LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

WISSEMBOURG

 

CHAPITRE XIII. — HAGUENAU.

 

 

Découragement de l'armée du Rhin. Les lignes de la Moder. Combat de Brumath. Abandon de Drusenheim. Dubois et La Boissière à Gambsheim. Conseil de guerre. Opinion de Villemanzy. L'armée derrière la Souffel. Surprise de la Wantzenau. Desaix à Reichstett. Autrichiens et Condéens à Wissembourg et à Haguenau. Brunswick et Wurmser. Appréhensions de Thugut.

 

Contrainte d'abandonner les lignes qu'elle regardait à tort comme imprenables, l'armée du Rhin était exaspérée, et, dans sa rage, elle attribuait la défaite aux commissaires de la Convention. Les représentants furent hués plusieurs fois, et, de leur aveu, exposés aux propos les plus indécents. Ruamps se vit assailli par des hussards et dut chercher un refuge dans la division de Ferey. Il s'humanisa à un tel point, dit Saint-Cyr, qu'il finit par nous paraître un bon homme[1].

Mais la division de Ferey, qui formait la gauche de l'armée, était encore intacte, encore solide, vigoureuse, et n'avait pas essuyé de revers. Le centre et la droite, entraînés par le courant de la déroute, n'offraient plus de consistance sérieuse. Les chefs, écrivait l'accusateur militaire Clément, n'ont montré ni tête ni courage. Nos soldats ne savaient où se rallier. J'ai vu des canonniers pleurant, et je les vois encore demandant des chefs. J'ai vu, non une retraite, mais une confusion ; rien n'était ordonné ; peu de monde a fait son devoir. 6.000 hommes, criant à la trahison des généraux, avaient fui sur le chemin de Haguenau et jusqu'à plus de douze lieues. Ils remplissaient Schiltigheim et assiégeaient les portes de Strasbourg. Plus de mille furent ramassés en vingt-quatre heures par les commandants des places ; les autres échappèrent à toutes les recherches et regagnèrent leurs foyers[2].

L'indiscipline n'avait jamais été si grande. Les officiers, les soldats se divertissaient dans les villes et ne répondaient pas aux appels. Ils passaient le temps à la taverne et rentraient au camp, énervés par la fureur des libations. Quelques-uns se querellaient et en venaient aux coups, d'autres ne payaient pas leur écot. La plupart craignaient de faire le moindre effort et de supporter la plus légère fatigue. Il y en eut qui refusèrent d'aller au feu. La bravoure individuelle, écrivait l'adjudant-général Demont, ne suffit pas ; il faut une parfaite harmonie et un juste ensemble. Aussi, l'armée du Rhin ne put-elle disputer le terrain aux envahisseurs[3].

Elle s'était retirée dans la soirée du 13 octobre sur Soultz et Surbourg. Mais Dubois, qui commandait la droite, avait reculé trop loin ; elle dut occuper une seconde position entre Haguenau et Bischwiller. Elle tenait ainsi les lignes de la Moder.

Ces lignes, construites pendant les campagnes de Turenne, s'étendaient d'Ingwiller à Drusenheim et présentaient une suite de redans qui formaient avec les courtines, selon la configuration du sol, un angle plus ou moins droit. Elles étaient, sur certains points, en aussi bon état que les lignes de Wissembourg. Ailleurs, et notamment aux environs de Haguenau, elles avaient presque entièrement disparu du sol sablonneux. Situées sur la crête d'une éminence de médiocre élévation, elles dominaient la vallée, fort large et peu profonde, de la Moder ; mais elles étaient trop éloignées de la rivière et pouvaient en défendre d'autant moins le passage que la Forêt sainte ou forêt de Haguenau, très rapprochée de la Moder, masquait l'attaque des ennemis. Elles offraient toutefois quelques avantages. L'armée qui les occupait, s'appuyait en même temps aux montagnes et au Rhin. Au centre, il est vrai, se trouvait Haguenau, et il ne restait des fortifications de la ville que des ouvrages avancés où la cavalerie montait aisément à l'assaut, un chemin couvert à peine reconnaissable et bouleversé chaque année par la bêche ou par le soc de la charrue, une muraille flanquée de tourelles et protégée de distance en distance par des demi-lunes dont le parapet, formé de sable mobile, n'avait pas la moitié de l'épaisseur convenable. Mais, à droite de la position, le bourg de Drusenheim, entouré de retranchements bien fraisés et bien palissadés, fournissait sur la Moder une solide tête de pont qui facilitait un retour offensif et l'approvisionnement de Fort-Louis. Telles quelles, les lignes de la Moder valaient celles de la Lauter ou toute autre position de la basse Alsace et du Palatinat entre Rhin et Vosges[4].

Mais Carlenc craignait d'être enveloppé par les vainqueurs. Il évacua Haguenau, après avoir fait remuer à deux bataillons quelques pelletées de terre, et vint établir son quartier-général à Hoerdt, derrière la Zorn. Il n'avait pas néanmoins lâché Drusenheim. Sa droite s'adossait à ce poste et s'étendait sur la Zorn par Herrlisheim et Offendorf. Son centre campait parallèlement à la rivière et barrait le chemin de Bischwiller à Strasbourg. Ses troupes légères observaient la chaussée de Brumath à Stephansfeld. Son avant-garde occupait Weyersheim[5].

Il ne resta pas longtemps dans cette position. Wurmser poussait sa pointe. Le 15 octobre, les Impériaux étaient à Soultz. Ils y célébrèrent une messe solennelle, et, après avoir chanté le Te Deum au milieu des salves de mousqueterie et d'artillerie, ils brûlèrent en un feu de joie des drapeaux républicains, des écharpes municipales et un gros amas d'exemplaires des décrets de la Convention. Le 47, ils prenaient possession de Haguenau. Le 18, ils s'ébranlaient pour camper entre Batzendorf et Kriegsheim. Les rapports des éclaireurs et des paysans leur avaient fait croire que les Français s'étaient déjà repliés derrière la Souffel, et tranquillement, sans souci, sans précaution aucune, ils marchaient sur Brumath. L'avant-garde, commandée par Meszaros, entrait à peine dans le village qu'elle fut saluée par un feu d'artillerie qui partait du pont, et par une grêle de coups de fusil qu'on lui tirait de toutes les fenêtres. Meszaros recula. Mais l'avant-garde française, sortant de Weyersheim, l'attaqua sur les flancs, pendant que la cavalerie assaillait ses derrières à Weitbruch et menaçait de lui couper la retraite. Un hasard le sauva. Kavanagh avait quitté Soultz deux heures plus tôt que ne le prescrivaient ses instructions : il eut le temps d'accourir à Weitbruch avec les brigades Kospoth et Brunner[6].

L'action était honorable pour les Français. Si la cavalerie légère méritait les blâmes de Carlenc, les dragons avaient exécuté des charges vigoureuses. Donadieu, capitaine au 11e régiment de cette arme, prit un étendard qu'il offrit dix jours plus tard à la Convention. Deux escadrons du même régiment dégagèrent brillamment une compagnie d'artillerie volante qui s'était laissé envelopper et qui perdit une de ses pièces.

Mais, comme à son ordinaire, la droite n'avait pas fait son devoir. Dès que Dubois vit le prince de Waldeck marcher à sa rencontre, il abandonna Drusenheim, et à tire d'aile gagna la Wantzenau. Un instant, il avait mis sa division en ordre de bataille dans la plaine entre Offendorf et Gambsheim. Soudain, on vint lui dire qu'un corps considérable filait le long du Rhin, à deux lieues derrière lui. La nouvelle était fausse et invraisemblable. Dubois déclara la retraite nécessaire. Elle fut couverte par La Boissière, un de nos meilleurs officiers de cavalerie[7]. La Boissière, a dit un contemporain, se replia à la tête d'un petit corps avec cette bravoure et cette intelligence qui caractérisent un militaire consommé, ne cédant de terrain que ce qu'il voulait en céder, présentant toujours à l'ennemi une attitude imposante, multipliant ses forces par la fréquence et la rapidité de ses mouvements[8].

Cette reculade de la droite entraînait celle du centre. Carlenc tint un Conseil de guerre auquel assistaient sept représentants du peuple. Il fallait prendre une résolution décisive. La plupart des conventionnels proposaient de se jeter sur la roule de Saverne. D'autres demandaient naïvement si l'on ne pourrait pas ranger les troupes en haie sur la chaussée. Le commissaire-ordonnateur Villemanzy et le chef du génie Clémencet l'emportèrent. Ils opinèrent que l'armée du Rhin devait conserver ses communications avec l'armée de la Moselle, laisser sa gauche à Saverne et placer sur-le-champ, dans la nuit même, sa droite et son centre derrière la Souffel. La place de Strasbourg, ajoutait Villemanzy, a constamment approvisionné les camps ; ses magasins de vivres et de munitions sont épuisés ; elle ne peut soutenir un siège ; l'abandonner à elle-même, c'est signer à l'avance sa capitulation[9].

L'armée du Rhin se retira donc le 18 octobre, à huit heures du soir, derrière la petite rivière de la Souffel, sous le canon de Strasbourg. L'avant-garde commandée par Combez, campait à la Wantzenau et détachait un bataillon au Jardin d'Angleterre. La droite avait pris position à Souffelweyersheim, et le centre, à Vendenheim, à Lampertheim, à Mundolsheim, à Niederhausbergen. La cavalerie qui formait deux corps, sous Diettmann et Lafarelle, occupait Hœnheim, Mittelhausbergen et Oberhausbergen. Le quartier-général était à Schiltigheim et l'ambulance à la Robertsau.

Mais cette suite de revers et de retraites avait achevé de rebuter l'armée. Les soldats étaient entièrement démoralisés. Un coup de canon les mettait hors d'eux-mêmes ; la plus légère alerte les livrait à la panique ; on avait une peine extrême à rétablir dans leurs rangs un peu d'ordre et de calme. Il règne, mandait Demont au Comité, une facilité à s'étonner du moindre événement imprévu, et il ajoutait que les entreprises les mieux combinées ne dépendaient plus que du hasard. Carlenc, saisi de désespoir, ne cessait d'offrir sa démission ; il assurait qu'il n'avait accepté le commandement que dans l'espoir d'être remplacé sous peu de jours, qu'il servirait plus utilement à la tête d'une division, qu'il ne savait conduire une armée. Les représentants ne cachaient pas leur douleur : ils voyaient les troupes épouvantées par le nombre des ennemis, manquant de confiance aux lumières des généraux, confondant l'incapacité avec la trahison ; ils jugeaient que le soldat n'avait plus cette assiette tranquille qui mène aux grandes vertus ; ils se plaignaient de ne trouver que des chefs ignorants qui faisaient des fautes. Il fallait donc, disaient-ils, employer de puissants moyens ; il fallait réveiller le courage abattu ; il fallait envoyer un bon général et un renfort de douze à quinze mille hommes ; il fallait mettre Strasbourg en état de défense ; la place serait incessamment assiégée, elle avait vingt-huit mille sacs de grains, mais toute sa provision de poudres était consommée[10].

Heureusement Wurmser perdit du temps. On croyait qu'il ferait le 20 octobre un nouvel effort. Il ne bougea pas ; il établissait son quartier-général à Brumath, point central, dit Demont[11], autour duquel son armée formait une espèce de croissant.

Pourtant, le 26 octobre, à la pointe du jour, Waldeck assaillit l'avant-garde française dans la Wantzenau. L'attaque, rapporte Demont, se fit avec une violence et une vivacité surprenantes. Tout favorisait les Autrichiens : ils connaissaient le mot d'ordre que leur avait livré le domestique de Béril, chef de brigade du 8e chasseurs à cheval ; ils avançaient à la faveur du brouillard ; ils abordaient une position dont le front était trop étendu, et des marais, des fossés, un seul pont à demi-portée de canon de la ligne de bataille, rendaient la retraite des républicains très difficile. D'ailleurs, les Français ne se gardaient pas, et leur cavalerie se mettait en selle que l'ennemi poussait ses hourras au milieu du village. Ils s'enfuirent précipitamment en laissant aux mains de l'agresseur cent soixante prisonniers, quatorze canons et deux obusiers. Mais le brave Combez les rallia derrière la Souffel et parvint à se maintenir dans le Jardin d'Angleterre.

En même temps les avant-postes de Meszaros et du colonel prince Hohenlohe se jetaient sur une brigade qui campait en arrière d'une ligne d'abatis dans le bois de Reichstett. La brigade fut un instant refoulée. Mais Desaix la ramena ; après un combat meurtrier, à la troisième charge, il réussit à reprendre le bois de Reichstett et chauffa, selon le mot de l'époque, les Impériaux jusqu'à l'entrée de Hœrdt. L'affaire, lit-on dans les relations autrichiennes, fut sanglante et indécise[12].

Tels furent les résultats de cette victoire de Wissembourg que les journaux allemands élevaient aux nues. Trois semaines après son triomphe, Wurmser était à Brumath, et les Français, étonnés de son état de tranquillité absolue, se demandaient s'il ne projetait pas quelque vaste entreprise : il se contentait de couvrir le blocus de Fort-Louis[13].

Wurmser comptait s'avancer sur Strasbourg sans rencontrer d'obstacle. Il s'imaginait que les Alsaciens recevraient les Impériaux à bras ouverts. N'affirmait-il pas depuis le mois d'avril les bons sentiments de la province ? L'accueil que lui firent les habitants de Wissembourg le détrompa. Vainement son fils cassait la municipalité républicaine et confiait l'administration à des royalistes. Vainement on disait une messe solennelle pour le repos de l'âme de Louis XVI. Vainement on exhumait le corps de Mauny, cet émigré fusillé par les carmagnoles, pour l'ensevelir en grande pompe dans le cimetière de la ville. Vainement les patriotes, ceux qu'on nommait les gueux, durent, le bonnet rouge sur la tête, balayer les rues ; ils sont suivis, écrit un gentilhomme, par un caporal-schlague et je trouve la punition charmante. Vainement les Condéens qui traversaient Wissembourg avaient ordre de crier Vive le Roi, et lorsqu'ils passèrent devant la maison commune, les princes de Condé, de Bourbon et d'Enghien, debout au balcon, unirent leurs acclamations à celles de leurs soldais. La population demeurait froide et gardait le silence ; pas la moindre marque d'enthousiasme, pas le moindre vivat ; seules, les femmes osaient avouer leurs préférences monarchiques.

Les émigrés accusèrent Wissembourg de circonspection. Haguenau leur parut moins tiède ; là du moins, les cœurs s'ouvraient, s'échauffaient, et le peuple, tout catholique et nullement gangrené, pensait à merveille. Hommes, femmes, enfants arborèrent spontanément la cocarde blanche et se jetèrent aux genoux du prince de Condé pour lui baiser les mains. Durant plusieurs jours, d'une porte à l'autre, dès que se montrait un Condéen décoré du brassard, on n'entendait que les cris : Vive le Roi, Vive Condé, Vive l'armée des nobles, Vire la noblesse ! La ville, livrée naguère aux jacobins, recouvrait son ancien aspect ; ses deux églises étaient rendues au culte ; les stettmestres, les conseillers, tous les ennemis du nouveau régime, enfuis sur l'autre rive, reprenaient possession de leurs maisons et de leurs biens ; les vieux costumes et les longues perruques reparaissaient dans les rues ; on reconnaissait des visages qu'on n'avait pas vus depuis deux, trois années[14].

Mais, lorsque Condé désira réunir sous ses drapeaux quelques milliers d'Alsaciens fidèles, Wurmser s'emporta : la cour de Vienne ne souffrirait sous aucun prétexte que le prince grossît sa petite armée. Les émigrés comprirent que l'Autriche voulait s'approprier l'Alsace. Leur colère s'accrut lorsqu'ils virent dresser sur les routes du Bas-Rhin des poteaux où figurait, au lieu des fleurs de lys, l'aigle autrichienne. Les habitants partageaient leur indignation. Wurmser venait donc en conquérant, et non en libérateur ! Plusieurs, outrés, exaspérés, s'enrôlèrent dans les troupes républicaines. Comme l'a dit Lavallette, on était Français en Alsace et l'on détestait encore plus les Autrichiens que les révolutionnaires[15].

A ce sentiment de patriotisme se joignit l'horreur que soulevèrent les cruautés des manteaux rouges. Élevés et organisés à la turque, ils coupaient la tête aux chrétiens qu'ils avaient tués. Leurs ravages, leurs excès de toute sorte firent exécrer le nom autrichien. On ne parlait qu'avec effroi de ces cavaliers aux cheveux noirs, aux pommettes saillantes, au regard farouche, à la taille colossale[16].

Enfin les Prussiens ne secondaient leurs alliés qu'à contre-cœur et avec leur mollesse coutumière. Brunswick avait rendu visite à Wurmser après la prise des lignes de Wissembourg. Il le félicita, l'embrassa, le nomma le vainqueur de la Lauter, lui dit les choses les plus obligeantes du monde, assura que cette expédition était la plus sérieuse, la plus belle qu'il eût jamais vue, et Wurmser, de son côté, remercia Brunswick- de son assistance et l'appela son sauveur ; les Prussiens, répétait-il, sont venus à propos et m'ont fait grand bien. Mais, lorsqu'au sortir des compliments et des congratulations, les deux généraux s'entretinrent des mouvements ultérieurs des armées, ils ne s'accordèrent plus. Wurmser invitait le duc à faire des démonstrations sur sa droite, et le duc répondait : Non seulement des démonstrations ! J'attaquerai aussi ; les Prussiens rougiraient de n'être que des spectateurs. Wurmser insista ; Brunswick ne pourrait-il assiéger Sarrelouis ? Le duc répliqua froidement que les ordres de son roi lui liaient les mains ; qu'il ne saurait dépasser Wœrth ni engager ses troupes dans des opérations que Sa Majesté prussienne n'approuverait pas ; qu'il prendrait bientôt ses quartiers de cantonnement, la droite à Kaiserslautern et la gauche à Spire. Wurmser pria le duc de s'emparer des forts de Lichlenberg et de la Petite-Pierre ; Brunswick objecta qu'il n'avait pas d'artillerie de siège. Pourtant, il envoya le général-major duc de Weimar reconnaître la contrée ; mais le duc de Weimar rapporta que les forts de Lichtenberg et de la Petite-Pierre étaient défendus chacun par cinq cents républicains et abondamment pourvus de vivres et de munitions. Finalement, Brunswick consentit à détacher de son armée un corps de six mille hommes qui bloquerait Landau[17].

Il n'y a rien à espérer des Prussiens, mandait Wurmser à Ferraris, ils ne veulent rien faire du tout, sie wollen gar nichts thun, et il annonçait qu'ils traîneraient en longueur le siège de Landau, comme celui de Mayence. Ferraris et Thugut partageaient l'avis du vieux général[18]. Ferraris disait tristement que les Prussiens étaient résolus à ne plus agir, qu'on ne pouvait plus considérer pour quelque chose l'armée de Brunswick, qu'on ne devait même pas demander à de tels alliés une coopération quelconque, et il conseillait à Wurmser d'assurer aussitôt ses quartiers d'hiver. Thugut flétrissait dans ses dépêches l'inactivité de Frédéric-Guillaume, sa conduite vraiment inouïe, ses procédés révoltants ; mais il mêlait aux invectives de noires prévisions. N'est-il pas à craindre, écrivait-il, que les Français, revenant à la charge avec des forces infiniment supérieures, n'obligent Wurmser d'abandonner l'Alsace et ne nous privent de tout le fruit d'une campagne qui a coûté tant de sang et tant de dépense ? Il devinait juste.

 

FIN DU HUITIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Les représentants au Comité, 18 oct. 1793 (A. G.) ; Saint-Cyr, I, 132.

[2] Clément à Bouchotte, 14 oct. ; Dièche à Bouchotte, 15 oct. ; les représentants au Comité, 18 oct. ; note de Legrand (A. G.) ; Moniteur, du 22 oct.

[3] Charlemagne à Dupin, 21 oct. ; Pichegru à Bouchotte, 13 nov. ; Demont au Comité, 16 oct. (A. G.). Demont (Joseph-Laurent), né à Sartrouville (Seine-et-Oise), était fils d'un chevalier de Saint-Louis, officier aux gardes Suisses ; successivement cadet au régiment suisse de Vigier, sous-lieutenant, lieutenant, aide-major avec brevet de capitaine au licenciement des régiments suisses, adjoint à l'état-major de l'armée du Rhin (1er oct. 1792), adjudant-général avec grade de lieutenant colonel (19 mai 1793), ii devait être suspendu par Bouchotte, puis remis en activité sur la proposition de Clarke. Il fut promu général de brigade le 17 pluviôse an VII et général de division le 21 décembre 1805.

[4] Note de Legrand (A. G.) ; Gebler, 134 : lignes insignifiantes, mais qui servaient à gagner du temps et à rallier une armée.

[5] Demont au Comité, 11 octobre (A. G.).

[6] Gebler 135-136 (les Autrichiens avaient 127 hommes tués ou blessés) ; Demont au Comité, 19 octobre (A. G.) ; Moniteur, du 29 octobre 1793 ; d'Ecquevilly, I, 201-206.

[7] La Boissière était noble ; il commandait naguère le 2e régiment de chasseurs à cheval et il était, depuis le 7 octobre, général de brigade provisoire.

[8] Note de Legrand (A. G.). Le rédacteur du Cabinet topographique rapporte qu'il se rendit à Strasbourg le 16 el qu'il demanda auparavant les ordres de Dubois ; nous nous verrons bientôt dans cette place, lui répondit le général.

[9] Note inédite de Clémencet ; note de Legrand (A. G.) ; Lavallette, Mém., I, 130. Voir sur Villemanzy, outre Ségur, Mém., 1834, I, 252 et 415, Invasion prussienne, 87 ; Expédition de Custine, 217 ; Mayence, 69, et plus haut, chapitre précédent. Dans cette même soirée du 18 octobre, où il donnait un si sage conseil, Villemanzy était pris à Brumath par des hussards autrichiens pendant qu'il faisait emballer et charger ses papiers. On l'accusa d'avoir exprès retardé son départ, et le 13 décembre, Dubois-Crancé, ignorant sa capture, demandait que le Comité de Salut public ouvrit enfin les yeux sur cet agent vil et bas des Lameth, qui était parvenu à se faire employer. (Moniteur, du 15 décembre.) Il est certain que Villemanzy se laissa prendre (cf. les témoignages de Baudot, Moniteur, 17 mars. 1794 ; d'Eickemeyer, Denkw., 184, d'Ecquevilly, I, 207-208 ; de Wurmser, Wagner, 279), qu'il correspondait avec Vioménil et qu'il ne cacha pas à Wurmser la triste situation de l'armée. Mais, dit Legrand, je n'ai pas rencontré un soldat, un officier, un commissaire des guerres, un administrateur militaire, qui ne déclarât hautement que Villemanzy joignait à une activité infatigable des talents prodigieux pour la partie si importante qui était confiée à ses soins. Sa facilité, suite ordinaire de l'ordre qu'il mettait dans son travail, était admirable, et on convient que dans les temps difficiles, l'armée aurait manqué vingt fois de subsistances sans les ressources étonnantes qu'il trouvait là où les autres n'en voyaient aucune. Les représentants du peuple, qui ne l'aimaient pas, n'avaient jamais osé le destituer, dans l'impossibilité de le remplacer. Custine le nommait un homme de la plus haute intelligence et grand travailleur (lettre à Pache, 31 oct.) et Biron écrivait que bien que terriblement étourdi par la journée du 10 août, il était précieux à conserver et avait tout ce qu'il faut pour taire un bon intendant d'armée (à Servan, 17 sept. 1792, A. G.).

[10] Demont et les représentants au Comité, 19 oct. ; Carlenc à Bouchotte, 14 et 20 oct. (A. G.).

[11] Demont au Comité, 23 oct. (A. G.).

[12] Demont au Comité, 26 et 28 octobre, note de Legrand (A. G.) ; Moniteur, 10 nov. (lettre de Milhaud et de Guyardin) ; Saint-Cyr, I, 139 ; d'Ecquevilly, I, 216 ; Gesch. der Kriege, I, 234 ; Gebler, 138 ; les Autrichiens avaient, dans cette journée, 22 officiers et 454 soldats tués ou blessés.

[13] Demont au Comité, 30 oct. (A. G.).

[14] Du Rosier à Linage, 16 oct. (A. G.) : d'Ecquevilly, I, 193-198, 201-204 ; Romain, II, 476-478 ; Klelé, Haguenau zur Zeit der Révolution, 1885, p. 179 ; note de Legrand (A. G.).

[15] Lavallette, Mém., 131 ; d'Ecquevilly, I, 204-205 ; Soult, I, 69.

[16] Laukhards Leben und Schicksale, 1796, III, 482 ; Reminiscenzen aus dem Feldzuge am Rhein, von einem Mitgliede der damaligen preuss. Rhein-armee, 1802, p. 54.

[17] Zeissberg, I, 321-322, 329 ; Wagner, 150, 153 ; d'Ecquevilly, I, 200.

[18] Zeissberg, I, 329, 330, 341, 352.