LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

LA TRAHISON DE DUMOURIEZ

 

CHAPITRE V. — LA TRAHISON.

 

 

I. Le comité de défense générale. Séance du 29 mars. Lettre de Dumouriez, du 28 mars. Procès-verbal des conférences de Tournai. Dumouriez mandé à la barre. Départ des quatre commissaires et de Beurnonville. — II. Les commissaires à Lille, à Orchies, à Saint-Amand. Leur entretien avec Dumouriez. Leur arrestation et translation à Maëstricht. — III. Proclamations de Dumouriez à l'armée et au département du Nord. Lescuyer à Valenciennes. — IV. Miaczynski et Devaux à Lille. — V. Les camps de Bruille et de Maulde. — VI. Décrets de la Convention. — VII. Les commissaires de Lille et de Valenciennes. Déclaration de Dampierre. — VIII. Les sentiments de l'armée. Les troupes de ligne. L'artillerie. Les volontaires. — IX. Dumouriez sur la route de Condé. Davout et les volontaires de l'Yonne. Fuite du général. Entrevue de Bury. Proclamation de Cobourg. — X. Dumouriez à Maulde. Débandade de l'armée.

 

I. Pendant que Dumouriez négociait avec Mack, le Conseil exécutif s'efforçait de mettre la frontière en sûreté. Il autorisait le général à prendre position entre Tournai, Mons et Namur ; puis, en présence de Camus et de Danton, il décidait que l'armée du Nord, renforcée par celle de Hollande, tiendrait les camps de Maulde et de Bruille pour couvrir Lille, Douai, Valenciennes et Condé, que l'armée des Ardennes garnirait Sedan, Montmédy, Longwy, et de concert avec l'armée de la Moselle, arrêterait les Autrichiens du Luxembourg, que toutes ces armées et celle de Custine formeraient une grande ligne de défense depuis Dunkerque jusqu'aux gorges de Porrentruy[1].

Mais la Convention se défiait enfin de Dumouriez. Tous ses membres connaissaient la lettre du 42 mars qui, jusqu'alors comme ensevelie dans le silence, paraissait le 24 mars dans la Chronique de Paris et le Batave, le 25 dans le Moniteur et la Gazette de France, le 26 dans le Patriote Français.

Le comité de défense générale prit les mesures décisives. Renouvelé après Neerwinden et composé de 25 membres, ce comité qu'on nommait aussi le Comité du salut public, devait préparer et proposer toutes les lois nécessaires à la défense extérieure et intérieure de la République. Il siégea pour la première fois le 26 mars.

Beurnonville lui fit lecture d'une lettre de Dumouriez qui proposait l'évacuation de la Belgique. Un grand nombre de conventionnels assistaient à la séance. Robespierre déclara que le général régnait en dictateur dans les Pays-Bas, que ses opinions politiques devaient alarmer les amis de la liberté, qu'on ferait bien de le dépouiller de son commandement. Danton et Camus protestèrent. a Dumouriez, disait Danton, a eu des torts graves ; il veut élever la Belgique et la Hollande comme ses enfants et à sa manière ; il s'entoure de révolutionnaires brabançons qui l'entraînent à des sottises. Il ne respecte pas la Convention qu'il nomme un ramassis d'ignorants et de scélérats. Mais il est notre seul homme de guerre. Gardons-le, tout en le surveillant. Prieur de la Marne et Levasseur prirent la parole. Tous deux s'étonnaient qu'il fallût évacuer la Belgique. Peut-on, demandait Prieur, abandonner si précipitamment un peuple qu'on a juré de protéger ? Il faut ordonner à Dumouriez de rester à son poste et de défendre encore la Belgique, dût-il éprouver un nouvel échec. Mais Dubois-Crancé combattit vivement l'opinion de Prieur : Dumouriez, assurait-il, était indispensable et devait agir à sa guise, selon ses propres plans[2].

Dubois-Crancé ajoutait qu'il avait des preuves en faveur de Dumouriez. Trois jours plus tard, dans la séance du 29 mars, le général est définitivement condamné. Le comité de défense se réunit une première fois à midi et Camus propose de présenter, aussitôt que possible, un rapport général des opérations en Belgique et en Hollande et de la conduite des généraux. Mais à sept heures du soir, le comité s'assemble une seconde fois. Petion raconte qu'il s'est rendu la veille, dans la soirée, en compagnie de Bancal, chez Miranda qui vient d'arriver : Miranda prétend que Dumouriez médite une trahison et se dispose à marcher sur Paris. Bientôt paraît Beurnonville qui lit une lettre du général, datée du 28 mars. Dumouriez annonce au ministre l'arrivée de Dubuisson qui dira ce qu'il a vu et entendu ; mais, ajoute le vaincu de Neerwinden, ce tableau funeste ne peint pas encore la moitié de nos désastres, du brigandage et du désordre désespérant où nous sommes plongés. Il affirme que les maux et les périls s'aggravent ; qu'on n'a pas sur la frontière du nord pour dix jours de vivres ; qu'à Condé, au Quesnoy, à Valenciennes, des soldats de toutes armes, surtout des volontaires, pillent les magasins et commettent tous les crimes ; qu'à Lille plus de 40.000 fuyards se livrent à tous les excès ; que 50 autorités, plus absurdes les unes que les autres, contrarient et traversent l'autorité militaire et ses opérations. L'ennemi n'a devant lui que des hommes sans armes, sans habits, sans vivres, sans munitions. Il peut forcer la frontière où bon lui semble et prendre les places sans résistance. Il a, dit Dumouriez, 20.000 hommes de cavalerie avec lesquels il peut mettre à feu et à sang toute la partie du royaume qui avoisine Paris et je n'ai pas les mêmes ressources que j'avais en Champagne pour l'arrêter ; alors l'énergie du républicanisme était dans toute sa force ; alors la Convention nationale avait de l'ensemble et de l'autorité ; alors le royaume n'était pas déchiré par la guerre civile ; alors enfin il y avait des ressources pécuniaires qui n'existent plus. Il prie le ministre de bien peser ces tristes vérités. Y eut-il jamais une crise plus dangereuse ? Jamais peuple fut-il frappé de cet esprit de vertige ? Il loue la modération de l'adversaire : les Impériaux paraissent employer vis-à-vis de nous des ménagements dont il est possible de profiter ; ils placent les émigrés sur les derrières de leur armée ; ils traitent avec douceur les prisonniers et les blessés ; ils accordent à Marassé une capitulation honorable. Réfléchissez sur cette conduite à laquelle je ne me suis pas attendu d'après nos excès ; prenez un parti avec le Conseil et les comités. Si l'imprudence et l'exagération dirigent encore les personnes qui gouvernent, la France entière sera perdue. On ne fonde les Républiques que sur la vertu ; on ne les soutient qu'avec du courage, de l'ordre et de la sagesse.

Cette lettre indigna tous les assistants. Le général censurait de nouveau la Convention ! Il rapetissait les moyens de la République et ne voyait dans les troupes françaises que brigands et déserteurs ! Il vantait l'humanité des Autrichiens et proposait de traiter avec eux ! Il parlait, par deux fois, de la France comme d'un royaume ! Une discussion s'engagea ; elle dura jusqu'à trois heures du matin, mais elle ne fut nullement violente et orageuse : les dangers de la patrie, dit un conventionnel, semblaient rapprocher les esprits du bien public. Les uns soutenaient que Dumouriez avait levé le masque et dévoilé ses intentions liberticides ; les autres, que ses défaites avaient absolument dérangé sa cervelle. Mais, traître ou insensé, il ne pouvait commander plus longtemps, et, selon le mot de Danton, on devait le décrocher de l'armée[3].

La séance allait finir lorsque Le Brun entra dans la salle et lut le procès-verbal des conférences de Dubuisson avec Dumouriez. Personne ne douta plus des desseins du général. Mais fallait-il le mettre en état d'arrestation ? Il était encore aux yeux du peuple le vainqueur de Jemappes ; la majorité des Français le regardait comme l'ange protecteur de la liberté[4], et désirait qu'il vînt les tirer de l'état révolutionnaire dans lequel la Convention les plongeait plus avant tous les jours[5]. La bourgeoisie souhaitait le rétablissement de la monarchie constitutionnelle pour se soustraire au joug de la partie infime et indigente de la nation[6], et bon nombre de républicains, disait Prudhomme, regardaient en arrière et faisaient des vœux pour le retour de l'ancien régime[7]. Si on arrêtait Dumouriez, ce Dumouriez dont le nom était alors le plus sonnant de l'Europe[8], l'opinion accuserait la Convention d'ingratitude et de légèreté. Ne valait-il pas mieux le mander à la barre et le forcer à se déclarer ?

Le Comité décida que Dumouriez serait sommé de comparaître devant l'assemblée. Les commissaires lui porteraient cette sommation. Le ministre de la guerre, Beurnonville, se joindrait à eux ; il connaissait l'armée, il imprimerait aux troupes le respect et l'obéissance, il donnerait et ferait exécuter les ordres nécessaires. Beurnonville, intime ami de Dumouriez, s'excusa d'abord ; il objectait que lui seul, par sa présence, faisait marcher les bureaux et qu'il avait un3 mauvaise santé. Mais Camus lui répondit que son absence serait courte et que ses adjoints le remplaceraient. Beurnonville céda et, tout fier de sa mission, reprenant sa forfanterie, il assurait déjà qu'il possédait la confiance des troupes et qu'il saurait les placer ; il connaissait les positions les plus avantageuses de la frontière du nord et en particulier l'inexpugnable camp de Maulde qu'il commandait l'année précédente[9].

En outre, et fort sagement, le Comité arrêta que Cambacérès monterait en son nom à la tribune, vingt-quatre heures après le départ des commissaires, pour lire les lettres du 12 et du 28 mars et le procès-verbal des conférences de Tournai : la nation apprendrait en même temps la trahison de Dumouriez et son châtiment ; elle saurait qu'un général était rebelle, mais que la Convention avait déjà pris des mesures pour le vaincre.

Camus présenta le décret à l'assemblée dans la séance du 30 mars. Les ennemis de la République, disait-il, avaient ourdi des trames qu'on ne connaissait pas tout entières ; mais le Comité tenait le fil de ces criminelles manœuvres et la Convention serait toujours au-dessus des événements. Le décret fut adopté d'une voix unanime. Marat seul protesta ; il prétendait que le ministre de la guerre, plus utile à Paris qu'aux frontières, serait aisément remplacé par le général Duval. Mais Camus répondit que Beurnonville connaissait mieux que Duval l'ensemble des dispositions militaires qu'on devait prendre.

Les quatre commissaires proposés par le Comité étaient Camus, Quinette, Lamarque et Bancal. Les missions précédentes de Camus le désignaient d'avance. Quinette, un des commissaires de l'Assemblée législative à l'armée de Lafayette, avait voté la mort de Louis XVI et proposé le renouvellement du Comité de défense générale dont il était membre. Lamarque, envoyé par la Législative à l'armée de Luckner et par la Convention à la frontière des Pyrénées, avait voté la mort du roi et demandé que les jurés du tribunal révolutionnaire fussent tenus d'opiner à haute voix ; il était membre suppléant du Comité de défense générale et présidait le club des Jacobins dans la dernière quinzaine du mois de mars[10]. Bancal avait prononcé dans la nuit du 29 mars un discours qui fit impression sur le Comité. Il connaissait Dumouriez, il l'estimait et ne croyait pas qu'un homme sauveur de la France dans l'Argonne, vainqueur à Jemappes et en Hollande, pût être déloyal et perfide. Il représentait dans la commission le parti modéré ; car, tout indépendant qu'il était et bien qu'il ne reconnût pour guide que sa conscience, il inclinait vers la Gironde ; il avait voté le bannissement de Louis XVI, l'appel au peuple, le sursis ; il voulait que Marat fût expulsé de la Convention et soumis à un examen médical. Aussi l'extrême gauche accueillit-elle son nom par des murmures, et Marie-Joseph Chénier proposa de remplacer Lamarque et Bancal par Bréard et Dubois-Crancé[11]. La Convention accepta les commissaires que demandait le Comité. Elle se contenta de leur adjoindre Carnot, membre du comité de la guerre : Carnot inspectait alors les places fortes de la frontière et on le savait à Lille. Les cinq commissaires devaient se rendre aussitôt à l'armée de Dumouriez ; ils avaient pouvoir de suspendre et de faire arrêter les généraux et officiers, quels qu'ils fussent, les fonctionnaires publics, les citoyens qui paraissaient suspects, et de mettre les scellés sur leurs papiers ; ils n'agiraient qu'au nombre de quatre. Les anciens commissaires, Delacroix, Gossuin, Merlin de Douai, Robert[12], reviendraient à Paris pour donner de vive voix à la Convention les renseignements qu'ils avaient acquis sur l'état de l'armée et des frontières. Le ministre des affaires étrangères, Le Brun, aurait, pendant l'absence de Beurnonville, la signature du département de la guerre.

Le même jour, à huit heures du soir, Beurnonville et les commissaires couraient en chaise de poste sur la route de Flandre. Le secrétaire de la commission était Foucaud, secrétaire des archives nationales. Quatre personnes accompagnaient le ministre de la guerre : Menoire, son aide-de-camp, capitaine au 8e régiment de hussards ; Villemur, son secrétaire ; Marchand, son piqueur ; Constant Laboureau, domestique de Menoire. Beurnonville voulut emmener un de ses chefs de division, Miot, le futur comte de Mélito ; mais, dit Miot[13], la nécessité de conserver un employé de confiance, le décida à me laisser à Paris ; j'aurais partagé sans doute sa longue captivité.

 

II. Camus et ses collègues avaient résolu d'aller, sans s'arrêter, jusqu'à Lille. Ils rencontrèrent, dans la matinée du 31 mars, le courrier Languet qui portait une lettre de Dumouriez au ministre de la guerre. Ils lurent cette lettre datée du 29 mars. Le général déclarait qu'il se défendrait avec autant de vigueur contre les ennemis du dedans que contre les ennemis du dehors, et que tout en empêchant l'invasion étrangère, il rendrait à la partie saine et opprimée de la Convention sa force et son autorité. On le mandait à Lille ; mais il regardait sa tête comme trop précieuse pour la livrer à un tribunal arbitraire ; il ne serait pas, comme un agneau, victime des malveillants ; il ne se laisserait pas écraser par de vils assassins. J'ai déjà joué plus d'une fois le rôle de Decius en me jetant dans les bataillons ennemis ; je ne jouerai pas celui de Curtius en me jetant dans un gouffre. Il donnait d'impérieux conseils : point de clameurs, ni de poignards, ni de piques ; mais un plan sage ; négociez puisque vous n'avez pas la faculté de vous battre. Dumouriez avait joint à sa lettre une proclamation aux départements du Nord et du Pas-de-Calais ; il jurait à ces départements de couvrir leur frontière, de défendre leurs places-fortes avec les braves soldats qui lui restaient et de combattre à la fois le despotisme et l'anarchie, ce monstre bien plus dangereux que les ennemis extérieurs[14].

Les commissaires retinrent le courrier Languet et l'emmenèrent avec eux pour le renvoyer à Paris dès qu'ils auraient exécuté le décret de l'assemblée. Ils arrivèrent à Roye vers midi : ils y trouvèrent plusieurs commissaires nationaux et leur collègue Treilhard qui appuyèrent les griefs contre Dumouriez, mais ne parurent instruits d'aucun nouveau détail[15]. Plus loin, à Péronne, un second courrier du général remit à Beurnonville une dépêche datée du 30 mars. Comme les lettres précédentes, elle ne contenait que plaintes et menaces. L'armée et les places manquaient de tout. Les ennemis s'avançaient lentement parce qu'ils préparaient leurs magasins et traversaient un pays mangé ; mais ils étaient sur la frontière. Quant à Dumouriez, il craignait d'être poussé à bout par les atrocités que les Jacobins se permettaient contre lui ; mais il soutiendrait tous les articles de sa lettre du 12 mars ; un Cambon, un Robespierre ne perdraient point par des sophismes orgueilleux un homme qui avait sauvé la patrie et qui la sauverait encore. Il n'accusait pas la Convention des excès de quelques-uns de ses membres ; tyrannisée par les tribunes et réduite au silence, elle succombait sous une minorité violente. Mais pourquoi ne voulait-elle pas se prononcer contre un système de sang et de crimes ? Verrait-on les Français périr, comme les Juifs de Jérusalem, en s'égorgeant les uns les autres ? Ne pouvait-on remédier à ces maux affreux par une fermeté sage et une froide prudence, au lieu de tout braver, sans rien calculer, avec une aveugle frénésie ?

Les lettres de Dumouriez déterminèrent les commissaires à hâter leur marche. Ils coururent toute la nuit et ne s'arrêtèrent à Douai que pour relayer. Mais là se produit un retard. Les chevaux de la poste, sortis avant la fermeture des portes, n'ont pu rentrer dans la ville. Beurnonville fit atteler aux voitures des chevaux d'artillerie.

Le lundi 1er avril, à huit heures et demie du matin, le ministre de la guerre et les députés arrivaient à Lille. Carnot était parti la veille pour Arras. Ils ne l'attendirent pas et lui mandèrent de se rendre à Douai. Si Carnot était resté à Lille un jour de plus, il accompagnait ses collègues et se faisait prendre par les Autrichiens. Un hasard sauva de la captivité le futur organisateur de la victoire.

Delacroix, Gossuin, Merlin, Robert étaient encore à Lille. Le décret qui les rappelait leur causa quelque déplaisir ; il semblait, dit l'un d'eux, laisser de la défaveur sur leur compte. Ils lurent à leurs collègues la note de Goguet et leur montrèrent la série de questions qu'ils avaient préparée ; pour interroger Dumouriez. Si l'on m'avait écouté, s'écriait Delacroix, nous serions allés dès hier à Saint-Amand ; j'aurais moi-même arrêté le général et vous l'aurais amené ! Mais la mission de Delacroix était finie, et le soir même il prenait avec ses collègues le chemin de Paris. Le 3 avril il montait à la tribune de la Convention et faisait son rapport[16]. Nous regrettons, dit-il, que notre mission n'ait pas duré vingt-quatre heures de plus ; vous auriez aujourd'hui à votre barre Dumouriez mort ou vif !

Duval commandait à Lille. Les commissaires lui révélèrent l'objet de leur voyage et lui offrirent le commandement. Mais Duval était malade et se défiait de lui-même ; mes forces physiques, répondit-il, ne me permettent pas de me charger d'une telle responsabilité dans une circonstance où il faut à la République des généraux qui réunissent à la confiance les moyens de la justifier[17].

Les commissaires prirent, pour se rendre à Saint-Amand, la route d'Orchies. Duval leur avait fourni, sur l'ordre de Beurnonville, une escorte de 100 chasseurs à cheval du 13e régiment. Le colonel de ce régiment était le fameux Saint-Georges. Le lieutenant-colonel, Alexandre Dumas, est moins connu, quoiqu'il ait commandé en chef l'armée des Alpes ; mais son fils et son petit-fils ont illustré son nom dans le roman et dans le drame. Saint-Georges et Dumas avaient obtenu la permission de conduire eux-mêmes leurs chasseurs et d'accompagner le ministre de la guerre.

Mais à Orchies, les chevaux des chasseurs, épuisés par une course de huit lieues, sont hors d'état d'avancer. Beurnonville demande à Miaczynski 100 cavaliers de la légion des Ardennes. Miaczynski se rend auprès des commissaires et leur fait mille courbettes. Une demi-heure se passe et les cavaliers d'escorte ne paraissent pas. Camus et ses collègues se fâchent ; ils rabrouent Miaczynski, lui font la leçon, lui rappellent son échec d'Aix-la-Chapelle ; voilà la cause de nos revers ; c'est ainsi que les ennemis profitent de la lenteur de nos mouvements pour envahir notre territoire. Le Polonais s'échauffe, s'irrite : Je n'entends rien, dit-il, à votre politique, mais je sais me battre et je vous le ferai voir ! Camus le prie de se taire ; Miaczynski s'éloigne en proférant de sourdes menaces : c'est affreux de ne pas rendre justice aux braves gens ; on regrettera de me traiter ainsi ![18]

La nuit tombait lorsque les commissaires entrèrent à Saint-Amand. Ils avaient renvoyé leur escorte. Pourquoi la garder avec eux ? Si Dumouriez obéissait, elle leur était inutile ; s'il refusait de se soumettre, elle ne pourrait les défendre. Ils aimèrent mieux se présenter seuls, sans autre arme que le décret de la Convention.

Ils eurent néanmoins une escorte. Près de l'hôtel du Lion d'Or, à l'angle des rues d'Orchies et de Tournai, 30 hussards de Berchiny se rangèrent silencieusement autour des voitures. Qui êtes-vous ? demanda Camus. — Une garde d'honneur envoyée par le général Dumouriez. Les voitures s'engagent sur la route de la Croisette et s'arrêtent bientôt devant le Petit-Château. Le régiment de Berchiny était rangé en bataille dans la cour. Dumouriez sortait de table, mais il avait appris l'arrivée des commissaires par des estafettes venues de Pont-Marcq et de Saint-Amand. Il les reçut au milieu de son état-major. La salle était remplie d'officiers ; on y voyait les deux frères Thouvenot, de Bannes, Nordmann, Leclair, Lescuyer, les aides-de-camp Devaux, Romme, Rainville, de Nyss, Baptiste Renard, les demoiselles Fernig, le premier médecin Menuret.

Le général embrassa Beurnonville, salua Camus et se fit nommer les trois autres députés qu'il ne connaissait pas. Il ne parla pas à Lamarque, mais il félicita Bancal et Quinette de leur modération. Beurnonville lui annonça que les commissaires venaient lui notifier un décret de la Convention. Apparemment, dit Dumouriez en regardant Camus, vous venez m'arrêter ? Camus ne répondit pas, et il allait commencer la lecture du décret lorsque Beurnonville remarqua qu'on ferait bien de passer dans le cabinet du général. Dumouriez répliqua que ses actions n'avaient jamais redouté le grand jour, qu'un décret rendu par 700 personnes n'était pas un mystère et que ses officiers, ses camarades pouvaient tout voir et tout entendre. Cependant, sur les instances de Beurnonville, il consentit à passer dans son cabinet. Valence seul le suivit. Mais les officiers de l'état-major ne voulaient pas perdre de vue leur général et empêchèrent que la porte du cabinet fût fermée.

Dumouriez lut le décret que lui présentait Camus. Ce décret, dit-il, me semble déplacé. L'armée est désorganisée, mécontente ; je m'occupe à la remettre en ordre. Puis-je la quitter dans cet état et l'abandonner à une dissolution totale ? Lorsque je l'aurai rétablie et raffermie, je rendrai compte de ma conduite, et l'on jugera si je dois me présenter à la barre. Vous êtes sur les lieux ; voyez ce que vous devez faire. Je lis dans le décret que vous avez pouvoir de me suspendre de mes fonctions. La Convention qui vous a choisis pour une mission si délicate, compte donc sur votre prudence autant que sur votre fermeté.

Général, répondit Camus, nous ne pouvons composer avec notre devoir.

Songez à la responsabilité que vous assumez, si vous me suspendez de mes fonctions. Acceptez plutôt ma démission que je vous ai si souvent offerte depuis trois mois.

Nous n'avons pas pouvoir d'accepter votre démission, et, d'ailleurs, que ferez-vous après l'avoir donnée ?

Ce qui me conviendra. Mais je déclare sans détour que je ne me rendrai pas à Paris pour être condamné par le tribunal révolutionnaire.

Vous ne reconnaissez pas ce tribunal ?

Non, je ne le reconnais pas. Jamais je ne me soumettrai à ce tribunal barbare et je ferai tout pour en délivrer mes compatriotes ; il est l'opprobre d'une nation libre.

Les collègues de Camus s'entremirent. Pourquoi Dumouriez n'irait-il pas à Paris ? La ville était tranquille. Il n'avait rien à craindre : il paraîtrait à la barre de la Convention, et non devant le tribunal révolutionnaire ; il ferait taire la calomnie.

Je connais Paris aussi bien que vous, répartit Dumouriez ; j'y ai passé le mois de janvier, et la ville ne s'est pas calmée, surtout après nos derniers revers. Je sais que la Convention est dominée par Marat, par les Jacobins, par les tribunes, et qu'elle ne pourrait me mettre à l'abri de leurs fureurs. Du reste, si je m'abaissais à paraître devant l'assemblée, ma contenance seule suffirait à me condamner.

Je vous accompagnerai, s'écria Quinette, je vous couvrirai de mon corps, je vous ramènerai, et il jurait le braver tous les dangers pour sauver le général.

Je réponds sur ma tête, ajoutait Lamarque, de la Sûreté de votre personne.

Mais, objecta Dumouriez, irais-je seulement jusqu'à Paris ? On m'égorgerait en chemin. Des assassins sont apostés en échelons sur la route. J'ai appris de vos propres gens qu'on a mis à Roye, à Gournay, à Senlis, des hussards et des dragons de la République pour se défaire de moi.

Bancal se mit à citer les exemples d'obéissance et d'abnégation qu'avaient donnés les généraux grecs et roumains. M. Bancal, dit Dumouriez, nous nous méprenons toujours sur nos citations et nous défigurons l'histoire ancienne. Les Romains n'ont pas tué Tarquin ; ils avaient une république bien réglée et d'excellentes lois. Nous, nous sommes dans un temps d'anarchie. Des tigres désirent ma tête, je ne veux pas la leur donner, et je puis faire cet aveu sans craindre d'être soupçonné de faiblesse.

Camus reprit la parole, et d'un ton ferme : Bref, vous ne voulez pas obéir au décret de la Convention.

Je vous ai dit mes motifs, et Dumouriez pressa les députés de ne pas en venir aux extrémités ; il les pria de retourner à Lille ; s'il se séparait de son armée, répétait-il, elle se débanderait entièrement.

Je vous remplacerai, interrompit Beurnonville, toujours outrecuidant, cet je vous assure que l'ennemi n'envahira pas le territoire ; je connais la frontière, et, tant que j'ai commandé dans ce pays, elle n'a jamais été insultée ; j'ai contenu 20.000 Autrichiens avec 3.000 hommes.

Dumouriez éclata de rire : Vous êtes venu me souffler mon commandement !

Beurnonville se récria ; il n'avait accepté le ministère que par pure obéissance, pour mettre les armées en état de faire la campagne ; son poste était sur les bords de la Moselle ; son armée l'attendait et il n'avait d'autre désir que de la rejoindre.

Général, dit alors un des députés, votre désobéissance perd la République. Un État ne peut subsister lorsqu'un particulier s'élève au-dessus des lois. Voulez-vous imiter Lafayette que vous avez hautement condamné ? Vous êtes chéri des Français. Serez-vous l'objet de leur mépris et de leur haine ?

Le sort de la République, répondit Dumouriez, ne dépend pas d'un homme, et Cambon vous l'a dit. Du reste, la République n'existe pas. C'est Marat, c'est le club des Jacobins, et non Dumouriez, qui s'élèvent au-dessus des lois. Je ne cherche pas à éluder un jugement. Que la nation ait un gouvernement solide, et je demanderai moi-même un tribunal. Mais, à cette heure, ce serait un acte de démence ; je désobéis, mais je ne désobéis qu'à la tyrannie.

Le temps s'écoulait, huit heures allaient sonner, et les commissaires voulaient renvoyer aussitôt à Paris le courrier Languet, pour annoncer à leurs collègues dans la séance du mercredi matin l'exécution du décret. Sur, un signe de Camus, ils saluèrent le général et passèrent dans une autre chambre afin de délibérer. Dumouriez restait avec Beurnonville qui répondait de sa personne. Il s'efforça de le convertir : Restez à l'armée, lui disait-il, et reprenez le commandement de l'avant-garde ; rappelez-vous tout ce que vous avez souffert des anarchistes ; n'êtes-vous pas une victime désignée de Marat ?Quoi qu'il arrive, répondit Beurnonville, je mourrai à mon poste, et sans trahir ma patrie. Ma situation est horrible ; je vois que vous êtes décidé, que vous allez prendre un parti désespéré ; ce que je vous demande en grâce, c'est de me faire subir le même sort qu'aux députés. — N'en doutez pas, et je crois par là vous rendre service 1[19].

Dumouriez, Beurnonville et Valence rentrèrent dans la salle commune. Les officiers de l'état-major attendaient impatiemment le résultat de la conférence ; ils ignoraient ce que ferait Dumouriez ; mais s'il se laissait mener à Paris, ils étaient résolus à le retenir, fût-ce par la violence. Dumouriez s'approcha de Menuret et lui dit gaiement : Eh bien, docteur, quel topique conseillez-vous de mettre sur cette plaie ?Le même, répondit Menuret, que l'an passé, au camp de Maulde, un peu de désobéissance.

Les députés revinrent au bout d'une heure et informèrent Beurnonville de leurs dispositions. Puis Camus, prenant le pas sur ses collègues, s'avança vers Dumouriez qui s'adossait à la cheminée, la tête haute et le sourire aux lèvres. Un silence profond régnait dans la salle. Citoyen général, vous connaissez le décret de la Convention qui vous ordonne de vous rendre à sa barre ; voulez-vous l'exécuter ?

Non.

Vous désobéissez à la loi.

Je suis nécessaire à mon armée.

Par cette désobéissance vous vous rendez coupable.

Ensuite !

Aux termes du décret nous mettons les scellés sur vos papiers.

Je ne le souffrirai pas.

Un murmure d'indignation se fit entendre parmi les officiers. Dites-moi, reprend Camus, les noms de ces gens-là.

Ils le diront eux-mêmes, et les officiers se nomment : Je m'appelle Devaux. — Je m'appelle de Nyss. Dumouriez, railleur, ironique, présente à Camus les demoiselles Fernig : Voici les demoiselles Fernig ; pouvez-vous douter de leur civisme ?

C'est affreux !, s'écrie une des jeunes filles.

Assez, dit Camus, ce serait trop long ; que tous me donnent leur portefeuille. Quant à vous, général, au nom de la nation et de la loi, nous vous suspendons de vos fonctions.

Les officiers protestent. Suspendre leur général, suspendre Dumouriez, leur père, qui les menait à la victoire ! Dumouriez les arrête d'un geste : C'est trop fort, et cette scène doit finir. Lieutenant, appelez les hussards. La porte s'ouvre ; des hussards entrent et entourent les commissaires. Arrêtez ces hommes, leur dit Dumouriez en allemand, mais sans leur faire de mal, et touchant le bras de Beurnonville, mon cher Beurnonville, vous êtes arrêté aussi, mais vous garderez vos armes. Messieurs, vous me servirez d'otages. Beurnonville se débat et veut donner des ordres aux hussards qui ne l'écoutent pas. Camus s'avance vers Dumouriez : Général, vous perdez la République !C'est plutôt vous, vieillard insensé ! Les quatre députés, le ministre, Menoire, Villemur, Foucaud sont entraînés dans la chambre voisine.

Au bout de deux heures, l'aide-de-camp de Nyss avertit les prisonniers de se tenir prêts à partir. Qui donne cet ordre ? demande Camus. — Le général Dumouriez. — Dumouriez est suspendu de ses fonctions. De Nyss hausse les épaules. Mais Camus insiste, exige un ordre écrit. De Nyss sort, puis revient : Le général Dumouriez a dit qu'un ordre écrit n'était pas nécessaire, qu'un ordre verbal suffisait, qu'au besoin on emploierait la force. Beurnonville déclare qu'il ne bougera pas, s'il ne sait où on le mène, et il porte la main à son épée ; mais les hussards se jettent sur lui. On propose à Menoire, à Villemur, à Foucaud de les laisser libres ; tous trois répondent qu'ils veulent partager le sort des commissaires et du ministre. On fait entrer les prisonniers dans les deux voitures qui les ont transportés de Paris à Saint-Amand, et l'on se met en marche. Ils croyaient que Dumouriez les envoyait à Valenciennes. Mais au bout de quelques heures d'un trajet extrêmement lent dans des chemins boueux, les voitures débouchent sur une grande route. Beurnonville la reconnaît ; c'est la route de Belgique. Il saute à terre, et, suivi de Menoire, s'élance sur Rainville qui commande l'escorte. L'aide-de-camp pousse un cri ; les hussards accourent, entraînent Beurnonville et Menoire, leur donnent des coups de sabre ; le ministre, blessé à la cuisse, remonte en voiture. Au jour, les prisonniers se voient au milieu des patrouilles autrichiennes, et des dragons de La Tour relèvent les hussards de Berchiny. Dumouriez envoyait Camus et ses compagnons à Tournai. Je vous adresse, écrivait-il à Clerfayt, quatre députés de la Convention nationale qui sont venus de la part de cette assemblée tyrannique pour m'arrêter et me conduire à la barre. Leur projet, ou du moins celui de leurs commettants, était de me faire assassiner à Paris. Il priait Clerfayt de les remettre au prince de Cobourg qui les garderait comme otages ; lui-même allait empêcher les crimes de Paris et comptait, pendant son expédition, sur la trêve promise. Clerfayt renvoya les prisonniers à Cobourg qui refusa de les voir. Mais le colonel Mack se rendit auprès d'eux et leur ordonna d'informer la Convention qu'ils paieraient de leur tête tout attentat contre Marie-Antoinette et le dauphin. Je n'ai rien à conseiller à mes collègues, dit Camus, je suis prisonnier, et je ne m'appartiens plus. Mack le menaça : Votre tête n'est pas solide sur vos épaules. Les députés répondirent qu'ils ne craignaient pas la mort ; s'engager dans la Révolution et siéger à la Convention nationale, n'était-ce pas accepter d'avance les plus grands périls ? Mack leur permit d'écrire. Aucun d'eux n'écrivit à l'assemblée. Seul, Beurnonville manda cette étrange aventure à ses collègues du Conseil exécutif en les assurant qu'il restait ferme dans ses principes. Les prisonniers furent transférés à Maëstricht, puis à la citadelle d'Ehrenbreitstein, enfin en Bohême et en Moravie : Camus, Villemur et Menoire à Konigsgrätz, Lamarque, Quinette et Foucaud au Spielberg, Bancal et Beurnonville à Olmütz. Ils devaient être échangés le 25 décembre 1795 contre la dauphine.

 

III. Dumouriez s'était hâté d'informer ses soldats de l'événement. A onze heures du soir, il rédigeait une proclamation. Il est temps, disait-il, que l'armée émette son vœu, purge la France des assassins et des agitateurs, rende à notre malheureuse patrie le repos qu'elle a perdu par les crimes de ses représentants. Il est temps de reprendre une constitution que nous avons jurée trois ans de suite, une constitution qui nous donnait la liberté et qui peut seule nous garantir de la licence et de l'anarchie. Quelques heures plus tard, il ajoutait un supplément à cette proclamation : deux fois il avait sauvé la France à la tête de sa brave armée, qu'il venait de ramener sur la frontière par une retraite savante ; il voulait rendre encore de plus grands services à la patrie ; mais les soldats devaient faire connaître franchement leur opinion à la France entière[20].

Il écrivait en même temps aux administrateurs du Nord. Il leur exposait la situation du pays : la tyrannie, les assassinats, les crimes étaient à leur comble, et l'anarchie dévorait la France qui subissait, sous le nom sacré de liberté, un insupportable esclavage. Mais il allait marcher sur Paris et proclamer cette constitution de 1791 qui donnait au pays un gouvernement stable. Il rappelait qu'il était né dans le département du Nord et qu'il l'avait délivré des ennemis ; il aspirait à devenir le libérateur de la France entière, et il jurait de quitter toute fonction publique dès qu'il aurait sauvé sa patrie[21].

Mais il ne suffisait pas de lancer des proclamations. Avant de s'engager sur la route de Paris, Dumouriez devait s'assurer des trois forteresses de Lille, de Valenciennes, de Condé qui lui étaient les plus nécessaires et sans lesquelles il ne pouvait faire aucune démarche d'éclat avec utilité[22]. Il avait donné le commandement de Condé à l'un de ses lieutenants les plus dévoués, Neuilly ; mais il savait qu'un commissaire de la Convention, Bellegarde, se trouvait à Valenciennes, que Carnot et Lesage-Senault étaient à Lille, que des bataillons de nouvelle levée se rassemblaient dans ces deux places. Il résolut de s'en rendre maître par un coup de main ; il chargea Lescuyer de prendre Valenciennes et Miaczynski de s'emparer de Lille.

Lescuyer, grand prévôt de l'armée, avait trente ans de service dans la gendarmerie et s'était élevé péniblement de grade en grade[23]. Malade depuis quelques jours, il venait demander à Dumouriez un congé de convalescence. Le général lui répondit que les circonstances étaient critiques, lui donna quatre hussards de Berchiny qui lui serviraient d'escorte, et lui confia la mission d'arrêter Bellegarde à Valenciennes. Lescuyer, disait-il, exécuterait l'ordre avec la plus grande célérité ; il entrerait la nuit dans la ville, courrait chez Bellegarde avec ses hussards et l'emmènerait aussitôt dans sa voiture. Si Bellegarde fait des objections, Lescuyer lui dira que Dumouriez veut conférer avec lui. Si Ferrand qui commande à Valenciennes, s'oppose au départ de Bellegarde, Lescuyer le rendra responsable. Quoi qu'il arrive, le commissaire doit être le 2 avril, à la petite pointe du jour, au quartier-général des bains de Saint-Amand.

Le grand prévôt obéit. Avant de monter en voiture, il alla prendre les instructions de Thouvenot. Il se préparait à partir lorsqu'il rencontra Dumouriez. Comment, lui dit le général, vous êtes encore ici. Hâtez-vous et revenez aussitôt avec Bellegarde, et se tournant vers les hussards : Braves hussards, pas plus de grâce pour celui-là que pour les autres ; vous m'en répondez.

A deux heures de la nuit, Lescuyer arrivait à Valenciennes. Mais, au lieu de s'assurer aussitôt de la personne de Bellegarde, il laissa ses hussards sur le glacis et se rendit seul chez le général Ferrand. Il rencontra sur sa route le commissaire-ordonnateur Beauvallon, grand ami de Dumouriez, et le pria de l'accompagner. Ferrand était couché. Lescuyer lui demanda l'adresse de Bellegarde, et brusquement : Que pensez-vous de la situation ? Ferrand répondit qu'il pensait, comme à l'ordinaire, en bon républicain. — Et vous, Beauvallon ?Moi, répondit Beauvallon en bâillant, je dors et je vais me coucher. Il sortit, et Lescuyer, resté seul avec Ferrand, déclara qu'il avait ordre d'arrêter Bellegarde. Pourquoi celui-là, et non les autres ?Comment, les autres ?Mais Cochon et Lequinio qui viennent d'arriver[24]. — Où logent-ils ?Chez la veuve Fiseaux.

Lescuyer prit congé de Ferrand et manda sur-le-champ à Dumouriez qu'il arrêterait trois représentants, au lieu d'un. Mais, ajoutait-il, il ne pouvait se saisir des trois commissaires dans Valenciennes même, au milieu d'une population qu'il supposait hostile ; il guetterait le moment où les députés sortiraient de la ville ; il se jetterait sur eux avec ses quatre hussards et les gendarmes nationaux que lui fournirait le commandant de Valenciennes. La lettre écrite, Lescuyer vint la lire à Ferrand.

Mais Ferrand avait réfléchi et, selon sa propre expression, il usa de feintise. S'il approuva le grand prévôt, s'il promit de lui fournir des gendarmes nationaux, s'il fit ouvrir les portes de la ville à l'ordonnance qui portait à Saint-Amand la lettre de Lescuyer, il enjoignit au maître de poste de ne donner de chevaux à personne, pas même aux députés, sans sa permission expresse, et son aide-de-camp Gaspard alla dire aux commissaires qu'ils auraient tort de quitter la ville.

A huit heures du matin, Lescuyer revint chez Ferrand. Il avait reçu la réponse de Dumouriez. Le général en chef l'informait que Neuilly se rendait à Valenciennes avec des forces supérieures et qu'une fois, ce secours arrivé, il ne fallait plus hésiter. Ferrand, désormais à couvert, donne aussitôt à Lescuyer un détachement de gendarmerie nationale chargé d'exécuter les ordres de Dumouriez. Mais les commissaires ont déjà requis un bataillon de volontaires de la Charente qui veille aux abords de leur auberge. Neuilly ne se montre pas. La nouvelle de l'arrestation de Camus et de ses collègues se répand dans la ville. Des groupes se forment sur la place. Les esprits, dit Lescuyer, sont dans une fermentation étonnante, et la ville regorge de monde aux écoutes. Il interroge anxieusement Ferrand et le commandant temporaire ; il se défie de la gendarmerie nationale, craint de soulever le peuple, de provoquer une scène terrible, et, dans cette incertitude, il demande à Dumouriez de nouveaux ordres[25].

La journée se passait. Ferrand était sûr que la population et la garnison de Valenciennes prendraient parti contre le général. Il raconte aux commissaires ce qu'il sait ; il leur apprend que l'imprimeur Prignet vient d'envoyer de Saint-Amand à son atelier de Valenciennes une copie de la proclamation de Dumouriez. Aussitôt les représentants, accompagnés de Ferrand, se rendent chez Prignet ; ils saisissent les exemplaires de la proclamation qui sortaient de la presse ; ils font mettre les planches sous le scellé et dresser procès-verbal par le juge de paix. Puis ils courent aux casernes, haranguent les soldats à la lueur des flambeaux et prononcent devant chaque bataillon, au nom du peuple et de la Convention, la suspension de Dumouriez. Il a désobéi au ministre de la guerre, son supérieur, et l'a fait arrêter ; il a arrêté quatre représentants de la nation ; il ne peut plus commander. Soyez attachés à la République ; Dumouriez, comme Lafayette et Cromwell, comme tous les premiers rois, veut s'établir un trône ; abhorrez tous les tyrans ; reconnaissez vos représentants, vos frères et vos amis[26].

A ce moment, arrive Neuilly, escorté de deux régiments de cavalerie et suivi à quelque distance par trois bataillons d'infanterie. Il entre dans la ville, se rend au logis du gouverneur, y trouve les commissaires revenus de leur tournée ; nous lûmes dans ses yeux, dit Lequinio, et suspectâmes ses intentions ; il venait s'emparer de Valenciennes et sonder Ferrand. Ils n'osèrent l'arrêter. Mais ils ordonnèrent de fermer les portes de la ville ; les troupes de Neuilly, infanterie et cavalerie, passeraient la nuit hors des murs, sur le glacis et dans les villages des environs. Ces mesures prises, ils mandèrent Neuilly pour l'interroger et s'assurer de sa personne. Il s'était échappé avec ses escadrons. Mais peut-être avait-il rejoint Dumouriez ; peut-être le traître était-il au milieu des troupes qui bivaquaient au dehors ; sur l'ordre des commissaires, un gendarme, muni d'une lanterne, sortit par la porte opposée et, faisant un grand tour, alla notifier aux régiments la destitution de Dumouriez.

Lescuyer était resté dans la place au lieu de suivre Neuilly. Mais il comptait sur le silence de Ferrand. Il paraît avec assurance devant les commissaires ; il leur remet l'ordre d'arrestation de Bellegarde et affirme qu'il ne voulait pas l'exécuter ; puis il prête serment, rassemble les gendarmes et leur lit la proclamation qui défend aux troupes d'obéir à Dumouriez[27].

 

IV. La tentative de Dumouriez sur Lille échouait presque à la même heure, et devait échouer. Il avait des sympathies dans la ville, et lorsque courut le bruit qu'il abandonnait le commandement, les bourgeois disaient tout haut qu'il était le seul qui pût les sauver. La situation, écrivait un commissaire national, est inquiétante ; le peuple, à moitié gagné ; la municipalité, faible ; il ne voyait à Lille que des amis de Dumouriez sous toutes les formes. Mais trois hommes refuseraient sûrement de seconder le général : Duval, le commandant temporaire Lavalette et le procureur-syndic Sta. Duval était fidèle à ses serments, et si l'âge et la maladie trahissaient ses forces, Lavalette et Sta, tous deux ennemis personnels de Dumouriez et Jacobins ardents, surent agir avec vigueur. C'est Lavalette, dit un témoin, qui a fait à peu près tout ; Sta, rapporte un autre, a pris des mesures très fermes et intimidé les royalistes[28].

Miaczynski, que Dumouriez avait chargé d'entrer à Lille, devait s'entendre avec Duval, arrêter Carnot et Lesage-Senault qui seraient livrés aux Autrichiens, proclamer la Constitution de 1791, puis se saisir de Douai, emprisonner Moreton et confier la place à d'Hangest, se rendre ensuite à Cambrai et y prendre le commandement en annonçant aux habitants que leur compatriote Dumouriez voulait rétablir l'ordre et les tirer de l'infâme tyrannie des Robespierre et des Marat, enfin dépêcher à Péronne une avant-garde de 300 à 400 hommes[29].

Dumouriez envoya ses instructions à Miaczynski par le courrier Languet qu'il avait souvent employé. Vous n'allez pas me quitter, lui disait-il, pour des gens qui veulent perdre la France. Mais Languet s'égara ou fit semblant de s'égarer, et n'atteignit Orchies qu'à huit heures du matin. Miaczynski avait offert un déjeuner aux officiers de chasseurs qui, la veille au soir, escortaient le ministre de la guerre, et ses hôtes allaient se mettre en selle. Il suivit le courrier dans une chambre écartée, puis revint, et jetant sur la table la lettre de Dumouriez : Le général en chef, dit-il imprudemment, a fait arrêter le ministre et les commissaires de la Convention et m'ordonne d'aller à Lille ; voilà comme j'aime à marcher, et ces ordres-là seront exécutés à la lettre. Saint-Georges, tu viendras avec moi, et vous, messieurs, vous serez des nôtres ! Mais Saint-Georges et Dumas lui répondent qu'ils sont aux ordres de Duval, et le quittent sur-le-champ.

Miaczynski comprit trop tard qu'il eût mieux fait de se taire. Mais il avait le temps de réparer sa faute, et lorsque Saint-Georges lui cria qu'il avertirait Duval et les administrateurs de Lille, je vous suis, répliqua le Polonais, et je serai là aussitôt que vous. Il mande à Dumouriez qu'il répond de sa troupe, qu'il exécutera ses ordres ou qu'il périra : Je vous embrasse, dit-il en terminant sa lettre, et vous aime plus, si je puis, pour le parti vigoureux que vous avez pris[30]. Il fait battre la générale. Une heure après avoir reçu le message de Languet, il était avec toute sa cavalerie sur la route de Lille.

Mais les chasseurs avaient l'avance ; l'un d'eux, le capitaine Collin, qui montait le meilleur cheval du régiment, partit ventre à terre et fit huit lieues en une heure et demie. Il courut chez Duval, lui annonça l'arrestation des commissaires et l'arrivée prochaine de Miaczynski. Duval refusait de le croire ; mais Saint-Georges et Dumas suivaient Collin de près et confirmèrent son dire. Il était dix heures. Duval, Saint-Georges, Dumas se rendent à l'Hôtel-de-ville et là, devant le Directoire du district, le Conseil général de la commune et tous les. chefs militaires, ils exposent ce qu'ils savent. Saint-Georges assure qu'il tient les faits de Miaczynski lui-même et, comme pour démontrer la vérité de son récit, voilà qu'apparaît un témoin oculaire de la scène du Petit-Château : le courrier Languet qui s'était fait donner un cheval frais à la poste d'Orchies. Aussitôt Lavalette ordonne de fermer les portes : personne n'entrera dans la place ; si des troupes se présentent, le général qui les commande et ses cavaliers d'escorte seront seuls introduits et menés à l'Hôtel-de-ville.

A midi, Miaczynski, suivi de cent cavaliers, débouche sur la place d'armes. Il entre seul à l'Hôtel-de-ville et demande à Duval un entretien particulier. Mais Duval lui dit qu'il a juré de ne faire aucune démarche à l'insu -des corps administratifs. Miaczynski se retirait déjà. On l'entoure et l'entraine dans la salle des séances. Le président du district l'interroge : Quelle est sa mission ? Quelles instructions a-t-il reçues de Dumouriez ? Miaczynski répond qu'il n'a qu'un ordre verbal, apporté par un aide-de-camp.

Quel est cet ordre ?

Me concerter avec le général Duval et me rendre à Cambrai.

N'avez-vous qu'un ordre verbal ?

Je n'ai qu'un ordre verbal.

Des témoins ont vu dans vos mains une lettre de Dumouriez.

Et le président montre les officiers de chasseurs, Saint-Georges, Dumas et Collin. Si vous avez quelque chosai à me dire, s'écrie Duval, parlez. Miaczynski se trouble. Déjà les assistants proposent de le fouiller. Il donne au président qui la lit à haute voix, la lettre de Dumouriez. Aussitôt il est arrêté, désarmé, gardé à vue. Les administrateurs du district requièrent Duval, les chefs militaires, les commissaires Malus et Petitjean, de renouveler le serment de fidélité à la liberté, à l'égalité, à la République, à la Convention nationale. Ils descendent sur la place et font prêter serment à toutes les troupes, même aux cavaliers de Miaczynski. Lorsqu'ils rentrent en séance, le Polonais leur déclare qu'il n'avait d'autre dessein que de remettre à Duval la lettre de Dumouriez ; il jure de servir la République de tout son pouvoir ; il répond de ses bataillons. Les administrateurs acceptent ses excuses ; mais les 3.000 hommes qui l'attendent dans le faubourg de Paris, et les 2.000 autres qu'il a laissés à Orchies, devront se rendre au camp de la Madeleine, sous le canon de la place. Miaczynski consent à tout ; il donne à Macdonald, colonel du 2e régiment d'infanterie, le commandement du camp, et le prie d'assurer ses frères d'armes qu'il les conduira contre tous ceux qui voudront s'ériger en dictateurs comme le traître Dumouriez.

Cependant Dumouriez, inquiet du silence de Miaczynski, envoyait à Lille dans la soirée du 2 avril l'aide-de-camp Perrault. Ce Perrault devait instruire Duval des événements de la veille, presser l'exécution des ordres donnés à Miaczynski, arrêter les administrateurs et les officiers qui feraient résistance, et les envoyer sous bonne garde au quartier de Saint-Amand. Il partit avec le courrier de la malle, mais il n'alla que jusqu'à Pont-à-Marcq ; il vit le poste changé, il apprit l'arrestation de Miaczynski, il n'osa pousser plus loin ; il fut même assez malavisé pour envoyer à Duval par le courrier de la malle les instructions du général en chef.

Il fallait renoncer à Lille. Dumouriez tenta du moins de rappeler à lui les 5.000 hommes qui campaient sur le glacis de la place. Il confia l'entreprise à Philippe Devaux qu'il nomma maréchal de camp. Devaux quitta Saint-Amand le 4 avril de grand matin, gagna sans obstacle le faubourg de la Madeleine et ordonna au colonel du 6e dragons de se tenir prêt à partir durant la nuit. Macdonald était à Lille ; mais Devaux comptait sur lui ; tous deux avaient fait côte à côte les campagnes de l'Argonne et de la Belgique dans l'état-major de Dumouriez, et s'étaient liés d'une étroite amitié. Devaux, fatigué, se rendit au logement de Macdonald, se jeta tout habillé sur le lit et s'endormit profondément. A huit heures du soir, la porte s'ouvre ; il s'éveille, il voit Macdonald et se jette dans ses bras. L'autre le repousse doucement : Mon ami, lui dit-il, je ne sais ce qu'on te veut, mais j'ai ordre de t'arrêter 1[31].

Lavalette avait chargé Macdonald d'appréhender Devaux. Il suspectait le civisme du jeune colonel ; vous parlez, lui dit-il, de votre patriotisme ; je veux bien vous croire, mais ce soir même vous irez en personne vous saisir de Devaux. L'aide-de-camp de Dumouriez fut conduit à l'Hôtel-de-ville, interrogé, fouillé. On trouva sur lui l'ordre du général. Connaissiez-vous sa trahison ? lui demanda Lavalette. Non, répondit Devaux, je suis officier et je ne sais qu'obéir aux ordres de mon chef. Il fut envoyé à Paris et, comme Lescuyer et Miaczynski, mourut sur l'échafaud[32].

 

V. Que se passait-il aux camps de Bruille et de Maulde pendant qu'échouait le coup de main tenté sur Valenciennes et Lille par Lescuyer et Miaczynski ?

Le lieutenant-général Rosières commandait provisoirement le camp de Bruille[33]. Lorsqu'il reçut la proclamation du 1er avril, il convoqua ses principaux officiers. Quatre généraux de brigade et trois adjudants-généraux assistaient à ce conseil de guerre. Les généraux étaient le vieux Stettenhoffen, Kermorvan qui comptait alors vint cinq ans de services[34], Chancel, le général Nestor, qui appartenait à l'armée depuis 1769[35], le Belge Davaine qui, d'un emploi dans les remontes, s'était élevé au grade de maréchal de camp[36]. Les trois adjudants-généraux étaient les lieutenants-colonels Pinon, Pille et Chérin : Pinon, valet de chambre du roi et commandant de la section armée de la Fontaine-Montmartre[37] ; Pille, lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires de la Côte-d'Or, qui devait être six semaines plus tard l'adjoint du ministre de la guerre, puis ministre, et sous l'Empire, comte et inspecteur général aux revues ; Chérin, le fils et successeur du fameux généalogiste et le futur chef d'état-major de Hoche et de Masséna.

La délibération s'ouvrit. Stettenhoffen voulait rester fidèle à la République, mais se contenta de dire que Dumouriez était un f.... gueux. Seuls, Pille et Chérin se déclarèrent avec fougue et sans ménagement contre le général, au nom de la sublime cause de la liberté. Chérin rappelait qu'il était aux côtés de Dumouriez lorsque l'armée avait appris la révolution du 10 août. C'est un des hommes, s'écriait-il, qui se sont le plus fortement prononcés et un des premiers qui ont juré la République. Nul ne montrait une plus grande aversion pour la royauté. Et il veut la rétablir aujourd'hui ! Où sont la constance du caractère, la probité, la religion du serment ? Il proposait de s'emparer aussitôt du rebelle et de l'envoyer à Paris. Rosières n'osa prendre un si vigoureux parti. C'est un bien galant homme, dit Stettenhoffen, mais il a montré beaucoup de faiblesse et de pusillanimité. Il louvoya ; il fit lire dans le camp la proclamation de Dumouriez, mais en même temps il rappelait aux troupes qu'elles avaient prêté le serment de maintenir la République, la liberté et l'égalité[38].

Dumouriez ordonna sur-le-champ à Rosières d'arrêter Pille et Chérin. Ce dernier ne fut saisi que le lendemain, mais il put échapper et courir à Valenciennes où les commissaires accueillirent avec joie ce patriote actif et intelligent. Pille fut, dès le 2 avril, chargé de fers et livré à Clerfayt qui l'envoya à Maëstricht[39].

Le même jour, Dumouriez prévenait l'armée qu'il la passerait en revue dans l'après-midi. Pour laisser reposer ses braves troupes, disait-il, et pour mieux servir son pays, il était convenu d'une suspension d'armes avec les généraux de l'armée impériale ; il ordonnait une surveillance exacte pour la police, et défendait, sous peine de mort, de franchir la frontière[40].

A trois heures, il se rendait au camp de Bruille. Tous les généraux parurent, à l'exception de Stettenhoffen qui se disait malade et demandait un congé[41]. Les troupes acclamèrent Dumouriez ; il avait su, dit un témoin, capter par ses discours et ses actions militaires la confiance intime de l'armée[42]. Le 5e bataillon de Saône-et-Loire déclara dans une adresse signée de son premier lieutenant-colonel Chapuis, de l'adjudant-major, et de vingt-six officiers, sous-officiers et soldats, que Dumouriez sauverait encore la patrie, que l'obéissance de ses soldats lui garantissait la victoire, que ses ennemis étaient les ennemis de l'armée qui les détestait sans les craindre[43]. La 5e compagnie des chasseurs de la Meuse affirma qu'elle reconnaissait Dumouriez pour chef légitime, qu'elle lui obéirait passivement et ne voulait d'autre constitution que celle de 1791[44].

Il était trop tard pour aller au camp de Maulde. Dumouriez rentre à Saint-Amand et réunit à dîner chez Mme de Genlis ses officiers les plus dévoués. Il leur montre pendant le repas un pli cacheté que le Comité de sûreté générale envoyait à Beurnonville ; il l'ouvre, il en tire des mandats d'arrêt contre le duc de Chartres, le duc de Montpensier, Valence, Berneron, Westermann, Malus, les adjudants-généraux Devaux et Montjoye, l'aide-de-camp Codron, ci-devant maire de Cambrai. On lit ces lettres de cachet, ainsi conçues : N..... sera conduit sous bonne et sûre garde dans les prisons de l'Abbaye pour y être gardé au secret. On s'étonne que ces lettres soient signées par trois membres du Comité de sûreté générale, entre autres par Duhem. Quel décret a donné de pareils pouvoirs à ce Comité[45] ? Les têtes s'échauffent. Les convives jurent de châtier la Convention. Ils se comptent ; ils écrivent aux amis absents, et à une heure et demie du matin, le duc de Chartres envoie ces lignes à Paul Thiébault, à Lille : Arrivez bien vite, mon cher Paul, nous avons bien besoin de vous pour une affaire importante et pressée[46]. Valence expose à Biron la situation inouïe de l'armée : Dumouriez en état d'arrestation et faisant arrêter le ministre et les commissaires ; Lille et Valenciennes remplis de députés ; les ennemis au nombre de 60.000 hommes, victorieux, à deux lieues de nous ; pas de provisions, pas de fourrages, tous les généraux arrêtés, excepté moi, parce que je suis blessé : Ligniville, d'Harville, Bouchet[47], etc. Les traîtres qui vendent la France ont avili les généraux pour la livrer plus aisément. Quelle différence de notre sort quand en Champagne nous préférions la mort aux fers des despotes ![48]

Mais Valence est toujours le sage Valence. Il mande au président de la Convention que l'armée, fatiguée des vexations qu'elle éprouve, suivra peut-être le parti de Dumouriez. Pour lui, il donne sa démission : Je m'exile de ma patrie ; jamais je ne servirai contre mes concitoyens, quelle que soit leur opinion ou leur égarement[49].

Dumouriez aurait dû suivre l'exemple de Valence. Mais l'accueil du camp de Bruille l'avait enivré. Le 3 avril, encore plein de foi dans son étoile, il se rendait à Maulde. C'était là qu'avait commencé sa fortune militaire ; là qu'il avait reçu le commandement de l'armée du Nord ; là qu'il avait, dans une lettre célèbre, flétri la révolte de Lafayette et proclamé l'inviolable puissance de l'Assemblée et des représentants investis d'un pouvoir devant lequel tout doit plier. Huit mois ne s'étaient pas écoulés, et ce camp qui passait alors pour le camp des patriotes et pour un véritable club de Jacobins, ce camp qui, comme lui et avec lui, avait acclamé la journée du 10 août, Dumouriez venait le soulever en faveur de la royauté[50] !

Le Veneur qui commandait à Maulde, était perplexe et depuis vingt-quatre heures éludait, sous divers prétextes, l'invitation de se rendre à Saint-Amand. Il aimait Dumouriez, il reconnaissait qu'il lui avait de grandes obligations, mais il regardait l'arrestation des commissaires comme un grand attentat ; surtout il craignait en se prononçant contre Dumouriez, d'être lui aussi, arrêté et envoyé comme otage aux Autrichiens. Lorsqu'il apprit l'arrivée du général, il se mit au lit en disant qu'il était malade. Mais il eut soin d'écrire auparavant une lettre à la Convention nationale ; il y parlait de sa position affreuse, horrible ; il assurait qu'il courait les plus grands risques et n'avait d'autre désir que de quitter son poste ; il ajoutait qu'il essaierait de s'échapper et de gagner une ville où il attendrait les ordres de l'Assemblée. Son aide-de-camp Lazare Hoche, capitaine au 58e régiment d'infanterie, porta sa lettre à Paris[51].

Dumouriez s'était fait précéder au camp de Maulde par une proclamation qui donnait pour mot d'ordre Enfants, suivez-moi, et pour mot de ralliement je réponds de tout. Il déblatérait de nouveau contre la Convention qui employait les revenus publics à faire voyager des intrigants sous le nom de commissaires ; il accusait ces commissaires de désorganiser l'armée par des rapports calomnieux et d'envoyer les généraux à la guillotine. Il priait les soldats de le seconder : La postérité dira de nous : sans la brave armée de Dumouriez, la France serait un désert aride ; elle l'a conservée, elle l'a régénérée ; soyons les dignes fils de si glorieux pères !

Bientôt Dumouriez, escorté des hussards de Berchiny qui ne le quittaient pas, arrivait au camp de Maulde. Il y passa quatre heures, se mêlant aux soldats, leur prodiguant les promesses, les engageant à détruire l'anarchie et à rendre à la France le repos et la paix[52]. Valence faisait de même ; il caressait les officiers, donnait aux sergents des poignées de main, causait familièrement avec les simples soldats. Le 5e bataillon de Paris semblait douteux ; Dumouriez le harangue : Je veux, lui dit-il, sauver encore la patrie que j'ai déjà sauvée deux fois ; il faut reprendre la constitution que nous avons jurée ; il faut purger la France de ses assassins ; il faut faire de bonnes lois. Valence lui présente le lieutenant-colonel Chopplet : Voilà notre brave commandant du 5e bataillon de Paris ; il ne nous abandonnera pas ; puis, se tournant vers les volontaires, ce brave commandant a aujourd'hui quarante livres de moins sur le cœur. Le commandant insinue que l'arrestation des commissaires et du ministre de la guerre a causé la plus grande peine à son bataillon ; Dumouriez lui serre la main : Je réponds d'eux, on ne fera pas de mal aux commissaires, et le ministre de la guerre n'est pas du tout fâché de son arrestation[53]. Il croyait avoir gagné son armée, et il trouvait dans les bataillons nationaux une bonne volonté qu'il n'y attendait pas[54]. Ne recevait-il pas au même instant une adresse de dévouement que le 3e bataillon de la Gironde lui envoyait des gorges de Porrentruy : Ton armée vient d'éprouver un échec considérable ; mais tu n'en es pas moins grand à mes yeux ; nous voyons toujours en toi le vainqueur d'Argonne et de Jemappes ; nous demandons à servir dans ton armée[55].

 

VI. La nouvelle de la rébellion de Dumouriez avait agité Paris, sans l'indigner. Il y a des groupes, lit-on dans un journal du temps, mais point de chaleur, et on ne trouve pas, contre l'expédition décidée de Dumouriez, l'énergie qui s'était manifestée contre l'idée seule des projets de Lafayette, on cherche plus ce qu'il veut faire que des moyens d'empêcher qu'il ne fasse[56].

Mais la Convention lança décrets sur décrets. Elle déclara Dumouriez traître à la patrie et le mit hors la loi. Tous les citoyens devaient courir sus à ce nouveau Catilina[57]. Ceux qui le prendraient, mort ou vif, ou leurs héritiers, recevraient une récompense de 100.000 livres et des couronnes civiques. Nul ne pouvait, sous peine de mort et de confiscation, le reconnaître comme général. Les pères et les mères, les femmes et les enfants des officiers de l'armée de Dumouriez devaient être gardés à vue comme otages, par chaque municipalité, jusqu'à la délivrance des commissaires de la Convention et du ministre de la guerre. La femme de Dumouriez[58], la femme et les enfants de Valence, la femme du duc d'Orléans, la citoyenne Montesson, furent arrêtées ; Sillery et Philippe Egalité, gardés à vue ; Miaczynski, enfermé à l'Abbaye.

Un décret du 3 avril mit sous la sauvegarde de l'armée les commissaires arrêtés par Dumouriez. La Convention déclara qu'ils n'étaient pas prisonniers de guerre, et, usant de représailles, elle fit transférer à Paris des officiers autrichiens qui devaient servir de contre-otages ; dans le nombre étaient un comte d'Auersperg et trois comtes de Linange ; on avait choisi ceux qui, de près ou de loin, tenaient au collège du Saint-Empire et passaient pour être apparentés à Cobourg, à Clerfayt et aux généraux autrichiens.

Une éloquente proclamation, rédigée par Lasource, fit entendre à l'armée la voix sacrée de la patrie en péril. Les soldats deviendraient-ils les méprisables satellites d'un scélérat ambitieux ? Tourneraient-ils contre la France, contre la République, contre la patrie les armes qu'ils n'avaient prises que contre la tyrannie ? Commettraient-ils le plus atroce des crimes ? Non ; ils étaient l'avant-garde de la nation qui se levait tout entière derrière eux, prête à protéger de sa puissance ceux qui devaient la servir et à écraser de sa foudre ceux qui seraient rebelles ; ils livreraient le traître dont le nom était voué à l'infamie, et la tête, à l'échafaud.

Quatorze membres furent pris parmi les commissaires de la Convention envoyés dans le nord-est pour mettre en état de défense les places fortes de la frontière ; ils devaient se partager en sept commissions, composée chacune de deux membres, et assistée de deux ingénieurs, de deux officiers de chaque arme, d'un officier de santé, d'un employé de vivres ; ils feraient l'inventaire des munitions et des approvisionnements de chaque place et auraient le droit de requérir les corps administratifs, de suspendre les officiers civils et militaires, de prendre toutes les mesures de sûreté générale. Huit commissaires : Carnot, Gasparin, Briez, Duhem, Roux-Fazillac, Duquesnoy, Du Bois du Bais et Delbrel, furent chargés de se rendre aux armées du Nord et des Ardennes : deux d'entre eux devaient former à Péronne un noyau d'armée ; deux autres, s'établir à Valenciennes pour se porter sur tous les points où leur présence serait nécessaire ; trois autres, se rendre à Lille et à Douai pour seconder Carnot. On s'était plaint que les commissaires de la Convention n'eussent pas, jusqu'alors, une marque distinctive. Eux-mêmes jugeaient que le mot commissaire était trop commun et n'imposait pas assez, que l'armée les confondait avec les commissaires des guerres et les commissaires-ordonnateurs, qu'on les prenait pour des secrétaires ou de simples commis. Ils eurent désormais le titre de représentants de la nation et un costume particulier : chapeau rond surmonté de trois plumes aux trois couleurs, épée suspendue à un baudrier de cuir noir, écharpe en ceinture avec une frange jaune[59].

Un nouveau ministre de la guerre, le colonel Jean-Baptiste Bouchotte, commandant temporaire de Cambrai, remplaça Beurnonville. Il avait eu vingt-deux voix au départ de Servan, et depuis, sa réputation de civisme n'avait fait que grandir. Les commissaires et la Convention le louaient à l'envi, vantaient son courage, son patriotisme. Inscrit comme candidat à l'élection du 4 février, il avait été, le 14 mars, le concurrent de Beurnonville. Il réunit, le 4 avril, l'unanimité des suffrages[60].

En attendant l'arrivée de Bouchotte, Le Brun prenait l'intérim. Il ordonnait à Duval d'arrêter Valence. Il recommandait aux commissaires nationaux une intelligence parfaite avec les commissaires de la Convention et les priait de consoler les patriotes belges qui suivaient l'armée dans sa retraite[61].

Le ministre des affaires étrangères montrait d'autant plus de zèle que personne n'ignorait ses liaisons avec Dumouriez. Les Girondins suivaient son exemple. Le général les désignait lorsqu'il parlait de la saine partie de la Convention, et ils craignaient de passer pour ses complices. Ils avaient approuvé ses coups de vigueur en Belgique ; Gorsas insérait la lettre du 12 mars en ajoutant qu'on avait eu l'adresse de la soustraire et la Chronique de Paris applaudissait à l'arrestation du commissaire national Chépy et à la restitution de l'argenterie des églises ; Dumouriez, disait-elle, a rendu justice aux Belges, il a déployé son caractère et opposé sa fermeté aux ennemis du dedans ! Même le 31 mars, lorsque la municipalité de Paris demandait le châtiment de Dumouriez, le rédacteur du Patriote Français, Girey-Dupré, s'indignait qu'on voulut frapper cette tête que le fer prussien et autrichien n'avait pu atteindre. Mais, lorsqu'ils apprirent les événements du 1er avril, les Girondins se prononcèrent contre le général ; s'ils plaidaient les circonstances atténuantes, s'ils insinuaient que Dumouriez était aigri par ses mauvais succès, outré de la désorganisation de son armée, révolté de l'anarchie qui dévorait la France et qu'il se livrait à tous les emportements d'une âme profondément ulcérée, ils condamnaient hautement sa rébellion. Les patriotes, disaient-ils, devaient le détester autant qu'ils l'avaient aimé, et Girey-Dupré demandait la mort de l'homme qui voulait jouer les Alcibiade ou les Monk : Brutus t'attend ; quand César marchait contre Rome, les tribuns déclamaient, Pompée promettait de faire sortir les légions de dessous terre ; Caton, tranquille, muet, allait à son but et formait au tyrannicide le bras du jeune Brutus ![62]

 

VII. Mais déjà la partie était gagnée, et à la voix des commissaires de la Convention, l'armée, d'abord hésitante et incertaine du parti qu'elle devait prendre[63], se déclarait contre Dumouriez. Les lieutenants du général ne s'engageaient qu'avec mollesse et à demi dans l'entreprise. Les commissaires agissaient sur-le-champ, sans balancer, et déployaient autant de résolution et d'activité que leurs adversaires, de lenteur et de maladresse.

Carnot et Lesage-Senault étaient tous deux à Douai. Ils visitèrent les fortifications de la place et firent mettre l'artillerie en batterie. Ils investirent des plus amples pouvoirs les conseils généraux du Nord et du Pas-de-Calais, et dictèrent leur conduite : se rallier à la Convention, le seul centre d'autorité qui pût exister ; se défendre avec calme, sans enthousiasme aveugle ou découragement imbécile contre l'exécrable Dumouriez qui poussait la félonie plus loin encore que Lafayette ; rassembler des subsistances dans les places de première ligne ; se garder de toute surprise à la clôture ou à l'ouverture des portes ; arrêter les suspects ; tirer des caisses publiques l'argent nécessaire ; lever le cas échéant sur les riches une contribution qui serait remboursée par le trésor national ; déclarer que quiconque amènerait Dumouriez mort ou vif, aurait bien mérité de la patrie[64].

Ils lancèrent une proclamation qui ordonnait aux généraux de se retirer avec l'artillerie et les bagages sous le canon des places fortes, et aux soldats de livrer Dumouriez, le monstre le plus odieux qui eût jamais désolé la terre[65].

Ronsin se trouvait alors à Douai[66], et Moreton commandait la place. Carnot et Lesage-Senault se concertèrent avec ces deux hommes qui les secondèrent de toutes les forces de leur haine contre Dumouriez. Ils convinrent de laisser entrer le général, seul et sans escorte, s'il se présentait devant la ville, et de l'arrêter aussitôt. Moreton, Lamarche, les officiers de la garnison prêtèrent serment entre leurs mains, et sur leur ordre, le Conseil général du Nord ordonnait aux citoyens de porter la cocarde nationale et de quitter le chapeau relevé d'un seul côté et garni en taffetas noir, dit chapeau à la Dumouriez[67].

Mais les commissaires venus à Valenciennes, Bellegarde, Cochon, Lequinio, furent ceux qui déployèrent l'activité la plus énergique et la plus efficace. Ils ont, atteste Gadolle, sauvé la patrie par des opérations dont la justesse et le plus heureux à propos méritent le souvenir éternel de la République[68]. Ils sommaient. Valence, le duc de Chartres, Neuilly de se déclarer sans retard contre Dumouriez, sous peine d'être regardés comme ses complices. Ils enjoignaient à Valence d'arrêter le rebelle. Vous prouverez, écrivaient-ils au duc de Chartres, que ce n'est point avec hypocrisie que vous portez le nom d'Égalité[69]. Leur zèle était incroyable, et ils purent dire qu'ils avaient employé, jusqu'à l'épuisement de leurs forces physiques, tous les moyens possibles : prédications dans les casernes et sur les rues, affiches, instructions patriotiques, discours et accolades fraternelles aux détachements à mesure qu'ils s'échappaient du camp Dumouriez, missions d'espionnage[70].

Frappés de l'énergie des commissaires, et sûrs que la Convention aurait le dernier mot, les commandants des places fortes se ralliaient au parti de la nation et de l'Assemblée. Tricotel qui commandait Arras, faisait afficher les proclamations de Dumouriez, trois, heures après les avoir reçues, et les envoyait aux administrations du Pas-de-Calais. Mais les commissaires tançaient Tricotel, lui reprochaient d'agir sans les consulter, menaçaient de le suspendre, et Tricotel allait retirer à la poste les proclamations[71].

Tourville qui commandait Maubeuge, se rendait avec son état-major au Conseil général de la commune et lisait la proclamation de Dumouriez, Officiers et municipaux étaient d'abord embarrassés. La proclamation contenait des principes tout à fait différents de ceux que Dumouriez avait manifestés jusqu'à présent. C'était peut-être une nouvelle machination des ennemis de la chose publique. Finalement, pour connaître la vérité sur un objet si extraordinaire, l'Assemblée envoyait à Valenciennes et à Saint-Amand l'aide-de-camp Daurieu et l'officier municipal Legros. Mais Tourville écrivait aux commissaires qu'après ces nouvelles affreuses et ces bruits désastreux, il cessait de correspondre avec Dumouriez[72].

Ferrand qui commandait Valenciennes, déclarait qu'il verserait ce qui lui restait de sang pour la République ; il abhorrait tous les traîtres, ne reconnaissait comme autorité suprême et légitimement représentative du peuple français que la Convention nationale, défendait à tous ses subordonnés d'obéir au ci-devant général Dumouriez[73].

Enfin, au Quesnoy, Dampierre annonçait bien haut et avec éclat qu'il combattrait Dumouriez. Ce dernier comptait sur son lieutenant qu'il jugeait homme de qualité et fait pour bien penser[74]. Mais le 4 avril, Dampierre rassemblait la garnison du Quesnoy sur la place d'armes. Il lui rappelait qu'elle devait obéir à la Convention, qui seule possédait tous les pouvoirs légitimes. Dumouriez, disait-il, avait osé traiter avec les Impériaux et leur livrer le ministre de la guerre et quatre représentants du peuple. Les soldats voudraient-ils partager son crime ? Ne se souvenaient-ils plus de leurs frères tués à Jemappes, à Waroux, à Neerwinden ? Avaient-ils arrosé de leur sang ces champs de carnage pour se soumettre aux Autrichiens ? Non. Dampierre aimait mieux mourir que de trahir la France. Les traitres passeront : mais la liberté restera entière et la patrie sera sauvée. Nous demeurerons inébranlables à notre poste. Il est temps de déployer un caractère vraiment républicain. Les esclaves peuvent s'attacher au char d'un homme, mais les hommes libres se rallient toujours à l'intérêt de la patrie. Les troupes accueillirent ce discours aux cris de Vive la Nation ! Vive la République ! Vive Dampierre ![75] Le général écrivait en même temps au Conseil exécutif qu'il allait s'opposer aux entreprises de Dumouriez : Je me prononce, ajoutait-il, parce que je ne vois pas de général qui parle ; je suivrai les ordres de celui qui voudra sauver la patrie et maintenir la République. Il savait bien qu'une pareille lettre lui donnerait le commandement de l'armée. Mais, de même que Dumouriez en 1792, Dampierre était, en 1793, désigné d'avance au choix des ministres. Carnot l'avait proposé et témoignait qu'il se conduisait bien, qu'il avait de l'expérience et du patriotisme, qu'il était connu et aimé de l'armée. Bellegarde, Cochon, Lequinio le mettaient provisoirement à la tête des troupes, parce qu'il leur semblait digne en tout point de commander. Le 4 avril, le Conseil exécutif arrêta que Dampierre serait général en chef de l'armée dite de la Belgique, et le lendemain il le félicitait de sa vertu et l'investissait de pleins pouvoirs[76].

Même à Condé, Neuilly et le commandant temporaire de la place, Langlois, abandonnaient Dumouriez. Sommé de faire acte de soumission, Neuilly lisait aux troupes la proclamation des commissaires de Valenciennes, en présence des officiers municipaux et, dans une lettre très humble, priait les représentants de croire à ses inviolables sentiments, de lui donner des conseils, de le secourir par tous les moyens contre l'invasion autrichienne[77].

Langlois ménageait encore Dumouriez, mais demandait les instructions des commissaires. Sur l'ordre du général, il accourait par deux fois en chaise de poste à Saint-Amand. La première fois, il le manqua ; la seconde, Dumouriez le reçut. Je vous soupçonne, lui dit-il. — Ce n'est pas de trahison, répondit Langlois, j'ai toujours été fidèle à mes serments. — Vous me promettez que vous obéirez aux généraux. — Oui, comme je leur ai obéi jusqu'à présent. Dumouriez lui fit donner un verre de vin et un morceau de pain, et le congédia. Mais, avant l'entrevue, Langlois avait écrit aux commissaires : J'ai appris que vous êtes à Valenciennes et que Dumouriez est déchu de son commandement ; dites-moi la marche que je dois tenir[78].

 

VIII. Toutefois Neuilly et Langlois cachaient avec soin l'intelligence qu'ils nouaient avec les commissaires, et la manifestation du Quesnoy n'avait lieu que le 4 avril. Dumouriez comptait donc entraîner son armée, et il mandait à Cobourg qu'elle se prêtait entièrement à ses vues. Il confiait à l'adjudant-général des Bruslys les fonctions de chef d'état-major ; il mettait La Marlière à la tête de l'avant-garde ; il donnait à Vouillers le commandement de l'armée des Ardennes.

Mais cet homme qui avait beaucoup plus d'imagination que de réflexion, attribuait à tous les sentiments de quelques-uns. Cobourg remarque justement qu'il n'a pas assez connu ses propres troupes. C'était un vrai Français, a dit Fersen, vain, étourdi, ayant de l'esprit et peu de jugement : tout son plan a manqué par un excès de confiance dans ses forces et dans son influence sur l'armée[79].

Les troupes de ligne s'étaient attachées au général qui vivait avec elles depuis huit mois et qu'elles voyaient se prodiguer jour et nuit, souvent aux postes les plus dangereux. L'infanterie et la cavalerie promettaient de le défendre contre les malveillants et ne l'abandonnèrent qu'à la dernière extrémité ; elles disaient que les anarchistes avaient causé tous les revers et que s'ils appelaient Dumouriez à Paris, l'armée escorterait son chef. Même après la fuite du général, les commissaires trouvaient encore dans quelques régiments de l'engouement pour sa personne, et ils assurent que le froid maintien de la cavalerie ne s'altérait aucunement au cri de Vive la République 1[80].

Mais l'artillerie et les volontaires devaient se tourner contre Dumouriez. L'artillerie était résolument républicaine. Elle faisait la force de l'armée et sentait son importance ; elle comptait dans ses rangs plus de clubistes, plus de harangueurs que les autres corps, et Dumouriez l'a nommée très justement la garde prétorienne de la Révolution. On la vit, à la nouvelle de la fuite de Louis XVI, courir de Metz à Varennes en jurant à ses officiers de tirer son premier coup sur la berline royale et le second sur eux-mêmes s'ils trahissaient leur devoir. Ce furent les canonniers qui les premiers acclamèrent au camp de Sedan la journée du 10 août. Le lieutenant-colonel du 6e régiment, Galbaud, protestait à Strasbourg contre l'arrestation du jacobin Laveaux, et du camp de Douzy, dénonçait à l'Assemblée législative les projets de Lafayette. L'artillerie, lit-on dans un rapport du temps, est un corps bien précieux pour la République, elle a le plus incorruptible patriotisme et soutient efficacement la cause de la liberté[81].

La masse des volontaires, tumultueuse, raisonneuse, politiquante, dépassait encore l'artillerie en républicanisme. Les assemblées avaient bien jugé que les gardes nationaux, bouillants, exagérés, tout pleins de la ferveur révolutionnaire, opposeraient leur enthousiasme à l'obéissance aveugle de l'armée de ligne, trop souvent idolâtre de ses chefs. C'étaient, disait-on, non pas des soldats gagés, mais les enfants chéris de la liberté ; ils apporteraient dans les camps des idées plus prononcées ; ils seraient un obstacle éternel à toute ambition. Eux aussi, comme l'artillerie, avaient refusé d'obéir à Lafayette. Ce furent eux qui, les premiers, dans les camps de Maulde et de Bruille, s'élevèrent contre Dumouriez, et ils entraînèrent toute l'armée[82].

Le lieutenant-colonel du 3e bataillon de l'Yonne, Davout, le futur maréchal de l'Empire, assurait que l'âme de Le Peletier-Saint-Fargeau avait passé dans la sienne[83] et que la République surnagerait à toutes les trahisons et aux attaques des despotes coalisés.

Bernazais, professeur au collège de Poitiers et président du club, capitaine du 2e bataillon de la Vienne et adjoint aux adjudants-généraux, un des plus fougueux orateurs de la Société patriotique de Liège, engageait ses camarades à défendre la République, leur disait qu'ils entendraient bientôt parler de lui, et courait à Paris accuser Dumouriez[84].

Déjà des pelotons se détachaient tout doucement de l'armée et se rendaient à Valenciennes. Il nous arrivait, rapporte Lequinio[85], quelques jeunes gens échappés comme par désertion ; ils venaient, fondant en larmes, se jeter dans nos bras, prendre de nous des instructions et nous rendre toute l'anxiété de leurs bataillons. Déjà, au camp de Maulde, les volontaires avaient dit à Valence qu'ils voulaient la paix et non un roi[86]. Dans la soirée du 3 avril, le lieutenant David, du 2e bataillon de Saône-et-Loire, quatre sergents-fourriers du même bataillon, Dubois, Leblond, Luquet, Montigny, le canonnier Charve, du 1er régiment d'artillerie, se présentèrent au Petit-Château. Ils avaient écrit à la craie sur leurs chapeaux les mots la République ou la mort. Le lieutenant David lut une adresse qui sommait Dumouriez d'obéir aux ordres de la Convention et de se rendre à la barre. Le général assure que ces six hommes voulaient attenter à sa vie, et que le fidèle Baptiste dut appeler la garde ; quoi qu'il en soit, il les fit arrêter comme des assassins et les envoya aux avant-postes autrichiens, ainsi que le fils du représentant Le Cointre, capitaine de canonniers au 1er bataillon de Seine-et-Oise[87].

Tels étaient les sentiments des volontaires. Mme de Genlis s'éloignait alors de Saint-Amand ; elle trouvait le camp dans une disposition équivoque pour son général ; l'on prévoyait, dit-elle, que la majorité ne serait pas pour lui, et le duc de Chartres me répéta que tout annonçait une prochaine révolte[88]. Un instant Dumouriez eut l'idée de faire désarmer les volontaires par ses troupes de ligne. Mais l'animosité était déjà grande entre les habits bleus et les habits blancs[89], et ce désarmement n'aurait pas eu lieu sais effusion de sang. Fallait-il commencer la guerre civile dans son propre camp et faire battre une partie de ses troupes contre l'autre ?

L'armée de ligne elle-même commençait à se détacher. Elle était travaillée par les émissaires de Lille, de Douai et de Valenciennes qui répandaient à pleines poignées les assignats et les manifestes. Le Comité de sûreté et de défense générale de Lille envoyait au camp de Maulde le citoyen Perrin, sous-lieutenant au 19e bataillon des fédérés, et Perrin, se glissant dans les tentes, faisait circuler une proclamation du Comité : Soldats, marcherez-vous sous le drapeau d'un perfide qui veut vous mener à l'infamie en égorgeant vos frères ? On arrêtait Perrin à la poste aux chevaux, mais pendant qu'on le traînait au quartier-général, il trouvait moyen de s'échapper à l'aide des canonniers volontaires de la Fontaine de Grenelle[90].

De Douai, Ronsin, l'ancien commissaire-ordonnateur de l'armée, envoyait le décret qui mettait à prix la tête de Dumouriez, et, disait-il, il usait de tous les stratagèmes[91].

Mais c'étaient surtout les commissaires de Valenciennes, Cochon, Lequinio, Bellegarde, qui s'efforçaient de dessiller les yeux de l'armée. Ils ne ménageaient aucune dépense ; sur toutes choses, écrivaient-ils à leurs collègues, songez à nous envoyer des fonds bien escortés et des effets de campement, mais des fonds, des fonds ! Ils rédigeaient proclamations sur proclamations, et leurs agents, entre autres l'employé des douanes Boussinguant, assiégeaient le camp de tous côtés pour les faufiler, les faire passer, les afficher. La première était datée du 2 avril : Nous commissaires, disaient les représentants, instruits du décret de la Convention, instruits que Dumouriez a fait saisir les quatre commissaires et le ministre de la guerre, considérant qu'une pareille conduite est en même temps et une rébellion à l'autorité nationale et un attentat contre la liberté publique, le comble de l'audace et de la perfidie, suspendons Dumouriez de toutes ses fonctions, défendons de lui obéir. Le 3 avril, deuxième proclamation : Soldats, la patrie est tout ; dès qu'un homme trahit la chose publique, il ne mérite plus que la vengeance nationale et la haine. Dépouillez-vous de toute idolâtrie ; ralliez-vous à la Convention ; chacun de ses membres en particulier n'est rien ; mais, réunis, ils vous représentent, et les commissaires annonçaient que Dumouriez passerait bientôt à l'ennemi : les despotes étrangers veulent que le despotisme se reproduise en France pour que le leur se soutienne ; ils ont vu dans Dumouriez le seul homme qui pût y réussir, et se sont arrangés avec lui. Le 4 avril, troisième et suprême appel des représentants. A tout militaire français, de quelque grade qu'il soit ! Au nom de la Patrie, au nom de la République, au nom de la Loi dont nous sommes les organes ; au nom de la Convention nationale qui nous a conféré pleins pouvoirs, nous avons, dès le 2 de ce mois, suspendu Dumouriez pour cause de trahison et enjoint de se saisir de sa personne ; nous renouvelons tous et chacun de ces mêmes ordres ; celui-là aura bien mérité de la chose publique qui l'aura exécuté ; il aura rempli un acte de vrai patriotisme ; il sera illustre dans l'histoire de la Révolution française et son nom passera glorieux à la postérité ![92]

Le commissaire-ordonnateur Vaillant s'était chargé d'envoyer ces placards aux camps de Bruille et de Maulde, et dans une note rédigée en son nom personnel, il priait instamment les commandants de chaque bataillon d'abandonner le rebelle qui voulait les joindre avec les monstres autrichiens, pour entrer dans la France ; il promettait de nourrir et de payer les soldats comme par le passé, de pourvoir à tous leurs besoins ; si vous voulez suivre les drapeaux de la République, et non ceux du traître Dumouriez, et avoir votre nécessaire, il faut vous rendre à Valenciennes et me rejoindre[93].

Ces proclamations que Dumouriez ne put intercepter, hâtèrent la défection de son armée. Leur énergie, assure Ferrand, retint sous les drapeaux les militaires égarés, et Mack reconnaît qu'elles ont ôté à Dumouriez la confiance de ses troupes[94]. Les noms de Loi, de Convention, de République, de Patrie, trouvèrent un écho dans le cœur des soldats. La Convention était la seule autorité qui représentait la nation. Père général, disait-on à Dumouriez, obtenez un décret de la Convention pour marcher sur Paris, et vous verrez comme nous nettoierons ces b..... de l'assemblée en capilotade[95]. La République était trop récente pour qu'on eût l'idée de la détruire ; devenue comme un mot sacré, comme un mot d'ordre et de ralliement, elle excitait encore l'amour et l'enthousiasme des soldats. Ils la voulaient, sans bien la connaître, mais ils la voulaient parce qu'ils l'avaient proclamée et fondée au prix de leurs fatigues et de leur sang. En face des Autrichiens et des satellites des despotes, ils s'honoraient du titre de libres républicains. Personne, écrit Durand-Maillane, n'était aussi attaché que le soldat au nouveau gouvernement ; il ne voyait dans les armées qu'un avancement qui l'encourageait et que lui refusait l'ancien régime de nos rois ; il était plus républicain qu'aucun autre citoyen et croyait les montagnards ou jacobins les plus sincères amis de la liberté et de l'égalité5[96].

Enfin, au-dessus de la République et de la Convention, l'armée plaçait la patrie. On avait cru jusqu'alors que l'assemblée ordonnait l'arrestation de Dumouriez parce qu'il avait perdu la bataille de Neerwinden et abandonné la Belgique, et le soldat regardait cet ordre comme un outrage personnel[97]. Mais qu'avait fait Dumouriez des commissaires de la Convention et du ministre de la guerre ? En vain il affirmait dans ses proclamations qu'il les avait mis en lieu sûr ; on savait qu'il les avait livrés aux Impériaux. Et il livrait encore à l'ennemi Pille, Le Cointre, les volontaires de Saône-et-Loire ! Il recevait à tout instant des parlementaires autrichiens ! Il venait de conclure une trêve, et sur la frontière les soldats de Clerfayt et de Cobourg ne cachaient pas aux Français que tout allait finir ; ils appelaient de loin les soldats de Vivarais, leur parlaient avec amitié, leur disaient qu'ils ne pouvaient souffrir les volontaires, nix bleu, nix bleu, mais que les habits blancs étaient leurs camarades et n'avaient rien à craindre[98]. Dumouriez était donc d'intelligence avec l'Autriche ! On parla d'indignes manœuvres, de trahison, et une fois le mot traître prononcé, Dumouriez était perdu. Sur le sol belge, à Tournai, des soldats mandaient à leurs amis de Valenciennes qu'ils ne suivraient le général que s'il battait les ennemis et mettait la frontière à couvert de l'invasion[99], et, loin de repousser les Autrichiens, Dumouriez demandait leur appui ! Il ouvrait la France à l'étranger ! Le sentiment national se révolta chez ces hommes uniquement voués à la patrie. Ils ne comprenaient pas qu'on pût être français et le rester sous le drapeau des Kaiserlicks. Ils refusèrent de tourner casaque, de s'unir, comme disait le comité lillois, aux tyrans d'Autriche et de traiter en compagnons d'armes et en frères ces Impériaux qu'ils venaient de combattre. Nous réprouvions hautement les actes sanguinaires de la Convention, rapporte plus tard un modéré, adjudant-major au 2e bataillon des Ardennes, et nous ne nous serions nullement opposés à son renversement ; mais, avant toute considération politique, la défense du territoire sacré de la République contre les agressions de l'étranger était notre unique mobile, et ce sentiment de patriotisme nous porta à quitter, sans ordre, le camp de Maulde où Dumouriez avait paru à la tête de la cavalerie autrichienne[100].

 

IX. Avant de marcher sur Paris, Dumouriez avait demandé à Mack un dernier entretien. Le rendez-vous était fixé dans l'après-midi du 4 avril, à Boussu, à mi-chemin entre Mous et Condé. Mais les heures se passèrent et le soir vint sans que Dumouriez parût. Enfin, Mack perdit patience et regagna Mons, inquiet, pressentant un malheur. Il rentrait à peine au quartier-général qu'un officier arrivait au grand galop : Dumouriez était à Bury, sur la route de Mons à Tournai, et priait instamment le colonel de se rendre auprès du lui. Mack repartit sur-le-champ[101].

Dumouriez avait voulu s'assurer de Condé avant d'aller au rendez-vous de Boussu. La possession de cette place lui devenait indispensable depuis que Lille et Valenciennes lui avaient échappé. Sans doute, la garnison n'était pas sûre ; le 1er bataillon des volontaires de Seine-et-Oise avait toujours montré des sentiments républicains, et le 6e régiment d'infanterie était le seul des troupes de ligne qui eût un esprit de subordination et de jacobinisme décidé. Mais Dumouriez se fiait à la cavalerie. Dès le 2 avril, il avait adressé un ordre du jour particulier aux troupes de Neuilly. Son but, disait-il, était de reprendre la constitution de 1791, de tirer de l'anarchie la France qui redeviendrait une nation honorable et il rappelait que l'armée, essentiellement obéissante, ne devait pas balancer, puisqu'il s'agissait de sauver la patrie et de conquérir la paix intérieure et extérieure[102].

Mais les rapports de Neuilly variaient à tout instant. Dumouriez résolut de se rendre en personne à Condé et de purger la garnison. Il annonça son départ à l'armée : des affaires indispensables l'appelaient à Condé, mais il reviendrait dans la soirée ; il comptait sur ses soldats ; il savait qu'ils auraient confiance dans leur général, qu'ils reconnaîtraient la force et l'habileté de ses intentions, qu'ils prendraient avec courage le seul parti qui leur restait pour sauver le pays.

Il n'attendit pas son escorte. Il n'avait avec lui que le duc de Chartres, le colonel Pierre Thouvenot, Montjoye, les demoiselles Fernig, son neveu Schomberg qui l'avait rejoint la veille, huit hussards de Berchiny, son secrétaire Quantin et des domestiques. L'emploi de la journée était réglé d'avance : passer la matinée à Condé et se rendre maître de la place, aller dans l'après-midi à Boussu et se concerter avec Mack, revenir au soir à Saint-Amand et donner à ses troupes l'ordre décisif de prendre la position d'Orchies qui menacerait à la fois Lille, Douai, Bouchain et qui éloignerait l'armée du voisinage dangereux de Valenciennes.

Il cheminait tranquillement lorsqu'à une lieue de Condé, entre les villages de Fresnes et d'Odomez, il vit vêtir un aide-de-camp de Neuilly : la garnison de Condé, disait Neuilly, était en grande fermentation et le général ferait bien de ne pas aller plus loin. Dumouriez renvoya l'aide-de-camp et pria Neuilly de sortir à sa rencontre avec le 18e régiment de cavalerie.

Cependant un bataillon national, le 3e de l'Yonne, s'avance sur la route avec ses bagages et ses canons. Les volontaires reconnaissent le général, mais contre leur coutume, ils passent sans dire un mot ni pousser un vivat. Dumouriez s'étonne de leur silence et plus encore d'un mouvement qu'il n'a pas commandé. Il interroge un officier : Où va le bataillon ?A Valenciennes. — Vous tournez le dos à Valenciennes, et vous allez à Condé. Durant ce colloque, des volontaires l'entourent et profèrent des menaces. Le général, inquiet, s'écarte de la grande route et se dirige vers la première maison d'Odomez pour écrire l'ordre au bataillon de rentrer au camp de Bruille. Mais dès qu'il s'est éloigné, les volontaires, s'enhardissant, s'excitant les uns les autres à la poursuite, lui crient à bas les traîtres ! arrête ! arrête ! lui tirent des coups de fusil et s'élancent à toutes jambes, les uns pour l'atteindre, les autres pour lui couper la route de Bruille. Davout est à leur tête ; il a rencontré la veille l'adjudant Pille que Dumouriez envoyait aux Autrichiens, et, convaincu de la trahison du général, il a, de son propre mouvement, quitté le camp pour se rendre à Valenciennes auprès des commissaires de la Convention. Mais le hasard amène sur son chemin celui qu'il traite de scélérat et de monstre ; il peut, en l'arrêtant, sauver la République et mettre fin à la crise ; il ordonne à ses volontaires de poursuivre Dumouriez. Le général a piqué des deux et s'est jeté dans les champs ; mais il rencontre un ruisseau assez encaissé, le Seuw, que son cheval refuse de passer. Il met pied à terre, traverse le Seuw, ayant de l'eau jusqu'aux épaules, remonte en hâte sur un cheval que lui donne un domestique du duc de Chartres. L'Escaut n'était pas loin : il longe la rive et, au bac de la Boucaulde, en avant du village de Wiers, trouve heureusement une barque qui le porte, lui sixième, à l'autre bord. Le reste de la troupe gagna le camp de Maulde au grand galop parmi les coups de fusil. Le colonel Thouvenot sauva Baptiste qu'il prit en croupe. Les volontaires avaient tué deux hussards et deux domestiques, blessé plusieurs chevaux et fait prisonnier le secrétaire Quantin. Ils auraient joint Dumouriez si l'on n'avait crié en retraite ! ignorant ce qui se passait derrière eux, ils revinrent sur leurs pas et laissèrent échapper le général[103].

Dumouriez était, à travers les marais, arrivé au château de Bury. Mack apprit de sa bouche le tragique événement. Le général n'avait point perdu courage. Baptiste et deux autres officiers étaient venus le retrouver ; ils avaient annoncé à Maulde le danger de Dumouriez et assuraient que les troupes de ligne s'indignaient contre les volontaires, qu'elles juraient de punir ce guet-apens, qu'elles demandaient à grands cris leur général ; mais, depuis la veille, ajoutaient-ils, le bruit courait dans le camp que la France serait livrée aux ennemis et contrainte de subir leurs lois. Dumouriez déclara sur-le-champ, en présence de Mack, qu'il irait le lendemain se mettre à la tête de ses soldats pour exécuter son plan avec vigueur et sans ménagement. Mack n'en pouvait croire ses oreilles et ne cachait pas son admiration ; le général, répétait-il, montrait, en retournant à Maulde, un courage plus étonnant que sur les champs de bataille.

Mais il fallait régler ce qui restait à faire. Vous voyez, dit Dumouriez à Mack, ce qu'ont pu sur l'armée les insinuations des représentants qui sont à Valenciennes. Ces commissaires font planer sur moi un soupçon terrible. Ils prétendent que je trahis, que j'ai reçu votre or et qu'au lieu de marcher sur Paris, je veux vous abandonner les forteresses de la frontière et livrer la France aux ennemis extérieurs. Il décrivit ensuite, rapporte Mack, avec toute la force de son éloquence, les périls inévitables de son entreprise, et conclut qu'une proclamation du prince de Cobourg était sa seule ressource : cette proclamation affirmerait avec la plus grande clarté les véritables desseins de Dumouriez ; elle dirait qu'il voulait maintenir l'intégrité du territoire et que Cobourg s'engageait solennellement à lui rendre les places de France où il mettrait garnison. Tous les officiers présents approuvèrent Dumouriez et déclarèrent comme lui qu'une semblable proclamation était l'unique moyen de salut qui restait ; on ne saurait la publier trop tôt, et, pour rassurer les esprits, la répandre à trop d'exemplaires[104]. Après avoir objecté que le cas était tout à fait imprévu et que Cobourg n'avait pas pleins pouvoirs, Mack se rendit aux raisons de Dumouriez.

Le général rédigea sur-le-champ la proclamation. Elle était adressée aux Français et débutait par un pompeux éloge de Dumouriez, homme vertueux, qui aimait véritablement sa patrie et voulait lui donner un gouvernement sage et solide. Or, ces sentiments de Dumouriez étaient conformes au vœu de Sa Majesté Impériale et de Sa Majesté prussienne. Que désiraient les souverains alliés ? Que désirait tout ce qu'il y avait en France d'honnête et de sensé, sinon la fin des attentats, la fin des bouleversements, la fin de tant de convulsions et de malheurs qui déchiraient une nation grande et généreuse ? Cobourg déclarait donc qu'il soutiendrait Dumouriez et qu'au besoin ses soldats s'uniraient aux soldats français en amis et en compagnons d'armes pour rendre à la France son roi constitutionnel. Il affirmait sur sa parole d'honneur qu'il n'entrait pas en France pour faire des conquêtes ; il regarderait comme un dépôt sacré toute place qui lui serait remise et il restituerait ce dépôt dès que Dumouriez ou le nouveau gouvernement de la France le réclamerait. Ses troupes, disait-il encore, ne commettraient aucun excès ; elles respecteraient les personnes et les propriétés ; tout soldat autrichien qui se permettrait la moindre violence, serait, sur-le-champ, puni de mort.

Mack emporta la proclamation. Mais, avant de le quitter, Dumouriez lui fit une dernière demande. On devait tout prévoir ; si la chance venait à tourner, s'il était forcé de quitter son armée, il emmènerait ses meilleures troupes, son état-major, quelques généraux. Pouvait-il espérer que Sa Majesté Impériale et Royale prendrait ces Français à sa solde, qu'Elle les traiterait avec estime et les emploierait aux opérations de la campagne ? Soyez sans inquiétude, répondit Mack[105] ; je ne sais si vos troupes entreront au service de l'Autriche ou de l'Empire ; mais c'est tout un, et, quoi qu'il arrive, nous saurons prendre des arrangements pour assurer votre sort et celui de vos compagnons.

Cobourg signa la proclamation. On comprend aisément les motifs qui le déterminèrent et lui-même les a plus d'une fois exposés avec vigueur. Il n'avait pas une seule pièce de siège, et ses renforts, comme sa grosse artillerie, ne devaient arriver que dans une semaine. Puisqu'il était impossible d'investir une seule place de la frontière, ne valait-il pas mieux signer la proclamation et entrer dans les forteresses sans coup férir ? A la vérité, Cobourg promettait de les regarder comme un dépôt sacré. Mais elles couvraient les Pays-Bas et abritaient l'armée impériale. Lors même que Cobourg, fidèle à sa parole, rendrait ces places de sûreté, que d'avantages l'Autriche recueillait de cette occupation momentanée ! Qu'il serait facile d'assiéger et de prendre ensuite des forteresses dont on aurait acquis une connaissance exacte ! D'ailleurs, pendant ce temps, l'armée de Dumouriez serait aux prises avec la Convention ; qu'elle fût victorieuse ou vaincue, Cobourg gagnerait du temps, il recevrait les instructions de l'Empereur, il profiterait des nouveaux désordres que l'entreprise du général causerait en France, il entamerait des négociations sûrement fructueuses. Enfin, Cobourg seul promettait de ne pas faire de conquêtes. Cobourg seul s'engageait à rendre les forteresses. La cour de Vienne pourrait le désavouer, déclarer qu'il avait agi sans l'autorisation de son souverain. Alors, disait Cobourg, on retournait au point d'où l'on était parti, et non seulement on ne perdait rien, mais on gagnait beaucoup.

 

X. Le 5 avril, à 3 heures du matin, quelques instants après avoir quitte Mack, Dumouriez se rendait au camp de Maulde. Des dragons de Latour lui servaient d'escorte. Ses aides-de-camp coururent en avant pour faire battre la générale et mettre les troupes sous les armes.

Il arrive aux avant-postes de Mortagne où campe le 71e (ci-devant Vivarais). Il parle aux soldats, leur raconte la scène du jour précédent, les coups de fusil tirés par les volontaires de l'Yonne, la fuite de leur général sur le territoire autrichien : Les Impériaux, dit-il, sont désormais nos amis ; ils en veulent, non pas à nous, mais aux prétendus patriotes, aux coupeurs de têtes. Nous irons à Paris, nous mettrons un roi sur le trône, nous proclamerons la constitution de 1791. Il termine en exhortant ses enfants à ne pas abandonner leur père. Vive Monsieur Dumouriez ! Vive le roi ! répondent les soldats. L'officier autrichien quitte sa cocarde noire et prend la cocarde française en criant Vive le roi et la première constitution de France !

Dumouriez poursuit sa marche et rencontre le 89e (ci-devant Royal-Suédois). Il le harangue, et le 89e, de même que le 71e, lui répond Vive Monsieur Dumouriez ! Vive le roi ! Les deux régiments, fusils et canons chargés, mèche allumée, descendent à Mortagne. Là, plusieurs bataillons, réguliers et nationaux, présentent les armes au général. Il leur adresse la parole ; mais, lorsqu'il a fini, les uns crient Vive le roi ! les autres se taisent ou donnent des signes de mécontentement. Les républicains sont libres de partir, dit Dumouriez, qu'ils s'en aillent. Que les royalistes seuls restent avec moi ; rien ne leur manquera, quoiqu'on ait fait courir le bruit que les vivres étaient arrêtés. J'ai de l'argent et ne vous refuserai rien. Et, pour bien marquer qu'il déclare la guerre à la République, il fait reconnaître en tête du 71e régiment, au nom de Louis XVII, un nouveau lieutenant-colonel. M. de Bannes, ancien colonel de Vivarais, met pied à terre et présente au régiment le capitaine Pardon : Officiers, sous-officiers, grenadiers et soldats, au nom du roi, vous reconnaîtrez M. Pardon pour votre lieutenant-colonel.

De Mortagne, Dumouriez se rend au camp de Maulde. Il fait former le cercle aux bataillons et, d'une voix déjà faible et très enrouée, narre les événements de la veille ; il a failli être assassiné ; il a dû fuir pour la première fois de sa vie ; il a été sauvé de la mort par les dragons de Latour, et montrant les cavaliers qui l'escortent : sans eux, dit-il, je ne sais pas ce que je serais devenu. Ce sont les plus braves gens du monde ; ils sont, comme nous, las de la guerre, et, comme nous, ne veulent que la paix et la tranquillité. Renvoyons la Convention qui a sans doute de bons sujets, mais où deux cents scélérats tiennent le glaive sur la tête des cinq cents autres. Sinon, mes camarades, toutes les couronnes se ligueront contre la France et feront de notre pays un cimetière. Oui, la France ne peut se tirer de l'anarchie sans un roi. Il faut marcher sur Paris, et, si nous ne sommes pas assez forts, j'ai 40.000 hommes prêts à me suivre. Nous reprendrons la constitution de 1791, chacun regagnera paisiblement son domicile, je rentrerai chez moi, j'ai juré et je jure encore de n'occuper aucune place dans aucun temps. Soldats, vous pensez tous comme moi et vous ne me quitterez pas. Je vous donne la journée pour vous décider. Je regarderai comme des ennemis de leur patrie ceux qui ne se rangeront pas de mon côté. Mais, pendant qu'il parle, les visages se renfrognent et des cris de réprobation se font entendre. Tout, raconte Théophile Fernig, était dans l'agitation, et les regards sombres de quelques-uns de nos camarades nous disaient assez qu'ils nous confondaient avec les traîtres. Dumouriez lui-même avoue qu'il remarqua plusieurs groupes factieux[106].

A cet instant, vers onze heures du matin, un aide-de-camp apporte au général une grave nouvelle : l'artillerie va quitter Saint-Amand et partir pour Valenciennes. Dumouriez court à Saint-Amand et se jette au milieu des artilleurs. Il les prie, les conjure d'accepter la constitution de 1791 et de reconnaître un roi ; il leur dit qu'ils sont environnés d'assassins qui ne cherchent qu'à répandre le sang et à promener les têtes sur les piques ; il reconnait qu'il a fait arrêter les commissaires de la Convention et regrette que Cambon ne les ait pas suivis. Valence l'avait accompagné ; il prend la parole à son tour et rappelle qu'il a servi quatre ans dans l'artillerie : Canonniers, je vous connais et je réponds de vous : voulez-vous vivre encore dans le brigandage et l'anarchie ? Mais sans pousser un cri, sans dire un seul mot, les canonniers attèlent leurs pièces et font leurs préparatifs de départ[107].

Dumouriez, désespéré, s'éloigne. Aussitôt Bollemont, directeur du parc, et les deux lieutenants-colonels Songis et Boubers donnent l'ordre de partir. 80 pièces, 500 voitures, toute la grosse artillerie accompagnée de 700 canonniers et de 700 auxiliaires, s'ébranle vers Valenciennes. A huit heures du soir, le sous-directeur du parc, Songis, arrivait tout ému et annonçait aux commissaires de la Convention que l'artillerie entière de l'armée était sauvée. Nous avons vu, écrivent les représentants, l'épanchement d'une âme vraiment patriote se développer en lui[108].

L'artillerie part ! Cette nouvelle se répand aussitôt dans le camp de Maulde. Les volontaires, surtout les Parisiens et avant tous les autres, ceux du 4 0e bataillon ou des Amis de la patrie, et du bataillon de la Commune et des Arcis, se prononcent avec violence contre Dumouriez. Ils envoient des députations aux troupes de ligne. Quelques régiments hésitent : le 17e (Auvergne), le 43e (Royal-Vaisseaux), le 45e (La Couronne), le 71e (Vivarais), le 89e (Royal-Suédois), tiennent encore pour le général et manifestent ouvertement leurs sympathies : Nous n'avons rien à craindre, Dumouriez est brave et ne nous trahira pas. Mais on les entoure de toutes parts, on les sollicite. N'ont-ils pas vu les dragons de Latour ? N'est-il pas évident que le général s'entend avec les Impériaux, qu'il a promis de fuir devant eux, qu'il n'est là que pour leur frayer la route et leur livrer la France ? Ce fut en effet la faute la plus grave de Dumouriez ; son escorte autrichienne le perdit sans retour. Cette sottise, disaient les commissaires de Valenciennes, nous servira beaucoup et achève de ruiner son projet[109].

Tout est à la débandade, écrit un témoin, et la retraite commence. C'était, selon le mot de Lequinio, l'éruption patriotique qui devait suivre nécessairement la fermentation. Peu à peu, l'un après l'autre, bataillons et régiments prennent la route de Valenciennes. C'est à Valenciennes qu'il faut se rendre, qu'il faut se mettre sous les étendards de la République ; c'est là que sont les commissaires de cette Convention dont la cause est inséparable de la cause de la patrie ; c'est là que le 3e bataillon de l'Yonne, prêchant d'exemple, s'est retiré depuis la veille ; Valenciennes est le point de ralliement de cette armée qui ne veut plus de son général. De tous côtés, volontaires et soldats de ligne, abandonnant leurs tentes et leurs effets pour échapper plus aisément et plus vite, s'arrachent à ce camp de Maulde qu'a souillé l'étranger. De tous côtés, officiers et soldats s'empressent de se soustraire à l'influence fatale qui pèse sur eux depuis trois jours. L'armée entière s'éparpille et s'épand, et c'est pièce à pièce, par pelotons et, pour ainsi dire, en détail que les commissaires la recueillent aux portes de Valenciennes.

Le vieux Dietmann était le seul divisionnaire depuis le départ de Le Veneur. Son aide-de-camp, Becker, s'efforce de mettre un peu d'ordre dans cette retraite confuse et précipitée ; il fait marcher les volontaires, puis les troupes de ligne, enfin l'artillerie ; il donne ordre au 56e et au 58e de former l'arrière-garde.

La Marlière seconde Dietmann et Becker. C'était un de ceux que Dumouriez croyait fidèles à sa personne. Mais La Marlière écrit au député Bellegarde qu'il ne veut point varier ni livrer à l'ennemi la frontière et de braves gens[110].

Dumouriez comptait encore sur les troupes de Bruille. Mais à la même heure où l'artillerie l'abandonnait, il apprenait que Rosières, Kermorvan, Davaine, avaient levé leur camp pendant la nuit. Le 4 avril Rosières mandait, de son quartier-général de Forêt, aux commissaires de la Convention que presque tous ses chefs de corps avaient résolu de se rendre à Valenciennes. Respect à la loi, ajoutait-il, mourir pour la liberté, l'égalité et la République, c'est ma profession de foi[111].

En vain, Dumouriez tentait de rallier les régiments de ligne qu'il rencontrait. Les volontaires et les canonniers veulent quitter le camp, leur disait-il, retenez-les, forcez-les à faire cause commune avec vous. On lui répondit que les troupes de ligne ne combattraient jamais leurs camarades et leurs compatriotes[112].

Le jour s'écoulait. Le général n'avait plus avec lui que deux escadrons de Berchiny, un escadron des hussards de Saxe, un autre escadron des hussards de Bourbon, et 50 cuirassiers. Il se dirigea sur Rumegies, le dernier village de la frontière française. De là, il envoyait ordre sur ordre pour faire venir ses équipages et surtout le trésor de l'armée qui contenait un million en numéraire. Ce trésor était à Fresnes, sous la garde d'un bataillon de chasseurs commandé par le colonel Segond, que Dumouriez avait nommé maréchal-de-camp. Les grenadiers du 47e régiment, ci-devant Lorraine, s'en saisirent malgré les efforts de Segond et le menèrent à Valenciennes. A cette nouvelle, le commissaire-ordonnateur Soliva entraîne les dragons de Bourbon, court après le convoi, le reprend presque sur le glacis de la ville, le ramène à Fresnes et le confie derechef à Segond. Mais ce dernier, au lieu d'aller à Tournai où l'appelle Thouvenot, juge plus sûr de se rendre à Condé, près de son camarade Neuilly, et pour mettre le précieux dépôt à l'abri de nouvelles tentatives, il fait semblant de le sauver ; il écrit aux commissaires de la Convention qu'il redoute l'engorgement qui s'est produit sur la route de Valenciennes, qu'il a donc pris le chemin de Condé, que les dragons de Bourbon escortent le trésor et le rendront en France intact. Segond ignorait que Neuilly et Langlois qui commandaient à Condé, s'étaient ralliés, du moins en apparence, à la Convention. Neuilly n'osa livrer le trésor à Dumouriez et Langlois se hâta de l'envoyer à Valenciennes[113].

Vive la République ! écrivait Lequinio dans la soirée du 5 avril, nous avons éprouvé cinq jours et quatre nuits de chagrins et de fatigues continuelles. Mais l'armée est séparée des traîtres, presque tout nous arrive. Voilà la pièce finie et il ne nous reste plus qu'à remonter nos effets de campement et à mettre de l'ordre dans toute cette armée débandée et qui afflue ici par détachements les uns sur les autres.

Dumouriez comprit que s'il restait à Rumegies, il tomberait, tôt ou tard, au pouvoir des troupes qui le désavouaient et le répudiaient. Il franchit la frontière. Il prétendait avoir avec lui plusieurs corps de cavalerie et quelque infanterie ; mais il enflait à dessein le nombre de ses partisans. Dès la fin d'avril, près de 450 hussards l'abandonnaient, et lorsque le 12 mai, le commissaire des guerres autrichien Pfiffer passa la revue des troupes que le général Ruault commandait au camp de Leuze, il constata que Dumouriez n'avait sous ses ordres que 458 hommes d'infanterie, 215 chasseurs à cheval et dragons de Bourbon, 209 hussards et cuirassiers. Le tiers des fantassins n'avait ni fusil ni giberne, et la cavalerie manquait des objets les plus nécessaires d'habillement et d'équipement[114].

Trois lieutenants-généraux, Valence, Marassé, le duc de Chartres ; huit maréchaux-de-camp, Vouillers, Dumas de Saint-Marcel, Ruault, de Bannes, Berneron, Neuilly, Segond, Jacques Thouvenot ; un colonel, Pierre Thouvenot ; deux commissaires des guerres, Soliva[115] et Beauvallon ; le médecin en chef Menuret, les demoiselles Fernig, avaient suivi la fortune de Dumouriez. La plupart de ces hommes que les campagnes de l'Argonne et de Belgique avaient mis en lumière, ne jouèrent plus aucun rôle. Valence fut sénateur de l'Empire et pair de la Restauration. Le duc de Chartres devint roi des Français. Mais Marassé, Vouillers, Ruault, de Bannes, Berneron, Neuilly, Segond, disparurent de l'histoire. Dumas de Saint-Marcel commanda la légion de Bourbon à l'avant-garde de Clerfayt, puis, sur les conseils de son frère, alla vivre à Temeswar, et de retour en France, grâce à Moreau, devint inspecteur-général des douanes ; il prit sa retraite, après avoir défendu Maubeuge contre les alliés, et le gouvernement de la Restauration, lui comptant ses quatre années de service dans l'armée autrichienne, lui donna le grade honorifique de lieutenant-général[116]. Les deux Thouvenot se retirèrent à Neuwied où, sous le nom de Micque, ils établirent une fabrique de papiers peints, mais ils durent s'enfuir dans le Brunswick ; Jacques, le confident de Dumouriez, mourut ignoré ; Pierre reprit du service et devint général de division et baron de l'Empire[117].

La destinée la plus agitée, la plus curieuse, fut celle de Dumouriez. L'opinion l'a tué lorsqu'il a quitté la France, écrivait Rivarol, dites-lui donc de faire le mort, c'est le seul rôle qui lui convienne. Mais Dumouriez ne voulait pas rentrer dans le néant. Il courut l'Europe ; il forgea des plans pour le compte de la coalition ; il toucha deux pensions, l'une de l'Angleterre, l'autre de l'Autriche ; il finissait comme il avait commencé, en conspirateur nomade[118]. Toutefois, sous son étourderie et ses airs de légèreté, il cachait beaucoup de finesse et de bon sens. Dumouriez, né pour la négociation et pour la guerre, à la fois diplomate et général, eut de très grands mérites. Diplomate, il comprit que la France devait détacher la Prusse de la coalition. Général, il comprit que dans un temps de Révolution on ne pouvait bien manier et mener le soldat français qu'en laissant l'essor à la fougue du caractère national. Il ne fit que malgré lui la guerre défensive et méthodique, qu'il nommait la plus difficile de toutes[119] ; il n'aspirait qu'à l'offensive et il la prit toujours ; il savait que le Français doit aller de l'avant, marcher devant soi et conquérir. Carnot, dit-il avec raison dans ses Mémoires, est le créateur du nouvel art militaire que Dumouriez n'a eu que le temps d'esquisser et que Bonaparte a perfectionné.

 

FIN DU CINQUIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Rec. Aulard, II, 462, 518 ; Beurnonville à Delacroix, 23 mars, et à Valence, 29 mars 1793 (A. G.).

[2] Thibaudeau, Mém., 15-17 ; Levasseur, Mém., 1830, II, 158-159 ; Courrier des départements, 28 mars 1793.

[3] Thibaudeau, Mém., 18 ; Levasseur, Mém., 160 ; Rapport de Camus, 11 ; Mège, Bancal, 274.

[4] Minerva, V, 523.

[5] Beaulieu, V, 88.

[6] Durand-Maillane, 329.

[7] Révolutions de Paris, n° 194, p. 11 ; id., n° 195, p. 45 : des bourgeois de Paris disent presque tout haut : au pis aller, nous ne pouvons guère être plus mal que sous une république toujours agitée et si exigeante.

[8] De Pradt, 82.

[9] Mège, Bancal, 273.

[10] Ajoutons qu'il avait eu le 7 février pour la présidence de la Convention 162 voix contre 203 données à Bréard et que 124 suffrages l'avaient nommé secrétaire.

[11] Le Comité avait d'abord arrêté de proposer Bréard. (Mège, Bancal, 116. Cf. 264 et 273.)

[12] Treilhard avait obtenu un congé.

[13] Miot, Mém., I, 35.

[14] Moniteur, 5 avril 1793, et proclamation (A. G.).

[15] Rapport de Camus, 16.

[16] Avec beaucoup de clarté et de chaleur, Chronique de Paris, 4 avril 1793.

[17] Duval à Le Brun, 4 avril 1793 (A. G.) ; Journal des Jacobins, séance du 1er avril.

[18] Rapport de Camus, 24-25, et déposition de Collin et de Saint-Georges au procès de Miaczynski. Cf. pour tout ce qui suit outre le Rapport de Camus, les Mém. de Dumouriez et sa Réponse au rapport de Camus.

[19] Dumouriez ne croyait pas si bien dire ; selon le mot de Beaulieu sur Camus (IV, 149), Beurnonville doit sa conservation à son séjour dans les prisons de l'Autriche ; il devint ambassadeur à Berlin, il devint comte, il devint marquis, il devint maréchal de France.

[20] Moniteur, 5 avril 1793, et A. G., note qui sera lue deux fois aux troupes assemblées (1er avril).

[21] Moniteur, 5 avril 1793. Sa lettre n'eut d'autre résultat que de taire connaitre ses desseins à Paris un jour plus tôt. Dès que les administrateurs du Nord qui siégeaient à Douai, eurent reçu la lettre, ils l'envoyèrent sur-le-champ aux commissaires de la Convention, Delacroix, Gossuin, Merlin et Robert, qui la reçurent en route près de Péronne et la déposèrent le 3 avril sur le bureau de l'assemblée.

[22] Dumouriez, Mém., IV, 137.

[23] Lescuyer venait d'atteindre la cinquantaine. Il avait vu Hastenbeck, Corbach et Minden ; il était lieutenant-colonel et prévôt de la gendarmerie du Nord et il avait assisté au bombardement de Lille lorsque les commissaires de la Convention le nommèrent colonel en le déclarant infiniment recommandable. Il devait son grade de général de brigade à la gratitude des représentants provisoires du peuple de Bruxelles, et le président de cette assemblée faisait l'éloge de Lescuyer, major-général de la cavalerie belge, qui commandait à la gendarmerie, véritable corps de héros et de philanthropes (Rec. Aulard, I, 99, 136, 144 ; Procès-verbal de la séance des représ. prov. de Bruxelles, 11 mars, p. 7-8 ; Lescuyer à ses juges et à ses concitoyens, 2, 22.)

[24] Bellegarde était venu par Landrecies ; Cochon et Lequinio avaient passé par Maubeuge (Rapport de Lequinio, 6).

[25] La lettre qu'il écrivait à Dumouriez fut trouvée dans la redingote du général ; elle causa la mort du grand prévôt qui fut traduit devant le tribunal révolutionnaire et condamné.

[26] Proclamation manuscrite du 2 avril 1793, rédigée à la hâte, et ou Cromwell est écrit Cronvel (A. N. AF. II, 232).

[27] Rapport de Lequinio, 6-8 ; les commissaires à la Convention, 8 avril 1793 ; Lescuyer au ministre, 13 avril (A. G.). Il n'est pas de singerie patriotique, disaient les commissaires, qu'il n'ait faite, et de preuve d'hypocrisie qu'il n'ait donnée. Lescuyer prétendit vainement qu'il n'obéissait à Dumouriez que pour ne pas laisser tomber l'ordre dans d'autres mains, qu'à son arrivée à Valenciennes une guerre de lettres s'était établie, entre Dumouriez et lui, etc. (Lescuyer à ses juges, 5-9). Cf. Ternaux, VI, 359-369 ; Wallon, Hist. du tribunal révolutionnaire, 100-108 et dossier de Lescuyer (A. N. W., 280).

[28] Beaufort à Dumouriez, 2 avril (A. G.) ; Desforges-Beaumé à Le Brun, 5 avril (A. E.) ; cf. aussi deux lettres de Vanker, 7 avril, et sur Duval, Valmy, 130, Jemappes, 89, 228 ; sur Lavalette et Sta, Jemappes, 192, 217, 246.

[29] A. N. W. 271, 31, pièce 67.

[30] Encore une lettre qui fut trouvée dans la redingote de Dumouriez et qui causa la mort de son signataire.

[31] L'ordre était ainsi conçu : Les autorités civiles et militaires de la ville de Lille ordonnent au colonel Macdonald d'arrêter le colonel Devaux. Le conseil général, sur des sentiments patriotiques du colonel Macdonald et de la troupe qui est à ses ordres, est bien convaincu que le colonel prendra tous les moyens possibles pour faire arrêter le colonel Devaux et que dans aucun cas il n'adhérera point aux propositions ni aux ordres qui pourraient lui être donnés de la part dû général Dumouriez. 4 avril 1793 (A. G.).

[32] Cf. sur Philippe Devaux de Vautray, né à Bruxelles, lieutenant au régiment de Kaunitz, démissionnaire en 1787, Retraite de Brunswick, 131-132 et 163, Jemappes, 20, et plus ; sur Macdonald, Valmy, 53-54 et 159 ; un agent écrivait alors que sa grande jeunesse et son peu d'expérience ne donnaient pas confiance aux soldats qui composaient le camp (15 avril 1793, A. G.) ; sur Miaczynski, Valmy, 32 et 54. Cf. aussi Ternaux, Wallon, les dossiers de Miaczynski et de Devaux, A. N. W. 271, 31 et 36 (surtout le Précis des faits qui se sont passés à Lille le 2 avril 1793 et jours suivants, W. 271, 31, p. 8) et le Moniteur du 6 avril 1793.

[33] Cf. sur Rosières, Jemappes, 24, 90-92, 208, 251. Il était, ainsi que Kermorvan, rentré dans l'armée française après Neerwinden et avait servi à la division de gauche (Rojas, Miranda, 134). Il fut nommé commandant de Douai, puis suspendu parce que son fils avait émigré. Il mourut à Paris en 1808.

[34] Kermorvan, suspendu en août 1793, mourut en 1817, sans avoir reparu dans les armées.

[35] Chancel était surnommé le général Nestor, non parce qu'il était vieux (il n'avait que quarante ans), mais Jean Nestor étaient ses prénoms. Il naquit à Angoulême. Il était, avant 1789, capitaine-adjoint aux aides maréchaux-de-logis de l'armée et, en 1791, adjudant-général à la 4e division militaire (Nancy). Il fut nommé en 1793 général de brigade (3 février) et général de division (11 sept.), et défendit Maubeuge ; mais Duquesnoy l'accusa d'être resté inactif après le déblocus de la place. Il fut traduit au tribunal révolutionnaire et exécuté.

[36] Jean-Baptiste Davaine avait alors soixante ans. Il servit en France de 1748 à 1763, puis se fit amidonnier et savonnier à Roulers, sa ville natale. Il prit part à la révolution brabançonne et se signala à la prise de Gand. A la fin de 1790 il se réfugiait à Melun avec sa famille. Santerre le fit nommer, après le 10 août, inspecteur des chevaux de la République. Il vint en cette qualité, au commencement de février 1793, dans la Belgique et reprit du service. Général de brigade depuis le 19 février, général de division après la défection de Dumouriez, il fut accusé, comme Chancel, par ce Duquesnoy — que Gadolle nommait le grand râfleur des généraux — d'avoir compromis par mauvaise fui ou ineptie le succès des armes de la République ; renvoyé comme Chancel, au tribunal révolutionnaire, il fut exécuté le même jour (16 ventôse an II).

[37] Lieutenant-colonel depuis le 26 janvier 1793, adjudant-général le 15 mai, Pinon devint général de brigade (22 thermidor an III) et prit sa retraite en l'an XI.

[38] Entretien de Chérin avec Cobourg et Mack (A. F. 61, II) ; Stettenhoffen à Le Brun, 13 avril 1793 (A. E.). Chérin avait déjà contribué pour sa modeste part à étouffer la rébellion de Lafayette, et Dumouriez l'envoyait à Sedan avec des patriotes zélés (Valmy, 23). Pille était ami de Miranda et ennemi de Thouvenot (Rojas, Miranda, 54-33, 246-247) ; c'était avec Muller, le seul officier dont l'esprit républicain dédommageait Ronsin de l'incivisme des autres officiers (Correspondance de Ronsin, IV et V, note).

[39] Lettre des commissaires du 5 avril (Moniteur du 9). Je déclare, dit Chérin (Valenciennes, 6 avril 1793, A. G.), que c'est le lieutenant-général Rosières, commandant à Bruille, qui m'a fait arrêter le trois de ce mois au soir par ordre de Dumouriez.

[40] 2 avril 1793 (A. G.). Biotière aux adjudants-généraux.

[41] Stettenhoffen écrit à Dumouriez : Ma santé délabrée ne me permettant plus de servir, je vous prie de m'accorder la permission de me retirer quelque part pour la rétablir. Dumouriez répond : Le général Stettenhoffen est maître de se retirer où il voudra, quitte à lui à s'arranger pour sa démission avec le ministre de la guerre. Stettenhoffen reçut cette lettre à deux heures du matin et partit à quatre. C'était un brave soldat, ayant des vues militaires (Cochelet, Rapport au Comité milit., 6). Chaque mois il envoyait au ministre et déposait sur l'autel de la patrie pour faire la guerre aux tyrans couronnés le quart de ses appointements (lettre du 23 février 1793, A. G.).

[42] Mot du lieutenant-colonel Chapuis.

[43] Le 11 avril, les commissaires de la Convention à Valenciennes écrivaient que le 5e de Saône-et-Loire désapprouvait l'adresse des 26 ; il abjure hautement leur égarement et leur perfidie ; il nous donne l'assurance la plus positive de son attachement à la République. La Convention décréta le 13 avril que le lieutenant-colonel et ses 26 subordonnés seraient traduits devant le tribunal révolutionnaire. Chapuis comparut seul et fut condamné à mort.

[44] Lequinio, Rapport, 13.

[45] Lettres du général Valence, 13-14, et Précis de la conduite de Mme de Genlis, Hambourg, 1796, 86-87 ; cf. Rec. Aulard, II, 592.

[46] Lettre du 3 avril (Moniteur du 8). Cf. sur le capitaine Thiébault, le futur général, Jemappes, p. 234 ; la lettre du duc de Chartres fut interceptée, et Thiébault arrêté ; Grouvelle le sauva.

[47] Les représentants Hentz et Laporte avaient fait arrêter à Maubeuge le général d'Harville et le commissaire des guerres Barneville parce qu'ils n'avaient pas évacué les magasins de Namur le 25 mars, jour de leur départ. (Observations de Barneville, 1-2.)

[48] Lettre du 2 avril (Moniteur du 26).

[49] Lettres du général Valence, 14-15.

[50] Correspondance de Couthon, 165 ; Rouhière à Le Brun, 20 août 1792 (A. E.) ; Valmy, 18-23.

[51] Cf. sur Le Veneur, Invasion prussienne, 54 ; Valmy, 50-51, 55, 196, 198, 224 ; Jemappes, 81 et 118. Le 5 avril, pendant que Dumouriez se rendait à Condé, il s'échappait et gagnait Arras. Il fut arrêté et envoyé à Rouen, à sa grande surprise. Je suis le seul officier-général de Dumouriez qui ait osé déserter son camp. Dampierre était dans une place forte, et n'avait rien à craindre de lui, et il pouvait tout oser ; Dampierre est général, et je ne puis être libre. (Le Veneur à la Convention, 3 avril (Moniteur du 7) et au Comité, 15 avril ; Extrait des registres aux arrêtés du conseil d'administration du Pas-de-Calais, 5 avril 1793, A. G.)

[52] Rapport de Perrin au Comité de sûreté et de défense générale de Lille, 3 avril 1793 (A. G.).

[53] Déposition de Chopplet, 6 avril 1793 (A. G.).

[54] Mot de Cobourg (Ternaux, VI, 259).

[55] Esch, 28 mars 1793 (A. N. F7 4598).

[56] Chronique de Paris, 6 avril 1793.

[57] Mot de Prudhomme, Révolutions de Paris, n° 195, p. 56.

[58] Elle était alors à Saint-Quentin (lettre du maire, 6 avril A. G.). C'est ainsi que le Comité de sûreté générale de l'assemblée législative avait fait arrêter Mme de Lafayette (Ternaux, III, 64).

[59] 4 avril (Moniteur du 7).

[60] Cf. Rec. Aulard, I, 131 et Patriote français, 6 avril 1793. Bouchotte arriva le 6 avril au soir à Valenciennes pour conférer avec les commissaires. Il partit le lendemain pour Paris.

[61] Le Brun aux commissaires nationaux, et Duval a Le Brun, 4 avril 1793 (A. G. ; cf. Rec. Aulard, III, 32).

[62] Courrier des départements, 26 mars ; Chronique de Paris, 16 mars et 1er avril ; Patriote français, 1er, 2, 4, 5 avril 1793. Les Girondins eurent beau dire ; Dumouriez demeura aux yeux des montagnards le protégé de Brissot et de tous les traitres du côté droit (Journal de la Montagne, n° 9, 10 juin 1793) ; cet homme, dit tristement Brissot (Mém., p. 352) devait perdre tout ce qui s'attachait à lui.

[63] Ferrand, Procès de la défense de Valenciennes en 1793, réimpression de 1834, p. 15.

[64] 2 avril 1793 (Moniteur du 6).

[65] 3 avril 1793 (A. N. AF. II, 232).

[66] Il avait été envoyé par le ministre de la marine à Dunkerque pour une opération relative à son département et chargé de parcourir les places fortes et l'armée.

[67] Moreton à Lestranpe, 6 avril ; Arrêté du Directoire du département du Nord, 4 avril 1793 (A. G.).

[68] Lettre de Gadolle, 10 avril 1793 (A. G.), et Tu en as menti, Billaud, 6.

[69] Les commissaires à Valence et à Égalité, 3 avril 1793 (A. F. II, 232).

[70] 8 avril 1793 (A. G.). Aussi s'étonnaient-ils de n'être pas compris dans les nouvelles commissions nommées par la Convention. A la lecture de cette lettre, l'assemblée déclara qu'elle approuvait leurs mesures et qu'elle était satisfaite de leur conduite et de leur zèle (décret du 10 avril).

[71] Tricotel était un vieux soldat qui avait repris du service comme lieutenant-colonel du 3e bataillon de la Meurthe. J'ose dire, écrivait-il au ministre (2 avril 1793, A. G.), avoir servi depuis le 12 avril 1743, fait trois guerres, trente-deux ans de lieutenant-colonel, criblé de blessures, deux à la tête dont une en suppuration depuis cette guerre au cou, et à la veille d'être suspendu.

[72] Séance du conseil général de Maubeuge, et Tourville aux commissaires, 2 avril 1793 (A. G.).

[73] Valenciennes, 4 avril 1793 (imprimé).

[74] Fersen, II, 70.

[75] Proclamation de Dampierre et Extrait du registre des séances du conseil permanent du district du Quesnoy, 4 avril 1793 (A. G.).

[76] Moniteur, 7 et 8 avril 1793 ; Rec. Aulard, III, 59, 88-89.

[77] Neuilly aux commissaires, 4 avril 1793 (A. G.).

[78] Langlois aux commissaires, 3 et 9 avril 1793 (A. G.). Ce Langlois, capitaine d'infanterie depuis 1784, avait quarante-trois ans de services et six campagnes.

[79] Ternaux, VI, 529 et 546 ; Fersen, II, 70.

[80] Cf. dans Wallon, Les représentants en mission, IV, 419, l'altercation des cavaliers et de Delacroix ; Lequinio, Rapport, 14.

[81] Invasion prussienne, 84 ; Heitz, Les soc. polit. de Strasbourg, 1863, p. 202 ; Rapport des commissaires Delmas, Du Bois du Bais et Bellegarde, 13 nov. 1792 ; Rec. Aulard, I, 332.

[82] Cf. Prudhomme, Révolutions de Paris, n° 195, p. 70 (les volontaires, dit-il, sont les plus aguerris en liberté) ; la lettre des commissaires de l'armée du Centre à la législative (Moniteur, 31 août 1792) ; le discours de Barère, 12 févr. 1793 (Moniteur du 15) ; Invasion prussienne, 56.

[83] Davout qui lisait le Moniteur, s'approprie le mot de son député Maure (Moniteur, 9 avril) ; cf. Mme de Blocqueville, Le maréchal Davout, 1879, I, 305-306.

[84] Joseph Bernazais à ses concitoyens, 1793, p. 6-9, 15, 19-20, 23.

[85] Lequinio, Rapport, 9.

[86] Moniteur, 6 avril 1793.

[87] Dumouriez, Mém., IV, 136 (Schiller a reproduit cette scène dans la Mort de Wallenstein), Ternaux, VI, 569-572 ; discours de Le Cointre père et de Guillemardet à la Convention (Moniteur, 19 avril 1793). Ces prisonniers furent relâchés, avec Pille et le capitaine Le Cointre, le 14 mai 1793. Leblond avait pu s'échapper auparavant.

[88] Précis de la conduite de Mme de Genlis, 90 et 95.

[89] Tourville et Latour-Foissac aux commissaires, 1er avril 1793 (A. G.).

[90] Proclamation du Comité et lettre de Perrin au Comité, 3 avril 1793-(A. G.).

[91] Lettre de Ronsin, 5 avril 1793 (A. G.).

[92] Proclamations, 2, 3, 4 avril 1793 ; Lequinio, Rapport, 9, 13 et lettre du 8 avril à la Convention (A. G.).

[93] Vaillant aux camps de Maulde et de Bruille, 4 avril 1793 (A. GJ,

[94] Ferrand, précis, 55, et conversation de Chérin avec Mack (A. N. AF II, 63).

[95] Mallet du Pan, Mém., p. p. Sayous, 11, 490.

[96] Durand-Maillane, Mém., 329, 331. Cf. Toulongeon, II, 184-185, et Ségur, Hist. des principaux événements du règne de Frédéric-Guillaume II, 1800, III, 36 et 39. Les soldats, avait écrit Gonchon à Le Brun (25 mars 1793, A. E.), veulent tous la Révolution et la République, ils veulent se réunir autour de la Convention.

[97] Faurtin-Desodoards, Hist. philosophique de la Révolution de France, IV, 305.

[98] Déposition de la Tailhède.

[99] Moniteur, 6 avril 1793.

[100] Biographies et chroniques populaires du département des Ardennes, par Hubert Colin, 2e série, Vouziers, 1860, p. 142-143 (Mém. de Marion). Cf. de Pradt, 84 : Ils ne voulaient pas de contact avec l'ennemi, et ces mots de Money, The campaign, 297-298 : The loyalists of that army, of which there are many, and particularly in the troops of the line, hear with horror the cruelties committed in the metropolis and in other parts of France ; but a shot or two fired on an out-post, makes them look forward and forget the victims that fall behind them, to consider those that are to fall before them.

[101] Mack, 10-11 ; Ternaux, VI, 514.

[102] Dumouriez à Neuilly, 2 avril 1793 (A. G.) et Mém., IV, 145.

[103] Mme de Blocqueville, Davout, I, 293 et 307 ; Dumouriez, Mém., IV, 167-170 ; Mémoire de Théophile Fernig ; Pelé, Saint-Amand, 205-206.

[104] Prudhomme reconnaît que jamais depuis le commencement de la Révolution, proclamation étrangère ne fut plus adroite ni plus perfide. Révolutions de Paris, n° 195, p. 97.

[105] Mack, 11-13.

[106] Mém. de Th. Fernig ; Dumouriez, Mém., IV, 173 ; cf. les dépositions de La Tailhède, 15 avril, de Chopplet et la lettre du capitaine Gachelin, 6 avril (A. G.).

[107] Déposition du lieutenant d'artillerie Chuitcheler, 5 avril 1793 (A. G.).

[108] Songis fut nommé, le 11 avril, colonel et directeur du parc de l'armée des Ardennes.

[109] Gachelin à Bideau, 6 avril ; un lieutenant à un député, 7 avril ; lettre des commissaires 5 avril 1793 (Moniteur du 9) ; Lequinio, Rapport, 9. Cf. Révolutions de Paris, n° 195, p. 64.

[110] La Marlière à Bellegarde, Nivelles, 5 avril 1793 (A. G.).

[111] Rosières aux commissaires, 4 avril 1793 (A. G.). Davaine raconte ainsi cet épisode dans un mémoire justificatif : Dumouriez nous avait mis dans ce camp comme dans une boîte, et notre départ la nuit n'a pas peu contribué le matin à déterminer la levée du camp de Maulde et la rentrée du parc d'artillerie.

[112] Notes de Cobourg. — Ternaux, VI, 532.

[113] Lequinio, Rapport, 10-12 ; Ternaux, VI, 566 et 582 (mais Ternaux attribue faussement la lettre de Segond à Stettenhoffen).

[114] Ternaux, VI, 548-549.

[115] Dumouriez le jugeait très intelligent et très actif (à Valence, 26 oct. 1792, A. G.).

[116] Mathieu Dumas, Souvenirs, II, 474 ; III, 55, 187, 584.

[117] Bleibtreu, Newwed, p. 23 ; cf. Jemappes, p. 81-82 et 112.

[118] A. Sorel, Revue des Deux-Mondes, 15 août 1884, cf. Ternaux, VI, 585-607 ; Boguslawski, II, 280-302 ; Valmy, 19-23.

[119] Dumouriez à Le Brun, 29 avril 1792 (A. E.).