I. Combats du 18, du 19 et du 20 septembre. Acharnement des deux partis. Craintes de Landremont. — II. Recrudescence de colère contre les officiers nobles. Suspension de Landremont. Delmas et Pichegru. Message alarmant de Clarke. L'intérim de Munnier. Carlenc, général en chef de l'armée du Rhin. — III. Le plan de Carlenc. Ses lieutenants. Suspensions sur suspensions. Les lignes de la Lauter. — IV. Entrevue de Pirmasens. Ferraris et Brunswick. Bataille du 13 octobre. Waldeck à Seltz. Jellachich à Lauterbourg. Hotze dans le Bienwald, à Saint-Remy et à Schleithal. Meszaros à Steinfeld. Prise de la grande redoute. Meynier et Combez. Victoire de Wurmser. Entrée des Autrichiens à Wissembourg. — V. La division des montagnes. Retraite de Ferey. Brunswick maître des gorges.I. Landremont n'était pas resté dans l'inaction depuis qu'il avait si heureusement ressaisi le poste de Bundenthal. Le 18, le 49, le 20 septembre il dirigeait contre les Impériaux de Hotze et de Jellachich campés dans la forêt de Bienwald, des attaques sérieuses[1]. L'acharnement était égal des deux parts. Les Autrichiens épuisèrent toutes leurs munitions et durent emprunter aux Prussiens de la poudre et des balles. Leurs pièces s'échauffaient tellement à force de tirer qu'il fallut, pour s'en servir encore, les rafraîchir à de fréquents intervalles. Mais les Français n'étaient pas moins obstinés. Le 18, dans les bois de Schaidt, leurs blessés crièrent Vive la République et firent le coup de fusil jusqu'à la nuit close. Un caporal du 1er bataillon de la Corrèze ne cessa de se battre, bien qu'il eût un doigt de la main gauche emporté. Des Corréziens pissaient sur le canon de leur arme pour le refroidir et le charger sans enflammer la poudre. D'autres pissaient dans le canon même, pour le laver et le frotter ensuite avec un lambeau de leur chemise. Le bataillon fiait par manquer de cartouches. Il fonça, la baïonnette en avant ; les ennemis s'enfuirent en laissant sur la place les marmites avec leur soupe, les pots remplis de pommes de terre, les écuelles pleines de café au lait et sur un autel, dans une baraque de branchages, un pâté tout frais[2]. La lutte s'opiniâtra surtout à la droite de l'armée française. Le 19 septembre, les républicains, conduits par Legrand et Dubois, se portèrent dans le Bienwald ; mais l'adversaire, dit Dubois, était fortement retranché dans un ravin, et à peine lui voyait-on le nez ; les patriotes durent céder. Le 20, ils revinrent à la charge. On fut aux prises de quatre heures du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi avec une rage indescriptible. Le soldat, écrit un général, écumait de colère. Cette fois encore, il fallut plier sous le nombre : notre droite avait plus de trois cents hommes hors de combat, et l'on comptait parmi les blessés une foule d'officiers et la plupart des colonels, entre autres le commandant du 4e bataillon des volontaires du Bas-Rhin, Ortlieb, qui venait de recevoir son brevet de général. Dubois avouait que, si de semblables revers se produisaient souvent, les troupes ne pourraient plus tenir les lignes[3]. Comme toujours, Landremont n'assaillait les Impériaux que partiellement, et n'osait entreprendre une attaque générale. Personne ne commandait, a dit un contemporain, personne n'obéissait ; on dénonçait, on destituait, le désordre était extrême ; le courage individuel ne faisait pas faute au moment de l'action ; mais chacun allait à sa guise et l'ensemble manquait ; demander pourquoi on ne fit pas telle ou telle chose, c'est demander pourquoi le chaos est la confusion t[4]. Il est vrai que Landremont ne disposait que de 31.000 hommes ; 7.000 formaient l'avant-garde ; 11.000 protégeaient Lauterbourg et la droite de la position ; 7.000 occupaient les gorges de Nothweiler ; 4.000 composaient sa cavalerie. Bouchotte prétendait lui démontrer par les états de situation que l'armée du Rhin comprenait plus de 150.000 hommes. Le général soutenait que sa force réelle, effective, combattante, ne montait qu'à 31.000 hommes, et encore ne se défendait-il qu'en jetant sur l'endroit menacé les troupes qu'il avait sous la main et en mettant tous ses œufs dans un même panier. Mais il doutait du succès et assurait qu'il ne pourrait garder plus longtemps les lignes de Wissembourg, s'il ne recevait des renforts. Que les ennemis, disait-il, attaquent tous les points à la fois, et ils feront leur trouée d'un côté ou de l'autre. Il n'avait plus d'obus, plus de munitions. Son armée vivait au jour le jour, et sans l'infatigable Villemanzy, elle eût déjà manqué de pain. Enfin, il se plaignait des représentants qui contrôlaient ses moindres actes et le gênaient cruellement dans ses opérations. Tous les pouvoirs, marquait-il à Schauenburg dans une lettre confidentielle, se contrarient et semblent vouloir tout désorganiser[5]. Qu'on juge de son désespoir lorsqu'il apprit que les
Prussiens avaient rejeté l'armée de la Moselle sur l'autre rive de la Sarre !
Depuis quelques jours il redoutait ce fatal événement, et, avec une anxiété
croissante, il recommandait à Schauenburg de ressaisir le Ketterich, d'où
l'adversaire pouvait gagner Niederbronn ; il le priait instamment de défendre
la Main-du-Prince et de mettre René Moreaux sur ses gardes. Aussi, lorsqu'il
sut la nouvelle, les Prussiens, s'écriait-il,
vont me tourner par ma gauche, pendant que les
Autrichiens attaqueront mes lignes ! Je n'ai pas assez de monde pour me flatter
de conserver ma position ! Ah ! si j'avais 45.000 hommes de plus, les
ennemis ne passeraient pas ! Néanmoins il fit sagement, secrètement,
ses préparatifs de retraite. Il craignait surtout pour Strasbourg ; la place,
disait-il, était absolument dépourvue de vivres ; elle n'avait pas le
cinquième de ses munitions de siège, elle ne tiendrait même pas trois jours.
Il ordonna de pourvoir à sa défense, mais silencieusement et sans fracas ; n'ébruitez rien, écrivait-il à Dièche, paraissez occupé du passage du Rhin et faisons tout pour
sauver Strasbourg[6]. II. Mais à l'instant où le vaillant soldat se préparait à défendre avec plus d'ardeur que jamais la frontière de l'Alsace, le Comité de salut public le dépouillait de son commandement. Il jugeait que le général exagérait la détresse de l'armée et le dénuement de Strasbourg : la plus forte place de l'Alsace ne tiendrait-elle que trois jours et pouvait-on compter sur l'homme qui faisait une pareille déclaration ? D'ailleurs, Landremont était noble, et la fuite d'Arlande, son lieutenant, avait accru la haine contre les ci-devant. Les représentants Lequinio et Lejeune ordonnaient l'arrestation de tous les nobles du département de l'Aisne, et Milhaud écrivait des bords du Rhin qu'on ne devait mettre à la tête des Français que des hommes du peuple : il faut détruire Carthage, il faut détruire la noblesse. Les commissaires des assemblées primaires demandaient qu'aucun noble ne fût admis aux emplois civils et militaires avant la fin de la guerre. La citoyenne Lacombe, guidant une députation de la Société des Républicaines, sommait la Convention de décréter la destitution de tous les aristocrates. Les Jacobins de Paris exigeaient davantage : avant tout, disaient-ils à l'Assemblée, bannissez cette classe chargée de crimes qui occupe encore insolemment les premiers postes de nos armées ; les nobles furent toujours les ennemis irréconciliables de l'égalité et de l'humanité entière ; qu'on leur ôte tout moyen de grossir les hordes de nos adversaires ; qu'ils soient mis en prison jusqu'à la paix. Et la Convention, intimidée, décidait que les sociétés populaires dresseraient la liste des suspects qui servaient dans les armées[7]. Le 24 septembre, Bouchotte annonçait qu'il destituait Houchard, Schauenburg et Landremont : Houchard était remplacé par Jourdan ; Jourdan qui commandait l'armée des Ardennes, par Jacques Ferrand ; Schauenburg, par René Moreaux ; Landremont, par Delmas. Les quatre armées qui protégeaient la frontière du nord-est changeaient donc de général ! La Convention s'émut. Du Roy prit la défense de Landremont avec une généreuse chaleur : Landremont, disait-il, possédait la confiance de ses soldats, il rendait de grands services à la République, il se montrait excellent patriote. Quant à Delmas, ajoutait Du Roy, il avait déployé sa bravoure à la tête du 1er bataillon des volontaires de la Corrèze, mais il était jeune encore et incapable d'arrêter un plan, de diriger de vastes mouvements. Craignez, conclut Du Roy, de nuire aux intérêts de la France par des destitutions trop précipitées ; il ne suffit pas d'avoir fait la Révolution à Paris pour être général habile ; ne confiez vos armées qu'à des hommes instruits et laissez-leur des officiers qui, pour avoir le malheur d'être nés nobles, n'en sont pas moins sans-culottes. Ce discours excita des murmures. Duhem répondit qu'il fallait, pour éviter toute trahison, ne plus employer la noblesse ; Raffron, que les patriotes commettraient peut-être quelques fautes, mais qu'ils sauraient promptement s'instruire et ne trahiraient jamais ; Jeanbon-Saint-André, que le courage et l'impétuosité des soldats suppléeraient aux talents des généraux. La Convention décréta que le Comité de salut public lui ferait un rapport sur la lettre de Bouchotte. Le lendemain, Barère prit la parole, au nom du Comité. Tous les nobles, disait-il, étaient des traîtres commencés, et la voix du peuple s'élevait contre eux. Quoi ! on les combattait et ils menaient la guerre ! Ne fallait-il pas mettre à leur place des sans-culottes d'état et de principes ? Le Comité avait donc, de concert avec Bouchotte et les représentants, destitué les nobles et les gens suspects. Robespierre appuya Barère, et le même jour, à la séance des jacobins, il déclara que Landremont, noble et très noble, comblé des faveurs du tyran, n'avait rien fait de son armée, et que si le jeune Delmas le remplaçait, c'est qu'aucun vieillard n'avait donné autant de preuves de talent et de patriotisme[8]. Mais Delmas était enfermé dans Landau. Le ministre nomma Pichegru qui commandait la division du Haut-Rhin. Deux fois de suite, Pichegru refusa, soit par modestie, soit plutôt, dit un contemporain, parce qu'il connaissait la situation[9]. Les représentants avaient sollicité la destitution de Landremont et dans une conférence secrète à la Petite-Pierre, ils décidaient d'envoyer deux d'entre eux, Lacoste et Mallarmé, au Comité de salut public pour demander que les nobles fussent expulsés des armées. Landremont, écrivaient-ils, ne servait pas de bonne foi ; il avait des forces considérables dont il ne faisait aucun usage ; il dégoûtait les agricoles qu'il ne savait pas employer à propos ; il exécutait maladroitement l'attaque générale du 12 septembre. Mais, pendant que Lacoste et Mallarmé prenaient le chemin de la capitale, un courrier extraordinaire venait annoncer aux représentants que Landremont était destitué et remplacé par Delmas. Ils le firent aussitôt arrêter et conduire à Paris. Si l'armée du Rhin se trouvait dans une position critique, n'était-ce pas l'effet de combinaisons perfides avec les ennemis, et ne pouvait-on soupçonner Landremont d'avoir trempé dans le complot[10] ? Ils étaient néanmoins fort embarrassés. Où prendre un général, se disaient-ils, nous n'en connaissons pas. Et, dans le même moment,
ils recevaient de Clarke la lettre la plus désespérée, la plus navrante[11]. Le péril
n'avait jamais été si grave, et la crise, si violente. Pas de chef, pas de
plan. Il fallait un général, et un général qui eût du patriotisme, qui eût
des vues militaires, qui eût le plus grand génie ; envoyez-le,
si vous le connaissez, qu'il vole, qu'il ne perde pas un seul instant,
et au nom de la patrie, Clarke suppliait les commissaires d'arriver
sur-le-champ pour remonter le moral d'une armée qui ne pouvait se passer de
leur présence[12]. Munnier, le plus ancien divisionnaire, n'avait pu refuser l'intérim. Mais il ne voulait pas se charger de la responsabilité qu'entraine le commandement d'une armée. A toute minute il réclamait un successeur et, pour ne pas se compromettre, il ne donnait aucun ordre. Saint-Cyr vint à Wissembourg demander ses instructions. Que devait faire la division des montagnes que les Prussiens tourneraient sûrement ? Munnier se promena longtemps dans la chambre sans ouvrir la bouche. Saint-Cyr crut qu'il méditait. Mais le général gardait toujours le silence. Enfin, Saint-Cyr le pria de notifier sa volonté. Répétez-moi, répondit Munnier, ce que vous m'avez dit. Saint-Cyr le répéta, en ajoutant qu'il était nécessaire de prendre un parti, quel qu'il fût. Munnier répartit qu'il ne donnerait aucun ordre : Allez-vous-en et faites ce que vous voudrez[13]. Les représentants, persuadés qu'ils ne pourraient vaincre cette obstination stupide, lui cherchèrent un successeur et ne trouvèrent personne. Mais Ruamps s'était lié avec Borel, officier du 11e régiment de dragons et adjoint à l'état-major. Il invita Borel à lui désigner quelques sujets et Borel indiqua son camarade et ami, le chef d'escadron Carlenc qui commandait le dépôt du 11e dragons à Benfeld ; selon Borel, Carlenc était du bois dont on fait un général, il avait du civisme et il entendait, la guerre. Le 20 septembre, Ruamps et Borie nommaient Carlenc général de brigade et l'appelaient de Benfeld à Wissembourg. Le 1er octobre Ruamps, Borie et Mallarmé lui conférèrent le grade de général de division : il fallait, disaient-ils, donner à l'armée des généraux qui par leurs connaissances pussent triompher des ennemis qui la cernaient de toutes parts. Le 2 octobre, à huit heures du matin, Ruamps, Borie et Niou lui offraient le commandement en chef de l'armée du Rhin. Carlenc refusa de toutes ses forces cet avancement qu'il qualifiait de prématuré ; il déclara que le fardeau l'écraserait. Mais les représentants le sommèrent d'obéir, d'entrer sur-le-champ en fonctions, et le brave Carlenc laissa mettre sa nomination à l'ordre[14]. Il était dragon et n'était que dragon ; il pouvait commander un escadron, un régiment, voire une avant-garde ; il ne possédait ni l'expérience ni les talents qu'exige la conduite d'une armée ; il ne savait même pas ce que c'est qu'une armée. Mais aux yeux des représentants, qui cherchaient des Washington sous la tente[15], c'était un officier de fortune, méconnu par l'ancien régime, et il avait une grande réputation de patriotisme. Depuis trente-trois ans Carlenc servait dans un régiment qui le considérait comme son conseil et son plus ferme appui. Il avait adopté les principes de la Révolution, sans craindre les tracasseries et les vexations de ses camarades de la noblesse. Un instant, pour échapper aux dégoûts dont l'abreuvaient les aristocrates, il avait abandonné sa place de lieutenant et accepté les fonctions d'aide-de-camp du général Ferrier. Mais le 11e dragons l'avait bientôt rappelé comme chef d'escadron, et tout le régiment vantait son dévouement à la chose publique, sa loyauté parfaite, sa conduite irréprochable et l'austérité de ses vertus républicaines[16]. III. Carlenc se renfermait volontiers en lui-même et aucun de ceux qui l'approchaient ne put d'abord pénétrer ses desseins. Il disait seulement qu'il ne voulait pas de petits moyens, ni des mesures partielles ou mesquines ; il méditait un vaste plan d'opération ?, et sûrement il terminerait la campagne par un coup décisif. On concevait déjà la plus haute idée de son mérite et nul n'osait troubler le sublime projet qui germait et grandissait dans son cerveau. Quelle fit la surprise de l'état-major lorsqu'il donna ses premiers ordres ! Il fallait placer tous les troupes de l'armée du Rhin à leur rang de bataille et les échelonner selon les numéros des régiments : le 1er régiment irait occuper Huningue à l'extrême droite et le 400e régiment Lauterbourg à l'extrême gauche. Voilà où aboutissaient les longues réflexions de Carlenc[17] ! Conduite par un pareil homme, l'armée était certaine de la défaite. Mais la plupart des lieutenants ne valaient pas mieux que le général. Le commandant de l'artillerie Ravel et le chef du génie Clémencet n'étaient jamais consultés[18]. Ferino, indiqué de la destitution de Landremont, partait le 1er octobre après s'être pourvu d'un certificat de maladie ; les représentants le firent aussitôt arrêter et conduire à Nancy ; n'était-ce pas la maladie de Beauharnais, lorsqu'il voulut quitter les lignes ?[19] L'intrépide Meynier, le glorieux défenseur de Königstein, tout récemment échangé, remplaçait Ferino à l'avant-garde ; mais il n'avait pas encore un état de situation exact et il ignorait le nombre de ses bataillons[20]. Munnier, le vieil et imbécile Munnier, ce Munnier dont la nullité épouvantait Custine, ce Munnier dont le soldat ne connaissait que les lésineries et les ladreries, commandait le centre de l'armée[21]. La droite avait été confiée provisoirement à un protégé du représentant Niou, un cousin de Jean De Bry, le général de brigade Alexis Dubois ; mais Dubois se déclarait franchement incapable de diriger un corps de dix mille hommes : il servait depuis son enfance dans les troupes à cheval et ne désirait qu'une brigade de cavalerie... à moins qu'il ne fût nommé définitivement général de division[22]. Et chaque jour les représentants prononçaient des
suspensions. Borie et Ruamps, a dit Desaix, ne
savaient que désorganiser l'armée ; ils lui ôtaient ses meilleurs officiers
et croyaient par là s'assurer la victoire[23]. Ils ne
faisaient en réalité qu'exécuter les ordres réitérés du Comité de salut
public. Ne cessez pas un seul instant, leur
écrivait-on, de veiller sur les généraux, ne leur
pardonnez rien, c'est presque toujours par leur trahison que l'armée est
compromise et dès qu'elle n'aura plus à sa tête que des francs républicains,
elle pourra tomber sur les cohortes des tyrans. Mais les représentants
oublièrent que le Comité leur enjoignait de toucher aux états-majors sans secousse et sans danger pour les troupes[24]. Ils
suspendaient le 25 août le général Xaintrailles[25]. Ils
suspendaient le 27 août le général Beaurevoir[26]. Ils
suspendaient le 12 septembre le général Gilot qui leur semblait manquer de
décision[27].
Ils suspendaient le 10 octobre le général Loubat, un ex-noble, qu'ils accusaient de tenir des propos
inciviques et de garder un reste d'affection pour les privilèges de
l'aristocratie[28].
Ils suspendaient le 8 octobre le vieux Colle qui commandait à Haguenau. :
Colle, disaient-ils, avait un fils émigré ; il n'avait pas mis le fort de
Lichtenberg en état de défense ; il confiait les postes du Rhin à des blancs-becs,
à des gens inexpérimentés et équivoques[29]. Et quel
successeur les représentants lui donnaient-ils ? Desaix ! Le jeune, le brave,
l'actif Desaix avait été envoyé à Bobenthal ; il connaissait les gorges de la
Lauter et il était mieux fait pour conduire une avant-garde dans les
montagnes que pour diriger le dépôt de Haguenau. Mais vainement ses officiers
le prièrent de différer son départ ; vainement ses soldats témoignèrent leur
douleur en le voyant s'éloigner ; Desaix était noble et craignait de devenir
suspect. Il part donc en laissant ses pouvoirs au colonel du 7e bataillon
d'infanterie légère, Trentinian, et, le 12, à onze heures du soir, il entre
dans Haguenau. A deux heures du matin, il reçoit l'ordre de retourner à son
poste. il se remet en route à cinq heures et regagne Bobenthal à midi, après
une course inutile, pendant que le canon tonne de toutes parts[30] ! L'incurie était si grande qu'on laissait les Autrichiens préparer ouvertement leur attaque, sans même les inquiéter. Une nuit, ils palissadèrent un chemin creux et très étroit aux abords de Schaidt. Ferino s'aperçut que ces palissades étaient de grosses poutres qui devaient faire bascule et en s'appuyant sur les deux bords de la roule, servir de pont à l'artillerie. Mais on ne tint aucun compte de l'observation, et personne n'eut l'idée d'interrompre ou de détruire le travail des Impériaux[31]. Tout était pêle-mêle. Des bataillons campaient au milieu d'une division à laquelle ils n'appartenaient pas, et durant l'action, reçurent de différents côtés des ordres contradictoires. Clarke, chef de l'état-major, tâcha de mieux disposer les troupes et de les remettre à leur place dans la ligne de bataille ; mais il n'eut pas le temps de régler et de diriger les mouvements ; il fut, lui aussi, suspendu le 10 octobre : il avait eu, disaient les représentants, des liaisons avec la maison d'Orléans, il n'aimait pas la Révolution, et il était de cette caste que tous les sincères républicains suspectaient[32]. Enfin, l'armée, aguerrie par les combats qu'elle avait livrés quotidiennement sous la conduite de Beauharnais et de Landremont, commençait à se lasser et n'allait plus au feu avec le même entrain. Il est vrai que les lignes de la Lauter passaient pour inattaquables. Toutes les gazettes vantaient la puissance de ce boulevard de l'Alsace. Le Moniteur les proclamait inexpugnables et assurait que Wurmser ne les emporterait pas tant que Brunswick n'essaierait pas de les prendre à revers ; suivant ce journal, il fallait, pour les assaillir de front, sacrifier une prodigieuse quantité d'hommes sans certitude de succès, et il ajoutait que les forces de la République, depuis Landau jusqu'à Huningue, présentaient un tableau dont l'histoire ne fournissait pas d'exemple, et une barrière si formidable que l'imagination la plus ardente pouvait à peine s'en faire une idée[33]. Ces lignes fameuses ont aujourd'hui disparu presque entièrement. Le fer de la charrue les a nivelées, et les sapins couvrent et cachent sous leur verdure les redoutes qui subsistent encore. Ébauchées en 1705 par le margrave Louis de Bade, renversées la même année par les Français, reconstruites aussitôt et considérablement accrues sur l'ordre de Villars par l'ingénieur Regemorte, franchies aisément pendant la guerre de la succession d'Autriche par les pandours de Nadasty, négligées plus tard, elles avaient été rétablies tant bien que mal et sans beaucoup de discernement par Custine et les généraux de l'armée du Rhin. Wissembourg et Lauterbourg, sur la rive droite de la Lauter, formaient, comme autrefois, les deux extrémités de la ligne. Wissembourg n'était, selon le mot de Van Helden, qu'un simple contour, dominé de tous côtés[34]. Mais, si l'on n'avait pas relevé les épaulements qui couronnaient la montagne du Pigeonnier, les hauteurs du Geisberg, en arrière de Wissembourg, étaient garnies de troupes, et l'on avait retranché le village d'Altenstadt et réparé le petit fortin dit de Saint-Remy. A l'autre bout, Lauterbourg, protégée par un marais, entourée d'une muraille et d'un fossé, n'avait plus sa force principale qui consistait dans l'inondation : une crue d'eau extraordinaire avait récemment emporté ses digues faites d'un sable mobile. Toutefois on avait mis en état de défense, aux environs de la ville, quelques parties des lignes, et une redoute s'élevait au moulin de Bienwald. La position française dite de Wissembourg ou de la Lauter avait donc une longueur considérable, et les détachements chargés de la garder, étaient trop éloignés les uns des autres. Elle offrait en outre un grave inconvénient : en face d'elle et tout près des retranchements, sur la rive gauche, s'étendait la forêt de Bienwald. Les Autrichiens occupaient la plus grande moitié de cette forêt qui se liait à celle de Germersheim. Il fallait les observer, les tenir en respect, et pour mieux découvrir le revers du Bienwald, on avait dû poster une grosse avant-garde au village de Steinfeld. Mais cette avant-garde s'était retranchée à son tour ; on l'avait nécessairement renforcée, et la position française, appuyant sa droite à Kapsweyer, son centre au château de Haftel et sa gauche à Oberotterbach, s'allongeait démesurément sur l'autre bord de la Lauter. Au lieu de se placer, comme il était naturel, derrière la rivière, l'armée du Rhin presque entière se trouvait en avant des lignes de Wissembourg et avait un défilé à dos. Et quel singulier et confus assemblage de retranchements ! Jamais on n'entassa sur un terrain étroit autant de fortifications. On transformait en batteries à barbette, puis en redoutes, tous les emplacements des bouches à feu. Chaque chef, chaque commandant de poste, — et ces chefs et commandants se succédaient avec une prodigieuse rapidité — commençait un ouvrage et ne l'achevait pas. Il y avait donc un nombre infini de redoutes, incomplètes d'ailleurs, imparfaites et sans rapport entre elles. Les chemins qui menaient aux batteries n'étaient pas praticables ; le temps avait manqué pour les construire, et les représentants faisaient un crime aux généraux de préparer à l'avance une route qui servirait à la retraite. Retraite ! Un pareil mot ne devait pas être prononcé. On ne voulait pas l'entendre ; on le proscrivait comme indigne des Français, des républicains, des sans-culottes, et, au lieu d'une retraite, on eut une déroute où presque toute l'artillerie tomba dans les mains de l'adversaire ! On a dressé la liste des principaux ouvrages qui formaient sur la rive gauche de la Lauter les lignes de Wissembourg. C'était d'abord, à la lisière du Bienwald et jusqu'à la hauteur de Steinfeld, une longue suite d'abatis couverte au sud de Schaidt par deux lunettes et près du moulin de Bienwald par une redoute. Puis venaient une flèche, sur la pente qui descend de Schweigen au Windhof ; Une deuxième flèche sur l'éminence qui domine Altenstadt ; Une grosse redoute dite de Schweigen et une troisième flèche sur le Wolfsberg ; Une autre redoute, moins considérable, entre Kapsweyer et le château de Haftel. Devant ces fortifications se développait le véritable front de défense. On y trouvait, outre les deux lunettes qui couvraient les abatis du Bienwald, la grande redoute établie entre Gross Steinfeld et Klein Steinfeld, à l'extrême droite de l'avant-garde et sur la ligne des vedettes. Elle passait pour un chef-d'œuvre et les soldats la nommaient la Bastille. Mais, dit un officier, elle valait comme ouvrage de campagne ce que la Bastille valait comme forteresse ; ce n'était qu'un simple épaulement qui couvrait canons et canonniers contre une attaque de front. Clémencet y ajouta quelques flancs qui protégeaient les approches, et, sur l'ordre de Ferino, il fit combler une tranchée qu'on avait étourdiment pratiquée à gauche et qui, dépourvue de saillant, de rentrant et d'intervalle, offrait aux ennemis une sorte de chemin couvert. Mais la redoute était ouverte par derrière, et pour la soutenir ou empêcher qu'elle ne fût tournée, il fallut mettre au bivouac un corps de cavalerie qui restait sur le qui-vive et avait ses chevaux toujours bridés. Enfin, les représentants eurent l'imprudence d'y installer deux pièces de 24 venues de Strasbourg, sans comprendre que ces lourdes machines qui ne pouvaient avancer ni reculer à temps, seraient absolument inutiles. A l'ouest de la Bastille et au nord de Niederotterbach une lunette défendait la route ; La hauteur qui s'élève de Steinfeld au château de Haftel et qui atteint au Galgenberg son point culminant, portait cinq ouvrages dont trois redoutes à droite, et deux flèches à gauche du Haftelhof ; Plus loin se dressaient sur le Wachtberg une flèche et une lunette ; Sur la Hornhöhe, au Heyhof, une redoute ; Sur le Wonneberg, au sud de Bergzabern, une dernière redoute[35]. La défense de cette ligne de retranchements était ainsi répartie. L'avant-garde, commandée par Meynier, appuyait sa droite à Schaidt, poussait sa gauche au-delà de Bergzabern, et gardait, avec Oberotterbach, les deux grandes redoutes de Schweigen et de Steinfeld. Le centre, sous les ordres de Munnier, occupait le Bienwald. La droite, conduite par Dubois, s'étendait du moulin de Bienwald à Lauterbourg et protégeait Lauterbourg, Scheibenhard et Seltz. La réserve, confiée à Diettmann, était postée sur le Geisberg et devait couvrir la retraite de l'armée[36]. IV. Le roi de Prusse avait promis à Ferraris que son armée ferait un mouvement pour tomber sur le flanc gauche des patriotes et que, si Wurmser emportait les lignes de Wissembourg, elle bombarderait et bloquerait Landau. Le 2 octobre, Brunswick et Ferraris traçaient à Pirmasens un plan d'opérations. Ferraris déclarait énergiquement qu'il fallait déloger l'ennemi de Wissembourg. On convint que Wurmser attaquerait les lignes dans la matinée du 13 octobre et que les Prussiens lui prêteraient main-forte, qu'ils chasseraient les Français de Lembach, pousseraient sur Wœrth, détacheraient à droite jusqu'à Saverne un corps de cavalerie, et se lieraient aux Autrichiens dans la forêt de Haguenau. Ce plan adopté, Ferraris partit pour Vienne, en souhaitant à Wurmser santé, bonheur et beau temps. Ces souhaits sont accomplis, écrivait Wurmser quelques jours après, ma santé est excellente, le bonheur suit mes pas, et le 13 octobre était un jour d'été et le plus beau de ma vie[37]. Le 13 octobre, en effet, avec 43 bataillons et 67 escadrons, il avait attaqué les lignes de Wissembourg. Son armée formait sept colonnes qui s'ébranlèrent à cinq heures du matin, au signal de trois coups de canon. Le spectacle était imposant. Il faisait encore nuit, et soudain, comme par enchantement, sur une étendue de plusieurs lieues, s'illumina l'horizon. On distinguait à perte de vue deux lignes de tirailleurs qui se fusillaient l'une l'autre. Puis l'aurore se leva ; tout s'anima ; tout s'emplit de mouvement et de bruit ; on découvrit des troupes d'infanterie, de cavalerie, d'artillerie s'avançant de tous côtés, à travers la campagne, sur les sommets des coteaux, à la lisière des bois, et annonçant de loin par l'ordre et la régularité de leur marche, par la fierté de leur allure, le courage qui les animait et leur résolution de vaincre[38]. La première colonne, commandée par le prince de Waldeck, passa le Rhin à Plittersdorf sur des pontons et entra dans la petite ville de Seltz[39], où elle fit quelques prisonniers et s'empara de deux pièces. Mais Waldeck n'entendit pas le canon de Lauterbourg ; il crut que l'attaque des lignes avait échoué ; il n'osa, au milieu du brouillard, dépasser Mothern ; il fut, comme dit Wurmser, dérouté, et, dans la soirée, il regagnait l'autre bord. La deuxième colonne que conduisait Jellachich, assaillait l'extrême droite de la position française. Elle emporta la redoute la plus proche du Rhin et, franchissant les lignes, marcha sur Lauterbourg. Le général Dubois évacua la ville et se retira vers Surbourg. Mais au lieu de serrer de près les républicains ou de courir au secours de la colonne voisine, Jellachich resta dans Lauterbourg. Il n'a rien fait, écrivait Wurmser, de tout ce qui a été ordonné. Sa cavalerie mit pied à terre entre Niederlauterbach et Neeweiler, et son inaction était si profonde, si rassurante que les Français revinrent à la charge. Sans un escadron qui donna l'éveil et se jeta courageusement à la rencontre des agresseurs, la cavalerie de Jellachich aurait été taillée en pièces. Aussi a-t-on pu dire que la gauche autrichienne n'eut aucune influence sur la bataille et sembla ne pas exister. Timides, irrésolus, Jellachich et Waldeck n'avaient pas cette rapide et heureuse décision qui sait agir au moment propice, suivant les circonstances, et sans autres instructions que celles du bon sens. Mais les généraux français qui combattaient en cette partie étaient-ils moins incapables et moins faibles ? L'un d'eux, perplexe, ne sachant que faire, consultait le commissaire des guerres Martellière et, sur son refus, le sommait, au nom de la loi, de lui donner son avis. Un autre n'annonçait pas au général en chef le passage de Waldeck, mais envoyait la nouvelle aux Jacobins de Strasbourg et leur demandait sur quel point il devait opérer sa retraite ! La troisième colonne, aux ordres du général Hotze, avait la tâche la plus ardue. Elle ne se composait que de 6,500 hommes, et devait passer la Lauter entre le Bienwald et Saint-Remy, emporter Schleithal et prendre Wissembourg à revers. Mais elle s'ébranla résolument. Une de ses avant-gardes se fit jour à travers les abatis, enleva lestement la redoute du moulin de Bienwald et chassa les postes français sur l'autre rive. Une deuxième, que menait le lieutenant-colonel Gyulai, franchit la Lauter et après un chaud et difficile combat, escalada les lignes. Une troisième, formée des dragons de Waldeck et des hussards hessois, découvrit un gué, traversa la rivière et se réunit aux deux autres détachements. Le gros de la colonne suivit ses avant-gardes. A huit heures, Hotze était en deçà des lignes et menaçait Schleithal. Les généraux français Carlenc, Munnier, Isambert, avaient rendu sa besogne plus aisée. Munnier, s'obstinant à ne donner aucun ordre, ne commandait même pas aux canonniers de tirer sur les Autrichiens qui débouchaient de la forêt. Carlenc, plus inepte encore, enjoignait à Munnier d'évacuer la redoute du moulin de Bienwald. Le brave Isambert, perdant la tête, abandonnait le petit fort Saint-Remy, puis, se ravisant, regrettant sa faute, il voulait ressaisir le fortin, mais il n'avait plus avec lui qu'un seul canon, et ses troupes refusaient de le suivre. Pourtant les Impériaux n'avançaient que très lentement et avec une extrême circonspection. Hotze craignait d'être attaqué sur son flanc gauche et n'atteignit que vers midi la lisière de la forêt. Du moins, il arrêta toutes les ordonnances qui portaient des messages de la droite au centre, et pendant la journée ni Munnier ni Dubois n'eurent des nouvelles l'un de l'autre. Comme si, dit un officier, on n'aurait pu convenir à l'avance des mesures qu'il faudrait prendre en cas d'échec, et comme si c'était un crime d'user de précautions ! Les soldats tentèrent de réparer par leur vaillance la sottise des généraux et l'imprudence des représentants. De midi à trois heures, ils luttèrent aux alentours de Schleithal avec une telle obstination que Hotze eut un instant l'idée de battre en retraite. Vers trois heures, les républicains, faisant un vigoureux effort, se jetèrent sur les deux bataillons de l'Empereur et les mirent en fuite. Mais une charge audacieuse des dragons de Waldeck et des hussards hessois rétablit le combat en faveur des alliés. Les deux bataillons de l'Empereur se rallièrent à la voix de leur colonel, Roselmini ; ils reçurent des renforts, ils reprirent l'offensive, et les Français, désespérant de l'issue de la bataille, se retirèrent à quatre heures vers le Geisberg, en laissant à l'ennemi cinq pièces de canon. La quatrième colonne, conduite par Meszaros, devait prendre deux lunettes et un abatis ainsi que la grande redoute de Steinfeld. Mais le 93e régiment, ci-devant Enghien, défendit l'abatis avec une héroïque valeur ; le bataillon autrichien de Pellegrini perdit la moitié de son monde et le colonel Suel, qui dirigeait l'attaque, resta parmi les morts. Malheureusement le 93e ne fut pas soutenu. Grammont reçut une blessure grave après une résistance que Desaix qualifie de prodigieuse. Enghien dut lâcher pied. Les Impériaux et les chasseurs hessois qui tiraient les uns sur les autres, dans le brouillard, et ne s'étaient reconnus qu'au cri de Marie-Thérèse, emportèrent enfin l'abatis et les deux lunettes. Puis, marchant sur Steinfeld et Kapsweyer, ils prirent à revers la ligne des retranchements. Mais déjà la grande redoute était au pouvoir des Autrichiens. Ils avaient eu recours à la ruse. Au milieu de l'obscurité, peu d'instants avant l'assaut général, quelques-uns se présentent sur le pont de Schaidt aux premiers postes français. On leur crie qui vive ? Ils répondent déserteurs. On leur ordonne de mettre bas les armes. Ils répondent qu'elles ne sont pas chargées. Ils passent et, profitant des ténèbres, arrivent jusqu'à la grande redoute. La garde s'approche pour les reconnaître et les voit munis chacun d'une fascine. Aussitôt les coups de sabre et de baïonnette commencent ; mais des hussards s'étaient glissés entre les avant-postes à la faveur du brouillard. En un moment, la grande redoute, la fameuse Bastille tombe, presque sans combat, aux mains des Impériaux. Les républicains se dispersent de tous côtés dans la plus affreuse confusion. L'artillerie volante brise les caissons et les affûts de ses pièces sur les ponts de la Lauter. On ne rencontre que des fuyards et lorsqu'on leur demande où ils vont, ils disent qu'ils n'en savent rien ; si l'on insiste, ils ajoutent qu'ils n'ont pas d'ordre, qu'ils ne connaissent pas leurs généraux, et ils errent à l'aventure. Aux premières volées de canon, le commandant de l'avant-garde, Meynier, avait couru dans le bois à l'endroit qui lui semblait le plus menacé. Il crut voir que le 93e régiment et le 12e bataillon d'infanterie légère faisaient bonne contenance. Mais la nuit et la fumée ne lui permirent de distinguer nettement, au milieu du tumulte, que les hourras des manteaux rouges. Il se dirigea vers la grande redoute et tomba parmi des soldats en pleine débandade. Vainement il essaya de les rallier. Il ne parvint à rassembler que deux bataillons, le 2e de Lot-et-Garonne et le 4e d'Eure-et-Loir. Néanmoins, sans perdre courage et sans ralentir son activité, il animait ces volontaires et marchait à leur tête, lorsqu'il reçut dans le gras de la cuisse un biscaïen qui lui fracassa l'os. On dut le transporter aussitôt à Wissembourg et le panser[40]. Il eut le temps d'ordonner au général Combez qui se trouvait à ses côtés, de faire sa retraite pas à pas et de s'établir entre Kapsweyer et Schweighoffen. Combez obéit ; il réunit tous les hommes qu'il put ramasser et se retira sur Schweighoffen ; mais il laissait aux Autrichiens, outre la grande redoute, seize canons et deux obusiers. La cinquième colonne, dirigée par Kavanagh, eut le même succès que la colonne de Meszaros. Elle s'empara de la lunette et du village d'Oberotterbach, puis se tourna contre le château de Haftel. La sixième colonne, menée par Kospoth, canonna d'abord sans résultat les retranchements du Haftelhof. Mais bientôt les Français, se voyant menacés sur leur droite et leurs derrières par les colonnes de Meszaros et de Kavanagh, abandonnèrent la position. Combez les recueillit. Ce vieil et brave officier, un des vétérans de la guerre de Sept-Ans et l'un des héros de cette triste journée, résistait toujours entre Kapsweyer et Schweighoffen, et, avec les soldats qui venaient à lui, les uns du Bienwald, les autres de Steinfeld, il arrêta quelque temps la marche victorieuse des Autrichiens. Mais Carlenc lui commanda de se replier sur Wissembourg, et de là sur le Geisberg[41]. La colonne des émigrés ou septième colonne comprenait deux corps, conduits l'un par Vioménil, l'autre par le prince de Condé. Elle s'empara de Bergzabern, des retranchements élevés entre Bergzabern et Dörrenbach, de la redoute de la Hornhöhe. Puis elle marcha sur Oberotterbach pour enlever les deux ouvrages que les républicains avaient construits près de ce village. Mais les patriotes tenaient ferme, et, dit un Autrichien, on ne peut refuser son estime à leur bravoure. La légion de Mirabeau eut 30 officiers et plus de 400 soldats tués ou blessés ; le régiment de Hoheniohc perdit son lieutenant-colonel et une vingtaine d'hommes. On dut, pour faire lâcher prise aux carmagnoles, envoyer entre Oberotterbach et Rechtenbach deux bataillons et un escadron de la colonne Kospoth. Craignant d'être coupés du gros de l'armée et de se rendre à merci, les Français se retirèrent en toute hâte le long de la montagne et gagnèrent Wissembourg. Wurmser avait eu le tort d'éparpiller ses forces et de donner à ses généraux des instructions qui manquaient de précision et de clarté. Il eut le tort, plus grave, de ne pas poursuivre les vaincus. Tandis que les Français reculaient sur Wissembourg, les Autrichiens ne pensaient qu'a prendre possession des redoutes, des canons et des tentes. A midi, Carlenc occupait le Geisberg, non seulement avec sa réserve, mais avec l'avant-garde ramenée par Combez, et son centre disputait encore à Hotz les alentours de Schleithal. Aussi les représentants le pressaient-ils de hasarder une nouvelle action : Il faut, lui disaient-ils, rester à Wissembourg et s'y battre. Carlenc refusa, à moins que les conventionnels ne prissent un arrêté qui ordonnait la bataille. Ils n'insistèrent pas, de peur d'assumer la responsabilité d'un désastre, et Carlenc, persuadé que la journée était perdue sans retour, décida que la retraite aurait lieu sur Soultz et Surbourg. A trois heures et demie, un parlementaire venait sommer le commandant de Wissembourg, Fririon, capitaine au 48" régiment : Wurmser allait attaquer la place avec huit bataillons, et toute résistance était inutile puisque le prince de Waldeck avait passé le Rhin et assailli les derrières de l'armée française. Hastrel, adjoint aux adjudants-généraux, était à la barrière : il répondit que Wissembourg ne se rendrait pas sans un ordre du général en chef, et cette déclaration fut confirmée par le capitaine Fririon[42]. Une heure plus tard, Carlenc ordonnait d'évacuer Wissembourg, Fririon portait les clefs de la ville à la maison commune, et le 48e régiment, ci-devant Artois, allait, sans être inquiété, rejoindre l'arrière-garde sur les pentes du Geisberg. Wurmser entra dans Wissembourg après avoir tiré contre une des portes cinq à six coups de canon. Il aurait pu couper ou détruire en grande partie la division des montagnes, qui formait la gauche de l'armée du Rhin ; elle ne savait pas encore ce qui se passait à sa droite ; assaillie soudain par les Autrichiens' sur la roule de Bitche à Lembach, la seule qui servait à sa retraite, attaquée en même temps par les Prussiens, mise entre deux feux, elle aurait subi l'inévitable ignominie d'une capitulation. Mais Wurmser n'était pas homme à profiler ainsi de son avantage. Il se contenta d'occuper le Geisberg, de jouir de sa bataille gagnée et des deux bonnes villes de Wissembourg et de Lauterbourg, où il trouvait, disait-il, farine, avoine, sel, armes, papier et Dieu sait quoi[43]. V. Pendant que Wurmser emportait les lignes de Wissembourg, le duc de Brunswick débusquait la division des montagnes et, suivant sa promesse, se saisissait de Lembach et de Wœrth[44]. Ses disciples et ses prôneurs racontèrent qu'il avait fait dans les Vosges une marche savante, comparable à celle d'Annibal à travers les Alpes. Massenbach prétendit qu'elle méritait d'être conservée dans les annales du monde jusqu'en ses moindres détails et qu'elle passerait toujours pour un chef-d'œuvre militaire. C'était outrer, écrit avec raison Valentini, tout ce qu'ont jamais dit les Gascons[45]. Que fut cette marche fameuse ? Le duc partit le 17 octobre du Ketterich et vint à Ramsbronn. Le 12, il était à Rösselbronn, et deux détachements envoyés, l'un à droite, l'autre à gauche, chassèrent les républicains de la ferme de Kobrett et du village de Fischbach. Le 13, tandis que Wurmser attaquait les lignes, avaient lieu les opérations que l'état-major prussien jugeait admirables. Hohenlohe, suivi de cinq bataillons et de six escadrons, tournait Bitche par Egelshardt, enlevait, après une courte résistance du 102e régiment, la Main-du-Prince et regagnait, par Haspelscheidt, son camp d'Eschweiler pour tenir en respect l'armée de la Moselle : mouvement hardi, s'écriait Massenbach, mais calculé selon de justes - principes ! En même temps, Brunswick s'emparait d'Obersteinbach et menaçait la gauche des cantonnements de Nothweiler. Saint-Cyr, qui dirigeait cette gauche, commandée nominalement par Ferey, avait concentré ses forces à Niedersteinbach : cent chevaux et trois bataillons, le 1er des Vosges, le 1er de l'Indre et le 3e d'Indre-et-Loire. Sa position était excellente. Il avait construit quelques retranchements, dont une flèche et une redoute qui se faisaient face : la flèche dominait le chemin d'Obersteinbach ; la redoute balayait la route de Bitche à Wissembourg. Brunswick voulait épargner le sang du soldat, et il savait que la victoire de Wurmser lui livrerait les défilés sans combat. Il se contenta de manœuvrer sous les yeux de Saint-Cyr, pendant que son aide-de-camp, le colonel Hirschfeld, paradait devant Bundenthal, à la vue de Desaix[46]. Il aurait mieux fait d'attaquer résolument Niedersteinbach. Une fois ce point emporté, — et sans beaucoup d'efforts — la chaîne des postes français était rompue, et les troupes du camp de Nothweiler n'avaient plus d'autre ressource que d'abandonner leurs canons et de se jeter dans les bois. Mais, à minuit, Ferey apprenait que les lignes de Wissembourg étaient forcées, et il recevait de Carlenc l'ordre de se replier sur Wœrth et Bouxwiller. On partit sur-le-champ, à la faveur du brouillard, par la Tannenbrücke et par Lembach. La retraite ne se fit pas aussi tranquillement que l'assure Saint-Cyr. Un lièvre passa ; on lui tira des coups de fusil : à ce bruit, l'alarme se répandit de rang en rang, et un lièvre seul, dit Desaix, porta le plus grand désordre dans les brigades. Heureusement le 33e régiment, ci-devant Touraine, se mit en bataille à toutes les avenues où l'adversaire pouvait déboucher ; sa contenance rassura le reste de la colonne ; les fuyards, ne voyant pas l'ennemi, se rallièrent et rirent de leur terreur. Le 16 octobre, la division des montagnes, qui devait s'appeler désormais le corps de Saverne, était derrière la Zorn. Elle jetait une garnison dans le fort de Lichtenberg, envoyait un détachement à Saverne et s'établissait à Hochfelden, tandis que Brunswick, maître, sans coup férir, des gorges de Nothweiler et de Lembach, s'avançait jusqu'à Wœrth[47]. |
[1] Gebler, 131-132. Les Impériaux eurent, dans ces trois jours, 17 officiers et 727 soldats hors de combat.
[2] Le Batave, n° 220 et 227 ; Rapport de Borie, Ruamps, etc., 14 ; cf. d'Ecquevilly, I, 167-170.
[3] Dubois à Landremont et aux représentants, 19 et 20 sept. (A. G.) ; cf. Gebler, 131-132, et Remling, I, 377-378.
[4] Note de Legrand (A. G.).
[5] Landremont à Schauenburg, au Comité, à Bouchotte, 23 et 25 septembre ; Duvignau aux représentants, 15 sept. (27.000 d'infanterie et 3.000 de cavalerie) ; Landremont avait d'autant plus raison que les représentants priaient en même temps le Comité de rendre à l'armée du Rhin et de renvoyer en poste les 15.000 hommes qu'on lui avait pris au mois d'août et qui se trouvaient alors aux environs de Châlons (Rapport de Borie, Ruamps, etc., 15, 302-306).
[6] Landremont à Dièche, 28 sept. (A. G.). Dièche (Antoine-Claude), né le 18 juin 1753, au bourg de Rhodes, dans les Basses-Pyrénées, avait été successivement gendarme de la garde ordinaire du roi (1er juin 1768), sous-lieutenant au régiment de Piémont infanterie (5 mai 1772), lieutenant en second dans la compagnie de chasseurs (7 août 1778), premier lieutenant (16 oct. 1782), capitaine en second (1er juillet 1785), capitaine de grenadiers (17 mai 1786), lieutenant-colonel au 27e régiment (29 oct. 1792). Il avait fait la campagne d'Amérique (1782-1783), et reçu la croix de Saint-Louis, le 3 avril 1791. Général de brigade, le 14 août 1793, et de division, le 23 août suivant, il commandait la citadelle de Strasbourg à la grande joie des Jacobins. N'était-ce pas lui qui dénonçait Custine dès l'expédition de Spire ? (Expédition de Custine, 59, note 1.) N'écrivait-il pas à Bouchotte, le 29 août, qu'il était républicain dans son âme avant qu'on songeât en France à une République ? Berger et Renkin faisaient son éloge et craignaient qu'il ne fût éloigné ; c'était, disaient-ils, un citoyen bien nécessaire à Strasbourg et le seul homme propre à faire rentrer dans l'ordre les malveillants et les anti-révolutionnaires, dont la ville fourmillait. Bouchotte répondit que Dièche ne quitterait pas Strasbourg tant que les bons citoyens et Dièche lui-même y verraient le moindre inconvénient (lettres des 3, 4 et 7 sept.). Dièche passa le 3 thermidor an VII à l'armée des Alpes, fut mis en réforme le 9 nivôse an VIII, obtint une solde de retraite en 1811, et mourut à Paris cette même année, le 18 février.
[7] Le Comité aux représentants, 25 sept. (Rapport de Borie, Ruamps, etc., 259, 260) ; Journal de la Montagne, n° 68 ; séances de la Convention, 20, 26, 27 août et 4 sept. ; décret du 13 sept., Moniteur du 15.
[8] Séance du 25 sept. (Moniteur du 27.) La nomination de Delmas fut assez défavorablement accueillie. Les vrais républicains la désapprouvent, écrivait Dupérou à Bouchotte, il est noble et étourdi, (30 sept. A. G.), et le 1er août les Jacobins de Strasbourg avaient voué son nom à l'exécration des amis de l'humanité parce qu'il avait refusé, disait-on, l'entrée de Landau aux blessés de la garnison de Mayence (Heitz, Soc. polit., 273). Mais Delmas s'était signalé depuis le commencement de la guerre. — C'est un chaud Jacobin, écrivait-on au Journal de la Montagne (n° 96), et brave dans toute la force du terme. — Bouchotte pensait un instant à le nommer commandant de Strasbourg, à la place du général Sparre, suspendu. Le 8 mai 1793, Montaut, Ruamps et Soubrany le déclaraient aussi intrépide qu'intelligent et assuraient qu'à Bingen, il avait tué de sa main un cavalier prussien qui emportait le drapeau des volontaires de la Corrèze (A. N. DXLII, 4). Il est vrai que le sous-lieutenant Blanchard prétend que le drapeau était tenu par un homme qui avait peine à suivre, et que Delmas, qui était bien monté, se chargea de le porter et ne manqua pas de dire qu'il l'avait arraché des mains de l'ennemi. (Journal des événements qui ont eu lieu pendant le blocus de Landau, p. 19). Quoi qu'il en soit, Delmas ne put sortir de Landau assiégé. Le 9 octobre Ruamps le pria de quitter la place et d'emmener avec lui Treich, qui remplacerait Clarke comme chef d'état-major (Compte rendu, par Ruamps, Borie, etc., p. 310), et Trentinian reçut même, le 12 octobre, l'ordre précis de se rendre, le lendemain, dans les gorges et d'aller aussi avant que possible, pour faciliter la sortie du jeune général qui devait, sous un déguisement, arriver à Nothweiler (Rapport de Desaix, A. G.). Mais Delmas fit dire aux représentants qu'il ne pouvait accepter sa nomination ni même s'échapper de Landau (Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., p. 16). Cf. sur Delmas (Antoine-Guillaume), général de brigade depuis le 30 juin 1793, et de division depuis le 19 septembre, les Mém. de Lavallette, I, 126 (plein de mérite, mais alors d'une expérience bien faible) ; Eickemeyer, Denkw., 281-282, et surtout De Seilhac, Les Volontaires de la Corrèze, 11-13. Il était né, le 22 juin 1768, à Argentat, et tenait à la noblesse par sa mère et sa famille.
[9] Note de Legrand (A. G.). C'est le 2 octobre que sur la proposition de Bouchotte, le Conseil exécutif nomme provisoirement au commandement de l'armée du Rhin le citoyen Pichegru en l'absence de Delmas. (Reg. du Cons. exéc.), et le 3 octobre, le Comité de Salut public ratifia la nomination.
[10] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc. 15, 29, 200, 266 267, 302-306. Le 15 octobre, Landremont était enfermé à l'Abbaye (Moniteur, du 24). Carnot le fit relâcher le 12 fructidor an II.
[11] Clarke aux représentants, 30 septembre (A. G.) ; Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 266-267.
[12] L'armée du Rhin était, au 30 octobre, ainsi composée : Avant-garde : 1° (général Meynier), chasseurs du Rhin, 6e et 12e inf.. légère ; 1er Corrèze, 10e Jura, 1er et 2e grenadiers, 2e Lot-et-Garonne, 48e rég., 105e rég. ; 2° (général Loubat), 70 hussards, 8e et 10° chasseurs, 8e, 11e et 17e dragons. — Aile droite (Dubois), 1° (général Michaud), 40e rég., 3e Haute-Saône, 5e Ain, 37e rég., 7e Haute-Saône, 3e Charente-Inférieure, 11e inf. lég., 1er Pyrénées-Orientales, une compagnie franche, 79e rég., 3e Rhône-et-Loire ; 2° (général Legrand), 9e Vosges, 75e rég., 4e Bas-Rhin, 4e Eure, 37e rég., 8e Jura, gendarmerie nationale, 2e chasseurs à cheval, 4° dragons. — Centre (Munnier et Méquillet) ; 1° les deux bataillons du 3e rég., 1er Doubs, 10e Ain, 3e Ain ; 2° 3e Doubs, 12e Jura, 30e rég., 3e Haut-Rhin ; 3° (général Isambert), 46e rég., 3e Bas-Rhin, 11e Doubs, 46e rég., 2e Puy-de-Dôme, 2e Eure-et-Loir ; 4° (général Dauriol), les deux bat. du 93e rég., 2e grenadiers Rhône-et-Loire, 1er Lot-et-Garonne, 5e Seine-et-Oise. — Aile gauche (Ferey), 1° (général Desaix), les deux bat. du 13e rég., 1er Vosges, 4e Jura, 1er Haut-Rhin, 3e Indre-et-Loire, 1er Indre, 27e rég. ; 2° 3e Haut-Rhin, 2e Rhône-et-Loire, 4e Saône-et-Loire, 1er Haute-Saône, 7e inf. légère, 10e Vosges, 7e chasseurs à cheval, 92 hommes du 2e cavalerie, 70 gendarmes. — Réserve. (Diettmann), 1° (général Lafarelle), 2e, 12e et 14e cavalerie, 29e division de gendarmerie ; 2° 9e et 19e cavalerie, 1er et 3e division de gendarmerie ; 3° (général Ravel), 5e rég. d'artillerie, 1er Bas-Rhin. — 22 guides et 1 bat. d'ouvriers pionniers. Force effective : 57.369 hommes ; force active : 42.420 hommes.
[13] Tel est le récit de Saint-Cyr ; mais le maréchal oublie d'ajouter que Clarke prit sur lui d'envoyer des renforts à la division des montagnes ; cf. la lettre de Clarke, du 2 octobre, Munnier a fait diriger sur ce point quelques renforts qui lui arrivaient du Moyen-Rhin et tous les détachements qu'il a été possible de tirer de l'armée. (A. G.)
[14] Le récit de Saint-Cyr est inexact (Mém., 106-111). Suivant lui, les représentants auraient tenu conseil de guerre pour choisir un général en chef, et Ferino, que plusieurs proposaient, aurait répondu qu'il était étranger et recommandé Carlenc, que personne ne connaissait et qui s'appuyait près de la cheminée. Il y eut peut-être un conseil de guerre, mais Ferino qui, selon Saint-Cyr, assistait à cette réunion et y joua le rôle principal, avait été, le 1er octobre, arrêté par les représentants et envoyé à Nancy.
[15] Cf. une de leurs proclamations, Compte rendu, p. 255.
[16] Carlenc (Jean-Paschal-Raymond), fils de Jean-Baptiste Carlenc et de Gabrielle Tridoulat, était né, le 19 septembre 1743, à Alby. Il s'engagea, le 24 février 1760, au régiment de La Rochefoucauld, devenu plus tard Angoulême, puis 11e régiment de dragons, et fit les campagnes d'Allemagne de 1760, de 1761 et de 1762. Successivement maréchal-des-logis (21 mars 1763), adjudant (24 juin 1777), lieutenant en second (17 septembre 1782), lieutenant en premier (1er juillet 1787), lieutenant surnuméraire à la formation de 1788, capitaine (3 juin 1792), chef d'escadron (8 mars 1793), il fut nommé général de brigade provisoire, le 20 septembre, et général de division, le 1er octobre 1793. Mais le 23 octobre, Bouchotte ordonnait de l'arrêter et de le conduire à Paris. Le Comité de Salut public le fit remettre en liberté (2 nivôse an II), après une lettre du 11e dragons qui défendait Carlenc il a été malheureux ; le malheur n'est pas un crime ; nous l'avons plaint, mais nous ne l'avons pas même soupçonné. Le 6 nivôse an II, Carlenc était nommé général de division à l'armée du Nord ; il prit le commandement de Dunkerque et du camp retranché (lettre d'Ernouf, 23 nivôse an II) ; mais, écrit-il, Saint-Just et Le Bas avaient juré ma perte parce que je m'opposai fortement à l'exécution du plan sanguinaire qu'ils avaient conçu ; ils m'avaient fait conduire dans une maison d'arrêt, à Paris, d'où je sortis peu après, et je servais sous les ordres de Pichegru depuis cinq mois lorsque, par une fatalité peu commune, ils parurent à l'armée du Nord ; deux jours après leur arrivée, je fus destitué, mais non arrêté, et me retirai dans ma famille. Il fut, en effet, suspendu le 19 ventôse an II, par le Comité de Salut public et, le 15 pluviôse an III, autorisé à prendre sa retraite. Le 25 octobre 1795, il obtenait une pension qui fut convertie en solde de retraite le 23 septembre 1799. Il vécut longtemps encore. Le 30 janvier 1822, de Saint-Pons, dans l'Hérault, il écrivait au ministre, duc de Bellune, qu'âgé de quatre-vingts ans, couvert d'honorables cicatrices et chargé d'infirmités, il sollicitait l'augmentation de sa solde ou une indemnité ; le ministre lui répondit le 3 mars suivant que les lois étaient contraires à sa demande. Cf. les arrêtés de Ruamps et Borie, 20 septembre ; de Borie, Ruamps et Mallarmé, 1er octobre ; de Borie, Ruamps et Niou, 2 octobre ; la lettre du 11e dragons au Comité, datée du bivouac devant Hoerdt, 8 frimaire an II, et celle de Carlenc au ministre, 24 vendémiaire an IX. Citons encore sur Carlenc un témoignage, évidemment trop favorable, de Delmas qui, le 11 octobre 1793, écrivait à ses amis Borie et Ruamps : Carlenc est un bien brave homme, dont les talents me sont connus, ayant le grand sang-froid qui n'est accordé qu'aux hommes braves (A. G.).
[17] Saint-Cyr, Mém., I, 116; mais faut-il le croire absolument ?
[18] Note de Legrand (A. G.).
[19] Ferino, réprimandé, le 3 septembre, par Ruamps, déclarait à Landremont, qu'il ne voulait plus servir, puisqu'on lui mettait des entraves ; Landremont le pria de rester à son poste : Ma confiance en vous, lui disait-il, est telle que je donnerai ma démission de général, si vous abandonnez le commandement de l'avant-garde (Renkin à Bouchotte. 4 sept. A. G.). Cf. Ruamps et Borie au Comité, 1er octobre, et Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 201. On retrouvera Ferino dans le volume suivant.
[20] Cf. sur Meynier, Expédition de Custine, 229. Jean-Baptiste Meynier, né le 22 avril 1749, à Avignon, était entré au service, en 1765, dans le régiment de Saintonge et avait fait la guerre d'Amérique. Successivement sous-lieutenant (1er août 1788), lieutenant (15 septembre 1791), capitaine (29 avril 1792), il avait été fait prisonnier à Königstein. Il fut échangé et nommé per saltum général de brigade (20 mars 1793). Il venait d'être promu général de division le 27 septembre. IL fit la campagne d'Italie (1795), et devint commandant d'armes à Mayence (20 août 1803) ; c'est dans cette ville qu'il mourut (3 décembre 1813).
[21] Custine à Beurnonville, 26 mars 1793 (A. G.) ; Expédition de Custine, 10, 53, 96 et surtout 235.
[22] Dubois à Carlenc, 6 octobre 1793 (A. G.), Paul-Alexis Dubois, qui fut promu général de division, le 30 mars 1794, devait mourir à Roveredo (4 septembre 1796). Il était chef d'escadron au 17e dragons lorsque Milhaud et Borie le nommèrent, le 24 août, général de brigade, parce qu'il leur amenait un renfort d'agricoles, mille hommes à pied et un escadron de cavalerie nationale de campagne que Dubois avait, à force de belles paroles et de menaces, fait partir de Bischwiller et de Soufflenheim. Il succédait à Gilot dans le commandement de la droite et, dit une note du cabinet topographique, la suspension de Gilot fut, de l'aveu de tous les officiers, l'ouvrage de son successeur qui sut profiter de sa disgrâce ; tel était alors l'esprit dominant que les intrigants, pour obtenir des places, commençaient par faire chasser ceux qui les occupaient. Cf. sur ce général que ses camarades ont peut-être jugé trop sévèrement, l'étude de M. Hennet (1893).
[23] Mémoire de Desaix, 12-20 oct. (A. G.).
[24] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 260 et 267-268.
[25] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc. ; Xaintrailles était suspendu pour ses intrigues inciviques ; cf. sur lui Charavay, Corr. de Canot, I, 416.
[26] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 194 ; cf. sur Louis-Ferdinand Baillart de Beaurevoir, nommé général de brigade le 8 mars 1793, Expédition de Custine, 11 et 244, il commandait la 2e brigade de cavalerie.
[27] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc. 187, 233. Ils accusent Gilot d'avoir donné des preuves d'impéritie militaire, de n'oser prendre aucune mesure sans y être autorisé par écrit du général en chef, de témoigner dans toutes les circonstances une incertitude dangereuse aux armées. Joseph Gilot, né en 1734, soldat en 1750, grenadier en 1755, sous-lieutenant en 1776, à quarante-deux ans, lieutenant-colonel du 7e bataillon d'infanterie légère, puis colonel du 93e régiment d'infanterie, maréchal de camp (6 déc. 1792), général de division (27 mai 1793), était, dit un observateur, connu par le patriotisme le plus éclairé et jouissait de toute la confiance que lui méritait son infatigable activité. (Lettre du 18 août 1792.) Custine le regardait comme un officier précieux par son expérience, par sa fermeté qui le faisait respecter du soldat, et par son civisme, (à Pache, 31 octobre 1792). Gilot, écrit Legrand, a toujours montré, dans la campagne de 1793, les sentiments d'un homme de bien, les vertus d'un républicain et le courage d'un soldat français, mais il n'avait pas des talents assez éminents pour être général en chef. Il avait pris part à l'assaut de Port-Mahon (1756), et il mourut, en 1812, à Nancy, où il commandait, à soixante-dix-huit ans, la 4e division militaire.
[28] Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 53, 191. Cf. sur Loubat de Bohan. Thoumas, Les grands cavaliers du premier Empire, 1892, II, p. 6-7, et Martimprey, Historique du 9e cuirassiers, 1888, p. 288.
[29] Lettre du 11 octobre 1793 (A. N. AFII, 427), et Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 188. Théodore Colle était né le 11 mai 1734, à Lorquin, dans la Meurthe. Successivement soldat au régiment de la Dauphine (1er avril 1753), lieutenant à la suite (14 mai 1758), lieutenant en second (28 janvier 1759), lieutenant en premier (20 avril 1768), capitaine (12 novembre 1770), pensionné en août 1768, rentré au service et nommé lieutenant-colonel du 77e régiment (6 novembre 1791), puis premier lieutenant-colonel du 30e, puis colonel du 31e (20 janvier 1793), il avait reçu le brevet de général de brigade, le 19 mai 1793, et commandait, depuis le 1er juin, la division territoriale du Bas-Rhin à Haguenau. Il avait fait les campagnes de la guerre de Sept-Ans, et le 16 juillet 1760, à Ensdorf, il avait été blessé et pris. Le conventionnel Blaux était son beau-père et plaida chaudement sa cause. Colle, écrit Beauharnais à Pache (10 nov. 1792, s'est occupé, avec beaucoup de zèle, malgré son âge avancé, de l'emplacement des postes sur le Rhin ; il est travailleur infatigable et m'est extrêmement utile au bureau de l'état-major. Desaix le nomme l'estimable et excellent Colle.
[30] Rapport de Desaix, 12-20 oct. (A. G.), et Saint-Cyr, Mém., I, 106, 118, 128.
[31] Note de Legrand (A. G.).
[32] Compte rendu, par Ruamps, Borie, etc. 33, 190, 311. Clarke fut remplacé provisoirement par l'adjudant-général Demont, puis (22 octobre) par le général de brigade Bourcier.
[33] Moniteur, du 30 septembre et des 3 et 24 octobre 1793 (l'article du 3 octobre est emprunté à une dépêche de Bacher) (Papiers de Barthélemy, III, 64).
[34] Van Helden à Custine, 6 octobre 1792 (A. G.).
[35] Wissmann, Die Weissenburger Linien, 2er Tril. 1888, p. 28 ; Lufft, 8-13 ; Saint-Cyr, I, 120 ; note de Legrand (A. G.).
[36] L'armée française, grossie tout récemment de recrues et de renforts que Dièche lui avait envoyés de Strasbourg (Dièche à Bouchotte, 3 cet. (A. G.), comptait 38.483 hommes : Avant-garde (Meynier), 10.382, dont 2.937 cavaliers, devant Steinfeld et Niederotterbach, derrière le Caplaneihof et la Deutscher Hof, devant Oberotterbach ; aile droite (Dubois), 10,912, dont 884 cavaliers, à Seltz (2.280), Lauterbourg (3.730), Scheibenhard (4.341) et Niederlauterbach (561) ; centre (Munnier), 12.353, dans les lignes (5.069) et au moulin de Bienwald (3.137), de là à Saint-Remy (1.304), au fort Saint-Remy (628), de Steinfeld à la montagne par le Haftelhof (7.284) ; réserve (Diettmann) 4.851, dont 2.193 cavaliers, à Wissembourg (1.633), au Geisberg (1.344), à Rott, Steinseltz, Riedseltz. L'armée autrichienne comptait 43.185 hommes : droite (Kospoth) à Barbelroth avec 14.755 hommes, dont 3.825 cavaliers ; extrême droite : 5.692 émigrés, dont 1.603 cavaliers ; centre (Kavanagh) à Freckenfeld, où était aussi le quartier général, avec 9,143 hommes, dont 2,143 cavaliers ; gauche (Hotze) au Bienwald avec 11,120 hommes, dont 1,910 cavaliers ; sur la rive droite du Rhin, près de Rastadt, 8,169 hommes, dont 1,718 cavaliers (Waldeck). Cf. Gebler, 129-134 ; (note de Clarke interceptée par les Autrichiens).
[37] Zeissberg, I, 305, 321, 347.
[38] Romain, II, 466-467.
[39] Il y avait là le 1er bataillon des Pyrénées-Orientales et le 3e de la Haute-Saône (Mém. de Desaix],
[40] Meynier fut transporté le même jour à Haguenau et le lendemain à l'hôpital de Strasbourg, où il resta 179 jours sur le grabat (cf. sa relation).
[41] François Combez, né à Besançon le 12 juin 1732, était fils d'un homme de loi et avait d'abord étudié le droit. Il s'engagea le 15 janvier 1753 au régiment de Monsieur cavalerie et devint successivement maréchal-des-logis [12 janvier 1757), cornette au régiment des Volontaires du Dauphiné (7 mars 1760), lieutenant de dragons dans la légion de Flandre (5 avril 1772), capitaine au 2e, plus tard 8e chasseurs à cheval (7 mai 1785), chef d'escadron (15 avril 1792), chef de brigade (16 mars 1793), général de brigade (28 janvier 1794). Il fit toutes les campagnes de la guerre de Sept-Ans et il avait été blessé à Bergen, à Minden et dans la haute-Frise, le 1er octobre 1761. Il reçut pareillement trois blessures en 1793, près de Bingen (21 mars), à Bettenhoffen (12 frimaire), à la Wautzenau (5 brumaire). Michaud le jugeait ainsi : Excellent officier de cavalerie très brave, vertueux républicain, propre à être général de division dans une place sédentaire.
[42] Etienne d'Hastrel de Rivedoux était né le 7 février 1766, à la Pointe-aux-Trembles de Québec en Canada, d'un père qui fut tué au siège de Pondichéry en 1783, après quarante et un ans de services, et d'une mère canadienne qui mourut en 1784, à l'île de Rhé. Il avait été conduit en France au mois de mai 1770. Élève de l'École militaire, il entra au 48e régiment en mai 1784 et y devint successivement sous-lieutenant, lieutenant, capitaine. Il avait fait les campagnes du Rhin de 1792 et de 1793. Il fut promu général de brigade le 26 janvier 1807 et général de division le 25 mars 1811. Bourcier le jugeait ainsi : Les talents qu'il a reçus de la nature, étendus par une éducation soignée, l'activité de ses services comme adjoint à l'état-major, le rendent susceptible d'être promu à un grade supérieur. Cf. sur François-Nicolas Fririon, général de brigade le 17 juillet 1800 et de division 21 juillet 1809, Gemähling, Les Fririon, 1886, p. 6.
[43]
Wagner, 127-149 ; Gebler, Œsterr. milit. Zeitschrift, 1834, III, 135-152
; Zeissberg, I, 321 ; Compte rendu par Ruamps, Borie, etc., 30 ;
relation de Meynier, 13 oct. ; Rapport de Desaix, 12-20 oct. (A. G.) ; d'Ecquevilly, I, 181-197 ; Romain,
II, 473 ; Saint-Cyr, I, 120-124 ; Soult, I, 65.
[44] La division des montagnes occupait les positions suivantes. Sa droite était concentrée dans le camp de Nothweiler où se trouvaient dix bataillons : le 27e, le 13e, le 102e, le 1er du Haut-Rhin, le 2e de Rhône-et-Loire et le 4' du Jura. Le 7e bataillon d'infanterie légère et le 1er de la Haute-Saône étaient à Bobenthal. Le 10e des Vosges, formant l'avant-garde à Bundenthal et à Rumbach, éclairait tout le front du camp. — Le centre, composé d'un bataillon du 13e régiment, ci-devant Bourbonnais, d'un bataillon du 33e, ci-devant Touraine, et de quelques compagnies du bataillon des agricoles de Mirecourt, occupait à Tannenbrücke et avait détaché en avant-garde à Schönau le 4e bataillon de Saône-et-Loire et, plus loin encore, à Fischbach, plusieurs compagnies aux ordres du capitaine Cunéo. — La gauche était disséminée sur une ligne très étendue : un bataillon du 102e gardait la Main du Prince ; la 3e d'Indre-et-Loire, l'abbaye de Stürzelbronn ; le 1er des Vosges, la ferme de Kobrett ; le 1er de l'Indre, le village de Niedersteinbach.
[45] Kurze Uebersicht, 29 ; Valentini, 47 ; Saint-Cyr, I, 131.
[46] Saint-Cyr s'imagine, dans ses Mémoires, qu'il a repoussé, le 13 octobre 1793, les attaques de Hohenlohe et que Brunswick en personne a canonné la position de Desaix.
[47] Saint-Cyr, I, 130 ; Rapport de Desaix, 12-20 oct. (A. G.) ; Wagner, 148-150.