LES GUERRES DE LA RÉVOLUTION

VALMY

 

CHAPITRE VI. — MONTCHEUTIN.

 

 

I. Difficultés avant le 14 septembre. — II. Situation critique de Dumouriez. Son camp imposant devient détestable. Plan de retraite. Ordres et instructions. — III. Massenbach à Marcq. Son entretien avec Duval. Son retour à Landres. — IV. Retraite de l'armée française. La hauteur d'Autry. La division Chazot. — V. Panique de Montcheutin. Suites funestes de la panique. Nouvelles terreurs de l'armée à Dommartin-sous-Hans — VI. Habileté de Dumouriez. Proclamation aux gardes nationales de Châlons. Marceau. — VII. Nouveau plan de résistance. — VIII. Le camp de Braux-Sainte-Cohière.

 

I. La situation de Dumouriez à Grandpré était déjà difficile avant le 14 septembre. On manqua de pain plusieurs fois et le général avait raison de prévoir à Sedan, au conseil de guerre du 29 août, que si son armée défendait les trouées d'Autry et de Grandpré, la pénurie durerait longtemps avant qu'on pût faire des établissements de vivres et des fours à Châlons et à Sainte-Menehould[1]. En outre, l'eau malsaine, les pluies abondantes, le froid précoce de la saison, les fréquents bivouacs avaient causé la diarrhée. La maladie fut légère et n'eut pas de suites fâcheuses ; mais elle laissa dans Grandpré un germe de dysenterie qui devait être funeste à l'armée prussienne.

Les soldats supportaient tout avec gaieté ; le voisinage des ennemis, loin de les intimider, entretenait leur bonne humeur ; ils avaient tous les jours de petits combats, dit leur général, ils ne s'ennuyaient ni ne se rebutaient pas. Mais beaucoup d'officiers ne dissimulaient pas leur mécontentement. Dumouriez, qui réunissait plus de vingt personnes à sa table, n'offrait a ses convives que de la mauvaise viande de mouton, une bière acide et du vin aigre[2]. Il raconte qu'un matin, cinq généraux entrèrent dans sa chambre ; un d'eux, parlant au nom des autres, osa dire que l'armée était désolée par les maladies et par la plus dangereuse des maladies, le dégoût ; que les secours n'arrivaient pas ; que les Prussiens pouvaient marcher sur Bar-le-Duc et de là sur Vitry-le-François et Châlons, qu'on devait les prévenir et se retirer derrière la Marne, dans un bon camp où les troupes recevraient des renforts et ne manqueraient de rien. Dumouriez répondit nettement qu'il était seul responsable et savait ce qu'il fallait faire. Mais les doléances continuèrent ; les critiques allèrent leur train ; plus d'un officier écrivait à Paris ses réflexions, exagérait les forces des ennemis, les souffrances du soldat, les dangers de l'armée, et rejetait sur le général en chef tout le reproche de la situation[3].

 

II. Cependant le passage de la Croix-aux-Bois était perdu. Les alliés avaient percé l'une des trouées de l'Argonne ou mieux, selon l'expression de Dumouriez, ils avaient fait leur trouée. Clerfayt, maître du défilé, pouvait se porter rapidement sur les derrières de l'armée française, occuper Beaurepaire, Olizy, Termes, et barrer le passage de l'Aisne à Senuc. Dumouriez allait être cerné dans cette position de Grandpré dont il avait proclamé si haut la force défensive, et ce camp imposant devenait soudain détestable. J'ai été sur le point, avouait-il à Servan quatre jours plus tard, d'être enveloppé, sans vivres, et, qui pis est, sans munitions de guerre, et de me faire tuer avec mon armée plutôt que de me rendre.

Mais il connaissait la lenteur allemande[4] ; les Prussiens, disait-il, ne savent plus faire la guerre et ne valent guère mieux que nous. Il se fiait à sa bonne fortune ; il comptait à la fois sur les événements et sur la maladresse de l'ennemi pour réparer ses échecs ; mon génie, mandait-il à Labourdonnaye, me dit que nous nous tirerons encore de ce mauvais pas[5].

Il résolut de décamper sur-le-champ, de faire sa retraite avant que l'adversaire eût le temps de la lui fermer, et de se porter sur Sainte-Menehould. Mais il fallait déployer dans cette évasion plus de hardiesse, plus de rapidité, plus de secret encore que dans sa marche des premiers jours de septembre, lorsqu'il avait couru de Sedan à Grandpré, pendant que Brunswick était à Verdun et Clerfayt à Stenay. Il garda son sang-froid et son air tranquille ; il montra devant ses officiers et son armée la plus grande sécurité ; à le voir et à l'entendre, il semblait qu'on n'eût à craindre aucun danger.

Il fit d'abord fouiller la forêt jusqu'à Longwé par trois cents chasseurs. Mais les Autrichiens, croyant peut-être que les Français tenteraient le lendemain une nouvelle attaque, se bornèrent à garder le passage de la Croix-aux-Bois. Néanmoins Dumouriez plaça six bataillons et six escadrons avec quelques pièces de position à Termes, à Olizy, à Beaurepaire ; ce détachement faisait face au défilé de La Croix et devait arrêter les Autrichiens de Clerfayt, s'ils s'avisaient de descendre sur Senuc. Le parc d'artillerie gagna les hauteurs d'Autry, sur l'autre rive de l'Aisne. Des officiers portèrent dans toutes les directions les instructions du général en chef. Dubouquet, qui commandait au Chesne-Populeux, était trop loin ; on le laissa libre d'agir à sa guise. Mais Chazot, qui s'était retiré sur Vouziers, eut ordre de partir à minuit avec sa division, de longer l'Aisne jusqu'à Vaux-les-Mouron et de faire sa jonction avec l'armée dans la plaine de Montcheutin. Beurnonville, qui venait de Flandre avec dix mille hommes, arrivait alors à Rethel ; l'aide de camp que lui dépêcha Dumouriez — c'était Macdonald — lui commanda de se mettre aussitôt en marche, de côtoyer l'Aisne jusqu'à Attigny et de se diriger sur Saint-Hilaire-le-Petit et Suippes, pour se rabattre de là sur Sainte-Menehould. Un autre aide de camp se rendit à l'armée de Kellermann qu'il rencontra dans la nuit du 15 septembre à Vitry-le-François ; Dumouriez priait son collègue d'accourir à son aide et d'opérer en toute hâle une jonction décisive qui l'aurait sauvé, disait-il, si elle avait eu lieu quelques jours plus tôt. Vous avez été d'avis, écrivait-il à Luckner, que Kellermann ne vint pas me joindre ; s'il était venu, ce petit désastre ne serait pas arrivé[6].

 

III. L'état-major des alliés se demandait ce qu'allait faire Dumouriez. Tant que dura le jour, le général français s'abstint de tout mouvement qui trahirait son prochain départ. Le camp de l'avant-garde, que les Prussiens voyaient des hauteurs de Landres et de Sommerance, offrait le même spectacle que les jours précédents ; le plateau de Marcq restait couvert de tentes ; dans les bas-fonds de Saint-Juvin s'agitaient, comme la veille et l'avant-veille, les chasseurs à cheval de Stengel qui tiraillaient jusqu'aux abords du village de Saint-Georges, tout près du quartier général prussien[7]. Brunswick résolut de demander un rendez-vous à Dumouriez. Le major Massenbach fut chargé de porter cette proposition au camp français ; si Dumouriez acceptait la conférence, on se promettait de deviner ses desseins et peut-être de le gagner à la cause des alliés, car on n'oubliait pas la modération qu'il avait montrée dans son ministère et ses avances à Schulenbourg[8]. S'il refusait tout entretien, Massenbach, dont on connaissait la sagacité, aurait du moins recueilli d'utiles renseignements.

Massenbach partit de Sommerance et passa l'Aisne au gué de Fléville. Il trouva sur l'autre bord un officier français qui l'accueillit courtoisement et lui fit les compliments d'usage. On lui banda les yeux et six dragons le conduisirent à Marcq, au quartier général de Duval. Massenbach avoue qu'il regardait encore les soldats de la Révolution comme des Vandales et des Huns. Au moins, dit-il à ses guides, menez-moi sur un bon chemin, car je n'ai pas envie de me casser le cou. — Ah ! s'écrièrent les dragons, vous parlez notre langue, citoyen ; n'ayez pas peur, nous sommes d'honnêtes gens, fiez-vous à la loyauté du soldat français. Le major montait le cheval d'un hussard que des cavaliers de Wolfradt avaient capturé quelques jours auparavant et qui portait le numéro six. Ma foi, dit tout à coup un dragon, voilà un de nos camarades qu'on a fait prisonnier de guerre ; c'est un cheval du 6e hussards. Massenbach raconta comment le cheval était venu en sa possession : C'est bon, c'est bon, repartit un des soldats, nous aurons aussi des vôtres. Durant le chemin les dragons firent mille questions au major ; ils lui demandèrent ce que voulaient les alliés, s'ils étaient contents de leur expédition, s'ils croyaient entrer bientôt à Paris. Massenbach répondit évasivement ; mais la conversation de ces soldats l'intéressait ; il s'étonnait de les trouver si polis, si pleins de bonhomie, d'entrain et de belle humeur ; voilà donc les barbares, les soudards grossiers et fanatiques dont parlaient les émigrés ! La petite troupe arrivait à Marcq et le major mettait pied à terre lorsqu'il s'entendit appeler en allemand. Cette voix, dit-il, lui fut aussi agréable que celle de Scherasmin au chevalier Huon dans les solitudes du Liban[9]. C'était un officier de dragons qui avait voyagé en Allemagne : il se nommait Lefort et descendait du célèbre Lefort, le maître et l'ami de Pierre-le-Grand.

Massenbach fut reçu par le général Duval, et son étonnement augmenta lorsqu'il vit un homme dont la prestance, les façons aimables et le langage mesuré auraient fait honneur aux officiers les plus distingués de l'armée prussienne. Il croyait trouver un général qui ne devait son grade qu'au hasard des événements ou à la faveur d'un parti. Duval ne s'était poussé dans le monde militaire qu'à force de courage et de longs services. Il avait alors cinquante-six ans, et ses beaux cheveux blancs, sa taille imposante, sa mine martiale, toute sa personne en un mot, reconnaît Massenbach, inspirait l'estime et le respect. Il avait fait la campagne de Hanovre et pris part à l'expédition de Corse dans la légion de Soubise. Il était colonel du 6e régiment de dragons et servait à Maulde lorsque Dumouriez le connut et l'apprécia. Duval fut nommé maréchal de camp et reçut le commandement des troupes de Pont-sur-Sambre. C'était, rapporte Dumouriez, un excellent officier et un homme d'un très grand mérite, d'un patriotisme très pur, d'une prudence consommée, qui joignait toutes les vertus civiles à de grandes qualités militaires. On a de Duval une lettre naïve et touchante qu'il adressait le 6 octobre à Merlin de Douai, après la retraite des Prussiens : Je ne désire, écrivait-il au conventionnel, que la liberté de ma patrie, mes vœux sont à leur comble, aucune puissance de l'univers ne pourra nous asservir et je suis certain d'avoir mon ambition satisfaite, puisque je pourrai paisiblement retourner cultiver mon champ avec mes enfants et les rendre dignes d'une grande république. Il faut que les enfants sachent le mot patrie, république, avant celui de papa, maman[10].

Duval retint Massenbach auprès de lui, pendant qu'une ordonnance allait annoncer au quartier général de Grandpré l'arrivée d'un parlementaire. Il causait sur un ton à la fois digne et familier. Les alliés, dit-il au major, font une folie en intervenant dans les affaires intérieures de la France. Ils n'en ont pas le droit et ils supporteront les conséquences de la lutte qu'ils ont imprudemment engagée sur la foi des présomptueux émigrés. Vous croyez, Monsieur, arriver à Paris : mais moi qui sers depuis quarante-cinq ans, moi qui ai médité sur la guerre, je sais que vous n'irez pas à Paris, tout comme Charles XII n'est pas allé à Moscou. Nous connaissons la force de vos armées et la faiblesse de vos ressources. Vous trouverez quelque part votre Pultava. Alors vous penserez à moi. Comment le roi de Prusse a-t-il pu s'unir à cette perfide Autriche contre une nation dont il est l'allié naturel ?... Vous ne pourrez faire en France la contre-révolution ; vous rendrez seulement la révolution plus forte et plus puissante. Ne comptez pas que notre armée se range sous vos drapeaux. Nous autres, nous sommes de vrais Français et nous méprisons Lafayette. Ne vous fiez pas aux promesses des émigrés. Ils ont pour la plupart passé leur jeunesse dans les orgies de la cour et les voluptés de la capitale ; ils n'ont ni vertu ni énergie : ils ne connaissent ni l'armée ni le peuple. Si c'étaient des gens de cœur et d'esprit, ils seraient restés dans leur patrie, ils n'auraient pas abandonné au jour du danger et leur poste et leur roi. Je fais des exceptions ; il y a parmi les émigrés des hommes d'honneur, entrainés par la masse et qui rentreront bientôt dans leur pays. On vous a dit, ajoutait Duval, qu'il n'y avait plus de généraux en France, qu'on avait dû donner les commandements aux premiers venus ; mais, Monsieur, n'êtes-vous pas étonné de voir mes cheveux blancs ? Il y a dans notre armée beaucoup d'officiers qui en sont à leur troisième ou quatrième guerre et qui ont quitté leur famille pour défendre la liberté. Savez-vous que Dumouriez était maréchal de camp avant la Révolution ?[11]

Duval se doutait que ses paroles seraient fidèlement rapportées au camp prussien. Il voyait son interlocuteur très attentif, car, dit Massenbach, je devais écouter et je n'étais pas venu pour m'engager dans une polémique et convertir mon homme. Duval parla donc des renforts considérables qu'on attendait, de Beurnonville qui devait arriver le jour suivant, de Kellermann qui n'était qu'à deux marches de Grandpré. La conversation se poursuivit jusqu'à dix heures du soir. Massenbach apprit alors que Dumouriez n'était pas à Grandpré et qu'il ne pourrait le voir ni ce jour-là ni le lendemain. Il prit congé de Duval. Lefort l'accompagna jusqu'au bord de l'Aire, et l'assura que Dumouriez n'imiterait pas Lafayette et qu'il n'était pas question d'un second Coriolan.

Le major savait désormais qu'il existait une armée française digne de ce nom. Tous les officiers qu'il avait vus dans le camp de Duval, avaient bon air et belle tournure ; j'eus dès lors, écrit-il, une favorable opinion de ces troupes qu'on nous représentait si misérables[12].

Mais il avait remarqué dans le camp une grande agitation ; des ordonnances entraient et sortaient à tout instant, des officiers s'approchaient de -Duval qui les prenait à part et causait avec eux à voix basse. Que signifiaient ces allées et venues ? Pourquoi Dumouriez refusait-il toute entrevue ? Massenbach jugea que l'armée française se préparait à décamper. Le 15 septembre, avant l'aube, il court au camp de Landres ; il rencontre à moitié chemin le duc de Brunswick qui se rend aux avant-postes. Dumouriez, lui dit Massenbach, n'a pas voulu venir au rendez-vous ; il est vraisemblable que les Français battent en retraite. — Il le faut bien, répondit Brunswick ; Clerfayt est maitre de la Croix-aux-Bois et tourne aujourd'hui la gauche de l'ennemi. Le duc envoya Massenbach au roi de Prusse. Frédéric-Guillaume s'habillait lorsque le major entra dans sa chambre.

Massenbach rendit compte de sa mission. Il ne cacha pas l'impression que faisaient sur lui la bonne tenue de l'adversaire et sa fière allure. Il osa dire qu'il n'avait vu dans le camp français que des officiers décorés de la croix de Saint-Louis et que le général Duval était réellement vénérable par sa chevelure blanche et sa taille majestueuse[13]. Il ajouta que Dumouriez ferait certainement sa retraite. A peine Frédéric-Guillaume eut-il entendu le mot de retraite qu'il fut pris d'une violente colère. Pourquoi ne m'a-t-on pas annoncé que les Français décampaient ? Décidément, on n'est jamais sur ses gardes, on n'observe rien, on ne voit rien ! Il se jeta sur un cheval et courut en maugréant sur la route de Grandpré. Massenbach avait dit vrai. Durant la nuit du 14 au 15 septembre, Dumouriez s'était échappé.

 

IV. Les retraites de nuit sont ordinairement désastreuses, parce que l'obscurité favorise la débandade et la panique. Mais décamper durant le jour, c'était s'exposer a la poursuite pressante de l'ennemi, c'était éveiller la vigilance de Clerfayt qui se hâterait de traverser le défilé de la Croix-aux-Bois et de prendre position sur l'autre bord de l'Aisne, c'était perdre l'avantage des hauteurs qu'il faudrait abandonner en exécutant son mouvement de retraite, c'était se soumettre, pendant le passage de l'Aire et de l'Aisne, au feu plongeant de l'artillerie prussienne qui s'emparerait naturellement des plateaux de Marcq et de Nègremont. Il fallait donc s'esquiver durant la nuit.

Heureusement l'obscurité était profonde, le vent soufflait par rafales, et les feux de l'avant-garde qui brûlaient comme d'habitude, faisaient croire de loin à sa présence. A minuit, Dumouriez quitta le château de Grandpré et se rendit à son camp. On n'avait pas encore plié les tentes ; par cette nuit noire et au milieu des mauvais chemins, la plupart des ordonnances chargées d'avertir les chefs de corps, s'étaient égarées. Dumouriez fit passer l'ordre de bouche en bouche, mais l'armée ne s'ébranla qu'à trois heures du matin. Ces retards pouvaient être sa perte, ils tournèrent à son avantage. Les soldats ignoraient le dessein de leur général ; ils marchèrent sans la moindre alarme avec plus de calme qu'on ne l'aurait attendu, dans un pareil moment, d'une armée à qui le nom prussien imposait encore, et, quoiqu'il n'y eut pas dans les mouvements, dit Dumouriez, toute la précision désirable, cette retraite précipitée la plus hardie et la plus dangereuse s'opéra sans tumulte et sans confusion[14].

Le 15 septembre, à huit heures du matin, les Français avaient passé l'Aisne sur les ponts de Senuc et de Grandham, et, après s'être rangés en bataille sur les hauteurs d'Autry, ils s'étendaient en colonnes de marche pour se diriger vers Cernay. Les meilleures troupes, celles que commandaient Duval et Stengel, furent les dernières qui franchirent la rivière ; après avoir formé l'avant-garde, elles formaient désormais l'arrière-garde et, selon le mot de Dumouriez, une arrière-garde très en règle. L'armée était sauvée. Elle avait couru le risque d'être enfermée sans ressource dans la presqu'île de l'Aire et de l'Aisne, ou d'être, pendant sa retraite, resserrée à Senuc entre Brunswick et Clerfayt et d'y trouver des Fourches Caudines. Une fois à Autry, sur la rive gauche de l'Aisne, elle pouvait se dire hors de danger. Dumouriez, entièrement rassuré, prit les devants avec le parc d'artillerie, et se rendit à Dommartin-sous-Hans où les troupes devaient camper le soir.

Il comptait sans la division de Chazot. Ce général, après avoir perdu le défilé de la Croix-aux-Bois, s'était retiré sur Vouziers. Il aurait pu marcher de là sur Rethel et, comme firent Beurnonville et Dubouquet, revenir à l'armée de Dumouriez en obliquant par Châlons et Auve. Luckner ou mieux Labourdonnaye et Laclos qui conseillaient le vieux maréchal, écrivaient à Dumouriez : Beurnonville qui est à Rethel, Dubouquet qui est au Chesne, Chazot qui est à Vouziers, ne peuvent se réunir que derrière la Suippe, à Pont-Faverger. Mais Dumouriez craignait d'être attaqué à tout moment ; il n'avait que fort peu de monde ; les huit bataillons et les cinq escadrons qu'il avait donnés à Chazot, étaient pour son armée un précieux soutien ; tout ce qui me fâcherait dans ce qui peut m'arriver, disait-il, c'est la séparation de la partie de mon armée qui se serait retirée sur Rethel. Il ordonna donc à Chazot de le joindre par Bricy et Vaux-les-Mouron, en longeant la rive gauche de l'Aisne. Chazot devait quitter Vouziers à minuit et arriver, avant le reste de l'armée, dans la plaine de Montcheutin[15].

Dumouriez ne songeait pas que les troupes de Chazot étaient extrêmement fatiguées et que, durant la journée du 14, elles avaient fait le chemin de Vouziers à la Croix-aux-Bois et de la Croix-aux-Bois à Vouziers, en livrant dans l'intervalle un engagement de quatre heures. Il arriva ce qu'il était facile de prévoir. Chazot se mit en marche, non pas à minuit, mais à la pointe du jour ; il déboucha dans la plaine de Montcheutin lorsque l'armée toute entière avait déjà passé l'Aisne ; sa division, lasse et découragée par l'échec de la veille, reçut le premier choc des hussards prussiens qui suivaient les Français dans leur retraite ; elle se débanda. Mais si Chazot avait exécuté strictement l'ordre de Dumouriez, la panique de Montcheutin n'aurait pas eu lieu ; les hussards ennemis n'auraient rencontré que l'arrière-garde de Duval et de Stengel, qui se retirait en bon ordre et résista seule à la contagion de la déroute.

 

V. Que de fois on a blâmé le duc de Brunswick de n'avoir pas poursuivi les Français avec toute son armée ! On oublie que la retraite de Dumouriez, qui restera l'un des plus beaux titres de sa gloire militaire[16], s'était faite avec une extrême promptitude et que son armée, rangée en bataille derrière l'Aisne sur les hauteurs d'Autry, avait repris une très avantageuse position. On oublie la distance qui sépare Autry de Landres et de Sommerance, les mauvais chemins, la lenteur inhérente aux mouvements des alliés. On oublie enfin que les troupes de Brunswick étaient, selon le mot de Lombard, épuisées par les efforts d'une longue marche, par les affreux bivouacs du camp de la Crotte, par la dysenterie[17].

Aussi le duc ne fit-il poursuivre les Français que par une partie de l'avant-garde de Hohenlohe. Après tout, il était maitre de Grandpré ; en trois jours de marche, sans avoir livré bataille, par une simple manœuvre que l'état-major qualifiait de sublime, il avait débusqué Dumouriez. La journée, disait-il à Nassau-Siegen, vaut mieux qu'une victoire en rase campagne.

Hohenlohe avait quitté Sommerance avec les hussards de Wolfradt et de Köhler, cent dragons de Schmettau, deux bataillons de fusiliers et les chasseurs. Un détachement français occupait encore Saint-Juvin. Les hussards de Wolfradt le chassèrent du village et le rejetèrent sur Senuc. Quatre-vingts fantassins furent faits prisonniers et menés au quartier-général de Landres. Il y avait dans le nombre quelques Alsaciens ; le prince royal leur parla allemand et voulut les enrôler dans son régiment ; un seul accepta de servir contre la France[18]. Les hussards arrivèrent à Senuc, aux bords de l'Aisne. Mais l'arrière-garde de Duval et de Stengel, postée sur l'autre rive, braqua sur eux son canon et leur envoya quelques boulets qui mirent le désordre dans leurs rangs[19].

C'est à cet instant que Chazot, parti de Vouziers à l'aube du jour, débouche dans la plaine de Montcheutin. Les éclaireurs prussiens l'avaient aperçu pendant qu'il suivait la rive gauche de l'Aisne et se dirigeait sur Vaux-les-Mouron. A cette nouvelle, Hohenlohe, renonçant à passer la rivière en vue de l'arrière-garde française, retourne sur ses pas ; il franchit l'Aire à Termes et l'Aisne près de Mouron, à un gué qu'avait découvert l'émigré Sombreuil ; il emmène avec lui les hussards, les dragons et la batterie volante de Schönermark.

Chazot prend ses dispositions de défense. Il fait passer à son infanterie, puis à ses voitures d'équipages et de fourrages, au nombre de cinq cents, la route qui traverse le bois d'Autry. Il place, à l'entrée de cette route, quatre pièces de canon et le 5e bataillon de grenadiers. Il poste dans la plaine le 12e régiment de chasseurs à cheval et le 2e régiment de dragons, et à cinq cents pas en arrière, le reste de sa cavalerie qui s'étend sur une seule ligne.

Pendant ce temps, Hohenlohe avait préparé son attaque. La batterie volante de Schönermark prend en flanc la cavalerie de Chazot, et les hussards de Wolfradt, sortant du village de Montcheutin, se rangent en bataille. Aussitôt les dragons français tournent bride et s'engagent, malgré les ordres réitérés de Chazot, dans le bois d'Autry. Les chasseurs du 12e régiment font meilleure contenance ; ils restent dans la plaine, en avant de la ligne de cavalerie ; ils se portent à la rencontre des hussards prussiens, ils déchargent leurs pistolets, ils mettent le sabre à la main, ils poussent des cris de guerre, et Chazot qui voit de loin leur attitude résolue, espère le succès. Mais tout-à-coup, saisis d'une terreur panique, les chasseurs prennent la fuite. La cavalerie qui les soutenait encore, suit leur exemple. Le 5e bataillon de grenadiers, entraîné dans la déroute, jette ses sacs et ses armes pour se sauver plus vite. Les artilleurs abandonnent leurs pièces. Les charretiers coupent les traits des voitures. Chazot tente de rallier les fuyards ; quelques hommes se groupent autour de lui et reviennent aux pièces ; mais, au bout d'un instant, ils s'enfuient de nouveau en criant : sauve qui peut ! Un seul canonnier refuse de quitter son poste ; il se met à cheval sur sa pièce et, le sabre au poing, attend les hussards qui fondent sur lui ; on le somme de se rendre : Non, non, répond-il, je mourrai sur ma pièce ! il tombe percé de coups. Cependant Chazot courait après ses cavaliers, leur reprochait leur lâcheté, leur criait de faire volte-face et de charger l'ennemi. Personne ne l'écoutait ; chasseurs, dragons, hussards, tous, dit-il dans son rapport, enfilaient le bois et disparaissaient. L'escorte même de Chazot se débanda. Le général n'eut bientôt autour de lui qu'un lieutenant de gendarmerie, un maréchal des logis du 2e dragons et deux domestiques qui menaient des chevaux en main. Il ne dut son salut qu'à la bravoure du régiment de Chamborant — le 2° hussards. Ce régiment est un des plus célèbres de nos annales militaires, et sa valeur ne se démentit pas un seul instant durant la première guerre de la Révolution[20]. Seul, il demeura dans la plaine de Montcheutin et s'efforça d'arrêter l'ennemi ; après quelques charges vigoureuses qui coûtèrent aux Prussiens une trentaine d'hommes, il se retira sur la Malmaison dans le meilleur ordre, en couvrant quelques équipages qui se rendaient à Reims. Quarante de ces hussards rentrèrent le 18 septembre au camp de Dumouriez, amenant chacun un cheval pris sur l'ennemi[21].

Mais la panique avait gagné toutes les troupes. Après avoir traversé le bois d'Autry, les fuyards vinrent se jeter dans les colonnes du corps de bataille, en criant : Nous sommes trahis, nous sommes coupés ! Toute l'armée, à l'exception de l'arrière-garde, se dispersa. Il n'y a pas eu d'action, écrivait Dumouriez, mais une fuite de dix mille hommes devant quinze cents hussards, et si ces quinze cents avaient suivi leur pointe ou si les Prussiens en avaient envoyé six mille, l'armée eût été perdue en entier[22].

Toutefois Duval et Stengel surent par leur sang-froid et leur fermeté maintenir l'arrière-garde. Leurs bataillons marchèrent vaillamment et sans balancer au-devant de la cavalerie prussienne. Les hussards n'osèrent les charger et revinrent à Grandpré. Ils avaient pris 8 officiers et 275 soldats, trente-six voitures, les quatre canons de la division Chazot et la caisse militaire qui ne renfermait que des assignats. Sombreuil avait eu la plus grande part à cet heureux coup de main ; il reçut sur-le-champ de Frédéric-Guillaume la croix de l'ordre pour le mérite[23].

Dumouriez était sur les bords de la Bionne, à Dommartin-sous-Hans et traçait l'emplacement de son camp, lorsqu'il vit arriver les fugitifs. Il entendit les cris ordinaires : A la trahison ! Tout est perdu ! L'armée est en déroute ! L'ennemi est sur nos talons ! Il ne s'expliquait pas cette panique de son armée. Il change de cheval. Il court à bride abattue, avec le fidèle Thouvenot, à la rencontre des troupes. Il remarque, chemin faisant, que les fuyards appartiennent, non pas à l'arrière-garde, mais au corps de bataille. A demi rassuré, il arrive près d'Autry. Heureusement, Miranda, qui gardait sa présence d'esprit dans les instants les plus critiques, avait rallié l'infanterie[24]. Dumouriez lui donna l'ordre de mener l'armée, en trois colonnes, au camp de Dommartin, pendant que Duval et Stengel, couvrant la retraite avec l'arrière-garde, s'arrêteraient d'abord derrière la Dormoise, près des marais de Cernay, puis sur la rive droite de la Tourbe[25].

Cependant la panique eut des suites déplorables. Plus de deux mille soldats avaient fui dans-toutes les directions, à six lieues de Montcheutin et au-delà. Quelques-uns arrivèrent à Rethel ; d'autres, à Reims, à Châlons, à Vitry-le-François. Ils donnaient l'alarme sur leur passage et disaient partout que l'armée n'existait plus et que les généraux étaient vendus aux Prussiens. Ils rencontrèrent les renforts que Luckner envoyait à Dumouriez, et qui revinrent aussitôt sur leurs pas. Ils mirent le désordre dans l'armée que le maréchal rassemblait à Châlons, et Labourdonnaye écrivait à Servan qu'il faisait tout son possible pour chasser ces deux cents fuyards qui jetaient la terreur parmi leurs camarades. Pendant quelques jours, raconte Money, plusieurs de nos officiers-généraux ne surent pas ce qu'étaient devenus leurs bagages ; ils les croyaient enlevés par les hussards prussiens ; certains étaient tellement consternés qu'ils jugeaient la partie perdue ; d'autres supposaient même, ajoute Money, et d'autres espéraient que l'armée de Dumouriez n'oserait plus faire face à l'ennemi[26].

Dillon était à Sainte-Menehould le soir de cette fatale journée. La ville se remplissait de soldats affolés et d'équipages arrivant au galop. Il prit sur-le-champ des mesures énergiques. Il envoya des hussards jusqu'à Châlons pour arrêter les fugitifs. Il mit en prison deux cavaliers du 7e régiment de cavalerie, que la frayeur avait poussés jusqu'aux Islettes. Il ordonna que tous les détachements épars dans les villages entre Villers et Sainte-Menehould se rendraient aussitôt au camp de Dommartin, sous peine d'infamie et de trahison. Il fit connaitre l'arrestation des fuyards et lire l'ordre du jour suivant : Les braves troupes de l'avant-garde sont prévenues que l'ennemi ayant attaqué une partie de l'arrière-garde du général Dumouriez, un petit nombre de lâches et de traitres à leur patrie ont abandonné leurs corps et ont cherché à répandre l'alarme et à calomnier leurs chefs et leurs généraux ; ils sont connus et seront punis. De même que Dillon, les commissaires civils du pouvoir exécutif, Billaud-Varennes et Brochet, lancèrent une proclamation à l'armée. Ils rappelaient la double déroute de Mons et de Tournay ; quoi ! c'est la troisième fois que cet attentat a été commis dans nos armées ! Des Français oublient tout-à-coup ce qu'ils doivent à la patrie ! Si l'ennemi se fût présenté dans ce moment de désordre, n'étiez-vous pas mis en pièces ?[27]

Mais cette funeste journée du 15 septembre réservait encore d'autres alarmes à Dumouriez. L'armée avait passé les petits affluents de l'Aisne, la Dormoise et la Tourbe. Elle campait sur la rive gauche de la Bionne, près de Dommartin-sous-Hans. Dumouriez, qui n'avait pas quitté les arçons depuis vingt heures, était descendu de cheval et allait se mettre à table, avec son état-major. Mais il avait eu tort de laisser ses troupes en arrière de la Bionne ; le soldat, encore sous l'impression de la déroute du matin, ne devait se croire en sûreté que lorsqu'il aurait mis la rivière entre l'adversaire et lui. A six heures du soir, une nouvelle panique s'empare de l'armée. Tout le monde crie et recommence à fuir ; les artilleurs attellent leurs chevaux et veulent gagner une hauteur sur l'autre bord de la Bionne ; les troupes se mêlent et se précipitent vers la rivière ; le désordre, dit Dumouriez, était horrible. Le général remonte à cheval avec ses aides de camp et les dragons de son escorte : il se jette au milieu des fuyards, il leur crie que les Prussiens sont loin et que l'arrière-garde, postée sur la Tourbe, à une lieue de là, n'a pas bougé. Mais, comme le matin, les soldats prétendent qu'on les trahit, et quelques-uns soutiennent à Dumouriez lui-même que Dumouriez a déserté. Le général et ses officiers dégainent et frappent à coups de sabre sur les fuyards. Enfin, l'ordre se rétablit ; mais tous les corps s'étaient confondus. Dumouriez fit allumer de grands feux et ordonna que l'armée passerait la nuit comme elle se trouvait[28].

Le lendemain, à la pointe du jour, il fallut, avec assez de peine, débrouiller ce chaos, former les troupes en plusieurs colonnes, et les mener dans le camp qu'elles devaient garder jusqu'aux premiers jours d'octobre, à Braux-Sainte-Cohière. La marche, écrivait le général en chef, fut fort belle et se fit dans le plus grand ordre.

 

Mais il comprit plus que jamais que son armée ne pourrait combattre en rase campagne les troupes disciplinées et manœuvrières des Prussiens. Il devait temporiser, demeurer à l'abri des positions les plus fortes qu'il pût choisir, et ruiner l'adversaire sans se battre. L'événement du 15 septembre, lui mandait Servan, est une leçon pour se déterminer plus que jamais à ne hasarder aucune bataille ni même aucun grand combat ; toujours des défenses de poste, des attaques d'arrière-garde, d'équipages, de convois[29].

 

VI. Dès le 16 septembre, Dumouriez fit quelques exemples rigoureux. Son lieutenant Dillon avait arrêté vingt-huit fuyards ; on leur rasa les sourcils et les cheveux, on leur ôta l'uniforme qu'ils étaient indignes de porter, on les chassa publiquement comme des lâches. On fusillerait aujourd'hui ces soldats que le général se contentait d'expulser ignominieusement de son armée, et les sévérités dont il se pique, passeraient pour de l'indulgence. Mais on croyait alors qu'il valait mieux intimider que punir ; on répétait que le mobile le plus puissant était celui de l'honneur ; rappelons-nous, disait Servan dans son livre Le soldat-citoyen, que l'idée des autres fait sur l'esprit de notre nation la plus grande impression, et que lorsque le maréchal de Richelieu eut annoncé que tout soldat qui s'enivrerait serait privé de l'honneur de monter à la tranchée, on ne vit plus un homme ivre dans l'armée[30].

Dumouriez ne fit donc fusiller personne. Il parle de punitions terribles dans ses lettres à Luckner et au ministre. En réalité il fut très débonnaire, il ne rechercha pas les auteurs de la déroute, il prit avec ses soldats le ton d'un père qui pardonne une faute, et acheva par là de gagner leur attachement[31].

L'armée était d'ailleurs, selon le mot de son général, repentante et honteuse. Elle rougissait d'avoir fui devant quelques hussards. Elle assurait à Dumouriez qu'elle voulait se battre pour laver sa tache. Il sut entretenir cette ardeur. Il montrait à ses soldats les avantages de leurs positions, il leur rappelait la force de leur artillerie, il leur affirmait à tout instant qu'il suffit d'avoir confiance en soi-même et dans ses chefs pour vaincre l'ennemi. Il leur disait que les Prussiens regrettaient de s'être enfournés[32] dans le pays de France, et qu'ils seraient bientôt détruits par les maladies inévitables qu'engendraient la mauvaise saison, l'état désastreux des chemins et le manque de vivres. Il leur faisait l'éloge du 13e de ligne et des volontaires de Mayenne-et-Loire qu'il avait vus, durant la panique du 15 septembre, rester fermes à leur poste, et un ordre daté de Chaudefonfaine et signé de Miranda témoignait publiquement la haute approbation que ces deux bataillons méritaient par leur conduite[33]. Il vantait leur nouvel esprit d'obéissance et de discipline. Il opposait adroitement leur vie de dangers et de sacrifices, leur désintéressement, leur amour de -la liberté, leur dévouement pour leur général, à l'indigne conduite des bandes de fédérés qui s'agitaient à Châlons dans l'indiscipline. A Braux-Sainte-Cohière était la véritable armée de la patrie, composée des troupes de ligne et des volontaires de 1791, formés aux vertus militaires ; à Châlons, était une cohue de braillards et de motionnaires qui faisaient bon accueil aux fuyards de Montcheutin et refusaient de - marcher au secours de leurs frères d'armes. Le 17 septembre, Dumouriez publiait une proclamation que Je gouvernement ordonnait d'afficher partout et à Paris et dans les départements. Elle était adressée aux gardes nationales de Châlons.

Camarades, vous avez accueilli des lâches que vous auriez dû couvrir d'opprobre, et peut-être punir de mort. Ces lâches ne sont point une perte. Je sais qu'avant-hier on a voulu faire marcher plusieurs bataillons, parce qu'on me savait en danger ; je sais qu'ils ont retourné en arrière et qu'ils ont dit qu'ils ne marcheraient pas. O vous qui voulez venir vaincre avec moi, soyez subordonnés et surtout pas de motions ; je ne les crains point, et j'enverrai les motionnaires à Paris sous bonne et sûre escorte, pour qu'ils soient punis par les représentants de la nation... La perte des Prussiens est certaine. Si tous les corps que j'attendais pour ma réunion étaient arrivés à temps à Grandpré, je leur aurais ouvert moi-même cette partie de la Champagne où ils ne peuvent pas vivre ; les circonstances les y ont amenés, et si l'on se réunit sous mes étendards avec la confiance que des enfants doivent avoir en leur père, je réponds de ces rois du Nord, de ces altesses sérénissimes, et de ces cordons de toutes les couleurs, de ces paladins français qui se qualifient encore de vains titres que nous leur avons enlevés. Ils iront à Paris puisqu'ils le désirent, ils iront en triomphe, mais ce sera à notre suite. Camarades, je n'ai qu'un mot de ralliement à vous donner, confiance. Si vous ne l'avez pas imprimé dans le cœur, ne venez pas avec nous, car nous ne vous recevrions pas[34].

 

Cette habile proclamation, jointe aux exemples qu'avait faits Dumouriez, à ses propos gais et réconfortants, à l'activité qu'il déployait, atténuèrent l'impression de découragement produite par la panique du 15 septembre. Dumouriez avait écrit au président de l'Assemblée qu'il répondait de tout. L'armée se persuada que le génie de son général la tirerait d'embarras ; elle mit, dit un témoin oculaire, une entière confiance en son chef[35]. On savait, rapporte Dillon, que l'armée prussienne marchait sur Sainte-Menehould, mais cette nouvelle ne répandit dans le camp que la plus vive allégresse ; on s'attendait à une action décisive, et chaque soldat paraissait la désirer ; aucun ne semblait en craindre l'issue[36]. Marceau, dont le bataillon était baraqué dans le bois de Courupt, ne prononçait qu'avec respect le nom du brave général Dumouriez, qui montrait autant de talent que de courage. Il comparait la retraite de Grandpré aux belles retraites de Turenne. Il ne parlait qu'avec indignation des fuyards de Montcheutin. Des lâches, des traîtres, des scélérats enfin qui se disent Français et n'en ont que le nom, s'écriait-il, ont manqué de perdre l'empire et la liberté ! Environ quinze cents hussards ennemis suivaient la retraite dans l'espérance de faire quelque butin. On n'avait qu'à s'applaudir de l'ordre qui régnait dans la marche, quand tout à coup les scélérats ont quitté leurs rangs en criant qu'ils étaient trahis et coupés. Le désordre s'est mis dans cette portion de l'armée, et il a fallu tous les talents du général pour éviter le sort qui pouvait résulter d'une pareille horreur. Le généreux Chartrain n'éprouvait que mépris et aversion pour les fédérés de Châlons : Les lâches ont refusé de marcher à notre secours ! Ils voudraient vaincre sans combattre, et faire même chère ici qu'à Paris ! Pour nous, dévoués entièrement à la chose publique, nous méprisons ceux qui ne connaissent d'autre subordination que leur volonté, et nous emploierons tous nos moyens de force pour les faire rentrer dans l'ordre. Il exprimait les sentiments de toute l'armée[37].

 

VII. Ministres, généraux, officiers de l'état-major, commissaires de l'Assemblée pensaient que Dumouriez se retirerait sur Châlons pour faire plus aisément sa jonction avec Kellermann. Tout porte à croire, écrivait le 16 septembre Billaud-Varennes à Labourdonnaye, que les armées de MM. Dumouriez et Kellermann, une fois réunies, se replieront sur Châlons, la place n'étant pas tenable[38].

Mais, dès le 14 septembre, lorsqu'il se préparait à tirer son armée du camp de Grandpré, Dumouriez avait conçu le plan de la future résistance. Notre devoir, à Kellermann et à moi, disait-il à Luckner, est de couvrir Châlons et de ne passer la Marne que lorsque nous ne pourrons plus défendre ce côté-ci de la rivière, et il ordonnait à Beurnonville de le rejoindre à la hauteur de Sainte-Menehould. Luckner et Labourdonnaye l'approuvèrent ; le premier lui mandait qu'il fallait, avant tout, garder la gorge des Islettes ; le second, qu'il devait rester à Sainte-Menehould jusqu'au dernier moment[39].

Le plan de Dumouriez, formé avec autant de hardiesse que de promptitude, fait le plus grand honneur à son génie, à ce génie parfois étourdi et présomptueux, mais qui se composait d'un rare mélange de constance et de témérité. Vainement on lui conseillait de prendre, avec Kellermann, la position de Suippes, en avant de Reims et au nord de Châlons, de reculer de rivière en rivière, de se replier successivement sur la Vesle, sur la Marne, et de là sur la Seine.

S'il renonçait à défendre la position de Sainte-Menehould, il ne pouvait laisser aux Islettes l'avant-garde de Dillon qui serait aussitôt attaquée sur ses flancs et ses derrières. Fallait-il abandonner la côte de Biesme, ouvrir les gorges du Clermontois aux Autrichiens de Hohenlohe-Kirchberg et aux Hessois qui feraient sur-le-champ leur jonction avec les Prussiens ? Je reste ici, déclarait Dumouriez, et je coupe l'armée austro-hessoise de la grande armée ; si je livrais le passage des Islettes, ce serait un renfort de vingt mille hommes pour le roi de Prusse[40].

Il laissait donc l'avant-garde de Dillon à la Chalade, aux Islettes, dans le sud de l'Argonne. Lui-même, avec le gros de ses troupes, se plaçait en avant de Sainte-Menehould. Il cessait, il est vrai, de couvrir Paris, mais il s'établissait sur les derrières des alliés. En vain, la colonne brunswickoise, comme on nommait l'armée prussienne, débouchait de Grandpré et occupait la route de Châlons. Dumouriez la forçait à suspendre sa marche sur la capitale et à se retourner contre lui. Brunswick ne coupait pas la retraite à Dumouriez ; c'était Dumouriez qui menaçait les communications de Brunswick.

Le rusé général savait depuis trois semaines que ses ennemis manquaient de vigueur dans l'exécution de leurs plans et de rapidité dans leurs mouvements. Il était sûr qu'ils ne marcheraient de Grandpré à Sainte-Menehould qu'avec lenteur, comme ils avaient marché de Verdun à Grandpré. Il pensait qu'il aurait le temps de recevoir les renforts de Beurnonville et de Kellermann. En effet, le 18 septembre il n'était pas encore attaqué, et ce jour-là, Kellermann arrivait à deux lieues de lui, à Dampierre-le-Château, pendant que Beurnonville était à Tilloy. L'armée des ennemis est formidable, écrivait Dumouriez à Servan, mais je n'avais jusqu'à présent qu'une poignée de monde ; il n'y a plus rien à craindre ; je suis égal en force ; et lui aussi, non sans emphase, décernait à son armée, grossie des troupes de Beurnonville et de Kellermann, l'épithète de formidable. Notre affaire est sûre, ajoutait-il, depuis que la jonction est assurée et presque faite, et, avec une merveilleuse sagacité, avec un instinct vraiment prophétique, il affirmait que les Prussiens se retireraient dans quinze jours. Ils sont, disait-il encore, accablés de maladies, exténués de fatigue et mourants de faim ; leur armée achèvera de se fondre dans la Champagne pouilleuse. Elle ne peut pas marcher sur Châlons que je couvre. Elle n'osera pas marcher sur Reims de peur d'être suivie et coupée. Elle cherchera peut-être à me donner bataille ; mais c'est à moi à éviter une affaire générale, pour les battre partiellement. C'est à présent mon tour. Labourdonnaye recevait à cet instant le commandement supérieur des forces de la Flandre ; Dumouriez lui promit de mener, avant le 10 octobre, trente ou quarante mille hommes à son secours et de pénétrer en Brabant au cœur de l'hiver[41].

C'était un Gascon du nord, et la jactance de l'aventurier reparaissait quelquefois dans les discours du général. Tout fier d'avoir remis au lendemain de Montcheutin quelque ordre dans son armée, il mandait avec aplomb qu'il aurait battu les ennemis, s'ils s'étaient présentés[42]. Mais il faut reconnaitre que dans ce mois de septembre 1792 qui fut la belle époque de sa vie, il eut une qualité essentielle, la plus précieuse que pût avoir en ces graves circonstances un général chargé de conduire des Français : la confiance en lui-même. Rien ne put le déconcerter ni altérer l'opiniâtre tranquillité de son âme. Un de ses biographes assure qu'il déploya toutes les ressources du génie militaire le plus étendu et que la défense de la Champagne est le chef-d'œuvre de la stratégie[43]. Non, Dumouriez commit des imprudences et des maladresses ; il faillit être cerné par son adversaire et abandonné par ses propres troupes ; mais au milieu de tant de périls, et, comme s'il avait en lui-même un fonds inépuisable d'espérance, il méprisa les craintes qui troublaient tous les cœurs et à Paris, et à Châlons, et dans son armée même. La France ne pouvait être sauvée que par un homme de cette trempe. On lui souhaiterait plus de sérieux et de solidité. On voudrait le voir défendre l'Argonne, devenue le dernier rempart du pays, avec plus d'art et de savante habileté. On se prend à regretter qu'il n'ait pas toujours montré dans cette campagne la vigilance active et la sage prévoyance du capitaine qui tient dans ses mains les destinées de sa patrie. Il laissait trop à la fortune et menait la guerre avec l'assurance hardie d'un joueur ; il y a en lui du Villars beaucoup plus que du Turenne. Mais ce général au tenace optimisme qui répondait à tout instant du salut de la nation, était le seul qui sût exciter le zèle et animer les cœurs ; il réunit, disait Danton, aux talents du capitaine l'art d'échauffer et d'encourager le soldat[44].

 

VIII. A une lieue de Sainte-Menehould, à droite de la route de Châlons, s'élève un plateau peu considérable qui domine un bassin de prairies marécageuses. Il s'appuie à l'Aisne et se prolonge sur une étendue de trois kilomètres depuis le village de la Neuville-au-Pont jusqu'au grand chemin. Il a, comme dit Dumouriez, la forme d'un S, ou mieux encore d'un demi-cercle dont Maffrecourt et Braux-Sainte-Cohière seraient les extrémités, et Chaudefontaine, le centre. Dumouriez établit son camp sur ce plateau. Il fixa son quartier-général à Sainte-Menehould, à une égale distance de ses troupes et de celles de Dillon. Il plaça la droite de son armée à Maffrecourt et son centre à Chaudefontaine ; il adossa sa gauche à la grande route, derrière l'Etang-le-Roi ; il fit dresser sur le front du plateau des batteries qui pouvaient balayer la vallée en tous sens. L'avant-garde, commandée par Stengel, occupait Braux-Sainte-Cohière et poussait jusqu'à Berzieux et Virginy ; elle devait arrêter par de vives escarmouches la marche des Prussiens, ne céder le terrain qu'après une longue résistance, ravager la région qu'elle abandonnait aux envahisseurs, ne leur laisser qu'un pays dépourvu de fourrages et de vivres, ne se replier enfin qu'avec lenteur derrière la Bionne, après avoir détruit tous les ponts ; si l'adversaire voulait livrer bataille, elle se posterait sur le mont Yvron[45].

Dumouriez ne se contentait pas de garder la rive gauche de l'Aisne. Sur l'autre bord, un bataillon de troupes de ligne était chargé de défendre le château de Saint-Thomas. Trois bataillons, parmi lesquels le 146 d'infanterie légère, et de la cavalerie, sous les ordres de Duval, étaient à Vienne-le-Château, à Moiremont, à la Neuville-au-Pont ; ils reliaient l'armée de Dumouriez avec le corps de Dillon qui gardait le passage de la Chalade et le défilé des Islettes.

Dans cette situation, Dumouriez et Dillon unissaient étroitement leurs communications, l'un faisant face à Paris et l'autre à Verdun, tous deux, selon le mot de Dillon, se donnant la main et se défendant réciproquement.

 

 

 



[1] Arch. guerre, procès-verbal du conseil de guerre tenu à Sedan le 29 août.

[2] Etait-ce de ce vin de Mouzon que vantent les Mouzonnais, mais qui a donné lieu au dicton : Mon Dieu, délivrez-nous de la justice d'Omont, du pain de Sapogne et du vin de Mouzon ?

[3] Dumouriez, Mém., I, 270-272.

[4] C'est son expression (7 septembre), et on disait alors couramment la lenteur allemande, l'impétuosité française (cf. Voltaire, Siècle de Louis XIV, XVIII) ; les temps sont bien changés.

[5] Dumouriez à Labourdonnaye (13 septembre), à Luckner (14 septembre), à Servan (18 septembre), à Biron (28 sept.), arch. guerre.

[6] Dumouriez à Luckner, 14 et 16 septembre (arch. guerre), et Mém., I, 279.

[7] Minutoli, Erinnerungen, 119 ; voir plus haut la petite affaire qui eut lieu près des forges d'Alliépont.

[8] Cf. Invasion prussienne, p. 18.

[9] Allusion à un passage de l'Oberon de Wieland, I, strophe 20, v. 28 :

O süsse Musik vora Uter der Garonne !

[10] Arch. guerre, Duval à Merlin de Douai, 6 octobre. Voir sur Duval Dumouriez, Mém., I, 249, 259, 272, II, 117, et Correspondance avec Pache, 88. Duval, écrivait Biron à Servan (29 août), a dans toutes les occasions montré avec énergie son attachement à la Révolution. Il est, disait Dampierre à Danton (lettre du 23 octobre, revue de la Révolution française, 14 juillet 1885), excellent patriote et bon citoyen. Il refusa par modestie, au mois de novembre, le commandement des troupes du Nord que Dumouriez lui offrait, après l'avoir enlevé à Labourdonnaye, et servit sous Miranda avec le plus grand zèle jusqu'à la fin de la campagne de Belgique. Il devait se prononcer contre Dumouriez et faire arrêter Miaczynski.

[11] Cette conversation est authentique ; cf. Massenbach, Mém., I, 64-65 ; la lettre de Duval à Merlin de Douai (6 octobre), et les Mém. de Dumouriez, I, 281.

[12] Cf. Ségur arrivant au camp de l'armée de Washington (Mém., I, 384) : Je m'étais attendu à voir des soldats mal tenus, des officiers sans instruction, des républicains privés d'urbanité ; je fus surpris de trouver une armée disciplinée où tout offrait l'image de l'ordre, de la raison, de l'instruction et de l'expérience.

[13] Dumouriez, Mém., I, 281.

[14] Dumouriez à Servan, 18 septembre (arch. guerre).

[15] Dumouriez à Luckner, 14 et 16 septembre ; à Servan, 18 septembre, etc.

[16] Peltier, p. 53 : une fort belle retraite ; de la Barre-Duparcq, Portraits militaires, 1853, p. 253-255 ; Tableau historique, II, 101 : retraite infiniment délicate ; Renouard, 192, reconnaît que Dumouriez avait déployé dans cette situation très critique présence d'esprit, habileté, promptitude de décision.

[17] Lombard, Lettres, 306, 14 septembre. Ranke seul insiste sur ce point (Ursprung, 307).

[18] Réminiscences, 156.

[19] Minutoli, der Feldzug, 234.

[20] Il n'a cessé de se distinguer, écrivait Chazot, et Money (The campaign, p. 77) rend hommage à sa bravoure extraordinaire (extraordinary bravery).

[21] Dumouriez à Servan, 18 septembre. Chazot arriva le 18 (à Sainte-Menehould). En passant près de Ville-sur-Tourbe, il tomba sur un escadron ennemi. Hommes, chevaux, tout fut pris avec le commandant et amené à Sainte-Menehould. Les chevaux furent vendus au profit de la troupe qui les avait capturés. Ils avaient été mis au piquet dans la promenade du Jard et y étaient restés une journée entière. Ces animaux, excédés de fatigue et mourant de faim, mangèrent l'écorce de plusieurs arbres dont on fut obligé de remplacer la majeure partie ; ceux qui ne l'ont point été, se ressentent encore aujourd'hui de ce dommage et en portent les marques. (Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 605-606).

[22] Dumouriez à Luckner (16 septembre). Cf. le rapport de Chazot, Explication sur la retraite de Grandpré (arch. guerre).

[23] Minutoli, der Feldzug, 236 ; Nassau-Siegen, YI, 349 ; Caraman, 15 ; Peltier, II, 284 ; Stengel faisait allusion l'année suivante, dans une lettre au président du tribunal révolutionnaire, au rôle qu'il joua dans cette journée du 15 septembre : Un jour, on criait aussi à la trahison ; les troupes fuyaient de même sans rime ni raison ; Dumouriez m'ordonna de les rallier... (arch. nat., W, 272, dossier 41, pièce 26, p. 3).

[24] Arch. nat., W, 271, dossier 30, p. 97, Miranda à ses juges : Il coopère à sauver à Grandpré l'armée française par une retraite savante ; à Wargemoulin, il sait, au milieu du désordre d'une terreur panique, conserver et réunir sa division tout entière.

[25] On voit quelle est la vraie cause de la déroute de Montcheutin qu'on imputait alors à des malveillants, à des traitres et à des scélérats ; ce fut la panique de la division Chazot qui se communiqua au reste de l'armée, sauf à l'arrière-garde. Dumouriez écrit (lettre à Servan, 18 septembre) : Je vous avoue qu'on a beaucoup trop tardé a opérer la jonction, que j'ai eu lieu de me croire sacrifié un moment et que j'attribue à cette opinion le mouvement de terreur dont l'armée a été saisie et qui a pensé tout perdre. Mais il est, croyons-nous, une autre cause qu'on n'a pas encore développée. Buirette dit, dans son Hist. de Sainte-Menehould (II, 604) que différents bataillons, nouvellement arrivés de la capitale, s'étaient joints à l'armée de Dumouriez et que ces troupes, sans subordination et peu faites au métier des armes, portèrent le trouble et le désordre partout où elles se trouvèrent. Non ; Dumouriez n'avait pas reçu de volontaires de la nouvelle levée. Mais de nombreuses recrues étaient arrivées à tous les corps de l'armée, et l'on sait ce qu'il en pensait : ce sont, disait-il, des enfants, des hommes mal tournés et trop faibles, des bouches inutiles (à Servan, 5 septembre). Aussi, le 6 septembre, demandait-il au ministre que ces recrues fussent mieux choisies. Mais elles ne cessaient d'affluer. Fortair, envoyé le 13 septembre à Rethel, les rencontrait en grand nombre et mandait à Dumouriez en termes expressifs et vrais : Ces hommes arrivent en foule, éperdus comme des étourneaux en pleine chasse... chaque individu cherche et demande à grands cris le corps auquel il prétend s'attacher, mais il n'obtient que difficilement l'indication certaine qu'il désire ; alors il se plaint, stationne, mange son argent et se désespère. Ce furent évidemment ces recrues, soldats de ligne et volontaires, venus de tous les points de la France, surtout de Normandie et de Bretagne (lettre de Dumouriez à Biron, 9 septembre), pour compléter les bataillons de l'armée des Ardennes, qui prirent peur d'abord et entraînèrent leurs compagnons. Grimoard (Tableau historique, I, 348) explique la déroute de Montcheutin, lorsqu'il dit dans ses considérations sur l'armée française que la proportion des recrues était trop forte et pouvait énerver la qualité et la fermeté des troupes pendant les premières campagnes.

[26] Dumouriez, Mém., I, 283 ; Luckner à Dumouriez, 16 septembre (arch. guerre) ; Rousset, Les volontaires, 82 ; Money, The campaign, 77.

[27] Dillon, Compte rendu, 28, 34, 85 ; arch. nat., AA. 61, papiers de Galbaud, p. 100, ordre du 16 septembre ; proclamation des commissaires civils du pouvoir exécutif à l'armée du Nord, 16 septembre (arch. guerre).

[28] Dumouriez, Mém., I, 282-284 ; lettre à Servan du 18 septembre (arch. guerre).

[29] Servan à Dumouriez, 18 septembre.

[30] Servan, Le soldat-citoyen, 419 et 438 ; Dumouriez raconte dans ses Mémoires (11, p. 12) qu'il voulut plus tard établir la peine de mort et que son armée la demanda dans un moment d'enthousiasme, mais que les commissaires de la Convention s'opposèrent à cette mesure et qu'elle fut une des causes de l'exécution de Custine.

[31] Dumouriez, Mém., I, 285 ; lettre à Luckner, 16 septembre (arch. guerre).

[32] C'est un de ses mots favoris.

[33] Réponse des députés de Mayenne-et-Loire à Galbaud, 1792, p. 15, note, certificat de Dumouriez et ordre du jour de Miranda.

[34] Thermomètre du jour, n° 266. 22 septembre.

[35] Buirette, Histoire de Sainte-Menehould, II, 605.

[36] Dillon, Compte rendu, 31.

[37] Doublet, Marceau, 145.

[38] Billaud-Varennes à Labourdonnaye, 16 septembre ; les commissaires à la commission de correspondance, 15 septembre (arch. guerre).

[39] Dumouriez à Luckner, 14 septembre ; Luckner à Dumouriez et Labourdonnaye à Servan, 15 septembre (arch. guerre).

[40] Dumouriez à Luckner, 17 septembre, et à Servan, 18 septembre.

[41] Dumouriez à Servan, 18 septembre, et à Labourdonnaye, 19 septembre.

[42] Dumouriez à Luckner, 16 septembre.

[43] Ledieu, Le général Dumouriez et la révolution française, 342.

[44] Moniteur du 10 mars 1793, séance du 8.

[45] Stengel s'acquitta de cette tâche avec talent : c'était, dit Minutoli, un homme de tête et d'expérience von Kopf und Erfahrung (der Feldzug, 229).