I. Dumouriez à Grandpré. Proclamation aux habitants de l'Argonne. Petiet à Châlons. Miaczynski à Sedan. Le bataillon de Mouzon. Annonce de renforts. Duval au Chesne-Populeux. Colomb à la Croix-aux-Bois. Ardeur des troupes. — II. Les Prussiens veulent-ils assiéger Metz ? Se dirigeront-ils sur Saint-Dizier ? Plan de Dumouriez. Son erreur. Il se rend aux Islettes. Duval à Marcq et Dubouquet au Chesne-Populeux. — III. Le mouvement de Brunswick. Reconnaissance de Köhler. Arrivée des Austro-Hessois. Marche des Prussiens sur Grandpré. Escarmouche à Clermont. Dispositions des paysans. Leur horreur de l'ancien régime. La pluie et la boue. Retard des convois. Le camp de Landres ou camp de la Crotte. — IV. Exécution du plan de Brunswick. Les deux démonstrations du 12 septembre. Kalkreuth à Briquenay. Hohenlohe à Fléville. Courage des Français. Les tirailleurs.I. Pendant que Brunswick restait immobile sous les
murs de Verdun, Dumouriez organisait en hâte la défense de l'Argonne. La
confusion était grande encore ; l'armée des Ardennes[1] manquait
d'officiers généraux ; presque aucun régiment de ligne n'avait de colonel et
de lieutenant-colonel. Le service des subsistances n'était pas assuré.
L'uniforme des soldats, surtout dans l'infanterie, tombait en loques. Faites-nous des sarraus en laine, écrivait
Dumouriez, de quelque couleur que ce soit, et
envoyez-les pour lei el octobre : sans cette précaution, il sera absolument
impossible de faire la guerre dans l'arrière-saison, et l'armée passera bien
vite du murmure à la licence et au débandement. On n'avait même pas de
cartes détaillées de l'Argonne. Faites chercher et
venir, mandait Dumouriez à Luckner, les
cartes de l'Académie sur lesquelles se trouve le théâtre de la guerre que
nous taisons et que nous allons faire ; personne de nous ne les a[2]. Quelques jours lui suffirent pour tout ranimer et tout rétablir ; je ne perds pas courage, disait-il a Servan, et je travaille au milieu des combinaisons militaires, des correspondances de gens effrayés, en un mot, du plus grand désordre. Il adressait une proclamation aux populations de l'Argonne : Citoyens, l'ennemi fait des progrès sur le territoire des hommes libres, parce que vous ne prenez pas la précaution de faire battre vos grains, de les porter sur les derrières, pour qu'ils soient sous la protection des troupes françaises, d'apporter au camp de vos frères les fourrages el les pailles qui vous seraient payés comptant par vos compatriotes, qui respectent votre propriété. Au lieu de cela, toutes vos subsistances sont dévorées par les satellites des despotes ; les chevaux sont nourris de vos fourrages sans qu'il vous en revienne aucun paiement ; c'est ainsi que vous-mêmes vous donnez à nos cruels ennemis les moyens de subsister au milieu de vous, de vous accabler d'outrages et de vous remettre dans l'esclavage. Citoyens, je vous somme, au nom de la patrie et de la liberté, de faire apporter dans nos différents camps vos grains et vos fourrages, en faisant constater par vos officiers municipaux les quantités que vous nous apporterez. Je vous somme pareillement de faire retirer vos bestiaux et chevaux derrière nos camps : sinon, je serai obligé, pour le salut de la patrie, de sacrifier vos intérêts particuliers, de me conduire avec vous comme se conduisent nos barbares ennemis, et de faire fourrager et tout enlever dans vos villages, afin qu'eux-mêmes n'y trouvent pas à subsister. Vous particulièrement, districts de Sedan, Mézières, Grandpré, Vouziers et Sainte-Menehould, je vous invite à profiter de l'âpreté de vos montagnes et de l'épaisseur de vos forêts pour m'aider à empêcher l'ennemi d'y pénétrer. En conséquence, je vous annonce que, si les Prussiens et les Autrichiens s'avancent pour traverser les défilés que je garde en force, je ferai sonner le tocsin dans toutes les paroisses en avant et en arrière des forêts d'Argonne et de Mazarin ; à ce son terrible, que tous ceux d'entre vous qui ont des armes à feu se portent chacun en avant de sa paroisse sur la lisière du bois, depuis Chevenge jusqu'à Passavant ; que les autres, munis de pelles, de pioches et de haches, coupent les bois sur la lisière et en fassent des abatis pour empêcher les ennemis de pénétrer ; par ce moyen prudent et courageux, vous conserverez votre liberté et vous nous aiderez à donner la mort à ceux qui voudront vous la ravir. Je requiers, au nom de la loi et au nom de la patrie, tous les administrateurs des départements et des districts, tous les officiers municipaux, de donner des ordres sur leur responsabilité pour l'exécution des différents objets de cette proclamation. Quiconque y mettra obstacle sera dénoncé à l'Assemblée nationale comme lâche ou parjure ; mais comme cette mesure serait trop lente, je déclare qu'en cas que j'y sois forcé, j'emploierai tous les moyens militaires que j'ai dans les mains, pour faire exécuter ce que je crois nécessaire pour le salut de la patrie[3]. Cette proclamation, simple et énergique, fut envoyée à Sainte-Menehould et imprimée dans cette ville, par les soins du directoire, à plusieurs milliers d'exemplaires. Dumouriez remercia les magistrats de leur promptitude, les pria d'entretenir une correspondance journalière avec lui, stimula leur zèle et leur patriotisme : bien loin d'être abattus par la lâcheté des administrateurs et des habitants de Verdun, reprenons un nouveau courage et aidons-nous mutuellement à résister à l'ennemi[4]. En même temps il envoyait à Châlons un commissaire ordonnateur, l'actif et vigilant Petiet[5], qui devait assurer pendant toute la campagne les approvisionnements de l'armée. Il nommait le maréchal de camp Miaczynski gouverneur de tout l'arrondissement de Sedan et de Mézières. Il donnait le commandement de la place de Sedan à un officier de grand mérite, nommé Naulzier, lieutenant-colonel d'infanterie qui entend fort bien le service de l'artillerie. Il renforçait la garnison de Sedan, en tirant deux mille hommes des forteresses de Givet, de Philippeville, de Marienbourg et de Rocroy. Il y mettait également un bataillon de trois cents hommes qu'on nommait le bataillon de Mouzon ; la moitié des soldats étaient des habitants de Mouzon qui avaient juré de faire la campagne et suivi l'armée française à Grandpré avec un drapeau et deux chariots remplis d'effets appartenant à la nation. Si les habitants de Longwy et de Verdun, disait Dumouriez, avaient montré le même courage et le même patriotisme, la France ne serait pas encore entamée. Il prescrivait à Miaczynski de tenir la campagne de conserver ses communications avec Montmédy, d'intercepter, de concert avec Ligniville, les convois qui venaient de Luxembourg et de Longwy, de former un corps de braconniers des Ardennes[6]. Il ne disposait que de dix-neuf mille hommes. Mais il avait, à la fin d'août, ordonné à Duval, qui commandait le camp de Pont-sur-Sambre, de le joindre à Rethel vers le 7 septembre. Duval tira du camp de Pont-sur-Sambre le 68e régiment d'infanterie et le 2e bataillon de volontaires de la Haute-Vienne ; de Dunkerque, le 19e de ligne et deux escadrons du 3e dragons ; de Valenciennes, quatre compagnies belges ; de Douai, un détachement de deux cents artilleurs ; c'étaient, en tout, 3.050 hommes. Mais ces secours ne suffisaient pas. Il faut, écrivait Servan à Dumouriez, vous fortifier d'une partie de votre camp de Maulde et faire venir encore des places fortes du Nord tout ce qu'on pourra vous envoyer ; l'armée de Champagne doit tout absorber[7]. Beurnonville reçut l'ordre d'amener à Rethel, vers le 14 septembre, un corps de dix mille hommes. D'autres renforts allaient quitter Châlons où Luckner, aidé de Laclos et de Labourdonnaye, organisait une armée de l'intérieur. Mais Dumouriez les attendait sans impatience ; il se défiait des braves fédérés et de leurs piques qui devaient faire merveille. Je ne désire de piques, disait-il ironiquement, qu'à la seconde campagne, lorsque nous poursuivrons les ennemis. Servan lui marquait que 2.400 hommes, armés et revêtus d'un uniforme, parlaient tous les jours de Paris, et le priait de tirer de Châlons quelques bataillons de nouvelle levée. Mais Dumouriez se contentait d'informer Luckner de ses dispositions et de ses plans ; il ne comptait que sur ses renforts de Flandre, sur les secours de Kellermann, sur les vieilles troupes de ligne et sur les volontaires de 1791. Une des cités les plus patriotiques de l'Est, Reims, dirigeait sur Grandpré un corps de huit cents grenadiers bien équipés et bien vêtus, mais sans expérience ; Dumouriez les envoyait les uns à Sedan, les autres dans les gorges du Clermontois[8]. La trouée du Chesne-Populeux n'avait été gardée pendant quelques jours que par un faible détachement. Dumouriez, n'ayant pas assez de troupes pour fermer ce passage, y avait posté cent hommes d'infanterie et quelques dragons de la garnison de Sedan, pour figurer une défensive. Mais Duval fut exact au rendez-vous. Le 7 septembre, au jour fixé par Dumouriez, malgré la pluie et le mauvais état des chemins, il arrivait, après une marche forcée, au Chesne-Populeux, avec ses 3,050 hommes. Le général en chef, tiré d'inquiétude, félicita Duval et lui donna l'ordre de rendre la trouée de Noirval impraticable, en rassemblant, de gré ou de force, tous les paysans des environs, qui devaient, à grand renfort de pelles, de pioches et de haches, gâter les gués et les chemins et couper les ponts de la Fournelle[9]. Au sud du Chesne-Populeux, entre le défilé de Noirval et celui de Grandpré, Colomb, colonel du 2e régiment de dragons, occupait le poste de la Croix-aux-Bois avec deux bataillons d'infanterie, un escadron de ses dragons et quatre pièces de canon. Il devait élever des retranchements, faire des abatis et rompre, en avant de sa position, le chemin de Briquenay et de Boult-aux-Bois. La droite de son détachement s'appuyait au ruisseau de Longwé et sa gauche, à celui de Noirval. Le reste des troupes occupait la position de Grandpré, et, du Chesne-Populeux à La Chalade, une chaine d'avant-postes établis en pleine forêt, rattachait l'extrême gauche de l'armée de Dumouriez à l'avant-garde de Dillon, par Marcq, Châtel, Apremont et le chemin romain. L'ardeur des soldats était grande et Dumouriez assure qu'ils le secondaient parfaitement. Lorsqu'il parcourut son camp dans l'après-midi du 9 septembre, ses soldats l'entourèrent en grand nombre et le prièrent instamment de les mener au feu. Le général, écrivait Westermann à Danton, ne cesse de travailler et il est impossible de prendre plus à cœur les intérêts de la patrie. Il a fait renaitre la confiance. Chaque jour il va d'un camp à l'autre et parle aux soldats, s'occupe de leurs besoins, organise l'état-major de l'armée et se prépare au combat. Toutes les troupes attendent avec la plus vive impatience ce jour, comme le dernier des despotes, sans consulter le nombre de leurs ennemis, et paraissent bien décidées de vaincre ou de périr sur le champ de bataille ; je ne puis vous dépeindre le courage de cette armée[10]. II. Dumouriez pensa, durant quelques jours, que les Prussiens avaient le dessein de mettre le siège devant Metz et de prendre leurs quartiers d'hiver dans les Trois-Evêchés, S'ils avaient eu l'intention de marcher sur Paris, n'auraient-ils pas, même pendant l'investissement de Verdun, détaché quinze ou vingt mille hommes qui se seraient emparés des gorges du Clermontois ? Pourquoi restaient-ils immobiles dans leur camp de Regret, sinon parce qu'ils attendaient la reddition de Thionville ? Kellermann venait de quitter Metz et menait lentement l'armée du Centre à la rencontre de son collègue. Dumouriez louait la prudence de ses mouvements et lui conseillait, ainsi que Servan, de s'arrêter à Ligny, entre Commercy et Bar-le-Duc : il pourrait, de là, soit faire sa jonction avec lui, soit revenir sur Metz menacé. Ni Dumouriez, ni Kellermann ne virent clair durant la semaine qui suivit la prise de Verdun. Tous deux croyaient que les Prussiens n'osaient se porter sur Paris et n'avaient d'autre plan que d'attaquer Metz. Déjà Dumouriez prenait ses mesures et dès qu'il voyait les ennemis marcher de Verdun sur Metz, il s'avançait tout uniment vers Stenay ; Dillon quittait la côte de Biesme et le suivait avec son avant-garde, parallèlement au gros de l'armée ; Beurnonville, qui devait arriver le 14 septembre à Rethel, se dirigeait sur Suippes, Dampierre et Revigny ; Duval quittait le Chesne-Populeux et allait à Sedan tenir tête aux Autrichiens de Clerfayt. Dumouriez, Dillon, Beurnonville se réunissaient à Kellermann ; l'armée française, forte de soixante mille hommes, forçait les Prussiens à lever le siège de Metz, non pas en leur donnant bataille, mais en les harcelant, en leur coupant les vivres, en faisant un désert autour d'eux ; entre le 25 et le 30 septembre, Frédéric-Guillaume éprouverait devant Metz le même sort que Charles-Quint. Ce ne fut que le 8 septembre que Dumouriez revint de sa méprise. Je commence à croire, mandait-il à Luckner, que les Prussiens ont le projet de marcher sur Paris directement. Mais le péril qui s'approchait, ne l'effrayait pas. Depuis qu'il occupait l'Argonne, il était plus près de Paris que son adversaire ; il avait moins de chemin à parcourir que les Prussiens, pour se mettre entre eux et la capitale ; ils décrivaient le cercle de l'arc dont il parcourait la corde. Mais les envahisseurs remonteraient-ils sur Sedan et Mézières en faisant le grand tour ou se dirigeraient-ils sur Bar-le-Duc et Saint-Dizier ? Souvenons-nous, disait Dumouriez, que dans toutes les guerres, depuis Charles-Quint jusqu'à Louis XIV, Saint-Dizier a été un des points par lesquels on a menacé d'entrer en France. Jusqu'au dernier moment, il s'imagina que l'armée prussienne ne l'attaquerait pas dans les gorges de l'Argonne. Il n'avait garde néanmoins d'abandonner ces précieux défilés : si je les quitte, déclarait-il, et si l'ennemi s'en empare, nous sommes perdus. Mais ne pouvait-il, tout en restant maître de l'Argonne, assaillir les flancs de la grande armée ? Il projetait donc de se porter par la rivière d'Aire en avant de Saint-Dizier, pendant que Beurnonville viendrait de Rethel à Villers-en-Argonne ou à Revigny et que Kellermann marcherait de Ligny sur Bar-le-Duc ; nous déboucherons tous à la fois, en rapprochant nos colonnes et nous nous trouverons plus de soixante mille hommes pour aller à la rencontre des Prussiens ; je flanquerai leur droite ; Kellermann se mettra à leurs trousses et leur fermera leurs derrières ; ils auront les Parisiens en tète, et au diable s'ils en réchappent ! Bientôt ce plan hardi s'empara de l'imagination de
Dumouriez, il ne voulait plus attendre le renfort de Beurnonville. Il faut,
écrivait-il à Servan, saisir l'occasion au toupet, car, comme vous savez,
elle est chauve par derrière. Vainement les Prussiens montraient en cet instant
des tètes de colonnes à Varennes et à Clermont. Dumouriez n'envisageait dans
ce mouvement qu'une feinte de Brunswick ; il croyait le gros de l'armée
royale engagé sur la route de Bar-le-Duc. Il fit venir Duval sur la hauteur
de Marcq (10 septembre), et le remplaça
au Chesne-Populeux par le maréchal de camp Dubouquet, vieux routier, comme Dietmann, et honnête homme, mais sans de grands
talents[11].
Il avait ravitaillé Sedan et Mézières qu'il abandonnait, selon son expression,
à la grâce de Dieu. Je ne connais, disait-il,
aucun corps dans cette partie pour entreprendre un
siège : Clerfayt marche à grands pas sur les Pays-Bas[12] ; d'ailleurs si les ennemis prennent ces deux mauvaises
places, nous les reprendrons ensuite. Il laissait à Grandpré sept
escadrons de cavalerie et six bataillons d'infanterie. Il emmenait la
division de Duval, le corps de Stengel et la réserve. Il se portait le long
de la forêt d'Argonne devant Varennes et Clermont pour fondre sur
l'arrière-garde ou sur le flanc droit des Prussiens qu'il supposait en ce
moment à la hauteur de Dillon. Ce dernier devait poster deux mille hommes aux
Islettes, faire border les abatis par les paysans qu'il rassemblerait au son
du tocsin, et, avec le reste de ses troupes, se diriger sur Passavant et
Villers-en-Argonne, au sud de la forêt, pour couvrir Sainte-Menehould.
Dumouriez opérait sa jonction avec Dillon, puis avec Kellermann qui marchait
alors de Bar-le-Duc sur Saint-Dizier ; toutes ces forces suivaient les
Prussiens dans leur mouvement sur Châlons ; nous les
tiendrons dans l'entonnoir ; tâchons seulement de tomber sur leurs bagages et
leurs colonnes d'artillerie ; ils rétrograderont et cette contre-marche ne se
fera pas facilement au travers des grands bois pour regagner Verdun ! C'était
le 10 septembre qu'il communiquait ce plan à Kellermann et il ajoutait avec
cet entrain, cette bonne humeur qu'il gardait toujours, même au milieu des
plus terribles difficultés : J'espère que cette
marche me guérira d'une colique que j'ai depuis vingt-quatre heures. Embrassez
de ma part mon gros Valence que j'aime beaucoup, mais à qui je n'ai pas le
temps de répondre ; il est possible que sous trois ou quatre jours je vous
baise tous les deux en pincettes. Ces beaux projets, comme les précédents, s'en allèrent en fumée. Dans la nuit du 10 au 11 septembre Dumouriez, changeant subitement sa détermination, envoyait contre-ordre à Stengel, à Dillon, à Kellermann et informait Luckner qu'il restait décidément a Grandpré, malgré l'impatience dé l'armée : les Prussiens semblaient s'approcher de lui et se porter soit sur Grandpré, soit sur Sedan, et, après mûre réflexion, il ne voulait pas marcher en avant, à moins d'être bien en forces et d'avoir reçu le secours de Flandre. On ne croirait pas en lisant les Mémoires du général, qu'il ait si tard démêlé la vérité. A l'entendre, il aurait attendu de pied ferme les ennemis et connu tous les mouvements de Brunswick par ses espions et ses éclaireurs. Sa correspondance prouve au contraire que les Prussiens surent le tromper sur leurs desseins. Les yeux tournés vers le camp de Regret que le gros des envahisseurs ne quitta que le 10 septembre, Dumouriez ne voyait pas Hohenlohe, Kalkreuth, Clerfayt marcher sur Grandpré par des chemins différents. Il ne voyait pas l'avant-garde prussienne se diriger lentement vers Sommerance, en face de ses avant-postes de Saint-Juvin. Il ne voyait pas le corps de Kalkreuth et les Autrichiens de Clerfayt s'approcher sourdement et à pas de loup du défilé de La Croix-aux-Bois. Sa sécurité fut si profonde que le 11 septembre il quitta son quartier-général et se rendit à Sainte-Menehould. Il s'entretint avec Dillon ; il visita les postes de la côte de Biesme et des Islettes ; il passa la revue des troupes ; durant tout un jour, il resta loin du gros de son armée[13]. Le lendemain, 12 septembre, Dumouriez était de nouveau à Grandpré. Il apprit dans la journée que les Autrichiens s'étaient emparés, presque sans coup férir, du défilé de La Croix-aux-Bois ; sa ligne de défense était rompue ; les ennemis qu'il se flattait de tenir en échec, allaient le déborder sur son flanc gauche, lui couper la retraite, le forcer à mettre bas les armes ! III. Pendant que Kalkreuth prenait les devants pour se joindre au corps autrichien de Clerfayt, le duc de Brunswick restait dans son camp de Regret. Il attendait des nouvelles plus positives des mouvements de Kellermann et ne voulait se mettre en marche qu'après l'arrivée des Austro-Hessois. Le général Köhler, posté à Haudiomont, observait encore la route de Metz. Il reçut le 8 septembre l'ordre de se porter par Verdun, Senoncourt et Chaumont sur Bar-le-Duc. Il emmenait avec lui les dix escadrons de son régiment, deux bataillons de fusiliers et une batterie volante. Il laissa sur une hauteur, en avant de Chaumont-sur-Aire, un bataillon de fusiliers, deux escadrons et deux canons qui devaient couvrir sa retraite ; il mit le second bataillon de fusiliers, avec quatre canons, sur une hauteur près de l'église ; il fit camper près de la route les huit escadrons qui lui restaient. De là, il envoya de tous côtés des détachements en reconnaissance : deux cents cavaliers sur Bar-le-Duc, cent autres sur Saint-Mihiel, cent autres sur Ligny. Il sut bientôt que l'avant-garde de Kellermann avait traversé Ligny le 8 septembre. Dès lors il était évident que l'armée du Centre prenait la route de Bar-le-Duc et de Revigny pour se porter par ce long détour au secours de Dumouriez. Mais Brunswick calculait justement qu'avant l'arrivée de ce renfort, le grand coup serait frappé, et Dumouriez débusqué de l'Argonne[14]. Cependant les Austro-Hessois, chargés de masquer les Islettes, arrivaient sur les bords de la Meuse. Les Autrichiens de Hohenlohe-Kirchberg avaient quitté leur camp de Richemont le 10 septembre ; ils campèrent le 11 à Conflans, et le 12, à Etain. Le landgrave de Hesse était depuis le 8 à Grand-Bras. Brunswick jugea qu'il était temps de porter sur Grandpré le gros de l'armée prussienne. Le 10 septembre, entre sept et huit heures du soir, il réunit à Glorieux les généraux et les chefs d'état-major, et, dans une petite grange qu'éclairait à peine une seule lumière, il dicta les ordres de marche ; nous griffonnions, dit le prince royal, au petit bonheur et en pleine obscurité[15]. Le 11 septembre, l'armée royale s'éloignait de son camp de Regret, en quatre colonnes. La pluie tombait à flots[16]. Dur pour lui-même afin d'être dur pour ses soldats, le roi de Prusse n'avait pas mis de manteau. Les comtes de Provence et d'Artois qui l'accompagnaient, n'osèrent se montrer plus douillets que lui ; ils partirent légèrement vêtus, mais on voyait à leur mine qu'ils affrontaient la bourrasque à contre-cœur ; ils étaient transpercés, remarque le prince royal, et offraient a nos regards un aspect lamentable. Un émigré s'indigna de la cruauté de Frédéric-Guillaume. Laisser mouiller ces augustes personnages, les exposer sans manteau a une pluie battante ! Vit-on jamais un spectacle plus désolant ! Il exhalait sa colère en présence de Gœthe. Que lui répondre, dit le poète ; l'aurait-on consolé en lui remontrant que la guerre est une mort anticipée qui rend les hommes égaux et impose à tous, même aux plus grands, la fatigue et le danger ?[17] L'armée prussienne longeait la lisière orientale de la forêt d'Argonne et traversait la bande de pays resserrée entre la Meuse et l'Aire. Elle campa, le 11 septembre, à Malancourt et le lendemain a Landres, en face de l'avant-garde française. Un détachement livra près de Clermont un heureux combat. Le lieutenant d'Auerswald, des hussards de Wolfradt, attaqua soudainement une troupe de Français qui venaient des Islettes et allaient au fourrage. Vingt hussards du 5e régiment, égarés dans un épais brouillard, furent faits prisonniers. Une compagnie de grenadiers du 6e régiment d'infanterie qui se laissa cerner dans les jardins de Clermont, se rendit à discrétion. Leurs armes, restées sur le pavé de la ville, furent envoyées par les habitants au camp de la côte de Biesme[18]. Mais ce petit engagement ne décidait rien. Dans tout le pays du Clermontois, comme une semaine auparavant en Lorraine et dans le Verdunois, l'armée prussienne n'avait trouvé que des villages à peu près vides. Les vieillards seuls étaient restés. On leur demandait s'ils aimaient la Révolution, et tous répondaient qu'ils détestaient l'ancien régime et que la seule idée du rétablissement de la dime leur faisait horreur. Ils affirmaient unanimement que leur bien-être matériel s'était augmenté, qu'on les avait délivrés d'impôts écrasants et de ces droits de garenne et de chasse qui ruinaient leurs champs, que les grands domaines du prince de Condé étaient devenus la propriété des paysans, qu'il n'y avait plus de gens riches, mais que, dans vingt ans, tout le monde vivrait à son aise[19]. Docile à l'appel de Dumouriez, la population valide du pays s'était retirée dans les bois de l'Argonne avec tous les vivres et les fourrages qu'elle pouvait emporter[20]. La malveillance de ces gens-là, écrivait le secrétaire du roi de Prusse, nous enlève la paille, la saine nourriture et toutes les ressources qui pourraient diminuer nos maux[21]. Les alliés sentaient de plus en plus le péril de leur entreprise et l'impuissance de leur tactique contre cette sourde et tenace résistance qu'ils n'avaient pas prévue. On pouvait battre l'armée française, on pouvait pousser jusqu'à Paris, mais dompterait-on jamais la nation ? Soumettrait-on jamais les esprits ? Tous les Prussiens, du général au simple soldat, s'étonnaient que cette révolution si nouvelle et de si fraiche date fût réellement populaire et que ses principes eussent pris en si peu de temps au cœur des populations d'assez fortes racines pour résister désormais a tous les orages. Vous verrez, osait dire un paysan du Clermontois à un officier, nous n'avons qu'un plan et qu'un but, employer tous les moyens pour vous rendre votre subsistance difficile, et le Prussien qui rapporte ce propos, ajoute tristement que le paysan avait raison[22]. L'armée royale arriva devant Grandpré, exténuée de lassitude, de froid et de faim. Durant ces deux jours plus funestes qu'un combat, la pluie n'avait pas cessé un seul instant[23]. Il semble, s'écriait Lombard, qu'elle se fasse un jeu de nous suivre dans nos mouvements, il suffit de nous mettre en marche pour qu'elle tombe aussitôt, c'est notre destinée depuis Coblenz[24] ! Tous les narrateurs de l'expédition ne se rappellent qu'avec effroi les chemins qu'ils ont trouvés dans cette argileuse Champagne. On n'avançait, selon le mot de Gœthe, qu'avec de grandes souffrances[25]. Pas un rayon de soleil, rapporte un lieutenant, n'égayait notre courage enfin brisé par de nombreuses fatigues, et dès lors, jusqu'à la fin de l'expédition, nos misères devaient s'augmenter en proportion croissante[26]. Dès la première marche, raconte Minutoli, les voitures de vivres et même quelques pièces d'artillerie de l'avant-garde restèrent embourbées toute la nuit sur la route de Montfaucon et ne nous rejoignirent que le lendemain ; si l'avant-garde rencontrait de pareils obstacles, qu'on juge de l'état où le reste de l'armée trouvait les chemins[27] ! Laukhard, le mousquetaire du régiment de Thadden, assure qu'il pataugea le 10 et le 11 septembre à travers la boue la plus horrible comme font les porcs, et que, sans son extrême fatigue, il aurait déserté et passé aux Français[28]. La pluie pénètre le sol, mandait le secrétaire de Frédéric-Guillaume, et transforme tout ce pays en un vaste marais ; le pain n'arrive pas à l'heure fixée ; les chevaux épuisés succombent par centaines, les ambulances se remplissent de malades[29]. L'émigré Dampmartin confirme le témoignage de Lombard ; la disette, dit-il dans son style emphatique, laisse bientôt percer des symptômes effrayants ; quelques animaux, hors d'état de suivre leurs maîtres, et les raisins qui n'étaient point encore parvenus à la maturité, fournissent des ressources aussi tristes que funestes ; ces nourritures malsaines portent après elles les germes de la corruption ; une maladie contagieuse éclate avec violence et bientôt appesantit ses ravages[30]. On espérait trouver au camp de Landres un peu de repos et de réconfort. Mais, comme toujours, les équipages avaient été retardés par le mauvais temps, par la boue, par la crainte des Français. L'infanterie prussienne, harassée, rendue, dut, de sept heures du soir à minuit, subir une épouvantable averse. On fit des feux d'enfer ; on y jeta tout ce qu'on avait sous la main, les chaises, les bancs, les tables, jusqu'à la chaire de l'église de Landres. Mais ces brasiers, dit le mousquetaire de Thadden, ne suffisaient pas à nous protéger contre le vent et la pluie. Enfin, au milieu de la nuit, les bagages arrivèrent. On dressa les tentes ; elles offrirent aux soldats le même abri misérable qu'à Praucourt[31]. Les uns passèrent la nuit à les maintenir, pour qu'elles ne fussent pas emportées par l'orage ; les autres, manquant de paille et n'osant s'étendre sur la terre boueuse, s'assirent sur leurs sacs ou leurs gibernes. Le diable soit de cette guerre, s'écriait-on ; pourquoi nous sommes-nous mêlés à des querelles qui ne nous regardaient pas ; la révolution est l'œuvre de Dieu, les patriotes font sa volonté et les émigrés ne sont que des coquins ! Gœthe, qui s'efforçait de garder sa sérénité, dicta quelque temps au secrétaire Vogel des observations sur les couleurs, mais la pluie perçait la toile de sa tente et mouillait le papier ; il s'estima fort heureux de passer la nuit, comme à Praucourt et à Bras, dans la voiture du régiment de Weimar : nuit terrible, écrivait-il plus tard en un passage de son récit qui révèle ses propres anxiétés et celles de ses compagnons, car nous étions entre ciel et terre, en face de l'ennemi qui pouvait à tout instant sortir de ses remparts de forêts et de montagnes ! Au lendemain de cette nuit affreuse (13 septembre), les soldats sortirent de leurs tentes comme les truies de leurs étables et vraiment, dit Laukhard, ils étaient aussi sales que ces animaux, lorsque la porcherie n'a pas été nettoyée pendant six semaines. L'armée entière nomma ce camp qui n'était qu'un cloaque, le Drecklager ou le camp de la Crotte[32]. IV. Cependant, au milieu de la rafale et des misères de ces fangeux bivouacs, le plan combiné par Brunswick s'exécutait de point en point. De toutes parts, sur le front des positions françaises, avaient lieu les démonstrations destinées à tromper Dumouriez. Nos soldats, sortant de leurs taillis et de leurs baraquements, faisaient face à l'adversaire, soit à Fléville, soit à Marcq, soit au Morthomme et à Briquenay. Mais, pendant que l'attention de Dumouriez était absorbée par la défense de Grandpré, les Autrichiens se saisissaient du passage de la Croix-aux-Bois. Ces engagements livrés aux Prussiens par la première armée de la Révolution, ne sont racontés nulle part d'une façon complète et il faut entrer dans le détail. C'est le 8 septembre que commence la véritable campagne de l'Argonne, Kalkreuth, devançant le gros de l'armée royale, avait quitté son camp de Marre et s'était porté vers Montfaucon. Le 9 septembre a lieu la première escarmouche. Suivi de quarante hussards et d'autant de dragons, Kalkreuth marche sur Epinonville ; il ne rencontre que des chasseurs à cheval qui se retirent derrière l'Aire. Le 10, il entreprend une nouvelle expédition ; il franchit le pont de pierre d'Apremont à la tète de huit cents cavaliers et de deux bataillons de fusiliers ; il longe la rive gauche de l'Aire et reconnaît de loin le camp de Marcq et de Saint-Juvin. Le 11, il abandonne son camp de Montfaucon, se dirige sur Remonville et fait sa jonction avec l'Autrichien Clerfayt qui s'est avancé jusqu'à Nouart. Le 12, il se porte sur Briquenay, entre la Croix-aux-Bois et Grandpré. Mais au moment où son infanterie passe le ruisseau de Briquenay gonflé par les pluies, la cavalerie française sort du bois du Morthomme comme pour s'opposer au passage. Kalkreuth la fait canonner par son artillerie légère, et notre cavalerie se retire. Mais, un instant après, un fort détachement d'infanterie que conduit Miranda, marche à la rencontre de Kalkreuth. Un combat s'engage en avant de Briquenay. L'artillerie de Miranda réduit au silence l'artillerie prussienne. Les tirailleurs français, répandus dans les bois, échangent des coups de fusil avec les chasseurs ennemis et les refoulent devant eux. Kalkreuth abandonne Briquenay en toute hâte et s'établit sur une hauteur, hors de la portée du canon. Mais il a perdu l'avant-train d'un affût, et l'obstiné général ne veut pas laisser aux mains de l'adversaire ce mince trophée. Il renvoie dans le village deux pelotons de fusiliers, commandés par les lieutenants Gauvain et Minutoli. Par un faux point d'honneur, dit ce dernier, et pour sauver l'avant-train d'un affût de canon, on expose deux officiers et deux pelotons d'infanterie ! Pendant que les artilleurs attellent l'avant-train et l'emmènent au galop, Gauvain et Minutoli postent leurs hommes derrière les murs des jardins et dans les chemins creux. Mais la cavalerie française menace de tourner Briquenay, et une batterie d'artillerie légère fait pleuvoir sur les fusiliers prussiens une grêle de boulets qui s'enfoncent dans la terre fangeuse sans ricocher et les couvrent de boue. Gauvain et Minutoli se replient lentement sur le corps de Kalkreuth[33]. Le même jour, Hohenlohe, partant d'Ivoiry, faisait sur Marcq une grande reconnaissance. Suivi des hussards de Kahler et de Wolfradt, il passa l'Aire au gué de Fléville. L'impétueux Nassau-Siegen se jeta, l'un des premiers, dans la rivière, gravit les pentes escarpées de la berge, mit en fuite les vedettes françaises et poussa, avec Hohenlohe, Massenbach et le colonel de Prittwitz, au delà de Cornay, assez près du plateau de Marcq. Mais, à la distance de huit cents à mille pas, une troupe d'infanterie française, soutenue par quelques pièces de canon, s'avança contre les assaillants. Les hussards eurent ordre de la charger : ils furent reçus par un violent feu de mousqueterie et par quelques volées de canon ; ils tournèrent bride et repassèrent précipitamment la rivière ; la retraite, dit Massenbach, s'opérait dans un désordre qui lui donnait les apparences de la fuite. Hohenlohe craignit même un instant d'être coupé du gros de l'armée : un autre corps d'infanterie, sorti de Saint-Juvin, faisait mine de se porter vers Fléville et menaçait son flanc droit. Le prince s'empressa de gagner la hauteur de Sommerance, entre Fléville et Saint-Juvin, au sud de Landres. Ce fut là que campa l'avant-garde prussienne[34]. Ces deux attaques du 12 septembre, tentées par Hohenlohe et Kalkreuth, étaient fort honorables pour les troupes françaises. On avait éprouvé, reconnaît Caraman, une résistance de mauvais augure. Les Prussiens ne méprisaient plus leurs adversaires. Partout, dans la moindre escarmouche, les soldats de Dumouriez tenaient tête à l'assaillant. Les chasseurs à cheval tiraient de loin des coups de fusil sur les hussards de Köhler ; on les voyait à sept ou huit cents pas, épauler leur carabine, viser tranquillement l'ennemi, faire feu et disparaître aussitôt. Lorsque le prince Louis-Ferdinand[35], emporté par sa folle bravoure, courait aux vedettes françaises et entraînait avec lui, malgré l'ordre du général en chef, quelques cuirassiers de Weimar, une trentaine de fantassins, cachés dans un repli de terrain derrière la forge d'Alliépont, marchaient résolument à la rencontre de cette troupe de cavaliers et l'accueillaient par une salve bien nourrie. Dumouriez avait le droit de dire que les Prussiens n'avaient pu forcer ses postes. C'est du 12 septembre 1792 qu'il faut dater les commencements de l'histoire de ces tirailleurs français qui devaient être employés durant les guerres de la Révolution et de l'Empire avec tant de succès, et qui, lancés en grandes bandes sur l'ennemi, contribuèrent par la hardiesse et la mobilité de leurs mouvements autant que par la justesse de leurs feux, à ruiner la vieille tactique des derniers lieutenants de Frédéric[36]. Mais ces deux engagements avaient pour but de tromper Dumouriez et de lui dérober l'attaque des Autrichiens de Clerfayt contre la Croix-aux-Bois. Il tomba dans le piège. Il s'imagina que les Prussiens voulaient emporter la position de Grandpré. Son lieutenant Dillon partageait son erreur ; il lui mandait que les alliés dirigeaient tous leurs efforts contre Grandpré, et le général en chef lui répondait : Les ennemis vous ont abandonné pour se porter sur moi ; envoyez-moi des secours, sans cependant dégarnir la trouée de Clermont. Dillon lui envoya 2.410 hommes, dont 742 de troupes à cheval et la moitié d'une compagnie d'artillerie légère. Dumouriez crut même un instant que les ennemis ne faisaient contre lui qu'un simulacre d'agression et qu'ils avaient le dessein d'attaquer le défilé du Chesne-Populeux. Je crois, écrivait-il à Dillon, que cette attaque n'est qu'une feinte pour attaquer la trouée du Chesne. Il semblait avoir oublié complètement le passage de la Croix-aux-Bois. Soudain, dans l'après-midi de cette journée du 12 septembre où il se vantait d'avoir repoussé ses adversaires sur tout son front, il apprenait que La Croix-aux-Bois était au pouvoir des Autrichiens[37]. |
[1] C'est le nom que porta désormais l'armée de Sedan ; on l'appela aussi l'armée du Nord, surtout après la jonction des troupes qui vinrent de Flandre, sous le commandement de Duval et de Beurnonville ; mais le nom d'armée des Ardennes prévalut tant que les troupes commandées par Dumouriez demeurèrent dans l'Argonne.
[2] Dumouriez à Servan, 6 septembre, et à Luckner, 7 septembre (arch. guerre). Il est inutile de louer le général ; Rochambeau, son ennemi, qui le nomme un intrigant et un ministre caméléon, reconnaît que l'activité de Dumouriez lui fit prendre des mesures d'une défensive bonne et militaire (Mém., I, 426) ; Massenbach dit qu'il occupa l'Argonne avec la rapidité d'Achille (Mém., 1, 58) ; Gaudy, 12, qu'il prit d'excellentes mesures et agit avec une audace infatigable.
[3] Avis du général Dumouriez à tous les citoyens français des deux départements des Ardennes et de la Marne et particulièrement des districts de Vouzières (sic), Grandpré, Sainte-Menehould, Clermont, Sedan, Mézières, Rocroi et Rethel. (Bibl. de la ville de Paris, Rév. fr., n° 22143, 4 pages). Cf. le Journal des Débats et Décrets, n° 352, p. 255-256, et Ternaux, IV, 155-156.
[4] Arch. nat., AA. 61, papiers de Galbaud, p. 76, Dumouriez au directoire de Sainte-Menehould (sans date, probablement du 4 sept.),
[5] Cf. sur Petiet, qui portait le titre de commissaire général de l'armée du Nord, Invasion prussienne, 87 ; on sait les grands services que l'intendance rendit dans cette campagne. Luckner rendait hommage aux talents de Petiet dans une lettre à Dumouriez (8 septembre) : Le régisseur des vivres de votre armée, qui est ici, travaille avec activité à vous procurer ceux dont vous aurez besoin. Petiet avait ordre de faire un établissement à Châlons et d'établir des fours à Vouziers et à Sainte-Menehould.
[6] Arch. guerre, Dumouriez à Servan, 5 et 6 septembre ; à Luckner, 5, 7 et 9 septembre ; Dillon, Compte rendu, 13. Miaczynski, traduit l'année suivante devant le tribunal révolutionnaire, n'a donné que peu de détails sur son commandement de Sedan : Dumouriez me montra des inquiétudes pour la ville de Sedan, menacée par les Prussiens... j'ai formé la légion des Ardennes, (arch. nat., W, 271, doss. 31, p. 4). C'est dans cette légion des Ardennes que servit, comme canonnier, la citoyenne Pochelat ; elle obtint le grade de sous-lieutenant ; la Convention décréta qu'elle avait bien mérité de la patrie et lui donna une pension annuelle de 300 livres (Moniteur du 29 juin 1793).
[7] Arch. guerre, lettres des 3, 4 et 8 septembre.
[8] Servan à Dumouriez, 3, 4, 8 septembre ; Dumouriez à Servan, 6 septembre (arch. guerre) ; Dumouriez, Mém., I, 279. Dillon, aux Islettes, renvoyait de même les bataillons et les corps francs il lui faut absolument des hommes habillés, armés et en état de manœuvrer (Babeau, Lettres d'un député de la municipalité de Troyes, 1814, p. 7, 7 septembre 1792). On a prétendu que Dumouriez avait reçu dans l'Argonne des renforts de volontaires de 1792 et de fédérés ; sa correspondance prouve qu'il n'en est rien ; il écrit le 6 septembre qu'il attend toujours 6000 hommes qui doivent arriver de Paris, le 7 que pas un homme armé ne l'a joint depuis qu'il est à Grandpré, le 8 qu'il entend beaucoup parler de secours et ne voit pas arriver un seul homme.
[9] Dumouriez à Duval (arch. guerre, 8 septembre).
[10] Arch. guerre, Dumouriez à Duval, à Biron (9 septembre) Mém., I, 259 et 268 ; lettre de Westermann, du 10 septembre, datée de Grandpré (Prudhomme, Révolutions de Paris, XIII, p. 491) ; Babeau, Lettres d'un député de la municipalité de Troyes, 9.
[11] Cette opinion de Dumouriez est confirmée par Dampierre Dubouquet, roui pour les talents militaires, et qui ne sait que bavarder. (Dampierre à Danton, revue de la Révolution française, 14 juillet 1885, p. 36-37). Dubouquet était auparavant colonel du 49e régiment d'infanterie et avait été nommé provisoirement maréchal de camp par Dumouriez (lettre à Servan, 29 août). Il reçut le brevet de lieutenant-général le 8 octobre.
[12] On voit qu'il était bien mal informé, pour ne pas dire bien léger, puisque, ce même jour, Clerfayt était à Romagne-sous-Montfaucon.
[13] Il ne dit pas un mot de ce voyage dans ses Mémoires ; cf. arch. guerre, Dumouriez à Luckner, 11 septembre ; Galbaud à Servan, 11 septembre ; Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 602.
[14] Minutoli, der Feldzug, 208-209.
[15] Rémin., 155.
[16] Fersen, II, 364 ; lettre de Breteuil : Le temps ne favorise pas la marche d'aujourd'hui, la pluie a tombé fortement toute la nuit et continue.
[17] Gœthe, Camp. de France, 61 : Rémin., 155.
[18] Minutoli, der Feldzug, 206 ; Dillon, Compte-rendu, 22-23 ; Gobert, Mém. (arch. guerre) ; Buirette, Hist. de Sainte-Menehould, II, 602.
[19] Témoin oculaire, II, 50.
[20] A l'approche des alliés, dit Dampmartin (Mém.. 302), les campagnes sont désertes et les villages abandonnés ; les habitants, représentés comme favorables à l'ancien régime, cherchent un refuge loin de leurs foyers.
[21] Lombard, Lettres, 316.
[22] Témoin oculaire, II, 55.
[23] Cf. le mot de Fersen dans son bulletin au roi de Suède (Fersen, II, 374) : les grandes pluies qui sont tombées depuis quinze jours.
[24] Lombard, Lettres, 305.
[25] Gœthe, Camp. de France, 60.
[26] Strantz, art. cité (à partir du 8 septembre).
[27] Minutoli, der Feldzug, 206-207, et Gaudy, 12.
[28] Laukhard, III, 141.
[29] Lombard, Lettres, 316.
[30] Dampmartin, Mém., 302.
[31] Cf. sur le camp de Praucourt Invasion prussienne, 215-216.
[32] Rémin. ; Minutoli, der Feldzug, 213 ; Lombard, Lettres, 316 ; Gœthe, Camp. de France, 63-64 et 69 ; Témoin oculaire, II, 55-57 et 62 ; Laukhard, III, 141-142 et 145.
[33] Minutoli, Erinnerungen, 105-110, et der Feldzug, 198-200 ; Réflexions pour Miranda à ses juges (arch. nat., W, 271, dossier 30, p. 97) : ... il repousse avec 2.000 hommes aux villages de Morthomme et de Briquenay 6.000 hommes tant infanterie que cavalerie. Minutoli raconte un singulier épisode de cet engagement. Il était en tête de sa compagnie et s'entretenait avec un camarade lorsqu'un trompette français, le prenant pour un officier de son parti, vint lui remettre un ordre de Miranda ou de Dumouriez. Le camarade de Minutoli, étonné, répondit involontairement : Mais nous sommes Prussiens ! Le trompette tourna bride aussitôt ; Minutoli le fit poursuivre, mais il était déjà loin. Il y a et il y aura toujours à la guerre, dit le lieutenant, de semblables mystifications ; c'est ainsi qu'à la veille de Kolin, un hussard autrichien se trouvait au milieu de l'état-major de Frédéric et copiait tranquillement les ordres du roi, lorsqu'on finit par le reconnaître ; il prit la fuite et on ne put le rattraper. — Remarquons, à propos du lieutenant Gauvain, qu'il se fit tuer l'année suivante en défendant avec héroïsme contre nos troupes le Faustburg, près de Stromberg.
[34] Minutoli, der Feldzug,
210-211 ; Massenbach, Mém., I, 59, note ; Renouard, 184.
[35] C'est le 14 septembre qu'eut lieu cette échauffourée racontée par Gœthe et par le prince royal. Louis-Ferdinand, né le 18 novembre1772 et tué à Saalfeld le 10 octobre 1806, est surtout connu par sa vivacité, son tempérament passionné et ses excès. Mais il avait la plupart des qualités qui font le grand homme de guerre, et ses contemporains s'accordent à reconnaître que, sans la paix de Bâle, il fût devenu un Condé prussien. Il y avait en lui, dit von der Marwitz, quelque chose d'extraordinaire, et Clausewitz affirme qu'il aurait été un capitaine de premier ordre. Il était, en 1792, attaché au régiment de Woldeck. Voir sur lui l'étude de Paul Bailleu, publiée dans la deutsche Rundschau d'octobre et de novembre 1885.
[36] Caraman, Mém., 14 ; Rémin., 156 ; Gœthe, Camp. de France, 66-67 ; Dumouriez à Kellermann (13 septembre) : J'ai été attaqué hier sur tout mon front : l'ennemi a été repoussé partout.
[37] Arch. guerre, Dumouriez à Dillon et Dillon à Luckner, 12 septembre ; Mém. de Gobert ; Dillon, Compte rendu, 24-25 et 77-78.