I. Dumouriez à Paris. Exécution de Louis XVI. Entretiens de Cambon et du général. Mémoires au Comité de défense. — II. Destitution de Pache. Beurnonville, ministre de la guerre. Son administration. — III. Guerre avec l'Angleterre et la Hollande. Projet de mission de Dumouriez. Premier plan d'invasion de la Hollande. Prise de Venlo par les Prussiens. Second plan de Dumouriez. — IV. Préparatifs. L'armée d'expédition. Proclamations. — V. Lenteurs de Berneron. Guerre de sièges. Bréda. Geertruidenberg. Klundert. Maëstricht. Désastre du 1er mars.I. Dumouriez était arrivé le 1er janvier 1793 à Paris. Il avait un triple dessein : faire abroger le décret du 15 décembre, proposer un plan de campagne et renverser Pache. Ses Mémoires lui attribuent l'intention de sauver Louis XVI, et un agent de l'émigration atteste à cette époque son extrême attachement pour la personne du roi[1]. Lui-même assure qu'il essaya d'arracher un vote de clémence à plusieurs députés de la Montagne, à Robespierre, à Drouet[2], à Jeanbon Saint-André. Il dina au faubourg Saint-Marceau avec Camille Desmoulins, Santerre, Panis et autres jacobins, pour obtenir leurs bons offices en faveur du roi[3]. Lorsqu'il apprit le résultat de l'appel nominal, il était avec Biron à l'hôtel Saint-Marc, et Mme Elliot témoigne de sa profonde affliction[4]. Mais il eut soin de ne pas se compromettre. Le rôle du soldat qui ne pense qu'à la guerre et au sort de ses compagnons d'armes était le plus facile à jouer. Dumouriez joua ce rôle pendant son séjour à Paris. Mes mémoires, écrivait-il à Thouvenot, servent de pâture à deux factions qui se déchirent, la pauvre République en souffre, et nous serons tous les victimes de ce qui arrive. Je suis parfaitement neutre. J'attendrai le résultat de tous leurs combats en tâchant de rendre aux armées tous les services que je pourrai : c'est à quoi je suis réduit à me borner par les circonstances[5]. Il se contenta de dire publiquement qu'il trouvait le procès de Louis XVI inutile. Pourquoi ne pas remettre ce grand débat après la guerre ? Pourquoi perdre plusieurs semaines en discussions stériles ? Ne ferait-on pas mieux de consacrer ce temps précieux aux préparatifs de la campagne prochaine ? Louis était un perfide coquin, s'écriait-il près l'exécution[6], mais on a été bien gauche de lui couper la tête ! L'abrogation du décret du 15 décembre tenait plus au cœur de Dumouriez que le salut de Louis XVI, et c'était un motif très essentiel de son voyage. Il craignait une insurrection des Pays-Bas ; si les Autrichiens reparaissent en forces, les Exiges ne les aideraient-ils pas à nous couper les vivres et à rendre notre retraite impossible ? Il invita Cambon à déjeuner. Le conventionnel déclara que le décret était injuste, mais nécessaire ; qu'il fallait tout désorganiser, pour tout mettre au même point d'anarchie ; les Belges, une fois ruinés, se jetteraient dans les bras de la France et s'associeraient à son destin. Dumouriez répondit que les Belges se jetteraient au contraire dans les bras de l'Autriche. N'était-ce pas éventrer la poule aux œufs d'or que de prendre d'un seul coup au clergé des Pays-Bas toutes ses richesses ? Pourquoi ne pas faire aux Brabançons des emprunts qui les intéresseraient nécessairement à nos succès ? Pourquoi ne pas payer en assignats les gros capitalistes d'Anvers, de Gand, de Bruxelles, devenus les fournisseurs de l'armée ? Le service serait sûr et la dépense, moitié moindre. Les entrepreneurs mettraient en circulation les assignats qu'ils recevraient. Révoquez le décret, disait Dumouriez, et les Belges, réellement libres, se donneront une constitution ; ils lèveront des troupes qu'ils joindront aux nôtres ; ils finiront par demander d'eux-mêmes leur incorporation à la République française. Il ajoutait qu'il se faisait fort d'entretenir son armée avec les seules ressources de la Belgique et de prêter quelques millions au trésor de la France[7]. Mais Cambon ne fut pas converti. Dumouriez le revit une seconde fois et dîna avec lui et Ducos : la conférence dura plus-de six heures et se termina par une querelle. Dumouriez reçut le même accueil du Conseil exécutif provisoire. Au mois de janvier 1793 comme au mois de septembre 1792, ce Conseil était en proie à l'anarchie[8]. Roland ne signait plus les procès-verbaux et gémissant, désespéré, atteint d'une lassitude mortelle, il allait quitter un jeu intenable[9]. Garat louvoyait. Le Brun et Clavière ne pensaient qu'à conserver leur place. Monge obéissait à Pache, et Pache, sûr de l'appui des jacobins, et toujours impassible au milieu de l'orage des plaintes et des récriminations, disait froidement que tout était pour le mieux. Tous les ministres approuvaient le décret du 15 décembre. Le Brun affirmait que la Révolution devait faire table rase, que les Brabançons étaient imprégnés du virus du fanatisme et de l'amour des idoles, que le décret serait le bréviaire des conquérants de la Belgique[10]. Dumouriez lui conseillait de révoquer Chépy, qu'il trouvait trop fougueux ; Le Brun renvoyait Chépy à Bruxelles[11]. Le général eut aussi peu de succès au Comité de défense
générale. Ce Comité, dont la Convention avait décrété la formation dans sa
séance du 1er janvier, devait s'occuper, sans interruption, avec les
ministres, des mesures qu'exigeait la future campagne[12]. On y lut quatre
mémoires de Dumouriez. Le premier mémoire traitait du décret du 15 décembre
et de l'influence terrible qu'il aurait sur
les prochaines opérations des armées : les plus grands troubles, disait
Dumouriez, sont près d'éclore en Belgique et dans
les contrées que nous occupons ; il faut mettre les peuples de notre côté,
les gagner par notre douceur et notre prudence, ou ils se joindront à la
cause des rois pour nous chasser et se venger de l'abus que nous aurons fait
de nos victoires. Il s'élevait dans le deuxième mémoire contre le
comité des achats, qui livrait la Belgique à l'accaparement
et aux spéculations de quelques genevois et de
quelques juifs ; un général pouvait-il voir les
pays qu'il parcourait et sa propre armée à la merci d'une société aussi
dangereuse et d'agents aussi ignorants ? Son troisième mémoire
exposait ses démêlés avec le ministre Pache et rappelait l'arrestation de
Malus, de Petitjean et d'Espagnac ; il fallait faire
la guerre au système désorganisateur et remettre à leur place des
administrateurs utiles et persécutés. Le quatrième mémoire résumait
les trois autres. L'administration, disait
Dumouriez, est la partie la plus nécessaire de la
guerre ; le général en dépend ; elle doit donc être dans sa main. Il
priait le Comité de lui donner carte blanche ; il ne voulait plus être tourmenté par des accusations vagues et de vaines
déclamations. Sinon, il quitterait le commandement, et, une fois
rentré dans la solitude, il rédigerait des Mémoires exacts pour
apprendre à ses compatriotes et à l'Europe la vérité[13]. Ces quatre mémoires furent discutés dans les séances du 9 et du 10 janvier 4793. Dumouriez assistait aux délibérations et prit plusieurs fois la parole. Le Comité de défense générale finit par ajourner sa résolution. Toute son attention était attirée par le nouveau projet d'embrigadement ou d'amalgame[14]. Pourtant, le Comité délibéra sur le plan et les préparatifs de la campagne de 1793. Dumouriez proposait d'armer 370.000 hommes, dont un sixième de cavalerie, et de garder la défensive dans le Midi et sur le Rhin, pour n'agir offensivement que de Dunkerque à la Moselle. L'armée de la Belgique compterait 80.000 hommes ; celle des Ardennes, 40.000 ; celle de la Moselle, 20.000 ; celle du Rhin, 50.000 ; un corps de réserve à Châlons ou à Soissons, 20.000 ; un autre corps, à Lyon, 45.000 ; l'armée de Nice et de la Savoie, 40.000 ; celle des Pyrénées, 25.000 ; celle des côtes de l'Ouest, de Bayonne à Brest, 40.000 ; celle des côtes de la Manche, de Brest à Dunkerque, 40.000. Ces armées se porteraient secours de proche en proche. Celle de la Belgique, menée par Dumouriez et naturellement la plus nombreuse, la plus agissante, tâcherait, après un second Jemappes, de passer le Rhin ; battue, elle se retirerait en Flandre, à l'abri des places fortes. Celle du Rhin, commandée par Custine, se replierait sur Landau en laissant assez de monde à Mayence pour arrêter le roi de Prusse pendant deux ou trois mois. Si Custine garde Mayence avec une armée, disait Dumouriez, il paralyse les mouvements des autres années ; il laisse à découvert la Moselle, la Sarre et le bas Rhin ; il s'expose à être coupé entièrement ou à se rendre faute de subsistances[15]. Ce plan fut adopté dans ses principales lignes, et Dubois-Crancé, chargé du rapport sur l'organisation générale des armées, proposa dans la séance du 25 janvier les dispositions suivantes à la Convention : l'armée de la Belgique (62.000 hommes), attaquerait la Hollande ou les états du roi de Prusse ; celle de la Moselle, de même force, se saisirait de Coblenz ; celle du Rhin, elle aussi de même force, agirait sur le Rhin supérieur et en Souabe ; la réserve (25.000 hommes), rassemblée à Châlons, se porterait partout où la fortune serait indécise ; les armées de la République comprendraient, avec les garnisons et les dépôts, 502.800 hommes, dont 53.000 de cavalerie et 20.000 d'artillerie, tant de siège que de campagne. Mais ce projet, à peine décrété, fut, ainsi que la loi de l'amalgame, ajourné sur-le-champ. II. Dumouriez quitta Paris le 26 janvier. Aussi avancé que le premier jour, avait-il écrit à Thouvenot[16]. Il n'y a aucun plan de campagne. Toutes les armées sont dans le même état de délabrement, et on ne s'occupe que très peu de leur réparation. Quant à la Belgique, on va de l'avant pour la vexer et la pressurer. Mais il savait que les jours de Pache étaient comptés. Le bruit courait même qu'il prendrait le portefeuille de la guerre jusqu'à l'ouverture de la campagne[17]. Il avait fait publier par Grimoard sa correspondance avec le ministre dans les derniers mois de 1792. Nous savons aujourd'hui, disait-il dans la préface, qu'une armée peut être mal conduite par des géomètres (Hassenfratz et Meusnier), mal administrée par des poètes (Ronsin), et mal approvisionnée par des juifs (Marx Berr et Lipmann Cerfberr), et il attribuait le dénuement de son armée à l'ignorance et à l'amour-propre, les deux fléaux les plus terribles de l'espèce humaine : L'un nous expose sans défense à toutes les entreprises des intrigants ; l'autre nous aveugle sur la cause de nos fautes, nous empêche d'en convenir et de les réparer[18]. Il n'avait pas dissimulé, pendant son séjour à Paris, ce qu'il pensait des bureaux de la guerre : La faction qui les soutient conduit tout à présent ; mais je ne cacherai pas la douleur mêlée d'indignation dont j'ai été abreuvé à la vue de l'horrible misère qui poursuivait mon armée ! Il attaqua le ministre sans ménagement. Nous sommes perdus, assurait-il, si cet homme reste quinze jours de plus à son poste, et, en plein Conseil, il lui jetait à la face ces mots insultants : Monsieur Pache — je ne vous nomme pas citoyen, car vous avez perdu ce titre à mes yeux — ou vous êtes un imbécile fieffé ou un grand coquin. Purgez le ministère, renvoyez tous les vauriens qui l'encombrent et décampez vous-même, si vous ne voulez pas qu'on vous traîne au calvaire, comme le plus infâme des criminels ! Le correspondant de la Minerva, qui rapporte le propos, ajoute : J'arracherais la langue à celui qui me parlerait ainsi, quand ce serait un rhinocéros ; Pache a, comme un misérable, reçu le coup sans répondre[19]. Tous les généraux, tous les commissaires de la Convention inculpaient l'indigne ministre. C'était Custine qui se plaignait que ses troupes fussent exposées à une rude gelée, sans habits, ni culottes, ni souliers. C'était Merlin de Thionville qui dénonçait la négligence des bureaux et la rapacité des agents de tout genre[20]. C'était Biron qui déclarait que le Comité des achats n'avait pris que des mesures insuffisantes et qu'il causerait la ruine de l'armée du Rhin[21]. C'était Beurnonville qui déplorait l'atténuement de ses forces : On m'a fait partir pour Trêves, on m'a dit que tout me suivait ; je n'ai rien reçu, excepté quelques objets défectueux et des gazettes qui n'habillent pas et ne chaussent pas. J'ai obtenu des cantonnements, des compliments, mais pas une paire de souliers. Les soldats s'affublent les pieds avec des peaux de moutons et de bœufs qu'ils se disputent dans nos boucheries. Je n'ai pas un seul agent du Directoire des achats. Ni selles ni bottes. Tous les hommes nus, exténués. Rien ne s'organise ni se répare ![22] C'était Sauveur Chénier qui déplorait l'apathie de Pache et son système destructeur : le ministre avait nommé dans le service des remontes des inspecteurs de la plus mauvaise réputation et détruit les haras ; les bons chevaux étaient rares ; les choses de première nécessité manquaient ; des intrigants sans talent envahissaient les emplois[23]. Aussi Dumouriez disait-il au Comité de défense générale : Toutes les armées font entendre les mêmes plaintes ; toutes sont hors d'état de recommencer la campagne ; quel que soit le préjugé en faveur des personnes chargées de l'administration de la guerre, ces plaintes ne sont pas le fruit d'une conjuration des généraux[24]. Les Girondins soutenaient Dumouriez, et les principaux d'entre eux, Gensonné, Brissot, Vergniaud, Guadet, s'étaient engagés à faire sauter le ministre de la guerre[25]. Ils avaient abandonné le général lorsque, de Belgique, il livrait, selon le mot de Le Brun, un terrible combat au ministre Pache[26]. Seul, Villette avait déclaré qu'on ne devait pas rabaisser le héros de la France par des détails de ménage et des lésineries domestiques[27]. Mais aucun n'osait le défendre hautement en pleine Convention. Brissot, trompé par les assurances de Pache, mandait à Dumouriez qu'il était convaincu du zèle du ministre, de sa bonne foi, de ses principes austères et inflexibles, qu'il croyait à la franchise de Hassenfratz, que les bureaux de la guerre faisaient tout au monde pour seconder le général[28]. Les honnêtes gens de l'assemblée, disait alors Dumouriez, se taisent par défaut de courage ; tout va mal, et je prévois plus de mal encore de l'aveuglement de la Convention, et de ce qu'elle croit être de l'énergie. Pétion et Condorcet m'ont écrit pour me faire ployer[29]. Mais les Girondins avaient compris leur faute et finissaient par s'enhardir. La guerre n'allait-elle pas s'enflammer, vive, ardente, presque universelle ? Pache devait-il, dans de si périlleuses circonstances, garder le ministère ? Tous s'unirent pour dénoncer son incapacité. Barbaroux l'accusait de compromettre la sûreté de l'État. Valazé lui reprochait de prévariquer et demandait contre lui le décret d'accusation. Chambon voulait qu'on connût enfin le dédale des bureaux de la guerre, de ces bureaux qui, suivant l'expression de Bancal, avaient été désorganisés ou par l'impéritie ou par la perversité. Sillery signalait des abus très considérables et démontrait que des fonds énormes s'engloutissaient dans cette partie du gouvernement, qu'il fallait, sous peine d'un épouvantable désastre, attaquer le mal dans sa source, supprimer le comité des achats, organiser une compagnie des vivres. Hardy jugeait que Roland n'avait commis qu'une seule faute, celle de proposer Pache au choix de la Convention. Que fait donc, s'écriait Salle, que fait l'homme qui dirige cette immense machine et laisse s'entasser contre lui les inculpations, sans avoir l'air de s'en émouvoir ? Roland refusait de signer le compte général du Conseil exécutif ; non seulement, disait-il, il était étranger aux opérations des bureaux de la guerre et ignorait les fournitures des troupes ; mais il avait eu dans les mains un état des subsistances et des achats qui présentait des parties confuses et incertaines[30]. Les jacobins eux-mêmes confessaient l'impuissance de leur protégé. Thuriot avouait que l'administration de la guerre était pour Pache un fardeau trop lourd ; Danton, qu'on devait le soulager et partager ses fonctions ; Couthon, qu'il était honnête, mais très peu capable ; Cochelet, qu'il avait trop de confiance en ceux qu'il croyait patriotes[31]. Les commissaires de la Convention en Belgique, Camus, Delacroix, Gossuin, portèrent le premier coup au ministre. Leur rapport, qui venait de paraître, chargeait, accablait les personnes, ineptes ou négligentes, qui avaient la témérité de se charger des postes les plus importants et surtout le Comité des achats qui menaçait l'existence de l'armée et le salut de la République[32]. Le 25 janvier, Camus déclarait à la Convention que Pache avait fait une fausse dépense de cent cinquante millions, et Delacroix, que le Directoire des achats était contre-révolutionnaire. L'assemblée décréta sur-le-champ que les membres du Directoire, Bidermann, Marx Berr et Cousin, seraient mis en état d'arrestation, et les scellés apposés sur leurs papiers. Déjà l'opinion les accusait d'être payés par l'ennemi[33]. Le Comité de défense générale acheva ce que les commissaires avaient commencé. Après la lecture d'un mémoire de Pache, qui n'avait satisfait personne, il décida que l'administration de la guerre était trop compliquée dans l'état actuel des choses pour une seule personne, et qu'elle devait être confiée provisoirement à un directoire formé de plusieurs membres et présidé par un ministre ou directeur en chef[34]. Trois commissaires, Sieyès, Doulcet, Bréard, furent chargés d'étudier la réorganisation du ministère. Sieyès rédigea le rapport. Il proposait de nommer un seul ministre qui serait membre du Conseil exécutif provisoire et aurait comme suppléments essentiels un directeur et un administrateur responsables, ainsi que quatre conseillers de législation et d'inspection. La discussion s'ouvrit. Saint-Just, Fabre d'Eglantine, Jean de Bry, Buzot, Barbaroux, Lamarque, Salle, Sillery, Barère prirent la parole. Le meilleur discours fut celui de Sillery. Selon Sillery, il était trop tard pour organiser le ministère ; on devait se borner à choisir un homme intelligent qui connaîtrait tous les détails de l'administration, qui aurait une entière latitude pour appeler à lui les agents les plus expérimentés, qui saurait avant le 15 mars remettre les armées en état et assurer la campagne ; tous les moyens existaient ; on n'avait besoin que d'un levier pour mouvoir la machine, et ce levier c'était un ministre patriote et habile. Barère s'empara des arguments de Sillery et entraîna l'assemblée. Comme Sillery, il demandait le changement du ministre, qui n'avait pas la confiance. Comme Sillery, il voulait profiter de ce qui existait, et ne pas désorganiser, quand il s'agissait de se défendre. Mais, ajoutait-il, on devait débarrasser le ministre de tout ce qui était mécanisme et lui conserver cette liberté de travail, cette fraîcheur de conception nécessaires à ses travaux ; la responsabilité incomberait aux premiers agents ou adjoints qui signeraient les ordres donnés par le ministre. Sur la proposition de Barère, la Convention décréta : 1° que le ministre de la guerre serait changé ; 2° que six adjoints nommés par le ministre, agréés par le Conseil exécutif, responsables chacun en leur partie, auraient la signature des ordres d'exécution ; 3° que le premier adjoint serait chargé de la solde ; le deuxième, des fournitures ; le troisième, de l'artillerie et du génie ; le quatrième, de la discipline et de la police ; le cinquième, de la correspondance avec les généraux et du mouvement et logement des troupes ; le sixième, des promotions, congés et retraites[35]. La Convention avait donc, selon le mot des journaux girondins, destitué Pache[36]. Elle nomma son successeur dans la séance du 4 février. Deux candidats étaient en présence : tous deux militaires, tous deux lieutenants généraux, Beurnonville et Achille du Chastellet. Ce dernier eut les voix de Brissot et de ses amis. Il avait, après Varennes, signé le premier placard républicain, et. en 1792, la Gironde lui offrait la succession de Narbonne. Du Chastellet aima mieux combattre à la frontière. Mais il eut le mollet de la jambe gauche emporté par un coup de canon à l'attaque de Courtrai, et cette blessure encore fraîche l'empêchait de servir. Il était franc, loyal, aimable, instruit et avide de s'instruire, grand admirateur de Mirabeau et intime ami de Condorcet. Enfermé à la Force, il devait s'empoisonner avec de l'opium que lui avait donné Cabanis[37]. Du Chastellet obtint 216 voix ; mais la Montagne vola pour
Beurnonville qui réunit 356 suffrages[38]. Carra, l'un des
prôneurs d'Ajax, annonça gaiment l'élection : Réjouissez-vous,
Beurnonville était depuis quatre jours à Paris. Les membres de la Convention
qui ont le nez fin, ne l'ont pas manqué. Il nous faut un ministre qui
distingue les officiers ; qui sache faire marcher rondement les commis des
bureaux, les commissaires des guerres, les entrepreneurs des vivres, qui soit
impénétrable aux sollicitations des faux patriotes. Nous l'avons saisi à la
volée[39]. Beurnonville était plein de vanterie ; il ne parlait qu'avec emphase et en prenant des airs de matamore. N'assurait-il pas avoir vu depuis le mois de mai précédent cent soixante-douze combats[40] ? Mais il tenta vaillamment de réparer les maux qu'avait causés son prédécesseur et de pourvoir à tous les besoins de sa famille armée. La Montagne comprit bientôt qu'en le nommant elle avait fait une école[41]. Le tutoiement fut défendu dans les bureaux. Ajax, s'écriait Carra, a trouvé que les familiarités des commis qui avaient des comptes à rendre n'étaient pas de saison[42]. Les employés incapables furent chassés, et l'administration se vit purgée comme dit Meillan, de la vermine que la Montagne, les Jacobins et la municipalité y avaient introduite[43]. Dès le premier jour, Beurnonville écarta les entrepreneurs qui lui offraient jusqu'à quinze cent mille livres pour acheter sa complicité[44]. Je trouve, mandait-il à Dumouriez, un déficit considérable dans les caisses, des achats faits pour des sommes énormes, des magasins encombrés, et rien de fabriqué, enfin un résultat de friponneries. Il rappela l'ancienne administration des subsistances militaires ou compagnie Doumerc qui avait toujours bien géré. Ses adjoints furent des hommes dont l'armée connaissait les talents et les services : Cœdès, employé à l'administration des vivres ; Dorty, commissaire-ordonnateur au camp de Soissons ; Saint-Fief, ancien capitaine d'artillerie et colonel adjudant-général à l'armée de Belgique ; L'Estrange, colonel adjudant-général à l'armée de l'intérieur ; La Saussaye, commissaire-ordonnateur à Mézières ; Félix, adjudant-général à l'armée de la Moselle. Il garda Malus pour s'aider de ses avis et fit arrêter par le Conseil exécutif que l'habile commissaire pourrait être employé : Les méchants, disait-il, voulaient obscurcir la réputation de Malus ; il surveillera ces mêmes méchants qui nous ont laissés manquer de vivres. Les sections de Paris prétendirent lui imposer leur volonté, et, un soir, l'une d'elles lui envoya des députés qui l'interrogèrent. Pourquoi as-tu employé Botidoux ? Donne-nous une réponse catégorique. — Ma réponse, répliqua Beurnonville, la voici : je vais me coucher, bonsoir ![45] Bref, Ajax faisait bien son nouveau métier, et malgré les clameurs de Marat, il allait son train, suivant sa propre expression, et restait l'homme d'avant-garde dans son cabinet, dans ses audiences et à la Convention comme devant l'ennemi. Dumouriez déclarait que, depuis l'entrée de Beurnonville au ministère, on s'occupait enfin du recrutement et des besoins de l'armée. Il nous fallait, disait Miranda au nouveau ministre, un homme de la profession, de votre probité et de votre patriotisme pour nous tirer des embarras où l'ineptie des autres nous avait plongés misérablement. Un correspondant du Moniteur témoigne que les soldats de la République s'arrachaient enfin à leur honteux dénuement, qu'ils étaient mieux chaussés et mieux vêtus, que les magasins se remplissaient. Miot porte le même jugement : l'administration prenait une marche régulière et sortait de la léthargie[46]. III. L'activité de Beurnonville, son activité brûlante, comme la qualifiait l'avantageux ministre, était d'autant plus nécessaire que la Convention avait déclaré la guerre à l'Angleterre et à la Hollande. Pitt voulait la paix. Mais la France proclamait la liberté de l'Escaut ; elle menaçait la Hollande ; elle déclarait par le décret du 19 novembre 4792 qu'elle accordait fraternité et secours à tous les peuples qui voudraient recouvrer leur liberté ; elle faisait de la Belgique, par le décret du 15 décembre, une province française. La prospérité éblouit les nations et les hommes, écrivait Miles à Le Brun et à Marat ; la rapidité de vos conquêtes vous a fait oublier ce que vous devez à vous-mêmes et aux autres. Vous croyez pouvoir dicter la loi à toute l'Europe. Mais, en se mêlant de tout on gâte tout. L'ordre donné à vos généraux de poursuivre l'ennemi sur les terres neutres est une atteinte à l'indépendance des puissances qui ne sont point en guerre avec vous. Vos décrets du 19 novembre et du 15 décembre sont des menaces qu'aucun gouvernement ne peut entendre. L'arrêté du Conseil sur l'ouverture de l'Escaut est une infraction des traités de 1786 et de 1788. Notre existence politique ne permet nullement que la France s'agrandisse. D'ailleurs, vous avez renoncé aux conquêtes et vous en faites ! Comment se fier à une nation qui ne respecte ni ses traités ni ses serments ?[47] Aussi, dès les premiers jours de 1793, la guerre entre la France et la Grande-Bretagne semblait-elle certaine, et, comme disait Brissot, elle attirait tous les regards et absorbait toute l'attention[48]. Le 7 janvier, le Conseil exécutif recevait d'un des chefs des patriotes hollandais, Conrad de Kock, un mémoire qui proposait l'invasion de la Zélande ; le lendemain, il donnait audience à Kock ; le surlendemain, il appelait Dumouriez et conférait avec lui sur l'expédition projetée[49]. Kock assurait que le stathouder, craignant l'esprit révolutionnaire des provinces, notamment d'Amsterdam et de La Haye, avait le dessein de se réfugier à Walcheren avec les Etats et les chefs des administrations, sous la protection de la flotte anglo-hollandaise, qu'il faisait fortifier l'île, qu'il allait y mettre garnison. Mais, ajoutait Kock, il n'y avait présentement dans la Zélande que 55 compagnies d'infanterie, chacune de 40 soldats ; il fallait s'emparer de l'île sans retard ; l'expédition exigeait à peine 3.000 hommes. Quelques jours plus tard, Kock et Daendels, le futur général, gagnaient Anvers. Ils mandèrent à Le Brun qu'ils garantissaient entièrement le succès de l'entreprise, si Dumouriez la dirigeait ; ils suppliaient le général de venir à leur aide[50] : Au nom de tous les Hollandais, intéressez-vous pour nous ; un mot de vous vaut toutes nos plaintes et toutes nos réclamations auprès le ministre ; en vous réside l'espoir de tous les Bataves. Dumouriez accueillit avec enthousiasme le plan des patriotes hollandais. Il obtint du Conseil exécutif que les troupes de la Flandre maritime, remplacées par des bataillons de nouvelle levée qui se trouvaient en troisième ligne dans les garnisons du Nord, seraient mises sous les ordres de Miranda et chargées de l'expédition de Zélande. Et déjà, pétillant d'impatience, il donnait ses instructions à Miranda. La petite armée d'invasion comprendrait 8 bataillons d'infanterie, la légion batave, 2 régiments de cavalerie et une compagnie d'artillerie à cheval. Elle partirait d'Anvers sous la conduite des patriotes et secondée par les trois chaloupes canonnières qui composaient la flottille de Moultson et qui chasseraient aisément les frégates ennemies par leur calibre de vingt-quatre et leurs boulets rouges, elle entrerait dans la Flandre hollandaise, puis dans l'île du Zuid Beveland et de là dans l'ile de Walcheren. En même temps, le maréchal de camp Charles de Flers rassemblerait à Bruges cinq mille fantassins et douze cents cavaliers pour se porter avec la plus grande promptitude sur Middelbourg et Biervliet. Les patriotes avaient annoncé que le stathouder défendrait l'intérieur du pays et que les Prussiens mettraient garnison dans Maëstricht et Venlo : Duval et La Noue eurent ordre, le premier, de concentrer à Ruremonde les troupes qui formaient l'armée particulière de Miranda et d'occuper Venlo dès que la place serait évacuée ; le second, de réunir à Tongres l'armée de Valence et d'investir Maëstricht, sans dégarnir toutefois les bords de la Rœr[51]. Mais, par deux fois, le conseil exécutif ajourna la résolution qu'il devait prendre[52]. Il hésitait, ne savait à quel parti s'arrêter. Fallait-il renoncer à la Belgique ? Fallait-il s'engager dans une guerre contre les Anglais ? Nous sommes très indécis, mandait Dumouriez à Miranda. La mort de Louis XVI mit fin aux indécisions. La catastrophe du 21 janvier, disait le général, nous donne vraisemblablement pour ennemis tous les peuples de l'Europe. Londres indigné demanda la guerre contre la France. Après avoir écrit sur les murs no war with French, on écrivait : Hurrah, war, glorious war ! Chauvelin eut ordre de quitter l'Angleterre sous huit jours. Et cependant, plus approchait l'instant fatal de la déclaration de guerre, plus on craignait de se jeter dans de terribles aventures, et l'on faisait encore une suprême tentative pour garder la paix. Dumouriez lui-même, si impatient naguère, si pressé d'engager la lutte, jugeait qu'on n'était nullement préparé, qu'on ne devait pas brusquer les choses, qu'on avait besoin avant tout de temps et de froide réflexion. Nous ne pouvons, affirmait-il, le 18 janvier, que nous tenir sur la défensive et désirer de n'avoir rien à faire avec la Hollande ; les circonstances nécessitent une extrême prudence et de très grands moyens militaires sur lesquels je ne vois pas clair du tout. Il offrit au Conseil exécutif et au Comité de défense générale d'aller à Londres en ambassade extraordinaire. C'était, selon lui, une mesure grande et noble, une démarche majestueuse qui convenait à des républicains. IL expliquerait au ministère anglais, avec force et sans jactance, les motifs de notre conduite ; s'il réussissait, la France aurait un ennemi de moins et peut-être verrait-elle la Prusse se détacher de l'Autriche ou ne plus guerroyer qu'avec mollesse ; s'il échouait, elle saurait que son gouvernement avait tout fait pour diminuer ses dangers. La proposition de Dumouriez fut acceptée, et déjà Maret demandait à Londres un sauf-conduit pour le général et une assurance de bienvenue. C'est un oui ou un non, disait Dumouriez, que je vais demander comme Fabricius à Persée, ou Caton à Carthage. Il quitta Paris le 26 janvier et se dirigea par Dunkerque, Ostende et Bruges sur Anvers sous prétexte d'inspecter les quartiers : il comptait trouver à Anvers la réponse du ministère anglais ; si elle était catégorique et amicale, il s'embarquerait à Calais[53]. En attendant, il s'aboucherait au Mœrdijk, sur un yacht de l'amirauté, avec lord Auckland, ambassadeur d'Angleterre, et le grand pensionnaire de Hollande, Van de Spiegel. Vous allez, lui écrivait Miranda, comme Scipion à Zama, décider avec dignité le sort de la République[54], et notre ministre à La Haye, Emmanuel de Maulde, le nommait le pacificateur du monde[55]. Mais le 1er février la Convention déclarait la guerre au roi d'Angleterre et au stathouder de Hollande. En vain Dumouriez tenta de négocier encore et sollicita l'autorisation de conférer avec lord Auckland. Le Brun lui manda que le ministère anglais ne cherchait qu'à l'amuser, et par deux fois, le Conseil exécutif arrêta qu'on ne pouvait entrer dans aucune sorte de conférence ou de négociation avec le cabinet britannique. Dès le 31 janvier, Dumouriez avait ordre de s'emparer de Maëstricht et de Venlo, d'accélérer le progrès des armes françaises en Hollande et de diriger spécialement ses efforts contre les établissements maritimes où il trouverait des armements et approvisionnements dont profiterait la République[56]. Le général pensait qu'on eût mieux fait de filer la négociation et de gagner quelques semaines[57]. Sans doute, l'opinion se prononçait avec violence contre la Grande-Bretagne. On parlait d'une autre guerre entre Rome et Carthage. On répétait que la France ne comptait plus ses ennemis[58] et qu'elle saurait braver l'Europe entière. Tout le monde voulait être corsaire[59]. Comme sous la monarchie, foisonnaient les projets de descente, et le club de Cherbourg invitait Dumouriez à venir, après l'expédition de Hollande, au milieu de ses anciens concitoyens, préparer l'invasion de l'Angleterre[60]. Le Conseil exécutif méditait la conquête de l'Inde : dès que les Provinces-Unies seraient soumises, Valence partirait avec les troupes régulières de l'armée des Ardennes, un régiment de cavalerie et quelques bataillons de volontaires résolus à une absence de trois années. Beurnonville célébrait à l'avance, en son langage emphatique, les exploits de ces Français aventureux qui seraient au nombre de vingt-cinq mille hommes, portés par trente vaisseaux de ligne : Ils iront chasser les Anglais de l'Inde ; ils s'amuseront en passant à Rio-Janeiro et au cap de Bonne-Espérance. J'aime l'or et les diamants des Portugais, le blé et les moutons des Hollandais, et pour donner du courage à nos braves, il faudra qu'ils boivent du vin de Constance ![61] Le futur conquérant de la Hollande ne partageait pas l'enthousiasme de son grand diable de fils aîné. Il traversait les Flandres et ne trouvait pas entre Dunkerque et Anvers un seul homme de cavalerie : A Furnes, à Nieuport, à Ostende, à Bruges, pas un commissaire des guerres, pas un payeur, pas un hôpital, pas un magasin d'approvisionnements ; le soldat prenait le pain et la viande chez le boulanger et le boucher ; le prêt était dû depuis trois jours ; partout, le général devait requérir les administrations du pays et fouiller dans les caisses publiques pour donner aux troupes une subsistance momentanée. Comme toujours, les bataillons manquaient de chaussures et d'habits. Un seul avait ses canons de campagne. Tout me manque, écrivait Dumouriez à Le Brun, et il faut un cas aussi désespéré pour que j'entreprenne une expédition pareille avant d'être pourvu de tous les moyens nécessaires pour y réussir. Il avait fait un premier plan. Tandis que Miranda se saisirait de Venlo, il investirait Maëstricht qui se rendait à la troisième bombe ; puis les deux généraux iraient prendre ensemble Nimègue et Grave ; Nimègue était la clef de la Hollande, et sa chute ne précéderait que de quinze jours l'entrée des Français dans Amsterdam. Mais avant toutes choses, Miranda devait s'emparer de Venlo et prévenir les 40.000 Prussiens de Brunswick-Œls qui s'assemblaient à Wesel pour secourir la Hollande et couvrir le flanc droit de l'armée autrichienne. Aussi Dumouriez lui commandait-il d'envoyer sur-le-champ un courrier à Champmorin. Ce maréchal-de-camp, un des plus habiles lieutenants de Miranda, était alors à Kessel, non loin de Venlo. Il eut ordre d'occuper les deux forts de Stevensveert et de Saint-Michel, situés l'un sur la rive droite, l'autre sur la rive gauche de la Meuse ; puis, de courir sans retard à Venlo qui n'avait que deux canons et une garnison de deux cents hommes. Je n'ai d'espoir, disait Dumouriez, que dans l'extrême célérité de l'opération de Venlo. Si je prends Venlo avant que les Prussiens entrent en campagne, je suis à peu près sûr du reste. Si cela n'a pas lieu, la campagne est manquée, et la défense des Pays-Bas bien hasardée. Champmorin se rendit maitre des forts de Stevensveert et de Saint-Michel. Ce fut Moreau, lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires d'Ille-et-Vilaine, qui s'empara de Stevensveert. Il y pénétra le matin à six heures, et surprit en plein sommeil la garde du fort, composée d'un sergent, d'un caporal et de douze fusiliers, qui n'avaient que leurs armes et quelques cartouches[62]. Mais Champmorin arriva trop tard pour prendre possession de Venlo. Le 9 février, le duc de Brunswick-Œls avait su par un journal la déclaration de guerre. Le 11, à la pointe du jour, deux heures avant la venue des Français, il se présentait aux portes de Venlo, et cinq bataillons entraient tambour battant dans la place qui recevait un gouverneur prussien, le général-major de Pirch[63]. C'est un coup affreux, s'écria La Marlière, je regardais Venlo comme la clef de la Hollande, et sa prise assurait la défense de la Belgique. Dumouriez dit simplement que la nouvelle était très désagréable, et persista dans son plan d'invasion[64]. Il aurait pu se jeter sur les forces autrichiennes qui grossissaient derrière la Rœr, les refouler au-delà du Rhin, puis revenir sur Amsterdam par Venlo et Nimègue. Mais il craignait de donner aux Provinces-Unies le temps d'organiser leur défense, et quel général de cette époque aurait osé laisser l'armée hollandaise sur son flanc gauche et Maëstricht sur ses derrières ? Une irruption en Hollande lui paraissait le seul moyen de salut. Cette attaque rapide et soudaine imposerait aux ennemis qui croiraient les ressources de la France plus puissantes qu'elles ne l'étaient. Elle assurait la possession de la Belgique qu'on ne pouvait plus garder avec chance de succès, puisqu'on n'avait ni une armée propre à la défensive, ni l'affection des Belges. Enfin, conquérir la Hollande, c'était trouver, dès le début de la campagne, dans un pays très disposé pour la France, des armes, des habits, des vivres, des munitions, de l'argent ; c'était renforcer l'armée française, l'augmenter de 25 à 30.000 hommes de troupes bataves[65]. Ses Mémoires prétendent qu'il fit semblant d'adopter le projet de Conrad de Kock et qu'il mena des préparatifs à grand bruit pour donner le change aux Hollandais et détourner leur attention sur la Zélande. Sa correspondance prouve qu'il dissimulait autrement son véritable dessein. Il répandit le bruit qu'il s'arrêterait à Anvers pour conclure un emprunt et qu'il irait ensuite rejoindre Miranda sous les murs de Maëstricht. Tout autre se fût dirigé vers Nimègue, et Dumouriez eut un instant le dessein de se rabattre sur cette ville par Venlo, Gueldre et Emmerich, puis par les hauteurs d'Amersfoort, de tourner Utrecht et de gagner Muyden, ce centre et ce nœud des écluses, que Luxembourg avait manqué en 1672. Mais il avait, de Nimègue à Amsterdam, huit à neuf marches, et il courait le risque d'être attaqué sur son flanc par Brunswick-Œls. Il prit un chemin plus hasardeux, mais plus court. Peut-être, écrivait-il le 5 février à Miranda, ferai-je un petit rassemblement près d'Anvers, pour pénétrer, entre Bréda et Bois-le-Duc, sur Geertruidenberg ou Heusden ; ce petit corps que je donnerais à commander à Berneron, tiendra en échec toutes les garnisons et empêchera !e renforcement de celles de la frontière que nous devons attaquer. Voilà le germe du nouveau plan de Dumouriez, plan imprévu, singulier, hardi, mais, comme il disait, d'autant plus aisé qu'il semblait plus impraticable et faisait passer son armée par le trou d'une aiguille Le général, renonçant à la guerre régulière et méthodique, laissait les places derrière lui, sans les attaquer. Tout au plus bombardait-il Bréda ; mais ce bombardement était une fausse attaque qui couvrait la grande entreprise. Il masquait donc sur sa droite Bréda et Geertruidenberg, sur sa gauche Berg-op-Zoom, Steenbergen. Klundert, Willemstad. Il traversait à Mœrdijk le bras de mer du Hollandsch Diep qui n'a que deux lieues de largeur[66] ; il débarquait à Dordrecht sur la rive opposée, et, prenant à revers toutes les défenses de la Hollande, se trouvait en plein cœur du pays. De Dordrecht, il marchait sur Amsterdam par Rotterdam, Delft, La Haye, Leyde, Harlem ; il établissait le nouveau gouvernement qui donnait ordre aux commandants des places de se rendre aux troupes françaises ; puis, sans s'arrêter, il revenait par Utrecht à la rencontre de Miranda. Miranda seconderait en effet Dumouriez dans sa percée téméraire. Il devait brusquer l'attaque de Maëstricht, et, sans ouvrir un siège régulier, jeter des bombes dans la place. Dumouriez assurait que le gouverneur n'était pas du tout militaire, que la garnison n'avait pas envie de se battre, que la ville ne tiendrait guère plus de deux ou trois jours, que le bombardement dégoûterait les soldats et intimiderait les habitants qui finiraient par se lasser et faire la loi au commandant. La ville prise, Miranda y laisserait Le Veneur, puis se dirigerait sur Nimègue avec 25.000 hommes et tous les Hollandais, Allemands et Suisses de la garnison de Maëstricht qui se joindraient à lui. Il ne s'amuserait pas devant Grave qui était dans un rentrant de la Meuse ; il irait droit à Nimègue, et là, entre Nimègue et Utrecht, lorsqu'il pousserait avec vivacité les troupes de Brunswick-Œls, il trouverait Dumouriez qui viendrait prendre les Prussiens par derrière et les mettre entre deux feux. Mais il fallait se presser ; il fallait étonner et employer la fougue française ; il fallait faire des coups de désespoir, faire des choses incroyables et impossibles ; il fallait vaincre ou mourir, et dans les instructions que Dumouriez envoyait coup sur coup à son fidèle second, sur un ton impétueux, fébrile qui marquait l'impatience de son âme, il disait en espagnol : Ne regardons pas en arrière ; ce n'est pas le temps de la prudence ; chaque jour perdu est du plus grand danger[67]. Miranda approuva l'entreprise ; mais il la jugeait étonnante et très difficile ; elle lui paraissait tenir du merveilleux et ressembler à un songe. On savait que les Impériaux méditaient une revanche, et les journaux annonçaient qu'au mois de février le prince de Cobourg se mettrait à la tête de l'armée autrichienne[68]. Miranda craignait donc que Cobourg ne vint attaquer les troupes qui cantonnaient sur la rive gauche de la Rœr et couvraient le siège de Maëstricht. Suffiraient-elles à tenir avec sûreté toute l'étendue qu'elles occupaient ? Cobourg ne pourrait-il les disperser et débloquer la place ? Mais Dumouriez répondit que Cobourg n'avait sûrement pas assez de monde ; que son armée, en dépit de sa cavalerie et de ses grenadiers hongrois, se composait de nouvelles levées ; qu'elle était aussi mal approvisionnée que les Français, et ne pouvait entrer en campagne avant trois semaines. Miranda n'insista plus. Il ordonna qu'en l'absence de Valence, La Noue prendrait le commandement des troupes cantonnées entre la Rœr et la Meuse : La Noue, de concert avec Stengel, Dampierre et Miaczynski, ferait tous les arrangements pour défendre vigoureusement le passage de la Rœr ou livrer bataille aux ennemis qui l'auraient passée avec l'idée d'introduire un secours de troupes dans Maëstricht[69]. Ces ordres donnés, Miranda se porta devant Maëstricht. Dès le 6 février, il avait envoyé Le Veneur sur la rive droite de la Meuse pour bloquer le quartier de Wyq, et Dietmann sur la rive gauche entre Lixhe et Sichem. Tout le gros de l'armée du Nord, au nombre de 13.000 combattants, investit Maëstricht ; l'avant-garde de La Marlière qui ne comptait que 3.000 hommes, battait la campagne en avant de Ruremonde ; Champmorin demeurait avec 5.000 hommes en face de Venlo. Le reste des troupes françaises tenait les mêmes positions qu'à la fin du mois de décembre 1792 : les 10.000 hommes d'Harville occupaient Namur et le Namurois et défendaient la Meuse ; l'armée des Ardennes commandée par Valence et formée de 18.000 hommes environ, était à Liège et dans le pays de Liège ; l'armée de la Belgique, réduite à 18.000 soldats, cantonnait, avec Dampierre, à Aix-la-Chapelle, avec Miaczynski, à Rolduc, avec La Noue et Stengel, sur les bords de la Rœr[70]. IV. Un contemporain s'étonne que l'actif et bouillant Dumouriez n'ait pas envahi plus tôt les Provinces-Unies[71]. Mais que de soins divers, que de mesures de toute sorte, le général devait prendre avant de s'enfoncer en Hollande ! Il ménageait sa retraite en cas de malheur, donnait 30.000 francs à Senermont pour réparer la citadelle d'Anvers, suspendait la démolition des remparts de Mons et de Tournai que Pache avait imprudemment ordonnée, et conseillait à Beurnonville de fortifier la hauteur de Huy, d'entourer Malines d'une enceinte de terre, de munir de bonnes batteries Ostende, Nieuport et Dunkerque, de rétablir les lignes de Bergues, de tracer un camp retranché sur le mont Cassel, de mettre en état de défense Orchies, Bavay, Beaumont. Il mandait au contrôleur-général de la trésorerie nationale, Le Monnier, de faire pour quinze jours les fonds de la petite armée qu'il rassemblait. Il ouvrait sur les négociants et capitalistes d'Anvers un emprunt de douze cent mille florins qui se remplissait tout doucement, et il avançait différentes sommes aux bataillons belges, à la légion batave, au 8e régiment de hussards, dits de la République. Il convenait avec les patriotes hollandais que le Comité batave, représentant le peuple souverain, ordonnerait à tous les officiers municipaux et militaires des Provinces-Unies de rendre aux généraux français les places, les arsenaux, les magasins ; qu'il aiderait les administrateurs, commissaires et régisseurs à faire subsister les armées envahissantes ; qu'il lèverait, soit par contribution, soit par la confiscation des biens des orangistes, les fonds nécessaires à l'entretien des troupes ; à mesure que les Français avanceraient en Hollande, ce Comité s'adjoindrait d'autres membres pour exercer l'administration provisoire jusqu'à la réunion d'une convention nationale. Dumouriez ne négligeait rien pour s'attacher les généreux martyrs de la révolution de 1787. Daendels était déjà lieutenant-colonel. Deux autres membres du Comité batave reçurent le titre de colonels : Conrad de Kock que Dumouriez jugeait plein d'audace et d'éloquence et qui devait accompagner Daendels à l'avant-garde ; de Nyss, plein de sagesse et de courage qui fut attaché à l'état-major. On vit même le général porter sur la poitrine le symbole favori des patriotes, un petit chien-loup en argent avec l'inscription : Chacun mord à son tour[72]. Malus, qui devait venir à Liège ou à Bruxelles diriger en grand l'administration des subsistances, n'arriva sur la frontière qu'à la fin du mois de mars. Mais Dumouriez appelait à Anvers Petitjean nommé, à la place de Ronsin, commissaire-ordonnateur en chef de l'armée de la Belgique. Petitjean, seul, pouvait lui procurer les moyens de ne point éprouver de retard dans son expédition, et l'infatigable, l'indispensable Petitjean savait en effet tout prévoir et tout pourvoir ; son activité n'oubliait aucun point du territoire occupé par les Français, et le siège de Maëstricht, et les cantonnements de la Meuse et de la Rœr, et les quartiers d'hiver. Je vous prie, disait-il à Beurnonville, de vous tranquilliser sur les besoins de l'armée. Aussi Miranda ne le cédait-il à Dumouriez que pour quelques jours. Mais ces quelques jours suffirent à Petitjean et à Dumouriez pour rassembler l'armée de Hollande, l'armer, l'équiper, l'arranger. Le général la tira d'Anvers et des cantonnements de la Westflandre et il eut soin d'y faire entrer des troupes belges ; ce qui affaiblissait d'autant plus le parti contre-révolutionnaire auquel elles se joindraient, si on les laissait en arrière[73]. Il s'entoura d'officiers expérimentés. Le général La Bayette et le lieutenant-colonel La Martillière[74] formaient le train d'artillerie. D'Arçon ferait la guerre de sièges. C'était ce d'Arçon qui, au siège de Gibraltar, avait imaginé ces fameuses batteries flottantes, insubmersibles, incombustibles, impénétrables aux boulets. Maréchal-de-camp en 1791, chargé d'inspecter les frontières, accusé de royalisme par le prince de Hesse et suspendu, il fut réintégré, sur la demande de Dumouriez qui le regardait comme un des meilleurs ingénieurs et des plus honnêtes hommes de France. Je m'attends, écrivait Beurnonville au général, le 14 février, à cent cinquante mille dénonciations, sans compter celle de Hesse ; mais vous avez besoin de d'Arçon, et il partira ce soir[75]. Thouvenot était trop essentiel, trop nécessaire à la grande armée. Il resta donc à Liège. Mais il alla passer deux jours à Anvers avec Dumouriez. Le général le chargea notamment de mettre sur pied l'armée belge. Thouvenot porterait le titre d'inspecteur-général et presserait la formation de 25 à 30 bataillons ; chaque officier-général, chaque commandant avait ordre de hâter ces levées de troupes dans son arrondissement ; Rosières irait de cantonnement en cantonnement les passer en revue ; Petitjean devait les habiller, les armer et payer à chaque soldat vingt sous par jour en papier. Dumouriez espérait avoir 25.000 hommes d'infanterie belge avant le mois de mai et Beurnonville l'engageait vivement à profiler au plus tôt de ce précieux surcroit[76]. A défaut de Thouvenot l'ainé, le cadet, Pierre Thouvenot, fut chef de l'état-major de l'expédition de Hollande, et son esprit très entendu, très fécond en ressources, rendit de grands services. Il eut sous lui un adjudant-général, Philippe Devaux, et quatre adjoints. L'armée ne comprenait que mille cavaliers et quinze mille fantassins[77]. Dumouriez n'avait cessé de demander des renforts à Beurnonville. Mais la Convention n'ordonna qu'au 23 février la levée fameuse des trois cent mille hommes et le ministre ne put envoyer en Belgique et sur les frontières du nord qu'une poignée de soldats. Il dépêchait à Bruxelles deux bataillons de l'Yonne, à Liège deux escadrons de hussards braconniers, à Lille la légion des Américains et du Midi qui devenait le 13e régiment de chasseurs à cheval, à Sedan la légion germanique. Paris n'avait plus d'autres troupes que la cavalerie de l'École militaire. Le directoire de l'Aisne se plaignit de rester sans défense ; Beurnonville répondit que les départements ne devaient plus compter que sur leur force sédentaire[78]. Quatre corps, l'avant-garde, les divisions de droite et de gauche, la réserve, constituaient l'armée de Hollande. L'avant-garde, commandée par Berneron, comptait quatre compagnies franches, entre autres celle de Vandamme[79], deux bataillons de volontaires — le 3e de l'Aube et le 1er du Finistère —, le 1er et le 2e bataillon de la légion batave, le 1er et le 2e bataillon belge, le 1er bataillon et les 300 cavaliers de la légion du Nord, 50 dragons du 6e régiment, 80 dragons bataves. La division de droite que Dumouriez avait mise sous les ordres du général d'Arçon et du chef de brigade Westermann, comprenait 8 bataillons de volontaires[80], 2 bataillons de la gendarmerie de Paris et 200 hussards du i régiment. La division de gauche avait pour chef Leclaire, colonel au 90e régiment d'infanterie et bientôt général. Elle était formée de 7 bataillons de volontaires[81], du 2e bataillon de la légion du Nord, du 9015 régiment et de 450 hommes du 8e hussards. A la réserve, que dirigeait le colonel Tilly, étaient le 4er bataillon de la Gironde, le 3e bataillon de la légion batave, 200 dragons belges à pied, 100 hussards belges et 100 hommes du 20e régiment de cavalerie. Cette armée, si singulièrement composée, n'emmenait d'autre artillerie que 4 pièces de douze, 8 pièces de huit, 4 mortiers de dix pouces, 20 petits mortiers à grenades et 4 obusiers. Trois bataillons seulement appartenaient aux troupes de ligne : le 90e qui voyait le feu pour la première fois et les deux bataillons de gendarmerie. Trois bataillons de volontaires avaient fait la campagne de Belgique. Tout le reste était de nouvelle levée. Pas ou peu de discipline. Tandis que l'armée se formait aux environs d'Anvers, les officiers allaient se divertir en ville, à l'heure qui leur plaisait, et il fallut menacer de suspendre ou de renvoyer en France tous ceux qui s'absenteraient sans permission[82]. Le colonel du 8e hussards était un tailleur de Lille, nommé Dumont, ignorant et ivrogne, qui avait équipé le régiment à ses frais : Dumouriez le cassa et le remplaça par son aide-de-camp le lieutenant-colonel Morgan ; mais il dut casser encore un escadron qui refusait obéissance à Morgan et voulait pour colonel le capitaine Montmayeur[83]. Enfin, la gendarmerie nationale se conduisait très mal et Dumouriez n'en était pas extrêmement content[84]. Mais il comptait sur les dispositions des habitants et sur la lâcheté des troupes hollandaises qu'une longue paix avait engourdies et rendues incapables de repousser une vigoureuse agression. Quelques instants avant son départ, il reçut le directeur de la troupe française de La Haye que le stathouder — Guillaume V d'Orange-Nassau — avait renvoyé. Sans doute, dit le directeur au général, vous allez abattre des oranges. — Je ferai plus, répondit Dumouriez, je couperai l'oranger dans la racine[85]. On se rappelle qu'il savait enflammer une armée et qu'il exerçait sur ses troupes un prodigieux ascendant. Ses ennemis mêmes reconnaissent qu'il avait l'art d'exalter le soldat[86]. Dumouriez réussira, mandait Valence au ministre de la guerre[87], son génie et son audace en donnent la certitude ; si vous saviez ce qu'est cette armée qui va enlever les places, prendre des vaisseaux et parcourir victorieusement la Hollande, en revenant sur le Rhin, vous ne penseriez pas, comme Hassenfratz, qu'il y a plusieurs millions de généraux, et, comme Cambon, que l'armée est tout et que le général n'est plus rien. Beurnonville avait même confiance et même espoir. Il avouait que les moyens ne répondaient pas à la grandeur de l'entreprise : mais le génie de Dumouriez suppléerait à tout, et, dans son style prétentieux et amphigourique, il écrivait que son père, nouvel Icare, s'élèverait au-dessus des digues de la Hollande, — et, comme nous sommes en hiver, ses ailes ne se fondront pas ![88] Enfin, l'expédition n'était-elle pas un de ces coups de
main qui conviennent au génie français ? Dumouriez ne cacha pas à l'armée les
obstacles qu'elle devait rencontrer, les intempéries de la saison, les places
à prendre, les canaux et les bras de mer à traverser, mais il lui promettait
qu'une fois en Hollande, elle aurait en abondance ce qui lui manquait. Le soldat français, lit-on dans ses Mémoires,
est très spirituel ; il faut raisonner avec lui, et
dès que le général a le bon esprit de le prévenir des obstacles qu'il
rencontrera, il ne pense plus qu'à les vaincre et il s'en fait un jeu. Si au
contraire on lui cache ses dangers, il s'étonne en les apercevant et une fois
que le découragement le presse, ou plutôt le dégoût de ce qu'on veut lui faire
faire, la méfiance s'en mêle ; il devient presque impossible de le rallier et
d'en tirer aucun parti[89]. Il lança trois autres proclamations : l'une au peuple liégeois, l'autre au peuple de la Belgique, la troisième aux Bataves. Il faisait appel aux cœurs indomptables des Liégeois qu'il avait surnommés les grenadiers de la révolution belgique et comptait sur douze à quinze mille d'entre eux. Il invitait les Belges à combattre sous ses drapeaux : des émissaires de l'Autriche cherchaient à les égarer et leur annonçaient la rentrée des Impériaux ; mais les Français couvraient leur territoire, et porteraient la guerre sur les bords du Rhin ; ce fleuve majestueux servirait de barrière à la liberté. Enfin, il disait aux Bataves qu'il venait les délivrer, comme il avait délivré les Belges, et les arracher au joug du stathouder, ce demi-despote qui livrait à l'Angleterre leur commerce des Indes et leurs colonies[90]. V. Le 16 février, l'avant-garde pénétrait sur le territoire hollandais. Berneron qui la commandait, devait détacher aussitôt vers les bords du Hollandsch Diep 800 fantassins et 100 cavaliers sous les ordres de Daendels et de Conrad de Kock. Ces 900 hommes ramasseraient tous les bateaux de Mœrdijk, de Zwaluwe et de Boodevaart ; ils se hâteraient d'aborder à Dordrecht, de désarmer ou d'enrôler la garnison, et d'amener à Mœrdijk les bâtiments qu'ils trouveraient dans le port et qui serviraient au passage de l'armée. Mais Berneron ne fit aucune diligence et les Hollandais eurent le temps de retirer leurs embarcations vers l'autre bord du Mœrdijk, sous la protection de trois bâtiments gardes-côtes. Dumouriez dut prendre de nouvelles dispositions. On avait trouvé dans les canaux entre Oudenbosch et Zevenbergen 23 bateaux pontés. Il chargea le commissaire des guerres Boursier de réunir les charpentiers et les matelots des havres d'alentour et de mettre ces bateaux en état de porter 1.300 hommes. Durant ces préparatifs, il essayait, en payant d'audace, de se rendre maître de quelques places fortes : Berneron investissait avec l'avant-garde Klundert et Willemstad ; d'Arçon assiégeait avec la division de droite Bréda et Geertruidenberg ; Leclaire observait avec la division de gauche Berg-op-Zoom et Steenbergen. Quant à la réserve, établie au bord du Mœrdijk, elle élevait sur toute la longueur des dunes, de Roodevaart à Zwaluwe, des huttes recouvertes de paille, et nommait ce cantonnement aquatique le camp des castors. Le général en chef ne voulait s'arrêter devant Bréda que le temps nécessaire pour rassembler ses transports[91] et ne croyait pas s'emparer de la ville. Elle avait de bonnes palissades : deux cents pièces de canon garnissaient ses remparts ; l'inondation couvrait ses abords ; un régiment de dragons et 2.500 hommes d'infanterie composaient sa garnison. Mais le gouverneur, comte de Bylandt, d'ailleurs affaibli par l'âge, n'avait jamais fait la guerre ; les magasins manquaient les remparts étaient sans casemates ; un grand nombre d'habitants détestaient le stathouder. D'Arçon n'ouvrit même pas la tranchée. Il établit deux batteries à une faible distance de la place. Durant trois jours, l'assiégé répondit par un feu assez vif. Le quatrième, d'Arçon n'avait plus que 60 bombes à lancer. Mais avant de lever le siège, il envoya Devaux porter une seconde sommation. Devaux dit au comte de Bylandt que Dumouriez arrivait avec son armée et ne ferait pas de quartier. Bylandt assembla ses officiers et, de leur consentement unanime, capitula. 4 mortiers de dix pouces, 2 obusiers et deux escouades du 2e régiment d'artillerie avaient suffi pour prendre Bréda. Les Français y trouvèrent plus de 200 bouches à feu, 300 milliers de poudre et 5.000 fusils de munition. Ils perdaient vingt à vingt-cinq hommes qu'un parti de cavalerie hollandaise avait sabrés à l'improviste pendant qu'ils s'amusaient avec une imprudence bien française à danser sur le glacis[92]. D'Arçon, maître de Bréda, se dirigea sans retard sur Geertruidenberg. La place était défendue sur la rive gauche de la Donge par l'inondation et par des forts extérieurs. Elle avait une belle et solide garnison, composée du régiment d'infanterie de Hirzel et du régiment de dragons qui formait la garde du stathouder. Mais le gouverneur, nommé Bedault, octogénaire faible et incapable, n'osa pas résister. Le 1er mars un des forts extérieurs, celui de Steelhoven, était évacué : d'Arçon y mit deux mortiers de 10 et un obusier de 8. Le lendemain, un deuxième fort était abandonné ; d'Arçon y transporta les deux mortiers du premier fort et quatre autres mortiers du calibre de 7 ½ tirés de l'arsenal de Bréda ; trois de ces mortiers hollandais avaient des affûts qui ne purent supporter les charges, mais d'Arçon les remplaça par deux pièces de 42 et un canon de 24 qui tirèrent sur la Tille à boulets rouges. Le 4 mars, un troisième fort était évacué, et de ce point un obusier de 8 et un mortier de 7 ½, le seul qui fût encore en état de servir, enfilaient et foudroyaient une des plus longues rues de Geertruidenberg. Une bombe tomba dans la maison du gouverneur. Quelques instants plus tard, Devaux se présentait en parlementaire. Bedault signa la capitulation et obtint, comme Bylandt à Bréda, les honneurs de la guerre. Il laissait entre les mains des Français 150 bouches à feu, 200 milliers de poudre, 2.500 fusils, une grande quantité de bombes et de boulets et trente bâtiments de transport. La prise de Geertruidenberg, écrivait La Martillière au ministre, ne tient pas moins du merveilleux que la reddition de Bréda. Pas un artilleur n'avait péri. Dumouriez alla dîner chez Bedault. Pendant le repas, on l'avertit qu'un lieutenant-colonel de volontaires, pris de boisson, voulait entrer dans la ville, malgré les gardes, et qu'il menaçait de son pistolet le commandant du régiment de Hirzel. Le général fit amener le lieutenant-colonel, lui arracha son épaulette devant les officiers hollandais, et le condamna à servir désormais comme simple soldat dans son propre bataillon. C'est ainsi qu'à Bréda il avait fait élever une potence sur la place du marché pour punir aussitôt ceux qui déshonoreraient le nom français par des violences et des crimes[93]. Pendant que la division de droite prenait Geertruidenberg et Bréda, l'avant-garde de Berneron s'emparait de Klundert. C'était un petit fort régulier, situé dans une plaine inondée. Le gouverneur, le capitaine de Kropf, commandait à 150 hommes. Berneron établit une batterie de 4 canons et des mortiers derrière la digue d'inondation, à 150 toises du fort. Bientôt Klundert fut en flammes. Kropf, désespérant de prolonger la résistance, encloua ses pièces et tenta pendant la nuit de gagner Willemstad. Les soldats de la légion batave le poursuivirent ; Kropf brûla la cervelle à leur lieutenant-colonel Haarman, mais fut tué sur le champ par le capitaine Boogmans ; il avait dans sa poche les clefs de la place. Sa troupe, réduite à 73 hommes, se rendit prisonnière. 54 canons, 2 mortiers, 18 milliers de poudre, une grande quantité de bombes et de boulets tombèrent au pouvoir de Berneron[94]. Klundert, Geertruidenberg, Bréda assuraient les derrières de Dumouriez. Il accablait les Hollandais par leurs canons mêmes et, comme il disait, prenait dans chaque ville de quoi prendre la ville suivante. Il recevait même des renforts ; Charles de Flers lui amenait une colonne de 6.000 hommes tirée des garnisons de la Belgique[95] et relevait devant Berg-op-Zoom et Steenbergen la division de gauche qui s'établissait à Oudenbosch et à Zevenbergen. La population faisait aux Français un accueil cordial et leur fournissait gratuitement les vivres ; les paysans de la baronnie de Bréda, presque tous catholiques, les recevaient comme des frères ; des citoyennes de la ville de Bréda et à leur tête la femme du bourgmestre offraient à Dumouriez le bonnet de la liberté. On voyait, avoue un orangiste, toutes les parties de l'administration publique s'écrouler presque au même instant d'elles-mêmes et se modeler sans effort sur les nouvelles formes adoptées en France ; on plantait les arbres de la liberté ; on créait des municipalités, des maires, des comités ; on convoquait des assemblées primaires[96]. Aussi Dumouriez préparait-il activement le passage le ses troupes. Il établissait à la pointe de Mœrdijk, pour protéger l'embarquement de ses troupes et la sortie de la flottille, sept batteries, chacune de deux pièces de 24 et de plusieurs mortiers. Il tirait des bataillons de volontaires tous les hommes expérimentés dans la navigation, Gascons, Bretons, Normands, Dunkerquois, et leur donnait un franc par jour en sus de leur paie ; il avait ainsi 400 à 500 matelots et il les mettait sous les ordres de deux officiers qui avaient fait la guerre sur mer, l'Anglais White et l'aide-de-camp Larue. Toutes les dispositions étaient prises. L'arrière-garde devait s'embarquer à Zwaluwe pour passer le Mœrdijk et la division de droite, à Geertruidenberg, pour traverser le Biesbosch. Si le général, écrivait-on de Bréda, réussit à entrer dans l'ile de Dordrecht, nous serons maîtres en quinze jours de La Haye et d'Amsterdam. Dumouriez voulait tenter le passage dans la nuit du 9 au 10 mars. Dès que j'aurai, disait il, 1.000 hommes à terre de l'autre côté, la révolution sera faite dans la Hollande ; je n'aurai plus qu'à voyager et presque pas à combattre et il mandait à Miranda : Allongez le bras le plus que vous pourrez, pour que nous puissions nous réunir par Nimègue et danser la carmagnole ensemble ![97] Sans doute Maëstricht résistait encore. Vainement Miranda, suivant les instructions de Dumouriez, faisait un bombardement, et non pas un siège, allumant des incendies sur tous les points, sommant le gouverneur et les magistrats, employant tour à tour les menaces et les protestations d'amitié, jurant qu'il ferait passer les officiers au fil de l'épée, et assurant aux habitants qu'il combattait pour eux et les traiterait en frères. Maëstricht ne se rendait pas. Le gouverneur, le prince de Hesse-Philippstadt, animait la défense. Un corps d'émigrés, commandé par le marquis d'Autichamp, aidait efficacement la garnison. D'anciens officiers du corps royal de l'artillerie faisaient le service des pièces et pointaient fort juste ; des boulets partis de la place coupèrent en deux les hommes qui montaient sur la tranchée, et abattirent les arbres de liberté que plantaient les volontaires. Je compte, écrivait tristement le vieux Bouchet, sur le bonheur qui jusqu'à présent a accompagné les armes de la République, sur la terreur et l'esprit des peuples, car sans ces moyens moraux, entre nous soit dit, nos moyens physiques ne sont nullement proportionnés à l'importance de notre entreprise[98]. Miranda, rebuté, résolut de ne pas attendre la reddition
de la place et de seconder plus activement les opérations de Dumouriez. Si le siège se prolonge, lui avait dit le général
en chef, laissez-le achever par Valence. Il
convint avec Valence, Thouvenot et Petitjean qu'un corps de 10.000 hommes,
tiré de l'armée de la Belgique, continuerait l'investissement et l'attaque de
Maëstricht. La Marlière resterait à Ruremonde et appartiendrait désormais à
l'armée des Ardennes. Miranda, avec son armée du Nord, qui comprendrait 20 à
23.000 hommes, se dirigerait dès le 28 février par un mouvement insensible
vers Kessel ; la division de Champmorin formerait son avant-garde et allait
se porter, par delà Venlo, de Kessel sur Grave[99]. Déjà sur la proposition de Cambon, la Convention tonnait ses instructions aux généraux : ils devaient proclamer, dès leur entrée en Hollande, la souveraineté lu peuple, supprimer tous les privilèges et notamment l'impôt sur la bière fabriquée dans le pays, exercer provisoirement le pouvoir révolutionnaire jusqu'à la réunion des assemblées primaires qui organiseraient les administrations, les tribunaux et une forme de gouvernement libre et populaire, donner les emplois aux citoyens connus par leurs talents et leur civisme, confisquer au profit de la République française les actions de la Compagnie des Indes. Des commissaires de la Convention iraient fraterniser avec le peuple batave, et des commissaires du Conseil exécutif se concerter avec les généraux et l'administration provisoire. Barère rédigeait et faisait adopter une adresse aux Bataves. Les Français, lisait Barère, avaient trouvé à Bréda et venaient rendre à la république batave les titres qu'elle avait perdus ; esclaves, ils l'avaient laissé opprimer par les Prussiens ; libres, ils la délivraient de son stathouder. Les fiers compatriotes de Ruyter, ajoutait Barère, ne s'alarmeraient pas de l'exercice momentané du pouvoir révolutionnaire ; ils se confieraient un instant à une grande nation qui venait empêcher l'anarchie et régler les premiers mouvements de la liberté ; ils s'uniraient à leurs frères français et entreraient dans la sainte coalition des peuples contre les royautés[100]. Mais la Hollande ne devait pas connaître en 1793 le pouvoir révolutionnaire. Le 2 mars, Miranda apprenait que les Autrichiens, passant la Rœr et culbutant les avant-postes français, se portaient en hâte sur Maëstricht, et Dumouriez recevait de Valence la dépêche suivante : Notre rêve est fini en Hollande. Les ennemis ont attaqué La Noue par ses cantonnements de droite et de gauche ; il a été forcé. Vous, mon général, la Providence qui veille sur la France, fait que vous n'êtes pas embarqué. Volez ici ; il faut changer le plan de campagne ; les minutes sont des siècles ![101] |
[1] Ternaux, Terreur, VI, 491.
[2] Beaulieu, Essais, V, 63 ; Journal de la Montagne, n° 14, 15 juin 1793 (discours de Drouet).
[3] 17 janvier 1793 (Mïnerva, V, 524).
[4] Mme Elliot, Mém., 2e édit. 1861, p. 123.
[5] Dumouriez à Thouvenot, Clichy, 19 janv. 1793 (A. N. F7 4598).
[6] Minerva, V, 525 (en français dans l'original).
[7] Dumouriez, Mém., III, 339-343 ; cf. Jemappes, p. 205-206.
[8] Retraite de Brunswick, 69.
[9] Lettre du 23 janv. 1793 à la Convention et testament (catal. d'autogr., 23 nov. 1848).
[10] Le Brun à Digneffe, 27 nov. et à Dumouriez, 19 déc. 1792 (A. E.).
[11] Dumouriez à Le Brun, 18 déc. 1792 (A. E.). Chépy fit le 2 janv. un rapport au Conseil sur la situation de la Belgique (Rec. Aulard, I, 379).
[12] Rec. Aulard, I, 389.
[13] 2e, 3e et 4e mémoires, lettres du 10 et du 18 janv. 1793 au Comité de défense générale (A. N. F7 4598) ; cf. Jemappes, V et VI.
[14] Rec. Aulard, I, 440, 444 ; Dumouriez, Mém., III, 305 306.
[15] Dumouriez à Beurnonville, 10 févr. 1793 (A. G.) ; cf. Mém., III, 362-366.
[16] Dumouriez à Thouvenot, Clichy, 19 janv. 1793 (A. N. F7 4598).
[17] Minerva, V, 368 ; Thouvenot, Le Veneur, Beurnonville écrivent à Dumouriez pour lui faire part de ce bruit (A. N. F7 4598, 1er et 13 janv. 1793).
[18] Correspondance avec Pache, IV et V.
[19] Minerva, V, 357, lettre du 8 janv. 1793.
[20] Lettres du 9 déc. 1792 et des 4 et 6 janv. 1793.
[21] Mémoires de Biron au Conseil (A. N. AF. II, 9) ; Rec. Aulard, I, 445.
[22] Beurnonville à Dumouriez, 13 janv. 1793 (A. N. F7 4598).
[23] Cf. deux brochures de S. Chénier à la Convention : 1° p. 3 ; 2° p. 3, 4, 8, 9.
[24] Dumouriez au Comité, 19 janv. 1793 (A. N. F7 4598).
[25] Mot de Prudhomme, Révolutions de Paris, n° 183, p. 124. Cf. Gouverneur Morris, II, 259 (10 janvier ; Vergniaud, Guadet, etc., sont en ce moment ses intimes) ; Journal des jacobins, séance du 27 janv. (tous les jours il était avec Gensonné) ; Rojas, Miranda, 10 ; Journal de la Montagne, 15 juin 1793.
[26] Le Brun à Dumouriez, 6 déc. 1792 (A. E.) ; il a effacé la phrase.
[27] Courrier des départements, 6 déc. 1792.
[28] Nauroy, Le Curieux, II, 70.
[29] Rojas, Miranda, 15 et 22.
[30] Discours de Barbaroux, séance du 30 déc. 1792 ; de Valazé, 3 janv. ; de Sillery, 9 janv. ; de Hardy, 22 janv. ; de Salle, 30 janv. 1793 ; Mége, Bancal, 253 ; Roland au président de la Convention, 6 janv. 1793 (Moniteur du 10) ; le 3 février, le Courrier des départements parle des nombreux délits du ministre, et le 21 lévrier, la Chronique de Paris demandait une enquête sur ses actes : ses singeries patriotiques et son dévouement servile à une cabale méprisable exigent que les incroyables désordres commis pendant son administration soient soumis à l'examen le plus sévère.
[31] Mots de Thuriot, 30 déc. 1792, et de Danton, 21 janv. 1793 ; Correspondance de Couthon, 215 ; Cochelet à Beurnonville, 2 févr. (A. G.).
[32] 1er rapport lu par Delacroix dans les séances du 21 et du 22 janvier ; voir surtout pp. 41 (impéritie du ministre ou de ses agents), 49, 54, 61-63.
[33] Correspondance de Couthon, 214.
[34] Rec. Aulard, I, 409, 413, 439.
[35] Séance du 2 février 1793, Moniteur du 5.
[36] Courrier des départements, 3 févr., et Patriote français, 16 févr. 1793.
[37] Cf. sur Du Chastellet, Moniteur, 18 janv. 1793 (opinion de Payne) ; Dumont, Souvenirs, 253 et 385-386 : Meillan, Mém., 28 ; Champagneux, append. aux Mém. de Mme Roland ; L. S. Chénier à la Convention, 11, et une lettre de Beauharnais, 25 juin 1792 (A. G.) : Du Chastellet, blessé, disait aux grenadiers qui lui donnaient des marques de leur affliction : Cet accident ne devra pas vous empêcher de chanter le Çà ira.
[38] 600 membres avaient voté ; Beauharnais eut 16 voix ; Servan, 8 ; Wimpffen, 2 ; Dumouriez, 1 ; Lacuée, 1. (Rec. Aulard, II, 57.)
[39] Annales patriotiques, 7 février 1793.
[40] Cf. Valmy, 151-154, et Jemappes, p. 72.
[41] Mot de Desfieux, séance des jacobins, 15 février 1793.
[42] Annales patriotiques, 26 févr., et Le Batave, 17 févr. 1793 (Il sait tenir son monde à distance). Quelqu'un le tutoyait. Je ne tutoie pas, dit Beurnonville, et ne veux pas qu'on me tutoie. — Mais le tutoiement est le langage du républicain. — Je ne veux pas le souffrir et je chasserai à coups de pied au c... ceux qui me tutoieront !
[43] Meillan, Mém., 27 ; Dumouriez à Beurnonville, 17 févr. 1793 (A. G. ; il approuve le renvoi de beaucoup de commis désorganisateurs et motionnaires). Le 20 février, par exemple, était chassé Fr.-Joseph-Alex. Nourry-Grammont, l'acteur, entré dans les bureaux un mois auparavant.
[44] Meillan, Mém., 27. Je suis ministre depuis quarante-huit heures, disait-il, et je serais déjà millionnaire, si je les écoutais (Minerva, V, 541).
[45] Beurnonville à Dumouriez, 14 févr. 1793 (A.. G.) ; Le Brun à Dumouriez, 6, 11, 20 févr. (A. E.) ; Rec. Aulard, II, 67 et 110-111 ; Courrier des départements, 24 févr., 1793.
[46] Dumouriez, lettre du 12 mars 1793 ; Miranda à Beurnonville, 11 févr. 1793 (A. G.) ; Moniteur, 21 février 1793 ; Miot, Mém., I, 34. Cf. le mot de Chépy (Patriote français du 5 avril 1793) Beurnonville dont l'activité répare les fautes de Pache.
[47] Miles, Authentic corresp. with
Le Brun, 94-96, 107-103 (2, 4, 11 janv. 1793).
[48] Rojas, Miranda, 11.
[49] Rec. Aulard, I, 411, 414, 440. Mais le projet ne partait pas de Conrad de Kock ; c'étaient Blok et ses amis qui, de Calais, le 22 déc. 1792, avaient proposé l'invasion de la Zélande (A. N. F7 4598).
[50] Conrad de Kock à Dumouriez et à Le Brun, 17 janv. 1793 (A. N. F7 4598).
[51] Rojas, Miranda, 26-35.
[52] Rec. Aulard, I, 440 (9 janvier) et 482 (18 janvier 1793).
[53] Dumouriez au Conseil exécutif et au Comité de défense générale, 18 janv. 1793 (A. N. F7 4598) ; Rojas, Miranda, 43-45.
[54] Miranda à Dumouriez, 23 janv. 1793 (A. N. F7 4598). Cf. la Chronique de Paris du 23 févr. : Est-ce le pressentiment qu'éprouva Hector quand il alla combattre Achille, et Annibal quand il entra en conférence avec le jeune Scipion ? Les ministres anglais permettent à Dumouriez d'avoir des conférences avec lord Auckland.
[55] De Maulde à Dumouriez, 7 février 1793 (A. N. F7 4598). Héros de la France, soyez le pacificateur du monde, tous les genres de gloire sont bien dus à vos vertus !
[56] Le Brun à Dumouriez, 6 et 11 février 1793 (A. E.) ; Rec. Aulard, II, 30, 57, 67.
[57] Rojas, Miranda, 72.
[58] Mot de Kersaint à la Convention, 1er janv. 1793.
[59] Minerva, V, 561.
[60] Rouhière à Le Brun, Cherbourg, 7 mars 1793 (A. E.). Le lieutenant-général Félix Dumuy, entre autres, avait soumis au Conseil dès le 13 janvier l'idée d'un plan pour une descente en Angleterre. Cf. sur ces plans de descente A. Sorel, L'Europe et la Révolution, I, 347.
[61] Beurnonville à Dumouriez, 14 févr. ; Dumouriez et Valence à Beurnonville, 17 et 27 févr. 1793 (A. G.).
[62] Rojas, Miranda, 49 ; Dumouriez au ministre de la guerre, 3 févr., et à Le Brun, 4 févr. ; Champmorin à Moreau, 9 févr., et à Miranda, 10 févr. 1793 (A. G.).
[63] Ueber den Feldzug der Preussen gegen die Nordarmee der Neufranken im Jahr 1793, par un observateur, 1795, p. 208-209 et surtout Dohna, Der Feldzug der Preussen gegen die Franzosen in den Niederlanden 1793, 1798, tome I, p. 17-19.
[64] La Marlière à Beurnonville, 12 févr. 1793 (A. G.} ; Rojas, Miranda, 62.
[65] Dumouriez à Beurnonville, 10, 13, 14, 15 févr. 1793 (A. G.) ; De La Barre Duparcq, Portraits militaires, 258 ; Boguslawski, Das Leben des Generals Dumouriez, II, 170.
[66] C'est en même temps, disait l'abbé Coyer, un bras de la Meuse et un bras de mer, qu'on passe en trente-deux minutes (Voyages d'Italie et de Hollande, 1775, tome II, p. 232).
[67] Rojas, Miranda, 36 et 47-73.
[68] Voir par exemple la Chronique de Paris du 14 janvier 1793.
[69] Rojas, Miranda, 46, 60, 66 ; Miranda à Dumouriez, 3 févr. (A. N. F7 4598) ; Dumouriez à Beurnonville, 16 févr. 1793 (A. G.).
[70] Miranda à Pache et à Le Veneur, 6 févr. 1793 (A. G.) ; Déposition de La Marlière (A. N. W. dossier du général).
[71] Crossard, Mém., I, 22.
[72] Dumouriez à Beurnonville, 14, 15, 20 févr. 1703 (A. G.), et Mém., IV, 22, 37 ; Le Batave, 7 mars ; cf. sur Kock, le père de Paul de Kock, les Lundis révolutionnaires d'Avenel, 1873, p. 291-293.
[73] Petitjean et Dumouriez à Beurnonville, 8 et 16 février 1793 (A. G.).
[74] Cf. sur La Martillière une note de Fervel, Camp. dans les Pyrénées-Orient., II, 256.
[75] Cf. sur d'Arçon : Girod-Chantrans, Notice, 1801, p. 1-47 ; Dumas, Souvenirs, I, 478 ; Sayous, Mallet du Pan, II, 44 ; Duc des Cars, Mém., 1890, I, 255-303 ; Servan à d'Arçon, 12 sept. 1792 (A. G. le ministre estime la qualité et la constance de ses services) ; Dumouriez, Mém., IV, 23 ; Jung, Dubois-Crancé, II, 176 ; Beurnonville à Dumouriez, 14 févr. 1793 (A. N. F7 4598). Ce fut Chabanon qui recommanda d'Arçon à Dumouriez, son intime ami, et, de Saint-Germain, d'Arçon écrivait au général le 3 février. D'après ce que je recueille des papiers et des décrets, vous voilà relancé dans vos exploits, et moi, par suite du caprice inconcevable d'un prince allemand qui s'est avisé de me suspendre sans droit et sans motifs, dans le temps même où, étant à cent lieues de lui, j'étais employé dans une autre armée, je suis encore réduit à faire des vœux impuissants pour votre gloire. Vous avez dit à Chabanon, votre ami, que vous demanderiez d'Arçon. Et d'Arçon est prêt à accourir, bien lier qu'il sera de travailler sous les auspices et selon les vues de celui qui a sauvé la République et qui la fera triompher de ses nouveaux dangers ! Il avait d'abord émigré, mais l'accueil qu'on lui fit, l'irrita et détermina son retour (D'Ecquevilly, Camp. du corps de Condé, 1818, I, 221).
[76] Rojas, Miranda, 72, 82-83 ; Beurnonville à Dumouriez, 14 et 26 févr. ; Gouget et Robert au Conseil, 18 févr. 1793 (A. G.).
[77] Chiffres exacts : 15.582 fantassins, 1.036 cavaliers, 228 canonniers.
[78] Beurnonville au Directoire de l'Aisne et à Miranda, 16, 19, 21 février 1793 (A. G.) ; Gouverneur Morris, II, 281.
[79] Chasseurs de Mont-Cassel ou de Dumouriez (Du Casse, Le général Vendamme, 1870, p. 42).
[80] 3e de l'Oise, 2e du Calvados, 5e de la Charente, 2e de Loir-et-Cher, 2e, 11e, 17e des volontaires de la réserve, 6e des fédérés.
[81] 4e de la Sarthe, 2e de l'Orne, 3e du Calvados, 1er de l'Eure, 10e de la Seine-Inférieure, 15e et 23e de la réserve.
[82] Le colonel Thouvenot aux troupes, 16 févr. 1793 (A. G.) Le général est extrêmement mécontent du désordre qui a régné hier dans le passage des troupes.
[83] Dumouriez à Marassé, 21 mars 1793 (A. G.) ; cf. Rec. Aulard, II, 232.
[84] Rojas, Miranda, 115 et 118. Cf. sur cette gendarmerie et ses excès : Taine, Conquête jacobine, 334-335, et Rec. Aulard, I, 131-145 ; on la suit au passage, de Paris à Anvers par Roye et Cambrai.
[85] Dumouriez à Beurnonville, 19 févr. 1793 (A. G.) et Moniteur du 4 mars.
[86] Cf. Valmy, 21. Lettres particulières de Viomesnil sur les affaires de Pologne. Paris, 1808, p. 57.
[87] Valence à Beurnonville, 20 févr. 1793 (A. G.).
[88] Beurnonville à Dumouriez, 14 févr., et à Valence, 26 févr. 1793 (A. G.).
[89] Dumouriez, Mém., IV 34.
[90] Moniteur, 20 févr. 1793.
[91] Dumouriez à Miranda, 22 févr. 1793 (Rojas, Miranda, 78).
[92] La Martillière à Beurnonville, 25 févr. 1793 (A. G.) ; Van Kampen, Gesch. der Niederlande, II, 518. D'Arçon fut nommé lieutenant-général, et Beurnonville, le félicitant de la reddition miraculeuse de la place, lui annonçait que cet avancement était dû à ses talents et à l'ancienneté de ses services. (1er mars 1793, A. G.)
[93] La Martillière à Beurnonville, 6 mars 1793 (A. G.) ; Le Batave, 10 mars 1793 ; Dumouriez, Mém., IV, 44-45.
[94] Dumouriez aux commissaires, Moniteur, 5 mars ; Le Batave, 5 et 13 mars 1793 : Rec. Aulard, II, 231.
[95] 22e régiment ; 1er du Calvados, 2e de la Somme, 2e de l'Oise, 1er de l'Yonne, 2° des fédérés, 4e bataillon franc, 4e, 12e, 16e, 20e de la réserve ; deux escadrons du 7e hussards ; un escadron du 3e dragons ; un escadron du 3e cavalerie ; en tout 5.967 fantassins, 339 cavaliers et 84 canonniers.
[96] Dumouriez, Mém., IV, 40 ; Moniteur, 8 mars 1793 (Rec. Aulard, II, 232) ; Van Campen, 519 ; De la conduite des chefs de la révolution hollandaise envers leur nation et le prince, 1797, p. 10-11.
[97] Dumouriez à Beurnonville, 4 mars (A. G.) ; Mém., IV, 51 ; Le Batave, 11 mars 1793 (lettre du 3) : Rojas, Miranda, 82.
[98] Rojas, Miranda, 83-103 ; Belliard, Mém., I, 101 ; Bouchet à Saint-Fief, 22 févr. 1793 (A. G.).
[99] Rojas, Miranda, 86.
[100] Séance du 2 mars 1793.
[101] Rojas, Miranda, 92-93.