Projet d'invasion en Espagne. — Impatience de l'armée. — Dugommier à Saint-Laurent de Cerdans. — Plan de Bonaparte et de Robespierre jeune pour dégarnir l'armée des Pyrénées-Orientales. — Lettre d'Albitte et plaintes de Dugommier. — Ordre de Carnot d'attaquer Roses. — Dénuement des troupes. — Pénurie de fourrages et détresse de la cavalerie. — Les représentants Delbrel et Vidal. — Energie et activité de Delbrel. — Infructueux efforts du conventionnel. — L'offensive, unique ressource. — Les fortifications de La Union. — L'armée française reconstituée. — Les bataillons de chasseurs. — Plan de Dugommier. — Bataille du 17 novembre. — Augereau. — Sa jonction avec Davin. — Déroute complète de la gauche espagnole. — Echec de Sauret. — Dugommier tué par un obus. — Le commandement confié par Delbrel à Pérignon. — La bataille interrompue, reprise le 20 novembre. — Mort de La Union. — Dugommier enseveli à Bellegarde et plus tard à Perpignan. — Hommages rendus à sa mémoire. — Sa famille.A deux reprises, pendant qu'il investissait les places du Roussillon, Dugommier avait projeté d'entrer en Catalogne. Au milieu de mai, il demandait à La Martillière si l'armée avait assez de canons et de munitions pour assiéger Figuières et il priait le général d'artillerie de disposer tous les moyens nécessaires au succès d'une invasion en territoire ennemi. En juillet, il pensait à porter à trente lieues en Espagne un corps de 20.000 hommes de toutes armes, et Lamer s'enquérait auprès de La Martillière pour savoir combien il faudrait de chevaux et de mulets pour traîner l'artillerie de siège et de campagne[1]. Les représentants semblaient caresser la même idée. Dans une circulaire qu'ils envoyaient, le 24 juillet, aux districts, Milhaud et Soubrany annonçaient que la Catalogne verrait prochainement flotter de toutes parts le drapeau tricolore. Ils mandaient au Comité que cette province était mûre pour une révolution, qu'elle accueillerait bien les républicains, et dans une lettre que Barère lut le 11 août à la Convention, ils exprimaient l'espoir qu'une action décisive, semblable à celle du Boulou, donnerait dans le mois de septembre la Catalogne aux Français[2]. L'armée attendait avec impatience le signal de marcher en avant et, selon le mot des représentants, de frapper la tyrannie jusque dans ses repaires. Lamer n'écrivait-il pas au commencement de juin qu'un ferait dans peu de jours une attaque générale ?[3] Mais les jours, les semaines s'écoulaient, et Dugommier, tout en reconnaissant qu'il avait franchi les Pyrénées, ces fameuses montagnes, marquait au Comité qu'il ne pouvait aller plus loin parce qu'il était arrêté par les besoins en tout genre d'une armée qui s'éloigne de ses ressources naturelles, qu'il se bornait à faire sévèrement le blocus de Bellegarde, et son chef d'état-major priait Augereau, Pérignon et Sauret de calmer l'ardeur des troupes, de leur démontrer pour que leur courage bouillant ne souffrit pas trop de ne pas encore combattre, que des motifs impérieux commandaient un retard dans les opérations[4]. Dugommier paraissait ne plus songer à la guerre. A la fin d'octobre et dans les premiers jours de novembre, il inspecta les camps et positions de l'aile droite. Il visita durant cette tournée le fort de Prats-de-Mollo, Coustouges, Saint-Laurent-de-Cerdans. Les redoutes qu'il avait prescrit de construire dans cette partie de la frontière étaient entièrement achevées. Il donna surtout son attention à Saint-Laurent-de-Cerdans. Pour protéger cette importante commune, son lieutenant Davin avait fait tracer une redoute à double enceinte dans une situation favorable, et Dugommier proposait d'établir en cet endroit, le seul on l'ennemi pouvait avec quelque succès tourner l'armée française, un second Bellegarde, un fort pourvu de tons les moyens de résistance et imprenable. Il enjoignit d'élargir de dix à douze pieds le chemin qui menait d'Arles à Saint-Laurent-de-Cerdans et à Prats-de-Mollo : c'était faciliter les transports de toute espèce, et si l'on objectait que cette route servirait un jour contre nous, Dugommier répondait qu'elle était dans toute sa longueur bordée de positions et de précipices qui la rendaient extrêmement aisée à défendre et qu'elle offrait aux habitants une nouvelle voie de communication qui étendrait le commerce et vivifierait tout le pays[5]. Il ne prenait donc que des mesures de défense et l'idée de l'offensive semblait bannie de son esprit. Le Comité n'envoyait aucune instruction, aucun plan. Carnot s'était fait remettre le 5 mai par le garde du dépôt des émigrés un manuscrit de la Campagne du maréchal de Noailles en 1689. Mais la Belgique, la grande opération du passage de la Sambre, la marche des armées du Nord et de la Moselle qui, selon son expression, alimentaient les journaux affamés de victoires, avaient, pendant l'été de 1794, absorbé son attention. Si le Comité jeta ses regards vers les Pyrénées-Orientales, ce fut pour déclarer la guerre à mort et pour recommander aux représentants de détruire la fonderie de Saint-Laurent-de-la-Mouga, de proclamer la République catalane et d'expédier dans les départements de l'intérieur les bêtes à cornes et surtout les béliers à laine fine qui seraient pris sur le territoire espagnol[6]. Le Comité voulait même, au fort de l'été, dégarnir l'armée des Pyrénées-Orientales ainsi que l'année précédente au mois de décembre, lorsqu'il projetait d'écraser Toulon. Les représentants aux armées des Alpes et d'Italie, Albitte, de la Porte, Saliceti, Ricord, Augustin Robespierre, entraînés par le fougueux génie de Bonaparte, méditaient alors de saisir l'offensive et de lancer en Piémont une grande armée dont les succès rapides — c'était leur mot — étonneraient l'Europe. Occuper la vallée de la Stura, pousser sur Turin et abattre, comme ils disaient, le trône sarde, envahir la Lombardie et, par les débouchés du Tyrol, attaquer l'Autriche de concert avec l'armée du Rhin, tel était leur plan. Carnot regimbait. Il désirait garder la défensive dans le Midi, et un arrêté du Comité qu'il obtint le 3 juillet, portait que l'armée d'Italie et celle des Alpes se borneraient à prendre Coni, Demont et Ceva. Encore devaient-elles assurer avec soin les communications entre Nice et Oneille et laisser du monde dans les places de la côte et principalement à Toulon. Mais Augustin Robespierre vint à Paris. Il avait en mains un projet de Bonaparte, une note sur la position politique et militaire des armées françaises de Piémont et d'Espagne. Comme Bonaparte, il opina qu'il fallait avant tout frapper l'Autriche et la frapper non en Espagne, mais en Piémont. Faire la guerre en Espagne, c'était faire une guerre séparée, une guerre absolument isolée, qui n'était point dans l'esprit général de la lutte entreprise par la Révolution. A quoi bon s'emparer de Madrid ? La nation espagnole patiente, fibre, superstitieuse, ne serait-elle pas redoutable si elle était pressée chez elle ? Et avec Bonaparte, Augustin Robespierre conseillait de tenir la défensive sur la frontière d'Espagne, d'adopter l'offensive sur la frontière du Piémont, et, par suite, de donner aux armées des Alpes et d'Italie tout ce qui deviendrait inutile à l'armée des Pyrénées, chariots et canons, cavalerie et infanterie[7]. Aidé du crédit de son frère aîné, Augustin Robespierre l'emporta, et Carnot avouait plus tard que les deux Robespierre étaient arrivés à leur but, que les instances de l'un et la tyrannie de l'autre lui avaient arraché son consentement. Le Comité résolut l'invasion de l'Italie : on tâcherait de révolutionner Gênes ou d'en tirer une grosse somme d'argent ; on entrerait non seulement en Piémont, mais en Toscane où on lèverait une contribution de vingt millions ; on prendrait quelques milliers d'hommes à l'armée des Pyrénées-Orientales comme à celle des Pyrénées-Occidentales ; Dugommier commanderait les troupes, à moins que Milhaud et Soubrany ne crussent nécessaire de le conserver sur la frontière d'Espagne[8]. Dugommier ignora sans doute qu'Augustin Robespierre lui destinait le commandement d'une armée chargée de conquérir le nord de l'Italie. Mais il sut qu'Albitte avait prié Milhaud et Soubrany d'envoyer sur les confins du Piémont 6.000 hommes de l'armée des Pyrénées-Orientales. Il s'écria sur-le-champ que les représentants devaient ajourner la motion d'Albitte, qu'on ne pouvait faire droit à cette demande, sans compromettre l'intérêt de la République, que son armée était hors d'état de fournir ces 6.000 hommes qui feraient un vide funeste à ses projets ultérieurs[9]. La journée du 9 thermidor ou 27 juillet le rassura. Carnot reprit son ascendant dans le Comité et de nouveau dicta les plans de campagne. Exécuter les desseins des Robespierre, disait-il le 13 août, c'était exposer les frontières de France, abandonner la Corse, livrer Toulon et les derrières de l'armée d'Italie à l'invasion ; c'était paralyser les armées des Pyrénées[10]. Le vainqueur du Boulou ne craignait donc plus qu'une décision du Comité vint brusquement diminuer le nombre de ses bataillons, et après la reddition de Bellegarde, Carnot lui commanda l'offensive. Dans une lettre du 25 septembre au représentant Delbrel, l'organisateur de la victoire engageait Dugommier à se concerter avec Moncey, général en chef de l'armée des Pyrénées-Occidentales, pour faire trembler le tyran de Madrid et l'obliger à prendre des mesures qui pussent indisposer le peuple contre lui. Carnot croyait qu'il serait téméraire d'attaquer la forteresse de Figuières avant d'avoir dispersé totalement l'armée espagnole ; mais il pensait que Dugommier pourrait enlever le petit port de Roses, consolider ainsi la gauche de la frontière française, et jeter la terreur jusque dans Barcelone[11]. En réalité, le dénuement de l'armée arrêtait Dugommier. Abandonnée à elle-même, et, comme disait le général, laissée en souffrance, condamnée à la nullité, cette armée semblait oubliée du Comité. La situation, écrivait Dugommier à Moncey, n'est pas brillante ; nous sommes très affaiblis, et je ne vois pas jour à rien entreprendre de saillant et d'heureux[12]. Avait-on des moyens de transport qui pourraient suivre et seconder tous les mouvements de l'armée lorsqu'elle s'enfoncerait en Catalogne ? Avait-on assez de magasins dans le Roussillon pour nourrir le soldat pendant un mois ou deux ? Avait-on assez de poudre pour assiéger Roses et Figuières, qui n'étaient pas des morceaux à baïonnettes ? Avait-on assez de troupes à cheval et qu'étaient-ce que trois régiments, intrépides et aguerris, il est vrai, mais incomplets : 1er hussards, 15e dragons, 22e chasseurs ? Cette poignée de cavaliers oserait-elle déboucher dans les plaines de l'Ampurdan et braver les escadrons espagnols ? Ses chevaux vivraient-ils encore lorsque Dugommier voudrait se porter en avant ? Dans la seconde quinzaine d'octobre et dans la première quinzaine de novembre, les fourrages firent à peu près défaut. A certains jours et trois jours de suite, les bêtes n'eurent pas de foin. Quelques-unes moururent. Beaucoup maigrissaient. à vue d'œil. Faut-il donc, demandait Mamet, chef du 22e régiment de chasseurs, qu'elles s'accoutument à ne plus manger ? Et aurons-nous la douleur de les voir périr ? Dugua lui répondait que tous les chevaux, chevaux de la cavalerie, chevaux de l'artillerie, chevaux des charrois, étaient dans une situation pareille, qu'il fallait les nourrir en ramassant de l'herbe et de la paille. Mamet répliqua qu'il n'y avait d'herbe ni de paille dans aucun endroit, que le son même manquait, qu'il serait bientôt environné de chevaux morts, qu'il aimait mieux bivouaquer à l'avant-garde une carabine an poing que d'avoir devant les yeux ce misérable spectacle qui le faisait frémir. Le 29 octobre, Dugommier ne pouvait se rendre du Boulou à Saint-Laurent-de-la-Salanque pour passer une revue, parce que ses chevaux et ceux de ses officiers n'avaient reçu que la demi-ration : il ordonna de fournir la ration complète ; les agents du Boulou la refusèrent ! Dans cette extrême pénurie de subsistances, le général, qui maudissait vainement la nonchalance impardonnable de l'administration, dut employer sur le front de l'armée une seule compagnie d'artillerie volante et laisser sur les derrières les deux autres compagnies ainsi que la cavalerie[13]. Les hommes même étaient mal nourris. Dugommier finit par craindre que l'armée ne mourût de faim. Le pays où elle vivait était épuisé. Les petites voitures à deux roues qui transportaient les munitions de bouche s'acheminaient lentement sur des routes défoncées. Des 14.000 quintaux de farine quotidiennement indispensables les troupes n'en recevaient que 10.000. Les représentants Vidal et Delbrel usèrent de vigoureux moyens pour remédier à tant de maux. Vidal, malade, ne fit que paraître à l'armée, et, s'il se rendit un jour à Lyon pour obtenir du foin et de l'avoine, s'il convoqua à Nîmes les agents nationaux des districts pour délibérer avec eux sur la disette des fourrages[14], il passa le reste de son temps à Montpellier, où il rétablissait Sa santé. Delbrel eut donc le rôle essentiel. C'était un petit homme très énergique et résolu. Avocat à Moissac et procureur de la commune, il s'était démis de ses fonctions et engagé comme volontaire. Élu par le département du Lot à la Convention, il avait voté la mort de Louis XVI, à la condition expresse de surseoir jusqu'à ce que l'Assemblée eût statué sur le sort de tous les Bourbons. Envoyé à l'armée du Nord, il avait dans la journée de Hondschoote animé Houchard de son ardeur et forcé la victoire ; durant deux heures, monté sur un cheval blanc, il avait servi de point de mire au canon ennemi et contenu par son exemple les troupes qu'il voyait prêtes à fuir. Pendant le siège de Roses, en grand costume, il était partout au fort du danger et, lorsqu'il visitait les batteries, il traversait à son pas ordinaire les endroits où la terre fumait sous les balles et la mitraille. Delbrel ne voulait pas recourir, comme Milhaud et Soubrany, à la terreur, à d'impérieux arrêtés, à de violentes réquisitions. Il aimait mieux employer ce qu'il nommait les moyens paternels de douceur et de persuasion. Dès son arrivée à Perpignan, le 13 septembre, il annonça dans une proclamation qu'il ne négligerait rien pour alléger le fardeau qui pesait sur les habitants : il gémissait de grever encore l'agriculture, mais l'intérêt et la gloire du peuple exigeaient d'indispensables sacrifices ; il fallait fournir aux armées les moyens de vaincre, et bientôt elles iraient dans les pays ennemis moissonner pour elles et pour nous. Il commença par déclarer que tout ce qui était destiné à l'armée des Pyrénées-Orientales devait lui être exclusivement réservé, que rien n'en serait distrait pour d'autres armées, et il défendit aux autorités constituées d'obéir à des ordres contraires, même donnés par des représentants[15]. Le Comité avait permis aux militaires blessés, malades ou
convalescents de se rendre dans leur famille pour se faire traiter, si leur
domicile n'était qu'à vingt lieues de l'hôpital ; mais officiers et soldats
abusèrent de cette faveur, et Dugommier écrivait au Comité que la mesure
était funeste à une armée dont les bataillons appartenaient presque tous aux
départements voisins, que c'était à qui serait
malade pour être évacué, que les officiers de santé donnaient trop
légèrement des billets d'hôpital, qu'il ne savait comment
arrêter ce torrent, qu'il y avait beaucoup de
maladies réelles, mais infiniment plus de feintes par la mauvaise volonté et
la mollesse, que tous voulaient rentrer chez
eux, les uns y trouvant quelque ressource qui les acoquinait, les autres n'y
trouvant que la misère, que la plupart, loin de hâter leur
convalescence, ne revenaient dans leur famille que pour perdre entièrement le
peu de santé qui leur restait. Delbrel invita les municipalités et les
comités de surveillance à renvoyer au camp sans nul délai tout militaire
sitôt rétabli[16]. Pour avoir de la poudre, il taxa chaque district de la division à un million de salpêtre, et il obligea la population entière à manipuler le sel vengeur. Pour avoir des souliers — l'armée, sur le terrain montagneux on elle était, en faisait une grande consommation, il envoya une proclamation aux administrations : la chaussure était un des besoins les plus impérieux des troupes dans la saison où elles entraient ; il fallait donc imprimer aux ateliers. de cordonnerie une nouvelle activité ; les Français qui demeuraient dans leurs foyers, laisseraient-ils leurs frères d'armes marcher pieds nus à la victoire ? Il enjoignit de verser aux ateliers établis dans les chefs-lieux des districts toutes les matières premières propres à la confection des souliers, et il permit d'employer le veau tourné, à défaut d'autres cuirs. Tous les cordonniers durent pendant une décade ne travailler que pour l'armée, et chaque ouvrier — non pas chaque cordonnier — eut ordre de livrer au bout de dix jours deux paires de souliers. Les souliers mêmes des citoyens furent mis en réquisition, et quiconque avait deux paires de souliers, dut donner la meilleure, qui lui fut payée après, expertise[17]. Pour avoir les chevaux nécessaires au service de l'artillerie et à celui de l'ambulance, il demanda, le 31 octobre, aux districts de la division 500 charrettes et 3.215 chevaux ou mulets ; chaque charrette serait attelée de trois colliers ; les bêtes n'auraient pas moins de quatre ans ; leur propriétaire toucherait pour le loyer quotidien 4 livres 10 sous. Mais ce qui manquait et ce qu'il fallait avoir coûte que coûte, c'étaient les grains et surtout les fourrages. Le 26 octobre, Delbrel convoquait à Narbonne les agents nationaux de cinquante districts. Il leur fit le tableau exact et navrant de la situation. Après lui, trois fonctionnaires, les agents en chef des vivres, des fourrages et des transports, expliquèrent les besoins du service dont ils étaient chargés. Delbrel conclut que la détresse de l'armée était extrême et que la patrie attendait des départements de nouveaux sacrifices : Loin de vous les commander, je vous laisse le soin de vous les imposer vous-mêmes ; vous connaissez mieux que moi ce que produisent et ce que peuvent vos districts ; réglez entre vous ce que chacun peut fournir. Les agents nationaux fixèrent la contribution de chaque district. Mais ces moyens, avoue Delbrel, furent déjoués par les circonstances, par la loi du maximum, par le défaut de numéraire, par le discrédit toujours croissant des assignats. Le représentant eut beau prendre coup sur coup, le 29 octobre, le 31 octobre et le 1er novembre, de rigoureuses mesures. Il ordonnait que les administrateurs et les agents nationaux des districts qui n'avaient pas versé dans les magasins militaires tous les grains requis, devaient livrer' le reste avant le 21 novembre, sous peine d'être poursuivis devant les tribunaux ; que 23 districts fourniraient 200.000 quintaux de grains, moitié avant le 21 décembre, moitié au 20 janvier au plus tard ; que 32 autres donneraient. 226.000 quintaux de foin et 50.000 quintaux d'avoine moitié avant le 10 décembre, moitié au 30 décembre. Il nommait une commission spéciale qui fixerait sans délai le recensement de tous les moyens de transport et de tous les grains et fourrages. Dès qu'il savait que le foin avait été, dans plusieurs districts de la Haute-Garonne, sablé par les inondations, il prescrivait de le faire incontinent manipuler avec soin pour le rendre propre à la nourriture des chevaux. Il fixait pour 27 districts le contingent des charrettes, mules, mulets, chevaux, harnais de devant et du limon destinés au service des transports entre Narbonne et le quartier général, et, pour que ce service fût exact, il établissait des relais. Jusqu'alors, et bien qu'ils eussent à différentes époques fourni, sur la réquisition des représentants, nombre de chariots et de chevaux, les agriculteurs de arrondissement n'avaient pu réunir assez d'attelages pour assurer les approvisionnements ; Delbrel décida que le service des transports serait fait de Narbonne au Boulou en cinq relais ; les chevaux auraient de la sorte infiniment moins de peine et ils se reposeraient trente six heures sur quarante-huit. Enfin, le 12 novembre, pour secouer la lenteur et l'inertie des agents nationaux, qui préféraient l'intérêt particulier à l'intérêt national et qui se regardaient, non comme les agents du gouvernement, mais comme les agents des districts et des municipalités, il arrêtait qu'ils agiraient et ordonneraient seuls, directement, sans l'intervention des autorités civiles, qu'ils seraient responsables de tout retard et de toute négligence, jugés par les tribunaux militaires, punis selon la rigueur des lois révolutionnaires[18]. Tout fut inutile. Delbrel ne put obtenir que le quart de ce qu'il désirait et n'eut jamais un approvisionnement pour deux jours d'avance. Les réquisitions qu'il fit, les achats qu'il ordonna, échouèrent parce qu'il ne payait qu'en papier. Vainement le Comité enjoignit de mettre à sa disposition des quantités considérables de grains qui seraient tirées des ports de la Méditerranée ; les magasins presque vides ne pouvaient même suffire à la consommation locale. Delbrel perdit patience. Il eut un long et sérieux entretien avec Dugommier. Pourquoi le général restait-il immobile autour de Bellegarde ? Pourquoi n'avait-il pas poussé plus avant sur le territoire espagnol ? Il n'avait pas d'approvisionnements, pas de transports ! Mais faut-il toujours suivre les règles de l'art et de la prudence ? La nécessité a ses lois, et en certaines circonstances, la prudence, c'est l'audace ; les plus sages sont quelquefois ceux qui, dans d'autres conjonctures, paraîtraient téméraires. Dugommier savait tout ce que Delbrel avait fait pour lui donner vivres, fourrages, charrois ; à forcé de soin et d'activité Delbrel avait pu fournir jusqu'alors aux besoins quotidiens du soldat ; mais aujourd'hui ses démarches étaient impuissantes, les ressources de l'armée diminuaient au lieu d'augmenter, les versements des districts ne cessaient de décroître. Il faut, conclut Delbrel, ou rentrer dans l'intérieur pour disputer le pain à nos concitoyens ou nous battre pour trouver dans la victoire les moyens de subsister[19]. Entraîné par le représentant, Dugommier convint que l'offensive s'imposait prompte, immédiate. Il avait réduit le soldat d'abord aux deux tiers, puis à la moitié de la ration ; il avait épuisé les magasins, et les places fortes. Bellegarde, Collioure qui devaient être approvisionnées pour six mois, n'avaient plus de vivres que pour trois jours. Quelle détresse désespérante ! Oui, Delbrel avait raison. L'armée ne resterait plus tapie dans les montagnes ! Il fallait s'arracher à cette misère par un coup de vigueur ! Il fallait aller de l'avant, emporter les postes de l'ennemi, le poursuivre dans les plaines de l'Ampurdan ! Les Français n'avaient pas de magasins derrière eux ; ils prendraient ceux que l'Espagnol avait formés devant eux. Une bataille leur livrerait ce que les efforts du représentant n'avaient pu leur donner ! Ils ne pouvaient mieux dévier l'adversaire qu'en l'attaquant eux-mêmes ! Le 11 novembre, Dugommier prescrivait à son chef d'état-major Lamer d'obtenir à tout prix des magasins de Port-Vendres assez de foin et d'avoine pour nourrir pendant trois ou quatre jours, du 15 au 19, les chevaux de la cavalerie et de l'artillerie volante, et le 15, le fourrage arrivait au camp. Davin proposait alors de petites opérations ; pas d'incursions particulières, répondit Dugommier, elles doivent tomber devant un mouvement majeur qui offre plus d'avantage[20]. La grande route de Figuières à Bellegarde divise la contrée en deux parties qui contrastent l'une avec l'autre à l'ouest, des gorges profondes et des montagnes hautes, énormes, terminées par de larges plateaux ; à l'est, des collines peu saillantes et des vallées aux pentes douces. La Union aurait dû concentrer ses forces dans la région montagneuse tout en les appuyant à Figuières, et c'est ce qu'il fit d'abord quand il s'établit après le désastre du Zef mai sous les murs de la ville et s'étendit sur les plateaux de l'ouest en construisant des ouvrages qui battaient, les uns, la route de Figuières, les autres, les rives de la Mouga. Mais, lorsque la gauche française ou division Sauret vint à la fin de juin camper autour de Cantallops, La Union, qui jusqu'alors s'était contenté d'occuper Espolla, crut utile de consolider sa droite. Il mit la moitié de son armée à l'est du grand chemin. Puis, enhardi par l'heureux combat du Llobregat, par la résistance prolongée de Bellegarde et par les secours qu'il reçut, il passa insensiblement de la défensive à l'offensive, à une offensive singulière, qui consistait à opposer aux Français non pas des poitrines, non pas la force active et vivante d'une armée qui tient la campagne et combat résolument, mais la force passive et inerte d'une armée qui se terre, mais une barrière de pierres et de canons. Et sans doute, il voulait par là encourager, ranimer ses bataillons hésitants et timides, en leur donnant une protection et comme un refuge derrière des retranchements ; il voulait les mettre à l'abri de la panique, les raffermir par l'aspect d'un vaste déploiement de fortifications, et s'il édifia ce front menaçant, ce spacieux assemblage de redans et de batteries qui reçut le nom de lignes de Figuières, ce fut peut-être moins pour lutter contre l'ennemi que pour rassurer ses propres troupes. C'est à coups de canon, répétait-il, que je chasserai les Français, et il avançait vers l'armée française comme l'assiégeant vers une ville, élevant des redoutes et plaçant des pièces d'artillerie sur tous les points saillants, dressant de hauteur en hauteur des ouvrages pourvus d'escarpes en murs de pierres sèches, de fossés, de palissades, d'abatis, de chausse-trappes, de trous de loup, de mines. Il comptait, par ce système de travaux d'attaque, resserrer peu A peu les Français, les refouler, les rejeter au-delà des monts. Ce fut au lendemain de l'affaire du Llobregat qu'il conçut ce plan. Il avait alors entrepris nombre d'ouvrages, de Figuières à Pont-des-Moulins et de Vilarnadal à Espolla. Convaincu qu'ils avaient arrêté l'adversaire, il résolut de cheminer ainsi jusqu'au pied des Pyrénées. Une enceinte retranchée près du village de Vinyonnet, au confluent du Manol et de la gorge de Terradas, le camp de Llers et une série d'autres ouvrages qui prenaient la route en écharpe, formaient déjà sa communication en arrière. Il se mit à construire sa première parallèle. Le centre était à Pont-des-Moulins, et de là à droite et à gauche, rayonnaient deux lignes d'ouvrages : à droite, Vilarnadal, Massarach, Mollet, Rebos et Espolla ; à gauche, Roure, Escaulas et Boadella. Mais le petit village de Pont-des-Moulins, dominé à l'ouest, ne peut faire une longue défense ; La Union prit pour réduit le plateau de Roure qui commande tous les environs jusqu'aux rives de la Mouga, et il le fortifia très soigneusement : ses soldats nommaient la redoute de Roure une citadelle et disaient que dans cette citadelle ils n'avaient d'autre crainte que celle de Dieu. Vint la deuxième parallèle. Elle devait avoir pour centre la Montagne Noire, en face de Roure, et appuyer sa gauche à Darnius, sa droite à Vilaortoli et à Espolla. Mais La Union, qui n'avançait que pied à pied, ne voulait pas encore se saisir de la Montagne Noire, et il ne pouvait l'aborder par le revers méridional, le seul inaccessible. Il remonta le long de la route jusqu'au village de Capmany et fit des redoutes de Capmany à Espolla par Vilaortoli ; il avait de la sorte établi la branche droite de la deuxième parallèle. Pour tracer la branche gauche, il essaya de chasser Augereau de Saint-Laurent-de-la-Mouga ; il échoua, et si complètement que son échec détermina le général français à s'installer solidement à Darnius, sur la ligne même que le général espagnol projetait d'occuper. Toutefois, afin de tenir Darnius, Augereau avait lâché Saint-Laurent. Sur quoi, La Union se posta à Saint-Laurent, et sa première parallèle se prolongea désormais jusqu'à la haute Mouga et au massif de la Magdelaine. La Montagne Noire lui manquait, cette Montagne Noire qu'il avait dépassée, qu'il pouvait prendre depuis longtemps, et qui entrait comme un coin dans la ligne espagnole. Il renonça ou sembla renoncer à la Montagne Noire, et lorsqu'eut lieu le choc suprême, il ne pensait plus qu'à renforcer sa droite, de Capmany à Espolla, qu'à pousser en avant d'Espolla où ses deux parallèles devaient se rencontrer, une suite nouvelle d'ouvrages ; au retour d'une reconnaissance, Sauret rapportait au quartier général que La Union construisait quatre redoutes en avant de Saint-Clément. Quoi qu'il en soit, si vicieux, si étrange, si ridicule que fût cet amas de fortifications — il y en avait, dit-un, 97 — il offrait de sérieux obstacles ; il était garni de 2.50 canons et défendu par 16.000 hommes, dont 36.000 cri première ligne : Courten, de Saint-Laurent à Escaulas avec 10.000 hommes ; Las Amarillas, de Capmany à Vilarnadal avec 23.000 hommes ; Santa-Clara, de Vilaortoli à la mer avec 13.000 hommes[21]. Dugommier, qui laissait 12.500 hommes en seconde ligne, avait sous la main 24.200 combattants : 9.000 à la division de droite, commandée par Augereau et composée des trois brigades Davin, Duphot et Beaufort[22] ; 4.200 à la division de gauche commandée par Sauret et composée des trois brigades Guillot, Catisse et Motte ; 2.300 conduits pour Victor qui devait, du col de Banyuls. appuyer la gauche de Sauret ; 8.700 sous les ordres de Pérignon dont la division s'était rangée autour de la Montagne Noire, la brigade Banel sur la croupe orientale, la brigade Martin en potence sur Banel le long de la route, la brigade Bougé en arrière dans le vallon de l'Invincible avec l'artillerie volante et la cavalerie. Le général en chef avait usé de tous les moyens pour augmenter son armée. Il avait appelé à lui dès la fin de mai 6.000 hommes ou dix bataillons de sa seconde ligne. Il avait affaibli la division de Cerdagne : l'hiver, disait-il, protégeait suffisamment Puycerda, et durant cette saison aucun mouvement n'était à craindre ; il avait donc pris à Charlet 3.000 hommes en lui recommandant d'organiser les gardes nationales et de leur confier comme l'année précédente la défense des postes lorsque les bataillons aguerris se porteraient en avant[23]. Il avait comblé les vides des bataillons en incorporant pendant les mois de juin, de juillet, d'août, de septembre, les recrues des camps d'instruction[24]. Comme naguère, il avait divisé son armée en deux quantités
: l'une, sûre, solide, éprouvée, composée des hommes d'élite, des hommes les
plus robustes et les mieux exercés, qui devaient aller de l'avant ; l'autre
qui resterait en arrière pour faire respecter et
favoriser une retraite. Sur toutes les troupes qu'ils commandaient et
qu'ils passèrent en revue, ses lieutenants avaient eu ordre de prélever le disponible, la force
active la plus nombreuse possible qu'ils en pourraient extraire pour le
succès d'une expédition, d'une marche aventureuse, d'un coup de main.
Dès le 20 août, il avait prescrit la réorganisation des bataillons de
chasseurs, qui seraient désormais au nombre de douze. Chacune des trois
divisions de l'armée aurait quatre de ces bataillons. Chaque bataillon
comprendrait 500 hommes. On choisirait les gens les plus propres à ce genre
d'opérations, tous ceux qui ne craignaient pas la cavalerie et qui savaient
l'attendre la baïonnette au poing, et cette fois ou les prendrait, non plus
par proportion égale dans les compagnies, niais comme on voudrait, et les
généraux auraient la faculté de tirer des bataillons soit des parties de
compagnies, soit. des compagnies entières. Ces 6.000 chasseurs devaient
principalement soutenir l'artillerie volante et servir d'avant-garde. Ils
n'emporteraient rien qui plot les embarrasser, pas même de tentes, et
n'auraient que des gibernes bien approvisionnées, leurs bidons, leurs
marmites et leurs sacs. Ils seraient attachés à la division et suivraient
toujours sa destinée : Dugommier avait craint, en les faisant agir à part,
d'éveiller l'inquiétude de ses divisionnaires, qui se seraient plaints de
cette diminution de forces ; mais il eut soin de les avertir que dans une
circonstance extraordinaire toute la masse des chasseurs pourrait être réunie
sous l'autorité unique d'un général de division. Ceux qui formaient
l'avant-garde d'Augereau étaient appuyés par un détachement de 50 sapeurs et
commandés par le général Guillaume, le même qui, l'année précédente,
conduisait l'avant-garde de l'armée de la Moselle ; arrêté après l'échec de
Pirmasens, il venait d'être réintégré et envoyé aux Pyrénées-Orientales, où
Pérignon et Dugua louèrent ses talents et son activité ; il joint, disait
Augereau, à une longue expérience la bravoure et le zèle[25]. L'armée était donc, au commencement de novembre, entièrement reconstituée, de même qu'au début de la campagne[26]. Les troupes de troisième ligne s'instruisaient dans les dépôts. Celles de deuxième ligne composaient une petite armée d'observation très propre à protéger les convois, à fermer les passages des cols, à défendre les postes essentiels suries derrières. Celles de première ligne, infanterie et infanterie légère, pouvaient passer pour l'élite de l'armée. L'infanterie comptait 16.000 hommes. L'infanterie légère, c'étaient les 6.000 Masseurs, dispos, résolus, toujours prêts. à défier le danger et à frayer le chemin aux camarades. Il y avait, comme on sait, Peu de cavalerie, et Dugommier avait même écrit, le 4 septembre, au Comité ces lignes navrantes : Plus nous allons, moins j'ai d'espoir de réunir notre cavalerie à nos autres armes. La quantité des recrues et leur inexpérience, le petit nombre des chevaux et leur qualité médiocre, la difficulté de transporter au loin la subsistance, tout cela avait déterminé Dugommier à n'emmener que 1.800 cavaliers. C'étaient toutefois les meilleurs ; Dugua, sur l'ordre de Dugommier, les avait choisis avec soin, et ils avaient un excellent soutien dans les chasseurs et les trois compagnies d'artillerie volante. Le général en chef était très content de cette artillerie ; il la trouvait parfaitement tenue, et il louait la régularité de ses manœuvres ainsi que le zèle et l'habileté de ses officiers : elle est remplie de braves, disait Pérignon quelques jours plus tard, qui ont fait merveille[27]. Que ferait Dugommier ? Allait-il tourner la ligne espagnole ou l'attaquer de front ? Mais pouvait-il tourner la droite des ennemis appuyée à la mer et défendue par le massif du cap Creil, par les forts de Roses, par les marécages de l'Ampurdan ? Pouvait-il, pour tourner leur gauche, s'engager dans la lointaine vallée du Ter, s'enfoncer dans les montagnes où le Manol prend sa source et où l'adversaire occupait d'inexpugnables positions ? Pouvait-il, d'autre part, attaquer soit le centre où les redoutes et batteries de Roure, de Llers et de Pont-des-Moulins présentaient les plus grandes difficultés, soit les retranchements de la droite presque aussi formidables et dont la prise n'aurait pas un résultat décisif, puisqu'il faudrait quand même se porter, par un changement de front, contre le centre ? Et dans ces efforts contre la droite et le centre, que de temps serait dépensé, que de sang répandu ! Après mûre réflexion, Dugommier décida d'assaillir la gauche des Espagnols à la Magdelaine. Il savait que La Union l'avait dégarnie à cause des aspérités du terrain. Sur cette gauche affaiblie il lancerait sa droite qu'il venait de renforcer ; elle connaissait parfaitement les lieux ; elle était brave, ardente, tenace, et Augereau la commandait. Dès le 11 novembre, l'impétueux général assurait à Dugommier qu'il serait prêt, qu'il avait 25 brancards, que 80 mulets marcheraient à la suite de ses colonnes et que l'ambulance de Darnius pourrait donner les premiers soins à 150 blessés. Sûrement Augereau enlèverait la Magdelaine, et, la Magdelaine tombant, tout l'ensemble des fortifications tombait avec elle ; si les Espagnols perdaient leurs positions de gauche, ils devaient lâcher celles du centre et de la droite[28]. Dugommier ne se contenta pas de cette attaque essentielle ; il voulut en même temps percer ou du moins entamer la droite de l'adversaire. Sauret eut ordre de se porter contre elle avec les trois brigades qui formaient la division de gauche ; il serait, au besoin, secondé par Pérignon, qui demeurait en réserve à la Montagne Noire, par la cavalerie de Dugua, par l'artillerie volante. Le centre, toutefois, resterait stationnaire jusqu'à ce que les succès de la droite et de la gauche lui ouvrissent le passage, et, en attendant, il détacherait des tirailleurs qui harcèleraient l'ennemi et soulageraient d'autant les deux ailes. La bataille se livra le 17 novembre. Augereau, résolu, fier du rôle qu'il jouait, convaincu qu'il déciderait le gain de la journée et qu'il enlèverait, comme il disait, les camps espagnols, sûr que ses soldats le suivraient partout jusque dans les chemins les plus périlleux, au milieu des rochers et des précipices, Augereau attaquait Courten comme Courten l'avait attaqué le 13 août, et il allait rentrer chez lui, ressaisir les positions qu'il avait alors défendues avec une si belle obstination, la Fonderie, Saint-Laurent, la Magdelaine, les hauteurs de Terradas. Mais si, le 13 août, Augereau faisait face à l'est, Courten, le 17 novembre, faisait face au nord. Son avant-garde, établie sur la rive gauche du ruisseau de la Fonderie, observait le chemin de Darnius. Une grande redoute, la redoute de la Fila, élevée sur la rive droite de la Mouga, servait à la Fonderie de soutien et d'appui ; elle avait une garnison de 1.500 hommes, dont les 300 émigrés de la légion du Vallespir. 800 miquelets tenaient le village de Saint-Laurent. Une suite de retranchements, de redoutes, de batteries couvrait tout le revers septentrional de la Magdelaine, le col de la Salué et les hauteurs de Terradas, ou le Roc-Blanc entre Escaulas et la Guardia. Augereau emmenait avec lui, dans son expédition, 5.000 hommes de sa propre division. 1.200 de celle du centre devaient le rejoindre. Mais ils s'attardèrent. Il les attendit quelque temps ; puis, saisi d'impatience, il partit. Je fais filer ma division, écrivait-il à Dugommier, et, malgré ce retard, ça ira ! Il avait divisé son monde en quatre colonnes. La première, composée de 2.000 chasseurs et conduite par Bon, formait l'avant-garde. Elle était suivie de trois autres, commandées par Beaufort, Duphot et Guieu. La brigade Davin, qui comptait 2.200 hommes campés à Saint-Laurent-de-Cerdans et à Coustouges, avait eu ordre de descendre à quatre heures du soir vers Saint-Laurent-de-la-Mouga et, après avoir tourné le village, de déboucher dans les gorges de Terradas à sept heures du matin. A minuit, Augereau se met en marche. Pour éviter l'avant-garde espagnole qui surveille le chemin de Darnius, il fait un grand détour à droite comme s'il se dirigeait sur Massanet ; il s'engage dans des sentiers affreux et presque inaccessibles ; il remonte le Ricardell ; il passe ce torrent au pont de San-Estevan ; il chemine jusqu'à la hauteur de la Fonderie ; puis, brusquement, il se rabat à gauche vers la Mouga. Le pont de Saint-Sébastien était gardé par un faible détachement ; les éclaireurs français approchent à la sourdine ; ils répondent en espagnol à la sentinelle, ils l'égorgent et tout le piquet avec elle. Les colonnes franchissent la Mouga et pendant que Guieu s'arrête devant la redoute de la Fita, Bon, Duphot et Beaufort atteignent à cinq heures du matin la pente méridionale de la Magdelaine. Ils ont tourné le revers septentrional couronné de postes et de canons ; ils sont sur les derrières de l'ennemi, et aussitôt, malgré, la fatigue, sans reprendre haleine, et dans le même silence, ils gravissent l'escarpement, 700 mètres environ. L'aube parait. On les voit, on tire sur eux à boulets et à balles ; mais ils grimpent toujours, arrivent à la chapelle de la Magdelaine ; escalader la position et l'emporter n'a fait qu'un pour eux. Il est sept heures du matin, et à cet instant, comme par miracle, avec une exactitude et une précision qui se rencontrent très rarement à la guerre, Davin débouche dans la gorge de Terradas. Il a marché durant quatorze heures ; il a forcé le poste de Notre-Dame-del-Fau, le petit camp de Carbonils, la redoute de la chapelle Saint-Georges ; il a pris 4 pièces de canon ; il a passé, selon son instruction, à gauche de Saint-Laurent-de-la-Mouga, et il est à l'heure convenue au rendez-vous. Ses braves soldats, disait Augereau, ont montré autant d'intrépidité que de constance et de dévouement. Incontinent Augereau commande à Davin de s'établir dans la gorge de Terradas pour couper aux Espagnols le chemin de Figuières et de s'étendre par sa gauche sur le revers méridional du Roc-Blanc pour menacer leur flanc et leurs derrières. Pendant ce temps, lui, Augereau les attaquera de front avec les trois colonnes qui se sont saisies du plateau de la Magdelaine. Cette fois encore, le mouvement combiné réussit. Courten, qui ne pouvait plus tenir au col de la Salud après la prise de la Magdelaine, avait reculé sur le Roc-Blanc au-dessus de Boadella. Poussé en tête par les chasseurs de Bon, déborde à gauche par Davin, il se replia sur Escaulas. Restait la redoute de la Fila, jusqu'alors observée par .Guieu. Ce général, qui n'avait (l'autre mission que de partager l'attention de l'ennemi, s'était acquitté de cette tâche avec intelligence ; il avait très bien utilisé le peu de monde dont il disposait, envoyé des tirailleurs en avant, ménagé le feu de son artillerie. Mais lorsque Augereau n'eut plus rien craindre, il dépêcha la brigade Beaufort et 200 chasseurs au secours de Guieu. Après une lutte opiniâtre, les Espagnols et les émigrés de la légion du Vallespir, attaqués de tous côtés, en avant par une partie des troupes de Beaufort, sur les flancs par la brigade Guieu, sur les derrières par les 200 chasseurs, durent céder. Les uns périrent sous les baïonnettes des républicains qui se jetaient au pas de charge dans la redoute ; les autres furent faits prisonniers. Courten recula sur Llers. Il abandonnait 2 drapeaux portugais, 28 bouches à feu, 1.500 fusils, 200 caisses de cartouches, des tentes et des bagages pour 10.000 hommes, et il laissait entre les mains des Français près de 1.200 des siens. Augereau, qui n'avait pas 100 hommes hors de combat. le fit poursuivre par ses chasseurs, qui s'avancèrent jusqu'à portée de mitraille de Notre-Dame-de-Roure. Allait-il, dans l'élan du succès, enlever le fameux plateau, la citadelle où les Espagnols se vantaient de ne craindre que Dieu ? Il y .comptait bien. Dans un dernier billet à Dugommier, il écrivait qu'après avoir enlevé le Roc-Blanc, où il trouverait sûrement quelque résistance, il tomberait sur Notre-Dame-de-Roure. Mais les troupes qui s'étaient saisies de la redoute de la Fita, ne l'avaient pas suivi. Il établit son avant-garde à la gauche du Roc-Blanc et, remarquant que le mouvement général était interrompu, il réunit sa division et fit halte. Peu importait. A dix heures du matin, la gauche des ennemis était en une déroute complète, et Delbrel déclarait qu'on ne pouvait diriger une expédition avec plus d'intelligence et plus d'audace, qu'Augereau avait exécuté tout ce qu'il avait promis et tout ce que Dugommier lui avait ordonné. Sauret n'avait pas eu le même succès. Selon les instructions de Dugommier, pendant que S00 chasseurs aux ordres du chef de bataillon Lanusse masquaient les redoutes de Capmany, ses trois brigades, Guillot à droite, Causse au centre, et Motte à gauche, marchaient sur Vilaortoli. L'entreprise était hardie, puisqu'il abordait de front avec 4.200 hommes une première ligne de redoutes gardée par 10.000 combattants. Il n'avait pas assez de monde pour vaincre tant d'obstacles ni pour parcourir une telle étendue de terrain. Au moins devait-il attaquer plus tôt et profiter de l'obscurité pour s'emparer des ouvrages avant le jour. Ses chasseurs s'amusèrent à tirailler pendant deux heures contre les avant-postes espagnols. La mauvaise chance se joignit aux maladresses. La brigade Guillot s'égara dans les ravins et les défilés qui sillonnent le pays. Sauret l'attendit vainement. Enfin, lorsque l'aube parut, après avoir donné le temps aux ennemis de préparer une vigoureuse résistance, il lança les colonnes Causse et Motte contre la grande redoute de Capmany. Les Français s'avancèrent intrépidement jusqu'aux palissades. Mais un feu très violent d'artillerie et de mousqueterie, et, comme dit un témoin, un feu d'enfer qui partait de tous côtés, enleva des files entières. L'adjudant-général Cazabonne, qui s'était mis au premier rang des tirailleurs, fut blessé à l'épaule. Il fallut reculer. La cavalerie espagnole, aux cris de Vittoria, se jeta sur la queue des colonnes pour les charger. Fille fut rudement reçue. Les républicains coururent à elle et, après l'avoir refoulée jusque sous la mitraille des redoutes, reprirent leur mouvement de retraite avec plus d'ordre et d'ensemble qu'auparavant. Pérignon leur envoya des renforts, d'abord la brigade Banel — dont les grenadiers entrèrent dans un retranchement et enclouèrent un canon qu'ils ne purent emmener — puis les tirailleurs des brigades Martin et Bougé. L'affaire parut se renouveler, tant le feu des Français devint vif et puissant. Mais le vicomte de Gand, qui tenait les redoutes au nord de Capmany, s'était dirigé sur Cantallops, et tout. près de Cantallops était le camp de Sainte-Lucie où ne restaient que 900 hommes. Craignant d'être coupé, tourné sur ses derrières, Sauret précipita sa marche rétrograde et dépêcha deux bataillons chargés de défendre son propre camp. Il allait être devancé, et déjà le vicomte de Gand entamait Cantallops, quand le bruit du canon et de la fusillade retentit du côté d'Espolla sur la gauche. C'était Victor qui venait du col de Banyuls et emportait deux redoutes en avant d'Espolla. Le vicomte de Gand, déconcerté par cette diversion et apprenant au même instant par un billet de La Union que la gauche espagnole était perdue, se replia sur Vilaortoli[29]. Dugommier, parti de son quartier d'Agullana, le 16 novembre après le souper, avait, ainsi que Delbrel, passé la nuit sous un roc non loin de Darnius, dans une grotte très profonde où logeait le général Guillaume. A quatre heures du matin, il se rendait a la Montagne Noire et se plaçait avec Delbrel à l'extrémité orientale du sommet, sur la hauteur la plus élevée, pour mieux suivre du regard les mouvements de son aile gauche et diriger la division Pérignon, sa division de réserve, qu'il avait sous la main. Toutefois, si ce point culminant était un excellent observatoire, il offrait de grands dangers. On venait d'armer dans la nuit même le poste de Mont-Roig et deux épaulements dressés sur la crête : Mont-Roig avait reçu deux obusiers de 8 pouces, et chaque -épaulement, quatre pièces de canon. Sitôt qu'ils virent ces préparatifs. les Espagnols tirèrent sur la Montagne Noire. Leur artillerie était bien postée, bien servie, et faisait un feu très violent. Mais celle de leurs batteries qui molestait le plus les travailleurs français, c'était une batterie construite depuis quatre jours avec des sacs à terre en avant de la redoute dite de Passamilliaus. Augereau la craignait, et il avait fait remarquer à Dugommier qu'elle pouvait battre Mont-Roig de bas en haut. Cette batterie couvrit la crête de la Montagne Noire de boulets et d'obus. Plus de 200 projectiles tombèrent autour de Dugommier et de Delbrel, et 5 ou 6 éclatèrent à leurs pieds. Depuis le commencement de la journée, près d'une des deux batteries qui répondaient tant bien que mal aux ennemis, Dugommier cherchait à deviner au milieu des nuages de fumée le sort de son aile gauche, et il venait d'ordonner à Pérignon d'envoyer une brigade au secours de la division Sauret. A sept heures et demie, il se retira pour déjeuner sur le revers intérieur du piton dans un petit enclos derrière un mur de pierres sèches. Il avait à côté de lui le chef de bataillon du génie Villemontès, plusieurs officiers de son état-major, ses deux fils Dangemont et Chevrigny, Boyer, Puget, Feuillant, secrétaire de Delbrel, et le nègre Patoche, son fidèle serviteur et compagnon de tous ses dangers. Delbrel, resté à la batterie, à cent pas en avant, s'occupait à manier et à pointer une pièce de canon. Soudain, au bout d'un quart d'heure, un obus, parti de Passamilliaus, vint, après avoir ricoché sur la crête par dessus la batterie, tuer Villemontès et Dugommier. Le général, atteint en pleine poitrine, tomba mort, sans proférer une parole. De même que plusieurs de nos généraux en chef, de même que Gaston de Foix, que Turenne et Berwick, de même, que deux de ses lieutenants, La Barre et Mirabel, il mourait sur le champ de bataille et, comme on dit, au champ d'honneur. La consternation de ceux qui l'entouraient fut extrême. Patoche s'était évanoui de douleur sur le corps de son maitre. Dangemont et Chevrigny pleuraient leur père. Les officiers se lamentaient, se demandaient ce que l'armée allait devenir[30]. Feuillant avait annoncé la nouvelle a Delbrel. Le représentant arriva. Il dit aux officiers que l'armée, que la République faisait une grande perte ; que les troupes après Faction rendraient au général les honneurs qui lui étaient dus ; qu'elles pourraient alors laisser un libre cours à l'expression de leurs regrets ; mais qu'en ce moment où la bataille n'était pas encore gagnée, elles ne devaient penser qu'a, la patrie, et que servir la patrie, c'était venger Dugommier. Tous les témoins de cette scène crièrent : Vive la République. L'instant semblait critique. Delbrel n'ignorait pas que la droite avait triomphé et que la gauche était refoulée, poursuivie il fallait donc conserver à l'une ses avantages et porter à l'autre une prompte assistance ; il fallait donner à l'armée un général qui sût, tandis qu'Augereau poussait sa pointe, rétablir le combat à l'endroit où Sauret fléchissait. Quel serait ce général ? Le nom d'Augereau vint d'abord à l'esprit du conventionnel. Augereau était intrépide, superbement audacieux, bien fait pour commander en chef, et les soldats de sa division, les plus braves de la République, avaient en lui une confiance entière. Il connaissait les projets de Dugommier, son intime ami, et il saurait évidemment les développer, les mener à bonne fin. N'avait-il pas, le matin même, enlevé tous les postes espagnols ? Dans un élan d'admiration et de gratitude, Delbrel résolut de déférer le commandement à Augereau. Mais il jeta ses regards sur la gauche française si gravement compromise, et d'autres idées se présentèrent à lui. Augereau était loin, à plus d'une lieue sur la droite, et il faudrait plus d'une heure pour qu'il fût averti, plus de deux heures pour que les ordres qu'il enverrait fussent exécutés, plus de trois heures pour que la gauche reçût le moindre secours. Que les Espagnols, songeait Delbrel, profitent de leurs succès ; qu'ils pourchassent vigoureusement les brigades de Sauret, et en moins d'une heure ils peuvent fondre sur La Jonquère, tourner l'armée, lui couper son unique voie de retraite, la mettre dans une position aussi périlleuse que celle où ils étaient eux-mêmes, le 30 avril et le ter mai, au Boulou ! Cette réflexion fut pour Delbrel un trait de lumière. Elle fixa son choix. Non, Augereau n'aurait pas le commandement. Le général en chef, ce serait Pérignon. Sans doute, il ne vivait pas avec Dugommier en très bonne intelligence, et il ne savait de ses plans que l'indispensable[31]. Mais, s'il n'avait pas l'ardente initiative d'Augereau et sa brillante témérité, il avait, selon le bruit public, plus d'expérience et plus d'instruction. Surtout il était au centre avec des troupes fraîches et pouvait, mieux qu'Augereau, diriger les opérations de l'armée entière, mouvoir l'ensemble, aider la gauche et la dégager. A la vérité, si Delbrel avait pu, il n'aurait choisi ni Pérignon ni Augereau, car les deux hommes n'étaient pas d'accord ; il les eut laissés chacun dans leur grade et à la tête de leur division en faisant venir d'une autre armée le généralissime. Toutefois, se disait-il, cette désunion ne nuirait peut-être pas au succès ; Augereau chercherait à compléter sa victoire, et Pérignon ferait tout son possible pour réussir dans une entreprise dont il était responsable. Et ce fut ce qui advint. Delbrel demanda du papier, une plume et, assis à côté du corps de Dugommier, il écrivit sur ses genoux les lignes suivantes, tout en les lisant à son entourage : Nous, représentant du peuple près l'armée des Pyrénées-Orientales, donnons provisoirement au général Pérignon le commandement en chef de l'armée à la place de Dugommier. Dugommier est mort. Courage, républicains ! Nous avons le général à venger, la République à servir. Le général est mort ; vive la République ! L'adjudant-général Boyer porta ce billet en toute hâte à Pérignon, et il ajouta de vive voix qu'il fallait soutenir la division Sauret. Un moment après, Delbrel quittait la Montagne Noire pour se rendre à la gauche de l'armée. Il n'attendit pas ses chevaux, qu'il avait laissés au bas du revers septentrional ; il descendit à pied par le revers oriental et marcha vers Capmany, longtemps et non sans fatigue. Lorsqu'il arriva, Pérignon avait secouru Sauret pour faciliter la retraite de la gauche et par respect pour l'ordre de Dugommier, si digne de ses regrets. Néanmoins Pérignon n'était pas d'avis de réitérer l'attaque et de s'acharner contre des redoutes dont le feu convergent était très meurtrier et dont la prise ne décidait rien. Il fit rentrer le centre et la gauche dans leurs lignes. Quant à Augereau, il était trop loin du reste de l'armée pour que Pérignon pût concerter avec lui de nouveaux efforts. Il eut ordre de s'arrêter, et il sentait la nécessité de s'arrêter. Toutefois, lorsque Pérignon le pria d'envoyer des troupes à Mont-Roig, il répondit que Mont-Roig était, en effet, un point important où il fallait laisser une force respectable, mais qu'il n'avait pas trop de monde, qu'il occupait d'ailleurs la Fonderie, la Magdelaine, le Roc-Blanc, et que ces positions, formant potence, couvraient Mont-Roig[32]. La bataille du 17 novembre, où succomba Dugommier, était donc, malgré l'échec de Sauret, favorable aux Français. Augereau avait fait pencher la balance ; il avait enfoncé la gauche des Espagnols et, par là pris à revers le gigantesque ensemble de leurs fortifications. Trois jours plus tard, le 20 novembre, sous le commandement supérieur de Pérignon, il emportait les positions du centre à Notre-Dame-de-Roure et à Pont-des-Moulins, pendant que Saura et Victor enlevaient celles de gauche à Vilaortoli et à Espolla, et le 28, Figuières, que Dugommier regardait comme la plus forte place de l'Espagne, tombait aux mains des républicains. La Union était mort dans la bataille du 20 novembre, non pas désespéré de sa défaite, comme on l'a dit, mais valeureux jusqu'au bout et encore animé du désir de résister. Il se trouvait dans la redoute de Roure lorsqu'elle fut prise : il sortit le dernier en ordonnant à ses soldats d'aller avec lui au secours de Pont-des-Moulins. A l'entrée du sentier qui descend de Ruine vers Pont-des-Moulins, il mit pied à terre. Ce fut là qu'il périt, frappé de deux balles. Les républicains arrivèrent quelques instants après : il gisait sur le sol et serrait dans une de ses mains un crucifix. On a prétendu qu'un des vaincus de Mont-Roig, auxquels il avait infligé deux mois auparavant une punition dégradante, profita du désarroi de la retraite pour lui tirer un coup de fusil. La preuve manque. Quoi qu'il en soit, le général avait été délaissé par son escorte, et son armée ignorait ce qu'il était devenu. Las Amarillas, obligé de se charger du commandement, écrivit le soir à Pérignon, qui répondit que La Union était mort, percé de deux balles, près de la redoute de Roure : Il a, ajoutait Pérignon, non sans cruauté, il a succombé en remplissant, comme toujours, les devoirs d'un bon général, tandis que vous et vos troupes preniez la fuite ainsi que vous faites en toute occasion. Un parlementaire vint réclamer le corps du général. Mais Pérignon, Augereau, Delbrel se rappelaient que les Espagnols avaient profané le tombeau de Mirabel et mutilé son cadavre. Pérignon refusa de rendre-la dépouille de La Union. Qu'avez-vous fait, disait Delbrel, des restes de Mirabel ? Pourtant, au bout de plusieurs jours, le corps de La Union fut remis à son père, le duc de San Carlos[33]. Ainsi, dans cette bataille de la Montagne-Noire ou,
comme-on la nomme, des lignes de Figuières, les deux généraux en chef avaient
péri. Pareillement, le 13 septembre 1759, Montcalm et Wolfe tombaient en même
temps devant Québec. Dugommier, s'écriait en
1798 un ancien officier de l'armée des Pyrénées-Orientales, rendit son dernier soupir dans les bras de la victoire,
tandis qu'a très peu d'intervalle son fier rival expirait dans le sein de la
défaite, emportant avec lui la certitude de l'entière destruction et de la
honte de son armée ![34] Delbrel avait ordonné que Dugommier serait enseveli à Bellegarde. Le 19 novembre, à onze heures du matin, en présence de plusieurs officiers, le glorieux mort fut enterré au pied de l'arbre de la Liberté dans un bastion de cette forteresse qu'il avait rendue intacte à son pays. Quelques jours plus tard, le 28 novembre, le général Despinoy paraissait à la barre de la Convention et priait l'Assemblée d'élever un monument dans le fort de Bellegarde à celui qu'il nommait un héros et un sage. Quel Panthéon, disait-il, est plus fait pour sa cendre que cette enceinte ? Avec quel saint respect s'approcheront ses frères d'armes de la tombe qui renfermera leur chef et leur ami ? Avec quel sentiment ils iront jurer sur son urne de l'imiter, de le venger ! Milhaud appuya la proposition de Despinoy : L'ombre de Dugommier planera sur la montagne voisine de Bellegarde ; elle excitera nos soldats à ne jamais rétrograder ; ils se souviendront que son dessein était de porter son camp, cet hiver, sous les murs de Barcelone, qu'une seule bombe jetée dans les immenses magasins de cette place l'eût fait rendre aussitôt et que rien n'aurait plus arrêté sa marche sur Madrid ! La demande fut renvoyée au Comité de l'instruction publique et oubliée. En 1800, lorsque le premier Consul eut décidé qu'un monument serait élevé dans chaque chef-lieu à la mémoire des braves du département morts pour la patrie et la liberté, le Conseil général des Pyrénées-Orientales obtint que les cendres des généraux Dugommier et Dagobert, déposées à Bellegarde et à Montlouis, seraient transférées à Perpignan. La cérémonie se fit le 2 août avec la plus grande pompe. Les deux bières furent placées sous les fondements d'une colonne qui devait se dresser sur la place de la Liberté et porter cette inscription : Aux mânes des généraux Dugommier et Dagobert adoptés par la reconnaissance du département des Pyrénées-Orientales. En 1821, les restes des deux généraux furent exhumés et portés au cimetière de Perpignan ; ils y sont encore, au centre de la grande allée transversale, sous une pyramide de pierre on leur nom a été gravé[35]. Napoléon se souvint que Dugommier avait fait sa fortune. Dugommier avait demandé et obtenu pour lui le grade de .général de brigade en disant que ce jeune homme s'avancerait tout seul, si l'on était ingrat envers lui. Il voulait l'emmener à l'armée des Pyrénées-Orientales, et il parlait si souvent du Corse qui commandait l'artillerie devant Toulon que les officiers généraux envoyés de la frontière d'Espagne à celle d'Italie avaient la plus haute idée des mérites de Bonaparte. Aussi Napoléon aimait-il Dugommier, l'estimait, l'appelait son ami. Il ne prononçait le nom de Dugommier qu'avec gratitude. Frédéric et Dugommier fut le premier mot d'ordre du consul. Il éleva dans la grande galerie des Tuileries la statue de Dugommier, et il nomma redoute Dugommier une des batteries du Helder. Il légua 100.000 francs aux enfants du général, et il assurait qu'il payait ainsi les marques d'affection et d'amitié que lui avait données, en 1793, le chef de l'armée révolutionnaire. Même avant Sainte-Hélène, il fit aux Dugommier tout le bien qu'il put. Le général avait laissé sa femme à la Guadeloupe et fait venir sur le continent ses quatre fils et ses deux filles, et le 25 août 1795, sur le rapport d'Aubry[36], la Convention décrétait de secourir la famille de Dugommier : la veuve recevrait une pension annuelle de 3.000 livres ; le fils aine, prisonnier en Angleterre, serait échangé, et le Comité de salut public pourvoirait à son avancement militaire, ainsi qu'à celui des deux autres fils qui servaient dans l'armée ; une pension annuelle de 1.500 livres serait accordée au quatrième fils et aux deux filles. Mais ce décret resta lettre morte. Le premier Consul l'exécuta. Par un arrêté de l'an IX, la veuve de Dugommier reçut à compter de la mort de son mari une pension de 3.000 francs, et lorsque Leclerc partit pour Saint-Domingue, il eut ordre de faire rendre aux héritiers de l'héroïque créole leurs fermes d'habitation, manoirs et magasins. Le malheur, à vrai dire, s'abattit sur cette famille. Quand les Anglais prirent la Guadeloupe, ils emprisonnèrent Mme Dugommier et séquestrèrent les biens qui lui restaient : elle tomba dans une misère affreuse. Le premier Consul la tira de la détresse ; mais dans les nouveaux troubles de la colonie, elle perdit sa fortune ; affaiblie par la souffrance et, dit-elle, tracassée par les extravagances de son gendre, elle mourut en 1810. Elle avait donné au général trois fils et une fille. Cette fille, Claire-Antoinette dite Justine, née en 1760, était l'aillée de la famille. Durant la Révolution elle vécut à Marseille où un citoyen Garnier, ami de son père, prenait soin d'elle, et le 23 septembre 1800, Bonaparte priait le ministre de l'intérieur de procurer au généreux Garnier un emploi à Marseille même. Justine venait d'épouser dans cette ville un compatriote, nommé Dumoutier, capitaine d'une compagnie de vétérans. Dumoutier obtint le grade de colonel et en cette qualité commanda la place de Lille. Mais Napoléon, qui le savait infirme et incapable, refusa toujours de le nommer général, et peut-être Dumoutier avait-il, comme disait sa belle-mère, une tête affectée. Envoyé en 1801 à la Guadeloupe pour y être commandant d'armes, il regagna la France deux ans plus tard et fut mis en réforme, puis, par exception et en considération des sacrifices qu'il avait faits à la famille Dugommier, pourvu d'une solde de retraite. Il mourut en 1819, à Saint-Pierre de la Martinique. Sa femme, rentrée dans sa ville natale, à la Basse-Terre, épousa en secondes noces, à la fin de 1820, un capitaine d'artillerie du nom de Collet et mourut en 1833 sans laisser de postérité. Les trois fils de Dugommier et de Marie-Dieudonnée Coudroy-Bottée se prénommaient, le premier, Jacques-Germain-François ; le deuxième, Jacques-François-Germain, dit Dangemont ; le troisième, Jacques-François, dit Chevrigny. L'aîné, Jacques-Germain-François, sous-lieutenant au 4e régiment d'infanterie, puis commis d'administration de 3e classe à la Guadeloupe, fut pris par les Anglais à la fin d'octobre 1793 sur le cutter qui le portait aux îles du Vent et mourut en captivité. Le deuxième fils, Dangemont, sous-lieutenant au 14e régiment d'infanterie, puis adjoint à l'état-major, puis adjudant-général chef de bataillon, revint aux Antilles en 1796, après avoir fait les campagnes des Pyrénées. De retour en 1798 sur le continent, il fut employé comme adjudant-général chef de brigade à Belle-Isle-en-Mer. Frappé d'aliénation mentale et traité à Charonton, il obtint à la fin de 1801, lorsqu'il fut rétabli, sa nomination d'adjudant-commandant à la Guadeloupe. Sur l'avis de Decrès, qui remarqua qu'il était malade et incapable de résister aux fatigues de la traversée, l'arrêté fut rapporté. Dangemont écrivit alors à Bonaparte, supplia le consul de le renvoyer dans ses foyers, de ne pas le laisser plus longtemps à Paris, cette ville immense et pernicieuse, et Bonaparte ordonna qu'il irait à la Guadeloupe. Mais le malheureux Dangemont eut un nouvel accès de folie. Il mourut à l'hôpital du Val-de-Grâce, entre 1810 et 1814. Le troisième fils, Chevrigny, volontaire au 2e bataillon de Paris, puis sous-lieutenant au 14e régiment d'infanterie, aide de camp de son père', adjudant-général chef de bataillon à l'armée des Pyrénées-Orientales, avait, disait Lamer, une grande bravoure, mais il était de toute nullité pour ce qui concernait les détails d'un bureau de division territoriale. Sur la recommandation de Châteauneuf-Randon, qui sollicitait pour lui une place de chef d'escadron, Chevrigny fut envoyé en 1796 comme adjudant-général chef de brigade à l'armée d'Italie, et mis à la tête de l'état-major de la 1re division de cavalerie. Par malheur, dans son grand rapport du 20 décembre, Clarke le jugea dépourvu de talent, ivrogne et peu probe. Il n'eut plus d'avancement. Blessé au passage de la Berezina, il mourut prisonnier à Saint-Pétersbourg. Sa veuve eut par exception une pension de 600 francs. Dugommier avait, en outre, de deux femmes de couleur, une fille naturelle, Augustine, et un fils naturel, Désiré. Augustine, qui vivait auprès de sa sœur Justine à Marseille, mourut prématurément. Désiré, nommé par la suite Adonis, élevé dans une maison d'éducation à Belleville, puis au prytanée de Compiègne, entra dans la marine en 1801. Dépité de n'avoir pas obtenu le grade d'enseigne de vaisseau, il donna sa démission pour servir dans l'infanterie. Lieutenant en 1819, capitaine en 1825, il prit sa retraite en 1838, après avoir fait les campagnes de Belgique et d'Algérie. Avec lui s'éteignit le nom de Dugommier[37]. |
[1] Dugommier et Lamer à La Martillière et aux représentants, 16 mai, 11 et 23 juillet (A. G.). On constata que, si 20.000 hommes pénétraient à trente lieues en Espagne et y séjournaient un mois, il fallait 21.666 bêtes qu'on n'avait pas.
[2] Circulaire du 24 juillet (A. G.) ; — Rec. Aulard, XIII, 459 ; — Moniteur du 14 août.
[3] La Révolution française, 14 janvier 1900, p. 68.
[4] Dugommier au Comité, 7 juillet ; — et Lamer aux généraux, 2 juillet (A. G.).
[5] Dugommier au Comité, 3 nov. (A. G., et Pineau, 606) ; le chemin qu'il fit élargir en 1794 a été depuis transformé en chemin vicinal de grande communication, dit de Saint-Laurent à Batera ; quant au chemin d'Arles à Prats de Mollo, c'est aujourd'hui une grande route (Vidal, III, 334, note).
[6] Rec. Aulard, XIII, 291, 416, 620, 743, 760.
[7] Cette fameuse note est évidemment de Bonaparte ; tout le prouve, le style, le raisonnement fort et dense, l'écriture (celle de Junot) et le papier (celui de l'état-major de l'artillerie de l'armée d'Italie).
[8] Rapport d'un agent hollandais à Paris, 13 juillet (Revue historique, sept.-oct. 1879, p. 111).
[9] Dugommier à Milhaud et Soubrany, 6 juillet (A. G.).
[10] Carnot aux représentants à l'armée d'Italie, 13 août (A. G.).
[11] Carnot à Delbrel, 25 sept. (A. G.).
[12] Dugommier à Moncey, 7 oct., et au Comité, 8 oct. (A. G.).
[13] Dugommier au Comité, 27 août ; — Dugua à Dugommier, 29 oct. ; — Mamet à Dugua, 15 et 31 oct., 3, 8, 9 nov. ; — Merlin à Dugua et Dugua à Mamet, 3 nov. (A. G.). La situation était pire qu'en 1793 puisqu'alors Turreau disait simplement (Turreau au Comité, Mém. de Doppet, 213) qu'il serait peut-être obligé de répartir sur les derrières le peu de cavalerie qui lui restait.
[14] Vidal aux agents nationaux, 19 oct. (A. G.).
[15] Arrêté du 3 vendémiaire (4 sept.).
[16] Arrêté du 28 fructidor, — 14 sept. ; — Dugommier aux représentants. 29 août, au Comité et aux généraux, 12 sept. (A. G.).
[17] Proclamation du 22 sept. ; — arrêtés des 21 vendémiaire — 12 oct., 1er brumaire — 22 oct., 26 brumaire — 16 nov.
[18] Arrêtés des 8 brumaire-29 octobre, 10 brumaire-31 octobre, et 11 brumaire-1er novembre (Arch. nat., A. F., II, 260).
[19] Voir la notice de Delbrel sur Dugommier (A. G.). Cf. Pineau, 727-730, et Revue de la Révolution, janvier 1885, p. 19-29.
[20] Notes de Delbrel et notice sur Dugommier (Pineau, 729) ; — Delbrel au Comité, 14 oct. ; — Dugommier à Lamer, 11 nov. et à Davin, 13 nov. ; — Cosson à Dugua et Leblanc à Cablé, 14 nov. (A. G.).
[21] Cf. Fervel, II, 176-185.
[22] Beaufort était venu remplacer Guieu blessé.
[23] Dugommier à Doppet, 5 et 11 sept. ; — à Charlet, 11 sept. ; — aux représentants, 14 sept. ; — à Delbrel, 6 oct. (A. G.).
[24] C'est ainsi que le 1er bataillon de la Révolution (280 hommes) fut incorporé dans le régiment, le bataillon des Amis du peuple dans le 7e de l'Aude et le 71e régiment, le 9e bataillon du Lot dans le 2e du Gard, dit grenadiers du Gard. On affecta autant que possible les citoyens de la nouvelle levée aux bataillons de leur département, et les hommes du 12e bataillon de la Drôme furent incorporés dans les bataillons de leur région ; Dugommier écrivait aux administrateurs de Valence que leurs compatriotes s'étaient si bien comportés qu'il voulait les garder et les mettre ensemble. Le camp de Launac servit surtout à remplir les vides. Il donna 400 hommes au 3e bataillon de la Haute-Vienne et autant au 3e bataillon des Côtes Maritimes, qui ne comptait plus que 75 volontaires. Dès la fin de mai, 210 hommes partaient de ce camp pour compléter le bataillon de sapeurs et, disait Lamer, ce devaient être des hommes vigoureux, capables de manier la hache et la pioche ; on a trop cru, jusqu'à présent, que le sapeur devait être le rebut des troupes. Dès le commencement de juillet, 100 hommes venaient du même camp pour être attachés aux charrois, et 150 pour couper le bois. L'adjudant-général Desroches qui commandait le camp de Launac, eut ordre de se rendre au Boulou, à la fin d'août, avec toutes les troupes, qui comprenaient 3.165 hommes. Cf. Dugommier et Lainer à Desroches, 24 mai, 30 juin, 16 et 17 août ; Dugommier aux administrateurs de la Drôme, 10 nov. (A. G.).
[25] Dugommier aux généraux, 26 et 28 août, 1er, 4 et 24 sept., 10 et 12 nov. ; à Lamer, 14 oct. et 13 nov. (A. G.). L'ordre de réunir [es compagnies da chasseurs des bataillons date du 21 aoùt, et, à la fin de ce mois, Lamer envoie au 1er bataillon de grenadiers, le seul qui fût dans l'armée, et au 5e bataillon de chasseurs, les grenadiers et les chasseurs du 1er bataillon des Hautes-Alpes. Dès le 30 mai, il avait ordonné au 1er bataillon du Tarn de détacher sa compagnie de chasseurs au 2e bataillon de chasseurs.
[26] Voici la composition de l'armée au 20 novembre : DIVISION AUGEREAU. Brigade Beaufort : 39e demi-brigade, 2° Haute-Garonne, 1er grenadiers Bouches-du-Rhône, 4e Aude, 5e Lot, 1er Hautes-Alpes, 1er Vengeurs ; Brigade Robert : 70e régiment, 5e Haute-Garonne, 3e Haute-Vienne, 1er Ariège, 4e Lot, 1er Gers, 2e La Montagne, 1er chasseurs de Vaucluse, 1er Alpes-Maritimes ; Brigade Bon : 3e et 6e chasseurs, 8e Bec d'Ambez, 9e Drôme ; Brigade Davin : Légion de la Montagne, 3e et 4e Côtes Maritimes, 4e Tarn, Chasseurs éclaireurs, 4e infanterie légère, 3e Pyrénées-Orientales, 1er et 5e Mont-Blanc, 1er Béziers, 7e Ariège, 3e La Montagne, 7e Aude ; huit compagnies d'artillerie. — DIVISION PÉRIGNON. Brigade Point : 147e demi-brigade, 61e régiment, 6e et 7e Côtes Maritimes ; Brigade Martin : 4e Pyrénées-Orientales, 6e Dordogne, 1er Cantal, 3e Ardèche, 3e chasseurs des montagnes, 3e Haute-Loire, 1er de la Montagne ; Brigade Banel : 53e régiment, 10e chasseurs, chasseurs de la Moselle, 2e Gers, 7e Hérault ; Brigade Chabert : Braconniers montagnards, 5e Ardèche, 2e Côtes Maritimes, 9e Aude, 6e Hérault, 4e Ariège ; Brigade Guillaume : 1er Gard, 3e Haute-Garonne, 5e et 7e chasseurs, 8e Aude. — DIVISION SAURET. Brigade Causse : 7e et 79e régiments, 4e Haute-Garonne, 2e Ardèche, 6e Aude, 1er Côtes Maritimes ; Brigade Motte : 35e régiment, 5e et 6e Bec d'Ambez, 3e Drôme, 1er Haute-Garonne, 5e Haute-Vienne ; Brigade Guillot : 28e régiment, 1er et 8e infanterie légère, 2e chasseurs. — Compagnies de chasseurs éclaireurs à la droite du camp ; détachements du 1er hussards et du 22e chasseurs à la gauche du camp (A. G.).
[27] Dugommier au Comité, 4 sept., 16 oct., 3 nov., et à Dugua, 10 sept. ; Pérignon au Comité, 26 nov. (A. G.).
[28] Cf. Fervel, II, 182, et notes de Delbrel, 50 (loc. cit.) ; Augereau à Dugommier, 11 nov. (A. G.).
[29] Voir surtout, outre Fervel, II, 187-192, la notice de Delbrel, ses Notes et sa lettre au Comité, 18 nov. : la lettre d'Augereau et ses deux billets à Dugommier, 17 nov., la lettre de Pérignon. 26 nov. (À. G.) : Marcillac, Arteche.
[30] On rapporte quelquefois, d'après les Mémoires du prince de la Paix, que le général La Torre, voyant l'affluence du monde à la pointe orientale de la Montagne Noire, aurait fait lancer par un habile canonnier l'obus qui tua Dugommier ; mais Fervel (II, 194) a constaté que Dugommier, au moment et à l'endroit où il fut frappé, ne pouvait être aperçu de l'ennemi. La mort de Villemontès, officier d'une arme spéciale, tué près de Dugommier, suscita plus tard une légende. On se souvenait sans doute que Saint-Hilaire, lieutenant général de l'artillerie, avait eu le bras emporté par le même boulet qui tua Turenne, et l'on crut que La Martillière, chef de l'artillerie de l'armée, avait été atteint aux côtés de Dugommier. Berthier disait à Napoléon que La Martillière avait été blessé du même coup qui enlevait Dugommier à la vie.
[31] En quoi Delbrel se trompait ; car le 13 novembre, à quatre heures de l'après-midi, Dugommier communiquait son projet tout entier à Pérignon, auquel il avait donné rendez-vous près de la batterie l'Invincible.
[32] Augereau à Pérignon, 17 nov., et Pérignon au Comité, 26 nov. (A. G.) ; — Cf. les notes de Delbrel, loc. cit., 51-53, sa Notice sur Dugommier (Pineau, 729-730) et sa lettre au Comité, 18 nov. (A. G., et Pineau, 630).
[33] Il fut d'abord enseveli sur le sommet de la montagne du Roure, au lieu même où il était mort et où se voit encore aujourd'hui la pierre funéraire ; le 12 décembre 1795, ses restes furent transportés à Barcelone dans le caveau du monastère Saint-François ; ils disparurent vers 1835 lorsque le couvent fut détruit.
[34] Discours du capitaine Albert au Directoire, 23 mai 1798 ; — Cf. Pineau, 651.
[35] Cf. Pineau, 640-658. Ajoutons que la Convention avait décrété le 25 novembre 1794, à la nouvelle de la mort de Dugommier, que le nom du général serait inscrit sur la colonne élevée au Panthéon à la mémoire des défenseurs de la patrie.
[36] Le rapport d'Aubry ne fait que reproduire la lettre écrite d'Agullana, le 18 novembre 1794, au président de la Convention par l'adjudant-général Boyer fils : Boyer décrit la triste situation de la famille de Dugommier et assure qu'il a été honoré de la confiance du général, qu'il a connu ses ressources et ses facultés, qu'il peut donner des renseignements exacts. Ce Boyer ne devint pas général, et voici ce que nous avons, non sans peine, trouvé sur lui. Antoine-Alexandre Boyer, né le 8 novembre 1763, capitaine au 11e bataillon de la Gironde en 1791, aide de camp des généraux Antoine Rossi et Dornac, nommé adjudant-général chef de bataillon par les représentants devant Toulon (20 décembre 1793) et breveté dans ce grade par le Comité (29 août 1794), resta chef de bataillon sous le Directoire et l'Empire et commanda successivement le ter bataillon allemand en l'an IX, la 1re légion de gendarmerie à Saint-Domingue et le 1er bataillon colonial ; accusé de malversations, il dut quitter l'armée, mais rentra comme chef de bataillon au service de Naples, et sous la Restauration on le voit lieutenant du roi à Gravelines et colonel d'état-major.
[37] Voir sur la famille de Dugommier notre troisième volume de la Jeunesse de Napoléon, et surtout le livre de Pineau, 668-711, ainsi que son article de la Nouvelle Revue rétrospective, 10 nov. 1902.