DUGOMMIER

1738-1794

 

CHAPITRE XII. — LA FONDERIE ET LE LLOBREGAT.

 

 

Inaction de Dugommier. — Efforts de La Union. — Les soumatens ou soumettants. — L'ingénieur Grandvoinet. — Augereau à Saint-Laurent de la Mouga (6 mai). — Echec des soumatens (15 mai). — Impression produite par la prise de Saint-Laurent et de sa fonderie. — Mécontentement de Dugommier. — Isolement d'Augereau. — Attaque de La Union sur Saint-Laurent et la fonderie (19 mai). — Désespoir de La Union. — Bravoure des Français et notamment de la brigade Mirabel. — Retranchements de La Union en avant de Figuières. — Combat du Llobregat (7 juin).

 

Pendant le siège des places fortes, les lieutenants de Dugommier se battaient contre les Espagnols sans remporter de succès décisifs. Telles étaient les conséquences de la faute commise par le général en chef après le Boulou. Il n'avait pas poursuivi les Espagnols alors dépourvus de canons et de matériel, et les Espagnols revenaient à la charge, non seulement pour débloquer Bellegarde, mais pour bloquer les Français victorieux. Plutôt que d'employer tant de monde à l'investissement de Bellegarde, Dugommier ne pouvait-il ressaisir l'offensive ? Sans doute il avait beaucoup souffert du coup de biscaïen qui le frappa devant Saint-Elme : la tumeur causée par cette contusion et aggravée par d'excessives fatigues fut un instant affectée de gangrène, et il dut garder le lit durant plusieurs jours[1]. Sans doute à la suite des grandes chaleurs, des fièvres malignes s'étaient mises dans l'armée et les deux divisions de droite et du centre avaient quotidiennement cent cinquante malades[2]. Sans doute les vivres manquaient parfois et un officier écrivait dans une sorte de parabole en style biblique que les guerriers enduraient la faim parce que le grand chef était malade, qu'ils n'avaient pas assez de manne et qu'ils demandaient un sekel de plus par décade[3]. Mais, d'après les rapports des déserteurs, la maladie sévissait pareillement dans l'armée espagnole et une nouvelle victoire aurait tiré les Français de leur détresse. Évidemment, Dugommier n'était pas fait pour la guerre d'invasion au large essor et aux vastes opérations ; évidemment il croyait qu'il aurait rempli sa tâche et fini sa mission s'il boutait l'étranger hors de France. Par instants l'idée d'envahir la. Catalogne se présentait à son esprit. Il mande le 8 juin que le blocus de Bellegarde ne peut l'arrêter ni le retarder, qu'il est en mesure d'agir, qu'il fera prochainement un mouvement général. Et ce mouvement, il ne le fait pas ! Il n'agit pas ! Il se contente de bloquer Bellegarde ! Il s'éloigne même du 3 au 29 juillet pour visiter quelques points de la côte, Narbonne, Leucate, Agde, et se reposer trois semaines à Ventenac d'Aude !

Pourtant, et comme l'a dit un soldat de cette armée, pendant l'investissement de Bellegarde, les vainqueurs du Boulou inquiétaient l'ennemi, le troublaient, le harcelaient, le fatiguaient, le tenaient en échec[4].

La Union avait, après la journée du Boulou, offert sa démission. Il assurait qu'il n'était responsable de rien, que. Las Amarillas et le prince Montforte avaient fait tout le mal par leurs retards et leur sottise, mais que le public lui attribuait le désastre : il voulait donc soit se retirer au coin de son feu, soit servir sous son successeur qui le surpasserait en talents militaires, et il écrivait au duc de Castel-Franco qu'il était presque sans armée, presque sans artillerie, et qu'il serait volontiers son lieutenant.

Du moins, s'il restait à l'armée, désirait-il en être le maitre. Il déclarait que Las Amarillas avait causé le revers du 1er mai pour se venger de n'avoir pas eu le commandement, que quelques chefs le trahissaient, et Godoy lui conseillait de veiller, de se défier de certaines gens, de craindre la contagion des principes jacobins. Tu as, lui disait le crédule ministre, plus de quatorze officiers des grades supérieurs qui ont des intelligences avec les Français ; on me les a dénoncés ; mais, obligé au secret, je ne puis te révéler le nom des coupables.

Le comte sollicitait donc l'autorisation de punir ses subordonnés, quels qu'ils fussent, sans être astreint aux formes judiciaires. Sur ses instances, Godoy réunit le Conseil d'État et, dans deux séances, il exposa la déplorable situation des, troupes, la conduite suspecte de plusieurs généraux, la fatale-jalousie qui les dévorait et la nécessité de châtier Las Amarillas, d'investir La Union des plus grands pouvoirs. Mais, le roi, toujours débonnaire, répugnait à tant de sévérité Godoy avait convaincu tous les membres du Conseil, et ils votèrent contre lui. Personne, écrivait-il à La Union, ne dit : mettons-nous à l'œuvre et faisons des réformes.

Derechef La Union voulut quitter l'armée. Mais par qui le remplacer ? Quel militaire inspirait la confiance ? Le ministre de la guerre, le comte de Campo-Mange, son intime ami, refusa sa démission. Je souffre, répondit-il le 12 mai à La Union, de te voir engagé dans un labyrinthe de circonstances défavorables, et pourtant je ne trouve que toi qui puisses rendre nos armes glorieuses, et le roi ne veut que toi. La Union garda le commandement. Il n'y avait pas, disait-il, un homme capable de résister à de tels coups ; mais il immolait son honneur à son souverain, à l'État et à la religion ; il voyait sa réputation compromise et sa famille abreuvée de continuelles amertumes ; n'importe ; il faisait son devoir, faisait ce qu'il pouvait, et même un peu davantage : Seule la dignité des sentiments qui nous animent, marquait-il à Godoy, pourrait suffire à nous conserver le courage en présence de tous les obstacles où vient se heurter notre dévouement ; occupons-nous de bien servir nos maîtres et laissons le reste.

Actif, ardent, inlassable, il s'était hâté de reconstituer son armée, de renforcer les bataillons, de réorganiser le matériel et l'artillerie, de rassembler des approvisionnements de toute sorte, de ranimer les troupes et de relever leur moral défaillant. Il rappela les officiers qui s'étaient éloignés sous divers prétextes pour s'amuser à Barcelone. Il obtint de la cour un ordre qui les obligeait de renvoyer leur femme à vingt lieues au moins du quartier général. Il fit à deux reprises chasser du camp les filles de joie. Il tâcha d'exciter dans les âmes le sentiment de l'honneur. Solano, son lieutenant, le même qui fut, en 1809, massacré par la populace de Cadix, désirait un jour abandonner une position périlleuse. La Union lui répondit qu'il fallait la défendre glorieusement ; Solano objecta qu'il perdrait son artillerie. Eh, perdez-la, répliqua La Union, mais perdez-la avec honneur et que votre troupe la protège jusqu'au dernier moment et en tirant à brûle-pourpoint !

Mais, malgré les efforts de La Union, le soldat était plus que jamais déconcerté, rebuté. Les officiers demeuraient insouciants, inertes. Comme auparavant, les généraux, satisfaits de l'avancement qu'ils avaient obtenu après la campagne de 1793, n'aspiraient plus qu'au repos, et la plupart, jaloux de La Union, qui était le plus jeune d'entre eux, ne le secondaient qu'avec mollesse[5].

Il sut toutefois enflammer le patriotisme des paysans de la Catalogne et provoquer un redoutable soulèvement des soumatens, ou, comme disaient les Français, des soumettants. Dès les premiers jours de mai, on écrivait de Figuières que les soumatens arrivaient de tous côtés en grand nombre, qu'ils étaient déjà dix-huit à vingt mille et que, sitôt organisés, ils seraient très utiles. Quelques-uns avaient à leur tête un franciscain, le P. Ambroise Bose, et des capucins. Ils tiraient bien, et ils étaient alertes, robustes, tout à fait propres à la guerre de montagne, mais fanatiques, souvent féroces, et dans sa lettre du 20 juillet à La Union, Dugommier protestait contre la barbarie de ces Espagnols, qui mutilaient les prisonniers français et les brûlaient à petit feu[6].

 

Augereau fut le premier qui livra combat aux soumatens. Bien qu'il eût ordre de ne pas passer la frontière, l'audacieux général qui joue dès lors le rôle principal et semble faire la guerre pour son compte, avait pris sur lui d'entrer en Espagne et d'occuper la vallée de la haute Mouga. Connaissait-il le mémoire que Dagobert avait remis, le 9 février, au Comité de salut public ? Pourquoi, disait Dagobert, ne pas profiter, quand la chose paraîtrait faisable, du jour que l'ennemi pourrait laisser sur sa gauche, pour passer un corps de trois à quatre mille hommes, qui irait détruire la fameuse fonderie de Saint-Laurent de la dague et en même temps. faire des visites domiciliaires à quelques villages de cette partie qui sont bien plus riches que beaucoup de villes d'Espagne ? Il est plus probable qu'Augereau suivit les conseils de Grandvoinet. Ce Grandvoinet, ingénieur-géographe, nommé récemment capitaine du génie par les commissaires de la Convention, désirait se mettre en évidence. Dugommier le jugeait avec raison plein de zèle et d'activité, mais encore peu expérimenté dans la science de la fortification et propre à servir en sous-ordre. Il était né a Perpignan, il connaissait très bien la région, il avait fait la campagne de 1793 contre les Espagnols, il avait dirigé les travaux d'Oms et de Taillet qui précédèrent la bataille du Boulou et pris part aux combats qui s'engagèrent sur les hauteurs d'Oms dans les derniers jours d'avril, il avait précédé les colonnes de l'avant-garde le 1er mai à Céret, à, Arles-sur-Tech, à Saint-Laurent-de-Cerdans. Ce fut lui qui détermina Augereau à se saisir de Saint-Laurent-de-la Mouga en lui représentant l'importance de la fonderie et en offrant de le conduire sûrement à travers ce pays très difficile qu'il avait jadis exploré. Augereau, dit Dugommier, a marché d'après la proposition de Grandvoinet dont il a reçu tous les renseignements[7].

Et Augereau triompha sans péril. Le 6 mai, au matin, ses deux brigades, la brigade Mirabel et la brigade Guieu, accompagnées de 200 dragons, quittaient Saint-Laurent-de-Cerdans et au bout de dix heures de marche, par des routes détestables, arrivaient sur les montagnes qui dominent le village de Saint-Laurent-de-la-Mouga. Un de ses aides de camp vint aussitôt sommer les troupes et la population civile de se rendre aux républicains. Mais les soumatens étaient là. Ils tenaient les hauteurs et interceptaient les passages. L'aide de camp fut accueilli à coups de fusil et obligé de rebrousser chemin. Augereau détacha des tirailleurs sur tous les points. Guieu, à la tète des chasseurs, entra dans le village et, après une légère résistance, les soumatens et tous les habitants déguerpirent. Mirabel, avec sa brigade et, le bataillon des chasseurs allobroges, se dirigea sur la fonderie. Elle était gardée par un bataillon de Malaga et un bataillon du Vallespir. Ils ne se défendirent même pas ; ils enclouèrent trois canons sur quatre qu'ils avaient ; ils tentèrent d'incendier les forges et brûlèrent une partie des bâtiments ; sur quoi ils se sauvèrent.

Cette débandade irrita profondément La Union. Il prononça la peine de mort contre quiconque fuirait en poussant des cris qui répandaient la panique. Le 10 mai, dans un violent ordre du jour, il rappelait à ses compatriotes la gloire de leurs ancêtres. Quoi ! les Espagnols n'avaient pas su mépriser ces ennemis qui ne l'étaient que par force, qui détestaient leur propre cause tout en la servant, qui ne pratiquaient aucune des vertus morales et chrétiennes ! Quoi ! il y avait dans une si valeureuse armée des misérables et des lâches qui, pour entraîner leurs camarades à une fuite honteuse, jetaient des cris comme ceux-ci : Nous sommes coupés ! Que de monde ! La mitraille ! La cavalerie ! Fuyons !

Vaines menaces ! Les Espagnols se débandèrent encore ; ils crièrent encore sauve qui peut, et aucune de ces défaillances ne fut punie de mort. A la fin de septembre, La Union fit fusiller deux hommes ; il n'ordonna pas d'autre exécution dans tout le cours de la campagne. Il savait que les généraux et les officiers étaient les plus coupables et, dans sa droiture, il hésitait à n'user de rigueur qu'envers les simples soldats[8].

 

Maitre de Saint-Laurent-de-la-Mouga et de la Fonderie, Augereau prit ses dispositions pour s'y maintenir. Des bivouacs garnirent les hauteurs. La cavalerie se posta dans les gorges pour charger plus facilement l'ennemi qui viendrait l'attaquer. Les pièces espagnoles désendettées et des pièces françaises furent de même placées dans les gorges. Il rappela les habitants fugitifs, non pour leur imposer des taxes, car la commune était très pauvre, mais pour les prendre, disait-il, par la douceur ; il leur promit aide, et assistance ; il déclara que, si aucun d'eux ne revenait dans les vingt-quatre heures, il les ferait fusiller comme rebelles. Sa conquête le remplissait d'orgueil et de joie. L'établissement était superbe ; il y avait trouvé 60.000 boulets de plusieurs calibres, tous les outils nécessaires et quantité de lingots de fer. A l'en croire, la perte des Espagnols était incalculable, car la Fonderie avait coûté des sommes énormes et elle fournissait de projectiles Figuières, Barcelone et les places de la frontière. Il priait Dugommier de lui dire s'il devait rester ou rétrograder et, en ce dernier cas, démolir tout ; mais il croyait essentiel de conserver des forges qui seraient d'une si grande utilité à la République[9].

Les soumatens vinrent, le 15 mai au matin, attaquer ses avant-postes sur les hauteurs de Saint-Laurent. Mais les patriotes faisaient le guet. Ils résistèrent avec vigueur et Augereau envoya sur-le-champ à leur secours quelques compagnies de chasseurs dont l'approche suffit pour mettre les paysans en déroute. Guieu poursuivit les fuyards avec deux bataillons de chasseurs et la légion allobroge jusqu'à une demi-lieue de Figuières. Il trouva sur son chemin des marques odieuses de la barbarie des soumatens. Un volontaire prisonnier avait été rôti dans une chapelle ; un autre saigné au cou, mutilé par tout le corps, avait eu le foie arraché et on lui avait mis dans la bouche les parties génitales. Augereau fut, à cette nouvelle, transporté de colère. Quelle férocité révoltante, s'écriait-il, quels raffinements de cruauté ! Ces forcenés, ces cannibales, étaient bien les vrais descendants des conquérants du Mexique et du Pérou ! Les principes philanthropiques, ajoutait-il, devaient pour un instant être mis à l'écart. Les créatures de l'Inquisition, les bourreaux des Incas ne connurent jamais l'humanité. Des monstres qui égorgent leurs frères par devoir, qui les brûlent par religion, qui les assassinent pour l'amour de Dieu, doivent disparaître de la surface de la terre. Une guerre révolutionnaire, une guerre à mort, sont les seuls moyens d'y réussir. Et il jurait de chasser les soumatens du château où ils se retiraient chaque soir ou de les brûler dans leur repaire[10] !

Il n'avait pas manqué d'annoncer avec fracas la prise de la Fonderie, et la nouvelle provoqua l'enthousiasme. Une division des Pyrénées-Orientales, disait Barère à la Convention, s'est adjointe par son courage à votre commission pour la fabrication des armes. La pointe d'Augereau était toutefois aventureuse, et il avait pris une position excentrique qui le mettait en grand danger. Il aurait dû, de concert avec Pérignon, couvrir le blocus de Bellegarde, et peut-être s'éloignait-il volontiers de son collègue : les deux généraux, l'un, fougueux, emporté, tout plein de l'audace révolutionnaire, violent et populaire dans le langage et les allures, l'autre, modéré, calme, froid, gardant l'air et les façons d'un officier de l'ancien régime, n'étaient pas toujours d'accord[11].

Augereau n'avait à dessein informé Dugommier de son expédition que très tardivement et, lorsque sa lettre parvint au général en chef, la Fonderie était en son pouvoir. Aussi, dans le premier instant, Dugommier ne dissimulait pas son mécontentement. Nous voilà donc en Espagne, s'écriait-il, par un incident imprévu ! Il écrivit à son lieutenant que l'entreprise lui semblait utile ; mais qu'il ne fallait pas trop s'écarter, que l'armée était déjà très éparpillée, qu'elle n'avait pas encore Collioure et Bellegarde, ces deux points capitaux qui devaient fixer l'attention, et il recommandait à Augereau de ne pas aller plus avant, de ne pas dépasser Saint-Laurent-de-la-Mouga et de ne se permettre aucun mouvement à l'extérieur qu'après avoir reçu les instructions du Comité de salut public. Il l'engageait même, si la chose était possible, à établir à Saint-Laurent-de-la-Mouga une garnison suffisante et à revenir avec le reste de ses troupes à Prats-de-Mollo et à Saint-Laurent-de-Cerdans. Il blâmait donc la témérité d'Augereau, et, en revanche, il louait la sagesse de Pérignon : Je te remercie, marquait-il le même jour à Pérignon, de ne pas vouloir entrer en Espagne et de ne voir en ce moment que Bellegarde ; il faut nous rassembler pour ne pas perdre par une dissémination imprudente les fruits de la déroute de l'ennemi. Il regrettait que la marche téméraire d'Augereau dégarnit sensiblement la chaîne nécessaire au blocus de Bellegarde ; cette fonderie de Saint-Laurent-de-la-Mouga, disait-il, occupait près de 5.000 hommes qu'il aurait employés à parfaire l'investissement et à compléter les mesures qu'il prenait contre la place. Son chef d'état-major Lainer partageait ses sentiments. Quelle difficulté de joindre maintenant, Augereau et que d'embarras il causait ! Comment fournir à temps aux besoins de cette division ? Les moyens de transport n'allaient-ils pas s'user au commencement même de la campagne ? Et lorsque, sur un faux bruit, Lamer crut que Dugommier commandait à Augereau de se replier sur Céret, il jetait un cri de joie.

Mais Dugommier n'osa pas envoyer à Augereau un ordre de retraite. Il accepta les faits accomplis. Après tout, concluait-il, la fonderie était importante ; elle appartenait aux Français, et l'utilité dont elle pouvait être à la République ordonnait de se gêner pour la conserver. Il félicita Augereau : Ton expédition est belle et bonne[12].

 

En s'établissant à la Fonderie de Saint-Laurent-de-la-Mouga, Augereau s'éloignait de la ligne française, qui n'était plus protégée sur sa gauche, et il donnait à la guerre une face nouvelle. On se battit dorénavant, non pas, comme d'ordinaire, aux abords de la grande route, mais loin des voies de communication, sur des montagnes reculées, en des solitudes sauvages. Nulle part le terrain de la Catalogne n'est plus bouleversé, plus sévère que dans cette vallée de la haute Mouga : un torrent qui roule dans une gorge étroite entre des rocs escarpés, presque nus, parfois couverts d'arbres et de buissons ; un pauvre village ; une fonderie ; çà et là des cabanes de bergers ; des sentiers au bord de l'abîme et au fond des ravins.

L'impétueuse Mouga, qui sert un instant de limite aux deux pays, pénètre sur le territoire espagnol non loin de Saint-Laurent, contourne les rochers qu'on appelle rochers d'Albanya, puis la croupe de la Magdelaine, et, arrivée devant la Fonderie, se dirige vers le sud-est pour déboucher dans la plaine à Pont-des-Moulins et se perdre dans les marais de la côte. C'est sur sa rive gauche qu'étaient situés Saint-Laurent et à trois kilomètres au nord de ce village, la fonderie du. même nom. Sur la rive droite, entre la Mouga et le torrent de Terradas qui se jette dans le Manol, se dresse l'énorme massif de la Magdelaine.

Augereau n'avait pas assez de monde pour occuper la Magdelaine, et il ne put garder avec ses deux brigades que les bords de la Mouga. Il plaça la brigade Guieu sur la rive droite en avant et à l'est de Saint-Laurent, la brigade Mirabel à la Fonderie, et plus haut, à gauche, au hameau de Darnius, en face de la trouée qui séparait la Fonderie du bourg d'Agullana, le 3e bataillon de la 30e demi-brigade commandé par le brave Pourailly[13]. Ce bataillon reliait ainsi la division Augereau aux premiers postes de la division Pérignon. Mais, pour aller de la Fonderie à Agullana, il fallait marcher durant toute une journée par deux crêtes élevées et par trois gorges profondes. La division Augereau était donc isolée, et les Espagnols pouvaient d'un moment à l'autre s'établir au-dessus d'elle sur la montagne de la Magdelaine.

Aussi La Union conçut-il le plan d'écraser Augereau. Son infanterie comptait 15.000 hommes : 5.000 entre Espolla, et Vilarnadal, et 10.000 en avant de Figuières. Sa cavalerie toute fraiche, et. qui n'assistait pas à la bataille du Boulou, se composait de 4.000 chevaux. Ce n'était pas assez pour débloquer Collioure ou Bellegarde ; c'était assez pour vaincre notre division de droite et reconquérir la fabrica de Saint-Laurent. Mais il éparpilla son armée milieu de la former en masse et de la pousser droit sur la Magdelaine.

Elle était répartie en sept colonnes qui chacune avaient leur mission : la première prendrait Saint-Laurent ; la deuxième et la troisième attaqueraient la Fonderie, l'une de front, l'autre à dos ; la quatrième emporterait Darnius et, après ce succès, rejoindrait la deuxième ; la cinquième, passant entre la Mouga et la Fonderie, irait vers Coustouges couper aux Français leur ligne de retraite ; la sixième et la septième inquiéteraient Pérignon et l'empêcheraient de secourir les Français qui gardaient Darnius.

Le 19 mai, à la pointe du jour, s'engageait le combat.

La première colonne eut aisément l'avantage. La brigade Guieu n'avait pas de retranchements ; elle fut délogée du plateau qu'elle occupait et rejetée au-delà de la Mouga, jusque dans le village de Saint-Laurent.

La deuxième colonne échoua. Elle ne devait agir que lorsque la quatrième colonne, maîtresse de Darnius, aurait débouché. Après une assez longue attente, elle s'ébranla seule, et ses gardes wallonnes se déployèrent en tirailleurs à mi-côte de la Magdelaine contre la brigade Mirabel, qui tenait en avant de la Fonderie et du pont dit de Saint-Sébastien plusieurs redoutes élevées sur des mamelons. A cet instant Mirabel sut le péril de Guieu. Sans balancer et avec la certitude que le canon de ses redoutes mettrait les Espagnols en échec, il courut à Saint-Laurent avec son artillerie légère ; il arrêta la première colonne qui pénétrait dans le village, il la refoula, et laissant Guieu ressaisir l'offensive, il regagna son poste. Là encore il arrivait à temps : la troisième colonne avait exécuté sa manœuvre, elle tournait la Fonderie, prenait à dos la brigade française. Déjà Mirabel voyait, comme il dit, sous le choc des Espagnols qui se produisait, avec une vigueur peu ordinaire, sa droite mise en déroute et poursuivie. Mais il avait prié Augereau de lui envoyer un bataillon. Augereau vint en personne, et, selon le mot de Mirabel, comme à point nommé. Il avait avec lui le 6° bataillon de chasseurs conduit par Bon. A la voix de Mirabel, quatre compagnies s'avancent vers le centre de l'adversaire pour le rompre ; elles gravissent la pente extrêmement rapide de la montagne ; puis, après une halte dont elles profitent pour se reposer et se reformer, elles fondent sur les Espagnols et les culbutent. Sur-le-champ Augereau commande de battre la charge et de marcher baïonnette baissée. La brigade Mirabel se rallie, se renforce de trois compagnies, se précipite sur la droite des ennemis que Bon attaque de front ; ils plient et fuient en désordre.

Dans le même instant, la brigade Guieu chassait de Saint-Laurent la première colonne et la rejetait sur l'autre revers de la montagne dans la gorge de Terradas.

Ramenés de tous côtés, craignant d'être enveloppés, les Espagnols se sauvèrent en poussant le cri que La Union leur reprochait quelques jours auparavant : Ils nous coupent ! Nos cortan ! Mais ils furent vivement poursuivis. Les gardes wallonnes ne reçurent pas de quartier. Des volontaires du 2e bataillon de la Haute-Garonne étouffèrent dans leurs bras les fuyards qui s'enlaçaient à eux pour éviter leur baïonnette. Tous les rochers, écrit Augereau, sont teints de sang ; toutes les hauteurs, jonchées de cadavres.

Sur les autres points, les Espagnols avaient également le dessous et n'opéraient que des marches et contre-marches inutiles.

La quatrième colonne ne put de toute la journée enlever Darnius, que le bataillon de la 39e demi-brigade, animé par son commandant Pourailly et secouru par le bataillon des grenadiers des Bouches-du-Rhône, défendit avec acharnement.

La cinquième colonne s'acquitta de sa tâche. Elle fit même davantage. Sous les ordres du neveu de La Union, le comte del Puerto, les 600 miquelets dont elle se composait se glissèrent entre la Mouga et la frontière ; ils cheminèrent toute la nuit ; ils attaquèrent le village de Coustouges et obligèrent le détachement qui le gardait à reculer sur Saint-Laurent-de-Cerdans ; si Augereau avait subi un échec, ils lui barraient l'accès du Vallespir ; ils étaient prêts, reconnaît le général, à nous couper en cas de retraite. Mais à quoi servait ce mouvement, puisque les colonnes qui faisaient le principal effort s'étaient dispersées ?

La sixième et la septième colonne remplirent aussi leur mission, et en pure perte. C'était toute la cavalerie qui, soutenue par une brigade d'infanterie, vint sur la grande route aux abords de La Jonquère, et un corps assez nombreux qui sortit d'Espolla pour se déployer sur les hauteurs au nord de Vilaortoli et jusqu'à Cantallops. Ces démonstrations trompèrent Pérignon, qui n'osa dégarnir sa ligne tant qu'il ignora les événements. Mais, lorsqu'il apprit le succès de la Fonderie, au lieu de courir à Darnius et de dégager le bataillon de la 39e demi-brigade, il suivit lentement par la route, jusqu'aux abords de Pont-des-Moulins, les deux colonnes qui se retiraient[14].

 

La Union était vaincu. Son armée n'avait pas montré la bravoure sur laquelle il comptait. Derechef et avec amertume il se plaignait de l'affaissement des âmes. Partout, des grades les plus élevés jusqu'aux derniers rangs, il remarquait l'indolence, le laisser-aller, l'apathie et même la peur. Il ne reconnaissait plus les généraux qui, l'année précédente, avaient encore quelque entrain. On ne songe qu'à la paix, écrivait-il, et que ferai-je seul, tout seul, qué paré, solo, solimo !

Sa tristesse était d'autant plus profonde qu'il avouait sincèrement la vaillance et l'activité de ses adversaires. Hélas ! ceux qui servaient la bonne cause, la cause de la religion et de la royauté légitime, étaient paresseux et mous ! Ils ne combattaient qu'avec répugnance et comme malgré eux pour les idées belles et généreuses ! Et les Français, ces révoltés, ces impies, luttaient à outrance pour la fausse philosophie ! Les Espagnols sont froids, disait La Union, et les Français s'électrisent ! Oui, rendons-leur cette justice ; parmi les plus grands dangers, nos ennemis se conduisent en héros. Ah ! si nos gens s'enthousiasmaient à ce point ![15]

Il avait raison. Augereau parlait de ses soldats dans les mêmes termes que La Union. Tous, lit-on dans son rapport, avaient montré le sang-froid et l'intrépidité qui caractérisent les républicains. Pas un qui n'eût, dans cette journée mémorable, brûlé soixante cartouches. Les canonniers, ayant épuisé leurs mèches, mettaient le feu aux pièces avec des tisons embrasés, et Augereau avouait qu'ils avaient déployé toute l'énergie possible. Désormais cette division, qui venait de faire un si vigoureux effort, se regarda comme une division d'élite. Elle n'eut que mépris pour ceux qu'elle nommait les automates de l'imbécile tyran de Madrid. Elle répéta ce mot du représentant Milhaud que les Français, qui n'étaient que 5.000, avaient, quoiqu'ils fussent cernés, battu 15.000 Espagnols. Avec quel accent superbe Mirabel glorifiait sa brigade ! La République, écrivait-il, peut mettre cette journée au nombre de celles qui font sa gloire. Pour la seconde fois que Don Quichotte La Union attaque la division, il a le bec jaune. Qu'il y revienne encore, il sera toujours châtié. Avec les fiers héros que je commande, les Espagnols ne me débusqueront jamais du poste inappréciable que j'occupe ; je leur ai pris un général, des officiers de tous grades, trois cents soldats, beaucoup de munitions et d'outils, et tel est l'ouvrage d'une poignée de sans-culottes ! Tous méritent une couronne civique ! Je ne puis te rendre compte de tout ce qui s'est fait de beau et de sublime. Pas un blessé qui n'ait supporté son malheur en républicain ; pas un de ceux qui ont péri qui ne soit mort en héros. Et, dans une autre lettre d'un ton plus familier et plus rude : Les scélérats ont tenté de me déposséder ! Sacredieu, ils se sont trompés. Reposez-vous toujours sur nous et croyez que nous ne reculerons pas d'une semelle. Si le tyran espagnol avait bonne conduite, il devrait s'amuser plutôt à faire forger des hommes -qu'à nous en opposer, parce que c'est autant de morts. Cependant ça n'empêchera pas qu'il ne soit de ce nombre et que les braves républicains ne lui fassent éprouver, eu place de son fanatisme, les effets de la sainte guillotine .avant qu'il soit peu !

Mais n'était-ce pas la brigade Mirabel qui vendait les fusils enlevés à l'Espagnol pour 6.612 livres et offrait cette somme aux veuves et aux enfants de leurs camarades morts dans le combat du 19 mai ? N'était-ce pas la brigade Mirabel qui faisait aux sociétés populaires une réponse vraiment spartiate et républicaine ? Les clubs avaient promis des récompenses pécuniaires aux défenseurs de la patrie qui feraient quelque action héroïque ou monteraient les premiers à l'assaut d'une redoute ou d'un fort. Comme le grenadier de l'ancien régime qui disait qu'on ne va pas là pour de l'argent, la brigade Mirabel déclara, dans une adresse que la Convention fit imprimer et envoyer aux armées, qu'elle n'acceptait pas de récompenses pécuniaires : Les bataillons composant la brigade Mirabel les réclament tout au plus pour les veuves et les enfants de soldats morts ou mutilés au champ d'honneur. Ils ne demandent pour eux que les fatigues, les périls, les blessures, la mort. Point d'argent dans notre métier ! Il le gâte, surtout quand il s'agit de l'honneur, de la préséance pour monter à l'assaut. La liberté, l'égalité, la République, la patrie, en faut-il davantage pour nous faire braver les hasards des batailles ? Nous ne sommes affamés que de gloire et de liberté ![16]

 

Dugommier applaudit de tout cœur au combat du 19 mai. On y reconnait bien notre avant-garde, écrivait-il à Augereau ; elle ne pouvait mieux soutenir sa devise : baïonnette en avant ![17] Mais peut-être, malgré ce beau succès, aurait-il dû tirer la division Augereau de son dangereux isolement et la lier au reste de l'armée, l'employer à l'investissement de Bellegarde ou plutôt à l'invasion de la Catalogne. Il n'en fit rien. Le blocus des places fortes était sa plus grande préoccupation.

Il s'alarma pourtant lorsqu'il apprit que La Union faisait des retranchements en avant de Figuières.

Afin de barrer aux Français l'entrée de l'Ampurdan, le général espagnol avait conçu le vaste et imprudent dessein d'élever des montagnes à la mer une ligne redoutable de défense. Pour l'instant, il choisissait, fortifiait des positions entre la Mouga et. le Llobregat, près de la grande route de Bellegarde à Figuières. Cette route longe, au sortir de la frontière française, la rive gauche, puis la rive droite du Llobregat, affluent de la Mouga. Au pont de Capmany, lorsqu'elle débouche de la gorge de Bioure, elle quitte le Llobregat qui la coupe pour se grossir du Ricardell et se diriger vers le sud-est. Elle descend alors en droiture sur Figuières, et à Pont-des-Moulins, sur un pont solidement construit, traverse la Mouga.

Ce fut à Pont-des-Moulins que La Union établit son centre et il eut soin de retrancher en avant de ce village le plateau de Notre-Dame-de-Roure et, en arrière, le plateau de Llers.

Averti, Dugommier donna ordre à Pérignon de reconnaître et d'inquiéter les travaux des Espagnols. Pérignon se mit en marche par la grande route, dans la nuit du 6 au 7 juin, avec 600 cavaliers commandés par La Barre et 4.000 fantassins qui formaient les brigades Point, Ramand et Banel. Une forte réserve garda le pont de Capmany. Un détachement de 800 hommes eut mission d'assaillir de front le plateau de Notre-Dame-de-Roure ; Ramand[18], ancien sergent-major au régiment de Bourgogne, devenu en 1792 adjudant-major et en 1793 chef de bataillon, attaché à l'état-major après sa belle conduite à Peyrestortes et au camp de l'Union, était à la tête de cette troupe. La brigade Banel dut aborder de flanc les mêmes retranchements. La brigade Point se posta sur la rive droite du Llobregat en avant de la gorge de Bioure.

Pérignon ne devait faire qu'une démonstration. Mais peut-être voulait-il avoir sa victoire, tout comme Augereau : il attaqua, il livra le combat dit du Llobregat, et il fut vaincu.

L'action commença sur le plateau de Roure. Les Espagnols ébauchaient une redoute près de la chapelle. Ils furent surpris, culbutés et refoulés sur Pont-des-Moulins. Banel et moi, écrivait Lannes, attaquâmes la redoute. que nous enlevâmes ; la terre était jonchée de morts ; je me précipitai au milieu de leurs bataillons et arrachai trois drapeaux des mains de ces lâches. Mais le feu des batteries de Pont-des-Moulins arrêta bientôt les assaillants, et La Union envoya contre eux le régiment de Malaga et un corps de cavalerie. Cette cavalerie s'égara et le régiment de Malaga s'attarda. Toutefois, de son propre chef, le major Hogan, avec un bataillon du régiment d'Hibernie et 100 hommes de grand'garde, grenadiers royaux et dragons de Numance, avait volé résolument à la défense du plateau.

A leur droite, les Espagnols obtenaient un avantage encore plus signalé. La Union, croyant être aux prises avec l'armée française, avait lancé la masse de sa cavalerie qui vint, en remontant la rive gauche du Llobregat, tourner la brigade Point. L'intrépide La Barre se jeta sur-le-champ à sa rencontre. Il n'avait avec lui que 250 chevaux. Mais, entraîné par le représentant Soubrany, il n'hésita pas à charger. Il fut tué d'un coup de sabre sur la tête. Soubrany faillit périr : quatre Espagnols l'entouraient ; il reçut un coup de pointe qu'il eut l'adresse de parer et quelques coups de sabre qui tous portèrent à plat ; il n'échappa qu'avec peine en laissant son chapeau à plumes entre les mains de l'ennemi, et les Français durent repasser en hâte le Llobregat. Le général Point accourut avec 600 hommes : il fut enfoncé et repoussé rudement. La cavalerie espagnole, composée des régiments d'Algarve et de Pavie, pouvait couper aux républicains la route dé La Jonquère. Heureusement le feu de l'infanterie qui s'était abritée dans les vignes et derrière les haies, l'arrivée des grenadiers du Gard, le tir .de l'artillerie légère intimidèrent les escadrons de La Union, et leur commandant refusa de suivre le chemin que le vicomte de Gand lui indiquait et de franchir à cheval un ruisseau que les fantassins français traversaient à gué. Heureusement Augereau avait, au bruit du canon, envoyé de Terradas la brigade Guieu : elle marcha vers le plateau de Llers, le fusil sur le col, comme à la promenade, emporta le camp, et elle allait mettre le feu aux tentes lorsque, à midi, Pérignon fit battre la retraite.

L'affaire, écrivit Dugommier, avait été très chaude. Elle coûtait aux Français pris de 200 hommes. Deux chefs étaient blessés ; Ramand, frappé à l'aine, et Guieu, atteint d'un coup de biscaïen au bras droit. La perte la plus regrettable fut celle de l'audacieux, du chevaleresque, du séduisant La Barre, qui, s'il avait vécu, serait sûrement devenu l'un des grands cavaliers de l'Empire. Sa mort fut-elle aussi héroïque que l'ont écrit les contemporains ? Des grenadiers l'emportaient du champ de bataille : Mes amis, aurait-il dit, laissez-moi, rentrez dans vos rangs et combattez pour la République ; je suis content, je meurs pour elle. Quoi qu'il en soit, on ignora son sort durant quelques jours. Dugommier et Lamer espéraient qu'il n'avait pas succombé, et, bien que fort inquiets, ils comptaient encore que La Barre n'était que prisonnier. Enfin La Union, consulté, répondit qu'on avait trouvé son habit de général, mais qu'on n'avait pu démêler son corps sur le lieu de l'action et qu'il était, selon toute apparence, au nombre des tués.

Le combat du 7 juin fut donc malheureux. Il ne troubla même pas les travaux des Espagnols. Mais Dugommier n'était pas entièrement responsable de cet échec, et le chef d'état-major Lamer avait quelque raison d'écrire au Comité que son général était douloureusement affecté d'une affaire à laquelle il n'avait eu aucune participation. Pérignon avait engagé l'action de sa propre autorité, assez imprudemment et sans avoir pris toutes ses précautions. Augereau n'était nullement informé de la marche de son collègue, et il s'amusait à déloger des hauteurs de Terradas des bandes de miquelets lorsqu'il entendit la canonnade. Pourquoi Pérignon n'envoyait-il aucune instruction, aucun avis à cette division de droite qui pouvait tomber sur les derrières de l'armée espagnole ? Et pourquoi Dugommier n'avait-il pas enjoint à ses lieutenants de s'assurer d'une mutuelle assistance avant de rien entreprendre ? Sans doute il était, à ce moment même alité, tourmenté par les souffrances que lui causait la blessure reçue devant Saint-Elme. Pourtant il avait prescrit le mouvement de Pérignon, et puisqu'il savait que ses généraux étaient en mésintelligence, il devait leur ordonner de s'appuyer réciproquement en bons camarades[19].

 

 

 



[1] Cf. Pineau, 504-506, bulletin de la maladie, 9 juin, et lettre de Dugommier au Comité, 8 juin (A. G.). On peut, d'après la correspondance de Lamer, savoir exactement son état de santé. Le 8 juin, il est opéré et soulagé. Le 9, au matin, il semble plus mal, et Lamer écrit aux représentants que sa maladie prend des couleurs graves, qu'on espère et craint tour à tour ; mais le soir, Dugommier est infiniment mieux. Le 10, il est encore beaucoup mieux que la veille. Le 11, le mal a cessé entièrement ses progrès. Le 14, le général se rétablit et sa guérison prochaine est assurée. En somme, comme l'a dit Desdorides, il ne cesse de donner des ordres, et le service ne souffre pas de son absence.

[2] Fervel, II, 138. Dès le 27 juin, Dugommier avait prescrit d'excellentes mesures : balayer le camp tous les matins et l'arroser deux fois par décade, changer les tentes de place, étendre la paille au soleil et la remettre, lorsque l'air qui soufflait après le coucher du soleil l'aurait un peu rafraîchie, changer les latrines de place deux fois par décade et recouvrir les fosses, enterrer les chevaux morts à dix pieds de profondeur, mêler du vinaigre à l'eau que buvaient les troupes.

[3] Requête signée par le chef de brigade Beaupoil de Saint-Aulaire (Fervel, II, 137).

[4] Mot d'Albert au Directoire, 23 mai 1798 ; — cf. Pineau, 650.

[5] Baumgarten, 523-52/4 ; — P. Delbrel, loc. cit., août, 655, 661, sept., 59-62.

[6] Doppet, Mém., 352-356. Les soumatens, c'est la levée en masse. Soumaten et tocsin sont synonymes. (Fervel, I, 96).

[7] Dugommier au Comité, 11 mai ; — Cf. Dugommier à Bouchotte, 17 février et Dugua à un représentant, 25 mai (A. G.).

[8] Rapport d'Augereau (A. G.) ; — P. Delbrel, loc. cit., sept., 657 ; — Vidal, III, 240 (Lettre de Mirabel).

[9] Cf. le rapport d'Augereau sur les journées des 17 et 18 floréal (A. G.).

[10] Cf. le rapport d'Augereau sur les journées des 26 et 27 floréal.

[11] Fervel, II, 102 et 108.

[12] Dugommier au Comité, 11 mai, à Augereau, à Martin, à Pérignon, 7, 9, 11, 12, 16 mai ; — Lamer à Dugommier, 11 mai (A. G.).

[13] Etienne Pourailly, né le 14 septembre 1763 à Bayonne, naguère capitaine des grenadiers au 1er bataillon des Basses-Pyrénées. Il arracha le 13 novembre 1793, à Loano, deux drapeaux aux ennemis et fut chargé de porter au Directoire les étendards pris aux Austro-Sardes. Nommé chef de la 4e demi-brigade, il périt au combat de Salo le 3 août 1796. On ne doit pas le confondre avec son frère cadet Bernard, capitaine au 3e bataillon de la légion des Montagnards, qui devint général de brigade et baron de l'Empire.

[14] Rapport d'Augereau et lettre de Mirabel à Augereau, 20 mai (A. G.) ; — Gazette de Madrid, n° 44 (lettre de La Union) ; — Fervel, II, 100-106. Augereau n'avait, dit-il, que 250 hommes tués et blessés.

[15] P. Delbrel, loc. cit., août, 658-660.

[16] Rec. Aulard, XIII, 688 ; — Vidal, III, 240 ; — Moniteur, 29 avril et 14 août ; — Mirabel à Augereau. 20 mai (A. G.).

[17] Dugommier à Augereau, 21 mai (A. G.).

[18] Il devint colonel et commanda, outre le département de la Lozère, les places de Bastia, d'Ajaccio, de Blaye, de Nieuport et de Boulogne.

[19] Cf. Marcillac, 251-254 ; — Fervel, 111-113 ; — Vidal, 295-299 ; Lannes à Pouzols (la Révolution française, 14 janvier 1900, p. 88) ; — Lamer à Pérignon, aux représentants et au Comité, 8, 9 et 10 juin ; — Dugommier au comité, 8 juin (A. G.).