DUGOMMIER

1738-1794

 

CHAPITRE IV. — LE COMBAT DES ARÈNES.

 

 

Portrait de Dugommier. — La confiance qu'il inspire. — Ses premiers actes. — Les délégués du Congrès républicain. — Rapports avec Bonaparte. — Conseil de guerre du 25 novembre. — Marescot. — Nouvelles batteries. — La batterie de la Convention. — Sortie du 30 novembre. — Surprise des républicains. — Le combat rétabli par Dugommier. — Capture d'O'Hara. — Envoi d'un parlementaire et d'un trompette dans Toulon (2 décembre). — Le sort des représentants Baille et Beauvais. — Bruits qui règnent dans Toulon. — Alarmes de Dugommier. — Attaque retardée. — Impatience des représentants et du Comité. — Proclamation de la Convention.

 

Dugommier, alors dans sa cinquantième année, avait des façons résolues et hardies, la taille élevée, la figure martiale et brunie par le soleil, le front large et découvert, les yeux pleins d'esprit et de feu, des cheveux blancs très touffus qui rehaussaient la flamme de son regard, donnaient à sa physionomie plus de vivacité et faisaient dire qu'il ressemblait à un volcan caché sous la neige.

Il n'avait pas encore, quoi qu'eût dit Ricord au Comité ; une grande réputation, et Augustin Robespierre reconnaissait qu'on avait trop peu parlé des combats de-Gilette et d'Utelle. Le Courrier d'Avignon le confondait avec Leygonier[1]. Les Toulonnais, mêlant ce qu'ils savaient de Doppet et ce qu'ils avaient appris confusément sur son compte, croyaient que c'était un médecin créole, qu'il avait demeuré longtemps en Amérique et servi devant Lyon sous Dubois-Crancé[2].

Il lui suffit de se montrer pour en imposer à l'armée révolutionnaire. C'était le général qu'avait demandé Truguet : un général qui eût expérience, habileté, présence d'esprit et non jactance et charlatanerie. Son civisme bravait les soupçons. Le 23 novembre, au club des Jacobins de Paris, Maximilien Robespierre assurait qu'il ne démentirait pas ses heureux débuts et qu'il était du petit nombre des guerriers républicains que le Comité chargeait sans inquiétude du destin de l'État. Les troupes eurent aussitôt confiance. Tout le monde, soldats, officiers, généraux, conventionnels, pressentirent qu'il serait un véritable chef, qu'il prendrait d'une main ferme et habile un commandement jusqu'alors exercé d'une façon faible et maladroite, qu'il avait l'énergie et le talent qui manquaient à Carteaux et à Doppet. L'adjudant général Micas le nommait son père d'armes. Le capitaine d'artillerie Marmont se félicitait que ce digne et galant homme, ce brave et respectable général Dugommier eût remplacé l'imbécile Carteaux. Il sait, écrivait Augustin Robespierre à la date du 16 novembre, réchauffer les âmes tièdes ; un jour qu'on lui demandait comment il fait pour se faire aimer des soldats, il fit cette réponse qui vous peindra son âme : c'est que je les aime. L'ordre va régner. Quelques jours après, Saliceti mandait que Dugommier allait bien et justifierait l'attente du Comité et des patriotes. Barras était moins favorable au nouveau venu : Dugommier n'avait pu lui donner le chiffre exact des troupes, il ignorait le nom et le nombre des bataillons de son armée, il n'avait fait encore aucune revue, il ne connaissait pas la situation des principales batteries, et Barras l'avait engagé à s'occuper plus sérieusement de la grande affaire dont le Comité l'avait chargé et de surveiller toutes les parties de l'administration ; mais le représentant ajoutait que Dugommier venait d'arriver et qu'il paraissait très bien intentionné, que sa correspondance annonçait un homme de guerre qui avait de grandes vues militaires[3].

Avec Dugommier arrivaient, non pas aussitôt, mais dans les premiers jours de décembre, les secours que les commissaires de la Convention sollicitaient depuis longtemps et que Ricord était allé demander à Paris. Le Comité avait ordonné an représentant Albitte d'envoyer devant Toulon les approvisionnements inutiles à l'armée qui s'était emparée de Lyon. Il fallait, avait-il dit, attaquer Toulon avec la plus grande vigueur et s'en saisir par toute sorte de moyens et quels que fussent les sacrifices. Dans une proclamation du 23 octobre, il exhortait les soldats républicains à chasser les ennemis du territoire : Ô douleur, il en reste jusque dans nos cités, il en reste dans l'exécrable Toulon. Il prescrivait de réunir toutes les forces disponibles dans l'armée d'Italie, dans celle des Alpes et dans les départements voisins. 7 bataillons venaient de Lyon et 17 autres de l'armée des Alpes ; quelques-uns avaient vu le feu, et Saliceti espérait que leur exemple guiderait les bataillons de première réquisition. 150 canonniers et avec eux le capitaine Marmont partaient du camp de Tournoux. De Besançon, de Lyon et des places du Dauphiné, soit par le Rhône, soit par les routes, débouchait un matériel considérable[4].

Aidé de son chef d'état-major, qui fut d'abord l'adjudant général Peyron, puis l'adjudant général Grillon, puis le générai de brigade Dugua, Dugommier se hâta de mettre en ordre l'armée révolutionnaire où, selon le mot d'un contemporain, il n'avait trouvé que pillage et confusion[5]. Il fallait avant tout resserrer la circonvallation ou, comme il disait, se rassembler, se réunir le plus possible. Dugommier répartit les troupes, qui comprenaient alors 2.000 hommes, en deux divisions, l'une dite division de gauche, commandée par La Poype, l'autre dite division de droite, commandée par Delaborde, Mouret et Garnier. Tous les détachements épars durent se rallier, se concentrer, autour d'un noyau principal : l'armée eut ainsi ce qu'elle n'avait pas encore, un peu de cohésion et de solidité. Il rappela les bataillons au respect des lois militaires et distribua dans les camps un extrait du code pénal. Il enjoignit de punir très sévèrement les soldats qui s'amusaient à tirailler sans but et de leur propre chef. Il donna consigne sur consigne pour arrêter la funeste dilapidation de la poudre et des autres munitions de guerre. Il fit dresser l'état des hommes présents dans chaque corps, l'état des hommes sur lesquels on pouvait compter dans une affaire, l'état des hommes qui n'étaient pas armés et qui seraient employés aux travaux des batteries. Il écuma l'armée des étrangers, Italiens, Espagnols, Allemands, qui désertaient tous les jours et emportaient tous les jours le mot d'ordre. Il n'avait confiance que dans les compagnies d'élite, dans les compagnies de grenadiers et de chasseurs, comme celles qu'il commandait à l'armée d'Italie, et qui, sous ses yeux, à Gilette et à Utelle, avaient fait des prodiges de valeur ; il les compléta par les citoyens de bonne volonté qui s'offrirent et qui étaient noyés dans la nullité de leur corps[6].

Il n'avait pas caché sa surprise en trouvant au quartier général une poignée de jacobins qui prétendaient s'ingérer dans les opérations. Toutes les sociétés populaires du Midi avaient envoyé à Marseille des députés qui s'étaient réunis sous le nom de Congrès républicain, et ce Congrès, soutenu par les autorités de Marseille, par le Comité de surveillance, par la municipalité, ne se contentait pas de délibérer hardiment sur les pouvoirs qu'avait la Convention et sur l'obéissance que la province devait aux décrets venus de Paris. Il dépêchait des commissaires dans les départements et aux armées. Devant Toulon, les délégués du Congrès prenaient des airs de représentants du peuple ; ils proposaient d'établir des redoutes ; ils approuvaient ou désapprouvaient l'installation des batteries ; ils critiquaient les nominations et désignaient au soldat comme aristocrates et royalistes les chefs qui leur déplaisaient ; au contraire des conventionnels, qui donnaient l'exemple de la simplicité, ils vivaient grassement, habitaient de somptueux logis, réquisitionnaient toutes choses, chevaux, voitures, subsistances. Mais le Comité mit Marseille en état de siège. Le petit parlement méridional qu'il accusait d'usurper les pouvoirs et de ressusciter le fédéralisme, fut dissous par Barras et Fréron. Quant aux délégués que le Congrès avait devant Toulon, Saliceti et Ricord leur commandèrent de s'éloigner sous peine d'être traités comme espions de l'Angleterre, et le départ de ces agents, qui tranchaient du souverain, ramena l'ordre dans les camps. Ce sont eux sans doute que Napoléon appelait plus tard les avaleurs de Toulon, des hommes de vent et de jactance qui s'indignaient de l'inertie des assiégeants et qui se sauvaient au plus rite lorsqu'un vaisseau des alliés lâchait sur eux sa bordée[7].

Un des premiers soins de Dugommier avait été de s'aboucher avec le commandant de l'artillerie. Ce commandant, c'était le général Jean du Teil qui, selon l'expression de Bonaparte, devait imposer par soit grade aux ignorants de l'état-major. Mais Du Teil n'arriva que le 16 novembre, deux heures après Dugommier, et fatigué, malade, accablé de rhumatismes, souffrant sans cesse de points de côté, crachant quelquefois le sang, presque incapable de marcher et de monter à cheval, obligé de se faire porter dans les batteries, il laissa le chef de bataillon Bonaparte diriger le service. C'est Bonaparte qui envoie à Paris les états de situation, le bulletin quotidien des batteries et le récit détaillé des affaires, qui donne les ordres aux canonniers, qui expédie à Dugua fusées et fanaux, qui répond aux généraux. Quant à l'artillerie, écrit Dugommier au commissaire-ordonnateur, adresse-toi directement à Bonaparte, il te donnera les renseignements que tu désires[8].

Dugommier appréciait les gens, disait-il, en les voyant travailler, et sur-le-champ il apprécia ce Bonaparte qui déployait une activité prodigieuse et mieux que tout autre connaissait le fort et le faible de Toulon, ce Bonaparte dont Jean du Teil louait ainsi les mérites : Beaucoup de science, autant d'intelligence et trop de bravoure. Bonaparte, témoigne Marmont, prit sur Dugommier le même empire que sur les représentants. Le général éprouvait pour le commandant la plus vive sympathie ; il le nommait jeune homme avec le même accent qu'il aurait dit mon fils[9].

Il adopta donc les idées de Bonaparte. Dès son arrivée, il avait examiné les projets relatifs an siège, et presque tous lui semblaient inexécutables : le projet de Domnet-Revest, suivant lequel six colonnes marcheraient concentriquement sur la place ; le projet si vaste et si compliqué de d'Arçon qui voulait attaquer tous les points à la fois, occuper tous les caps et principalement la grande péninsule de la Croix-aux-Signaux, réunir devant la ville 150.000 combattants et 150 pièces de vingt-quatre. Ils sont, écrivait-il, calculés sur des moyens que je n'ai point. Mais il avait fait, comme il s'exprime, ses raisonnements sur les localités, et il avait consulté Bonaparte, consulté Saliceti[10], qui, de même que Bonaparte, lui conseillait de faire travailler à force pour battre la redoute anglaise. Comme Bonaparte et comme Saliceti, Dugommier était d'avis qu'on ne pouvait entreprendre un siège régulier et cheminer par tranchées : abréger, disait-il, violer les préceptes de l'art, profiter d'un incident extraordinaire, saisir une chance heureuse qui mènerait rapidement au but, voilà le plan qui s'imposait. Comme Bonaparte et comme Saliceti, il comprenait que la position qui lui donnait le plus facilement avantage sur l'ennemi était incontestablement le promontoire du Caire ou de l'Épinette ; les autres positions lui paraissaient trop couvertes par La Malgue et ses fortifications environnantes[11].

Le 22 novembre, il fit du fort des Pommets à la batterie de Faubrégas une reconnaissance générale des défenses de Toulon, et trois jours après, le 25, il tenait conseil de guerre. Ricord était arrivé de Paris et avait prié Augustin Robespierre de se rendre sans retard à Moules. La réunion eut lieu chez Saliceti. Les principaux officiers de l'armée assistaient à la conférence : les généraux de division La Poype, Mouret et Du Teil ; les généraux de brigade La Barre et Garnier ; le chef de bataillon Brûlé les chefs de bataillon d'artillerie Bonaparte et Sugny ; le chef de bataillon du génie Marescot et le capitaine Fournier à qui Marescot proposait noblement de donner le commandement de son arme comme an plus ancien et parce qu'il connaissait parfaitement la ville et les environs de Toulon.

Dugommier déclara qu'il n'avait que 20.000 hommes en état de combattre et que les ennemis étaient dans Toulon au nombre de 25.000. Du Teil, qui prit la parole après lui, assura qu'il n'avait pour le moment que 180 milliers de poudre, qu'il allait recevoir cent autres milliers, que de plus grandes quantités étaient annoncées, mais qu'elles ne pouvaient arriver très prochainement. Sur quoi, le Conseil décida de recourir aux moyens de terreur.

Deux projets lui furent soumis, celui de Dugommier et celui du Comité de salut public.

Le général pensait qu'il fallait avant tout agir contre la flotte, éloigner ces vaisseaux qui constituaient les remparts maritimes de Toulon et son principal appui. Or, pour éloigner les navires, qui n'ont jamais attendu les bombes, il était nécessaire d'enlever trois points à l'adversaire : à droite la redoute des Anglais, à gauche le cap Brun, au centre le fort Malbousquet. Prendre la redoute anglaise, c'était s'ouvrir le chemin de l'Éguillette et de Balaguier. Prendre le cap Brun, c'était avoir, à l'opposé de l'Éguillette, une bonne correspondance ; si de l'Éguillette on forçait les alliés d'abandonner la Petite Rade, du cap Brun on les molestait dans la Grande Rade. Mais, ajoutait Dugommier, tout en s'établissant au cap Brun et à l'Éguillette, on simulerait ailleurs, pour distraire l'ennemi, des attaques particulières, qui présenteraient le plan d'une attaque générale, et on tâcherait sérieusement, dans l'enthousiasme du succès, d'emporter le fort Malbousquet et de s'y fixer, de s'y enraciner ; car on pourrait de Malbousquet bombarder Toulon même, et ce poste resserrait et par conséquent fortifiait le centre des assiégeants, leur facilitait les approches de la place.

Après Dugommier parla Ricord. Il lut le plan que Carnot avait rédigé au nom du Comité de salut public. Carnot estimait, comme tout le monde, qu'un siège régulier était impossible et que Toulon tomberait si les républicains lui coupaient ses communications et bloquaient ses rades. L'armée révolutionnaire se diviserait donc en deux colonnes. La première prendrait le cap Brun, écraserait le fort La Malgue sous les bombes, établirait des batteries à boulets rouges qui sillonneraient la Grande Rade dans tous les sens. La seconde se saisirait de Balaguier et de l'Éguillette pour balayer de ses projectiles la Petite Rade ; elle occuperait la presqu'île de la Croix-aux-Signaux pour croiser ses feux avec ceux du cap Brun ; elle tâcherait d'incendier Toulon et de profiter du désordre causé par le bombardement pour enlever la ville. Enfin les deux colonnes s'efforceraient de .concert d'emporter par un coup de main le mont Faron et, si elles pouvaient, le fort La Malgue[12].

Marescot jugeait, à part lui, que ces deux plans différaient très peu. Il y avait pourtant des différences. Carnot laissait de côté le fort Malbousquet, que Dugommier et Bonaparte projetaient de ruiner pour pousser sans obstacle jusqu'aux murs de Toulon, et il exigeait trop des troupes républicaines en leur prescrivant, comme d'Arçon l'avait demandé, d'occuper, outre le promontoire du Caire et le cap Brun, la presqu'île de la Croix-aux-Signaux.

Aussi Dugommier objecta sur-le-champ qu'il n'avait pas assez de monde pour réussir sur tant de points, et il proposa de renoncer à cette tentative sur la Croix-aux-Signaux. Ma courroie est trop courte, répétait-il. Les membres du Conseil l'approuvèrent, et on convint de s'abstenir de tout mouvement contre la presqu'île.

Mais le Conseil pensa qu'il serait imprudent d'assaillir la hauteur du cap Brun. Elle correspondait sans doute, comme l'avait dit Dugommier, avec le promontoire du Caire, et, si l'on avait ces deux points, on désolait la marine ennemie et lui ordonnait une station critique en cette saison. Toutefois Saliceti remarqua qu'il était très difficile d'enlever et de garder le cap Brun, et il rappela qu'il assistait à la journée du 15 octobre où La Poype avait pris et perdu ce poste. Mieux valait, selon Saliceti et ainsi que l'avait désiré Bonaparte, diriger sur le mont Faron l'effort de la division de l'est. Le Faron était un point important, un point que d'Arçon considérait comme capital et recommandait d'attaquer en toute vigueur. Dugommier fit observer qu'il faudrait de ce côté des moyens plus rassemblés. Mais La Poype visait dès le commencement du siège à la prise du Faron, comme Bonaparte à la prise de l'Eguillette, et il disait volontiers qu'on n'avait qu'à s'emparer de cette montagne pour dominer la place ; il répondit à Dugommier qu'il avait assez de bonnes troupes pour garantir le succès et qu'au ler octobre il s'était saisi de la crête du Faron.

Finalement, le Conseil résolut de faire une feinte contre Malbousquet et le cap Brun ou, comme écrit Ricord, de les assaillir simulément et de prendre le plus tôt possible par une véritable attaque brusque et vive, par un combat à la française, le Petit Gibraltar, l'Eguillette, Balaguier et le mont Faron. Ce fut Bonaparte qui rédigea le procès-verbal de la séance. Son plan l'avait emporté, le plan qu'il soumettait à Bouchotte, le 14 novembre, en ces termes : la prise de l'Éguillette et dans te même temps attaquer le Faron.

En vain, dans les derniers jours de novembre et la première semaine de décembre, Marescot insinuait qu'on aurait dû déployer l'appareil des attaques ordinaires et que la prudence ordonnait de prévoir toutes les chances. En vain il dénigrait Bonaparte, qui n'avait fait jusqu'à son arrivée que commander quelques gabions et que dresser quelques batteries provisoires. Dugommier écoutait Marescot, intime ami de Carnot, et il applaudissait à ses projets : exécuter une ligne de retranchements dans la partie exposée aux sorties des alliés ; fermer les vallées qui s'étendent entre les hauteurs de Pitayas, des Arènes, des Gaux et de la Goubran ; employer à cette tâche des hommes de la nouvelle levée qui seraient soutenus par des détachements armés ; organiser un corps d'ouvriers du génie. Il savait que ces travaux seraient inutiles ; il ne suivait que son plan, c'est-à-dire le plan de Bonaparte qui, de l'aveu même de Marescot, avait sa confiance entière.

 

Le Conseil de guerre du 25 novembre avait approuvé l'établissement des batteries dressées par Bonaparte. De nouvelles furent élevées sous la direction de Du Teil et de son second, et lorsque Toulon ouvrit ses portes, l'armée révolutionnaire avait peu à peu installé treize batteries. Déjà leur feu, jusqu'alors plus bruyant que dangereux, se rapprochait de la ville ; des boulets tombaient sur les remparts ; les ennemis subissaient tous les jours des pertes sérieuses.

La batterie qui faisait le plus de mal aux alliés était la batterie dite de la Convention, située sur le plateau des Arènes et dirigée Contre Malbousquet. Elle comptait 6 pièces de vingt-quatre. Napoléon rapporte qu'il l'avait cachée par un rideau d'oliviers et qu'il ne voulait la démasquer qu'au dernier moment, le lendemain de la prise du Petit Gibraltar, pour mieux peser sur la résolution des assiégés, mais que les représentants visitèrent la batterie et autorisèrent les canonniers à tirer, qu'il se plaignit vivement à Dugommier. Ses souvenirs l'ont trompé : le Conseil de guerre du 25 novembre avait, au contraire, décidé de canonner Malbousquet pour abuser l'adversaire sur le point d'attaque et faciliter à l'infanterie française la prise de l'ouvrage[13].

Le 28 novembre, la batterie de la Convention tira soudain contre Malbousquet. Les alliés ignoraient son achèvement ; leurs soldats étaient assis tranquillement sur les embrasures du fort lorsqu'une grêle de boulets les assaillit. Malbousquet répondit sans discontinuer et unit ses feux à ceux d'un vaisseau qui vint le lendemain s'embosser sur le rivage et lancer à chaque demi-heure des bordées de quarante coups de canon. Mais la Convention riposta, et le 28, le 29, elle envoyait à Malbousquet un coup de canon tous les quarts d'heure.

La batterie était, au jugement des assiégés, bien exécutée et parfaitement placée. O'Hara résolut de l'enlever, tant pour rassurer les Toulonnais qui craignaient un bombardement que pour arrêter les travaux des républicains et donner aux renforts qu'il attendait de Gibraltar et du Milanais le temps d'arriver. Mais, au lieu d'employer 6.000 hommes à cette expédition afin de pousser sérieusement leurs avantages, les alliés ne firent sortir de la place que 2.000 hommes environ et ils les tirèrent en grande partie de Malbousquet qu'ils n auraient pas dû dégarnir puisque ce fort devait protéger leur retraite.

Le 30 novembre, à cinq heures du matin, 2.350 hommes, 400 Anglais, 300 Sardes, 700 Napolitains, 700 Espagnols et 250 Français, chasseurs toulonnais et soldats du régiment de Royal-Louis, s'ébranlent sous les ordres du général major David Dundas. Ils passent la Rivière Neuve, qui sur le pont, qui à gué. Puis, se divisant en quatre colonnes, les Anglo-Sardes à gauche, les Espagnols au centre, les Napolitains à droite, ils marchent à travers des champs plantés d'oliviers et coupés par des murs de pierre, gravissent sans bruit ni confusion des pentes taillées en terrasses et débouchent subitement sur le plateau des Arènes : Les républicains, surpris, se mettent à fuir. Le général Garnier s'efforce de les rallier ; cette troupe de nouvelle levée se disperse sous la pluie des balles et sous le feu qui part de Malbousquet. Il n'a plus autour de lui qu'une poignée d'hommes, hésitants, découragés et qui finissent par plier. Que les coalisés s'avancent sur la route d'Ollioules, qu'ils atteignent ce village, et ils s'emparent du parc d'artillerie. Quel eût été, s'écrie Marescot, le sort de l'armée ?

Mais, au lieu de se reformer, selon les instructions qu'ils. avaient reçues, sur la cime longue et étroite de la hauteur et de l'occuper solidement, les assaillants, entraînés par leur impétuosité, pillent le petit camp qui gardait la batterie, poursuivent çà et là les patriotes, escaladent les collines avoisinantes, et les voilà disséminés de tous côtés. Au lieu de profiter de la pente du sol pour emmener les canons conquis, ils perdent le temps à les enclouer, assez mal d'ailleurs, et avec des clous et des outils que le comte del Puerto fait venir de Malbousquet.

Il était neuf heures. Dugommier, accompagné de Saliceti, des deux adjudants généraux Arena et Cervoni et du 3e bataillon de l'Isère, arrivait sur le plateau, et dans son indignation, frappait les fuyards à coups de sabre. Il pria Garnier, qui connaissait le terrain, de conduire les volontaires dauphinois. Garnier plaça 250 bonifies derrière un grand pan de mur. Avec le reste, il se rabattit sur la droite, et à onze heures, à la tête de trois bataillons, il s'élançait à l'assaut de la hauteur des Arènes. Les alliés commençaient à rétrograder. Ils voulurent envelopper Garnier ; ils descendirent, eux aussi, vers la droite et tombèrent sur le bataillon de l'Isère qui les attendait derrière le mur et sur deux autres bataillons que le général Mouret envoyait de la division du centre. Accueillis par un feu très vif, craignant d'être débordés et coupés, ils se sauvèrent en désordre.

Le gouverneur de Toulon et commandant en chef des troupes combinées, O'Hara, était présent à l'affaire, bien qu'il eût promis à lord Hood, qui se défiait de son ardeur, de ne pas quitter la ville. Brave, téméraire, prodigue de sa personne, comme dit Elliot, étourdi et un peu braque[14], oubliant qu'il était général, comme dit encore un Espagnol, pour faire à tort et à travers le capitaine de miquelets, il était allé dans le vallon aux trousses des Français, malgré ses guides qui le priaient de ne pas s'aventurer plus avant et de ne pas s'engager dans de dangereux défilés. Lorsqu'il vit ses troupes revenir à la débandade, il courut à leur rencontre pour les rallier et les ramener. Il fut blessé au bras, et le sang qu'il perdait lui causa une telle défaillance qu'il dut s'asseoir au pied d'un mur. Deux de ses soldats le soutenaient et le conduisaient ; il leur ordonna de se mettre en sûreté. Quelques instants après, il était prisonnier.

Bonaparte a prétendu qu'il avait lui-même capturé le général. Il se trompe ; mais il contribua grandement au succès de la journée. Il plaça sur plusieurs points des canons de campagne qui protégèrent la retraite de Garnier et retardèrent la marche des alliés. A travers un boyau qu'il avait fait pratiquer dans le vallon et recouvrir de branches d'olivier, il arriva sans être aperçus jusqu'à l'épaulement de la batterie -de la Convention et envoya de droite et de gauche aux ennemis une décharge de mousqueterie qui les déconcerta.

A midi, les coalisés se repliaient sur la ville par petits pelotons. Plusieurs se rassemblèrent sous le fort Malbousquet. Les troupes de Mouret les suivirent la baïonnette dans les reins, et Mouret voulut profiter de leur élan pour enlever le fort. Elles se portèrent jusqu'aux chevaux de frise, elles détruisirent un ouvrage que les Espagnols commençaient à faire, elles leur prirent quelques tentes ; mais, bien que Bonaparte eût desencloué les canons de la Convention et ouvert le fort contre Malbousquet, elles durent s'arrêter sous la mitraille du fort.

Les Anglais avaient laissé des pièces d'artillerie sur le bord de la Rivière Neuve. Elles faillirent tomber dans les mains des républicains. Mais le capitaine Collier, le seul des trois officiers qui restaient, fit une énergique résistance. Ses canons tirèrent à mitraille jusqu'au dernier instant, et ils ne s'éloignèrent qu'après avoir épuisé leurs munitions. Le chevalier de Revel couvrit la retraite avec ses Piémontais qu'il avait ralliés. Tant que je serai en vie, dit-il à Collier, votre artillerie ne sera pas prise. Il fut promu colonel, et Dundas lui décerna cet éloge : Vous êtes vaillant, capable et plein de bon vouloir, stout, able and willing[15].

Dugommier traita courtoisement O'Hara. Il lui avait sur-le-champ envoyé Bonaparte, Bonaparte qui devait se rappeler le sort d'O'Hara et qui prophétisait le même destin à Wurmser enfermé dans Mantoue. Que désirez-vous ? dit Bonaparte à O'Hara. Être seul, répondit le général anglais, et ne rien devoir à la pitié. Bonaparte, qui juge O'Hara un homme très commun, loua cette réplique : Un vaincu, remarquait-il, doit avoir de la réserve et de la fierté, doit ne souhaiter rien, ne demander rien[16]. Mais ce bel accès de stoïcisme ne dura pas. Quelques instants plus tard, O'Hara recouvrait le sens pratique d'un bon Anglais. Il fit venir de Toulon, avec l'autorisation de Dugommier, son chirurgien, son domestique, ses effets, et, le soir même, tout en disant qu'il était bien malheureux, qu'il avait vu la guerre en Amérique, qu'il avait été en 1781 prisonnier à Yorktown, et qu'il n'avait jamais eu l'humiliation d'être abandonné par ses troupes, il dormit dans le lit du général Garnier.

 

Saliceti et ses collègues profitèrent de l'événement pour obtenir des renseignements sur les conventionnels Baille et Beauvais, enfermés au fort La Malgue. Ces deux représentants étaient à Toulon lorsqu'éclata l'insurrection royaliste, et ils avaient été hués, menés à la cathédrale pour assister, un cierge en main, au Te Deum, traînés de section en section, puis emprisonnés. Leur arrestation fit grand bruit. La Convention décréta que les Anglais, saisis sur le territoire de la République, répondraient sur leur tête de la conduite de l'amiral Hood envers Baille, Beauvais et les autres patriotes incarcérés à Toulon. Mais elle était inquiète du sort de ses membres. Le 4 septembre, Gasparin assurait que Baille avait expiré la veille. Le 18, un agent du Comité de salut public écrivait que Beauvais vivait dans les alarmes au milieu des menaces de mort et que Baille avait été trouvé étranglé dans son cachot, qu'on ne savait s'il s'était tué ou si les Anglais l'avaient sacrifié. Le 27, Adet, adjoint du ministre de la marine, mandait que Beauvais avait subi le supplice de la corde : Ils ne respectent rien, ces féroces Anglais ! Un représentant du peuple conduit au gibet comme un vil scélérat ! Au mois d'octobre, cette nouvelle était démentie. On apprenait par des déserteurs et des prisonniers que Baille n'était plus, mais que Beauvais existait encore, qu'on le traitait avec certains égards, qu'il se promenait le jour durant quatre heures. Là-dessus, le 23 novembre, sur un rapport de Billaud-Varenne, la Convention accorda une pension de 1.500 livres à la mère de Baille tombée dans le besoin : Baille, affirmait Billaud, avait été sommé par les Anglais de crier Vive Louis XVII, et il avait répondu : — Ce n'est pas pour crier Vive Louis XVII que j'ai voté la mort du tyran[17].

Les représentants chargèrent Dugommier de s'enquérir exactement du destin de Baille et de Beauvais. Le général voulait envoyer aux alliés un des commissaires des clubs du Midi qui lui semblaient investis de la confiance publique, Bayssière, Gury, Jouve ; mais il réfléchit qu'ils étaient trop connus dans Toulon. Il choisit un personnage qui parlait et entendait l'anglais. Ce parlementaire, accompagné d'un trompette qui savait l'espagnol, eut mission de remettre une lettre au gouverneur et de visiter les prisonniers du fort La Malgue. Il entra, le 2 décembre, dans la ville, les yeux bandés, et fut mené au fort en une voiture bien fermée sous la surveillance d'un vieux croc à moustache. Beauvais lisait lorsque le parlementaire se présenta. A-t-on pour vous, demanda l'émissaire de Dugommier, les égards dus à la représentation nationale ? Beauvais répondit avec une sorte de résignation philosophique qu'il ne manquait de rien, qu'il avait de temps à autre du poisson et du dessert, qu'il se promenait librement dans le fort. Désirait-il écrire à ses collègues, les représentants du peuple près de l'armée révolutionnaire ? Il répondit qu'il ne les connaissait pas et qu'il n'avait rien à leur dire. Il a l'air, rapporta le parlementaire, de ne voir la République que dans son cachot et en lui. Baille était-il mort ? Beauvais répondit que Baille croyait que son père avait péri dans Toulon et, qu'une nuit, en un moment d'égarement, il s'était mis au cou un mouchoir ou une corde, qu'on l'avait trouvé le lendemain matin pendu à un gros clou. Le parlementaire vit dix-sept autres prisonniers. Ils faisaient, selon le mot d'un Anglais, une f.... figure et ils souhaitaient d'être échangés aussitôt que possible ; mais ils ne se plaignaient pas, bien qu'ils n'eussent pour se coucher que de la paille ou une paillasse.

Tels furent les détails que Dugommier recueillit du parlementaire, et il se hâta de les annoncer à Paris : Beauvais, n'est point détruit comme on l'avait dit ; il existe, nous n'en pouvons pas douter. et nous savons que son collègue Baille a péri par ses propres mains[18].

 

La capture d'O'Hara avait déjà suscité les bruits les plus ridicules dans la population toulonnaise. On prétendait qu'il avait passé volontairement à l'ennemi. Était-ce à lui, gouverneur de la place, de diriger une sortie ? N'aurait-il pu regagner la ville comme plusieurs Toulonnais blessés et son guide Barallier ? Non ; il y avait là un tour des Anglais ; ils désespéraient de conserver Toulon, ils n'osaient envoyer un émissaire aux représentants du peuple, et ils avaient usé de cet habile expédient : O'Hara s'était fait prendre par les assiégeants pour traiter avec eux ! La venue du parlementaire français et de son trompette surexcita les imaginations plus vivement encore. On disait que ces deux patriotes étaient des conventionnels — et quelques personnes assuraient avoir reconnu Augustin Robespierre —, qu'ils avaient proposé l'échange d'O'Hara contre Beauvais et la famille de La Poype, que Dundas avait répondu superbement : La rançon d'O'Hara est au bout de nos baïonnettes ! D'autres affirmaient que des négociations étaient engagées, que les Anglais vendaient Toulon aux républicains, que la somme leur avait été comptée, qu'on avait vu deux lourds fourgons attelés chacun de quatre chevaux et sans doute chargés d'or, entrer à pas de roulage dans l'hôtel du gouverneur et partir au trot, légers comme la plume[19].

Dugommier ne pensait guère à négocier. L'échec du 30 décembre avait répandu l'émoi dans Toulon et démoralisé les troupes, surtout les Napolitains. Elliot ne cachait pas ses craintes. Si les alliés n'avaient que 400 hommes de moins, la moitié de ces hommes étaient Anglais, et Sa Majesté Britannique perdait 12 officiers ; il fallait désormais s'abstenir de sorties et se résigner à la défensive. La plupart des assiégés remarquaient, non sans angoisse, que les républicains recevaient des renforts et que leur travail devenait plus méthodique. Les déserteurs annonçaient que l'armée révolutionnaire comptait de 30.000 à 40.000 hommes et qu'elle ferait bientôt une attaque générale. Les dernières lettres de Toulon, disait le Moniteur, portent qu'elle grossit d'une manière effrayante et que les secours qu'attendaient les alliés éprouvent une lenteur qui les décourage. Mais Dugommier n'était pas moins alarmé que les Toulonnais et les coalisés[20].

Dans cette affaire du 30 novembre, il s'était battu selon l'expression de Bonaparte avec un courage vraiment républicain, et il avait reçu deux fortes contusions, l'une au bras droit, l'autre à l'épaule. Toutefois, s'il jugeait la journée chaude et heureuse, s'il louait certains officiers et notamment les trois Corses, Bonaparte, Arena et Cervoni, qui s'étaient le plus distingués et avaient le plus aidé à rallier et à pousser en avant, s'il se félicitait d'avoir si bien fait à l'improviste et s'il augurait qu'il ferait mieux encore lorsque l'attaque serait concertée et bien mesurée, s'il avait la joie d'annoncer à Paris la capture d'O'Hara, du major anglais Archibald Campbell, du colonel espagnol Echaburu et de quinze autres officiers, cette surprise du plateau des Arènes lui révélait la faiblesse et l'inexpérience de ses troupes. Il devait s'avouer que son aile gauche avait été culbutée sans essayer la moindre résistance et que c'étaient 5 à 600 braves, le 3e de l'Isère et le 59e régiment ci-devant Bourgogne qui, sous ses ordres et à la voix de Garnier et de Mouret, de Bonaparte, d'Arena et de Cervoni, avaient reconquis la position qu'une division de 6.000 hommes perdait en un instant. Il déplorait l'énorme consommation des cartouches : La chose est incroyable, s'écriait-il, et pourtant elle est vérifiée ; l'armée a, le 30 novembre, usé 500.000 cartouches ![21]

L'exécution des mesures prescrites par le Conseil de guerre fut suspendue, et l'attaque, qu'il avait fixée au 8 décembre, retardée. Les républicains se bornèrent, pendant la première quinzaine du mois, à perfectionner leurs retranchements et à tirer des coups de canon.

Aussi, en Provence et à Paris, désespérait-on de l'issue de l'entreprise. Des plaintes s'élevaient contre le général en chef de l'armée assiégeante. Toulon était donc invincible ! Les jacobins de Marseille demandaient à Dugommier pourquoi l'odieuse ville n'était pas encore vaincue. Marescot écrivait à Carnot que Dugommier différait sans cloute son attaque pour la rendre certaine et décisive, mais que plus elle tarderait, plus elle serait épineuse et sanglante, qu'il était temps de commencer. Saliceti priait le général de faire une action d'éclat, de frapper le coup, de remplir le grand objet de l'attente nationale, et marquait an Comité que Dugommier était brave, ardent, patriote, mais un peu lent dans ses mesures. Augustin Robespierre et Ricord représentaient que l'armée révolutionnaire n'avait du blé et de la farine que pour quinze jours, qu'elle n'aurait plus de ressources sous deux semaines, que le seul moyen de s'approvisionner était de prendre Toulon. Le Comité, plus impatient que jamais, arrêtait que l'armée des Pyrénées-Orientales serait provisoirement réduite à 15.000 hommes et que le surplus des troupes qui la composaient, irait sur-le-champ devant Toulon sous la conduite de Garrau, commissaire de la Convention, que Bordeaux fournirait 10.000 fusils, que Toulouse enverrait des citoyens de bonne volonté : Toulon, trop longtemps impuni, devait enfin trembler, devait être dompté par un nouveau noyau de forces, par une violente et suprême tentative. De même, la Convention. Le 17 décembre, le jour-où tombait le Petit Gibraltar, une proclamation de l'Assemblée que Bouchotte ordonnait de répandre à deux mille exemplaires dans l'armée révolutionnaire et les clubs du Midi, reprochait aux assiégeants de cerner en vain les brigands, et les sommait de conquérir Toulon : Le Nord a triomphé. Les rebelles sont vaincus dans la Sarthe. Le Midi serait-il seul déshérité de la portion qu'il doit avoir dans la gloire nationale ? Non, vous n'avez pas été assez fortement indignés des trahisons toulonnaises. Les travaux du siège languissent Faudra-t-il donc appeler le Nord pour vous défendre ? La République vous commande la victoire ![22]

 

 

 



[1] Cf. le Courrier d'Avignon, n° 279, 15 déc. Le général écrivit lui-même au rédacteur du journal : Je te prie de rectifier mon nom que tu as cru être Ligonier (sic) au lieu de Dugommier.

[2] Mém., de Vernes (Nouv. Revue rétrosp., juil. 1899, p. 29).

[3] Mon. des 12 et 28 nov. ; — Rec. Aulard, VIII, 613 ; IX, 51 ; — Truguet à Barère, 28 oct. (A. G.).

[4] Rec. Aulard, VII, 480, 585 ; VIII, 116. Albitte serait même allé devant. Toulon, et il vint à Chambéry, à Avignon ; il visita dans la Drôme les fonderies de canons ; mais Barras et Fréron écrivirent à Maximilien Robespierre, non sans raison, qu'il avait dans sa précédente mission tout paralysé ; il fut rappelé à Lyon. Un autre représentant, Couthon, désirait, après la prise de Lyon, être envoyé devant Toulon, pour y pratiquer, comme à Lyon, le système de vive force (id., VII, 530, et VIII, 264, 303).

[5] Mot de Desdorides (A. G.).

[6] Voir surtout les lettres des 8 et 10 décembre à Bouchotte (A. G.) ; — Vauchelet, 327-830 ; — Pineau, 290, 292-294.

[7] Cf. le rapport de Ricord et celui de Barère (Mon., 14 déc.), les lettres des représentants et le Mémorial de Sainte-Hélène. On cite parmi les délégués du Congrès ou, comme ils s'intitulaient, les commissaires des sociétés populaires du Midi, Bayssière, Gury et Jouve cadet.

[8] Sur Jean Du Teil, voir le livre du baron Joseph Du Teil et A. Chuquet. Au mois de septembre, Kellermann avait dû ôter à Du Teil le commandement de l'artillerie des armées des Alpes et d'Italie à cause de ses incommodités, qui s'augmentaient journellement, pour le placer à Grenoble où il veillerait simplement aux approvisionnements, et après le siège de Toulon, par un arrêté du 24 décembre, les représentants le renvoyaient à Metz, son pays natal, soigner sa santé. Cette mesure, dit complaisamment Dugommier, est la seule qui puisse nous conserver un officier précieux qui a parfaitement rempli ses fonctions et démontré dans toutes ses dispositions beaucoup d'intelligence et de talents militaires. Cf. Dugommier à Vernet, 23 déc. (A. G. ; — et Pineau, 803).

[9] A un dîner, Du Teil dit à Bonaparte en lui offrant un plat de cervelle : Tiens, tu en as besoin. Il indiquait par là selon le mot d'un témoin, que Bonaparte était surchargé de travail et qu'il lui fallait de la cervelle pour quatre (Mém. de Granet ; cités par Louis Brès, le Sémaphore de Marseille, 23 déc. 1893).

[10] Gasparin, malade s'était retiré dans sa famille, à Orange, ou il mourut le 11 novembre, et Saliceti écrivait que sa mort laissait dans l'affaire de Toulon un vide qu'il ne serait pas possible de remplir.

[11] Cf. (ainsi que pour ce qui suit), outre la lettre de Marescot à Carnot, 25 novembre, et le procès-verbal du Conseil de guerre du même jour. (Correspondance de Napoléon, I, 12) le mémoire de Dugommier sur la prise de Toulon et ses Observations sur le siège (A. G. — Vauchelet, 311-380 ; Pineau, 277 et 795). Voir le plan de d'Arçon dans Colin, l'Educ. milit. de Napoléon, 383-395.

[12] Rec. Aulard, VIII, 222.

[13] L'aventure racontée par Napoléon se rapporte à la batterie établie sur le plateau des doux entre les Arènes et la Goubran et reliée à la Convention par une gabionnade en ligne droite, la batterie dite de la Farinière, qui ouvrit son feu le 8 décembre. D'après la résolution du Conseil de guerre, elle devait être établie dans la localité la plus favorable entre la batterie de la Convention et Malbousquet, afin de jouer dans le moment le plus propre à porter le découragement.

[14] Harum scurum.

[15] Thaon de Revel, 161. 200 prisonniers, 100 soldats et 28 officiers (12 anglais, 40 espagnols, 6 sardes ou napolitains mis hors de combat, telles étaient les pertes des alliés (Arteche, 216). Voir sur cette affaire le mémoire de Garnier (A. G.), la lettre de Dugommier au Comité, 30 nov. (Mon., 7 déc.), celle de Napoléon, Elliot, Revel, Florindorf, etc. Les Espagnols se vantèrent d'avoir sauvé Malbousquet par leur fermeté.

[16] Correspondance, IV, 664. On a dit qu'O'Hara avait jadis capturé Dugommier, qui le capturait à son tour ; l'anecdote est fausse.

[17] Mon., 10, 11, 28 sept. et 11 oct. ; — Rec. Aulard, VII, 562 ; VIII, 142, 255. Cf. sur Baille les Mém. de Barbaroux et de Louvet qui le nomment un homme violent, grossier, nul pour les affaires (Louvet, Mém., p. Aulard, I, 181, et Barbaroux, Mém., p. Dauban, 329). Baille et Beauvais (qui mourut le 28 mars 1794) furent célébrés comme des martyrs. Déjà en novembre 1193, Musset et Ch. Delacroix donnaient au citoyen Leprince un nom plus digne d'un républicain, le nom de Beauvais qu'ils croyaient mort à Toulon, victime de la perfidie des AnglaisRobespierre jeune assura que Baille s'était tué parce qu'il avait entendu dire à ses gardiens que les Anglais arrachaient la langue à leurs prisonniers ou leur coulaient du plomb fondu dans les veines. Sergent demandait qu'il prit rang à côté de Le Peletier et de Marat en ajoutant que sa mort était plus glorieuse que s'il avait succombé à la tête de l'armée (Mon., 3 janv. 1791). La plume s'arrête d'horreur, disait Barère dans son rapport du 26 mai 1794, il faut cependant qu'elle retrace encore le trait de cruauté exercé par les Anglais contre les représentants du peuple à Toulon, tandis que les patriotes traitaient avec humanité O'Hara et les autres prisonniers anglais. Trouvé, dans son chant de guerre, La mort à tout esclave anglais (Mon., 18 juin 1794), évoquait ainsi les deux députés :

Vous nous guidez à la vengeance,

Mânes si chéris des Français,

Mânes de Baille et de Beauvais,

Martyrs de notre indépendance.

La Convention avait demandé lei avril, après une lettre de Maignet qui faisait l'éloge du martyr, que son Comité d'instruction publique lui fit un rapport sur la translation des cendres de Beauvais au Panthéon, et elle désirait panthéoniser en même temps Baille, Fabre — tué à Port-Vendres — et Gasparin ; le rapport ne fut pas fait ; mais l'urne qui renfermait les cendres de Beauvais fut déposée aux Archives nationales ; son buste en cire, placé dans la salle de la Convention, et un secours annuel de quinze cents livres (décret du 28 déc. 1794), voté à sa fille.

[18] Dugommier à Bouchotte, 10 déc. ; — Rapport de Bayssière, Gury et Jouve, 3 déc. (A. G.) ; — Rec. Aulard, IX, 273. Beauvais était méconnaissable lorsqu'on le tira de sa prison ; comme l'a dit Augustin Robespierre aux Jacobins, il ne se montra pas aussi ferme qu'il aurait pu l'être et il fut épouvanté de l'image des tourments qu'on lui préparait ; mais, ajoutait Robespierre jeune dans un discours à la Convention, Beauvais délivré devait donner à cet instant de sa vie le caractère convenable et montrer les Anglais capables de tous les crimes. Beauvais n'y manqua pas. Il écrivit à la Convention que le parlementaire l'avait trouvé dans un noir cachot, sans feu ni lumière — comme si les Anglais auraient commis pareille imprudence ! — Cf. Mon., 2, 3 et 6 janvier 1794.

[19] Cottin, passim : — Pons, 135-136 : — Mémoires historiques du chevalier de Fonvielle, 1824, t. II, 542-545, 553 (il assure sérieusement qu'on peut évaluer à 20 millions en or ce qu'aura coûté à la Convention la livraison de Toulon !) : — Lauvergne, Hist. de la Révol. fr. dans le dép. du Var, 440 ; — cf. Louvet, Mém., I, 184 (il accuse Beauvais de trahison !) et Thaon de Revel (Mém., 164) qui proposait à Hood et à Dundas d'échanger O'Hara contre le général Casablanca.

[20] Lettres de Dundas, 12 et 21 déc. (A. G.) ; — Elliot, II, 199 ; — Auckland, III, 151 ; — Pons, 141 — Florindorf, 349 ; — Mon., 11 décembre ; — Cottin, 449.

[21] Correspondance de Napoléon, I, 22 ; — Dugommier à Bouchotte, 30 nov. ; — et relation de Garnier (A. G.) ; — Rapport de Ricord.

[22] Rec. Aulard, IX, 73, 147, 327 ; — rapport de Ricord, 10-11 ; — Marescot à Carnot, 10 déc. ; — Saliceti au Comité, 20 nov. et 12 déc. (A. G.) ; — Mon., 20 déc. (Adresse de la Convention à l'armée de la République sous les murs de Toulon, 17 déc.)