CHRISTOPHE COLOMB

VU PAR UN MARIN

 

CHRISTOPHE COLOMB AVANT 1492.

 

 

La naissance et la jeunesse de C. Colomb.

Bien que 13 villes ou villages italiens revendiquent l'honneur de sa naissance, que Rochefort Labouisse ait cherché à prouver son origine française, tout comme l'abbé J. Peretti ses origines corses et Luis Ulloa[1] ses origines catalanes, on considère généralement que Christoforo Colombo est né à Gênes.

Toutefois l'opinion émise par M. Ulloa mérite d'arrêter notre attention. L'orthographe du nom, dit-il, n'est ni Colombo ni Colon mais Colom, nom répandu en Catalogne et qui explique le Colomo des anciens textes ; les armes personnelles de Colomb taxées de fantaisistes se retrouvent sous des aspects voisins dans les armoiries catalanes ; il n'aurait pas su l'italien et se serait dit génois par raison personnelle et raison d'Etat. Enfin le critique identifie Colomb avec le corsaire Juan Colom, lequel dut changer son prénom en celui de Christoferens pour se refaire une virginité.

Les arguments de cette thèse paraissent parfois très probants, leur ensemble se coordonne bien et peut-être, comme le dit le distingué pré-américaniste R. d'Harcourt, deviendra-t-elle un jour de l'histoire. Mais elle contient beaucoup de suppositions et de lacunes et si M. Ulloa détruit il ne reconstruit pas encore, nous disant seulement de prendre patience, que la découverte de la famille catalane sera l'œuvre des années.

Or, comme Raccolta, H. Vignaud et surtout H. Harrisse, par de belles, longues et patientes recherches, ont fait magnifiquement connaître la famille Gênoise du grand Navigateur, nous nous contenterons pour le moment de leurs très satisfaisantes et suffisantes conclusions.

L'Italie et l'Espagne, toutes deux riches de gloire, ont une fois de plus le droit d'être fières, la première de compter Colomb parmi ses fils, la seconde d'avoir eu la générosité d'accueillir cet étranger, et les autres nations leur doivent un témoignage d'admiration et de reconnaissance puisqu'elles ont donné un homme de génie à l'Humanité.

Il semble en effet bien établi par Henry Harrisse[2] qu'un pauvre plébéien, Giovani Colombo, vivait dans Quinto, petite ville près de Gênes, dès le premier quart du XIVe siècle. Il eut deux fils, Antonio qui resta à Quinto, et Domenico qui se fixa à Gênes vers 1439. Tous deux étaient tisserands.

Domenico, le seul qui nous intéresse, épousa Susanna Fontanarossa dont il eut quatre fils : Christoforo, Giovanni-Pellegrino, Bartolomeo et Giacomo, qui eux aussi furent tisserands, et une fille Bianchinetta, qui épousa Giacomo Bavarello, fromagier-charcutier tenant boutique non loin de la demeure de Domenico Colombo, faubourg Saint-Etienne, quartier des tisserands.

La naissance de Christoforo aurait eu lieu entre le 29 octobre 1446 et le 29 octobre 1456, probablement en 1452[3]. Christophe Colomb, puis ses descendants, craignant avec raison les préjugés de l'époque et la fierté espagnole, sans nier tout à fait leur origine plébéienne, cherchèrent à l'atténuer en faisant planer le doute sur certaines alliances avec les fameux marins Colomb le jeune et l'archipirate Colomb, et en cachant la date réelle de la naissance du navigateur, pour dérouter des recherches qui auraient pu provoquer des révélations inutiles. C'est évidemment pour la même raison qu'ils laissèrent se propager la légende, qu'après avoir reçu des éléments d'instruction à Gênes, Christoforo fut envoyé à l'Université de Pavie. Si cela avait été exact, il aurait eu pour maîtres en astronomie nautique Stefano de Faenza et Antonio de Tergazo. Sous le titre de philosophie naturelle on lui aurait enseigné la physique d'Aristote, ainsi que la cosmographie, et sous celui d'astrologie, la géométrie et la géodésie, le mouvement des corps célestes et tout ce qu'on savait d'astronomie, réuni avec la science des pronostics, l'astrologie judiciaire et la cabale. On prétendit qu'à l'âge de 14 ans il avait interrompu ses études universitaires et commencé son apprentissage de marin. Il disait en effet avoir passé 23 ans sur mer et navigué tout ce que l'on a navigué jusqu'ici avant 1492.

La vérité paraît beaucoup plus simple ; Christoforo, étant l'aîné des fils, reçut tout enfant quelque éducation dans une sorte d'école primaire que la corporation des tisserands subventionnait au Borgo dei lonieri. Il put, par goût, faire de plus quelques études maritimes, voyager aussi en Méditerranée, comme cela arrivait aux ouvriers vivant dans les ports, et il est certain qu'il fit dans sa toute jeunesse au moins un voyage à Chio sur la galère d'un ami armateur[4] avant d'en faire de plus-importants sur lesquels nous reviendrons, mais il ne dut pas aller à l'Université de Pavie.

Ces constatations n'enlèvent rien au mérite de Colomb, au contraire, car c'est ainsi par son amour du travail, par son habileté à s'instruire, sa persistance et sa remarquable intelligence, secondé par le sens marin — sens spécial que possèdent naturellement certains hommes et que d'autres, même marins de profession, n'acquièrent jamais qu'il parvint au degré de perfection qui lui permit de concevoir ses expéditions, de les faire adopter, de les préparer, de les conduire et de les ramener.

C. Colomb n'est pas l'unique exemple d'un homme né avec cette passion si étrangement absorbante de la mer et de l'aventure, qui s'instruit, observe, saisit du premier coup ce qui touche à la navigation, et sans avoir été à proprement parler un professionnel, entre dans la carrière maritime par une porte dérobée et s'y trouve tout de suite plus qu'à l'aise...

On a prétendu et d'autres prétendent encore, que Colomb fut un navigateur médiocre, voire même un mauvais marin ; la lecture attentive des documents et l'examen de faits bien acquis prouvent à eux seuls le contraire. D'ailleurs, il a magistralement répondu à cette accusation d'incompétence en retournant trois fois au Nouveau Monde malgré son âge et ses infirmités, élargissant chaque fois ses magnifiques découvertes.

Sans insister davantage, car d'autres preuves surgiront au cours de ce récit, notons encore que des navigateurs de grande valeur, comme le fameux pilote Juan de la Cosa et plusieurs de ses matelots, sont repartis volontairement sous ses ordres. En eût-il .été de même s'ils n'avaient pas eu confiance dans ses capacités ? C'est une tendance assez naturelle aux pays latins de chercher à diminuer la valeur d'un chef qui revient orné de l'auréole de la notoriété. Souvent les subordonnés amorcent ce dénigrement ; s'ils n'attaquent pas franchement, leurs insinuations et leurs réticences, encore plus éloquentes, sont vite ramassées et interprétées par ceux qui croient se grandir en diminuant les autres. Ce qui s'est passé pour Colomb est presque la règle, et je pourrais citer deux expéditions, pas très éloignées de nous, dont les deux chefs de nationalités différentes furent traités de pareille manière. Ainsi que Colomb, ce qui est un honneur pour eux et une chose assez curieuse d'ailleurs, l'un et l'autre eurent plusieurs fois, dans la suite, l'occasion de prouver leurs capacités et même leur valeur, sans le secours ni la présence de ces collaborateurs qui se considéraient ou cherchaient à se faire considérer cependant comme indispensables.

Pour en terminer avec les origines et les débuts de C. Colomb, il est incontestable que dans la suite il embrouilla la vérité parce qu'il devait, pour accomplir son œuvre, non seulement fréquenter des nobles Castillans et même commander à quelques-uns des plus fiers d'entre eux, mais encore donner confiance à ses employeurs et en imposer aux marins placés sous ses ordres.

Nous ne chercherons pas à faire l'apologie du mensonge, mais nous pouvons remarquer que ces entorses à la vérité étaient bien peu graves puisqu'elles ne faisaient de mal à personne ; en tous cas, elles étaient indispensables.

La meilleure preuve en est que Colomb, malgré tout, eut terriblement à souffrir de son vivant, du mépris des hidalgos par suite de ses origines discutées, et même de celui du peuple qui toujours, et quelle que soit sa nationalité, aime le panache, ainsi que de la jalousie des navigateurs qui, surtout après son succès, ne lui pardonnaient pas d'être un irrégulier.

Si nous revenons sur ces faits c'est que peu d'hommes ont soulevé autant d'enthousiastes admirations que Colomb, mais aucun à travers les siècles n'a eu autant de détracteurs acharnés à salir sa mémoire, et, pour nous servir d'une expression très moderne, à le déboulonner. Or, l'accusation de mensonge formulée contre Colomb erse basant sur d'excusables dissimulations est à la tête de tous les arguments et nous obligera à insister particulièrement sur les cas où elle est facilement réfutable et dénuée de tout fondement sérieux.

Quiconque se livre à la pratique de cet art (la navigation), écrivit Colomb aux Rois Catholiques, désire savoir les secrets de la nature d'ici bas et cette phrase admirable, qui doit émouvoir les savants et les marins, qui montre mieux que la chicane des textes incertains l'idée directrice du génial navigateur, doit être le leitmotiv de toute histoire de sa vie.

 

Arrivée de C. Colomb à Lisbonne.

En 1473 Christoforo s'émancipa complètement et partit à l'étranger ; son frère Bartholoméo en fit autant et Giacomo (Diego en Espagnol) resta cardeur à Gênes, jusqu'à ce que son aîné, retour des Indes, l'appelât en Espagne et le prit comme aide de camp. Seul Giovanni Pellegrino resta au pays et y mourut dans l'obscurité.

Christophe fut jeté, dit-on, sur la côte du Portugal après un combat où le navire sur lequel il se trouvait comme officier sauta. Henry Vignaud confirme cette assertion en modifiant le récit. D'après cet historien il aurait été passager sur l'un des quatre navires de commerce se rendant de Gênes en Angleterre et appartenant au même armateur ami qui lui avait facilité son voyage à Chio. Attaqué par l'amiral français Casenave, dit Colombo, son bâtiment fut effectivement incendié ; il se sauva à la nage et gagna ensuite Lisbonne. Peut-être continua-t-il son voyage en Angleterre sur l'un des navires qui avait pu échapper au désastre en se réfugiant dans le Tage, mais dans tous les cas il s'établit à Lisbonne soit alors, soit à son retour. Il paraît fort probable que Colomb était venu dans cette ville afin de satisfaire son goût des choses de la mer. Comme tant d'autres navigateurs et savants de l'époque, il était attiré par le Collège Naval et l'Observatoire de Sagres, fondés sous Alphonse V par Henri de Portugal, dit le Prince- Navigateur. Il y resta jusqu'en 1484 et non seulement y fit la connaissance de nombreux savants et marins, mais encore refit ou compléta ses études et arriva à un degré de science très rare chez un marin de cette époque.

A Lisbonne il épousa une Monez-Perestrello qui mourut quelques années après, mais dont il eut un fils, Diego. D'après quelques historiens elle était la fille d'un navigateur dans les papiers duquel Colomb aurait puisé beaucoup de ses connaissances, mais H. Harrisse affirme qu'aucun Perestrello ni Monez n'a jamais été ni explorateur ni même marin. Christophe Colomb gagnait sa vie et celle de sa famille en vendant des livres à images, en construisant des globes et en dessinant des cartes. Il navigua aussi, et en février 1477 alla en Islande, puis en Guinée et à Madère. De fort savants historiens, adoptant volontiers les affirmations de H. Vignaud, contestent le voyage en Islande, admettant tout au plus que notre Génois serait allé aux Féroé. Cependant il est bien question d'un pays couvert de neiges et de glace, ce qui correspond à l'Islande et nullement aux Féroë où il n'y a jamais de glace, tant sur les montagnes que sur la mer, et où la neige ne séjourne guère plus que chez nous. Colomb dit qu'il navigua à 100 lieues au-Nord de Frieslandia (Islande), et on trouve en cela le meilleur argument pour soutenir le contraire ; car, affirme-t-on, s'il s'était agi de l'Islande, son navire aurait été empêché par les glaces de faire route, surtout à cette époque de l'année, à une pareille distance dans le Nord. Or 100 lieues de Colomb[5] équivalent à environ 320 milles marins actuels, et c'est une notion élémentaire pour les navigateurs et géographes que pendant certaines années, en février, et peut-être même surtout en février où il n'y a pas encore de débâcle, la mer peut fort bien être libre à 320 milles et plus de l'Islande. En 1882, pendant tout l'hivernage des Autrichiens de la Pola à l'île Jan Mayen qui est justement à cette distance, on ne vit pas de glace sur la côte Sud de cette terre polaire, et depuis 1923, date à laquelle les Norvégiens y ont établi un poste météorologique, il en est de même.

Il n'y a donc aucune raison de nier ce voyage en Islande et nous nous trouvons bien obligés, au contraire, de considérer avec le très documenté professeur norvégien G. Storm que Colomb visita cette île en 1477[6].

Il est même fort probable que son but était d'atteindre le Groenland dont la côte Est était alors colonisée, ou peut-être de rechercher ou visiter une autre contrée telle que l'île actuellement connue sous le nom de Jan Mayen. C'est vraisemblablement au cours de ce voyage que Colomb fut pris par la séduction des régions polaires : dans une lettre écrite en 1500 à Donña Juana de la Torre il parle d'un projet qu'il avait élaboré et qu'il n'abandonnait pas, d'aller à la découverte du pôle Arctique.

Des précisions ont été données en ce qui concerne le voyage à Madère, et il semblait déjà certain que Ladisio Centurione, chef de la maison de Gênes qui possédait de nombreux comptoirs répandus sur le monde connu, s'étant associé avec Paolo di Negro fixé à Lisbonne, expédia Colomb à Madère acheter du sucre et de la laine. Dans une fort intéressante communication à l'Académie des Sciences Coloniales, en 1927, M. de la Roncière apporte à l'appui de ce dire des documents intéressants. La guerre de Cent ans, dit-il, fut suivie d'une crise des changes (rien de nouveau sous le soleil) et la maison Centurione fit adopter l'étalon d'or. Elle envoya en 1447 l'explorateur Malfante dans le Sahara à la recherche de l'or signalé par des cartes déjà existantes ; après quoi elle employa Colomb comme voyageur de commerce- et l'expédia en 1478 acheter des sucres dans les îles d'Afrique, tout en lui enjoignant de chercher la route la plus courte pour gagner les Indes, pays des épices et de l'or[7].

En somme il fit de fort sérieuses navigations, un peu dans toutes les mers, et put ainsi, doué comme il l'était, apprendre la pratique comme il avait appris la théorie, même simple voyageur de commerce.

Cette petite digression, qui peut sembler puérile, a cependant son importance, car nous constaterons dans la suite que les historiens, qui cèdent au désir de soutenir une thèse, font abstraction des à-côtés maritimes dont ils ne se soucient peut-être pas assez.

 

Portrait de C. Colomb.

Il est fort probable que c'est peu de temps après son arrivée à Lisbonne, alors que son instruction venait de prendre des bases solides, que germa dans le cerveau du futur descubridor l'idée de l'entreprise consistant à trouver le pays des épices en gagnant l'Orient par l'Occident.

Mais nous reviendrons aux connaissances géographiques qu'il a pu acquérir après avoir cherché à donner un aperçu de sa personne physique et de quelques traits de son caractère.

Christophe Colomb était de belle taille, fort de membres, le visage allongé, les pommettes un peu saillantes, le nez aquilin, le menton creusé d'une fossette. Les yeux gris-bleu très-doux s'animaient dans les moments d'émotion ; son teint blanc se colorait facilement, sa figure était parsemée de taches de rousseur ; sa chevelure était blonde mais devint blanche vers 30 ans. Ces renseignements proviennent surtout de son fils Fernando et du Vénitien Angelo Trevisan, car on ne connaît aucun portrait de lui peint d'après nature.

E était simple dans sa mise, ayant souvent un vêtement semblable, par sa coupe et sa couleur d'un brun grisâtre, à celui que revêtaient les moines de l'Observance, et il portait le cordon de saint François. Cependant il est fort probable que cette grande cape était tout simplement le manteau à pèlerine adopté par les marins de l'époque.

Il adorait les parfums. Son linge était imprégné de roses et de cassis séchés. Il mangeait surtout des légumes et des fruits ; du riz et des dattes lui suffisaient, et il ne buvait que de l'eau adoucie par du sucre brun des Canaries et de la fleur d'oranger.

Affable, digne et grave, il était le premier à respecter l'ordonnance interdisant de jurer à bord, se permettant tout juste, nous rapporte son fils, de s'écrier par San Fernando ! Il essayait volontiers sa plume par une invocation à Jésus ou à la Vierge Marie. Il était incontestablement très religieux et il l'a prouvé dans maintes occasions, ainsi que nous le verrons dans la suite ; peut-être l'était-il même davantage que la plupart des hommes de son époque.

Il rêvait d'entreprendre la conquête du Saint Sépulcre et voulait amasser de l'or dans ce but. L'or est ce qu'il y a de mieux, a-t-il répété ; avec de l'or on fait des prodiges. On envoie même les dunes au ciel.

Colomb était un mystique, et ce mysticisme développé par les désillusions, les chagrins, les fatigues et les infirmités, prit de grandes proportions dans les dernières années de sa vie. La fameuse vision céleste, qu'il décrit au cours de son quatrième voyage, en est la preuve. Cette vision a été tournée en ridicule par certains détracteurs récents, mais elle est aussi qualifiée d'une haute envolée... pleine d'élévation et de poésie, et comme cette opinion est simplement signée de Alex. de Humboldt, nous ne craignons pas de l'adopter de préférence.

Colomb était-il fou ou le devint-il ? Il n'était et ne fut atteint d'aucune folie caractérisée, mais il avait du génie et la limite est quelquefois bien difficile à tracer.

On a voulu voir en lui un inspiré et lui-même se jugeait tel, écrivant notamment aux rois d'Espagne : Brûlé d'un feu céleste je vous ai exposé mes projets alors que tous les tournaient en ridicule.

Exagérant sa sainteté on a certes été beaucoup trop loin lorsque par deux fois on a voulu le faire béatifier ; non seulement sa main fut quelquefois lourde, mais encore sa vie intime ne rut pas toujours des plus vertueuses. Les campagnes menées dans ce sens, l'une de 1856 à. 1892, avec Roselly de Lorgues nommé Postulateur de la béatification de Colomb, l'autre en 1909 sous les auspices des Knights of Colombus (Chevaliers de Colomb), ne pouvaient aboutir, car avec toutes ses grandes qualités Colomb ne fut pas un saint et n'eut jamais la prétention de mener la vie d'un saint.

A là vérité, comme tous les hommes, il avait des qualités et des défauts. Il était probablement moins parfait que ses admirateurs le veulent et meilleur que ses détracteurs ne le disent. En tous cas l'audace, la persévérance, une foi robuste en lui-même et en ses idées constituent son véritable caractère.

Si, comme nous l'avons déjà dit, il parvint à un degré d'instruction exceptionnel chez un marin de ce temps, il n'émit jamais la prétention d'être un savant. D'une susceptibilité extrême, fier jusqu'à l'orgueil et même jusqu'à la vanité lorsqu'il s'agit de revendiquer ce qu'il considère comme la juste récompense de ses efforts et la reconnaissance de son œuvre, C. Colomb est généralement modeste et timide dans l'exposé de ses projets et son appréciation de lui-même. Il écrit à Ferdinand : j'ai acquis quelques connaissances dans l'astronomie et la géométrie... je me sens porté à entreprendre... j'espère faire réussir... et au cours d'expédition, devant les merveilles de la forêt tropicale, il ne craint pas de déplorer son manque de notions botaniques. Ce regret de ne pas tout savoir, ce désir d'apprendre, se manifestent fréquemment chez lui, et ce magnifique marin est le type du serviteur de la Science.

On lui a reproché cruellement ce qui a été appelé son âpreté au gain et sa soif des honneurs ; nous ne discuterons pas, nous contentant de répéter avec Amyot : On ne doit pas défendre aux gens de bien d'espérer honneurs de leurs vertueux faits, et de remarquer d'autre part que l'on mit peut-être beaucoup d'âpreté aussi à ne pas lui donner les récompenses qu'il méritait si bien et qu'on lui avait promises.

 

Résumé de l'histoire des connaissances géographiques depuis l'antiquité jusqu'à C. Colomb.

Il nous semble intéressant, avant d'aller plus loin, de résumer brièvement l'histoire des connaissances géographiques depuis l'antiquité jusqu'à Christophe Colomb.

Du temps d'Homère, mille ans avant J.-C., la terre était considérée comme un disque aplati, ceinturé par la rivière Océan ; au-dessus se trouvait la voûte du ciel, au-dessous un espace sombre et sinistre, l'Erebus, que les âmes des morts devaient traverser en se rendant au royaume de Hadès. Le disque, entraîné par le poids de la végétation tropicale, s'inclinait légèrement au sud.

Vers 425 avant J.-C., Hérodote, parce qu'il savait que des voyageurs avaient pu aller beaucoup plus à l'Est et à l'Ouest qu'au Nord ou au Sud, transforme le disque en une sorte d'ellipse.

Aristote, 350 ans avant J.-C., enseigne que la terre est une sphère et s'appuie sur les trois raisons suivantes : 1° La matière a tendance à s'agglomérer sphériquement. 2° Une sphère peut seule projeter une ombre circulaire sur la lune au moment d'une éclipse. 3° La forme sphérique seule peut expliquer que l'horizon recule au fur et à mesure que l'on avance dans une direction quelconque. La terre était donc une sphère située au centre d'une sphère céleste piquetée de constellations.

Ératosthène, cent ans plus tard, veut que le monde habité des Grecs occupe un quart seulement de la sphère et les Stoïciens décident que l'Océan est continu, la terre formant quatre îles symétriquement disposées et toutes habitées. Aux trois inconnues on donna les noms de Antipodes, Antœken et Periœken. Cette même idée est soutenue dix-huit ans après J.-C., par Strabon et quarante-trois ans après, par Mela.

Mais les Hiparchiens avec Seleukos, malgré le récit que fit Hérodote de la navigation des Phéniciens autour de l'Afrique, soutiennent que la terre est continue, enfermant des mers dont la Caspienne est une des plus petites. L'Ecole d'Alexandrie adopte cette théorie et Ptolémée la figure dans sa carte.

Que la terre soit décrite comme un disque plat ou comme une sphère, il fut admis par tous qu'il existait une zone de froid au Nord, et une torride au Sud. Cette dernière était considérée comme infranchissable. La chaleur solaire y était effroyable, laissant pourtant croître des herbes épaisses, les étoiles y jetaient des flammes, et des monstres incroyables, énormes baleines et autres, s'y mouvaient dans un brouillard dense et étouffant.

Les Phéniciens, qui eux voyageaient, propageaient avec grand soin ces légendes afin de conserver ainsi le monopole de la navigation lointaine.

Au moyen âge, les Arabes seuls entretiennent l'éducation reçue des Grecs et souvent même la perfectionnent ; les chrétiens s'occupent de sauver leurs âmes avant la fin du monde annoncée comme prochaine, et d'ailleurs, admettre qu'il puisse y avoir des peuples isolés qui par conséquent n'ont pas partagé le péché d'Adam et n'ont pu être atteints par la rédemption, est une hérésie.

Cependant saint Augustin croit que la terre peut être ronde, mais, combattant toute idée d'antipodes, il l'imagine comme une boule flottant dans l'eau avec un tiers environ émergeant, qui seul est habité et habitable.

Lactance au IVe siècle rejette toute idée de sphère sans autre argument que c'est écrit.

Cosmas Indicopleustes, un moine qui avait voyagé aux Indes et qui n'arrivait pas à concilier ses observations avec une terre plate, finit par inventer son naïf et délicieux coffret, où le ciel est figuré par le couvercle et où la terre est agrémentée d'une montagne bien placée pour permettre au soleil de se lever et de se coucher.

Petit à petit, le monde redevient un disque plat, cependant il arrive comme dans la carte de Macrobius de voir figurer une zone frigide et une zone torride et infranchissable.

Le Vénitien Marco Polo de 1271 à 1291 montre cependant que l'accès de la zone torride n'était pas tout à fait interdit ; il avait en effet atteint Cambalu (Pékin) et séjourné 17 ans à Cathay (Chine) auprès du Grand Khan, rapportant aussi des précisions sur Cipangu (Japon).

Puis à l'Arabe intelligent succédera le Turc borné et destructeur ; mais les Chrétiens, à leur tour, se réveillant peu à peu, la sphéricité de la terre sera de nouveau admise.

Les véritables progrès en géographie et en navigation datent de la fin du moyen âge, grâce au prince Henri de Portugal, connu à juste titre sous le nom de Henri le Navigateur, qui vécut de 1394 à 1460. Fils du roi Jean Ier, il vint en 1415 se fixer au Cap Saint-Vincent et créa l'Académie de Marine de Sagres où il s'entoura des savants les plus capables de le seconder, sans distinction de pays ni de religion. Il attira les marins, les instruisit, les poussa et les encouragea à voyager, et perfectionna l'art de la navigation. Avec lui les limites du monde commencent à reculer et l'élan qu'il a donné ne s'arrêtera plus.

Les légendes transmises à travers les siècles sont arrivées jusqu'à cette époque, un peu modifiées peut-être depuis l'antiquité, mais elles voulaient encore, tout au moins pour le vulgaire, que la zone torride soit infranchissable par suite de la nuit perpétuelle, des vagues hautes comme des montagnes, des calmes éternels, de l'évaporation de l'eau ne laissant qu'une boue salée, des monstres affreux, le Kraken et la Main noire, de la mer gluante et des herbes. Cependant, en 1433, les Portugais atteignent le cap Bojador, puis en 1441 le cap Blanc et le cap Vert ; ils franchissent l'équateur en 1471, et enfin Barthélémy Diaz double le cap des Tempêtes en 1487, ouvrant la voie que devait suivre Vasco de Gama en 1498.

 

Etat supposé des connaissances de C. Colomb vers 1484.

Christophe Colomb fut indirectement un élève de Henri le Navigateur dont l'influence survécut, comme nous venons de le voir. Son grand projet naquit au fur et à mesure que se développait son instruction maritime et qu'il cherchait à satisfaire son insatiable curiosité des choses de la mer.

Il s'appuyait : sur les enseignements d'Aristote et sur ce que les Pythagoriciens avaient émis concernant la sphéricité de la terre, rendant possible l'accès des contrées lointaines en naviguant vers l'Ouest après avoir franchi les Colonnes d'Hercule ; sur Strabon, qui dans sa géographie considère qu'une seule mer baigne les côtes opposées d'Europe et d'Afrique d'une part, d'Asie de l'autre ; sur Sénèque, qui insiste sur la proximité de l'Espagne et de l'Inde et la facilité d'accomplir ce trajet, si les vents sont favorables. Il évoque même jusqu'à un certain point des voyages, d'ailleurs fort probables, des Phéniciens, des Carthaginois et des Arabes.

Toutes ces choses avaient été puisées par Christophe Colomb, surtout dans l'Imago Mundi écrit par Pierre d'Ailly, évêque de Cambrai en 1396. Cet ouvrage, dont un exemplaire longuement annoté par Colomb existe encore, est une compilation géographique médiocre, mais où sont traitées toutes ces conceptions des anciens.

Il connut et fréquenta à Lisbonne de nombreux savants. Parmi ceux-ci Martin Behaim, dont le rôle inconscient, grâce à un globe qu'il construisit à Nuremberg résumant les connaissances géographiques de l'époque et prouvant la possibilité du projet de Colomb, fut tel, que nous ne croyons pas sortir de notre sujet en en disant quelques mots. Behaim naquit à Lisbonne, Fayal ou Nuremberg, vers 1459 ; il fut drapier à Vienne, Anvers et Venise, puis vécut 16 ans aux Açores, avec son beau-père, le seigneur de Murkirchen, où il s'occupa de l'art de la navigation et se fit une réputation. Jean II, roi du Portugal, l'attira à Lisbonne ; il y fut nommé membre d'une commission scientifique chargée d'indiquer les moyens de naviguer d'après la hauteur du soleil ; c'est ainsi qu'avec deux médecins, maître Rodrigo et le Juif maître Joseph, également attachés à l'Académie de Sagres, furent arrêtées les méthodes pratiques permettant d'appliquer l'astrolabe à la navigation. En 1484, il voyagea sur les côtes d'Afrique, au delà de l'équateur, sous le commandement de Diogo Cao, qui explora le golfe de Guinée et reconnut l'embouchure du Zaïre (le Congo). En 1485, il fut nommé Chevalier de l'Ordre du Christ. Au retour, en 1491, il construisit son globe terrestre à Nuremberg. C'est ce savant que Hieronymus Monetarius, sous l'inspiration ou sur l'ordre de l'empereur Maximilien, proposa par lettre au roi de Portugal Jean II en 1493 — ne sachant pas encore ce que Christophe Colomb avait accompli —, pour conduire une expédition par l'Ouest, jusqu'à Cathay. Ceci prouve combien ce projet était alors dans l'air. Martin Behaim mourut en 1506.

Enfin Colomb entra en correspondance avec le célèbre savant florentin Toscanelli pour lui soumettre son plan et lui demander son avis sur le programme général de semblable expédition, aussi des renseignements sur la route à prendre, la distance à parcourir, les escales possibles et les points de débarquement.

Toscanelli, en lui envoyant une carte marine, adressa à Colomb la même lettre qu'il avait fait parvenir peu de temps auparavant à Alphonse V par l'intermédiaire du chanoine Martinez — nouvelle preuve que ce projet était envisagé par d'autres —, affirmant que cette expédition était beaucoup plus facile à réaliser qu'on ne le croyait. Le savant Florentin répondant aux questions d'escales possibles, de distance, etc. donna les précisions suivantes : De Lisbonne vers l'Ouest en droite ligne il y a 22 espaces de 250 milles chacun jusqu'à la grande ville de Ouinsay qui a 200 milles de circonférence, 10 ponts, et dont le nom signifie La Cité du Ciel. Cette ville est dans la province de Mango près de celle de Cathay. De l'île d'Antilla que vous connaissez jusqu'à la fameuse île de Cipango il y a 10 espaces...

Henry Vignaud veut que cette lettre soit apocryphe et inventée de toutes pièces après la mort de Colomb, vraisemblablement par Barthélémy son frère, Luis Colon son petit-fils, Fernand Colomb son fils, ou un autre (?), pour donner plus de valeur à ses conceptions scientifiques. Mais les arguments invoqués sont bien faibles et n'ont pas plus de poids que les raisons pour lesquelles les descendants ou amis du grand navigateur auraient commis ce faux qui, élaboré de sang-froid, serait bien maladroit et peu adéquat au but proposé, alors que dans ces conditions il eût été si facile de le corser un peu[8].

En toute occasion Colomb fouillait dans les journaux de bord qu'il pouvait consulter, interrogeait les marins qu'il rencontrait, fortifiait sa conviction et accumulait les arguments parmi lesquels, bien entendu, se placent en première ligne les débris de plantes, d'arbres, de bois travaillés, même les cadavres d'hommes étranges venus s'échouer aux Açores ; il préparait ainsi minutieusement la grande aventure.

C'est donc avec raison que Jean Reynaud, dans l'Encyclopédie Nouvelle, déclare Colomb un des plus audacieux et sages navigateurs, parce qu'il obéit fidèlement aux lois' de la géographie antique, au lieu de s'embarquer sur la seule autorité de ses rêveries pour la conquête d'un continent inconnu.

Cependant l'américaniste de grande et méritée réputation, Henry Vignaud, qui a contribué largement à la documentation sur Colomb et est devenu le chef d'école de ses détracteurs, a voulu prouver que Colomb n'avait jamais eu l'idée de gagner l'Orient par l'Occident, mais simplement, à l'instar d'autres navigateurs qui le précédèrent et dont le souvenir resta longtemps aux Açores, d'aller à la découverte des îles légendaires comme Antila ou celle des Sept Cités.

Plusieurs historiens se sont approprié, sans réserves, les idées de H. Vignaud en parlant à différentes reprises de Colomb. Mais à notre modeste avis, leur argumentation démolit complètement la théorie qu'ils veulent soutenir et nous devrons d'ailleurs revenir plus longuement sur ce sujet au cours de notre étude. Nous nous contenterons donc maintenant de quelques réflexions générales, inspirées par la lecture attentive d'un volume de H. Vignaud, résumant ses travaux et affirmations dans le but avoué de forcer l'opinion du lecteur courant, catégorie à laquelle nous appartenons[9].

Nous ne voulons d'ailleurs pas, reconnaissant une fois de plus notre incompétence, nous livrer dans cette courte étude à de la critique historique serrée, et si nous insistons un peu, c'est uniquement parce que, nous embarquant avec Colomb, nous voulons être suffisamment documenté sur ses intentions pour pouvoir le bien suivre dans leur exécution.

Aux connaissances laborieusement acquises de Colomb et basées sur des données réelles, s'ajoutaient forcément les récits concernant des îles imaginaires comme celles de Saint-Brandan, et des légendes d'autant plus difficiles à débrouiller que, transmises de marin à marin, elles s'appuyaient souvent sur la réalité déformée par l'ignorance, l'exagération, ou le passage d'une bouche à l'autre. Peut-on vraiment reprocher certaines crédulités à n'importe quel cosmographe ou navigateur de cette époque lorsque l'on songe que les nombreux îlots, écueils, bas-fonds et brisants indiqués sur les cartes des XVIIe et XVIIIe siècles, entre l'archipel des Açores et les Antilles, n'ont que tardivement disparu de nos atlas ? On les trouve encore sur les documents du XIXe siècle. En 1802, les Espagnols signalent toujours des brisants et des vigies dans la mer des Sargasses et des écueils sont mentionnés dans cette partie de l'océan Atlantique jusque vers 1860[10] ! ! Encore tout récemment un haut fond a été signalé tout près de nos propres côtes dans le Golfe de Gascogne ; malgré son invraisemblance, cette nouvelle a été accueillie avec enthousiasme par de très réputés marins, et bien que des recherches répétées, patientes et sérieuses, exécutées par divers spécialistes, aient prouvé l'inanité de cette découverte et montré la cause de l'erreur, nombreux sont ceux qui hochent la tête avec scepticisme et tendent quand même à admettre sa véracité !

Colomb avait donc le droit, presque le devoir, de considérer qu'il existait des îles entre les Açores et le continent d'Orient qu'il voulait atteindre par l'Occident. Comme le dit Henry Harrisse, ces îles sont semées sur les cartes et mappemondes de l'époque. Il est même certain, et sa correspondance avec Toscanelli semble le prouver, qu'il envisageait la possibilité d'escales et de découvertes en cours de route. Il eût d'ailleurs été coupable, tout au moins aux yeux d'un marin, en ne le faisant pas. Mais de là à vouloir que son projet consistât uniquement à atteindre ces îles de rêve, et qu'il travestît plus tard la vérité en affirmant qu'il voulait gagner Cathay, il y a un pas qui nous paraît bien difficile à franchir. Il suffit d'ailleurs, pour s'en rendre compte, de constater combien ceux qui veulent faire partager cette opinion bizarre sont obligés de jongler avec les hypothèses ; ils donnent des entorses au simple bon sens, accusent de faux et de mensonges sans en fournir les preuves ; ils sortent des clichés de romans-feuilletons, ou de moderne cinéma, en invoquant les révélations (d'ailleurs fausses), d'un vieux pilote reconnaissant à son lit de mort, les témoignages de gens intéressés, ou d'enfants, comme celui du page qui écoute caché derrière le fauteuil royal — rappelons en passant que les témoignages d'enfants ne sont jamais admis en justice —, les lettres apocryphes et quoi encore ! alors que la vérité paraît si simple... in medio stat virtus[11].

Colomb voulait aller en Asie, le pays des épices, par l'Occident, et c'est d'autant plus naturel que l'idée était dans l'air, mais, supposant trouver les îles, admises par tous, sur son passage, il eut vraiment été terriblement léger s'il n'en avait tenu compte dans ses projets. Voilà tout ! et en envisageant les choses avec cette simplicité, chacun devrait y trouver satisfaction.

Si l'œuvre elle-même de Colomb est un superbe volume, ouvert aux conceptions philosophiques, il en est de même des à-côtés de son histoire. On peut facilement philosopher sur l'état d'esprit d'un américaniste patient et érudit comme l'est H. Vignaud qui, pendant toute sa vie, a accumulé des documents de la plus haute valeur, mais cède à la faiblesse de vouloir que son labeur sorte du domaine de la documentation pure et aboutisse au bouleversement des idées généralement admises[12].

Quant à nous, nous sortons de la lecture de ces livres tendancieux, de plus en plus convaincu, en tant que gros public, que Colomb voulait chercher l'Orient par l'Occident et passer par la voie de l'Ouest à la terre où naissent les épiceries, et en tant que marin, qu'il avait admirablement préparé son expédition. Mais il croyait, comme Toscanelli et bien d'autres, que la terre était beaucoup plus petite qu'elle ne l'est. Marin de Tyr en particulier admet 86° en longitude de moins entre l'Asie et les Canaries et c'est la grande extension de 23° donnée par les anciens à la mer Caspienne qui contribue sensiblement à augmenter la largeur de l'Asie. Pour Christophe Colomb, le monde était d'un quart plus petit que la réalité et il disait que six parties étaient à sec, la septième seule étant couverte d'eau, alors que nous savons que la mer occupe les trois quarts du globe. Pour les géographes de son temps, les contours de l'Asie en face de l'Europe étaient ceux de la mappemonde de Ptolémée, modifiés et nomenclaturés par Marco Polo.

Victor Hugo résume la situation en s'écriant : Si Christophe Colomb eût été bon cosmographe, il n'aurait pas découvert l'Amérique.

Je ne veux pas terminer ce chapitre sans répondre tout de suite à une protestation que je devine sur bien des lèvres. Il est hors de doute que des voyages antérieurs à l'immortelle découverte de Christophe Colomb, en dehors même de ceux très probables des Phéniciens, Carthaginois et Arabes, furent effectués, plus ou moins volontairement, d'Europe en Amérique, en particulier au Groenland et au Vinland, par des Scandinaves ou Normands, des Irlandais, peut-être aussi le Gallois Madoc, des Basques, des Dieppois, etc., voire même du côté du Pacifique par les océaniens, comme semble bien le prouver une communication récente de M. Rivet à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Mais, si ces traversées aventureuses montrent le courage et l'endurance, peut-être aussi la chance extraordinaire de ceux qui les effectuèrent, elles ne peuvent être rapprochées de l'œuvre du grand Génois, pas plus par leur conception et leur exécution que par leurs résultats. Des hommes ont touché au nouveau continent avant lui, et on trouvera peut-être encore que d'autres ont précédé ou suivi ceux-ci, mais les connaissances géographiques et l'équilibre social, antérieurement à 1492, n'en étaient ni plus ni moins modifiés ; Christophe Colomb est et restera le découvreur de l'Amérique ; on petit même dire que c'est grâce à lui que l'on a découvert ce que ces mêmes hommes avaient pu faire.

 

Les dix-huit ans de démarches de C. Colomb.

Christophe Colomb présenta son projet à Alphonse V de Portugal, mais celui-ci, engagé dans une guerre avec l'Espagne, avait abandonné les entreprises maritimes.

Jean II, son successeur, qui avait repris les idées de son grand-oncle Henri le Navigateur, écouta Colomb avec intérêt. Une commission composée de l'aumônier du roi, de son astrologue et d'un évêque, les mêmes qui donnèrent plus tard à Vasco de Gama les instructions et les cartes grâce auxquelles il parvint aux Indes, émit officiellement un avis défavorable. On prétendit que le roi avait, en cachette du Génois, envoyé un de ses navires vers l'Ouest ; que celui-ci, après avoir essuyé une violente tempête, revint bredouille au port et que Christophe Colomb, outré de cette perfidie royale, avait quitté le Portugal. D'autres affirment qu'il dut s'enfuir après avoir été mêlé à une intrigue politique ou pour éviter la prison pour dettes. Quoi qu'il en soit, il se rendit en 1485 en Espagne, tandis que Barthélémy Colomb partait en Angleterre, dans l'espoir de faire adopter par le roi de ce pays les projets de son frère.

Au seuil du couvent franciscain de Santa Maria de la Rabida, situé à une demi-lieue de Palos de Moguer en Andalousie, nous retrouvons Christophe, avec son fils Diego, demandant l'hospitalité ou peut-être simplement un peu d'eau pour se rafraîchir. Il est accueilli par le prieur du monastère, Juan Perez, versé lui-même en astronomie, et la conversation s'engageant, le moine s'intéressa tout de suite à son hôte, le retint et le mit en rapport avec le père Marchena qui s'adonnait aux études cosmographiques. Il est fort probable que Colomb trouva dans ce couvent, situé à proximité d'un des ports les plus actifs de l'Espagne, de nombreux renseignements maritimes capables d'enrichir sa documentation, et peut-être même est-ce dans ce but qu'il y séjourna. Juan Perez devint à la fois un confident et un conseiller, et ce n'est pas sans émotion que l'on parcourt ce couvent, pieusement reconstitué par les soins généreux du duc de Montpensier, hanté par le souvenir de ces deux hommes s'entretenant du projet qui devait aboutir, non seulement à la découverte d'un continent, mais à la connaissance du monde.

Ancien directeur de conscience de la reine Isabelle la Catholique, Juan Perez donna une lettre à Colomb pour son confesseur actuel, qui, d'ailleurs, n'y fit pas la moindre attention.

C. Colomb confia alors son fils Diego aux pères Juan et Marchena qui se chargèrent de son éducation et se rendit à Cordoue où il s'établit et gagna sa vie, comme à Lisbonne, en vendant des livres à images let en fabriquant des cartes et des globes. Il y fit la connaissance de la belle Béatrix Enriquez de Arana et de cette liaison naquit un fils, Fernando, qui, doué d'une remarquable intelligence, devint plus tard l'historien de son père.

Enfin, il se concilia les faveurs de Pedro Gonzalès de Mendoza, archevêque de Tolède et grand Cardinal d'Espagne, qui le présenta aux souverains Ferdinand et Isabelle, fort occupés alors à conquérir leur royaume sur les Maures.

Tout comme de nos jours, quand le gouvernement veut gagner du temps, n'est pas décidé à accepter un projet, ou craint de prendre des responsabilités, une commission fut nommée et celle-ci, en commission qui se respecte, se divisa probablement en sous-commissions et fit attendre sa décision... cinq ans.

Elle se réunit au couvent dominicain de Saint-Etienne à Salamanque et n'était pas exclusivement composée, comme on a trop voulu le faire croire, de moines ignorants, mais comprenait des professeurs d'astronomie, de géographie et de mathématiques, des dignitaires de l'Eglise et quelques moines instruits. Cependant, même pour ceux de ses membres qui ne demandaient qu'à être convaincus, la période de guerre ne plaidait pas en faveur de la réalisation d'un semblable projet et les raisonnements scientifiques de Colomb, s'ils étaient partagés par les vrais savants, étaient encore considérés généralement comme révolutionnaires. La majorité opposa donc des textes bibliques, ainsi que les opinions cosmographiques de Moïse, des prophètes et des premiers pères de l'Eglise, exposées pour la plupart dans la topographie chrétienne de Cosmas. Les uns niaient avec Lactance la sphéricité de la terre ; le Psalmiste n'a-t-il pas dit : Extendens cœlunt sicut pellem[13] ? ce qui serait impossible si la terre était sphérique ; donc, elle est plate comme un tapis ; saint Paul, d'autre part, n'a-t-il pas comparé le ciel à une tente dressée au-dessus de la terre ? ce qui ne se pourrait si elle était ronde.

S'appuyant sur saint Augustin, d'autres niaient surtout les Antipodes, et si la sphéricité était admise par quelques-uns, ceux-là contestaient cependant la possibilité de communiquer avec l'hémisphère opposé par suite de la chaleur, de la longueur du trajet, de la vraisemblance que la Mer Ténébreuse aboutissait à un gouffre où tomberaient les navires, ajoutant que si par bonheur un bâtiment pouvait atteindre les Indes, comment espérer qu'il remonterait ensuite pour revenir ? D'ailleurs, déclaraient-ils, à quoi bon tenter cette aventure puisque les Antipodes étaient inhabités ; en dehors des raisons théologiques, il était impossible que des gens pussent vivre la tête en bas. Bref, l'avis de la commission de Salamanque fut nettement défavorable. Toutefois, certains membres avaient plaidé la cause de Colomb ; parmi ceux-ci se trouvait Diego de Deza, professeur de théologie, plus tard archevêque de Tolède, et qui resta son protecteur.

Découragé, C. Colomb rentra au couvent de la Rabida chercher son fils Diego. Juan Perez, navré de cet insuccès ; s'enhardit alors à écrire lui-même à la reine Isabelle, qui le fit venir, l'écouta, et lui donna 20.000 maravédis pour son protégé, avec l'ordre de l'amener au camp de Santa-Fé, devenu une petite ville construite sous les murs de Grenade assiégée.

Colomb arriva à Noël 1491 et quelques jours plus tard, le b janvier 1492, Grenade tomba. Cette issue termina la lutte qui durait depuis 778 ans.

Dans l'ivresse de la victoire, tout sembla devoir s'arranger ; mais au dernier moment, C. Colomb se montra trop exigeant et les souverains l'envoyèrent promener. Il quitta Grenade avec l'intention d'aller porter ses projets en France, puis si besoin était, en Angleterre.

Cependant, Louis de Santangel, financier clairvoyant, descendant de marranos ou juifs convertis, receveur des revenus ecclésiastiques en Aragon, et Béatrix Bobadilla, favorite de la Reine, supplièrent Isabelle de rappeler Colomb, lui exposant que ses exigences étaient en grande partie subordonnées à la réussite ; il y avait peut-être des âmes à sauver de l'autre côté du monde et si le projet aboutissait, la petite somme risquée rapporterait de l'or qui serait le très bien venu dans le rétablissement du budget d'après-guerre.

La Reine ne demandait qu'à être convaincue ; un courrier, envoyé à francs étriers, rejoignit Colomb à deux lieues de Grenade, sur le pont de Pinos, et le ramena à la cour.

Le 17 avril 1492 un contrat rédigé par Juan de Coloma, secrétaire d'Etat d'Aragon, est signé à Santa-Fé, énonçant que Christophe Colomb serait nommé Grand Amiral de la mer Océane, qu'il serait également nommé Vice-Roi et Gouverneur général de toutes les terres qu'il pourrait découvrir et qu'il aurait droit au dixième de tout l'or, argent, perles, pierres précieuses, épices, denrées et marchandises quelconques obtenues dans les limites de sa juridiction, enfin que ses titres et prérogatives reviendraient à perpétuité à ses héritiers et successeurs. Dans un dernier article, il était, sur sa demande, autorisé à avancer un huitième des lais de l'armement, ce qui lui donnait droit à un huitième des bénéfices.

A ce sujet, dans un but facile à comprendre, on insinua que l'argent constituant ce huitième avait été donné par Béatrix Enriquez de Arana ; d'autres ont affirmé que c'était par Martin Alonso Pinzon, d'autres encore ont nommé la reine Isabelle ; la vérité est bien plus simple et H. Harrisse nous prouve que la somme fut avancée par des compatriotes génois et florentins établis à Xérès, Séville et Cadix, dont les noms sont connus : Jacopo de Negro, Luigi Doria et Juanoto Berardi.

Le 12 mai Colomb prit congé de la Reine et après avoir passé par Cordoue se rendit à Palos.

Henry Harrisse, s'exprimant sur les dépenses dans le détail desquelles nous n'avons pas à entrer, écrit[14] : ... cette mémorable expédition de 1492 dont les conséquences changèrent, et continueront pendant des siècles encore à changer la face du monde, coûta : à la reine Isabelle 1.140.000 maravédis ; à Christophe Colomb ou à ses protecteurs, un huitième des dépenses, évalué du temps de Las Casas à 500.000 maravédis ; à la ville de Palos, le loyer pour deux mois de deux caravelles complètement équipées ; aux Pinzon (nous verrons comment et pourquoi) des peines et des soins.

M. J.-B. Thacher[15] a pu calculer avec des documents plus récemment dépouillés que la paye de huit mois des équipages montait à 268.000 maravédis et que la dépense totale représentait 1.167.542 maravédis, c'est-à-dire 7.203 dollars, 1.488 livres anglaises ou 37.200 francs-or. La maison d'Espagne contribua pour un million de maravédis, soit 6.000 dollars environ ou 30.000 francs. Cette somme lui rapporta, rien qu'en métaux précieux, au cours du siècle suivant, 52 milliards de francs-or. — Le placement donc ne fut vraiment pas trop mauvais.

Lorsque l'on procéda à l'organisation administrative de l'expédition, la Chancellerie du Royaume établit un document par lequel les Rois recommandaient au bon accueil de tous les Souverains le noble homme Christophe Colomb... Il est amusant de comparer cette pièce datant de 1492 à l'Acte de Francisation actuel, écrit sur papier parchemin, sans lequel un bâtiment ne peut naviguer et où on lit : En conséquence, le Président de la République prie et requiert tous Souverains, Etats Amis et Alliés de la France et leurs subordonnés, ordonne à tous Fonctionnaires publics, Commandants des bâtiments de l'Etat et à tous autres qu'il appartiendra, de le laisser sûrement et librement passer avec son dit Bâtiment sans lui faire ni souffrir qu'il lui soit fait aucun trouble ni empêchement quelconque, mais au contraire de lui donner faveur, secours et assistance partout où besoin sera.

 

Les Caravelles.

Ordre est donné à la ville de Palos, qui venait d'être condamnée à mettre pour douze mois deux caravelles équipées à ses frais à la disposition de la Couronne, de fournir gratuitement ces navires à C. Colomb. La Reine, pour engager le recrutement, promettait aux équipages une avance de quatre mois de solde, en même temps qu'un décret prescrivait la suspension de toute poursuite judiciaire et de tout jugement contre les personnes qui voudraient accompagner le Génois.

Mais, quand on apprit que la destination était la limite de la Mer Ténébreuse, gros et petits bâtiments s'évadèrent du port pendant la nuit. Un seul ne put s'échapper, la Pinta, mais pour la mettre en état on ne trouva ni bois, ni étoupe, ni goudron et d'ailleurs calfats et charpentiers se déclarèrent malades ; on fit la grève des bras croisés.

Heureusement, le père Juan Perez, non seulement jouissait d'une grande notoriété à Palos, mais encore avait su s'y faire aimer. Il mit à la disposition d'une cause qu'il avait faite sienne influence et affection et finit par ramener à la confiance marins et ouvriers.

La famille des Pinzon, marins et armateurs de père en fils, jouissait par sa fortune et sa situation d'une grande autorité à Palos. Le chef de cette famille, Martin Alonso, un excellent marin, s'était entretenu, dit-on, au cours d'un voyage commercial à Rome avec un cosmographe attaché à la bibliothèque pontificale, qui lui fournit une carte prouvant qu'en naviguant vers l'Ouest on atteindrait la fameuse île de Cypango (Japon). Depuis cette époque, Martin Alonso Pinzon rêvait, paraît-il, de tenter l'aventure, mais hésitait cependant malgré les moyens, argent, navires et influence qu'il avait à sa disposition.

Vraisemblablement grâce à Juan Perez et au P. Marchena, Colomb fut mis en rapport avec Martin Alonso qui décida de faire partie de l'expédition avec ses deux frères, également très bons marins[16].

Finalement trois caravelles furent armées, deux par la ville, la troisième par Colomb lui-même, associé à la famille Pinzon. Ce furent : la Gallega, appartenant à Juan de la Cosa et qui fut rebaptisée Santa Maria ; la Pinta, à Cristobal Ouintero ; la Niña, à Juan Niño.

On a dit que c'étaient de mauvais bateaux, qu'aucun n'était ponté, ou encore qu'un seul l'était. Tout cela est faux. C'étaient d'excellents navires, choisis parmi ceux mis à sa disposition par Christophe Colomb lui-même, qui en cela comme en bien d'autres choses montra ses qualités 'de marin et d'organisateur. Peut-être l'armement fut-il un peu hâtif, les réparations parfois même sabotées à l'insu du chef de l'expédition, comme il le dit lors d'une avarie survenue au gouvernail de la Pinta et au sujet d'un calfatage reconnu un peu défectueux dans la suite, mais par ailleurs il qualifie ses navires de très appropriés à la tâche proposée muy aptos para semejante fecho, ne se plaignant que du tirant d'eau un peu fort de la Gallega, ce qui pouvait nuire à l'exploration côtière et des rivières. D'ailleurs, pour ses autres expéditions, il donna toujours la préférence à des types de navires semblables.

Les caravelles étaient des bâtiments relativement légers, dérivés de ceux en usage en Méditerranée, et dont les Portugais se servaient pour leurs expéditions africaines, alors que les nao rotunda étaient des bâtiments plutôt lourds qui allaient commercer dans le canal des Flandres.

On a discuté pour savoir si ces caravelles portaient trois ou quatre mâts. Jal, le grand archéologue naval, se basant sur les types les plus habituels de l'époque, leur en donna quatre, soit, en dehors du beaupré, qui ne compte jamais pour un mât, un mât correspondant au mât de misaine actuel portant deux voiles carrées, puis le grand mât, l'artimon et le contre-artimon (notre tape-cul actuel), portant tous trois la classique voile latine triangulaire enverguée sur une longue antenne. Mais, si on se reporte à différents documents, notamment aux navires représentés par Juan de la Cosa (pilote de C. Colomb), sur sa carte de 1500, puis aux dessins de Fernando Colomb, on arrive à la conclusion certaine que ces caravelles avaient trois mâts. Peut-être Colomb, modifiant par ailleurs le gréement de ses navires pour les rendre plus aptes à la navigation à laquelle il les destinait, fit-il simplement supprimer le contre-artimon.

Signalons en passant que H. Vignaud nous apprend à la page 115 de son livre[17] que toutes trois (les caravelles) avaient trois mâts et une voilure latine carrée ! ! Nous avouons ne pas comprendre : car, voilure latine, depuis qu'il y a des bateaux sur l'eau, est une expression usitée pour désigner des voiles qui ne sont pas des voiles carrées. Cette expression constitue donc un non-sens au même titre qu'une ligne droite courbe, une sphère plate ou un cercle carré. Cela nous explique la faiblesse de la critique de son auteur sur le terrain des connaissances maritimes de Colomb et nous relèverons encore d'autres exemples similaires. Ceci n'enlève rien à l'érudition de H. Vignaud. Tout de même pour juger un marin, il vaut mieux être un peu au courant des choses de la mer.

La documentation sur ces navires s'est singulièrement enrichie par les recherches patientes effectuées au moment où, pour fêter en 1892 le quatrième centenaire de la découverte de l'Amérique, l'Espagne reconstitua la Santa Maria. Nous pouvons donc entrer dans quelques détails et mieux comprendre ainsi la vie de Colomb et de ses compagnons[18].

Les caravelles qui servirent à Colomb avaient donc trois mâts, le mât de tinquete sur l'avant qui est notre mât de misaine actuel, le grand mât au milieu et le mât d'artimon, à l'arrière, que l'on appelait encore mesana (en anglais mizen mast).

Ces trois mâts, en principe, portaient, enverguées sur de grandes antennes, des voiles latines triangulaires. Souvent, dans les traversées un peu dures, pour fuir devant le temps, les lourdes antennes étaient amenées sur le pont et une voile carrée montée sur une vergue relativement petite et légère, établie sur le mât de trinquette. Quelquefois, le gréement latin de ce mât   était remplacé d'emblée par deux voiles carrées superposées et à l'avant on plaçait le beaupré, petit mât presque horizontal portant la civadière.

Les nao rotunda, nave, nefs, ou caraques, seules, avaient des voiles carrées au mât de trinquette et au grand mât.

C. Colomb fit transformer la Santa Maria, la plus grande des caravelles, sorte de transition par son tonnage et même ses formes entre la caravelle et la nef, en lui donnant un gréement de nef, c'est-à-dire avec voiles carrées sur le mât de trinquette et le grand mât, l'artimon continuant seul à porter une voile latine, l'artimon.

Plus tard, lorsqu'il fallut faire escale aux Canaries, pour réparer une avarie du gouvernail de la Pinta, on en profita pour transformer de la même façon le gréement, non pas de la Pinta, comme il a été dit, mais de la Niña. La Pinta resta donc seule gréée avec une voilure entièrement latine.

Il est vraisemblable, sinon certain, que lorsque le remarquable et avisé marin qu'était Colomb décida que pour affronter non seulement les grands vents, mais surtout la grande houle de l'Atlantique, cette voilure carrée était à la fois plus pratique et plus sûre, il trouva de la résistance chez les deux frères Pinzon, capitaines des autres caravelles. Mais, par la simple traversée jusqu'aux Canaries, Vicente Yanez Pinzon, capitaine de la se rendit compte de la perspicacité de l'Amiral et profita de l'escale forcée pour suivre son exemple. Martin Alonso Pinzon, au contraire, vaniteux et indiscipliné, garda sa voilure primitive.

On a prétendu que sans ce navigateur C. Colomb n'aurait jamais rien pu faire et qu'il fut le véritable chef de l'expédition. Cependant, ceci prouve déjà l'originalité créatrice de C. Colomb, opposée à l'esprit routinier de M. A. Pinzon.

Il est amusant de remarquer, en passant, l'évolution des navires et de comparer ces caravelles avec les voiliers de notre époque. Les longues et lourdes antennes, avec les grandes voiles triangulaires, ne  persistent que sur les barques ou très petits bâtiments de la Méditerranée ou des environs de Cadix, les glandes antennes, comme les voiles qu'elles portent, sont coupées sur l'avant du mât tandis que la partie antérieure des voiles ainsi réduites est remplacée par les focs ou par les voiles d'étai ; par cette transformation on arrive au gréement latin actuel.

Il est difficile pour un marin de ne pas considérer les bateaux comme des êtres vivants, les Anglais d'ailleurs, peuple essentiellement maritime, ne donnent-ils pas aux navires le genre d'une personne ? et cette assimilation n'est contredite ni par le transformisme, ni par l'adaptation au milieu, si faciles à suivre dans leur histoire.

Les caravelles classiques, à voiles purement latines, deviennent les trois-mâts latins. Les caravelles avec phare carré ou voilure carrée au mât de trinquette (plus tard de misaine), deviennent les trois-mâts goélettes. Les nefs ou caravelles de transition avec phare carré aux deux mâts comme la Santa Maria deviennent les trois, mâts barques.

Lors de notre première expédition antarctique nous avions adopté le trois-mâts latin que nous transformâmes en cours de route en trois-mâts avec phare carré, puis guidé par l'expérience, nous avons adopté, lors de notre seconde expédition, le trois-mâts barque : cela en grande partie pour les mêmes raisons que C. Colomb.

La Santa Maria, le plus illustre des bateaux après l'arche de Noé, prend donc à Palos même, avant le départ, la voilure  des vaisseaux ronds et C. Colomb la désignera toujours comme la nao, la nef ou la capitane, conservant le nom de caravelle pour les deux autres.

Les dimensions généralement admises, et d'ailleurs adoptées pour le joli modèle de la Santa Maria que l'on peut voir au Musée de Marine du Louvre, sont :

Longueur, 39 mètres 10. Plus grande largeur, 7 mètres 84. Tirant d'eau, 3 mètres.

La Santa Maria, comme nous venons de le dire, avait un beaupré, la civadière ; un mât de dimensions faibles sur l'avant, le trinquet ; un grand mât, pièce importante, un peu sur l'arrière du milieu, et enfin, à l'arrière, un mât très court, l'artimon.

Le grand mât était solidement soutenu et maintenu par un étai et des haubans, raidis par des poulies à violon qui remplaçaient nos caps de moutons actuels. L'extrémité supérieure se terminait par une sorte de hune circulaire à encorbellement, pouvant servir pour la vigie et d'où partait un matereau à pible, sorte de mât de flèche, mât de hune, ou pour mieux dire en se servant de la nomenclature de l'époque, mât de gavia, maintenu par des galhaubans et un étai. Le mât d'artimon, court et léger, était garni de galhaubans et surtout de solides bastaques, de même que le mât de trinquet également court mais trapu, qui possédait de plus un solide étai et une emplanture des plus sérieuses.

Sur la civadière se trouvait la voile de civadière, sur le mât de trinquet, la trinquette, sur le grand mât, la papehigo ou treo, plus simplement vela mayor ou grand'voile et au-dessus, la gavia ou hunier. Ces voiles, enverguées sur des vergues horizontales, étaient des voiles dites carrées.

Au mât d'artimon se trouvait, enverguée sur une antenne, la voile latine triangulaire classique, l'artimon qui, plus tard transformé, devint la brigantine mais porte souvent encore de nos jours son nom primitif.

Le gréement courant était complet, pratique et bien compris, drisses, balancines, bras, écoutes, amures, boulines, cargues, etc.

La superficie de la grande voile était augmentée ou diminuée au moyen de deux bandes de toile à voile appelées bonnettes, utilisées indépendamment ou simultanément. La supérieure était aiguilletée sur le bord inférieur (ralingue de fond) de la grande voile, et la bonnette inférieure sur le bord inférieur de la précédente. Afin que l'aiguilletage pût se taire rapidement et sans erreurs, les laizes des bonnettes portaient des lettres correspondantes se suivant par groupes de cinq, A. V. M. G. P. signifiant Ave Virgo Maria Gratia Plena. Ainsi, dans cette opération toujours grave sur un navire, qui consiste à augmenter ou diminuer la voilure, les matelots, tout en travaillant, invoquaient la Vierge et se mettaient sous sa protection. Cette manœuvre s'appelait empalomar las bonatas et était le contraire de la prise de ris qui fut adoptée plus tard, puisqu'on aiguilletait pour augmenter la voilure et qu'on larguait pour la réduire.

La grande voile et la trinquette étaient ornées d'une croix Verte pour l'une, rouge pour l'autre, artistement dessinées.

Ainsi que toutes les caravelles, et d'ailleurs la plus grande majorité des bâtiments à voile de l'époque, la Santa Maria avait un pont central, un château avant et un château arrière.

Le pont du château avant était muni de pavois particulièrement solides.

Au-dessous, sur le pont principal, se trouvaient les écubiers, puis un fort guindeau servant à la manœuvre des câbles d'ancres, qui étaient au nombre de quatre, pesant de onze à douze quintaux.

La Tolda et la Toldilia.

D'avant en arrière venaient : un petit panneau d'écoutille, le foyer de la cuisine, le grand panneau, et de chaque côté de celui-ci, à tribord, le batel (canot de grandes dimensions), à bâbord la chalupa (embarcation qui équivalait au youyou actuel)[19], les pompes, le passage du grand mât, une écoutille moyenne, la bitacora (devenue l'habitacle) et enfin la barre de gouvernail extrêmement longue pour permettre la manœuvre, de cet organe lourd et de grandes dimensions. Le château arrière commençait un peu sur l'arrière du grand mât et était composé de deux étages, la tolda et au-dessus la toldilla. Entre l'un et l'autre se trouvaient les logements.

Tout à fait à l'arrière, se dressait le fanal de poupe, insigne de commandement très artistique, en fer forgé avec parois de talc, qui fut plus tard remplacé par du verre. Seule la capitane avait le droit de porter ce fanal d'ailleurs, si les autres navires pouvaient éventuellement échanger des signaux avec des fanaux hissés dans la mâture, ils ne portaient aucun feu fixe à l'extérieur. A l'intérieur même, la seule lumière permise était celle qui éclairait le compas dans la bitacora.

Toute la vie se passait sur le pont principal et les châteaux, tandis que les cales étaient uniquement occupées par les soutes, le magasin général, etc...

Les pompes, qui étaient en bois recouvert de cuir clouté, donnaient dans un compartiment spécial, la sentine, où s'accumulait l'eau de cale. L'odeur qui s'en dégageait était infecte et lorsque les besoins du service exigeaient qu'on s'y rendît, on commençait par y faire parvenir une chandelle allumée au bout d'une ligne. Si celle-ci s'éteignait, on purifiait la sentine avec du vinaigre ou de l'urine mêlée à de l'eau fraîche avant d'y envoyer du personnel.

La cuisine était une sorte de plateau revêtu de briques avec coins de fer et garanti de trois côtés par un paravent fixe que l'on amarrait sur le pont. C'était une vieille habitude qui s'est conservée fort longtemps, d'avoir une bonne provision de terre pour faire le foyer et une plaisanterie classique consistait, lorsque l'homme de veille criait Terre ! à lui répondre : Oui, oui, on le sait, c'est celle de la cuisine. Cette provision était renouvelée aux escales et la légende veut qu'un mousse descendu à l'île imaginaire des Sept Cités, ayant ramassé de la terre pour le foyer, y trouva de l'or en faisant la cuisine, ce qui prouva son incroyable richesse et incita les navigateurs à la rechercher.

Sur l'extrême avant, un siège percé, poétiquement appelé jardines par les Espagnols, cessi par les Italiens et plus simplement par les marins français poulaines, du nom même de l'endroit du navire où on le plaçait, servait pour tout le monde avec une égalité toute démocratique, quels que soient le grade ou le rang, amiral, passager de marque ou simple mousse.

Le père Antonio de Guevara, chroniqueur de la vie que l'on menait à bord à cette époque, raconte comment certain évêque se lamentait de l'inconfort de ce... disons, laboratoire de physiologie pratique — et se plaignait amèrement de l'étoupe goudronnée que lui passa un matelot prévenant.

Ce n'est que fort avant dans le XVIe siècle que l'on installa des cabines pour les officiers, à bord des navires. A l'époque qui nous intéresse, c'est-à-dire à la fin du XVe, il n'y avait qu'une cabine dans la partie élevée de la poupe sous la toldilla, destinée à l'amiral ou au capitaine.

Elle devait être meublée très sommairement d'une table pour deux personnes, d'un fauteuil, d'un pliant, d'une couchette, peut-être d'une armoire pour les vêtements, et d'un coffre pour les livres, valeurs et documents.

Quand il y avait des passagers de marque, notamment des officiers supérieurs de l'armée, on construisait quelquefois, le long des cloisons du château de poupe, des lits provisoires superposés et fermés par des rideaux. Toute la literie se limitait à un mince matelas qui, pendant le jour, était rangé dans une soute après avoir été bien enfermé dans un sac en toile. Ce sac, en cas de décès, devait servir de linceul au propriétaire du matelas.

Le mobilier à bord des navires était d'une rare pénurie ; on lit dans le contrat d'un voyage que fit Vicente Yanez Pizon en  1508, que les capitaines auraient la jouissance complète de leur cabine, que les pilotes et maîtres auraient droit chacun à un coffre ne mesurant pas plus de cinq palmes sur trois, les marins à un coffre similaire pour deux, les grumetes pour trois et les pages pour quatre.

Matelots, et éventuellement, soldats ou passagers quelconques, couchaient sur le pont avec une planche comme matelas et une rondache comme oreiller, probablement à l'abri de la tolda, mais jamais enfermés afin d'être parés à la première alerte

Christophe Colomb apprit des Indiens l'usage des hamacs et c'est grâce à lui que ce genre de couchage fut plus tard donné aux gens qui vont sur mer.

Pour prendre leurs repas, le capitaine, les maîtres et pilotes avaient une table, mais tous les autres étaient assis sur les talons comme les Maures ou sur leurs genoux comme les femmes et mangeaient dans un plat commun en bois posé sur une pièce de drap afin de ne pas salir le pont.

Toute navigation à cette époque prenait le caractère d'une expédition militaire car, non seulement devait-on craindre les nations avec lesquelles on était en guerre, mais encore les pirates. Les navires étaient donc armés et il semble que la Santa Maria au moins portait deux lombardes constituant l'artillerie lourde , à affûts placées sous la tolda et tirant par des espèces de sabords arrondis, et six fauconneaux, pièces à tir relativement rapide, montées à pivots, quatre sur les rambardes de la toldilla et deux sur les plats-bords du château avant. Toutes ces pièces étaient en fer forgé et lançaient des boulets de fer ou de pierre souvent recouverts de plomb.

Il y avait en outre, bien entendu, un bon approvisionnement de piques, hallebardes, haches, sabres, épées, poignards, arquebuses, rondaches, etc. Les pavillons méritent une attention toute particulière. Au grand mât flottait l'écu royal écartelé de blanc et de rouge avec châteaux d'or et lions de gueules. Cet étendard à forme spéciale, pavillon des royaumes de Castille et de Léon, était planté en terre chaque fois que l'on prenait possession d'une contrée ; c'est lui qui figure sur les cartes et mappemondes.

Au mât de trinquette était hissé un pavillon à queue d'aronde portant sur fond blanc la croix verte avec les initiales de Ferdinand et Isabelle, F. et I. couronnées ; au mât d'artimon une grande flamme ornée d'un aigle noir et de l'écusson royal.

Enfin vient le guidon de commandement, peut-être le plus important de tous. C'était, monté sur une hampe, un petit carré de damas rouge ; d'un côté figurait Jésus crucifié et de l'autre la Sainte Vierge, richement brodés de soie et d'or comme d'ailleurs l'entourage et les glands du coin.

Ce guidon, en temps ordinaire, était conservé dans la cabine du grand amiral. Aux moments solennels de victoire ou de péril, il était arboré à tribord à l'entrée de la chambre et tous se découvraient devant lui. Dans les grandes cérémonies, il était porté par un hérault qui suivait l'amiral, et à son passage les autres pavillons s'inclinaient.

La coque du navire était dans son ensemble passée à la braie préparée à la graisse de baleine. Les peintures d'intérieur étaient très sobres, noir de fumée ou autres aussi discrètes, à peine rehaussées par quelques touches d'ocre rouge. Les peintures d'extérieur étaient voyantes, blanc, bleu, jaune et rouge vif. Sur le tableau arrière figurait une statue de la Vierge tandis qu'une autre de petite taille nichait dans la cloison avant de la chambre, dominant ainsi le pont. Sur les navires très luxueux il y avait de riches ornements en or et en particulier des écussons disposés le long de la rambarde de la toldilla ; ceci n'existait pas sur la vraie Santa Maria qui porta Christophe Colomb, mais ils figurent sur la reconstitution de ce célèbre navire, construite à l'arsenal espagnol de la Carraca en 1892.

La Pinta et la Niña étaient plus petites que la Santa Maria, la première ayant un mètre de moins de longueur et la seconde un peu plus de deux mètres. Nous avons déjà insisté sur leur voilure. Par ailleurs, à peu de choses près, les détails que nous donnons sur la Santa Maria peuvent s'appliquer aux deux autres.

Le tonnage de ces navires, 252 pour la Santa Maria et 147 pour la Niña, représentait à peu près celui des moyens et petits trois-mâts goélettes de Saint-Malo armés pour la pêche à Terre-Neuve ; l'allure au plus près était de six quarts dans de bonnes conditions, et la vitesse, assez grande, pouvait vraisemblablement atteindre huit nœuds. Nous le répétons, c'étaient de bons navires.

 

Les équipages.

Le nombre de personnes qui accompagnèrent C. Colomb dans sa première expédition est très discuté. Les uns disent 90, d'autres 120 et même 200.

Il est fort probable qu'il y avait 90 marins et 30 fonctionnaires civils, soit 120 en tout. Ce chiffre que nous adopterons est déduit de manuscrits, de journaux de bord, etc. et concorde bien avec les listes de vivres et l'espace disponible sur les navires. On connaît les noms de 60 de ces individus.

La Santa Maria était commandée par Christophe Colomb, avec Juan de la Cosa comme pilote, et il était accompagné d'un interprète arabe, juif converti, Luiz de Torre ; l'équipage devait être de 42 hommes.

La Pinta était commandée par Martin Alonso Pinzon ayant comme pilote Martin Pinzon, et comptait 26 hommes d'équipage.

La Niña, commandée par Vicente Yanez Pinzon, avait 22 marins.

De nombreux indésirables faisaient partie de l'expédition. Ceux qui veulent prouver que lés difficultés rencontrées par Colomb étaient dues à sa seule incapacité[20] le contestent. Cependant, nous tenons le fait pour exact, car H. Harrisse nous signale qu'une ordonnance royale, ayant paru le 30 avril 1492, amnistiait de toute action criminelle ceux qui consentiraient à partir avec Christophe Colomb.

Depuis, le chiffre de 24 justiciables des prisons de Palos et de Huelva a été fixé[21], mais on ignore s'ils étaient répartis sur les trois navires ou tous embarqués sur celui de l'Amiral, les Pinzon étant en meilleure posture pour choisir leurs équipages, tandis que Colomb ne pouvait prendre que ce qui s'offrait à lui.

Des textes concernant les expéditions ultérieures nous donnent quelques renseignements sur la constitution des équipages de l'époque ; et c'est ainsi que nous savons qu'une nef un peu supérieure en tonnage à la Santa Maria avait 51 hommes ainsi répartis : un capitaine, un maître ou patron, un contremaître, un pilote, un médecin, quatorze matelots, cinq écuyers, vingt novices ou grumetes, mot d'où vient probablement groom en anglais[22], et sept officiers de nao, soit : un tonnelier, calfat, charpentier, lombardier, bombardier et deux trompettes.

Le médecin remplissait généralement en même temps les fonctions de notaire — combinaison excellente pour les testaments.

Il est reconnu qu'aucun ecclésiastique, aumônier, moine ou missionnaire, ne fit partie de la première expédition. On a voulu y voir la preuve que le but unique de Colomb était l'île des Sept Cités, soi-disant habitée par d'excellents Chrétiens qui, par conséquent, n'avaient pas à être catéchisés ; nous préférons déduire de cette constatation que le navigateur génois n'avait aucunement l'idée de découvrir, en même temps que les Sept Cités, des îles inconnues où il aurait pu convertir des peuplades païennes, mais bien celle d'atteindre le royaume du Grand Khan tel qu'il fut décrit par Marco Polo. C'eût été un manque de tact, et peut-être un danger, d'arriver pour la première fois chez un puissant souverain que les rois catholiques traitaient d'égal à égal — Colomb devait lui remettre une lettre écrite de leurs mains —, en ayant l'air de vouloir convertir ses sujets.

Pas plus que dans l'armée il n'y avait à cette époque d'uniforme pour la marine[23], mais les matelots portaient souvent des bonnets de drap rouge coniques provenant des ateliers célèbres et réputés de Tolède.

Une pièce de vêtement très fréquemment portée par les hommes de mer, et fort pratique contre la pluie et le vent, était une petite cape avec capuchon de couleur grise. Christophe Colomb avait une de ces capes et c'est probablement ce qui a fait dire qu'il était vêtu de la robe des franciscains.

Les trompettes seuls, parce qu'ils servaient de héraults, revêtaient un semblant d'uniforme, ou plutôt une livrée composée de chausses rouges, d'un gilet avec manches pagodes, portant brodées sur la poitrine les armes royales d'Espagne, et une coiffure en drap rouge.

Les provisions consistaient surtout en maïs, graisse, poisson salé, pois chiche, porc salé, raisin sec. Le biscuit, base de l'alimentation, était fabriqué avec une demi-livre de farine, pleine de cancrelats, pétrie en boule avec de l'eau de mer, à laquelle on ajoutait un demi-quart d'eau douce. Ce biscuit, soumis dans les soutes à la chaleur et l'humidité combinées, se gâtait pourtant moins que les autres provisions. N'ayant pas le choix, on mangeait avec appétit, mais de préférence la nuit, pour ne pas voir les vers et sentir moins la pourriture.

L'eau était conservée dans des barriques et des charniers de bois et on pouvait ne distribuer, pendant les longues traversées, qu'un demi-quart par homme et par repas.

 

 

 



[1] Ulloa (Luis), Christophe Colomb Catalan, Paris, Librairie orientale et américaine, Maisonneuve frères, 1927, in-8°.

[2] The Discovery of North America, by Henry Harrisse, Paris, H. Welter, 59, rue Bonaparte, 1892.

Christophe Colomb devant l'Histoire, par Henry Harrisse, 12 oct. 1892. Librairie américaine, Ch. Chadenat, 17, quai des Grands-Augustins, Paris.

[3] 1452 est la date adoptée par André de Hevesy, qui dans une belle étude Christophe Colomb ou l'Heureux Génois, Editions Emile-Paul frères, Paris, 1927, donne entre autres choses de très intéressants détails sur la famille, la naissance et la jeunesse de celui-ci.

[4] Henri Vignaud, Le vrai Christophe Colomb et la Légende, Aug. Picard, éditeur 82, rue Bonaparte, Paris, 1921.

[5] D'après M. d'Avezac (Note lue à la Soc. de Géogr. le 21 décembre 1800) la lieue marine en 1492 était de 5.924 mètres (soit 4 milles romains à 8 stades par mille). Actuellement la lieue marine est de 5.555 mètres, elle équivaut à 3 milles marins de 1.856 mètres. Lorsque nous donnerons textuellement des citations du journal et des lettres de Colomb, nous conserverons les mesures de distance de son époque, mais, dans la discussion, nous n'envisagerons que le mille marin actuel.

[6] Nous ajouterons que Finn Magnusen déjà avant 1867 avait constaté d'après d'anciens documents que justement en 1477 l'hiver en Islande avait été particulièrement doux et qu'on ne trouvait pas de glaces dans les ports.

[7] André de Hevesy, loc. cit. — Documenti e Ricordi Colombiani conservati in Genova, Municipio di Genova, 1926. — De la Roncière, La Géographie, n° mai-juin 1927, p. 425.

[8] Dans un très remarquable travail dont nous n'avons eu connaissance que lorsque notre manuscrit était à l'impression, M. N. Sumien, cependant ami et jusqu'à un certain point collaborateur de H. Vignaud, arrive aux mêmes conclusions que nous par des voies scientifiques irréfutables, et prouve la véracité incontestable de la correspondance entre Christophe Colomb et Toscanelli.

La Correspondance du Savant Florentin Paolo dal Polio Toscanelli avec Christophe Colomb, par N. Sumien, Paris, Soc. d'Editions Géographiques, Maritimes et Coloniales, 1927.

[9] H. Vignaud, loc. cit.

[10] La découverte de la Mer des Sargasses, par Louis Germain, dans les Bulletins de la Société Océanographique de France, IVe année, n° 12, 13 et 14.

[11] M. N. Sumien est encore bien plus sévère que nous dans ses appréciations et plus énergique dans ses expressions, loc. cit.

[12] Si l'incontestable érudition de H. Vignaud, ses travaux et recherches de grande valeur, obligent à prendre des ménagements en critiquant ses opinions, il n'en est pas de même pour ceux qui, dans la suite, se sont contentés pour dénigrer Colomb de reprendre les idées de cet historien sans apporter aucun document nouveau, et ce serait nous exposer a des redites, et ainsi à des pertes de temps, que d'exposer leurs arguments.

[13] Etendant le ciel comme une peau.

[14] Christophe Colomb, son origine, sa vie, ses voyages, sa famille et ses descendants, p. 104, t. I. Etude critique historique par Henry Harrisse, 2 vol. Paris, Ernest Leroux, 1884.

[15] John Boyd Thacher, Christopher Colombus, New-York, Putmann, 1903.

[16] Sur l'affirmation de critiques comme H. Vignaud, nous avions cru devoir rapporter cette histoire de carte de M. A. Pinzon, mais nous ne nous y étions résolu qu'en ajoutant un timide parait-il. M. N. Sumien remet magistralement les choses au point et non seulement traite tout ceci de légende, mais prouve qu'il en est ainsi. Loc. cit., pages 64 et suivantes, page 71. Martin Alonso Pinzon, en somme, ne savait rien d'autre que ce qu'il avait appris par Colomb.

[17] Le vrai Christophe Colomb et la légende, par Henry Vignaud. Ce non-sens a été répété sans citer H. Vignaud dans La véridique aventure de Christophe Colomb, par Marius André. Éditeurs Plon et Nourrit, Paris, page 109, ligne 31.

[18] La Nao Santa Maria en 1802. Memoria de la Comision arqueologica ejecutiva, 1892 (Espagne).

Numero Columbiano della Revista Nautica, 1492-1892. Galleria Subalpina Primo Piano Torino, Italie.

[19] On a cru pendant longtemps qu'il n'y avait qu'une embarcation toujours en remorque — cela était bien invraisemblable car aucune traversée de longue durée n'aurait pu être effectuée dans ces conditions sans risquer de perdre l'embarcation. La vérité est que la mise à bord ou à l'eau étant assez compliquée, on la laissait â l'arrière aussi longtemps que l'état de la mer le permettait, mais avec un palan de bout de vergue on la plaçait sur le pont dès que le temps se gâtait.

[20] Marius André, loc. cit., page 110.

[21] André de Hevesy, loc. cit., page 79.

[22] On trouve également en vieux français gromet qui a évidemment la même origine que grumete et signifiait petit domestique ou laquais.

[23] Marius André nous dit cependant que Colomb était parfois vêtu en Amiral !!!, loc. cit., page 251, ligne 21. Nous voudrions bien connaître cet uniforme de 1493.