I. Terreur de l'Allemagne. Fuite de l'électeur de Mayence. Détresse de la place. Albini et le baron de Stein. La panique du 5 octobre. La garnison. — II. Entour de Custine. Daniel Stamm. Les Français devant Mayence. Sommations. Capitulation. Entrée des sans-culottes. — III. La trahison d'Eickemeyer.I. Si peu dangereuse qu'elle eût été, l'expédition Custine[1] fut célébrée eu
France comme une des plus grandes prouesses du siècle. Les Prussiens
n'avaient pas encore évacué la Champagne ni rendu Verdun et Longwy. La Savoie
avait été conquise sans résistance, sans effusion de sang. La prise de Spire
était le premier fait de guerre qui se produisait sur le territoire ennemi.
Elle passa donc pour une action merveilleuse et presque unique. Le colonel
Champeaux, qui portait la nouvelle a Paris, se vit retardé dans toutes les
villes qu'il traversait, par une population ivre de joie. A Nancy, le maire,
la municipalité, la foule, battant des mains, criaient : Vive Custine, vive le défenseur de la liberté !
Le 6 octobre, Champeaux présentait à la Convention les premiers drapeaux
qu'une armée républicaine eût enlevés aux ennemis, et, comme disaient les
gazettes du temps, l'aigle impériale paraissait à la barre. Le colonel
prononça quelques mots : Custine avait marqué ses premiers pas eu Allemagne
par une victoire ; aimé et craint à la fois de ses soldats, il ne remettrait
l'épée au fourreau qu'après avoir écrasé les despotes ! L'assemblée éclata en
applaudissements, et, comme les habitants de la Lorraine et de l'Alsace, cria
Vive Custine, vive le brave général !
Danton, montant à la tribune pour saluer cette belle entrée de jeu,
prophétisa que le vainqueur de Spire porterait la guerre dans le cœur de
l'Empire. De toutes les parties de la salle,
mandait Le Vasseur de la Meurthe à Custine, s'est
élevé un cri de joie unanime pour consacrer votre gloire ; d'un seul coup
vous avez vaincu et les ennemis de la France et les vôtres personnels.
L'enthousiasme était universel. Lorsque, dans la soirée du 6 octobre,
Champeaux se rendait au théâtre, les acteurs lui chantaient en l'honneur de
Custine un couplet que le public redemandait trois fois. La prise de Worms
excita la même allégresse, les mêmes transports. Custine,
écrivait un soldat, a donné ordre au maréchal de
camp Neuvinger d'aller prendre Worms ; Neuvinger a rempli sa mission. Et
les journaux qui reproduisaient le billet exaltaient ce style fier, noble et
laconique, le style des républicains[2]. En Allemagne, l'événement produisit l'émotion la plus vive. De tous les points de la frontière, les correspondants des Journaux annonçaient que cette triomphale arrivée des Français frappait de terreur tous les princes et principicules. Quel tapage elle fait, mandait-on de Cologne, et quelle frayeur elle répand ! Le margrave de Bade se rendit aussitôt à Rastatt et envoya d'abord à Pforzheim, puis à Ulm, ses enfants, ses archives et ses bijoux. Tout le margraviat, écrivait-on de Carlsruhe, est en fuite et l'on ne voit sur les chemins qu'hommes et effets. Les bruits les plus absurdes couraient dans les électorats. Les nationaux, disait-on, avaient amené 80 canons à Worms sur la place du marché ; ils étaient environ 30.000, et, plus on avançait dans l'intérieur du pays, plus s'enflait leur nombre : ils étaient à Francfort, 50.000 ; à Würzbourg, 80.000 ; à Darmstadt, 100.000, dont 20.000 traversaient la Bergstrasse pendant que le reste marchait sur Mayence. Le Rhin, depuis si longtemps inanimé et comme désert, se couvrit de bateaux grands et petits qui descendaient vers Coblentz. Les fugitifs payaient des sommes énormes. Le voyage de Mayence à Cologne coûtait, non plus sept florins, mais trente, quarante, cinquante carolins[3]. Nulle part l'épouvante causée par cette désastreuse bagarre[4] ne fut aussi grande qu'a Mayence. Depuis six jours, écrivait Caroline Böhmer le 6 octobre, nous attendons une invasion des Français[5]. La petite armée électorale n'existait plus et la place semblait sans défense. Elle avait deux enceintes : l'une, intérieure : l'autre, extérieure. Mais si l'enceinte extérieure, composée de forts palissadés fermés à la gorge, pourvus de réduits, reliés les uns aux autres par une ligue de redans, pouvait soutenir un siège et braver un assaut, l'enceinte intérieure avait vite considérablement négligée. On trouvait encore dans les fosses des débris et des pans de murs qui dataient du bombardement de 1689. D'autres servaient de viviers aux carpes de l'électeur. D'autres s'étaient transformés en vergers et en potagers. Dans plusieurs endroits, le gouverneur avait planté des vignes qui lui donnaient chaque année quatre-vingts muids de vin. Il n'avait pas l'accès de certaines parties de la fortification que l'administration des finances s'était réservées, et il devait demander au chef jardinier ne la cour la clef des ouvrages où se trouvaient les arbres fruitiers. Frédéric-Charles d'Erthal fit même démolir la redoute de la Chartreuse, entre le fort Saint-Charles et le Rhin, pour y créer des jardins anglais. Puis, lorsque s'enflamma la croisade austro-prussienne, il ordonna de mettre la forteresse en état de défense et vendit é l'administration de la guerre des palissades tirées de ses propres buis du Spessart. Mais, au mois de juillet, et comme si le manifeste de Brunswick écartait tout danger, les travaux furent suspendus[6]. Aussi, lorsqu'éclata dans Mayence, comme un coup de tonnerre, la nouvelle que Spire était pris d'assaut, la noblesse, le clergé, la plupart des professeurs de l'Université, les émigrés, les femmes de ceux qui suivaient le prince de Condé dans le Brisgau et les frères du roi en Champagne se bâtèrent de s'enfuir avec leurs meubles, leurs fûts de vin et tout ce qu'ils avaient de plus précieux. On eût dit que les Français étaient aux portes de la ville. La route de Francfort s'encombra d'équipages et de véhicules de toute sorte, carrosses, chaises, phaétons, wiskis, carrioles, charrettes Les gens qui ne pouvaient trouver ni cheval, ni voilure, ni barque, gagnèrent à pied le Rheingau et les pays voisins de Nassau et de Hesse. Plus de 200.000 florins passèrent dans les mains des charretiers et des bateliers[7]. L'électeur séjournait alors à Aschaffenbourg. Il arriva le 3 octobre à Mayence ; mais il ne voulait pas exposer au feu l'oint du Seigneur et il partit le lendemain soir pour Wilrzbourg4après avoir nommé statthalters ou gouverneurs le doyen de la cathédrale, baron de Fechenbach, et le chancelier Albini ; il avait, digon, fait gratter les armoiries sur le carrosse qui l'emportait[8]. Albini était un homme énergique et vigoureux qui devait, en 1799, organiser avec succès le landsturm dans le pays de Mayence[9]. Il tenta de ranimer les courages. Il rassembla les corporations et la bourgeoisie à l'Hôtel-de-Ville, les nomma ses o chers frères e, leur annonça le danger imminent, les pria de se défendre de toutes leurs forces contre l'agresseur, leur remontra que s'ils livraient la place aux Français, l'Allemagne entière, qui la regardait comme la clef de l'Empire, essaierait de la reprendre, de même que près de cent années auparavant, elle l'avait reprise au marquis d'Huxelles. Mais l'électeur avait donné l'exemple de la fuite ; il envoyait ses archives à Aschaffenbourg et son argenterie à Dusseldorf. Comme lui, le Chapitre faisait transporter à Dusseldorf le trésor de la cathédrale, les mitres, les chasubles brodées de perles et de diamants, les crosses, les ornements des autels, les images des saints. Albini lui-même, dans l'instant où il tenait aux bourgeois cet éloquent discours, expédiait ses bagages sur l'autre rive du Rhin. Deux médecins seulement restaient à Mayence. Dans la rue qu'habitait Forster, toutes les maisons étaient vides, excepté deux, dont la sienne[10]. On sollicita des secours de tous côtés, et vingt-six courriers partirent le 5 octobre pour demander des renforts aux états des cercles. Mais les uns ne répondirent pas et les autres s'excusèrent. La ville libre de Francfort-sur-le-Mein refusa douze canons et une compagnie d'artilleurs. Intimidé par une lettre de Custine qui le sommait de faire jeter dans le Rhin, en présence de commissaires français, les entrepôts autrichiens de Mannheim, le ministre de l'électeur palatin, Oberndorff, jurait que la ville ne renfermait aucun magasin et promettait de garder la neutralité la plus exacte, la plus impartiale et la plus rigoureuse[11]. Le duc de Deux-Ponts, d'ailleurs trop petit seigneur pour
donner à la France une ombre d'appréhension, remerciait Custine de respecter
son territoire avec une attention rigide et,
comme disait Desportes, duc, ministres,
sous-ministres étaient aux ordres de la France ; quand nous éternuerons, tout
le duché s'écriera : Dieu vous bénisse ![12] Le landgrave de Hesse-Darmstadt. Louis X, avait hérité de son père, Louis IX, une petite armée qui faisait l'admiration du militaire par la beauté de ses soldats, tous nerveux et fortement charpentés. Les officiers français venaient exprès de Strasbourg, de Landau et de Fort-Louis pour assister aux manœuvres du régiment que Louis IX entretenait dans sa résidence de Pirmasens et qui passait pour un module de discipline, d'économie et de bonne conduite. Darmstadt était une sorte de Potsdam où l'on ne voyait que des casernes et des champs d'exercices. Le landgrave pouvait donc jeter 3.000 hommes dans Mayence et sauver la ville. Il leur ordonna de se retirer a Giessen, hors de portée des envahisseurs, et il enjoignit a ses baillis de ne donner aux Français aucun sujet de plainte et de leur fournir, contre paiement, tout ce qu'ils demanderaient ; ils avaient ménagé ses possessions d'Alsace et il ne voulait pas se brouiller avec eux. Cet imbécile là, s'écriait Catherine II, reste neutre contre les Français dans sa propre cause ! Lui et sa troupe meurent de peur à Giessen ; voila un digne héros du temps où nous vivons, et l'on ne peut rencontrer qu'en Allemagne des modèles de déraisonnement pareil ![13] La diète de Ratisbonne décida le S octobre de fournir sans retard des secours aux Etats en péril. Mais on savait ce que valaient de semblables décisions et quelle était la lenteur des armements. L'Empire, avait dit Brissot, n'est qu'un fantôme. Les cercles vont se lever ! mandait Desportes à Paris, sous un an au plus tard vos expéditions Custine seront contrariées, même arrêtées par les plus redoutables troupes de l'Empire ![14] Esterhazy était à Fribourg en Brisgau avec 7.000 hommes On
lui dépêcha plusieurs messagers, entre autres le valet de chambre de
l'électeur. Mats Esterhazy, dit Bouillé, était un homme plus que médiocre :
il craignait une double attaque ; il voyait déjà
les Français que Ferrier commandait e Huningue, violer la neutralité du
territoire de Bâle et pénétrer dans le Brisgau par Rheinfelden. Vainement Condé
et Bouillé lui remontraient qu'il était impossible de garder quarante lieues
d'étendue, et lui conseillaient de prendre l'offensive, de détendre la rive
droite du Rhin, non pas en la bordant, mais eu passant sur la rive gauche.
Esterhazy refusait d'écouler les émigrés et se plaignait de leur inconséquence et de leur agitation
qui le jetaient sans cesse dans de cruels embarras. Il se contenta d'envoyer
sur Stotlhofen un régiment de dragons et quatre bataillons d'infanterie en
leur recommandant de ne pas s'exposer et de ne pousser en avant que des
partis de cavalerie. Il somma la régence de Mannheim de faire marcher des
troupes sans attendre les ordres de l'électeur palatin. Il pria le landgrave
de Hesse-Darmstadt de placer ses trois mille hommes a Philippsbourg. Mais
lui-même restait à Fribourg pour réunir plus aisément ses petites forces ; il se trouvait, disait-il, dans
une triste position, et son corps d'armée était faible
et dépourvu de tout. Déjà partaient de Fribourg la chancellerie et les
caisses publiques ; déjà s'éloignait la régence ; tout le monde fuyait en
Souabe, en Suisse, plus loin encore[15]. Albini, abandonné de tous, résolut pourtant de tenir ferme. Les soldats s'établirent dans les ouvrages extérieurs. Les bourgeois montèrent la garde aux portes et sur les places. Deux à trois cents paysans furent appelés des villages voisins pour manier la bêche et rouler la brouette à raison de vingt-quatre kreuzer par journée. On éleva deux nouveaux remparts ; on fit tomber sous la hache une allée d'arbres au-dessus de la Favorite ; on barra la route de Weisenau par des abatis. L'arsenal fournit des fusils ana habitants qui voulurent s'armer. Le résident de Prusse a Mayence, le baron de Stein, secondait Albini de tout son pouvoir. C'était lui qui, dans l'intérêt de la défense, avait conseillé d'éloigner l'archevêque-électeur[16]. Il insérait dans la Gazette de Mayence des nouvelles rassurantes, parlait de prochains renforts, prétendait que Dumouriez avait essuyé des revers dans les Pays-Bas, et, à la tête d'un corps de francs-tireurs qu'il avait composé des chasseurs, piqueurs et autres domestiques de la noblesse mayençaise, il faisait des reconnaissances sur la rive du Rhin jusqu'à Nierstein[17]. Mais le découragement s'était emparé des esprits. Le 5 octobre, un hussard mayençais s'enivrait dans une auberge de Nackenheirn et y menait grand tapage. Les gens du lieu, fatigués de cet hôte importun, imaginèrent de lui faire peur, et, soudainement, annoncèrent l'approche des Français. Aussitôt, sans demander son reste, le hussard enfourcha sa mouture, courut à Mayence et traversa les rues au galop en criant à tue-tête : Voilà l'ennemi ! Il communiqua sa panique à toute la ville. Le canon d'alarme fut tiré. Les généraux se rendirent à leur poste. Les bourgeois gagnèrent les remparts. Cinquante à soixante soldats de Nassau-Weilbourg, affolés, déclarèrent à leur chef qu'ils n'avaient pas envie de se faire tuer pour l'électeur de Mayence : ils ouvrirent la porte dont ils avaient la garde, et prirent le chemin de leur pays. Leur prince les renvoya : ils revinrent, reçurent la bastonnade et servirent dans l'intérieur de la ville ; mais leur nom devint mi sobriquet ; tout fuyard s'appela désormais un Nassau-Weilbourg[18]. Un conseil de guerre s'était assemblé le même jour. Il se composait du gouverneur Gymnich, des généraux de Faber et de Rüdt, des principaux commandants, des officiers du génie et de l'artillerie. Mais tous les membres de ce conseil étaient éperdus, aveuglés par la terreur[19]. Le gouverneur Gymnich, en même temps général en chef des forces mayençaises, et revêtu de ce double emploi depuis 1779, n'avait qu'un très mince savoir et manquait de caractère. tin instant disgracié, craignant de retomber en défaveur, s'efforçant de plaire à tous et de ne blesser personne, courtisan et non plus militaire, il se trouvait sans force et sans courage contre un péril imprévu. S'il eût été plus ferme, dit un officier français, nous ne serions pas entrés dans la place[20]. On l'avait vu, depuis la déclaration de guerre, chevaucher tous les jours jusqu'aux portes, mettre pied à terre, s'asseoir à une longue table et de sa propre main payer leur salaire aux ouvriers des fortifications ; il n'avait pas fait autre chose[21]. Le personnage le plus remarquable du conseil, le seul qui gardait son sang froid et joignait l'énergie au talent, le seul en qui le faible Gymnich mettait sa confiance, était Rodolphe Eickemeyer ingénieur, lieutenant-colonel du génie, professeur de mathématiques à l'Université et directeur des travaux hydrauliques dans l'électorat de Mayence et l'évêché de Worms. Il avait fait à Paris d'excellentes études et suivi les cours de La Caille, de l'abbé Marie, de Sigaud de La Fond, de Rouelle. Chargé, l'année précédente, de dresser un plan de défense de la place, il avait proposé, avec l'approbation de deux ingénieurs de l'armée de Condé, les travaux les plus urgents. Ses Mémoires témoignent d'une vive intelligence et d'un esprit sagace[22]. Eickemeyer déclara dans ce conseil de guerre du 5 octobre qu'il fallait défendre les dehors de la place et que les forts et les lignes retranchées tiendraient longtemps contre une attaque de l'ennemi : abandonner les ouvrages extérieurs à l'assaillant, c'était lui permettre de bombarder de près l'enceinte intérieure en partie dominée par les forts, c'était lui faciliter l'assaut, c'était rendre la capitulation inévitable. Le général de D'aber répondit qu'il était inutile de se maintenir dans les ouvrages extérieurs et qu'on devait restreindre la défense au corps de la place en se servant de tous ses canons contre l'assiégeant. La majorité l'approuva. Mais, à ce moment, le hussard ivre qui venait de Nackenheim annonçait l'approche des Français. Gymnich leva sur-le-champ la séance. Allons au vote ! dit-il, faut-il défendre les ouvrages extérieurs ? — Tout le conseil répondit qu'il fallait les quitter. Le lieutenant-colonel Eickemeyer était resté seul de son avis. Il fut mandé. ainsi que le général de Faber, chez les statthalters Fechenbach et Albini. Ces deux personnages déclarèrent que la résolution du conseil de guerre leur paraissait dangereuse, et Albini, prenant Eickemeyer à part, l'assura qu'on estimait ses connaissances et sa fermeté je vous donne ma parole, ajoutait-il, que sous peu l'électeur vous nommera général. Eickemeyer répondit qu'il n'avait pas besoin de cette promesse pour l'aire son devoir[23]. On sut bientôt que les Français avaient détalé. Les alarmes se dissipèrent. Quelques fugitifs rentrèrent dans Mayence. Albini fit néanmoins continuer les travaux de la place Il obtint de petits renforts : un escadron de hussards d'Esterhazy et 500 soldats autrichiens qui sortaient des hôpitaux et se rendaient dans les Pays-Bas. Il essaya de redonner du cœur aux habitants par des proclamations. Tout bourgeois atteint d'une blessure qui le mettrait hors d'état de gagner sa vie, recevrait annuellement cent florins sur la cassette de l'électeur ; s'il mourait de sa blessure, sa femme et ses enfants toucheraient la même pension jusqu'à ce que le plus jeune enfant eût atteint sa douzième année. Si la ville était bombardée, Frédéric-Charles d'Erthal paierait la moitié des dommages. Tous les anciens soldats durent concourir à la défense et l'on promit de les bien nourrir et de leur payer une solde de deux florins par semaine. On craignait les espions : tout habitant qui désirait loger un étranger plus de vingt-quatre heures, dut demander la permission aux statthalters[24]. La garnison comprenait dés lors 2,882 hommes de troupes régulières : 1.080 Autrichiens, 1.211 Mayençais et 891 soldats de l'évêché de Worms, de l'abbaye de Fulde, de Nassau-Orange, de Nassau-Weilbourg et de Nassau-Usingen. A ces troupes de ligue dont un tiers n'avait pas encore déchiré de cartouche, s'ajoutait une sorte de garde nationale levée en hâte et peu sérieuse : une soixantaine de francs-tireurs réunis par le baron de Stein, une trentaine d'anciens soldats, 200 paysans du Rheingau, une compagnie d'étudiants en droit, 700 artisans et ouvriers, 1.500 bourgeois[25]. Mais la prise de Spire et la défaite des Prussiens en Champagne avaient démoralisé les soldats et surtout les officiers. Ou passait de la fanfaronnade à la consternation. Après avoir parlé des Français avec un extrême dédain, on les regardait comme des foudres de guerre et l'on ne se croyait pas à l'abri derrière des murs de revêtement d'une hauteur de trente-deux pieds. On ne demandait pas ce qu'il fallait faire pour se défendre ; il semblait que la reddition de la place fût chose convenue, et l'on ne discourait que de la retraite, des moyens de l'opérer, de la direction qu'elle prendrait. Bientôt ou murmura, on s'indigna, on déclara tout haut qu'il était insensé de résister, avec si peu de monde, à toute l'armée française[26]. 181 canons et 9 obusiers garnissaient les remparts et les forts extérieurs. C'était assez pour résister à un coup de main et repousser un envahisseur qui ne pouvait traîner avec lui un appareil de siège. Mais il y avait plus de pièces que d'artilleurs, et pour renforcer les 63 canonniers de profession et les 39 bourgeois inexpérimentés qui tiraient le canon aux jours de fête et dans les cérémonies publiques, il fallut leur adjoindre, en guise de servants, 118 menuisiers et 100 serruriers. tin ingénieur et trois officiers d'artillerie, Denis, Nexon, Prevost et Romain, envoyés par le prince de Condé, vinrent de Fribourg offrir leurs services au baron de Gymnich. Ils avaient couru pendant toute la nuit et rencontré sur leur roule des patrouilles allemandes, plus transies de frayeur que de froid, tapies contre les haies, et qui ne répondaient qu'à voix basse, tant elles croyaient l'ennemi près de leurs épaules Ils furent arrêtés aux portes de Mayence, malgré leurs cocardes blanches, sous prétexte qu'ils étaient Français et que les meilleurs ne valaient pas grand'chose. On les mena chez Gymnich qui les retint à diner ; mais, rapporte un des officiers, nous remarquâmes dans la conversation de ces messieurs beaucoup d'embarras et d'incertitude. Finalement, de peur d'exciter la jalousie et l'inquiétude de la bourgeoisie, Gymnich les fit conduire à Hochheim, dans une maison de l'électeur, et, lorsque l'ennemi parut, il les pria de partir : Nous nous trouvons, leur écrivait-il, dans une position si déplorable que nous avons tout à craindre ; ne perdez pas un instant pour vous éloigner d'ici[27]. II. Pendant ce temps, Custine était revenu de son émoi. Dès le 12 octobre, il roulait dans son esprit inquiet de nouveaux et vastes desseins. Il connaissait l'échec des Prussiens dans l'Argonne, et lui-même prétendait immodestement être le premier auteur de Valmy, parce qu'un certain jour il avait écrit au ministre qu'on ferait bien de défendre la rivière d'Aire ; je m'estime heureux, disait-il, que l'exécution de cette mesure ait produit le salut de la patrie. Mais les Français, victorieux de toutes parts, ne pourraient-ils hiverner sur le Rhin et sur la Moselle ? Pendant que Dumouriez et Kellermann envahiraient, l'un, la Flandre, l'antre, le pays de Trèves, ne pourrait-il, lui, Custine, s'emparer de Mayence[28] ? A peine de retour à Edesheim, il apprenait, en effet, non sans confusion, qu'il avait reculé devant des ennemis qui n'existaient pas. Houchard lui mandait qu'un espion, envoyé a Spire et à Germersheim, n'avait vu personne sur la rive gauche du Rhin, et l'officier du génie Clémencet, chargé d'explorer en avant de Neustadt, la vallée du Speierbach, rentrait au bout de trois jours en annonçant que, depuis un mois, pas un Autrichien n'avait paru dans la contrée. Custine, enhardi, fit ce qu'il aurait pu faire quelques jours plus tôt : il marcha sur Mayence. Il imitait, a dit un contemporain, le petit oiseau qui sort du nid, saute sur la branche voisine, puis revient au nid, puis saute de nouveau et se risque plus loin[29]. Il était encouragé dans son dessein par des Allemands, amis de la Révolution française, non seulement par Dorsch, vicaire épiscopal de Strasbourg, mais par Böhmer et Wedekind. Intimer, professeur au gymnase luthérien de Worms, s'était offert à Custine dès la prise de Spire Le médecin Wedekind sortit de Mayence le 18 octobre, sous prétexte de soigner une malade du voisinage, et vint au-devant des Français. Custine s'attacha ces deux personnages ; il fit de Böhmer son trucheman ; il nomma Wedekind médecin de l'hôpital militaire ; dès le 24 octobre, l'un et l'autre recevaient du général un traitement provisoire de cinq cents livres par mois. Il fallait, disait Custine, indemniser ces deux hommes vertueux des grands sacrifices qu'ils avaient faits. Ne s'étaient-ils pas dépouillés de leur chaire et de leur état ? Ne s'étaient-ils pas condamnés à la proscription pour avoir professé publiquement nos principes'[30] ? Custine n'ignorait donc pas qu'il y avait à Mayence un groupe d'hommes hostiles au gouvernement de l'électeur et attachés aux principes nouveaux. On avait vendu le 5 octobre des cocardes tricolores dans la rue des Cordonniers. Quelques professeurs de l'Université, comme Hofmann et Metternich, ne cachaient pas l'enthousiasme que leur inspirait la Révolution française. Ils appartenaient au Cabinet littéraire, où on lisait à haute voix, au milieu des bravos, les gazettes de Paris. Aussi, le 13 octobre, les statthalters avaient-ils défendu aux membres de la société, sous les peines les plus sévères, d'accueillir par des applaudissements et des marques bruyantes d'adhésion la lecture des journaux français qui ne prêchaient qu'une malheureuse révolte[31]. Mais l'Alsacien Daniel Stamm fut le principal instigateur de l'entreprise. Ce Stamm, secrétaire des Jacobins de Strasbourg et guide à l'armée du Rhin, avait prononcé, le 20 septembre au club, un discours sur les devoirs des soldats qui combattent pour la liberté. Custine le remarqua, le prit en goût. Il lui confia d'abord le soin de sa cave — Stamm était fils d'un tonnelier d'Epfig — et le nomma par plaisanterie son grand bibliothécaire[32] ; puis il lui fit contresigner sa proclamation aux habitants de Worms. C'était, disait-il, un bon républicain, brusque, franc, un de ces hommes durs et sévères comme il faut en opposer aux solliciteurs. D'ailleurs Stamm savait très bien l'allemand ; il ne manquait ni de hardiesse ni d'habileté ; il avait accompagné Schwardin dans l'expédition de Philippsbourg et, le 18 octobre, en traversant Nackenheim avec l'armée, il harangua très adroitement les paysans et sut leur commenter les droits de l'homme. Stamm se rendit secrètement à Mayence. C'est à lui que Custine fait allusion, lorsqu'il parle d'émissaires qui bravent la mort pour assurer ses succès ; j'ai trouvé, écrit-il avec son emphase coutumière, des citoyens zélés pour la chose publique et assez dévoués a la patrie pour s'exposer avec transport au supplice, et j'ai su me procurer par l'intelligence et l'audace du jeune Stamm, la connaissance précise des points qui avaient été négligés dans la place. En réalité, l'espion, qui se donnait pour marchand de vin, n'alla qu'à Weisenau, à une demi-lieue de Mayence[33]. Mais il en vit assez pour rapporter que la route n'offrait aucun obstacle, que la prise de Spire avait jeté l'effroi dans les cœurs, que les partisans de la Révolution se montraient et que ses ennemis s'éloignaient en toute hâte, qu'une poignée d'hommes sans consistance et sans bravoure formait la garnison de la ville. Aussi Custine demandait-il pour Stamm le grade de capitaine aide-de-camp : la République, disait-il, devait reconnaitre les talents et le zèle de ce citoyen, et récompenser le service qu'il avait rendu[34]. Sûr, comme il disait, du nombre de troupes qui tenait garnison à Mayence et instruit des moyens d'attaque, quoiqu'il n'eût d'autre carte qu'un mauvais plan gravé vers le milieu du siècle à Nuremberg[35], Custine quitta son quartier-général d'Edesheim le 16 octobre, à huit heures du soir. Il avait eu soin de mander auparavant à Biron et au président de la Convention que, s'il échouait, il aurait du moins inquiété les coalises et précipité leur retraite. En se portant sur Mayence, il désobéissait en effet à Biron, son supérieur. Plus d'une fois Biron l'avait prié, supplié de ne rien risquer, de ne s'écarter ni trop loin ni trop longtemps, de se tenir toujours a portée de marcher à la première réquisition. Il le félicita de la prise de Spire, mais il ajoutait que te succès même pouvait avoir des retours fâcheux, des suites difficiles à calculer, et lorsque Custine proposait de passer le Rhin à Philippsbourg, de descendre sur Strasbourg, d'occuper Kehl et de balayer le Brisgau, Biron refusait son consentement et envisageait dans cette expédition plus de dangers que d'avantages. Custine frémissait d'être ainsi tenu en laisse ; il aurait voulu n'agir qu'à sa tête, et il se plaignait amèrement au ministre. Faudrait-il toujours se concerter avec Biron ? Ne commanderait-il jamais en chef ? A quoi servait d'avoir plus de services qu'aucun autre général et une réputation militaire établie ? Pour mieux être maitre de ses mouvements, il attendit que Biron fit une tournée dans la Haute-Alsace, et ce dernier avait à peine gagné Huningue qu'il reçut, non sans étonnement, un billet de son lieutenant qui lui mandait sa nouvelle entreprise : Je vous envoie copie d'une lettre que j'écris au général Kellermann et je vous donne avis que, pour préliminer a l'exécution de ce plan et d'après des instructions particulières, je pars à l'instant, à la tête de l'armée que je commande, pour me porter sur Mayence[36]. La marche de l'armée française fut très rapide et l'une des plus forcées que l'histoire de la guerre eût encore signalées. Notre Diomède, disait Desportes[37], a voulu que son apparition fût plus prompte que l'éclair. Le 18 octobre, à la pointe du jour, Custine s'emparait du pont volant d'Oppenheim et dans la soirée la cavalerie de son avant-garde entrait à Weisenau. Le lendemain matin apparaissait aux regards éblouis des soldats le plus beau et le plus majestueux des spectacles : le Rhin roulant ses eaux vertes, le pont de bateaux qui reliait ses deux bords, ses îles couvertes de saules et de peupliers qui laissaient voir à travers leur feuillage des ruines de remparts, sur la rive gauche la ville de Mayence étendue en forme de croissant, la masse sombre de ses vieux édifices où perçaient quelques maisons neuves aux terrasses couronnées de gazon, la flèche de la cathédrale s'élevant avec fierté dans les airs, le château de Martinsbourg, et, au-delà de Mayence, sur la rive droite où le Mein serpentait à travers les vergers, le grand village de Kastel, la riante bourgade de Kostheim, les coteaux de Hochheim dont le vin était alors si célèbre que les Anglais nommaient hock tous les vins du pays rhénan, et, au lointain horizon, sur une colline, la petite ville de Höchst et sa blanche tourelle[38]. Custine avait, pour couvrir son flanc gauche, envoyé quelques milliers d'hommes par Dürkheim et Neuf-Linange à Alzey ; deux bataillons s'étaient avancés jusqu'à Kreuznach et Bingen ; deux autres restaient à Worms et Oppenheim. Il ne disposait que de 13.000 hommes et de 43 canons de campagne ; il n'avait pas un mortier, pas une pièce de siège ; notre pare, dit un officier, n'avait que du huit et quelques obusiers. Mais il comptait user de stratagème et intimider la garnison par le vaste déploiement de ses forces. Je ne pourrai prendre Mayence, avait-il écrit[39], par un siège régulier, et je n'ai d'espoir qu'en une âme vénale ou timide ; vénale, je l'achèterai ; timide, je l'emporterai ! Il commanda des manœuvres et des démonstrations qui devaient multiplier ses forces aux yeux de l'adversaire, et il fit si bien que Mayence crut voir 30.000 hommes devant ses murs. tin grand nombre de tentes se dressèrent sur les pentes de Hechtsheim, de Weisenau à Marienborn et à Mombach[40]. L'armée eut ordre de prendre un grand développement sans profondeur. La cavalerie, se mettant sur deux rangs, offrit un front immense. L'infanterie, se montrant sur deux et même sur un seul homme de hauteur, exécuta pendant toute la journée des marches et des contremarches. Vingt e vingt-cinq voitures, chargées d'échelles que l'adjudant-général Marco avait ramassées sur la route et fait attacher les unes aux autres par des cordes achetées à Alzey, allèrent et vinrent sur les chemins, comme si l'ou préparait l'escalade, et du haut de la tour Saint-Étienne, la plus haute de la ville, le chancelier Albini, le général Hatzfeld, l'ingénieur Eickemeyer, le professeur Metternich et une foule de curieux purent les voir à l'aide du meilleur télescope anglais de l'Université[41]. Un grand nombre de bateaux, rassemblés par l'avant-garde, descendirent le Rhin, comme si l'ou projetait d'assaillir le quai du fleuve. Enfin, à midi, le colonel Houchard vint sommer la place. Il avait la taille imposante, le visage rude, rébarbatif, sillonné de larges cicatrices, et sa personne répondait bien aux menaces que contenait la sommation de Custine. Les Français, disait le général, avaient prouvé à Spire ce qu'ils savaient faire, et à sa voix, a son ordre, rien n'étonnerait leur courage ; si la ville ne se rendait pas, elle serait prise d'assaut et détruite le jour suivant. Gymnich répliqua verbalement à cette mise eu demeure qu'il voulait se défendre, qu'au moins il demandait jusqu'au surlendemain pour réfléchir sur sa situation. Gymnich avait-il une velléité de sérieuse résistance ? La forteresse allait-elle fermer obstinément ses portes ? Durant tout le jour et dans la soirée Jusqu'à minuit, elle riposta au feu des Français, et peu s'en fallut que son artillerie ne fit un grand mal à la division que commandait Lafarelle. Ce général avait traversé Zehlbach et devait laisser Bretzenheim à droite et longer le ruisseau qui coule dons le vallon de Gonsenheim pour se mettre en bataille derrière Mombach. Il alla très gauchement débusquer sur le glacis du fort Hauptstein à portée des pièces mayençaises. On a prétendu que ses gens usèrent de ruse et qu'ils agitèrent des mouchoirs blancs en criant : Vive Condé pour faire taire le canon. En réalité, le général de Rüdt, chargé de la défense du Hauptstein, faible, indécis, ignorant, n'osa commander le feu et Lafarelle eut le temps de se mettre en sûreté. Mais un fourrier de l'électeur, ancien sergent au régiment de La Marck, sortit de la place en soulevant son chapeau. Un capitaine de La Marck, Cammerer, s'avance et lui demande en allemand ce qu'il veut. — Êtes-vous amis ou ennemis, et que voulez-vous ? — Mon général peut seul vous répondre. — Le fourrier fut conduit à Lafarelle, et lorsqu'il rentra dans la ville, il fit tirer sur les deux chasseurs qui l'avaient escorté[42]. Il fallait brusquer l'aventure, mettre fin par une
nouvelle et vigoureuse démarche aux incertitudes du gouverneur. Custine
envoya dans la matinée du 20 octobre une seconde sommation à Gymnich Il
accorderait volontiers un délai de vingt-quatre heures, mais il ne pouvait
retenir ses grenadiers qu'enflammait le désir de la gloire et d'une riche proie. Je ne
dois pas, disait-il, enchainer l'ardeur de
mes soldats, et je le voudrais en vain. Je vous en préviens, ce n'est point
une attaque régulière, c'est une attaque de vive force à laquelle il faut
vous attendre ; non seulement elle est possible, mais même elle est sans
danger ; aussi bien que vous, je connais votre place et l'espèce de troupes
qui la défend. Réponse, réponse, Monsieur le gouverneur ! Une lettre aux magistrats était jointe à cette sommation. Custine y parlait des moyens terribles dont il disposait pour réduire la ville en cendres, de la perfection de l'artillerie française, de ses boulets rouges et de ses obus, de la bravoure de ses soldats à qui rien n'était impossible, et il assurait aux Mayençais que s'ils refusaient de se rendre, le lendemain serait le dernier de leurs jours[43]. Gymnich eut une conférence avec les statthalters Fechenbach et Albini, le général de Hatzfeld, le conseiller intime Kalckhoff et le résident de Prusse baron de Stein. Trois de ces personnages, les seuls qui ne fussent pas militaires, Fechenbach, Albini, Kalckhoff, proposèrent de défendre la place. Mais Gymnich déclara qu'il était prêt à capituler, et le baron de Stein l'approuva ; ou ne pouvait, disait Stein, compter sur la garnison et encore moins sur la bourgeoisie ; on n'avait aucune espérance de recevoir des secours extérieurs ; la résistance était donc une folie ; elle entraînait l'escalade et le pillage ; elle aurait l'issue la plus funeste. L'opinion de Stein, qui passait pour un homme du métier, en-[raina les statthalters ; ils convinrent qu'il valait mieux livrer la forteresse par une prompte capitulation que d'exposer la bourgeoisie a la fureur d'une soldatesque victorieuse[44]. Un conseil de guerre suivit cette conférence. Il ne comprenait que des militaires : les généraux Gymnich, Hatzfeld, Buseck, les généraux-majors Faber, Stutzer et le lieutenant-colonel Eickemeyer, qui tenait là plume. Gymnich répéta ce qu'il avait dit et ce que savaient les membres du conseil : la ville manquait de tout ; sa garnison, composée des éléments les plus divers, marquait une extrême lassitude ; l'ennemi paraissait avoir 30.000 hommes et allait sans doute donner l'assaut, infliger à Mayence tous les malheurs que subit d'ordinaire une ville emportée de vive force ; que faire dans un tel état de déconfort, de délaissement et de détresse ? Tous les assistants approuvèrent Gymnich. Seul, Eickemeyer opina que la place devait se défendre encore, qu'il faudrait du temps pour l'assiéger dans les formes, qu'un assaut serait facilement repoussé. Mais on lui demanda s'il voulait être responsable du malheur de la ville. La capitulation fut résolue d'un commun consentement[45]. Eickemeyer, qui savait parfaitement le français, eut mission de se rendre auprès de Custine. Il trouva le général à Marienborn, et tout d'abord, selon les instructions de Gymnich, il déclara que le gouverneur ouvrirait volontiers la ville aux Français, s'ils reconnaissaient la neutralité de l'électeur. Custine parut embarrassé, niais il se remit bientôt. La France, répondit-il, ne veut pas conquérir, et je suis venu, non pour faire du mal à des citoyens paisibles, mais pour châtier un prince qui secourait les émigrés, nos plus implacables ennemis, et qui s'allie contre nous à l'Autriche et à la Prusse. Ce prince n'est donc pas neutre. D'ailleurs, il appartient au ministre des affaires étrangères, et non à moi, qui ne suis que soldat, de reconnaître la neutralité de l'électeur. Et il congédia Eickemeyer eu ajoutant d'un air fâché qu'il ne laissait plus à Gymnich que deux heures de réflexion ; ce délai passé, il regarderait les négociations comme rompues. Eickemeyer lui remit alors un pli cacheté. Custine courut à sa table, ouvrit la lettre et la lut en souriant. C'était la réponse de Gymnich ; il cédait Mayence pour épargner à la population les horreurs d'un bombardement[46]. Le 21 octobre, la capitulation était signée. Le maréchal de camp Munnier et le commissaire des guerres Pétigny représentaient Custine ; le conseiller intime Kalckhoff et Eickemeyer avaient les pleins pouvoirs de Gymnich[47]. Le vainqueur mettait sous la sauvegarde de la loi les propriétés particulières et en garantissait la sûreté, selon les principes de la constitution française. Le ministère, les dicastères, le haut et le bas clergé, toutes les personnes attachées au service de l'électeur, tous les habitants de Mayence pouvaient se retirer avec leurs effets, et ou accorderait à chacun les passeports et sauf-conduits qu'il demanderait. La garnison sortirait librement avec les honneurs de la guerre, mais elle n'emmènerait que quatre pièces de campagne et s'engagerait à ne pas servir durant un an centre la République. Les Autrichiens n'étaient pas compris dans la capitulation. Leur capitaine Andujar refusa de souscrire à la reddition de la place, et, bravant les ordres de Gymnich, agissant, comme il disait, contre la subordination pour la première fois après vingt-quatre ans de services, il passa le pont du Rhin et gagna Coblenz pour soustraire mile hommes à la volonté des ennemis[48]. A midi s'ouvraient les portes de la ville. C'était un dimanche. Pendant que la populace se jetait dans les vignes comme une troupe d'étourneaux[49], pillait les casernes, volait le bois des magasins, un grand nombre d'habitants allaient, curieusement et sans crainte aucune, visiter le camp français. Ils connaissaient la bonne discipline et l'humanité des assiégeants. Deux jours auparavant, un berger traversait les ligues avec son troupeau sans perdre une seule bête, et des servantes qui venaient chercher dans la banlieue pour mille florins de linge, avaient vu les Français s'empresser aimablement autour d'elles pour remplir et porter leurs paniers. Les soldats reçurent les Mayençais avec cordialité ; ils leur distribuèrent des cocardes : Bonjour, camarades, leur disaient-ils, bonjour, frères ! et les enfants, courant après eux, criaient : Cocarde, Monsieur ![50] Le jour suivant, 22 octobre, l'armée française fit son entrée dans Mayence. Les habitants l'accueillirent sans dire un mot, sans pousser un cri, sans donner la moindre marque de joie ou de tristesse. Ne sait-on pas, rapporte un témoin, l'antipathie des Allemands contre les Français, nourrie par la dissemblance du caractère et de la langue ? Les artisans n'avaient-ils pas, la veille, dans le premier moment de surprise et de colère, crié qu'on pouvait encore se défendre[51] ? Les prêtres, dont fourmillait la ville, n'avaient-ils pas représenté les Français comme des athées et des tisons d'enfer ? Enfin, quelle différence aux yeux des Mayençais entre leurs soldats de parade, découplés, râblés, bien poudrés, bien brossés, sanglés dans leur habit, aux culottes collantes, aux guêtres cirées, au fusil brillant comme une glace, et ces Français négligés, sales, couverts de poussière, portant au bout de leur baïonnette rouillée un morceau de viande ! C'étaient là les vainqueurs Les soldats de ligne, sous leur uniforme blanc, avaient encore bon air et belle tournure. Mais quel spectacle comique offrait la foule des volontaires nationaux vêtus de bleu ! On considérait avec une pitié méprisante le piètre accoutrement de ces carmagnoles, leurs habits qui tombaient en loques, leurs culottes usées, jaunies, qui laissaient voir la peau, leurs bas déchirés, leurs souliers éculés. On regardait avec surprise ce singulier assemblage d'hommes de toute taille et de tout âge, marchant sans ordre et pêle-mêle, portant qui une capote, qui une blouse, les uns grands, droits, corpulents, les autres petits, chétifs, quelquefois bossus. Un Prussien ou un Autrichien, disait-on, ne ferait qu'une bouchée de ces gens-là ! Et quel scandale lorsqu'on les vit, le lendemain et les jours suivants, fumer leur pipe pendant l'exercice au nez de leur instructeur ! Mais à l'étonnement et au dédain succéda bientôt la sympathie. Ces républicains montraient tant de gaieté, d'entrain et de bonhomie ! Qu'on saisisse les revenus de l'électeur, disaient-ils en riant, mais qu'on n'oublie pas les jambons de Mayence ; nous sommes à la source ! Ils n'étaient pas exigeants, ils ne demandaient que le logis, et on les trouvait à l'occasion serviables, obligeants, pleins de complaisance ; sitôt qu'ils avaient un instant de loisir, ils aidaient le bourgeois dans son ménage ou son métier. Mobiles, souples, alertes, ne cessant de changer de posture, incapables de demeurer en place, toujours en mouvement et comme en l'air, ils allaient et venaient, sautaient, dansaient, jasaient, sifflaient, chantaient, jouaient avec leurs chiens et faisaient un tel bruit qu'on les croyait plus nombreux qu'ils n'étaient réellement et que Mayence ne semblait pas désemplir. Tout le jour, ils couraient aux appels du tambour, soit pour monter la garde, soit pour manœuvrer, soit pour recevoir le pain ou le quartier de bœuf qu'ils fendaient en petites portions dans la rue sur une borne ou sur une pierre. On ne voyait, on n'entendait qu'eux, et jamais la ville n'avait été plus animée et plus vivante. Mais, dès que tombait la nuit, le tumulte s'apaisait ; un profond silence régnait dans les rues, et l'on ne rencontrait plus que des patrouilles, officiers et soldats se traitaient en frères et paraissaient n'avoir qu'une âme et un cœur. Ils mangeaient â la même table dans les auberges. Tous aimaient Custine et ne juraient que par lui : Il continuera sa farandole, s'écriaient-ils, car c'est une farandole continuelle que nos conquêtes. Ils étaient fiers de leur mission et se regardaient comme les chevaliers des droits de l'homme ; ils ne parlaient que de la défaite des rois et de la chute des trônes ; les Alsaciens mêmes, qui ne savaient que l'allemand, disaient avec orgueil : Nous sommes soldats français ![52] Ainsi tombait, presque instantanément, après une insignifiante canonnade, et, selon le mot de Custine, par un hasard heureux[53], la cité qu'on nommait le boulevard de l'Allemagne. Quatre mois auparavant, elle était pleine de fêtes, L'empereur y faisait son entrée au son des cloches et au bruit du canon, entre des haies de soldats, sous une pluie de fleurs que les enfants jetaient sur son passage. Les personnages les plus considérables de l'Empire et de l'émigration française, cinquante princes et une centaine de comtes et de marquis s'y donnaient rendez-vous ; Vienne, Berlin, Versailles se rencontraient dans Mayence ; durant trois jours, ce n'était qu'un enchaînement de concerts et de spectacles, de Lais et de festins. Le soir, la ville s'illuminait, des gerbes de feu s'élevaient de tontes parts, et les jardins de la Favorite, les yachts du Rhin, le pont de bateaux, les clochers de Kastel, de Kostheim, de Hochheim étincelaient de lumières. On lisait dans les rues des devises en l'honneur de François II et des allusions à la conquête de la France. Les émigrés assuraient hautement qu'ils seraient bientôt à Paris, et le marquis d'Autichamp, passant sous les fenêtres d'une daine qui lui souhaitait bonne chance, répondait le mot célèbre : Ce n'est qu'une promenade ! Lorsqu'à la table de Gymnich, on passait en revue les hommes qui s'étaient signalés dans la Révolution, ou les déclarait tous pendables sans exception : Mais, demandait Gymnich, où prendrez-vous les bourreaux et les cordes ? — Les hommes seront les bourreaux, et les femmes donneront leurs beaux cheveux pour servir de cordes. Les officiers de la petite armée mayençaise, n'avaient pas moins d'orgueil et de forfanterie. J'ai trois chapons dans ma voiture, disait l'un, je mangerai le premier à Landau, le deuxième à Nancy, et le troisième à Paris. Un autre jurait de décapiter de sa propre main quelques jacobins et de rapporter leurs tètes dans un sac, et Gymnich lui répliquait : Envoyez-moi plutôt ces coquins-là ; je les ferai mourir de faim dans mes casemates. Mme de Gymnich, plus modeste, n'exigeait qu'un doigt de Petion[54]. Tout ce monde brillant et superbe avait pris la fuite. Les couleurs tricolores flottaient sur le palais Mi le duc de Brunswick avait pesé les termes du manifeste qui menaçait Paris d'une subversion totale. La Révolution entrait victorieuse dans la ville où les alliés avaient conspiré sa ruine. Le Ça ira, la Carmagnole, la Marseillaise retentissaient dans les rues de Mayence. Nos commissaires des guerres prenaient possession de l'immense matériel que renfermait la capitale de l'archichancelier de l'Empire germanique : 237 canons, 20.983 bombes, 27.684 obus, 7.757 grenades, 250.973 boulets, 2,305 cartouches, 5.137 fusils et 1.732 mousquets, 138.867 livres de plomb et 468.000 livres de poudre. III. La capitulation avait eu lieu si soudainement et avec une telle promptitude qu'elle fut attribuée à des causes extraordinaires. Comme il arrive après tous les grands désastres, l'imagination cherchait le traître, et elle le trouva. Ce traitre était Rodolphe Eickemeyer. Les Français s'emparaient à peine de la ville que les partisans de l'électeur faisaient courir sur l'ingénieur les bruits les plus malveillants. Il s'entendait, disait-on, avec Wedekind, et un soir, le 6 octobre, lorsque le médecin revenait de Nackenheim, on l'avait vu s'entretenir tout bas avec Eickemeyer qui l'attendait aux portes. Eickemeyer avait poussé Gymnich à capituler en lui grossissant le péril et en lui faisant des rapports mensongers ; il était monté sur la tour Saint-Etienne pour observer le camp français, et il avait dit exprès que les assiégeants étaient au nombre de 40.000 ; enfin, il avait déclaré dans le conseil de guerre qu'on ne pouvait se défendre[55]. Ces accusations étaient fausses. Mais Eickemeyer les avait
provoquées et colorées, pour ainsi dire, d'une certaine vraisemblance en se
bâtant, après la capitulation, de changer de drapeau et d'entrer au service
de la République française. Le 3 novembre, paraissait dans la Gazette de
Mayence une lettre d'Eickemeyer qui renvoyait à Frédéric-Charles d'Erthal
son brevet de lieutenant-colonel. Il rappelait qu'il avait souvent proposé de
mettre Mayence eu état de défense, qu'il avait fait les plus grands efforts
pour conserver la place à l'électeur. Mais, ajoutait-il, me voyant incapable de rendre désormais à Votre Grâce des
services militaires, j'ai cru que le plus utile était de continuer mes
fonctions à l'Université et j'ai demandé au général français la permission de
séjourner à Mayence. Il a découvert en moi quelque talent pour les affaires
militaires et m'a offert le grade de colonel. Or, comme il n'y a dans ce
changement aucune collision d'intérêts qui pourrait détourner un homme
d'honneur de passer du service d'un prince neutre au service d'une puissance
belligérante, j'ai cru devoir accepter une place qui améliore sensiblement ma
fortune actuelle et me promet pour la suite les plus avantageuses
perspectives. La pensée de vous épargner un traitement en échange duquel je
ne puis rendre de service, et l'espoir de contribuer dans mon nouvel emploi
au bien de mes concitoyens mayençais ont achevé de me décider entièrement. Cette lettre, assez maladroitement rédigée, souleva toute l'Allemagne. On y releva des contradictions, des phrases louches et embarrassées. Eickemeyer n'était-il pas Mayençais ? Pourquoi cessait-il de servir son prince ? Pourquoi ne suivait-il pas l'électeur comme avaient fait Gymnich et les autres généraux ? S'il restait à Mayence, pourquoi ne se contentait-il pas de sa place de professeur ? Il disait, pour excuser sa défection, que Frédéric- Charles d'Erthal était un prince neutre ; mais, mieux que personne, il savait que Frédéric-Charles d'Erthal n'était pas neutre. Non ; Eickemeyer avait déserté parce qu'il aimait l'argent et les honneurs ; il voulait avancer, monter eu grade ; il voulait être colonel et général : rien d'étonnant qu'un pareil homme eût, de longue date, entretenu de secrètes intelligences avec Custine. Qu'auraient dit les contemporains s'ils avaient su
qu'Eickemeyer avait, dès le surlendemain de la capitulation, demandé le titre
de citoyen et un emploi dans les armées françaises ? Il
a, mandait Custine le 23 octobre, défendu la
ville de Mayence lorsqu'elle a été assiégée ; mais cette place ayant été
rendue par le gouverneur, Eickemeyer, heureux de n'être pas sous un joug
contraire à ses principes, heureux de pouvoir profiter du titre précieux
d'homme libre, demande à être citoyen français et à être employé au service
de la République. Cet officier du génie ayant de grands talents dans son état
et une parfaite connaissance des fortifications, et lui ayant déjà de grandes
obligations, vous sentez combien il peut être utile ; je vous demande pour
lui une place de colonel adjudant-général à l'armée que je commande et, vu
son mérite et le civisme qu'il montre, je vais l'employer provisoirement avec
le traitement de cette place. Le 30 octobre, le conseil exécutif nomma
Eickemeyer adjudant-général surnuméraire avec le grade de colonel, et le
lendemain Custine écrivait qu'Eickemeyer servait déjà dans l'armée française
et qu'il était de la plus grande utilité par les
renseignements locaux qu'il fournissait[56]. Et pourtant, Eickemeyer n'avait pas trahi. Si Custine avait essayé d'attaquer sa fidélité avant le siège, il aurait nommé l'ingénieur dans sa correspondance. Plus tard, dans ses disgrâces, Eickemeyer n'aurait pas craint de rappeler au gouvernement français le service qu'il avait rendu. Les représentants du peuple, qui louent son patriotisme, auraient fait allusion à la reddition de Mayence[57]. Gymnich, qui le nomme une seule fois dans sa justification[58], n'aurait pas manqué de le charger. Les généraux qui votèrent la capitulation, auraient tenté de réfuter de son vivant l'apologie qu'il publia en 1798. Sans doute Custine reconnait le 23 octobre qu'il a déjà de grandes obligations au
lieutenant-colonel Eickemeyer ; mais Eickemeyer lui avait communiqué les
plans de Mayence et n'avait pas dissimulé ses sentiments. L'ingénieur était
indigné de la lâcheté de Gymnich, et le gouvernement de l'électeur ne lui
inspirait plus qu'aversion et mépris. Peut-être avait-il essuyé quelques dégoûts
; peut-être avait-il sur le cœur une de ces cruelles et impardonnables
mortifications que l'aristocratie mayençaise n'épargnait pas aux roturiers.
Mais, avant tout, il aimait la France où il avait passé plusieurs années de
sa jeunesse et terminé ses études ; il aimait la Révolution et ne la
combattait qu'à regret. J'ai quitté,
disait-il[59],
le service de l'électeur de Mayence pour me joindre
à mes compatriotes qui acceptaient l'offre généreuse des Français de les
réunir à eux ; j'ai été le premier de mon pays qui ait pris les armes pour la
défense de la cause de la liberté. Un de nos officiers, Legrand, a
connu très particulièrement Eickemeyer : J'ai
conversé, dit-il, vingt fois à ce sujet avec
ce savant et estimable citoyen ; je le crois incapable de trahir personne,
même un despote, même un prêtre tel qu'était son prince-évêque, même par
amour pour la liberté qu'il portait et porte dans son cœur. L'entrée
d'Eickemeyer au service de la République fournit un beau prétexte à Gymnich
et à tous les membres du conseil de guerre pour couvrir leur faiblesse et
leur incapacité. Eickemeyer, persuadé que le pays de Mayence allait être
réuni à la République et que cette réunion tiendrait, philosophe d'ailleurs
et ami des principes français, put servir notre cause sans avoir livré la
place que le gouverneur n'avait pas voulu défendre malgré ses conseils. Si
quelque jour MM. de Beaulieu et de Latour, nés Belges, et qui ont à présent
en France la plus grande partie de leurs propriétés, servaient dans les
troupes de la République, il n'y aurait rien de fort étonnant, et ou ne les
accuserait pas d'avoir perdu par trahison, en faveur de la France, telle ou
telle bataille[60]. Le grand tort d'Eickemeyer fut de se rallier si vite, sans faire de façons, sans mettre entre sa démission et son passage aux Français un intervalle décent. Ses amis mêmes jugèrent sa conduite impolitique, et le grave Schlosser déclare que ni son amour de la liberté, ni sa haine contre une caste orgueilleuse, ni son cosmopolitisme n'excusent le rôle qu'il a joué[61]. Eickemeyer n'a donc pas livré Mayence[62]. A quoi servait sa trahison ? Les Français n'avaient pas besoin de lui pour entrer dans la ville. Il suffisait de laisser faire Gymnich et les membres du conseil de guerre. Gymnich s'est condamné lui-même en retraçant les motifs qui, selon son expression, lui imposaient le devoir de capituler : il croyait, dit-il, que Custine avait 30.000 hommes d'élite, secondés par une grosse artillerie et prêts à donner l'assaut ! Quant aux membres du conseil de guerre, ils n'ont lait à Gymnich aucune opposition : eux aussi n'ont montré qu'insouciance et mollesse ; eux aussi n'out eu qu'un but, en finir au plus tôt avec le siège et combattre le moins possible. Ils avaient le sentiment de l'honneur et Gymnich répondait à Custine qu'il était officier et qu'il ne craignait pas la mort. Mais c'étaient des officiers d'empire et d'électorat, nullement imbus de l'esprit militaire et martial, des généraux de cour qui ne pensaient qu'à parader, à caracoler, à passer des revues, a montrer leur bel uniforme dans les fêtes et sur les promenades. Ils n'avaient en tête que la faveur du prince, et lorsque la guerre, tonnant tout à coup, les tirait de leur douce et confortable existence, ils demeuraient stupéfaits, effarés, atterrés ; ils avaient oublié leur métier de soldat. Un semblant de résistance, un peu de vigueur déployée à propos, aurait suffi sans doute pour arrêter l'adversaire ; les Pfaffengenerale étaient incapables de ce léger effort. |
[1] On disait alors l'expédition Custine plutôt que l'expédition de Custine, l'armée Kellermann, l'armée Dumouriez.
[2] Moniteur, 7 et 15 oct. 1792 ; Le Vasseur de la Meurthe et le colonel Champeaux à Custine, 4 et 7 oct. (A. G.) ; mot de Clémencet : la journée de Spire fit la plus grande sensation, et de Saint-Cyr, I, 17 : Custine, le premier, a fait goûter aux Français le plaisir de la victoire.
[3] Moniteur, 16, 19, 20, 22 oct. ; Patriote français, 11 et 22 oct. 1792 ; Journal de Meier (Erdmannsdörffer, I, 505-507) ; Eickemeyer, Denkm., 114-115 ; Forster, VI, 235 ; Gesch. der franc. Erober. und Revol. am Rheinstrom, 1794, p. 39.
[4] Vivenot, Vert auliche Briefe von
Thugut, 1874, tome I, p. 4.
[5] Waitz, Caroline, 1871, I,
105.
[6] Eickemeyer, Denkw., 101 ;
Klein, 12-13 ; Keim, Die Uebergabe von Mainz (Preuss. Jahrb., XLIV, 2, p.
189).
[7] Belag., 29-32 ; Forster, VI, 303-30,0 ; Eickemeyer, Denkw., 115.
[8] Courrier des départements, 20 oct. 1792 ; Forster, VIII, 224.
[9] Cf. sur Albini le Mainzer
Landsturms Almanach, 1800, p. 66-68, et Rothenbücher, Der Kurmuinzer
Landsturm in den Jahren 1799 und 1800, 1879, p. 4, 10, 106.
[10] Forster, VI, 373, et 383-385, VIII, 230 ; Darst., 27.
[11] Lettre de Custine à Oberndorff, 4 oct. (Patriote français, 14 oct.), et d'Oberndorff à Custine, 6 et 7 oct. 1793
[12] Desportes à Le Brun, 16 et 21 oct. 1792 (A. E.).
[13] Riesbeck, Voyage en Allemagne, 1755, III, 197-198 ; Louis X à ses baillis, 5 oct. et 3 nov. 1792 (A. G.) lorsque quelques troupes françaises apparaitront, ne les recevez point d'une manière hostile ; nous-même avons tâché de retirer notre militaire pour assurer autant que possible la propriété de nos fidèles sujets en cas de quelque invasion ; Lettres de Catherine II à Grimm, 1788, p. 580 ; cf. une note inédite d'Eickemeyer (A. G. c'était lâcheté, rien que lâcheté qui le détermina à se retirer à Giessen.)
[14] Desportes à Le Brun, 19 oct. 1792 (A. E.) ; Aulard, La soc. des Jacobins, II, 624.
[15] Bouillé, Mém., 342 ; Vivenot, Quellen, II, 247-248 R(omain), II, 244 ; D(esfours), 31.
[16] Sybel, I, 583.
[17] Forster, VI, 386.
[18] Darst., 26-27 ; Forster, VI, 359 ; VIII, 225 et 229.
[19] Keiner hat Kopt (Forster, lettre du 6 oct. 1792, VIII, 225).
[20] Mot de Clémencet, rapporté par Legrand (A. G.).
[21] Beschreib., 83.
[22] Il naquit le 11 mars 1733 à Mayence où son père élan colonel du génie et fut successivement enseigne d'artillerie ou Stüchjunker (2 juillet 1770), sous-lieutenant d'artillerie (30 juin 1774), premier lieutenant du génie (13 mars 1775), capitaine du génie (4 janvier 1784), major du génie (3 janvier 1786), lieutenant-colonel du génie (juin 1792). Il avait servi en 1790 et en 1791 dans les troupes d'Empire qui faisaient la guerre aux insurgents du pays de Liège, et publié quelques mémoires scientifiques ; quatre de ses travaux avaient été couronnes par diverses académies (cf. ses Denkwürdigkeiten, p. 24 et 97). Léopold Bleibtreu auteur d'un bon ouvrage su l'histoire de Neuwien pendant la Révolution, a vu Eickemeyer avant la reddition de Marolles, et le juge em tatentvoiler Manu mit schönem Vorkommen. (Denkw. aus des Kriegsbigeb. bei Neuwied, 1834, p. 144.)
[23] Eickemeyer, Denkw., 120.
[24] Darst., 69-70.
[25] La garnison, soldats et bourgeois, s'élevait en tout à 5.780 hommes.
[26] Eickemeyer, Denkw., 117.
[27] R(omain), II, 242-245 ; Gymnich, Beschreib., 74 ; ce furent les bourgeois, nous dit Eickemeyer dans une note inédite, qui forcèrent le gouvernement à les renvoyer ; les émigrés s'étaient attiré la haine des Allemands par leur conduite insolente.
[28] Custine à l'ache, 12 oct. 1792 (A. G.).
[29] Journal de l'armée ; Houchard à Custine, 14 oct. 1792 (A. G.) ; (Girtanner), Die Franzosen aus Rheinstrom, 1795, p. 5.
[30] Custine au président de la Convention, 24 oct. 1792 (A. G.) ; cf. Darst., 42. On retrouvera Dorsch, Böhmer et Wedekind dans le volume suivant. L'auteur de la Gesch. der franz. Ecober. (p. 55) remarque ingénieusement et peut-être avec vérité que Wedekind devait connaitre mieux que personne, par son ami Eickemeyer, la faiblesse de la place.
[31] Forster, VIII, 225 ; Darst., 31-35 et 70-71 ; Ueber die Verfassung von Mainz, 17982, p. 11.
[32] Note de Legrand (A. G.).
[33] Eickemeyer, Denkw., 126, et Denkschrift, 23 (il dit que Stamm avait deux compagnons). Cf. Darst., 36 (qui prétend faussement que Stamm est entré à Mayence avec Böhmer et Houchard), et Gesch. der franz. Erober., 54 (qui assure pareillement que Stamm pénétra dans Mayence, ainsi que Böhmer, avec un passeport palatin). Hofmann déclare, au procès de Custine (Moniteur, 29 août 1793) que Stamm entretenait des correspondances avec un chanoine de Mayence (serait-ce Ch. Falciola ?). Un curieux témoignage est celui d'un habitant de Worms, P... (Pistorius ?) qui s'attribue tout l'honneur de l'entreprise. Un jour, il voit arriver chez lui deux hommes, l'un, capitaine de la garde nationale de Landau, l'autre, Stamm, qui lui proposent de les accompagner à Mayence. Il accepte. Mais, aux environs de la ville, les deux Français perdent courage et décident d'attendre P... dans un village voisin. Leur proposition me fit d'autant plus de plaisir que leur présence aurait pu me trahir et peut-être me coûter la vie. J'entrai seul à Mayence où il ne me fut pas difficile de reconnaitre les dispositions militaires puisque... J'allai ensuite faire visite à nos amis, et c'est de l'un d'eux que j'appris les bonnes dispositions des habitants. Après avoir resté trois heures à Mayence, je me mis en route pour rejoindre mes compagnons de voyage que je trouvai à Kirchheim. Je leur communiquai tous les renseignements. Aussitôt Stamm fut les communiquer à Custine, comme s'il eût été lui-même à Mayence. Custine le crut. (Journal de la Montagne, 6 juillet 1793.)
[34] Cf. Custine au ministre, 16 oct. 1792, et à la Convention (Moniteur du 27) ; Mainzer Zeitung, 19 nov. 1702. Stamm, né à Strasbourg et frère de cette Sarah Stamm qui fut la femme d'Euloge Scheider, puis de Fréderic Cotta, avait alors vingt-cinq ans. La Société de la Révolution de Strasbourg l'avait reçu membre dans le mois de janvier 1791 (Heitz, Les soc. polit. de Strasbourg, 1863, p. 112, il s'intitule négociant). Arrêté à Wissembourg, après la capitulation du 23 juillet 1793, il fut relâché et comparut comme témoin au procès de Custine. Il devint successivement secrétaire du Comité de sûreté générale de Strasbourg, agent national du district de Benfeld. Quelque temps plus tard, il fut pris par les Autrichiens et enfermé a Heidelberg (Et. Barth, Not. biogr., 504-306 ; Heitz, Les soc. polit., 240 ; Die alten Franzosen in Deutschland, 99 et 230-231 ; Die Franzosen am Rheinstrome, 136 ; Procès de Custine, Moniteur, 28 août et 3 sept. 1793 — le journal le nomme Schramm — ; ordre du 30 juillet 1793, signé Clarke pour faire poursuivre et arrêter Stamm A. G. ; les administrateurs du Bas-Rhin à l'accusateur public Clément, 25 niv. an III, (A. N. w. 497). Stamm a contresigné toutes les lettres et proclamations de Custine aux citoyens et aux magistrats de Francfort (24, 25 et 27 octobre 1792 et les Francfortois le nommaient ironiquement le fidèle écuyer du général.
[35] Eickemeyer, Denkw., 143.
[36] Custine à Pache, 12 et 14 oct. 1792, à Biron, 4, et 16 oct. ; Biron à Custine, 29 sept., 1er, 2, 3, 7 oct. ; à Pache, 15 oct. ; à Le Brun, 19 oct. ; Précis de la conduite de Biron, 30 nov. (A. G.) ; Biron s'étonnait que Custine partit en vertu d'instructions particulières dont lui, Biron, n'avait pas connaissance, et lorsqu'il était convenu de se rendre à Strasbourg, le 19 octobre au soir, pour concerter les projets ultérieurs ; il craignait que cette mesure ne nuisit au plan général.
[37] Desportes à Le Brun, 19 oct. 1792 (A. E.).
[38] Cf. Riesbeck, Voyage en Allemagne, III, 194 (Robineau, dit Beaunoir), Voyage sur le Rhin, 1791, I, 35 ; Friedenspräliminarien, I, 287.
[39] Custine à Pache, 16 oct. 1792 (A. G.).
[40] L'armée campait la droite appuyée à Hechtsheim et la gauche au Rhin, la ligue s'étendant par le couvent de Ralenti, le moulu de Gonsenheim et la tête du bois de Mombach. Les grenadiers s'étaient établis eu avant du moulin de Gousenheim sur les coteaux des vignes. On dit que Custine fit le tour de la place ventre à terre et vint même jusqu'au pied du glacis des toits.
[41] [Metternich], Der Aristokrat aut
Scichtheiten und Lägen ertappt, 1793, p. 20 ; Eickemeyer, Denkw.,
173.
[42] Darst., 42-44 ; Eickemeyer, Denkw., 130 ; Forster, VIII, 292 (lettre du 20 oct. 1792) ; note inédite de Vidalot-Dusirat et d'Eickemeyer (A. G. Lafarelle eut à rendre grâces à l'ignorance du commandant du Hauptstein qu'on ne tirât pas sur ses troupes).
[43] Gymnich ne remit pas cette lettre aux magistrats.
[44] Note inédite d'Eickemeyer (A. G.).
[45] Témoignage d'Eickemeyer, Denkschrift, 104, et Denkw., 135, confirmé par son ennemi Hatzield dans l'Untergang des Churfürstenthums Mainz, 1839, p. 133.
[46] Eickemeyer, Denkw., 139-141. Custine s'entretint longuement avec lui ; il disait que Louis XVI avait perdu la confiance et ne remonterait plus sur le trône, qu'on établirait une régence jusqu'à la majorité du Dauphin qui recevrait une instruction conforme aux nouveaux principes.
[47] Eickemeyer (Denkschrift, 113) et Forster (VI, 397) racontent un détail curieux qui donne une idée de la réflexion et de la présence d'esprit qui présidaient en ce moment aux affaires : Gymnich avait oublié de remettre a Kalckhoff les articles de la capitulation, et Kalckhoff, de les lui demander ; Kalckhoff et Eickemeyer durent rédiger les articles d'après leurs souvenirs.
[48] Cf. la lettre d'Andujar à Gymnich, Darst., 70. Custine prétendit, dans sa lettre à la Convention, que les Autrichiens clament soumis aux mêmes conditions que le reste de la garnison ; mais, disait-il, il leur avait permis de sortir avant rentrée de son armée parce qu'ils craignaient d'être égorgés par les Français.
[49] Der Bürgerfreund, 26 oct. 1792.
[50] Forster, VI, 396-397 ; VIII,
332-433 ; Argos, 30 oct. 1792, p. 279.
[51] Zech, Anrede an seine Mitbrüder
und Mitbürger, 31 déc. 1792, 1793, p. 13 ; cf. Schöne Raritäten, II,
1793, p. 47.
[52] Forster, VIII, 232 ; VI, 303-391, 390-400 ; Darst., 110 ; Belag., 53 et 60-61 ; Ueber die Verf. von Mainz., 10 ; Die aiten Franzosen, 78 ; (Girtanner), Die Franz. am Rheinstrome, 48-49, 95, 189, 205 ; Ihlee, 23, 31-32, 68 ; Gœthe, lettre du 20 toit 1797 : Courrier des départements, 28 oct. 1792. Munter, éveillé est l'épithète consacrée des Français, et Gœthe la répète trois fois en six vers dans le fameux début de son sixième chant d'Hermann et Dorothée (v. 24-29). Thérèse Heyne les juge drollig (Huber’s sämmtl. Werke, 1802, tome I, p. 69).
[53] Il dit ce mot au tribunal révolutionnaire (Moniteur, 24 août 1793).
[54] Forster, VI, 359, 363, 393 ; Eickemeyer, Denkw., 108-110 ; Invasion prussienne, 142 et 276.
[55] Darst., 33, 152-136 ; Belag., 37-39, 43 ; Beschreib., 84, 88, 30 ; Ueber die Verfassung von Mainz., 8 et 21, etc.
[56] Custine à Pache, 23 et 31 oct. 192 ; Pache à Custine, 39 oct. (A. G.) ; cf. la lettre des bureaux au ministre Eickemeyer a défendu la ville, mais dès que cette place a été rendue aux Français, il a demandé le titre de citoyen français et du service dans les troupes de la République.
[57] Rec. Aulard, II, 332. On lit pourtant dans une lettre de Haussmann, l'ancien représentant, alors administrateur ries subsistances militaires (2 brumaire an VIII) : En 1792, Eickemeyer a puissamment concouru à la prise de Mayence : mais Haussmann ne vint à Mayence que plus de deux mois après la capitulation et il plaide dans cette lettre auprès du ministre de la guerre par les plus vigoureux arguments la cause d'Eickemeyer disgracié.
[58] Beschreib, 64 (le rapport de l'ingénieur-major...).
[59] Eickemeyer au ministre de la guerre (A. G.).
[60]
Note inédite de Legrand (A. G.). Cf. ces mots de J. A. Boost, Was waren die Rheinländer als Menschen
und Bürger was ist aus ihnen geworden ?, 1819, p. 57.
[61] Darst., 351-352 ; Klein, 122-128.. Au fond, le principal motif qui détermina Eickemeyer est peut-être d'ordre domestique et privé. Depuis longtemps, l'ingénieur vivait avec une Mme Zucchi qui s'était séparée de son mari ; il ne pouvait l'épouser sous le gouvernement électoral ; il accueillit donc avec joie l'avènement du régime français qui lui permit de s'unir légalement à la femme qu'il aimait depuis sa jeunesse et qui lui avait donné plusieurs enfants. Un jour, à Gau-Algesheim, son beau-frère Appiano lui reprochait de s'être rangé du côté des Français : Je n'ai eu d'autre dessein, répondit Eickemeyer, que d'épouser votre sœur.
[62] Eickemeyer fut employé quelque temps à l'armée de Custine, comme adjudant-général colonel surnuméraire, et chargé de reconnaitre, avec Clémencet, le pays entre le Rhin et la Nahe, puis envoyé à la division du Haut-Rhin, dans le Mont Terrible, comme adjudant-général colonel (18 mars 1793). Promu général de brigade le 15 mai suivant, il commanda la place de Belfort et servit comme ingénieur dans l'armée qui bloquait Mayence. Au mois de juin 1796, il était à la tête de la première brigade de la division Taponier qui formait l'aide droite de l'armée du Rhin. Il prit part à la retraite du Val d'Euler et au siège de Kehl ou il fut blessé à la jambe gauche par un éclat de bombe (7 nivôse an V). Il eut divers commandements dans l'intérieur, à Lons-le-Saulnier, à Bourg, à Montbrison. Mais l'administration centrale de la Loire lui reprocha d'avoir des liaisons et des habitudes avec des contre-révolutionnaires bien connus et le 11 vendémiaire an VIII, le ministre de la guerre, Dubois-Crancé, lui ordonna de cesser sur-le-champ ses fonction. Eickemeyer reçut cette lettre le 19, se démit dans la journée et partit pour Mayence. Quelque temps après, on lui donna le commandement de la légion des Francs du Nord (25 frimaire an VIII) : il eut des démêlés avec un beau-frère de Berthier, d'Avrange, et dut prendre sa retraite qui fut de 3.500 francs. Vainement, il demanda sa mise en activité à Napoléon (30 nivôse an XIII) ; il n'entra pas au Sénat, quoiqu'il fût un des deux candidats nommés par les électeurs réunis à Mayence. Il accepta les fondions de maire de Gau-Algesheim en 1811, et s'enferma dans Mayence en 1813. Devenu sujet du grand-duc de Hesse-Darmstadt, il fut élu en 1820 député de la deuxième chambre des Etats, mais donna bientôt sa démission. Il mourut le 9 septembre 1825.