L'idée du détroit. Christophe Colomb n'était pas homme, à rester découragé longtemps ; non seulement il souffrait de son inactivité, mais encore son amour-propre était froissé dans son extrême susceptibilité. Il voulait prendre sa revanche, non en exerçant ou suscitant une vengeance ce qu'il ne fit jamais — mais en remportant un éclatant succès. L'épreuve qu'il venait de subir avait été particulièrement dure, et il en sortait physiquement et moralement atteint. Son mysticisme s'était exacerbé et ses écrits le reflètent, sans cependant perdre de leur précision et de leur talent descriptif. Quelquefois, son exaltation paraît atteindre jusqu'à la limite de l'hallucination, mais c'est elle qui lui a permis de dominer les souffrances d'une santé profondément altérée et d'agir avec une remarquable énergie. A cette époque de sa vie, Colomb s'était rendu compte que les terres découvertes formaient véritablement un monde nouveau, qui ne pouvait être rattaché aux Indes Orientales que secondairement et d'une façon éloignée. Ses connaissances, comme celles de tous ses contemporains, l'obligeaient à chercher à faire cadrer les pays qu'il avait relevés avec les descriptions géographiques de l'Asie, mais il était désormais persuadé qu'un obstacle se dressait devant ce continent. Par les richesses déjà exploitées, cet obstacle constituait un joyau inestimable qu'il avait offert aux couronnes des Rois ; il devait en contenir d'autres à découvrir encore, mais il fallait le franchir pour arriver au véritable but de sa vie. Un détroit devait exister et il croyait savoir où le chercher. Christophe Colomb fut le premier à concevoir et à vouloir trouver ce passage, et cette idée domina désormais toutes les autres chez les navigateurs. On pensa même, à un moment donné, avoir découvert trois détroits, qui n'étaient que des embouchures de fleuves... Magellan trouva le bon en 1518 en un point inattendu. Ce succès fut obtenu malgré Juan Rodriguez de Fonseca, qui fit encore tout son possible pour contrarier cet autre grand navigateur. Le Directeur de l'Office des Indes était atteint, paraît-il, d'un tic nerveux de la face et de la tête, et aussi hélas d'un tic moral, — maladie de tous les temps — qui oblige à haïr les hommes d'action, aux conceptions indépendantes ; il ne s'en guérit jamais et commit l'imprudence, sous Charles-Quint, de se heurter à F. Cortez, de sorte qu'il mourut en disgrâce. L'attitude de Fonseca n'est donc pas un argument qui puisse être invoqué contre Colomb, elle tenait du domaine pathologique et constituait une maladie chronique et incurable, malheureusement contagieuse. La découverte de Magellan ne supprima pas complètement l'idée d'un détroit central, car, sur la carte de Vesconte de Maggiola, datée de 1527, on voit à la hauteur du Yucatan un détroit douteux ; c'est sur cette même carte que l'on trouve, répandus en quantités sur la côte de Floride, — ce qui prouve l'activité clandestine des navigateurs de ces pays — des noms italiens et des noms français comme Dieppe, Honfleur, Saint-Louis, Angoulême, les Fils de Navarre, etc. piqués cette fois de petits pavillons français. ***Les Souverains furent impressionnés par les arguments de Colomb et décidèrent l'armement de quatre caravelles. Partez en paix et en confiance lui dit Isabelle, et dans une lettre écrite de Valence de la Torre le 14 mars 1502, signée bien entendu de : Moi le Roi — Moi la Reine — Par ordre du Roi et de la Reine — il est dit : Les grâces que nous vous avons accordées vous seront maintenues entièrement, selon la forme et teneur des privilèges que nous vous en avons donnés, sans qu'on y change la moindre chose, et vous et vos fils en jouirez comme cela doit être. S'il était nécessaire de les confirmer de nouveau, nous les confirmerions et nous ferons mettre votre fils en possession de tout ce qui vous a été accordé, et notre plus vif désir et notre volonté est de vous honorer plus encore, et de vous accorder de nouvelles récompenses. Nous aurons soin comme de raison de vos fils et de vos frères. L'interdiction de toucher à Hispañola à l'aller précède ce passage élogieux ; elle est formulée avec de grands ménagements, prouvant que cette décision n'avait été dictée que par le très légitime souci d'éviter des heurts, susceptibles de troubler à nouveau la colonie que l'on espérait voir pacifier par Ovando. Dans les Instructions pour l'Amiral, qui portent la même date et les mêmes signatures et sont fort détaillées, il est enjoint à D. Christophe Colomb, notre Amiral des îles et terre ferme qui sont dans l'Océan, du côté des Indes, de faire son voyage en ligne droite si le temps ne s'y oppose pas — formule subsistant toujours[1] dans les ordres émanant de l'Amirauté britannique — pour découvrir les îles et la terre ferme dans la partie qui lui est échue. Colomb choisit quatre petites caravelles, d'un tonnage variant de 50 à 70 tonneaux, avec faible tirant d'eau, pour pouvoir pénétrer dans les baies et les estuaires, à la recherche du détroit. Ces navires étaient la Capitana, capitaine Diego Tristan, le San Yago de Palos, capitaine Francisco Porras, le Gallego, capitaine Pedro de Torreros, et la Vizcaina, capitaine Barthélémy Fieschi. Colomb avait obtenu de ses Souverains l'autorisation d'emmener son frère Barthélémy et son fils Fernando, âgé seulement de 14 ans et demi. Les équipages se composaient de 148 personnes, officiers, marins, écuyers, novices-mousses (c'est-à-dire grumetes), et ouvriers marins, dont les noms nous sont restés. Sur le San Yago de Palos était embarqué Diego de Porras, notaire et officier de la flotte, sorte de commissaire de la Marine, frère du capitaine ; il était chargé de faire un rapport sur le détail des routes, les côtes découvertes, l'or qu'on obtiendrait par échange ou autrement, les hommes et les navires. Ce rapport, très intéressant par les noms et renseignements administratifs qu'il nous transmet, est précédé d'une brève relation du voyage, écrite évidemment avec l'intention d'être désagréable à l'Amiral ; le but est d'autant moins atteint, que les griefs sont maladroitement présentés, facilement réfutables et que les deux frères Porras furent, en cours d'expédition, les chefs d'une misérable et lâche révolte. Ce voyage est en outre connu par une lettre de Christophe Colomb, écrite au Roi et à la Reine d'Espagne, nos Seigneurs très chrétiens et très puissants[2], le testament dicté devant écrivain, notaire et témoin le 6 juin 1536 par Diego Mendez, un héros de l'aventure, et enfin par la Vie de Colomb narrée par son dernier fils. Ce récit est particulièrement intéressant, puisque Fernando fut un des acteurs du drame. Cette quatrième et dernière expédition de Colomb est une des plus extraordinaires qui soit par l'énergie, le courage et l'endurance du Chef et de ses compagnons, et encore par une sorte d'inspiration qui aurait dû aboutir aux plus étonnantes des réalisations, si les circonstances, souvent exceptionnelles et même anormales, n'étaient venues les atrophier au dernier moment. Il semble que Colomb fut une force dont la nature se servit pour défricher, mais à laquelle elle ne voulut pas accorder le triomphe du succès. S'il s'était rendu compte de la distance infime qui le séparait de la justification de ses rêves, il aurait pu, dans son langage biblique, se comparer à Moïse qui, chargé d'une mission divine, se vit interdire l'entrée de la terre de Chanaan. Ce voyage constitue un récit d'aventures vécues, supérieur à ce que l'imagination la plus féconde aurait pu produire, où l'on trouve, au cours d'une lutte dramatique contre les hommes et les éléments, des manifestations splendides de dévouement, de fidélité et de courage, jointes au déchaînement des passions les plus viles. La mer, comme si sa patience avait été lassée par la persistance de l'Amiral à vouloir élucider ses mystères, lui réserva ses plus dures épreuves ; Colomb fut finalement vaincu par cet adversaire redoutable qui sait être invincible, mais elle le reconnut digne d'elle et épargna sa vie. Ceux qui hésitent encore à admettre qu'il fut un vrai marin peuvent, après s'être bien imprégnés des moyens dont disposait le Grand Navigateur, suivre minutieusement, jour par jour et pas à pas, sur les cartes des régions parcourues, les récits détaillés de cette dernière. expédition de découverte. Il faudrait un volume séparé pour la raconter ; nous nous limiterons comme pour les précédents voyages à une simple énumération de faits d'ailleurs indiscutés, nous content d'insister sur quelques points spéciaux. Nous sommes persuadé que ce résumé encouragera nos lecteurs à reprendre les narrations détaillées et passionnantes du roman de Ch. Colomb. La Recherche du détroit. La flottille des quatre caravelles appareilla de Cadix le 11 mai 1502. Elle débloqua, en passant au Maroc, la forteresse d'Arcilla assiégée par les Maures et arriva à la grande Canarie le 20 mai. Cette fois, Colomb prit la meilleure route possible. Il mit le cap au WSW. pour atteindre le 20° de latitude Nord par 36° de longitude Ouest, puis inclina de deux quarts à l'Ouest, et parvenu au 14° de latitude Nord par 36° de longitude Ouest, gouverna directement au couchant et atterrit en découvrant Sainte-Lucie. Cet itinéraire, à cette époque de l'année, faisait profiter les navires, depuis le départ jusqu'à l'arrivée, du vent arrière ou du grand largue ; aussi, la traversée, extrêmement rapide, s'effectua-t-elle en seize jours, à une vitesse moyenne d'un peu plus de sept nœuds, qui aurait pu être dépassée si une des caravelles (probablement le Gallego) ne s'était montrée mauvais voilier. Le 15 juin, Colomb découvrit Matinino, devenu plus tard La Martinique, et l'équipage fut envoyé sur notre future belle colonie, pour laver le linge et se délasser. L'Amiral passa ensuite à l'Ouest de La Dominique, puis au Sud de Porto Rico, et mouilla le 29 juin en grande rade de Saint-Domingue. Sa première intention avait été de gagner directement la Jamaïque ; en revenant à Hispañola, il transgressait sur ses instructions, mais il trouvait une excuse valable dans le désir de changer le Gallego contre une caravelle moins lourde. Il envoya Pedro de Torreros porter sa requête au gouverneur qui prétendit ne pouvoir satisfaire au désir exprimé, car justement les trente-deux navires présents à Saint-Domingue devaient appareiller le lendemain pour l'Espagne. Colomb, prévoyant un ouragan à bref délai, renvoya immédiatement son officier avec le conseil de retarder ce départ général, et il demandait, pour la même raison, l'autorisation d'abriter son escadrille dans la rivière. Ovando, prenant trop à la lettre les ordres des Souverains, refusa l'entrée du port et ne prit pas au sérieux l'avertissement qui lui était donné. L'Amiral ayant appris à connaître les signes précurseurs des cyclones ne s'était pas trompé. Les trente-deux nefs appareillèrent, mais elles furent surprises deux jours après par le météore à la hauteur du Cap Saint-Raphaël et vingt-sept d'entre elles, chargées de richesses et de colons qui se faisaient rapatrier, périrent corps et biens. Bovadilla, Roldan et leur suite comptaient parmi les disparus. Quatre navires, dont la cargaison était de peu de valeur, parvinrent à regagner Saint-Domingue dans un état déplorable ; un seul, l'Aguja, petit et mauvais bateau portant tous les biens de Colomb, soit 4.000 pièces d'or réunies par Alonso Sanchez de Carvajal, autorisé par les Rois à surveiller ses intérêts, étala le cyclone et put regagner la Castille. Cet événement fut interprété, par les uns, comme une manifestation de la justice divine, tandis que les autres accusèrent Colomb de sorcellerie. Cependant l'Amiral, qui s'était vu refuser un abri dans l'île même qu'il avait découverte, chercha, comme il le devait, à gagner la haute mer, après avoir fait prendre à ses navires toutes les précautions contre le mauvais temps. L'ouragan fut terrible ; l'escadrille drossée à terre mouilla dans une saute de vent à Porto Escondido ; seules, les ancres de la Capitana tinrent bon ; les trois autres navires perdirent leurs apparaux ou chassèrent, mais finirent par se sauver avec d'assez graves avaries qu'ils purent réparer à Azua. Colomb toucha ensuite à Porto del Brazil, sur la côte Sud d'Hispañola, et, appareillant le 14 juillet, passa au Sud de la Jamaïque par gros temps, cherchant à atteindre le Continent. Pris à mi-chemin par le calme et entraîné par le courant, il dériva jusqu'aux Jardins de la Reine (côte SW. de Cuba). Favorisé enfin par une belle brise, il put gouverner au SW. et découvrit ainsi l'île Guanaga, connue maintenant sous le nom de Bonacca, à 25 milles de la côte de Honduras. Là, il rencontra une pirogue chargée d'objets paraissant provenir d'une civilisation supérieure ; les Indiens qui la montaient lui dirent qu'ils venaient de l'Ouest et lui parlèrent d'un pays riche et prospère. Si l'Amiral avait suivi leurs indications, il aurait découvert le Mexique ! mais il voulait trouver son détroit. Il mit donc le cap à l'Est. La navigation qui résulta de cette décision fut très pénible ; Colomb la décrit d'une façon impressionnante. Il se trouvait en effet en août, c'est-à-dire en pleine saison dite d'hivernage, sur une côte inhospitalière, où les grains et les orages se succédaient, alternant avec les vents d'Est normaux. Ceux qui ont navigué à la voile savent que, malgré la bonne foi la plus absolue, la même force de vent subie vent arrière ou debout prend dans le premier cas l'appellation de bonne brise et dans le second celle de coup de vent ; un météorologiste, quelque peu marin, tient compte de cette psychologie, lorsqu'il dépouille des journaux de bord. L'Amiral avait à lutter contre un violent courant et les vents debout, de sorte que les caravelles faisaient des bords carrés, c'est-à-dire ne gagnaient que peu ou prou dans le vent et devaient même perdre, lorsque la mer trop grosse les obligeait à virer vent arrière. On cherchait bien à mouiller pour la nuit, afin d'éviter les écueils possibles et de pouvoir examiner toute la côte, mais les rades foraines étaient encore plus dangereuses que le large. Cette navigation dura quarante-quatre jours, pendant lesquels on ne fit que 180 milles, soit quatre milles par jour, ce qui équivaut à sept kilomètres ! Equipage et navires étaient déjà très éprouvés par le cyclone subi à la sortie de la rade de Saint-Domingue et par le mauvais temps qui suivit ; l'Amiral, terrassé par les fatigues et la goutte, dut se faire construire une sorte de timonerie sur le pont de la toldilla, d'où il pouvait, tout en restant étendu, surveiller et diriger la manœuvre. Pas un instant il ne songea à changer de route. Quel est cependant le marin qui a labouré la mer contre le vent, secoué sur un navire gémissant et frémissant, couvert d'embruns, noyé de coups de mer, éreinté depuis des jours et des jours à manœuvrer à chaque instant, et qui n'a rêvé de la volupté totalement ignorée du terrien : une navigation vent arrière où le bateau glisse sans fatigue et sans bruit, où la tempête devient une brise, où les vagues hostiles et mauvaises se transforment en douces auxiliaires ? Un simple coup de barre, un brassage des vergues, les écoutes filées et Colomb passait de l'Enfer au Paradis, sans même la crainte d'un remords ou d'un reproche, puisque les terres à l'Ouest étaient encore plus inconnues que celles vers lesquelles il se dirigeait. Si cette idée lui traversa l'esprit, ce fut peut-être en regardant son fils Fernando, mais cet enfant de 14 ans, digne de son père, donnait un magnifique exemple d'entrain et de courage ; l'Amiral fixa son étonnante volonté sur la mission dont il suivait l'inspiration et persista. Il avait un but : le détroit ne pouvait être, ne devait être, qu'à travers les terres se trouvant plus à l'Est et au Sud. Pendant tout ce temps,
écrit-il, je n'entrai dans aucun port ; ni ne pus y
entrer ; la tempête continua, et les torrents d'eau, les trombes et les
éclairs semblaient nous annoncer la fin du monde. Les navires faisaient eau
de toutes parts, les voiles étaient rompues, j'avais perdu des ancres et des
apparaux, ainsi que des câbles-avec des canots et une grande partie des
approvisionnements. Mes équipages étaient fort malades et tout le monde dans
l'affliction ; plusieurs de mes gens s'étaient engagés à embrasser la vie
monastique et il n'y en avait aucun qui n'eût promis quelque pèlerinage. Il
leur était même arrivé plusieurs fois de se confesser mutuellement les uns
aux autres. Enfin, le 12 septembre, les caravelles atteignirent un promontoire qu'ils doublèrent et le Seigneur leur accorda un bon vent et des courants favorables. A ce cap, Colomb donna le nom de Gracias a Dios qui se traduit par le cri qu'il poussa avec tous ses équipages : Merci mon Dieu ! Longeant la côte qui descend au Sud et passant entre bancs et récifs, les caravelles mirent en panne, ou mouillèrent à l'embouchure d'une rivière, et une embarcation fut envoyée pour faire de l'eau douce. Les barres de ces rivières sont particulièrement dangereuses et encore aujourd'hui il est recommandé de ne les franchir qu'avec les pirogues du pays ; aussi, l'embarcation chavira-t-elle au retour et tout son armement fut noyé. Le cours d'eau fut tristement nommé la rivière du Désastre. Descendant toujours vers le Sud, Colomb trouva par mer belle, fin septembre, à l'ouvert d'une pittoresque rivière, un mouillage abrité par une île — maintenant lagune et port de Blewfield où se trouve un poste de T. S. F. — où il caréna ses navires tant bien que mal. Malheureusement, le repos dont il voulait faire bénéficier les équipages fut douloureusement troublé par l'attaque persistante de nuées de moustiques, qui donnèrent leur nom à cette région. Appareillant le 5 octobre, l'Amiral examina cette côte de los Mosquitos ainsi que celle qui prit plus tard le nom de Costa Rica, explora deux rivières, puis la vaste et profonde lagune de Chiriqui, capable d'abriter les plus puissantes flottes du monde. Il remarqua que les Indiens de ces régions portaient de riches bijoux d'or, en particulier au cou, un miroir ; mais ils ne voulaient ni le vendre ni le troquer. Ils nommèrent plusieurs lieux sur la côte de la mer où il disait qu'il existait des mines et de l'or ; le dernier de ces lieux était Veragua éloigné de vingt-cinq lieues de l'endroit où nous étions. Colomb décida de s'y rendre, mais la nuit même, une violente tempête s'éleva et il fut obligé de se réfugier dans un port. Comme à ce moment l'Amiral pensait bien davantage à son détroit qu'à l'or, il profita de ce contre-temps et résolut de ne pas rétrograder pour les mines qu'il considérait déjà comme acquises. Les caravelles continuèrent donc à l'Est et entrèrent dans une grande baie baptisée Zarabora, qui n'est autre que la baie actuelle de Colomb, située à l'entrée du Canal de Panama. Elles mouillèrent ensuite à Puerto Bello, où elles restèrent sept jours, sous une pluie diluvienne, puis elles appareillèrent pour subir d'effroyables tempêtes et de terribles orages, et entrèrent — on se demande comment lorsqu'on connaît l'endroit — s'abriter à El Retrete, maintenant port Escribanos. Colomb voulut continuer cette exploration de la côte, mais
il fut assailli par un ouragan accompagné de pluies torrentielles. On ne vit jamais la mer aussi haute et aussi couverte
d'écumes. Le vent s'opposait à ce qu'on allia en avant, et il ne permettait
même pas de gagner quelque cap ; il me retenait dans cette mer qui semblait
être du sang et paraissait bouillonner comme une chaudière sur un grand feu.
On ne vit jamais le ciel avec un aspect aussi enrayant ; il brûla un jour et
une nuit comme une fournaise et il lançait des rayons tellement enflammés,
qu'à chaque instant je regardais si mes mâts et mes voiles n'étaient pas
emportés. Ces foudres tombaient avec une si épouvantable furie, que nous
croyions tous qu'ils allaient engloutir les vaisseaux. Pendant tout ce temps,
l'eau du ciel ne cessa pas de tomber ; on ne peut appeler ça pleuvoir,
c'était comme un autre déluge ; les équipages étaient tellement harassés
qu'ils souhaitaient la mort pour être délivrés de tant de maux. La flottille de Colomb semble avoir éprouvé des orages et des pluies particulièrement violents. Les uns et les autres ont dans cette région du globe une réputation trop justifiée ; les averses qui accompagnent les grains et les orages sont — nous disent les Instructions Nautiques, cependant sobres dans leurs qualificatifs d'une intensité extraordinaire. En effet, le 4 juin 1871, on en signala une qui donna cent millimètres d'eau en quatorze minutes, soit sept millimètres et demi par minute, alors que la quantité d'eau totale qui tombe à Paris est de cinq cent soixante-quinze millimètres en une année entière Le 13 décembre, une trombe, phénomène assez fréquent dans ces mers, s'avança vers les navires. Colomb et ses équipages en avaient vu précédemment dans les mers du nouveau monde et peut-être aussi sur les côtes Nord et Ouest d'Espagne, mais celle-ci devait être particulièrement dangereuse pour la caravelle. L'Amiral alluma un cierge béni dans le fanal de poupe, et fit monter sur la toldilla un hérault tenant en main le Guidon Royal, insigne suprême du commandement ; il ceignit le Cordon de Saint-François, s'arma de la grande épée à la poignée en croix, puis lut à haute voix l'Evangile de Saint Jean. Ainsi exorcisée, la trombe sinistre s'effondra et l'équipage, se jetant à genoux, chanta le Salve Regina. Le 17 décembre, on put caréner les navires dans une baie, puis, Colomb le dit lui-même : je revins à la charge (torné à la porfia), mais quoique j'eusse un bon temps pour mon voyage, les navires n'étaient plus en état de naviguer et mes gens étaient ou mourants ou malades. En somme, de la fin d'octobre 1502 à janvier 1503, ce fut la recherche fébrile du détroit ; volontairement, ou forcé. par les circonstances, il pénétra, en courant les plus grands risques, dans les baies et les rivières, s'en alla vers l'Est, puis revint à l'Ouest, pour retourner encore. Il fouilla la côte et se buta contre la muraille qui se dressait entre lui et l'Océan qui mène aux vraies Indes. Cette page est peut-être la plus belle, la plus émouvante, de l'extraordinaire histoire de Christophe Colomb. Avec une inquiétante et géniale intuition, qui paraît vouloir donner raison à Roselly de Lorgnes lorsqu'il s'écrie : celui qui ne croit pas au surnaturel ne peut comprendre Colomb, l'Amiral limita ses recherches à une soixantaine de milles de côte. Il voulut trouver le passage là où il aurait dû être, là où il fut dans les temps géologiques ; il arriva au point précis où la nature l'avait laissé ébauché et où il est creusé maintenant par le génie des hommes ! La Mésogée. Colomb, inspiré et mystique, plaça, comme nous l'avons vu, le Paradis terrestre au Sud de l'isthme où il cherchait le détroit. Or, le savant géologue français Douvillé nous apprend que lorsqu'on étudie la distribution des fossiles dans les
temps géologiques, on constate l'existence dans les mers de la période
secondaire d'une zone chaude, privilégiée au point de vue du développement
des êtres ; elle fait le tour du globe en séparant l'Eurasie de l'Afrique, et
l'Amérique du Nord de l'Amérique du Sud. C'est à cette mer circulaire
que M. Douvillé a donné le nom de Mésogée. C'est
dans cette zone, dit-il, que se sont
multipliés les Rudistes et les grands Foraminifères, c'est dans cette zone
que se sont formés les gîtes de pétrole les plus importants. Les dernières grandes
dislocations de l'écorce terrestre se sont produites près de son rivage Nord,
pendant et surtout à la fin de la période éocène, donnant naissance aux
grandes chaînes de montagnes, Pyrénées, Alpes, Himalaya. Comme contre-coup de
ces grands mouvements, la Mésogée s'est trouvée coupée par le soulèvement de
la région comprise entre la Méditerranée et l'Océan Indien, Egypte et Arabie,
Palestine, Egéide (effondrée depuis) et Asie Mineure. Mais la zone mésogéenne n'en a pas moins continué à jouer un rôle important dans le développement de la vie et en particulier dans la distribution des faunes terrestres. C'est enfin sur les bords de ce massif nouveau, le plus ancien de notre continent, que se sont développées les plus anciennes civilisations humaines : Egypte, Chaldée et Grèce ; c'est sur le massif lui-même qu'ont pris naissance les grandes religions, Judaïsme, Christianisme, Mahométisme[3]. En Amérique, la limite Nord de la Mésogée partait du nord de la presqu'île de Californie et suivait à peu près le parallèle de 32° ; lat. Nord ; son rivage Sud partait de Santa-Fé de Bogota par 5° environ de lat. Nord et remontait vers l'île de la Trinité (10° lat. N.). N'y a-t-il pas quelque chose de troublant à constater que Christophe Colomb chercha son détroit dans la région exacte où la digue qui, par soulèvement, vint couper la Mésogée, est le plus étroite, et qu'il plaça le Paradis terrestre sur les bords de cette même mer bienfaisante, berceau des civilisations humaines ? Si dans une de ses descentes à terre il avait exploré quelques kilomètres de plus, il aurait eu en partie la justification de son idée, niais cette joie lui fut refusée ; ce n'est qu'en 1513 que Balboa, dans un raid, gravit une hauteur d'où il contempla l'Océan Pacifique. Les mines d'or de la Veragua. Vaincu dans la recherche du passage, Colomb se retourna vers les mines d'or qui lui avaient été signalées par les Indiens au point qu'ils appelaient Veragua, et partit à leur recherche. De nouveau bafoué par les vents et les courants, il donna à cette côte le nom qui lui est resté, Costa de las Contrastes, Côte des Contrariétés. Il ne put pénétrer dans la rivière même de Veragua, au fond de la baie dite de Saint- Christophe, mais il parvint à l'embouchure d'une autre rivière, à six kilomètres plus à l'Ouest, tellement étroite qu'elle ne se reconnaît qu'à la vallée formée entre les collines. Enfin, le 6 janvier 1503, profitant d'une crue de ce cours d'eau qu'il baptisa Bethléem parce qu'on était au jour de l'Epiphanie, il réussit à faire franchir la barre à ses caravelles et s'installa à l'entrée. Quibian, le Cacique de la région, fut d'abord très accueillant et conduisit l'adelantado Barthélémy aux très riches mines d'or. On construisit des maisons et un fortin ; Colomb, bloqué par la baissée des eaux, n'attendait plus qu'une nouvelle crue de la rivière pour rentrer en Espagne, laissant Barthélémy avec quatre-vingts hommes et le Gallego. A ce moment des doutes surgirent sur la sincérité des sentiments amicaux du Cacique ; Diego Mendez, écuyer sur le San Yago de Palos et qui devait phis tard se faire encore remarquer par son héroïsme, reconnut, dans une excursion qu'il fit seul, le bien fondé de ces craintes. Barthélémy remonta alors le cours d'eau en embarcation et s'empara de Quibian après une courte lutte ; malheureusement le pilote Juan Sanchez, un honnête homme comme le qualifie l'Amiral, laissa par accident échapper le prisonnier. Tout paraissait néanmoins tranquille et après avoir renforcé le fortin, Colomb, profitant en avril dune crue de la rivière, sortit avec ses trois caravelles et mouilla à trois milles au large. Le lendemain, les nouveaux colonisateurs vinrent dire adieu à leurs camarades en rade ; les Indiens attaquèrent alors Barthélémy et Diego Mendez restés seuls à terre avec vingt Espagnols ; ils furent facilement repoussés. Mais comme il avait fallu vider les barriques et délester sérieusement les navires pour leur permettre de franchir la barre, Diego Tristan, capitaine de la Capitana, remonta la rivière en embarcation le jour suivant avec douze hommes pour faire de l'eau douce. Les indigènes les laissant approcher, les assaillirent par surprise et les massacrèrent ; un seul, le tonnelier Juan de Noya, s'échappa à la nage et regagna le camp. Les Espagnols restés à terre jugèrent alors la situation intenable et s'embarquant sur le Gallego voulurent sortir de la rivière ; leurs efforts furent vains, les eaux avaient baissé de nouveau et ils se trouvaient enfermés. L'Amiral, de son côté, ne voyant pas revenir les hommes partis à l'aiguade, vivait dans la plus grande inquiétude, et la mer était devenue trop grosse pour permettre toute communication entre la terre et les navires. Au bout de quatre jours, un matelot de la Vizcaina, Pedro Ledesma de Séville, nagea jusqu'au fortin et revint tout raconter à son chef. C'est alors que Colomb, plongé dans le plus affreux désespoir, voyant pleurer autour de lui à chaudes larmes tous ses capitaines, finit, accablé de fatigue, par s'endormir en poussant des gémissements et entendit dans une sorte de délire, causé par les souffrances morales associées aux peines physiques, une voix compatissante qui le gourmandait et le réconfortait. Cette vision céleste, qu'il décrit dans la Lettera rarissima, est restée classique à juste titre. Ô insensé ! lent à croire et à servir ton Dieu, le Dieu de tous les hommes ; que fit-il de plus pour Moïse et pour David son serviteur ? Depuis ta naissance il a toujours eu le plus grand soin de toi ; lorsqu'il te vit parvenu à l'âge qu'il avait arrêté dans ses desseins, il fit retentir ton nom dans toute la terre. Il te donna les Indes, qui sont une si riche partie du monde ; tu les distribuas à qui il te plut, et il te donna pouvoir pour cela ; tu reçus de lui les clefs des barrières de l'Océan, fermées jusque-là de chaînes si fortes ; on obéit à tes ordres dans d'immenses contrées, et tu acquis une gloire immortelle parmi les chrétiens. Que fit-il de plus pour le peuple
d'Israël, lorsqu'il le tira d'Egypte ? et pour David même, qu'il éleva du
rang de simple pasteur au trône de Judée ? Reviens à ton Dieu, reconnais enfin
ton erreur, sa miséricorde est infinie, ta vieillesse ne t'empêche pas de
faire de grandes choses ; il tient dans ses mains les plus brillants
héritages. Abraham, n'avait-il pas plus de cent ans lorsqu'il engendra Isaac,
et Sara elle-même était-elle jeune ? Tu réclames un secours incertain ; réponds, qui t'a tant et si souvent affligé ? est-ce Dieu ou le monde ? Dieu maintient toujours les privilèges qu'il a accordés, et ne viole jamais les promesses qu'il a faites, le service une fois rendu, il ne dit point que l'on n'a pas suivi son intention, et qu'il l'entendait d'une autre manière ; il ne fait pas souffrir le martyr pour colorer la force ; il agit strictement comme il parle, tout ce qu'il promet il le tient, et même au-delà : tel est son usage. Voilà ce que le Créateur a fait pour toi, et ce qu'il fait pour tous. Montre maintenant la récompense des fatigues et des périls que tu as essuyés en servant les autres. J'étais comme demi-mort en entendant tout cela ; mais je ne pus trouver aucune réponse à des paroles si vraies ; je ne pus que pleurer mes erreurs. Celui qui me parlait, quel qu'il fut, termina en disant : Ne crains pas, prends confiance ; toutes ces tribulations sont écrites sur le marbre, et ce n'est pas sans raison. ***Une embellie, succédant à neuf jours de gros temps, permit aux communications de se rétablir, et on construisit un radeau en se servant de deux pirogues accouplées, qui, avec les embarcations, transportèrent, en quatre jours et sept voyages, le principal en vivres et en matériel, ainsi que tout le personnel, sur les navires en rade. Le Gallego, en piteux état, fut abandonné dans la rivière. Christophe Colomb, encore desservi par les circonstances, avait échoué dans sa fondation personnelle d'une riche colonie, mais, dans la suite, l'Espagne profita largement de sa découverte et de son expérience. Le projet primitif de Colomb était de retourner directement en Europe ; l'état de ses navires et de leurs équipages était tel que la simple prudence lui dictait l'obligation de relâcher à Hispañola. L'escadrille appareilla donc le jour de Pâques et navigua vers l'Est. On peut se demander si l'Amiral prit cette direction volontairement ou malgré lui ; il règne en effet le long de la côte de Panama un contre courant local, qui atteint par places, notamment dans la région de Puerto Bello, jusqu'à deux et trois nœuds, et qui était donc plus que suffisant pour entraîner les caravelles. D'autre part, Colomb était un navigateur avisé, sachant profiter de ses minutieuses observations, et il s'était rendu compte de la nécessité de gagner à l'Est pour pouvoir contrarier le fort courant général Nord-Ouest et avoir quelques chances de ne pas être drossé sous le vent d'Hispañola ; enfin, peut-être au fond du cœur nourrissait-il encore un dernier espoir de trouver le passage tant rêvé. Les Tarets. Cette navigation était à peine commencée que Colomb dut abandonner la Vizcaina à Puerto Bello ; elle était, dit-il, complètement rongée par les vers. Quel pouvait être cet organisme qui causa la perte des caravelles ? La désignation de ver est, dans tous les cas, impropre, car il n'y a pas d'annélides détruisant les bois immergés. Les agents qui s'attaquent aux navires en bois sont de trois sortes : des champignons ou moisissures, un crustacé et surtout un mollusque. Le crustacé — Chelura Limnoria — est relativement rare ; il ressemble à une petite crevette ou puce de mer, et creuse dans le bois des cavités arrondies de formes très caractéristiques ; on le rencontre surtout en Amérique et en Australie. Parmi les champignons destructeurs de bois de charpentes, qui s'attaquent aux navires et déterminent la pourriture, les plus importants sont le Phellinus cryptarium, le Coniophora cerebella, le Trametes vaporaria et le Merulius lacrymans. Mais, si un ou plusieurs de ceux-ci ont pu contribuer à la ruine des navires de Colomb, ils n'en furent ni la cause unique ni la raison principale. Il en est tout autrement du mollusque, et c'est certainement de lui qu'il s'agit dans la quatrième expédition de Colomb. L'Amiral le désigne sous le nom de ver, mais on ne peut lui en tenir rigueur puisque pendant longtemps on le considérait comme tel, et que, maintenant encore, les marins et même les constructeurs lui donnent, par habitude plutôt que par ignorance, cette appellation impropre. Ces animaux, scientifiquement teredo, sont connus sous le nom vulgaire de tarets. Ce sont des mollusques lamellibranches de la famille des térédinés dont les espèces sont nombreuses[4]. Ils ont l'aspect d'un ver blanc, de taille médiocre en général, pouvant, chez l'une des formes d'Europe, atteindre cependant trente centimètres. Ils sont capables de creuser les bois les plus durs, flottants, ou enfoncés comme pilotis dans l'eau de mer ou l'eau saumâtre ; certaines espèces peuvent même vivre dans l'eau parfaitement douce. Antérieurement, dans la partie la
plus profonde de la galerie qu'il a creusée, le taret se termine par une
masse arrondie, dont la partie ventrale représente le pied, tandis que les
parties dorsales et latérales sont protégées par deux petites valves
hémisphériques, d'une coquille rudimentaire, qui mesure environ un centimètre
de long. La surface externe de chaque valve porte, dans la région antérieure,
des stries très fines, avec des denticules microscopiques, extrêmement
nombreux. Postérieurement, le corps se prolonge par une queue bifurquée, qui correspond aux deux siphons d'autres Acéphales : le ventral est le siphon branchial ou inhalant, à travers lequel sont aspirées l'eau employée pour la respiration, et la nourriture, consistant en petites plantes (diatomées) ou animalcules (infusoires) pélagiques ; le dorsal, plus petit, est le siphon anal ou exhalant, par lequel sont expulsés l'eau ayant servi aux échanges respiratoires, les produits génitaux, les fèces et la pulpe du bois de l'excavation. A la base des siphons s'insère latéralement dans les parties molles une paire d'appendices calcaires, les palettes ou calamules, dont la forme diffère selon les espèces et qui sont, ou simples, ou articulées[5]. Quand l'animal est inquiété, il rétracte ses siphons, et les palettes, se rapprochant, le protègent en fermant la galerie qu'il a creusée. De l'œuf du taret sort un embryon d'abord libre et nageur qui se développe en un petit bivalve ; bientôt il se fixe sur un morceau de bois qu'il gratte et creuse en godet avec les bords de ses valves armés de denticules. Cette larve, qui a sécrété un rudiment de tube calcaire, allonge son corps et, en deux semaines, prend la forme caractéristique du taret. Le travail destructeur commence. En général, il est admis que le taret ronge le bois à l'aide de ses valves taillées en biseau ; pour les uns, il agit comme une lime sphérique mue dans un globe creux de même diamètre, pour d'autres comme les deux bords d'une tenaille ou encore par un mouvement de va-et-vient. Au fur et à mesure que le taret creuse le bois, l'animal grandit et s'allonge, et les galeries formées sont tapissées par le revêtement calcaire qu'il sécrète. Lorsque les tarets sont nombreux, les galeries se côtoient, s'entrecroisent même, mais, sans jamais se confondre ; si à l'extérieur le bois parait sain, piqué simplement de minuscules trous qu'il faut chercher et qui sont les orifices primitifs, l'intérieur est complètement ravagé, prêt à s'effondrer. La meilleure comparaison est celle dont s'est servi Colomb, disant le bois des caravelles était comme des rayons d'abeilles. Les déprédations commises par les tarets sont effrayantes et souvent exécutées avec une rapidité inouïe. En 1730, 31, 32, la Hollande échappa avec peine à l'écroulement de ses digues protectrices, rongées par ces mollusques. A Plymouth et à Devonport, il y eut pour plus de 8.000 livres de dégâts en un an. Près de Louisville, en Amérique, des pieux de 35 sur 4o centimètres durent être remplacés au bout de six mois. Les teredo s'attaquent même aux câbles. Celui de port Darwin à Singapour, posé en 1872, eut en un très court espace de temps son étui de fer galvanisé percé, et l'isolement du noyau de cuivre détruit. Les réparations coûtèrent des sommes fabuleuses et il fallut fabriquer un câble spécial à l'épreuve des tarets. Les exemples effroyables des méfaits de ces mollusques tiendraient des volumes. On les rencontre dans toutes les mers, mais leur maximum d'activité se manifeste dans les eaux chaudes. Les Américains ont construit une série de laboratoires, échelonnés sur les côtes de l'Atlantique et sur celles du Pacifique, où se poursuivent des études destinées à combattre les attaques des tarets, et les Anglais, de leur côté, ont établi un Committee chargé de recherches semblables, tant dans la métropole que dans ses colonies. Le froid, sous nos climats, et la vase, dans les pays chauds, sont nuisibles à l'accroissement des tarets. Un seul ennemi avait été signalé comme pouvant poursuivre le taret dans sa galerie, l'annélide carnivore Nereilepas fucata, et on avait proposé d'introduire ce ver d'Europe en Australie pour détruire le mollusque ; malheureusement on s'est aperçu qu'il n'était qu'un commensal, vivant en fort bonne intelligence avec son camarade. Divers moyens ont été proposés pour préserver le bois des attaques des tarets ; ils peuvent se résumer en : 1° modifications apportées à la surface du bois, telles que carbonisation, enduits (peintures spéciales, goudron de houille, etc.), doublages en cuivre[6], et 2° imprégnation du bois avec différentes substances, parmi lesquelles l'huile de créosote parait être la meilleure. Pour les navires, un doublage en cuivre, à condition d'être bien fait, est le préservatif efficace, mais il est fort coûteux et généralement remplacé par des peintures sous-marines spéciales, à bases chimiques, qui doivent être fréquemment repassées. Du temps de Colomb, aucun de ces procédés n'était connu, et on se contentait d'enduire les coques de braie, préparée avec de l'huile de baleine ; le moyen était assez bon, mais il fallait le renouveler très souvent. Or, nous savons que les caravelles durent, surtout au début de cette quatrième expédition, rester très longtemps sans pouvoir caréner, ouvrant ainsi la porte à l'ennemi ; de plus la provision de braie emportée, qu'il était impossible de renouveler, dut être rapidement épuisée. Il suffit que Colomb dise que les bordés de ses navires ressemblaient à des rayons d'abeille pour que nous puissions affirmer qu'ils étaient les victimes des tarets. Cette constatation est intéressante, car les tarets sont à peine mentionnés dans les ouvrages des naturalistes des XVIe et XVIIe siècles, et on a été jusqu'à prétendre que leur apparition dans nos mers ne s'était faite qu'au XVIIIe siècle ; ils auraient été apportés en Hollande par les navires de l'époque, venant des Indes. Ceci est inexact. Les anciens connaissaient ces animaux destructeurs ; le nom de τερηδων, se rencontre pour la première fois dans les Chevaliers d'Aristophane ; le chœur rapporte une conversation entre deux trirèmes, où l'une préfère rester la proie du teredo à être engagée dans certaine expédition renommée. Théophraste affirme qu'il n'y a pas de bois dans la mer qui puisse résister au teredo, et Ovide, Pline et Vitruve en parlent. Il est inutile de citer d'autres faits ou auteurs, car la découverte des fossiles de teredo dans les terrains tertiaires des mers d'Europe est une des meilleures preuves que l'on puisse invoquer de leur existence antérieure. Christophe Colomb, vraisemblablement, n'apporta pas ses tarets d'Europe et ses caravelles furent envahies par ceux de la mer des Antilles ; il fut cependant un des premiers, sinon le premier, à les signaler dans cette région, mais, s'il déplore amèrement ce désastre, le peu d'étonnement qu'il manifeste devant leurs ravages semble bien indiquer qu'il connaissait déjà cet agent destructeur. Terminons cette étude rapide, en signalant que les Instructions Nautiques les plus récentes nous disent : Les Indiens de la côte de Panama construisent encore aujourd'hui leurs pirogues avec du cèdre, ou avec un bois rouge très dur nommé calli-calli, qui résiste aux vers. La Retraite. La Capitana et le San Yago de Palos continuèrent à l'Est jusqu'aux environs de ce qui est connu maintenant sous le nom de Golfe de Darrien, et le 1er mai elles mirent le cap au Nord. Malgré la précaution prise de faire route vers l'Orient en quittant Veragua, les courants et les vents entraînèrent les navires à Cuba, jusqu'aux Jardins de la Reine ; de là, écrit Colomb, je partis pour Hispañola ; je naviguai pendant deux jours avec un bon vent ; il devint ensuite contraire... L'impétuosité de la mer nie força à retourner en arrière sans voiles ; je mouillai à une île où je perdis d'abord trois ancres, et à minuit, par un temps tel qu'il semblait que le monde allait être bouleversé, les câbles de l'autre bâtiment-se rompirent et il vint Sur le mien avec tant de force, que c'est une merveille que tous les deux ne se soient pas mis en pièces : après Notre-Seigneur, ce fut à la seule ancre qui me restait que je dus mon salut. Au bout de- six jours le temps étant devenu calme je repris mon chemin. Il fallut relâcher encore à Macaca, au Sud de Cuba, pendant huit jours et on repartit. Mais tout espoir d'arriver à Hispañola avait dû être abandonné depuis l'abordage des caravelles ; avec trois pompes, des cuves, des tinettes et des chaudières, on ne pouvait épuiser l'eau qui entrait dans le navire, et il n'y avait aucun autre remède pour parer aux ravages des vers. Rien d'étonnant à ce que les hommes fussent découragés ! Il nous est arrivé, dans une région où nous ne pouvions attendre d'autre secours que de nous-mêmes, d'avoir à pomper vingt-trois heures sur vingt-quatre pendant deux mois, pour maintenir notre navire à flot ; notre excellent équipage avait un moral magnifique, mais nous avons pu nous rendre compte, comme tous ceux qui ont passé par semblable ribotte, que c'est de beaucoup l'épreuve la plus pénible à laquelle des marins puissent être soumis. Coulant bas, les deux caravelles entrèrent enfin à porto San Gloria, sur la côte Nord de la Jamaïque. L'Amiral les accoupla et les échoua. Ce qui restait de provisions fut porté, avant que les cales ne se remplissent d'eau, sur les ponts que l'on recouvrit de toitures en feuilles de palmier, et l'intrépide Diego Mendez, parcourant les environs, s'arrangea avec les Caciques pour obtenir régulièrement des provisions de bouche en échange de pacotille. Le raid de Diego Mendez. Les navires, cependant, ne pouvaient être réparés et ne possédaient même plus d'embarcations. Colomb demanda alors à Diego Mendez de partir en pirogue chercher du secours à Hispañola ; celui-ci, aussi généreux que vaillant, répondit que pour qu'on ne puisse l'accuser de vouloir toujours se faire donner les missions où il y avait de l'honneur à acquérir, il désirait que la proposition soit d'abord faite à tous les autres. L'Amiral accéda à son désir mais ce projet fut considéré comme une folie et personne n'accepta de l'entreprendre. Diego Mendez décida alors de tenter la chose ; il ajouta une fausse quille à une pirogue indigène qu'il avait pu se procurer, cloua des pavois à l'avant et à l'arrière, passa le tout au goudron et au suif, et se mit en route avec quelques Indiens. Cette traversée était des plus téméraires ; elle comportait pour aller de Santa Gloria en Jamaïque, à Azua en Hispañola, quatre cent dix milles marins, soit environ la distance de Marseille à Bizerte. Cent huit milles (distance qui sépare Nice d'Ajaccio) devaient être franchis en pleine mer, et le reste parcouru le long de côtes mal connues et généralement inhospitalières. Parvenu à la pointe NE. de la Jamaïque, Diego Mendez fut capturé par des Indiens, mais il parvint à s'échapper et à regagner les caravelles. Il repartit de nouveau, accompagné cette fois par Barthélémy Fieschi, autre loyal compagnon de Colomb, avec deux pirogues, montées chacune par quatre Espagnols et six Indiens. Barthélémy Colomb les escorta jusqu'au cap NE. où ils furent retenus pendant quatre jours par le mauvais temps. La traversée jusqu'à la petite île de Navesa fut des plus pénibles ; pendant deux jours et une nuit on lutta contre la fatigue, la chaleur et la soif ; deux Indiens moururent. A Navesa, les équipes se restaurèrent avec de l'eau de pluie recueillie dans les creux de rocher, et, après une journée de repos, on se remit en route. Le lendemain, c'est-à-dire quatre jours après le départ de la Jamaïque, les pirogues arrivèrent à Hispañola. Barthélémy Fieschi devait et voulait retourner à Santa Gloria, aviser l'Amiral de l'heureuse issue de ce raid fantastique, mais ses compagnons, tant Espagnols qu'Indiens, refusèrent d'embarquer de nouveau ; force lui fut donc de rester, tandis que Diego Mendez, avec six nouveaux Indiens, recrutés dans le pays même, longeait deux cent quarante-quatre milles de côte et arrivait enfin à Azua. Là, il apprit que le gouverneur Ovando était à Xaragua. Sans hésiter un seul instant, sans même prendre de repos, Mendez s'engagea seul à travers bois, voyageant la nuit pour plus de sécurité. Il trouva enfin Ovando et si ce qu'écrit Diego Mendez dans son testament est vrai, celui-ci le retint sept mois jusqu'à ce qu'il eut fait brûler ou pendre quatre-vine-quatre caciques, seigneurs et vassaux et avec eux Anacoana, la souveraine la plus puissante de l'île et à laquelle tous les autres obéissaient. En tous cas ce n'est qu'au bout de ce temps que Mendez fut autorisé à gagner Saint-Domingue, où il chercha lui-même à affréter un navire pour aller au secours de son chef et de ses compagnons. Le récit qu'il fit de la situation de Colomb et de l'inertie du gouverneur fit murmurer les Espagnols de Saint-Domingue, et Ovando dut paraître désireux de secourir les naufragés. Un navire de très petit tonnage, dont il donna le commandement à Diego de Escobar, ex-homme lige de Roldan, partit officiellement pour la Jamaïque. Lorsque Diego Mendez revint en Espagne, il fut ennobli pour son magnifique exploit et les Souverains lui octroyèrent des armes où figurait une pirogue. Dans son testament, il demanda à ses descendants d'acheter une grande pierre, la meilleure qu'ils trouveront, de la placer sur son tombeau et qu'au milieu de la dite pierre on représente une pirogue, qui est un arbre creusé dans lequel les Indiens naviguent, parce que, dans un semblable bâtiment, il fit une navigation de trois cents lieues et qu'on grave dessus ce mot : CANOT. Les douze mois d'abandon. Pendant ce temps les choses prenaient mauvaise tournure à Santa Gloria. Les Indiens, maltraités par quelques-uns des Espagnols et blasés sur les verroteries, n'apportaient que peu de vivres et la faim se fit sentir. Le 11 janvier 1504, Francisco Porras, capitaine du San Yago de Palos, et son frère, le notaire-officier, Diego Porras, entraînèrent quarante-huit hommes valides et embarquèrent dans des pirogues chargées de tout ce qu'ils pouvaient emporter, abandonnant l'Amiral, son fils et son frère, ainsi que les malades et les éclopés. Un coup de vent rejeta les déserteurs à terre et une seconde tentative n'eut pas plus de succès. Malheureusement, les Porras et leurs compagnons, revenus sur l'île, s'établirent à distance des navires et tyrannisèrent les indigènes, les rendant encore plus hostiles aux Européens. Colomb parvint toutefois à se faire respecter et obéir des Indiens en leur faisant croire que l'éclipse de lune du 1er mars 1504 qui se produisit à 6 heures du soir, et qu'il avait prévue, était une manifestation de sa toute puissance et une punition de leur mauvais vouloir. Huit mois s'étaient écoulés depuis le départ de Mendez et tous le croyaient perdu, lorsqu'arriva en grande rade la petite caravelle expédiée par Ovando. Escobar ne débarqua même pas, se contentant d'envoyer une embarcation qui, à bout de gaffe, passa à Colomb une lettre où le gouverneur s'excusait de n'avoir pu envoyer un navire d'un tonnage suffisant pour le rapatrier avec tous ses compagnons ; puis, par dérision, on fit parvenir aux naufragés au moyen d'une ligne un quartier de porc et un petit tonnelet de vin. Cette attitude de l'émissaire du gouverneur se passe de commentaires. Cependant, Colomb chercha à faire croire à son entourage que la caravelle d'Escobar n'était qu'une avant-garde et voulut négocier avec les Porras révoltés, Ceux-ci répondirent à ses avances en attaquant les pontons, mais Barthélémy les repoussa, contre-attaqua, mit les rebelles en fuite et terrassa Francisco Porras qu'il fit prisonnier. Le calme succéda à cette tempête. La fin de la vie maritime de Colomb. Enfin, le 28 juin 1504, douze mois et cinq jours après l'échouage des navires à Santa Gloria, deux caravelles arrivèrent dans ce port. Diego Mendez, ne ménageant pas ses efforts, était parvenu à en noliser une et le gouverneur, sérieusement inquiet cette fois des manifestations de l'opinion publique, avait fini par envoyer l'autre. Ces caravelles, chargées de vivres, étaient commandées par Diego Salcedo. Ce dernier est souvent désigné comme parfumeur parce qu'après avoir été écuyer sur un des navires de Colomb il avait, en 1499, obtenu le privilège de la vente du savon aux Indes ; très dévoué à l'Amiral, il avait été, sur sa demande, officiellement désigné par les Souverains pour s'occuper des intérêts de Colomb à Hispañola. Les naufragés embarquèrent sur les caravelles de Salcedo, mais il fallut cinquante-deux jours de lutte contre de forts vents debout pour gagner Saint-Domingue. Souffrant de la goutte et d'une douloureuse ophtalmie, vieilli par les fatigues et les soucis, l'Amiral fut reçu par la population avec respect et empressement. Ovando lui-même se vit obligé de se joindre à ses administrés, au moins en apparence, mais les rapports restèrent des plus tendus et Colomb comprit qu'il devait hâter son départ. Il fit mettre en état le navire nolisé à ses frais par Diego Mendez et en arma un autre dont il donna le commandement à son frère Barthélémy. Le 12 septembre ils appareillèrent, mais dès le départ le mauvais temps sévit, la caravelle de Colomb perdit son grand mât et il dut passer sur le navire de son frère pendant que le sien regagnait Hispañola. La route de retour de cette quatrième expédition ne peut arrêter longtemps notre attention ; elle fut en effet, jusqu'aux Açores, parallèle à celle de la première, à environ 200 milles plus au Sud. La saison étant plus avancée, le gros, temps fut plus général. Le 9 octobre, dans un coup de vent, le grand mât se fendit ; sous la direction de Colomb, on emprunta des pièces de bois au tillac et on le consolida par un jumelage, en multipliant les roustures. Quelques jours après, ce fut le tour du mât de misaine et l'avarie fut traitée de même façon ; mais il fallait désormais ménager la voilure et la caravelle était encore à 1.800 milles de l'Espagne ! La mer devinait que son grand amoureux allait la quitter et elle ne pouvait se résoudre à cet abandon. Enfin, le 7 novembre 1504, après deux mois de traversée et deux ans et demi de pérégrinations, l'Amiral des Océans, le Vainqueur de la Mer Ténébreuse, entrait à San Lucar par gros coup de vent d'Ouest, sur son navire désemparé. Entre 1502 et 1504, dix-huit expéditions officielles de toutes nationalités se dirigèrent vers l'Ouest. Si nous reprenons les chiffres que nous avons donnés précédemment, nous constatons qu'entre 1493, date de la découverte de l'Amérique, et 1504, date du retour de Colomb de sa dernière expédition, il y eut, sans compter les expéditions clandestines et les expéditions restées inconnues, quatre-vingt-une expéditions officielles ; donc plus de deux cents navires traversèrent l'Atlantique. ***Peu de temps après son arrivée, Christophe Colomb apprit que la Reine Isabelle, sa grande protectrice, était Morte ; il eut cependant la suprême consolation de savoir qu'elle avait pu lire la Lettera rarissima apportée par Diego Mendez. Le roi Ferdinand le reçut avec courtoisie, mais l'éconduisit aussi souvent qu'il l'accueillit. Infirme, pauvre, délaissé, il ne désespéra jamais et tout en revendiquant ses droits et surtout ceux de ses fils, il forgeait de nouveaux projets d'explorations sur mer. Il envoya Barthélémy plaider sa cause auprès de Jeanne et Philippe le Beau héritiers d'Isabelle. Colomb ne devait plus revoir son frère adoré ; terrassé par la maladie, après avoir dicté ses dernières volontés, il se confessa, reçut les derniers Sacrements en présence de son fils Diego et de ses loyaux et fidèles compagnons de navigation, Barthélémy Fiesco et Diego Mendez, et le 20 mai 1506, le génie le plus audacieux dont parle l'Histoire du Monde[7] mourut à Valladolid, en murmurant : In manus tuas Domine commendo spiritum meum. Christophe Colomb fut enterré dans une pauvre sépulture à Valladolid au couvent de Santa-Maria de la Antigua, puis ses restes furent transférés au couvent de l'Observance. En 1513, le Roi Ferdinand, après une manifestation pompeuse à la cathédrale de Séville, les fit déposer dans la Chartreuse de Santa-Maria de la Cuevas, au bord du Guadalquivir, où ceux de son fils Diego vinrent les rejoindre en 1526. Dona Maria de Toledo, en 1536, transporta le cercueil de son beau-père-à travers la Mer Océane, dans le chœur de la cathédrale de Saint-Domingue. Le 22 juillet 1795, le traité de Bâle, en compensation des conquêtes faites au Sud des Pyrénées, donna à la France la partie de St-Domingue encore occupée par les Espagnols. L'Amiral Don Gabriel de Aristigahal obtint facilement du Gouvernement français l'autorisation de transférer les cendres de Christophe Colomb en l'île de Cuba. C'est le 20 décembre de la même année, qu'après une magnifique cérémonie à la cathédrale, les restes du Navigateur passèrent d'un brigantin français, qui par hasard s'appelait La Découverte, sur le vaisseau espagnol San Lorenzo pour être emmenés à La Havane. Les navires présents rendirent les honneurs dus à un Amiral. Ainsi le remarquable marin — qui ne sortit même pas du rang — fut, deux cent quatre-vingt-dix ans après sa mort, consacré officiellement dans son grade par deux grandes, nobles et généreuses nations. Dans un ultime voyage, les reliques de Christophe Colomb furent ramenées en Espagne et déposées dans un superbe mausolée à la cathédrale de Séville. ***Nous ne croyons pas qu'une conclusion s'impose ; tout au plus, répéterons-nous ce qui ressort d'une relation quelconque de la vie de Colomb. Ayant mis tous les faibles atouts de l'époque à laquelle il vivait dans son jeu, il conçut son expédition, la conduisit et la ramena après avoir dissipé les terreurs légendaires et vaincu la mer Océane. A l'accusation d'incompétence, il répondit en retournant encore trois fois au Nouveau Monde malgré son âge et ses infirmités, élargissant et multipliant chaque fois ses découvertes. Des hommes ont, sans qu'il l'ait su, touché au nouveau continent avant lui, mais les connaissances géographiques, tout comme l'équilibre social, n'en étaient ni plus ni moins modifiés et Christophe Colomb est et restera le découvreur de l'Amérique. Il fut fidèle au cri qu'il poussa et qui devrait être la devise de tout marin : Quiconque se livre à la pratique de la navigation désire savoir les secrets de la nature d'ici bas. Il découvrit ou fit connaître : la déclinaison magnétique, la Mer des Sargasses, les vents alizés, le Gulf Stream... Il fut un serviteur de la science, et, dans toute l'acception du mot, il fut un marin. Nous ne prétendons pas qu'il fut le plus grand marin du monde et nous ne voyons aucun intérêt à le comparer avec d'autres ; — laissons à chacun sa valeur et son œuvre — plus il y aura d'hommes illustres dans le monde et plus nous nous en réjouirons. Vasco de Gama, Cabral, Magellan... etc., furent-ils de meilleurs navigateurs que lui ? peu nous importe : chacun d'eux et tous les autres, par leurs belles qualités et leurs magnifiques travaux, ont mérité la reconnaissance admirative de l'humanité. Christophe Colomb, cependant, brille d'un éclat particulier, parce qu'il fut un initiateur et qu'il ouvrit une voie nouvelle. Nansen n'atteignit pas le Pôle Nord, mais son nom dominera toujours dans l'histoire de l'Arctique, car son exploit résulta d'une Idée. Le Pôle Sud fut conquis parce que Gerlache, le premier, osa affronter un hivernage antarctique et que Scott, après avoir parcouru la barrière, prouva qu'une calotte succédait aux glaciers qui s'y déversaient. Colomb, parce qu'il conçut un plan génial et osa l'exécuter, fit plus que de découvrir un Nouveau Monde, il abolit les limites de l'inconnu des mers. Tout homme de génie a des défauts et commet des erreurs, mais, sans arrêt, sans repos, celui-ci paya largement de sa personne ; il fut plus dur pour lui-même qu'il ne le fut pour les autres, il donna toujours l'exemple et il le donne encore. Si un peu de gloire de légende est venue s'ajouter à la gloire de l'Histoire, elles sont toutes largement méritées par son labeur acharné. L'Œuvre de Christophe Colomb est si grande qu'elle déconcerte jusqu'à l'enthousiasme. Les chiens ont aboyé et aboieront encore, mais les caravelles ont passé. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Weather permitting.
[2] La traduction italienne de cette lettre fut publiée en 1810 par l'abbé Morelli sous le titre de Lettera rarissima, désignation qui lui est restée.
[3] H. Douvillé, C. R. Acad. des Sciences, 9 octobre 1922.
[4] M. Ed. Lamy, assistant au laboratoire de Malacologie du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, a bien voulu nous instruire et nous documenter sur les tarets ; on trouvera un intéressant article de cet auteur, auquel nous empruntons largement, intitulé Quelques mots sur les recherches récentes relatives à la biologie du taret dans le Bulletin de la Société d'Océanographie France, 3° année, n° 3, sept. 1923, p. 327.
[5] Ed. Lamy, Quelques mots sur les recherches récentes relatives à la biologie du taret dans le Bulletin de la Société d'Océanographie France, 3° année, n° 3, sept. 1923, p. 327.
[6] Les Américains eurent l'idée de revêtir des pieux en bois d'une forte couche de ciment, mais un Mollusque lithophage, c'est-à-dire mangeur de pierre, vint au secours de son collègue xylophage, ou mangeur de bois, et rongeant préalablement le ciment, lui ménageait ainsi un passage.
[7] Henry Harrisse, loc. cit.