DUGOMMIER

1738-1794

 

CHAPITRE XI. — COLLIOURE ET BELLEGARDE.

 

 

Fautes de Dugommier. — Les places de la côte, fort Saint-Elme, Port-Vendres, Collioure. — Occupation du puig de Las-Daynas. — Bombardement de Saint-Elme. — Sortie du il mai. — Impuissance de Castagnier. — Attaque du 22 mai et tentative d'escalade. — Saint-Elne évacué dans la nuit du 25 mai, ainsi que Port-Vendres. — Capitulation de Collioure (26 mai). — Départ de sa garnison (27 mai). — Ses armes déposées à Banyuls sur-Mer. — Décret du 3 juin. — Violation de la capitulation. — Correspondance de Dugommier et de La Union. Fureur des représentants. — Le décret de guerre à mort (11 août). Proposition d'arbitrage. — Investissement de Bellegarde. — Capitulation du fort (17 septembre). — Lettres de Dugommier et du représentant Delbrel au Comité.

 

Si brillante que fût la victoire du Boulou, elle était incomplète. Dugommier avait commis des fautes. Pourquoi n'appelait-il pas à lui tous les bataillons dont il disposait ? 12.000 hommes environ tenaient la côte, depuis les Bouches-du-Rhône jusqu'à la Tet : le tiers de ces troupes n'aurait-il pas suffi pour renforcer la brigade Lemoine, qui n'avait pu, parce qu'elle était harassée de fatigue, intercepter à temps le col de Portell ?

Que faisait, pendant ces mémorables journées, la division de Cerdagne ? Un jacobin de Perpignan n'écrivait-il pas à Paris qu'elle allait couper la retraite aux vaincus de Céret et du Boulou ? Deux députés des Pyrénées-Orientales, Delcasso, le curé de Montlouis, et Montégut, ne disaient-ils pas, au mois de mars, que si les Espagnols étaient battus au Boulou et refoulés sur Figuières, elle pourrait leur barrer le chemin et leur disputer le passage du Ter, puisqu'elle serait sur l'autre rive ? Ce plan était celui de Dagobert, et Dugommier ne l'ignorait pas ; lorsqu'il sut la mort de Dagobert, il demanda au Comité s'il devait le suivre : une diversion bien opérée, remarquait-il, ne pouvait manquer d'être utile. Au moins aurait-il dû envoyer en toute hâte à la division de Cerdagne l'ordre de se porter dans le Vallespir pour fermer la gorge du Ter aux Portugais. Cette division ne détacha que 2.000 hommes, commandés par l'adjudant-général Porte, et ces 2.000 hommes se contentèrent de pousser lentement dans la vallée de la Sègre l'ennemi qui reculait devant eux ; ils entrèrent dans Montella, ils incendièrent Alqueu et Caves dont les habitants avaient tiré sur eux ; ils épargnèrent Villanova qui n'avait pas résisté, et après ces beaux faits, non sans avoir raflé du pain, du grain et du bétail, ils regagnèrent leurs quartiers. N'eût-il pas mieux valu que ces 2.000 hommes fussent employés contre les Portugais qui s'échappaient du Vallespir[1] ?

Le général commit une faute plus grave encore. Il devait suivre son avantage, franchir le col de Portell, rejeter dans Figuières et dans Girone les Espagnols déconcertés, pendant que la division de Cerdagne les prenait en flanc ou à clos. C'était finir la guerre, et les places de Collioure et de Bellegarde, abandonnées à elles-mêmes, auraient bientôt capitulé comme capitulèrent dans le nord Le Quesnoy, Landrecies, Valenciennes et Condé. En 1675, lorsque le col de Portell était aux mains des Espagnols, le maréchal de Schomberg, débouchant par le col de Banyuls, n'allait-il pas chercher sous les murs de Girone les clefs de Bellegarde ?

Dugommier faisait la même faute que Ricardos, en mai 1793, après le combat du Mas-Deu. Maître de la campagne, le général espagnol aurait dû marcher sur Perpignan, et il avait perdu tout le fruit de ses succès en attaquant Prats-de-Mollo, Fort-les-Bains et Bellegarde, trois places qu'il avait dépassées et qu'il aurait masquées sans difficulté ni péril.

Un homme d'expérience et d'esprit perspicace, le général Dugua,  jugeait mieux la situation. Il disait que Dugommier profitait bien mal de sa victoire ; qu'assiéger les places de la côte, c'était donner aux Espagnols le temps de se remettre de leur frayeur et de se rassembler ; qu'ils ne seraient pas aussi lents qu'on le croyait à réparer leurs pertes. Quoi, s'écriait Dugua, au lieu de réunir leurs forces et de poursuivre l'ennemi sans relâche, les vainqueurs du Boulou s'arrêtaient à deux kilomètres de la frontière ! Est-ce, ajoutait Dugua, l'égoïsme ou est-ce l'ignorance ? Est-ce un motif plus criminel ? Le général en chef a été s'enterrer derrière Saint-Elme, à six ou dix mortelles lieues des autres divisions, dans une batterie d'où il canonne ce nid de pie, qui ne devrait être que l'objet d'un coup de main ![2]

On a prétendu que Dugommier craignait la colère du Comité. Mais le Comité ne lui avait rien prescrit. Naguère le général ne prenait-il pas sur lui d'intervertir l'ordre des opérations et de commencer par l'attaque du Boulou ? C'était par dessus tout un homme prudent et méthodique. Pas de pointe en Espagne, dit-il nettement à ceux qui l'entourent ; avant de rien tenter à l'extérieur, il faut chasser l'Espagnol de Collioure et de Port-Vendres. Le sage et froid Lamer l'approuvait. Ceux, écrit-il, qui n'ont jamais vu d'armée, pensent que l'on peut courir la poste. Milhaud et Soubrany étaient du même avis ; malgré leur ardeur et leur fougue, les deux représentants pensaient, ainsi que Dugommier et Lamer, qu'il fallait d'abord purger le territoire, et après avoir déclaré, le 3 mai, que tout particulier qui cacherait dans sa maison des fuyards de l'armée espagnole ou des émigrés ou des effets appartenant aux uns et aux autres, serait fusillé comme traître à la patrie au milieu de l'armée, ils s'acheminaient, avec le général en chef, vers les places de la côte[3].

Dugommier laissa donc La Union reculer par le col de Portell sous le canon de Figuières et envoyer à Bellegarde, par La Jonquère, deux bataillons de renfort et des approvisionnements. La division du centre, commandée par Pérignon, aurait pu, de Maureillas, troubler les communications du général espagnol avec Bellegarde, qui reçut le 8 mai un dernier convoi ; elle se tint immobile durant quatre jours. Ce ne fut que le 6 mai que Pérignon gagna le col de Portell et descendit en terre espagnole à La Jonquère où il mit son quartier-général. De là avec les brigades Martin, Point et Lemoine, il observa Bellegarde.

De même que les Espagnols, les Portugais avaient repassé la frontière sans être inquiétés. Lorsque la division de droite conduite par Augereau s'ébranla au soir du 2 mai, il était trop tard : Augereau remonta la vallée du Tech ; il prit possession des deux petites places évacuées par les Portugais, Fort-les-Bains et Prats-de-Mollo ; il occupa Saint-Laurent-de-Cerdans ; mais la division du général Forbes avait sur lui vingt-quatre heures d'avance, et il ne put l'atteindre.

Pendant ce temps la division de gauche, menée par Sanret, mettait le siège devant Collioure. A peine la bataille du Boulou était-elle terminée que Dugommier ordonnait à La Barre de se diriger sur Argelès avec tout ce qu'il pouvait réunir dé troupes à Cheval, à Sauret de suivre La Barre, à Chabert, dont la brigade était détachée du centre, de fermer le col de Banyuls avec 2.000 hommes qui passeraient par les Albères et emporteraient deux jours de vivres. Ces mouvements s'exécutèrent, mais dans le désarroi et la fatigue de la victoire, avec assez de mollesse. Tout est lent, disait Dugommier, et il n'y a de vivacité que dans les attaques.

Chabert, qui longeait la côte des Altières, s'égara parmi les rochers et, lorsqu'il arriva le 5 mai dans la soirée au col de Banyuls, après deux jours de marche, une grande partie de la cavalerie espagnole, 500 chevaux environ, avait franchi le défilé. La Barre n'entra dans Argelès que le 2 mai, au matin : la garnison, qu'il croyait enlever, était déjà partie[4].

Mais, clans l'après-midi du même jour, Dugommier venait à Argelès et prenait sur-le-champ toutes ses dispositions.

 

Le commandant de Collioure, sommé par La Barre de se rendre, avait répondu que le temps n'était pas encore venu. IL se nommait Eugenio Navarro et il avait le grade de maréchal de camp : homme brave, intègre, juste, pénétré de la crainte de Dieu, et qui, selon le mot de Thomas de Morla, avait encore mille autres vertus, fantasque toutefois, indocile et ignorant. Mais il avait 7.000 soldats, 91 pièces en batterie et de bonnes murailles[5].

Collioure à gauche, le fort Saint-Elne au centre, Port-Vendres à droite formaient un seul système de fortifications. Port-Vendres, entièrement ouvert du côté de la campagne,  avait un excellent port que ses batteries ne suffisaient guère à défendre. Le fort Saint-Elme qui séparait et dominait tout ensemble Port-Vendres et Collioure, était un rocher à l'abri d'une attaque de vive force, et les Espagnols ne l'avaient eu l'année précédente que par trahison. Collioure possédait une enceinte bastionnée qui reliait deux forts situés à ses deux extrémités, le Château et le Miradoux ; mais ce qui valait mieux que cette enceinte, c'était le camp de la Justice ou les ouvrages extérieurs : la tour et les deux redoutes en maçonnerie construites sur la hauteur de Las Forcas, une suite de retranchements de campagne qui s'étendait jusqu'au puig Oriol, et le puig Oriol où s'élevaient deux redoutes.

Avant d'assiéger ces trois points, il fallait se saisir du puig de Las Daynas. C'était de Las Daynas que se détachaient trois arêtes de montagnes, trois branches ou rameaux, l'un qui enveloppait Collioure et l'isolait de la plaine du Roussillon, l'autre dont la pointe était couronnée par le fort Saint-Elme, le troisième qui se terminait au cap Béar en laissant Port-Vendres à sa gauche. Pour empêcher l'investissement des trois places de la côte, les Espagnols n'avaient qu'à tenir le puig de Las Daynas, et ils pouvaient le faire d'autant plus aisément qu'ils avaient le double de monde nécessaire. Ils ne comprirent pas qu'ils résisteraient plus longtemps s'ils défendaient les dehors de leur position, s'ils occupaient le puig de Las Daynas, dont les rochers leur constituaient comme une seconde enceinte. Ils crurent inutile de s'établir sur ce massif qui semblait inaccessible. Garder le camp de la Justice, n'était-ce pas assez ? Navarro ne mit donc de l'infanterie et du canon que sur les hauteurs. qui vont de la côte au puig Oriol.

Il comptait sans Dugommier qui se montra clans cette circonstance à la fois adroit et audacieux. Dans la nuit du 2 au 3 mai, les 14.000 hommes dont se composait l'armée de siège, c'est-à-dire la division Sauret formée en six brigades, partaient d'Argelès où ils s'étaient concentrés. La brigade Guillot ouvrait la marche. Il lui fallut pour aller d'Argelès au Mas Jordis, par un chemin étroit où deux hommes seulement passaient de front, une demi-heure ; du Mas Jordis au Mas Vergès un quart d'heure ; du Mas Vergés au Mas. Rimbaud trois quarts d'heure. Puis, trompant la vigilance des postes du puig Oriol, longeant le petit torrent du Ravenel et sa gorge tortueuse, elle monta en une heure par un mauvais sentier au pic de Taillefer, et de là descendit en un quart d'heure au puig de Las Daynas.

Deux autres brigades, les brigades Micas et Pelletier, suivaient les traces de la brigade Guillot. Arrivées au puig de Las Daynas, elles se dirigèrent par la crête de l'arête sur le col de Perdiguer, portant leur droite il la vigie de Béar et détachant un bataillon de chasseurs au col del Mitg et cinquante miquelets à la tour de la Massane qui domine toute cette région. Deux autres brigades, les brigades Causse et Pinon, occupèrent le Mas Jordis et les défilés du Mas Frère jusqu'au pied des monts. La sixième brigade, la brigade Victor, barrait la plaine et fermait en avant du Mas Leclerc la ligne d'investissement. La cavalerie de La Barre en seconde ligne s'étendait dans la plaine d'Argelès.

Un léger échec assombrit l'expédition. La brigade Micas devait, selon des instructions antérieures que Dugommier avait ensuite annulées, prendre à revers deux batteries de Port-Vendres qui défendaient au pied des hauteurs du cap Béar l'accès du goulet. Elle fut repoussée. Elle a cédé, disait Dugommier, à la démangeaison d'entrer à Port-Vendres et elle a perdu quelques hommes ; c'est une leçon qui lui fera sentir la nécessité de respecter rigoureusement mes ordres[6].

Toutefois cette attaque téméraire jeta l'émoi dans Port-Vendres. Cinq frégates et nombre de chaloupes espagnoles mouillaient à l'entré e du port ; malgré le gros temps, elles mirent aussitôt à la voile et plusieurs de ces embarcations furent submergées, avec elles des émigrés de la légion de la Reine. Une grande quantité d'hommes et de femmes et beaucoup d'émigrés, écrivait Milhaud, ont été engloutis dans les flots, et une belle bombarde chargée d'un mortier à la Gomel- a échoué sur notre rive[7].

Enfin la division Sauret interceptait tous les défilés et cernait entièrement les places de la côte. Voilà s'écriait Dugommier, Collioure resserré, et il est impossible à un chat espagnol de passer ! En une nuit, sur trois à quatre lieues de terrain, parmi des rochers que nulle troupe n'avait encore abordés, par une manœuvre aussi habile que hardie, Dugommier avait environné Saint-Elme, Port-Vendres et Collioure. Dans l'après-midi du 3 mai, il venait avec Soubrany et son état-major s'établir au puig de Las Daynas dans une méchante cabane de chevrier et partager, comme il disait, en cette froide cahute, le bivouac de ses frères d'armes. Il donnait ainsi l'exemple de l'endurance. Pendant vingt-quatre jours, sans tente, presque sans abri, les troupes, gardant tous les cols par où l'ennemi pouvait s'évader, allaient supporter dans les montagnes des pluies fréquentes et un froid rigoureux avec abnégation et, selon l'expression des représentants, avec une constance stoïcienne. Nous sommes ici, marquait Dugommier à Peyron, sur une montagne très venteuse, et je t'écris de la tanière d'un renard ; ce qui me console, c'est que je ne tarderai pas d'être un loup[8].

 

Saint-Elme était la clef de la position ennemie et Dugommier dirigeait tous ses efforts contre Saint-Elne. Si Saint-Elme tombait, disait-il, tout le reste tomberait. Saint-Elme, c'était la redoute anglaise, c'étaient les Albères : la redoute anglaise lui avait donné Toulon ; les Albères lui avaient donné le Boulou, Céret et les postes environnants ; Saint-Elme lui donnerait Port-Vendres et Collioure[9].

Construit en forme d'étoile à six pointes autour d'une ancienne vigie, le fort Saint-Elme ne pouvait être battu que d'un seul côté. Il avait des escarpes d'une hauteur de dix-huit mètres, et une plate-forme soutenue par une série de voûtes et bordée de parapets d'une maçonnerie assez épaisse et dure. Mais ses défenseurs, au nombre de 150, n'avaient que dix bouches à feu ; son fossé manquait de contrescarpe et de chemin couvert ; son enceinte était entièrement exposée aux coups du dehors ; l'assiégeant n'avait qu'à dresser sur le puig de Las Daynas, à cinq cents pas des murailles, une batterie de brèche.

Dugommier avait cru d'abord sur la foi de quelques officiers que le calibre de 12 suffirait à réduire Saint-Elme ; il reconnut bien vite qu'il avait eu de faux renseignements, et il dut emprunter des pièces de 24 à Castagnier.

Selon l'ordre du général, Castagnier vint le 5 mai débarquer à l'anse des Paulilles, non loin de Béar, douze pièces de 24, trois de 12 et huit mortiers de divers calibres. Milhaud montait la même canonnière que Castagnier, la Dune-Libre, et Dugommier, rappelant que Soubrany était avec lui sur la montagne, disait que les deux représentants se partageaient la terre et la mer[10].

Restait à transporter canons et mortiers à trois cents mètres au-dessus du rivage en face de Saint-Elme par des pentes très raides et par un sentier qu'un homme à pied aurait difficilement suivi. Les pièces, même tirées par cinquante chevaux, ne pouvaient démarrer. On les enveloppa dans des douves de tonneaux entourées de cordes, on usa de leviers, deux cents hommes s'attelèrent à chacune et, après plusieurs jours d'énergiques efforts, douze bouches à feu furent hissées sur la cime de la montagne. Encore dut-on détacher en avant des pionniers qui préparèrent les rampes et en un certain endroit dresser des gabions pour échapper aux enfilades de Saint-Elme. L'arête atteinte, de nouveaux obstacles se présentèrent. L'artillerie du fort couvrait les travailleurs de projectiles, et dans cet espace étroit, sur un sol rocheux, la sape était presque impossible. Il fallut cheminer de nuit. Durant le jour les canons étaient calés et cachés sous des fascines.

La batterie de brèche, placée à 450 mètres du fort sur le puig Japone et armée d'abord de trois pièces de 12 et de deux mortiers de 8, ouvrit le 9 mai un feu très vif qui démonta deux canons aux Espagnols. Dugommier ne fut pas satisfait de ce tir de plein fouet. Il imagina de bombarder la tour pour rendre la plate-forme intenable par les éclats de la maçonnerie : il se souvenait sans doute que Bonaparte avait, devant Toulon, après la prise de la redoute anglaise, refusé de mettre du canon à Balaguier et à l'Épinette de peur que ses camarades ne fussent tués par les ricochets des boulets et par les débris de la tour qui servait de gorge à ces deux batteries. Mais la vieille tour de Saint-Elme résista, et le général attendit, non sans impatience, la grosse artillerie.

Dans la nuit du 10 au 11 mai, la batterie française, accrue de quatre pièces de 24 et d'un mortier de 12, s'établit en avant du puig Japone dans une dépression de la crête, sur un nouvel épaulement. En quelques heures elle réduisit au silence le canon de Saint-Elme sans faire néanmoins beaucoup de dégradations dans la muraille[11].

Le 14 mai, deux pièces de 24 vinrent s'ajouter à la batterie de brèche. Navarro, alarmé, résolut de la détruire, et il opéra dans la nuit du 16 au 17 une sortie qui rappelle la sortie que firent les défenseurs de Toulon au matin du 30 novembre 1793.

Trois mille Espagnols, commandés par le marquis de Castrillo partirent de Collioure et de Port-Vendres en deux colonnes pour assaillir le puig Japone et le puig de Las Daynas Ils passèrent à côté clos avant-postes de l'assiégeant en répondant républicains français à leur qui-vive. Mais la lune, se levant soudain à onze heures, trahit leur marche. Il était trop tard pour reculer. Castrillo paya (l'audace et, tambour battant, gravit les escarpements. Il parvint presque, dit Milhaud, à cerner nos troupes. Dugommier, réveillé en sursaut, atteint à l'épaule par un biscaïen, ne dut son salut qu'aux grenadiers du 28e infanterie ci-devant Maine. Un combat opiniâtre s'engagea où se distinguèrent, outre les grenadiers du 28e, les chasseurs de Provence et ceux des Vosges, 1er et 8e. Grâce à leur intrépidité, non à leur vigilance, les Français l'emportèrent, et ils n'eurent pas 80 hommes hors de combat. Les Espagnols avaient 18 morts, 125 blessés et 98 disparus, et, comme disait Dugommier, leur coup était raté. Le général jugeait toutefois cette sortie vigoureuse et très bien concertée. Il s'irritait qu'une colonne ennemie pût s'avancer si loin parallèlement aux lignes françaises sans être aperçue ; l'événement, écrivait-il à Micas, prouvait que les points nécessaires à la défense n'avaient pas été suffisamment reconnus[12].

L'impuissance de Castagnier, de ce Castagnier qu'on surnommait le brave, et qui, selon Milhaud, ne laisserait rien échapper, redoublait la colère de Dugommier. Il avait déjà dit que la flotte de Castagnier faisait plus de bruit que de mal, qu'elle ne pouvait servir que d'épouvantail. Le 13 mai, lorsqu'il vit Castagnier s'enfuir à l'aspect de l'escadre espagnole, il éclata d'indignation. Cinq chaloupes canonnières, armées chacune d'un canon de 24, sortirent de Port-Vendres et engagèrent le feu contre Castagnier ; pendant ce temps quatre frégates espagnoles s'approchaient, convoyant soixante voiles qui se dirigeaient vers Collioure et Port-Vendres. Muni d'une excellente longue-vue, Dugommier contemplait ce spectacle ; il s'imaginait que Castagnier oserait accepter la lutte ; il croyait même que Castagnier aurait, l'avantage : chacune des canonnières françaises portait trois canons de 24, et des fourneaux à réverbère qui rougissaient les boulets à la minute. Castagnier ne fit rien : après avoir rendu quelques coups aux canonnières qui venaient de Port-Vendres, il alla se réfugier sous les batteries de Banyuls et laissa la flotte espagnole entrer intacte dans Collioure. Dugommier était hors de lui. Voilà ce Castagnier qui, disait-on, avait, à Dunkerque, détruit de gros vaisseaux ! ! Est-ce que ses neuf canonnières n'étaient pas de supériorité impérieuse ? Est-ce qu'il avait affaire à de grands navires ? Évidemment, il devait s'attendre à dés difficultés ; mais avec de l'audace, on a bientôt battu l'ennemi ! Les bateaux espagnols, écrivait-il à Castagnier, semblent se jouer de tes forces, et ils ont porté-du renfort à Collioure ; je te prie de me faire connaître positivement ce que tu vas devenir et de quelle utilité tu peux encore être à cette armée. Quatre jours plus tard, même. inaction de Castagnier. Des prêtres, des moines, des émigrés français, craignant la vengeance prochaine des républicains, s'embarquaient sur des frégates espagnoles qui les déposaient dans les ports de la Catalogne. Je vois avec douleur, dit alors Dugommier, que les ennemis ont la facilité, à la dernière extrémité, de s'évader ; ils n'ont de ressources que par la mer ; ils en profiteront et, selon toute apparence, ils évacueront par là Six semaines après, il renvoyait à Toulon cette flottille qui, de l'aveu même de Castagnier, ne pouvait seconder l'armée de terre et briser la supériorité incontestable de la marine espagnole. Il ne garda que deux avisos qui faisaient le service des côtes et assuraient les convois[13].

Il essayait cependant d'intimider le commandant de Saint-Elme. Le 18 mai, il le somma de nouveau. Commandant, lui disait-il, il est des bornes à tout, et quiconque veut aller au delà est toujours dans le cas de s'en repentir. Regarde les débris de ton fort. Ta connais les lois de la guerre et tu dois prévoir le sort de tes frères d'armes, s'ils subissent un assaut avant d'obéir à l'ardeur des miens. Je te somme, au nom de l'humanité, de réprimer une opinion désormais inutile à l'avantage de ceux pour qui tu combats. Veux-tu continuer à te défendre ou céder à la force victorieuse ? Réponds-moi en un mot oui ou non. L'Espagnol répliqua qu'il ferait connaître ses intentions quand le temps serait venu. Aussi, le 19 mai, lorsqu'un parlementaire vint en son nom demander une suspension d'hostilités, Dugommier répondit à son tour qu'il ferait connaître ses intentions quand le temps serait venu. Le lendemain, l'Espagnol envoyait un autre parlementaire argumenter sur la sommation ; Dugommier lui fit tirer des coups de canon.

Il fallait eu finir. Le 19 mai, dans un Conseil de guerre qu'il tenait au puig de Las Daynas avec les représentants et les généraux, Dugommier avait exprimé sa résolution de tenter un suprême effort. Il proposa d'assaillir le puig Oriol ; il attendait, disait-il, de cette attaque les effets les plus heureux, et il jugeait que de cette redoute dépendait le sort de Collioure et des trois forts qui défendaient la place du côté d'Argelès ; maîtres de cette position, les républicains n'avaient-ils pas une ligne de communications plus facile et plus sûre ? Mais les généraux chargés de l'entreprise remontrèrent les difficultés du terrain. Dugommier dut renoncer à son projet. Et pourtant, remarquait-il, tout commandait de se hâter, la mer se couvrait de frégates, il était essentiel de frapper un grand coup, de détruire l'ennemi ; les soldats déployaient une énergie, une ardeur qui s'userait dans des lenteurs et des atermoiements. Le Conseil décida d'enlever les camps que l'Espagnol avait établis sur le revers de la montagne entre Port-Vendres et Saint-Elme. Il y aurait de fausses attaques. Victor tiendrait en respect le puig Oriel et le camp de la Justice ; Guillot, Collioure ; Sauret, Port-Vendres ; durant ce temps Micas culbuterait les camps entre Collioure et Port-Vendres ; les forces de l'adversaire ainsi divisées et occupées, on s'approcherait de Saint-Elme qu'on tâcherait de prendre d'assaut, et Dugommier donna ordre de préparer des échelles ; toutefois il ajouta qu'on devait être prudent et n'aborder le fort que si quelque circonstance heureuse se produisait. Soubrany assurait que la valeur française ne connaît pas d'obstacles, que Saint-Elme, serait emporté d'emblée. Dugommier objecta l'élévation des escarpes, et il obtint qu'on ne s'approcherait de Saint-Elme que si le feu de la terrasse était complètement éteint et sa plate-forme évacuée.

Le 22, à neuf heures du soir, pendant que Victor, Causse, Pinon assaillaient les dehors de la Justice et le puig Oriol, Micas se jetait entre Collioure et Port-Vendres. Tous les postes à droite et à gauche de Saint-Elme, toutes les grand'gardes qui reliaient la Justice au puig Oriol furent rapidement enlevés. Mais Soubrany, cédant à son ardeur, n'attendit pas que les assiégés eussent quitté la plate-forme de Saint-Elme ; il entraîna vers le fort la colonne qui s'était massée derrière la batterie de brèche. Les échelles d'assaut se trouvèrent trop courtes. Par deux fois les grenadiers descendirent dans le fossé ; par deux fois ils durent reculer sous un feu terrible de mousqueterie et sous la grêle des obus. Selon le mot d'un témoin, Saint-Elne ressemblait à un volcan qui ne cesse de vomir des flammes. L'imprudent Soubrany reçut une blessure dangereuse. L'escalade, écrivait Dugommier, a manqué, comme l'avaient annoncé ceux qui connaissaient ce genre d'attaque qui ne réussit jamais que par surprise ; au lieu de fatiguer les assiégés et de ne s'approcher de Saint-Elme que lorsque le feu de la terrasse aurait cessé, on s'est jeté avec précipitation dans les fossés, on a essuyé tout le feu du fort ; tout a manqué, et le jour nous a commandé la retraite. Cet incident a bien prouvé à ceux qui ne voulaient pas le croire que les canons seuls peuvent réduire ce fort ; il nous a déjà usé six pièces de 24 que je ferai changer aujourd'hui. Nous avons un morceau bien difficile à digérer, un morceau dur et plus dur que nos boulets.

Le lendemain de l'assaut, le commandant du fort, ébranlé par l'audace française, offrit de capituler. Les conditions de Dugommier lui parurent inacceptables et le feu continua. Mais La Martillière avait, sur l'ordre du général en chef, envoyé ce qu'il avait de meilleur en canonniers, bombardiers et officiers. La batterie de brèche, qui n'avait encore fait que découvrir une des voûtes et qu'écorcher l'antique maçonnerie, comptait désormais. quinze pièces. Elle fit de Saint-Elme un monceau de ruines. Dans la nuit du 25 mai, les Espagnols, voyant une des faces du redan d'attaque éventrée, les voûtes de la plate-forme effondrées, les parapets rasés, la terrasse à peu près écroulée, l'escalier presque bouché par les décombres, quittèrent le fort : il avait en seize jours reçu 10.800 projectiles, et trois mois auparavant, Dagobert assurait qu'il suffirait de jeter tout au plus quelques centaines de bombes pour déloger l'ennemi[14] !

Port-Vendres devenait intenable, et Navarro évacua la place dans la nuit môme.

Tous les Espagnols, au nombre de 7.000, étaient dès lors renfermés dans Collioure, et ils se seraient embarqués sur la flotte de l'amiral Gravina sans un gros temps qui força les vaisseaux à tenir le large.

Navarro capitula le 26 mai, et il avouait plus tard à La Union qu'il voulait percer les lignes françaises, que ses officiers l'avaient obligé dé capituler en ameutant les soldats. Avant de se rendre, il avait fait échapper sur des bateaux les émigrés de la légion de la Reine. Dugommier connaissait leur présence dans Collioure ; les déserteurs lui avaient rapporté que sans ces trois à quatre cents Français qu'il renfermait dans le sac et qui n'avaient de ressource que leur désespoir, les Espagnols auraient capitulé plus tôt. Il exigea qu'ils lui fussent livrés, et Navarro put lui répondre : on ne croit pas qu'il y en ait.

Le général espagnol obtint les honneurs de la guerre. Ses troupes défilèrent tambour battant, mèches allumées, drapeaux déployés, et, après avoir déposé les armes, rentrèrent en Espagne par le col de Banyuls, sous condition de ne plus servir de toute la guerre contre la République. Un nombre égal de prisonniers français qui prêteraient le même serment seraient désignés par ancienneté de détention et incessamment renvoyés. Les citoyens des Pyrénées, arrachés de leurs foyers et menés en pays ennemi, seraient rendus à leurs familles.

Le 27 mai, les Espagnols sortirent de Collioure. Plusieurs habitants de Perpignan étaient venus assister au défilé. Ces républicains français, qui se piquaient de lumières et s'enorgueillissaient de la victoire, n'eurent pour leur adversaire que mépris et risée. Ils se moquent de l'aumônier qu'ils nomment le capucin de la garnison. Ils trouvent que les généraux n'ont pas l'air imposant et que Navarro, monté sur un mulet à longues oreilles, coiffé d'un chapeau pointu, armé d'une petite épée de quinze pouces, chaussé de souliers blancs et de guêtres de peau, ressemble à un curé de village, Ils traitent les Espagnols d'esclaves, de soldats du pape : Des figures grotesques, des hommes sales et remplis de vermine, vêtus à peine et chaussés en partie avec des lisières de drap qui s'attachent avec une ficelle autour de la jambe ; quelques-uns avaient des scapulaires qu'ils baisaient avec respect ; fort peu sont beaux, et le reste a l'air si bête, si abâtardi qu'on voit bien qu'ils portent le péché de tous leurs préjugés.

Les Espagnols devaient déposer leurs armes à Banyuls-sur-Mer. Ce village avait été choisi non pas seulement parce qu'il était le dernier du territoire français, mais à cause de sa vaillante conduite. Les habitants s'étaient, le 15 décembre précédent, battus contre les soldats de Ricardos ; assistés de leurs femmes et de leurs enfants qui chargeaient les fusils, ils avaient refusé de se rendre, et tous s'étaient éloignés de leurs foyers souillés par l'étranger. Les hommes avaient servi d'éclaireurs et de guides à l'armée française. Les femmes étaient venues en aide aux assiégeants de Collioure ; chaque jour elles avaient, sous le feu de l'Espagnol, gravi les revers escarpés de Las Daynas pour panser les blessures des Français et leur porter dans leurs tabliers ou leurs bonnets des médicaments, des cartouches et du pain. Dugommier saisit l'occasion de récompenser le dévouement des Bagnolènes. La plupart étaient rentrés dans leurs demeures à la suite de la brigade Chabert. Ce fut sur la place de Banyuls que les Espagnols mirent bas les armes et jurèrent de ne plus servir de toute la campagne contre la France. Peu de jours après, le 3 juin, la Convention décrétait qu'ils avaient, ainsi que l'armée des Pyrénées-Orientales, bien mérité de la patrie et qu'un obélisque de granit serait élevé sur la place de Banyuls avec cette inscription : Ici 7.000 Espagnols déposèrent les armes devant les républicains et rendirent à la valeur ce qu'ils tenaient de la trahison. Par le même décret, elle changeait le nom de Port-Vendres en celui de Port-de-la-Victoire et le nom de Saint-Elme en celui de fort du Rocher.

Ce fut Victor qui, en sa qualité de commandant de Collioure, transmit le décret aux municipaux et habitants de Banyuls : Que je te félicite, disait-il, heureuse contrée de Banyuls ! Tu as bien mérité de la patrie ; aussi la Convention nationale, en reconnaissant ton mérite, consacre à jamais tes vertus. Le citoyen, en voyant cet obélisque, souvenir glorieux de la valeur républicaine, se rappellera aussi que c'est à cet endroit que les bras de tes enfants, nouvellement armés, ont repoussé les ennemis de la liberté et de l'égalité. Les représentants Milhaud et Soubrany joignirent au décret de la Convention un arrêté qui exemptait les Bagnolènes de la réquisition maritime et les invitait au nom de la patrie à garder les passages des Pyrénées qu'ils avaient si courageusement défendus. Dugommier applaudit à cette résolution des représentants : les Banyulenchs, disait-il, ne rendraient jamais sur mer autant de services que sur terre, puisqu'ils connaissaient tous les sentiers de la montagne, et il comptait sur eux pour exécuter un projet d'attaque contre Roses. Quelques mois plus tard, le commissaire de Narbonne demandait l'état des marins de Banyuls ; le général écrivit au maire du village, le rassura, lui promit que les habitants ne seraient pas employés sur les vaisseaux : Je me charge toujours de défendre vos intérêts[15].

Barère avait proposé le décret du 3 juin et il fit à cette occasion une de ses plus brillantes carmagnoles. Les historiens de la Révolution américaine, disait-il, avaient célébré la capitulation de Saratoga, mais la capitulation de Collioure était bien plus remarquable parce qu'elle couvrait de honte le trône élevé dans Madrid par la superstition des moines et le despotisme des Bourbons, parce qu'elle rendait à leurs familles et à l'armée 7.000 prisonniers français en échange d'une tourbe de serfs à uniforme. Il louait le courage des canonniers .qui, devant Saint-Elme, avaient frayé parmi les précipices une route à des pièces de 24 ; ces canonniers, c'était l'image du bataillon sacré des anciens, et la Convention confirmerait par un décret le nom de fort du Rocher qu'ils avaient donné de leur propre mouvement au fort Saint-Elme. L'orateur du Comité n'oubliait pas Dugommier : Il est dû un nouveau tribut d'éloges au général. Quoiqu'il ne soit pas permis de parler d'un homme dans les événements nationaux, nous ne pouvons nous empêcher de dire qu'il a épargné par ses belles dispositions militaires le sang des républicains. Honneur soit toujours rendu aux généraux qui, au milieu des malheurs de la guerre, stipulent pour l'humanité ! Je vais lire la lettre de Dugommier ; vous y verrez la modestie d'un bon citoyen qui fait son devoir sans en tirer vanité[16].

Quelques jours après, Barère proposait de graver aux portes et barrières de Paris — qui serait désormais la ville aux cent portes — les noms des batailles gagnées ; chaque porte signalerait un triomphe, et on lirait sur la porte d'Enfer, qui ne rappelait qu'une ineptie fanatique, les paroles suivantes : Le 7 prairial an II 7.000 Espagnols posèrent les armes devant les républicains. Le même jour, Collioure et Port-Vendres, rendus par la trahison, furent repris par le courage.

 

Dugommier donna sans doute à la capitulation de Collioure des formes un peu vives qui blessèrent l'orgueil espagnol. Le premier article portait que Navarro rendait aux Français une partie du territoire que la trahison avait livrée, et le cinquième article, que les émigrés étaient des conspirateurs, des rebelles, des traîtres à la patrie. L'Espagnol, disait Lamer, reconnait donc qu'il a eu les places par trahison ; il reconnaît donc, ajoutaient les représentants, ce que valent les émigrés, et il avoue leurs forfaits[17] !

Néanmoins le général n'avait pas usé de rigueur envers une garnison qu'il tenait à merci : c'est qu'il craignait que, si le vent tombait, Gravina ne vint embarquer les assiégés. Le club de Cahors lui reprocha sa générosité. Au moment où la garnison défilait, répondit Dugommier, les bâtiments espagnols faisaient voile vers Collioure pour en faire l'évacuation. Si je n'avais pas saisi l'à-propos, nous aurions de plus à combattre les 7.000 hommes qui ont été envoyés sur les côtes d'Afrique et clans les îles de la Méditerranée ; nous aurions perdu des munitions de toute espèce que nous avons trouvées dans les magasins, et tout cela n'a tenu qu'à un jour ![18]

Enfin Dugommier comptait obtenir, en échange des 7.000 Espagnols qui repassaient librement les montagnes, le retour de 7.000 Français détenus en Espagne. Mais le temps s'écoulait. La capitulation ne s'exécutait pas. Le 3 juillet, Dugommier écrivit à La Union qu'aucun article de la convention signée trente-trois jours auparavant n'était encore rempli, que Navarre n'avait même pas renvoyé les mulets qu'on lui avait prêtés, que nul Français, soldat ou citoyen du département des Pyrénées, n'avait paru : l'armée républicaine murmurait, demandait si le traité était illusoire, et Dugommier invitait par conséquent La Union à prouver promptement que les Espagnols respectent la bonne foi.

La Union ne répondit pas ou plutôt sa réponse n'arriva que tardivement. Le 20 juillet, Dugommier lui écrivit de nouveau, non sans violence : il venait d'apprendre que les prisonniers français avaient été dirigés sur la province la plus reculée d'Espagne et qu'ils faisaient en ce moment dans une saison meurtrière une marche longue et pénible. N'était-ce pas de la barbarie ? N'était-ce pas se conduire au mépris de toute probité et au contraire des Français qui traitaient les prisonniers espagnols avec le respect qu'on doit à des hommes ? Réponds, disait Dugommier en terminant, réponds enfin à la capitulation de Collioure ou je t'annonce tous les maux qui peuvent résulter de la foi trahie et de la vengeance d'une armée qui ne voudra plus faire de prisonniers.

La Union refusa de ratifier la capitulation. Il la qualifia d'absurde. Navarro, disait-il, était à ses ordres, et, selon l'usage en un semblable cas, aurait dû consulter le général en chef, obtenir sa confirmation et sa sanction. Or, lui, La Union, n'aurait pas donné son approbation à ce traité. Recevoir 7.000 hommes qu'il ne pourrait employer et qui lui consommeraient des vivres ! Rendre à l'adversaire un pareil nombre d'hommes qui serviraient non contre l'Espagne sans doute, mais contre les alliés de l'Espagne, et les rendre sans avoir été dédommagé des frais que leur entretien avait coûtés au royaume ! Renvoyer les Français du Roussillon qu'il retenait de force et qui n'étaient que des contrebandiers, des voleurs, des assassins, des espions ! La Union ne pouvait souscrire à de telles conditions. La garnison avait cédé ses armes, ses munitions et ses vivres, ses équipages, sa liberté même ; elle avait cédé Collioure, et puisque les Français étaient maîtres de la place, ils n'avaient pas autre chose à exiger.

Dugommier fut indigné. La perfidie castillane éclatait donc ! La Union ne rompait le silence que pour annoncer la violation manifeste de la capitulation et pour outrager la République ! Il répliqua que rien ne pouvait pallier la scélératesse de La Union et de son infâme gouvernement ; que la capitulation était utile à la garnison espagnole autant qu'honorable pour les républicains ; qu'il n'y avait d'absurdité que dans les têtes auxquelles elle déplaisait. Cette capitulation n'était pas un traité de paix où la sanction du gouvernement est de nécessité absolue ; elle n'avait nul besoin de l'approbation de La Union ; c'était une convention partielle de quelques hommes, et ces hommes s'étaient-préservés d'immenses dangers par des conditions propres-et spéciales, par des conditions qui n'enchaînaient personne-hors du cercle périlleux où ils se trouvaient resserrés, par des conditions modelées sur mille capitulations semblables dont l'exécution avait toujours été respectée. Un général qui capitule ne connaît-il pas sa situation mieux que qui que ce soit, et cette situation ne lui donne-t-elle pas tout pouvoir de stipuler pour sa délivrance ? Si les 7.000 Espagnols renvoyés par Dugommier consommaient les vivres de La Union, le gouvernement de Madrid n'aurait-il pas une compensation, un soulagement en restituant les 7.000 prisonniers français ? Si ces prisonniers avaient causé des dépenses à l'Espagne, les prisonniers espagnols ne causaient-ils pas des dépenses à la République-française ? Évidemment, ajoutait Dugommier, La Union n'a pas fait une excellente logique. Il ne veut pas nous rendre des voleurs et des assassins, qu'il les garde ! Ils sont bien en Espagne. Mais qu'il rende les vertueux Français qui ont souffert pour la liberté. La Union ajoutait que les menaces et rodomontades de son adversaire ne l'effrayaient pas : Dugommier laissait les rodomontades à La Union parce que la rodomontade est indigène à l'Espagne et, s'il faisait des menaces, il saurait les réaliser. Nous insisterons, concluait-il, jusqu'à la mort sur l'exécution d'une convention sacrée ; si on la refuse à la justice, nous l'obtiendrons de la force. Point d'accord avec les traitres ; point de pourparlers avec un homme qui se joue des traités, et plus de prisonniers !

Il publia sa correspondance avec La Union et dans une sorte d'avertissement il exprimait l'espoir que ses frères d'armes et ses concitoyens partageraient sa colère et son désir de représailles. Périsse, s'écriait-il, l'affreux gouvernement ennemi de l'humanité et violateur des droits les plus sacrés ! Périssent La Union et ses fauteurs ![19]

Les représentants Milhaud et Soubrany louèrent la dignité de son attitude et la fierté de son langage. Mais, bien que Dugommier leur dit qu'un général peut, sans compromettre sa nation, battre son ennemi par la raison comme par la force, ils trouvaient que ses menaces n'étaient pas assez positives et qu'il avait trop l'air de justifier sa conduite. Ils auraient voulu répondre sur-le-champ à La Union par des actes, et telle était leur rage, leur exaltation furibonde que, dans le premier instant, ils proposèrent à Dugommier de conduire sur le chemin de Pipières les six otages livrés parla capitulation de Collioure et de les fusiller en vue du camp espagnol.

Dugommier combattit cette résolution extrême. Il admirait, disait-il, le patriotisme des représentants et le feu de leurs expressions ; mais, remarquait-il, on devait considérer les effets. Une telle mesure ne rompait-elle pas toute négociation ? N'exposait-elle pas la vie des Français prisonniers en Espagne ? Ne fallait-il pas, avant de l'exécuter, consulter la Convention ? Lui-même pourrait-il exercer la vengeance qu'il annonçait d'une manière bien claire et assez énergique au général espagnol, sans avoir d'abord l'autorisation de l'Assemblée ?

Milhaud et Soubrany s'apaisèrent. Ils convinrent avec Dugommier que c'était à la Convention et au Comité de prononcer sur la satisfaction éclatante que la République avait à tirer du parjure espagnol. Nous avons pensé, écrivaient-ils au Comité, que cet acte de vengeance devait être compris dans un décret bien plus terrible, qu'il appartenait à la Convention nationale de prononcer, et que vous pèserez dans votre sagesse.

En attendant la décision du gouvernement, Dugommier prit des mesures vigoureuses. Les six otages garants de la capitulation, trois colonels et trois lieutenants-colonels, étaient à Montpellier ; ils furent, ainsi que tous les Espagnols et Portugais à qui la ville servait de prison, enfermés à la citadelle. Tous les Espagnols encore libres dans les communes du territoire français furent resserrés, c'est-à-dire incarcérés. Le payeur espagnol, Manuel de Cia, partagea le sort de ses compatriotes : il fut mis au cachot par le commandant de Perpignan, puis, sur ses protestations, envoyé à la citadelle. Un officier espagnol se présenta le 3 août aux avant-postes avec une lettre de La Union. Les représentants s'écrièrent que cet esclave devait retourner sur-le-champ vers son maître, que toute communication serait désormais coupée et tout parlementaire repoussé, qu'il était indigne d'un général de la République française d'entrer dans le moindre pourparler avec un pareil ennemi, le plus méprisable et le plus traître des ennemis, qu'il fallait ordonner aux sentinelles de tirer sur tout trompette d'une nation sans honneur et sans foi. Sur l'ordre des conventionnels, Dugommier fit dire au messager de La Union par un de ses officiers qu'il serait reçu s'il apportait la promesse solennelle d'exécuter la capitulation de Collioure, que c'était la seule proposition à laquelle les Français pussent entendre. L'Espagnol répondit qu'il ignorait la teneur de la lettre qu'il apportait. Là-dessus, et selon les instructions de Dugommier, l'officier républicain déclara tout haut, en présence du détachement dont il était accompagné, que son général ne correspondrait plus avec La Union qu'à coups de canons et de baïonnettes, que les parlementaires ne seraient admis que s'ils venaient avec les soldats français et les citoyens paisibles de la frontière actuellement détenus en Espagne. Pourtant, sur ses vives et pressantes instances, l'émissaire fut conduit à Dugommier ; la même scène se renouvela. Dugommier refusa de lire la dépêche. Que votre général La Union, dit-il, satisfasse auparavant à la capitulation de Collioure, et séance tenante, devant l'Espagnol, il dicta l'ordre à tous les commandants d'avant-postes de ne plus recevoir les parlementaires : On ne les admettra plus sous quelque prétexte qu'ils se présentent, à moins qu'ils ne nous apportent un gage certain de leur repentir et de leur retour à la bonne foi en amenant avec eux nos frères d'armes et les républicains des Pyrénées arrachés à leurs foyers[20].

Vint le décret terrible que les représentants avaient prié la Convention de prononcer. Déjà le 26 mai, sur un rapport de Barère, l'Assemblée avait décrété que les armées ne feraient plus aucun prisonnier anglais ou hanovrien, et dans une adresse aux soldats de la République, elle leur avait dénoncé l'atroce politique de l'Angleterre, les avait exhortés à frapper les Anglais sans pitié : Il ne doit en revenir aucun ; que les esclaves anglais périssent, et la France sera libre ! L'armée des Pyrénées-Orientales connaissait ce décret, et dans son irritation contre les excès des paysans et la violation des articles de Collioure, elle désirait qu'il fût appliqué à l'Espagne. Le représentant Chaudron-Roussau informait le Comité que la division de Puycerda souhaitait que le décret rendu contre les Anglais et Hanovriens fût étendu aux Espagnols ; elle était, ajoutait Chaudron-Roussau, pénétrée d'horreur contre de pareils ennemis, et elle se conduisait envers eux comme si le décret existait. Demandez, disait Augereau à Milhaud et à Soubrany, demandez à la Convention le décret de guerre à mort ; mes frères d'armes de la division de droite l'attendent avec impatience : leur devise est baïonnette en avant, et leur mot de ralliement, guerre à mort. Milhaud et Soubrany firent cette demande. L'honneur du nom français, écrivaient-ils à Paris, ne pouvait plus admettre aucune correspondance avec un gouvernement qui, par l'accumulation des forfaits, méritait de figurer avec le gouvernement anglais dans la coalition des brigands couronnés, et la Convention devait, sans entrer dans une explication qui la dégraderait, déclarer aux Espagnols une guerre à mort[21].

A l'avance, Dugommier qualifiait ce décret de sublime. Toutefois il priait le Comité de ne rien précipiter, de n'exécuter la mesure établie par la Convention que si les Espagnols persistaient dans leur perversité : il fallait, pensait-il, fixer aux ennemis un délai, leur laisser le temps de réfléchir et de venir à résipiscence ; appliquer le décret sur-le-champ, c'était vouer les prisonniers français aux représailles[22].

Mais de leur côté Milhaud et Soubrany avaient écrit au Comité. Vengeance, disaient-ils, vengeance au nom de la République méconnue et du peuple français outragé ! et ils flétrissaient La Union, ce fourbe, ce fuyard, et le gouvernement de Madrid, ce gouvernement saturé de crimes et couvert d'opprobres, le plus lâche, le plus stupide des gouvernements. Ils n'avaient désormais, ainsi que leurs frères d'armes, que de l'horreur pour l'Espagnol, ce vil satellite d'un tyran, cet instrument du fanatisme monacal et royal, et ils faisaient serment de délivrer les prisonniers français, d'aller chercher ces malheureuses victimes du parjure le plus odieux à travers des monceaux de cadavres et au milieu des villes incendiées. Oui, ils verseraient à flots le sang impur des Castillans ; ils changeraient l'Espagne entière en un vaste désert ; ils montreraient à l'univers qu'on ne viole pas impunément la parole donnée à la République française !

Le 11 août, Barère lut à la Convention cette lettre des représentants et tontes les pièces de la négociation. Il fit ensuite son rapport. Avec la même violence que Milhaud et Soubrany, il s'éleva contre les procédés de l'Espagne. quelle perfidie vraiment anglaise ! Quelle conduite infâme ! Quel manque de fidélité aux pactes les plus respectés, même chez les barbares, même chez les Caraïbes ! Quelle insolente infraction aux lois de la guerre ! Quelle lâcheté inattendue ! Voilà donc la parole des tyrans et de leurs généraux, la parole des valets de cour ! La Union, ce bas esclave de Madrid, ce noble faussaire, ne reconnaissait pas la capitulation ! Il déniait les serments des soldats, il contestait les engagements de son lieutenant Navarro ! Mais la Convention saurait agir : elle ne ferait pas fusiller les otages, comme proposaient Milhaud et Soubrany ; elle prendrait un parti plus digne d'elle, plus, conforme aux principes de justice nationale, plus utile à la politique. Elle exprimerait hautement son mépris pour La Union, son indignation contre l'atroce gouvernement espagnol et sa volonté de punir une violation si manifeste du droit des gens. Elle dénoncerait à l'opinion, à l'Europe, à l'humanité le roi d'Espagne et ses satellites. Elle décréterait que la France ne ferait plus de prisonniers espagnols. A quoi bon conclure des traités avec ceux qui refusaient de les exécuter ? A quoi bon exiger une fidélité publique de ceux qui n'avaient pas de foi ?

Entraînée par Barère, la Convention décida l'impression de la correspondance de Dugommier avec La Union, dénonça La Union comme violateur du droit des gens et de la foi des traités, et décréta qu'il ne serait plus fait de prisonniers espagnols[23].

C'était la guerre à mort, et la lutte allait prendre, disait Barère, un autre caractère, un caractère de férocité. Dès l'avant-veille, Carnot ordonnait aux représentants à l'armée des Pyrénées-Occidentales de ne plus renvoyer de prisonniers sur parole parce que la foi des Espagnols était une foi carthaginoise[24].

Malgré les prévisions de Dugommier, le cabinet de Madrid ne voulut pas appliquer la loi du talion. Sans doute, La Union avait dit au général en chef de l'armée des Pyrénées-Orientales que, si la France faisait la guerre cruelle des barbares, les Espagnols exerceraient les plus justes et exactes représailles : vos gens seront traités de la même manière que vous traiterez les nôtres. Mais il écrivait en même temps an ministre qu'il fallait se garder de rendre la pareille à l'adversaire. Si ce décret, mandait-il le 4 août à Campo-Alange, est adopté, et à moins que S. M. n'en décide autrement, je pense prendre le parti le plus digne qui est de donner à mes généraux l'ordre de traiter les Français, s'il est possible, avec plus d'humanité encore que par le passé. Le roi approuva La Union[25].

Une proposition remarquable de La Union termina cette querelle. Le général français lui avait communiqué le décret d e la Convention. De son chef, et sans attendre l'agrément de Charles IV, La Union offrit de soumettre le litige à un arbitre. Pour que vous connaissiez mon impartialité, répondit-il à Dugommier, et lequel de nous deux est le violateur du droit des gens et de la foi des traités, convenons, volis et moi, que cette question soit décidée par la puissance neutre que vous choisirez vous-même. Dugommier n'accepta pas cette offrit. Il m'est impossible, disait-il, de rien changer à la capitulation de Collioure. Mais cette démarche de La Union devra trouver place dans une histoire de l'arbitrage. Il désirait la médiation des États-Unis, car Dugommier envoya au Comité, avec la réponse de La Union, une dépêche du général espagnol au ministre plénipotentiaire des États-Unis. Je soupçonne, remarquait-il, qu'elle a quelque rapport avec sa proposition[26].

 

Il ne reste plus que Bellegarde à prendre, avait écrit Dugommier au Comité de salut public en annonçant la capitulation de Collioure.

Le fort de Bellegarde, situé à une demi-lieue à l'ouest du col de Portell, entre le col de Perthus que la grande route traverse et le col de Panissas qui fut le chemin des anciens, couronne un cône à large base et aux flancs abrupts. Il a deux enceintes : l'enceinte intérieure, flanquée de tours et de bastions ; l'enceinte extérieure, qui suit les bords du plateau. Au-dessous, sur un ressaut qui s'étend vers l'Espagne, est un petit ouvrage à cornes, nommé le fortin. Trois tours qui donnent, l'une sur le col de Panissas, et les deux autres sur chaque revers du Perthus, complètent la fortification. A la vérité, le poste est dominé par les hauteurs voisines, mais à longue distance, et à cette époque, il fallait, pour le canonner, porter les pièces sur le cône même[27].

Le blocus de Bellegarde était commencé depuis l'affaire du Boulou. Pérignon, qui le dirigeait, avait forcé la garnison à se renfermer dans les limites de la place et, dès les premiers jours de mai, il proposait de recourir au bombardement pour hâter la reddition. Main Dugommier était trop prudent pour entreprendre à la fois plusieurs opérations avec le peu de moyens qu'il avait. Il se trouvait alors devant Saint-Elme, qu'il ne jugeait pas si méprisable, et il répondit à Pérignon qu'on devait se borner pour le moment à tenir les points essentiels des environs, à intercepter toute communication de Bellegarde avec le dehors, à saisir les passages par où l'ennemi pourrait venir et délivrer la forteresse.

Pérignon avait sous ses ordres les brigades Lemoine, Martin et Point. Du côté de l'est, la brigade Lemoine développait une chaine de petits postes, de l'ermitage de Sainte-Lucie, par le pic de Saint-Christophe, jusqu'à l'Écluse-Haute. Du côté de l'ouest, la brigade Martin bordait, de La Jonquère à Maureillas, le chemin naguère improvisé par les. Espagnols. Deux bataillons d'élite au Portell, quatre au Saint-Christophe, cinq à Sainte-Lucie appuyaient cette ligne d'investissement. Le quartier général était à La Jonquère, sur le sol espagnol ; en avant de ce bourg, une batterie de quatorze pièces barrait la chaussée de Figuières, et la brigade Point, établie à Agullana, donnait la main à Augereau, qui s'était, comme on verra, aventuré au loin, jusqu'à Saint-Laurent de la Mouga. L'ingénieur Grandvoinet avait eu mission de faire réparer, par les pionniers et les paysans, la grande route qui reliait le Boulou à La Jonquère par le col de Portell[28].

Durant plusieurs semaines, Dugommier ne changea rien à ces dispositions. Il aurait pu réunir ses trois divisions autour de Bellegarde ; il laissa Augereau à Saint-Laurent de la Mouga, Sauret à Collioure et dans le Roussillon, Victor au col de Banyuls. La blessure qu'il avait reçue devant Saint-Elme lui causait d'assez vives douleurs et, mandait le représentant Milhaud à la date du 24 juin, c'était un grand malheur pour l'armée, car depuis la capitulation de Collioure elle n'avait fait que très peu de mouvements. Les opérations languirent. Les chemins étaient mauvais et les convois n'arrivaient qu'avec de longs retards. Les moyens de transport faisaient défaut, et cela seul, disait Lamer, mettait toutes les parties en souffrance, puisque de ce service dépendaient les autres. Les officiers de l'artillerie, les agents des vivres et ceux des fourrages, le chirurgien en chef, tout le monde réclamait des bêtes de somme et de trait : Lamer ordonna, le 9 et le 10 août, d'employer cinq cents chevaux de la cavalerie pour voiturer les fourrages ; mais Dugua prit sur lui de ne pas exécuter l'ordre. Les fourrages même manquèrent pendant plusieurs jours. Les chevaux -furent réduits, le 6 août, à la moitié de la ration et, le 7, au tiers ; le 8, il n'y avait pas dans les camps une once de -fourrage et des chevaux moururent de faim ; Lamer demandait si l'administration avait décidé la perte des escadrons ; elle nous fera bientôt dire, écrivait-il, que nous avons eu, nous aussi, de la cavalerie. Les fourrages arrivèrent le 9 août et les jours suivants ; mais Lamer restait inquiet. Je ne serai pleinement satisfait, s'écriait-il, que lorsque je verrai au quartier général une montagne de foin, et par précaution il renvoyait la plus grande partie de la cavalerie — 1.000 à 1.100 hommes — sur les derrières de l'armée, dans la plaine de Maureillas. Enfin, la chaleur était excessive, et nombre d'officiers pensaient qu'il fallait attendre qu'elle fût moins forte, camper dans les Albères à l'abri des maladies, et n'entrer en Catalogne qu'après avoir pris Bellegarde et formé des magasins considérables qui assureraient les progrès de l'invasion[29].

Telle était aussi l'opinion de Dugommier. Le 31 mai, il avait envoyé au commandant de Bellegarde, le général marquis ale Vallesantoro, une sommation. Saint-Elme, disait-il, était réduit en cendres ; Navarro, cédant à l'impérieuse nécessité des circonstances, avait rendu Collioure. Pourquoi Vallesantoro ne rendrait-il pas une place cernée de toutes parts et qui ne pouvait recevoir aucun secours ? S'il refusait, les Français ne l'écouteraient plus, et il périrait de misère et de faim. Vallesantoro répondit le même jour que Bellegarde avait ses remparts encore intacts, des vivres et des hommes, et que, pour lui, son honneur et l'honneur des armes espagnoles lui défendaient d'accepter les offres de Dugommier.

Le général français n'insista pas. Il avait épuisé devant Saint-Elme tous les moyens d'une attaque régulière. Bloquer Bellegarde sans tirer un coup de canon et sans user sa poudre, reprendre le fort bien sain et bien entier, donner il la République une place remise en bon état par les Espagnols et pourvue de neuves et solides murailles, voilà quel fut son plan. Nous attendons, disait Milhaud, pour les gober vivantes, que les souris espagnoles n'aient plus de galette[30].

Le 19 juin, la division Sauret, reposée de ses fatigues, vint par le col de Banyuls où restait la brigade Victor, s'établit à Cantallops, à gauche de la division Pérignon. Son artillerie ne franchit le passage qu'avec peine par un chemin ou plutôt par une corniche qu'on dut tracer au milieu des rochers, et il fallut encore des efforts inouïs pour la traîner jusqu'à Cantallops. Cette division comptait 6.000 hommes : 12 bataillons en avant de Cantallops, le ter régiment de hussards et deux compagnies franches à gauche et la brigade Guillot à droite de cette infanterie. Une grande redoute, armée de quatre pièces, fut construite sur une butte en avant du front de bandière et une route à canons pratiquée pour relier Cantallops à La Jonquère où était le parc.

La ligne d'investissement était donc impénétrable du côté de l'est. A l'ouest, on prit des mesures semblables. Deux redoutes en pierres sèches furent élevées au col de Portell et confiées à la brigade Chabert ; l'une, à l'entrée du col, battait le chemin de La Jonquère ; l'autre, sur le puig Calmell, flanquait la première mais elle n'avait pas d'artillerie[31].

Le 2 juillet, Dugommier envoyait à Vallesantoro une seconde sommation, emphatique, violente, qui décèle son impatience et son irritation, et lui-même avouait plus tard avec franchise que le dépit l'avait dictée : Je t'annonce la mort, je l'annonce à ton conseil, à tes officiers. Dans deux jours tu m'auras restitué le fort que tu occupes, ou toi et tes officiers vous serez fusillés ! Vallesantoro répliqua simplement qu'il n'avait rien à ajouter ou à retrancher à sa première réponse, qu'aucune menace ne le ferait manquer à son honneur et à son devoir de soldat. Voilà de la fierté, s'écria Dugommier, mais gare la fusillade ! Ce ne sera pas en vain que je lui ai juré au nom de la République de l'exterminer, lui et son état-major, s'il résiste davantage ![32]

Il sentait toutefois que Bellegarde tiendrait quelque temps encore, et le lendemain de cette sommation, le 3 juillet, il quittait son quartier général pour parcourir la côte et prendre du repos à Ventenac d'Aude, près de Narbonne. Il passa trois semaines à Ventenac. Je suis, écrivait-il, en bon air, chez d'excellents citoyens où je n'ai rien à désirer pour les attentions et les procédés. Mais il ne cessait de surveiller les opérations, et le service ne souffrait pas de son éloignement.

Pérignon voulut, pendant l'absence de Dugommier, s'emparer de Bellegarde par un stratagème. La tour dite tour de Panissas ou du cimetière, en avant de la place, était gardée par un piquet qui chaque nuit recevait du renfort. Le capitaine d'artillerie Bondi eut ordre de la faire sauter et de pénétrer dans Bellegarde à la suite de l'explosion avec-trois compagnies de grenadiers détachées de la brigade l'Ambert. Dans la nuit du 11 au 12 juillet, Bondi vint mettre des bombes à l'un des angles de la tour. Mais l'explosion ne fit pas, comme on croyait, l'effet d'une mine. La maçonnerie, très épaisse, ne fut pas atteinte et les défenseurs de la tour eurent le temps de voir les Français et de les cribler de mitraille. Un cadet du régiment de Séville qui commandait ce petit poste et qui, pour sa belle conduite, eut l'honneur de le commander jusqu'à la fil du blocus, indiquait à haute voix aux canonniers le point qu'ils devaient viser. Bondi et ses hommes se retirèrent sur le col de Portell[33].

Les semaines s'écoulaient. Le drapeau espagnol flottait encore sur les remparts et l'artillerie envoyait par intervalles des coups de canon aux tirailleurs français qui se cachaient dans les bois voisins et aux volontaires qui venaient cueillir des raisins aux abords du fort. Jusqu'aux derniers jours, soit par des tentatives de ravitaillement, soit par des lettres énergiques, La Union soutint le courage de Vallesantoro. Mais dès le 1er août la garnison était réduite au quart de ration et désolée par le scorbut. Au mois de septembre, la famine se mit dans Bellegarde, et chaque nuit des fusées parties de la place s'élevaient dans les airs pour annoncer à La Union qu'elle avait besoin d'un prompt secours. Pérignon m'apprend, écrivait Dugommier, que Bellegarde tire beaucoup de canon et qu'il est fort illuminé. Le 12, un déserteur du régiment de Séville rapportait que la plus grande misère y régnait, quo les malades n'avaient plus de viande depuis quinze jours, que le pain et le biscuit étaient entièrement consommés, que la troupe ne recevait plus que du riz et quelques restes de salaisons. Dugommier ordonna de resserrer le blocus, et deux bataillons allèrent camper à La Bajols[34].

Enfin, le 17 septembre, un tambour, suivi de deux officiers, se présentait au poste des Écluses. Les parlementaires espagnols furent conduits à Maureillas et de là au quartier général de Dugommier à Agullana. Ils remirent au général en chef une lettre de Vallesantoro. Le gouverneur disait qu'il croyait avoir rempli tout ce que son devoir lui dictait et qu'il céderait Bellegarde s'il obtenait une capitulation honorable. Dugommier répondit qu'il ne pouvait accepter aucune proposition, que la garnison devait se rendre à discrétion et attendre son sort de la générosité française. Vallesantoro répliqua qu'il était d'accord avec Dugommier.

Le 18 septembre, après quatre mois et douze jours de blocus, les Espagnols, au nombre de 1.000 dont 400 scorbutiques, sortirent de Bellegarde ; les uns furent menés à Perpignan ; les autres, à l'ambulance de Céret. On se hâta de hisser sur le fort l'étendard français ; mais on ne put trouver d'antre drapeau tricolore que l'écharpe de Delbrel, le nouveau représentant du peuple. Il fallait pourtant apprendre à La Union et à son armée par des signes éclatants que Bellegarde n'était plus espagnol. Le commandant de Perpignan eut ordre d'envoyer sur-le-champ un drapeau très large, très apparent, et ce précieux pavillon républicain, comme disait Dugommier, fut arboré sur la partie de la place qui regardait l'Espagne[35].

La France n'avait plus d'ennemis sur son sol et, le 24 septembre, la Convention décrétait que l'armée des Pyrénées-Orientales ne cessait pas de bien mériter de la patrie, que Bellegarde prendrait désormais le nom de Sud-Libre, de même que Condé-sur-Escaut avait pris le nom de Nord-Libre, que l'évacuation du territoire serait célébrée par une fête publique. Cette nouvelle, écrivait le Comité à Delbrel, a produit et produira sans doute une sensation d'autant plus agréable et d'autant plus vive que Bellegarde était le seul point du continent qui restât encore au pouvoir de l'ennemi. Nous nous attendons à de nouveaux succès éclatants de la part de cette armée.

Cette armée, comme toutes les armées alors victorieuses, reçut de la Convention un immense drapeau tricolore, gage de la gratitude nationale. Ce drapeau par excellence, ce palladium de la République — Dugommier le nommait ainsi fut présenté solennellement le 12 octobre, dans le camp de Bellegarde, aux députés de chaque bataillon. Delbrel le salua par une harangue enflammée. Il exposa pourquoi la Convention donnait un drapeau à chaque armée, et lorsqu'il eut dit : Voilà le drapeau des Pyrénées-Orientales, voilà le vôtre ! il fut interrompu par des cris d'enthousiasme. Il remit le drapeau au général en chef. Camarades, conclut-il, si la victoire est douce, la reconnaissance l'est bien davantage. Vous l'éprouvez en ce moment, nous l'éprouvons tous en voyant ce témoignage glorieux et sacré de la Convention. C'est le fruit de votre courage, de votre confiance, de tous les travaux que vous avez si généreusement fournis pendant cette campagne !

L'armée sut remercier la Convention. Le 3 novembre, Despinoy, accompagné de plusieurs de ses frères d'armes[36], paraissait devant l'Assemblée et lui offrait vingt-cinq drapeaux et deux guidons enlevés à l'ennemi. Ordonnez, avait écrit Dugommier à la Convention, ordonnez qu'on laisse de l'espace dans le lieu où vous les ferez déposer ; nous le remplirons le plus vite possible. Soubrany et Milhaud étaient dans la salle. Dugommier avait différé de quelques jours le départ de Despinoy pour donner le temps aux deux députés de gagner Paris et d'assister à la séance : Après avoir partagé nos peines et nos travaux, disait Dugommier, il est bien juste que les représentants partagent le plaisir de nous voir applaudir. Despinoy tint un langage digne de son général. Il rappela les événements de la campagne, le Boulou, Collioure, Bellegarde, le territoire entièrement délivré, les Espagnols battus et dispersés, les fonderies et manufactures d'armes dévastées ; il jura que l'armée des Pyrénées-Orientales achèverait d'écraser les tyrans, et il conclut en reproduisant les paroles de Dugommier : Ce n'est point assez pour nos frères d'armes d'avoir précipité du haut des Pyrénées l'insolent ennemi qui osa les franchir, ordonnez qu'aux voûtes triomphales du Temple de la Liberté une place soit destinée pour leurs nouveaux trophées, et bientôt ils la rempliront ![37]

 

On n'avait pas trouvé de drapeaux espagnols dans la place conquise. Bellegarde, disait Dugommier, n'a pas fourni une enseigne à notre collection. Toutefois le fort renfermait 68 bouches à feu, 40 milliers de poudre, plusieurs milliers de fusils, et, ce qui valait mieux, ses fortifications étaient intactes. Dans cet état d'intégrité, marquait Dugommier, notre frontière se trouve toute protégée aux frais des Espagnols.

Que deviendrait la garnison qui s'était rendue à discrétion ? Allait-on lui appliquer le terrible décret du. 11 août ? Le vainqueur serait-il sans pitié ? Dugommier n'avait-il pas le 2 juillet promis à Vallesantoro et aux siens toutes les rigueurs, s'ils ne capitulaient sous deux jours ? Mais ni lui ni le représentant Delbrel n'étaient hommes à tuer de sang-froid un millier de personnes. La garnison, avait dit Dugommier, attendra son sort de la générosité française...[38] Il invoqua cette même générosité dans ses lettres au Comité. Je me suis engagé, écrivait-il, et je vous appelle au secours de ma signature. Et il développait arguments sur arguments. Sans doute sa seconde sommation menaçait les Espagnols de la mort[39]. Mais n'avait-il pas dû, lorsque Vallesantoro proposait de traiter, adoucir ses conditions et lui présenter un appât ? Sa propre situation n'était-elle pas de jour en jour plus critique ? Il comptait dans son armée un grand nombre de malades ; il manquait de moyens de transport ; il savait que La Union s'efforçait quotidiennement de ravitailler la place. Dès lors pourquoi sacrifier l'intérêt public au ressentiment ? Pourquoi mêler des scènes de vengeance à la joie de la nation qui voyait sortir de son territoire les derniers ennemis qui le souillaient ? Pourquoi susciter des représailles envers les Français prisonniers en Espagne ? Le décret du 11 août, qui convenait à un champ de bataille, était-il applicable aux forteresses ? Pour les avoir, ne faut-il pas entrer avec elles en accommodement ? Quelle garnison certaine de périr n'aimerait pas mieux, clans son désespoir, se faire sauter et s'ensevelir sous des ruines plutôt que de se rendre ? Afin de hâter la reddition de Bellegarde, Dugommier avait donc suspendu l'exécution du décret, et il priait le Comité de prononcer. Il se conformerait à la volonté du gouvernement ; mais, concluait il, je ne me trouverai tout à fait à pion aise que quand vous aurez applaudi à la mesure que j'ai cru pouvoir prendre et que vous aurez provoqué à la Convention un acte de générosité nationale qui pardonnera à cette garnison son opiniâtreté.

Le représentant Delbrel appuyait Dugommier et plaidait comme lui la cause de l'humanité. Dugommier, disait le conventionnel, avait considéré l'affaiblissement de l'armée, l'urgente nécessité de s'assurer d'une place qui facilitait aux troupes leur subsistance et leur ouvrait le chemin à d'autres succès, le désir de libérer aussitôt que possible le territoire de la République ; il avait craint que le commandant, poussé par de trop dures conditions à de funestes extrémités, ne fît sauter le fort ; il avait voulu mettre de nouveaux otages sous la main de la nation et déterminer par là le gouvernement espagnol à renvoyer les prisonniers français. Delbrel rappelait le décret du 4 juillet qui portait que les ennemis enfermés dans les places du Nord qui ne se rendraient pas vingt-quatre heures après la sommation du général français, seraient passés au fil de l'épée. Et pourtant, lorsque les garnisons de Landrecies et du Quesnoy avaient capitulé, personne n'avait réclamé dans la Convention l'exécution du décret. Delbrel, seul, s'était levé après le rapport de Barère pour demander si les esclaves des tyrans subiraient leur châtiment, et un murmure presque universel l'avait accueilli ; il avait dû se rasseoir, et ses collègues l'avaient prié de se taire sur cet objet. Pourquoi, ajoutait Delbrel, le Comité ne traiterait-il pas la garnison de Bellegarde comme celle du Quesnoy ?

Le Comité approuva Delbrel et Dugommier. Ainsi que Barère l'avait insinué dans son discours sur la reddition de Landrecies, le décret du 4 juillet n'était qu'un engin de guerre : répondre par ce décret à toute demande de capitulation, c'était courber aussitôt les soldats des rois devant la volonté du peuple français. Carnot n'écrivait-il pas aux représentants Gillet et Duquesnoy que le décret n'était fait que pour profiter d'un premier moment de terreur, que la fierté républicaine ne devait fléchir en rien, sans toutefois mériter aux Français le titre de barbares, et, lorsqu'il lut son rapport sur les places du Nord, ne disait-il pas que cette loi était un décret de salut et non un décret de carnage, qu'elle avait pour but de terrifier l'adversaire, et de le contraindre à se dessaisir incontinent des forteresses françaises ; qu'elle pouvait devenir une arme terrible contre les Français mêmes entre des mains impures ou maladroites ; que, gauchement exécutée, elle pousserait les ennemis au désespoir et accroîtrait leur résistance, mais que, maniée avec dextérité, elle devait foudroyer leurs dernières espérances ?

Le 25 septembre, le Comité répondit donc à Delbrel qu'il fallait envoyer les prisonniers de Bellegarde dans les communes de l'intérieur et les employer aux travaux publics, par exemple, à la réparation des chemins[40].

 

Mais le décret du 11 août, le décret de guerre à mort, n'était que suspendu. Dès le 26 septembre, Dugommier rappelait à l'armée qu'elle devait l'exécuter dans toutes les affaires à venir. Le 2 octobre, il le mettait à l'ordre du jour. Le 20 octobre, il disait aux soldats : Il ne sera plus fait de prisonniers espagnols, et leurs prêtres et leurs nobles seront pris en otages, le général espagnol n'ayant pas exécuté la capitulation de Collioure. La veille, un chasseur du 2e bataillon de la légion allobroge, écrivait de Cerdagne à sa famille qu'il était aux avant-postes et faisait danser la carmagnole aux Espagnols fanatisés : Nous leur faisons la guerre à mort ; autant l'on en attrappe, autant l'on en tue[41].

La fatale violation de la capitulation de Collioure rendit donc la guerre sauvage et cruelle. A la fin de novembre, Delbrel exhortera les soldats à ne pas déshonorer le nom français, à ne pas souiller la victoire des lignes de Figuières, une des plus brillantes victoires qui aient eu lieu depuis des siècles ; il les priera de respecter l'humble demeure du laboureur ; il leur dira qu'après avoir crié avec la nation entière : guerre aux châteaux, paix aux chaumières, ils ne doivent pas porter la torche dans les hameaux qu'ils ont conquis à la pointe de l'épée. Ces prières, ces exhortations, l'armée ne les entendit pas, et ne pouvait les entendre depuis que la Convention avait proclamé la guerre à mort. Une fois dans la plaine de l'Ampurdan, elle se livra sans scrupule aux excès d'une indiscipline effrénée ; elle incendia les villages ; elle mit le feu au pied des oliviers, et la Catalogne indignée offrit au gouvernement espagnol de lever 150.000 hommes pour défendre à elle seule son territoire[42] !

Il faut dire à la décharge de Dugommier qu'il s'efforça d'atténuer les horreurs d'une guerre qui semblait sans merci. Au mois de novembre, les miquelets prirent des Espagnols qu'ils menèrent au Boulou. Devait-on fusiller les prisonniers ? Dugommier, consulté par Lamer, répondit négativement : la loi portait qu'il ne fallait plus faire de prisonniers ; mais elle ne commandait pas de fusiller des vaincus auxquels les Français avaient par ignorance laissé la vie ; ceux qui faisaient des prisonniers étaient seuls responsables de l'exécution du décret[43].

 

 

 



[1] Fervel, II, 60 ; — Moniteur, 23 avril (séance des Jacobins) ; — Observations de Delcasso et de Montegut ; — Dugommier au Comité, 20 avril (A. G.).

[2] Dugua à un représentant, 25 mai (A. G.).

[3] Dugommier au Comité, 7 mai ; — Lamer à Desroches, 8 mai (A. G.).

[4] Cf. Dugommier aux généraux, 1er mai, et à Doppet, 3 mai (A. G.).

[5] Arteche, 341, note.

[6] Ordre du jour du 2 mai ; — Dugommier au Comité, 3 mai (A. G.).

[7] Moniteur, 21 mai ; — Vidal, III, 237.

[8] Dugommier à Chabert et à Peyron, 7 mai ; — Rec. Aulard, XIII, 687, 809.

[9] Dugommier à Pérignon et au Comité, 4 mai (A. G.).

[10] Dugommier au Comité, 7 et 10 mai ; — à Pérignon, 12 mai (Milhaud quitta la flottille le 10 mai).

[11] Dugommier au Comité, 20 mai (A. G.).

[12] Rec. Aulard, XIII, 681 : — Gazette de Madrid, n° 46 ; — Dugommier à Micas, 17 mai, et à Pérignon, 18 mai (A. G.).

[13] Moniteur, 21 mai et 1er juin ; — Dugommier à Chabert et à Lamer, 7 mai ; — au Comité, 10 et 14 mai, 28 juin ; — à Castagnier, 14 mai ; — à Augereau, 16 mai (A. G.).

[14] Ferret, II, 79-80 ; — Rec. Aulard, XIII, 6S7 ; — Dugommier à Grandvoinet, à La Martillière, à La Barre, à Augereau, à Doppet, 21 mai ; Mémoire de Pontet ; — plan de Dagobert du 9 février (A. G.) ; — selon Dugommier, les Français avaient eu, à l'assaut de Saint-Elme, soixante blessés et fort peu de morts.

[15] Lettres de Dugommier et des représentants et discours de Barère, Moniteur, 5 juin ; — Dugommier au Comité, 10 mai (A. C.). — Ferret, II, 87 ; — Vidal, III, 249-253 ; — Rec. Aulard, XIII, 811 ; — l'obélisque décrété par la Convention n'a été élevé que le 12 août 1894 (cf. Pineau, 493).

[16] Moniteur, 5 juin.

[17] Lamer à Doppet, 29 mai (A. G.) ; — Rec. Aulard, XIII, 808 ; — Doppet (Mém., 275) croit que ces mots, signés par le général espagnol et mis dans une capitulation, engagèrent l'Espagne à ne pas vouloir remplir les engagements contractés.

[18] Dugommier au club de Cahors, 1er octobre (A. G.).

[19] Moniteur des 14 et 17 août ; — Pineau, 527-531 et 817-826.

[20] Dugommier aux représentants, 22 et 23 juillet ; au commandant de Montpellier, 1er août ; au Comité et à la Commission des armées, à Pérignon, au payeur espagnol, 3 août (A. G.) ; — Moniteur du 14 août.

[21] Chaudron-Roussau au Comité, 3 août ; — Augereau aux représentants, 4 août (A. G.) ; — Moniteur, du 14 août.

[22] Dugommier au Comité, 3 août (A. G.).

[23] Moniteur, des 13 et 14 août.

[24] Cf. une lettre de Carnot, du 9 aoùt (A. G.).

[25] La Union à Dugommier, 21 juillet (A.G.) : — P. Delbrel, art. cité, sept., p. 59.

[26] Dugommier au Comité, 20 septembre (A. G.).

[27] Fervel, II, 60.

[28] Dugommier à Pérignon, 10 mai : — à Martin, 12 mai ; — à Grandvoinet, 15 juin (A. G.) ; — Fervel, II, 65.

[29] Rec. Aulard, XIV, 509 ; — lettres de Lamer, 7, 8, 11, 12, 43, 17 juillet, 7 et 8 août (A. G.). — Dès le 11 juin, il écrit que la cavalerie ne trouve pas un brin de fourrage et qu'il est temps de sortir de cette stupeur mortelle.

[30] Rec. Aulard, XIV, 606.

[31] Mémoire de Desdorides (A. G.) ; — Fervel, II, 139.

[32] Dugommier à Doppet, 3 juillet (A. G.).

[33] Mémoires de Baudard et de Desdorides (A. G.).

[34] Rapports des 10-11 août, et Dugommier au Comité, 3 août et 13 sept. (A. G.) ; — P. Delbrel, art. cité, sept., p. 63 ; — Moniteur, 14 août.

[35] Dugommier à Motte, 20 sept. (A. G.).

[36] Dugommier au Comité, 12 octobre (A. G.) ; — Pineau, 596. — C'étaient Durfort, grenadier du 28e ; Soudey, chasseur du 6e bataillon ; Roudille, lieutenant de grenadiers au 1er bataillon du Cantal ; Augereau jeune, aide de camp ; Dumail, adjoint à l'état-major.

[37] Moniteur, 5 novembre.

[38] Cf. ce mot de son adjudant-général Boyer à Bessières, 18 sept. : La garnison s'est mise sous la loyauté française. C'était le meilleur parti à prendre, et les Autrichiens du Quesnoy l'avaient pris ; eux aussi s'étaient rendus à discrétion, se fiant à la générosité de la nation française et à l'estime que des braves troupes se doivent réciproquement. [Duquesnoy au Comité, 13 août (A. G.).]

[39] Cette phrase de son brouillon a été barrée.

[40] Dugommier au Comité, lettre sans date et lettre du 18 sept. ; Delbrel au Comité, 18 sept. (et Notes, 20) ; — Le Comité à Delbrel, 25 sept. ; — Rapport de Carnot, 5 et 6, et lettre à Duquesnoy et à Gillet, 13 août (A. G.).

[41] Ordre du 26 sept. ; — Dugommier à Lamer, 2 oct. ; — ordre du 20 oct. (A. G.) ; — Folliet, les Volontaires de la Savoie, 53.

[42] Journal de l'armée des Pyrénées-Orientales rédigé par Parizot de Perpignan, n° 2.

[43] Dugommier à Lamer, 13 nov. (A. G.).