte, 26 juin ; Bouchotte à Custine, à Favart, au département, au district, à la municipalité, au conseil défensif et à la Société des jacobins de Lille, 1er juillet (A. G.).

[35] Favart à Custine, 25 juin, et à Bouchotte, 10 juillet ; Custine à Favart, 2 juillet (A. G.) ; Moniteur du 31 juillet. Cf. Gay-Vernon, Custine et Houchard, 182-184. Napoléon, comme beaucoup de ses contemporains, crut longtemps que Custine avait voulu désarmer Lille, en 1793, et lorsqu'il institua la Légion d'honneur, il refusa la croix à Gay-Vernon qui commandait en second l'École polytechnique : Gay-Vernon, disait-il, avait donné à Custine le conseil de désarmer Lille et exécuté ce désarmement ; Dejean le détrompa, et Gay-Vernon fut décoré.

[36] Moniteur du 17 juin ; Custine au Comité, 28 mai ; Celliez à Hébert, 19 juillet (A. G.).

[37] Lettres de Defrenne et surtout de Celliez à Bouchotte ; voir notamment celles du 30 mai et des 11 et 24 juin (A. G.).

[38] Tourville à Bouchotte, 7 juillet ; Defrenne à Bouchotte, 7 juillet ; Defrenne, commissaire du pouvoir exécutif à ses concitoyens, Maubeuge, 5 juillet (A. G.) ; cf. Journal de la Montagne, n° 43, 14 juillet.

[39] Le n° 25 du Journal de la Montagne et le n° 251 du Père Duchesne.

[40] A cet égard, Le Veneur a justifié Custine. Le général ne donnait pas alors le mot d'ordre tous les jours ; il faisait pour la quinzaine une série de mots d'ordre qu'il remettait entre les mains du chef d'état-major. Lorsqu'au mois de juin Custine alla visiter la Flandre maritime, il oublia de renouveler la série qui allait finir. Le Veneur, qui le remplaçait au camp de César, pria le chef d'état-major Des Bruslys de lui faire une série de mots d'ordre jusqu'à la fin du mois. Des Bruslys la fit. Quand Le Veneur s'aperçut que le mot d'ordre du 30 juin était Condorcet, Paris, Constitution, il commanda sur-le-champ de le changer. Des Bruslys promit, puis négligea de donner un autre mot d'ordre. Custine, écrivait Le Veneur, n'a donc aucune part à ce mot d'ordre, et il ne peut être inculpé pour cet objet ; il n'était pas à l'armée ce jour-là (Le Veneur au Comité, 27 juillet). Gay-Vernon, Custine et Houchard, 290, 343-344.

[41] Compère à son frère, 3 juillet (A. G. et Publiciste français, n° 240, 12 juillet ; lettre communiquée par Vincent à Marat) ; procès de Custine (Moniteur, 28 août) ; Celliez à Bouchotte. 6, 11, 13 juillet, et à Hébert, 19 juillet ; Bouchotte à Celliez, 11 juillet (A. G.) ; Père Duchesne, n° 257, 258 et 259.

[42] Bulletin de l'armée du Nord, 1er et 8 juillet (A. G.).

[43] Etait-ce le Francœur dont Thiébault parle au 1er volume de ses Mémoires (p. 408) et qui mourut cette année même au siège de Maubeuge, d'une amputation du bras gauche ?

[44] Celliez à Vincent, 30 juin ; Duhem à Gasparin, 30 juin ; Chérin à un représentant, 6 juillet ; Gadolle à Deforgues, 1er juillet ; Tourville à Bouchotte, 26 juillet (A. G.) ; Dauvers, Observ., 9.

[45] Bouchotte au Comité, à Custine, à Kilmaine, 12 juillet (A. G.) ; Rec. Aulard, V, 239 ; Père Duchesne, n° 262.

[46] Moniteur, 20 juillet ; Gay-Vernon, Custine et Houchard, 207-209.

[47] Rec. Aulard, V, 310, 325 ; Charavay, Carnot, II, p. 405, note 1.

[48] Quelques membres proposaient même d'arrêter Gay-Vernon qui avait accompagné Custine à Paris.

[49] 22 juillet, Moniteur du 23 et du 24.

[50] Père Duchesne, n° 263 et 272 ; Déclaration de Vincent contre Custine, p. 1-12.

[51] Crimes et forfaits, mœurs et liaisons du général Custine, p. 2 ; L'ex-général Custine traité comme il le mérite, p. 1-6.