FRANÇOIS DE LORRAINE

 

CHAPITRE NEUVIÈME.

 

 

Spectacle qu'offrait la cour au commencement du règne de Charles IX. — La politique de Catherine de Médicis. — Marie Stuart se retire à Reims. — Funérailles du feu roi. — Injures et attaques dont les Guises sont l'objet. — Apparente tranquillité du royaume. — Réunion des états généraux (13 décembre 1560). — Résolutions prises par les états généraux. — Le roi de Navarre demande au tiers état de faire une enquête sur ceux qui ont abusé des libéralités royales. — Prorogation des états. — Le cardinal de Lorraine retourne à Reims, et la cour se retire à Fontainebleau. — Mort du jeune Henri de Bourbon, marquis de Beaupréau. — La cour fait des économies. — Retour de Condé à la cour. — Réconciliation apparente de Condé et de Guise. — Antoine de Bourbon exige que Guise se démette de sa charge de grand chambellan. — Le lieutenant général, Montmorency et les princes veulent quitter la cour. — Réunion des états des provinces. — Catherine de Médicis se flatte d'avoir réconcilié tout le monde. — Sermon de Montluc, évêque de Valence. — Origine du triumvirat. — Politique à double face de Catherine de Médicis. — Sa lettre au Saint-Père. — Antoine de Bourbon chef des protestants. — Il recherche l'alliance des luthériens allemands. — Les triumvirs Guise, Montmorency et Saint-André. — Philippe II chef occulte des catholiques. — Organisation de la ligue catholique. — Inquiétudes de la reine mère. — Son entretien avec Guise. — Sacre du roi. — Incidents. — Agitation dans les provinces. — La reine mère rappelle Guise à la cour. — Entrée triomphale de Guise dans Paris et dans Saint-Germain. — Ordonnance royale. — Le parlement de Paris ne veut pas l'enregistrer. — La cour et le parlement. — Nouvelle ordonnance. — Convocation des prélats de France et des théologiens protestants au colloque de Poissy. — Réunion des états généraux à Pontoise. — État des esprits. — Théodore de Bèze. — Laynez, général des jésuites. — Colloque de Poissy (9 septembre 1561). — Antoine de Bourbon retourne à la religion catholique.

 

Avec le règne de Charles IX, qui monta sur le trône (6 décembre 1560) à l'âge de dix ans et demi, commencent ces longues et terribles guerres de religion, dont la conjuration d'Amboise fut le prélude.

La cour offrait à cette époque (1560-61) le spectacle de toutes les passions, de toutes les haines et de toutes les convoitises. A quelques rares exceptions près, à l'exception surtout du chancelier de l'Hôpital, qui ne cherchait que la pacification des esprits par la tolérance, et le relèvement du royaume par la liberté, il semble que tous les grands personnages, depuis Catherine de Médicis jusqu'au plus obscur délégué des bailliages, tous fussent saisis de vertige et de délire, et incapables les uns et les autres de se rendre compte des maux qu'ils déchaînaient sur leur malheureuse patrie. Catherine de Médicis surtout semblait, au milieu de ces discordes, qu'elle entretenait à plaisir, être dans l'élément le plus propre à sa nature et à son caractère.

Entourée d'une cour de jeunes femmes à qui elle avait inculqué ses principes dissolus et l'amour des intrigues, elle employait, pour dominer ceux dont elle pouvait redouter la puissance, les moyens les plus bas et les plus méprisables au point de vue de la morale et de la politique. Sa première victime fut naturellement la jeune et belle Marie Stuart, à qui elle aurait peut-être pardonné d'avoir, elle aussi, méprisé sa naissance, mais chez laquelle elle redoutait l'effet que sa beauté et son esprit pouvaient produire sur l'imagination du jeune roi. Elle se souvenait de l'influence que la duchesse de Valentinois avait exercée sur Henri II.

La jeune veuve fut bientôt contrainte à quitter la cour pour aller chercher un refuge au couvent de Saint-Pierre-les-Dames de Reims, dont sa tante, Renée de Lorraine, était abbesse.

Les funérailles du feu roi eurent lieu sans faste. Cependant on s'étonna que les Guises, qui avaient tant entouré François II de son vivant, n'accompagnassent pas son corps à Saint-Denis. La satire ne les épargna pas en cette occasion. Elle fut même sanglante. Sur le cercueil royal un écrit fut attaché portant ces mots : Où est Tanneguy du Châtel ? mais il était Français ! Ce Tanneguy du Châtel était un chambellan de Charles VII qui, injustement banni, vint pleurer sur le cercueil de son maître et en fit faire les funérailles à ses frais. Rappeler ce souvenir en de tels termes, c'était reprocher aux Guises et leur ingratitude et leur nationalité. Le reproche est suspect de la part de ceux qui le leur adressèrent. Ils auraient été trop heureux, en effet, de voir les princes lorrains s'éloigner de la cour pour méditer leur ruine en leur absence. Les Guises prétextèrent pour rester la nécessité où ils étaient de ne pas abandonner leur nièce dans ce moment si douloureux pour elle.

Leurs ennemis, les croyant plus tombés en disgrâce et plus faibles qu'ils n'étaient en réalité, les attaquèrent de toutes parts avec cet acharnement dont tous les vaincus sont l'objet. Sur l'instigation du roi de Navarre, Lelongcourt, évêque d'Autun, leur intenta un procès, au sujet d'une terre que Marguerite de Broye, mère de ce prélat, leur avait vendue dans des conditions trop désavantageuses, disait-il. On les accusa de s'être emparés, lorsque François II était mourant, d'une somme de quatre-vingts et même de cent soixante mille livres qui était au trésor de l'épargne. En tous cas, ainsi qu'on l'a fait observer, ce détournement n'aurait pu avoir lieu sans l'assentiment de la reine mère. Or Catherine de Médicis, qui, malgré un revenu de trois cent mille livres, était toujours endettée, aurait gardé la somme pour elle, au lieu de la laisser emporter par les ministres de son fils.

Les Châtillon et le roi de Navarre allèrent jusqu'à faire proposer par les états généraux la restitution de toutes les sommes et de tous les biens qu'on soupçonnait avoir été illicitement acquis sous les deux règnes précédents. Cette proposition, qui était dirigée surtout contre les Guises, ne fit, au contraire, que tourner à leur avantage. Il est constant, du reste, qu'au lieu de s'enrichir alors qu'ils tenaient en main tout le pouvoir royal, ils n'avaient fait que contracter des dettes.

Il faut, du reste, rendre ici justice au duc de Guise. Lorsqu'il vit le roi sur son lit de mort, il savait que le pouvoir allait lui échapper, et qu'il avait soulevé contre lui trop de haines et trop de passions pour n'être pas persuadé qu'il serait l'objet des attaques les plus furieuses et les plus injustes. L'armée, qu'il avait si souvent conduite à la victoire, et qui aimait en lui le plus brave et le plus généreux de ses capitaines, lui était profondément dévouée. Une grande partie de la noblesse et le peuple de Paris le reconnaissaient comme le chef le plus puissant du parti catholique. Par son frère, qui dominait le clergé de France, et qui avait à la fois l'appui de Rome et l'appui de Philippe II, il était sûr d'être soutenu par presque tous les évêques. Il pouvait donc, s'il n'avait été qu'un vulgaire ambitieux, abuser de toutes ces forces et imposer sa volonté aux états généraux, après qu'il se serait emparé des princes et des seigneurs ligués contre lui. Mais, en agissant ainsi, il jetait le pays en pleine guerre civile et recommençait l'œuvre ténébreuse de Condé. Il préféra descendre du pouvoir. Il ne fit que remplir son devoir, c'est vrai ; mais combien eussent été capables à cette époque d'en faire autant ?

Cependant, si l'agitation et les ferments de discorde étaient dans tous les esprits, la paix en apparence la plus grande régnait à la surface. Le jeune monarque avait, avec son beau-frère Philippe II, une correspondance assidue et amicale ; et la reine Catherine de Médicis écrivait également au roi d'Espagne des lettres où elle témoignait d'un zèle exagéré pour la religion catholique, afin d'atténuer, dans l'esprit ombrageux de son beau-fils, le mauvais effet qu'avait pu produire l'arrivée au pouvoir des chefs plus ou moins avoués de la réforme. Les Guises aussi, et principalement le cardinal de Lorraine, ne cessaient de correspondre avec le roi très catholique. On assure que l'habile cardinal aurait voulu faire épouser sa nièce Marie Stuart au prince des Asturies. Mais Catherine de Médicis se mit au travers de ces négociations, ayant conçu le projet de resserrer encore les liens qui unissaient la maison de France à la maison d'Espagne. par le mariage de sa fille Marguerite avec le même prince. Le cardinal de Lorraine, le connétable et le maréchal de Saint-André furent chargés par la reine mère de négocier cette union avec Chantonnay, ministre de Philippe II.

Les états généraux s'ouvraient le 13 décembre. Le roi Charles IX s'y rendit avec Catherine de Médicis, sa mère, le duc d'Orléans, son frère, et Marguerite de France, sa sœur. Venaient ensuite Antoine de Bourbon, roi de Navarre ; Renée de Ferrare, fille de Louis XII ; les cardinaux de Bourbon, de Tournon, de Lorraine, de Chatillon et de Guise ; Charles de Bourbon, de la Roche-sur-Yon ; François de Lorraine, duc de Guise ; le connétable Anne de Montmorency, le chancelier Michel de l'Hôpital, Jacques d'Albon de Saint-André et Charles de Brissac, maréchaux de France ; l'amiral Gaspard de Coligny, la plupart des chevaliers de l'ordre et les conseillers d'État.

Le chancelier commença par un long discours, plus sage et plus modéré que réellement éloquent. Il dit que, par une grâce toute particulière du Seigneur, les mouvements causés dans l'État par la mort du roi, loin d'augmenter, se trouvent apaisés. La paix étant faite au dehors et la concorde régnant au dedans, il n'y a rien à craindre, rien qu'on ne doive espérer. Il rappela la nécessité qu'il y avait pour le souverain de convoquer les états généraux, et quels étaient les devoirs de ces assemblées.

Après cet exorde, il indiqua les points sur lesquels les états avaient à délibérer, qui étaient le culte et les finances. Sur le premier point, il dit que l'assemblée de Fontainebleau avait décidé la réunion d'un concile pour éviter les dissensions dont la guerre civile est la conséquence. Le pape, ajouta-t-il, nous le fait espérer ; mais, en attendant, il ne faut pas permettre que chacun se fasse une religion à sa fantaisie et introduise de nouvelles cérémonies ; car par là non seulement on trouble la tranquillité publique, mais on expose les âmes au danger de se perdre pour l'éternité. Avant de combattre les ennemis de la religion avec les armes matérielles, il voulut que chacun se munît d'abord de vertu, de bonnes œuvres, du pain de la parole de Dieu et de la prière. Ce sont, dit-il, les armes les plus propres au genre de combat que nous avons à livrer. Il voulut que l'on retranchât ces noms odieux de luthériens, huguenots, papistes : noms qui sentent les anciennes factions de Guelfes et de Gibelins. Il termina ainsi son discours : Après avoir pourvu à la tranquillité publique, il faut tourner nos soins sur les finances : le roi les a trouvées tellement épuisées par dix années consécutives de guerre et par d'autres dépenses, qu'un père et un frère semblent ne lui avoir laissé pour tout héritage que des matières de larmes. Sa Majesté est disposée, pour réparer ces pertes, à faire dans sa dépense les retranchements que vous réglerez, et qui ne seront pas incompatibles avec l'éclat et la splendeur qui conviennent au trône.

Ce sont les motifs qui ont porté le roi et la reine sa mère à convoquer et consulter les états du royaume ; à exhorter, par la bouche du chancelier, ceux qui forment cette auguste assemblée, à se dépouiller de toute vue et de toute affection particulières, pour exposer avec une entière liberté ce qu'ils croiront avantageux à l'État. L'intention et la volonté de leurs Majestés est que tous, sans exception, jouissent de cette permission, et que ce qui sera réglé de l'avis de tous les ordres, devienne une loi inviolable de l'État.

Cette réunion préparatoire fut troublée un instant paries murmures des calvinistes, quand ils apprirent qu'ils n'avaient point à délibérer sur la question de la régence, qu'ils voulaient confier au roi de Navarre. Catherine de Médicis, se retranchant derrière une lettre de son fils, ne voulut point laisser poser la question, et. François de Bourbon fut trop faible pour l'exiger. C'est donc à tort que quelques historiens ont présenté Catherine de Médicis comme régente sous Charles IX. Elle en exerça constamment les fonctions, mais elle n'en eut jamais le titre.

Le lendemain, 14 décembre, les trois états se rassemblèrent de nouveau pour délibérer séparément. Le tiers se réunit aux Carmes, le clergé aux Cordeliers, la noblesse aux. Dominicains. Mais ici encore une contestation s'éleva. Une grande partie des représentants considéraient leurs pouvoirs comme expirés depuis la mort du roi. Le conseil décida qu'il fallait passer outre, donnant pour raison que, par la loi du royaume, le mort saisit le vif ; que l'autorité royale ne meurt point, mais qu'elle passe sans interruption du roi défunt à son légitime successeur.

Le cardinal de Lorraine, dont l'éloquence était universellement reconnue, avait espéré, avant la mort de François II, être nommé orateur des trois états. Mais depuis les événements avaient changé de face. Le clergé consentait bien toujours à voter pour lui ; la noblesse et le tiers, ayant des griefs à formuler contre son administration, lui refusèrent leurs voix.

Les députés qui devaient parler au nom des trois états, et qui, à cet effet, avaient des places réservées, furent, à la seconde séance générale, Jean Lange, avocat au parlement de Bordeaux, pour le tiers état ; Jacques de Silly, comte de Rochefort, pour la noblesse ; et Jean Quintin pour le clergé.

Là, encore une fois, les Guises se virent l'objet des plus vives attaques. Les députés des provinces de Bourgogne et de Dauphiné, dont le duc de Guise et le duc d'Aumale étaient gouverneurs, avaient demandé qu'on donnât aux princes lorrains les mêmes titres qu'on donnait aux princes du sang royal. La noblesse s'y refusa. Les Guises se montrèrent fort irrités de ce refus, et traitèrent de factieux ceux qui s'opposaient à leurs prétentions. Le vidame de Chatons alla porter plainte contre les Guises à Catherine de Médicis, qui évita de répondre directement, en disant que les Guises n'avaient parlé de la sorte que contre ceux qui avaient fait entreprise contre la majesté royale.

L'orateur du tiers état borna presque tout son discours à une censure continuelle des mœurs et de la conduite des ecclésiastiques. Il termina en disant : Le tiers demande et supplie très humblement qu'afin de remédier à ces maux le roi emploie son autorité pour faire incessamment célébrer un concile.

Après Lange, ce fut Jacques de Silly, comte de Rochefort, qui parla, au nom de la noblesse, avec beaucoup de dignité et de force[1]. Après avoir proposé de nombreuses réformes concernant la magistrature, la justice et la religion, il voulut aussi que l'on réformât la cupidité des courtisans, en faisant défense de demander les biens des criminels avant qu'ils fussent condamnés, et en ordonnant que ce qui reviendrait des confiscations après le jugement fût employé en œuvres de piété. En terminant, il présenta une requête dont il fit la lecture au roi, par laquelle, au nom de la noblesse, il demandait qu'on lui accordât des temples pour l'exercice de la religion réformée.

Le discours de Jean Quintin, au nom du clergé, fut long et ennuyeux[2]. Pourtant, au milieu des flatteries exagérées décernées au roi, à la reine et aux princes, il fit une virulente sortie contre les protestants, et demanda qu'on punît comme sectaires ceux qui avaient présenté des requêtes en leur faveur. Ces paroles atteignaient directement Coligny, qui s'en plaignit au roi comme d'une injure, dont il voulait une réparation publique. Sur ses instances énergiques et réitérées, Quintin consentit à accorder dans le discours de clôture la satisfaction que l'amiral demandait.

Quelques sages résolutions, malheureusement restées sans effet, furent prises pendant la durée des états généraux. Les prélats eurent ordre de se tenir prêts pour le concile de Trente. Les juges de province furent tenus de rendre la liberté et les biens à ceux qui en avaient été privés pour cause de religion, et défense fut faite à tous les sujets de se maltraiter les uns les autres sous le même prétexte. Il fut aussi convenu que tout le monde devait suivre les anciens rites de l'Église jusqu'après la décision du concile.

Les Guises, les Bourbon, et les Châtillon, tout en paraissant vivre en excellente intelligence, ne négligeaient aucune occasion pour s'attaquer plus ou moins ouvertement. Montmorency dénonça au roi de Navarre le duc de Nemours, comme ayant posté des gardes dans les faubourgs pour le surprendre. On savait que Nemours était profondément dévoué au duc de Guise. Le connétable profita de cette occasion pour ne plus quitter le roi de Navarre, qui habitait le même hôtel que le roi et ne sortait que fort peu. Catherine de Médicis, après avoir pris les informations les plus minutieuses, ne découvrit aucune trace de cette conspiration. Cependant elle manda en sa présence le duc de Nemours pour se disculper. Le duc se rendit à l'ordre de la reine, accompagné du duc de Guise. Il ne lui fut pas difficile de prouver qu'il n'avait rien tenté, rien ourdi contre la vie ou contre la liberté du roi de Navarre.

De son côté, sur l'instigation des. Châtillon probablement, le roi de Navarre se préparait à frapper les Guises en les atteignant dans leur fortune.

La situation financière du royaume, malgré les réformes économiques apportées par le cardinal de Lorraine, était dans une situation déplorable. François Ier, en mourant, avait laissé le trésor en pleine prospérité ; mais, depuis Henri II, toute l'épargne avait été absorbée, et les domaines royaux étaient obérés d'une dette de plus de quarante millions, rendue plus exorbitante encore par l'intérêt qui, à cette époque, était de douze pour cent. Le roi de Navarre, au nom du conseil, se présenta aux Cordeliers, où siégeait le tiers état, pour obtenir qu'une enquête fût faite sur tous ceux qui avaient abusé des libéralités royales et les contraindre à les restituer. Il s'offrit le premier à donner l'exemple, bien qu'il fût d'un rang à en être excepté. Le chancelier fit tous ses efforts pour que cette résolution n'eût pas de suites, prévoyant les conflits nouveaux qu'elle allait amener. Ce fut, en effet, cette motion, présentée par le roi de Navarre, qui fut la première cause du rapprochement entre le duc de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André.

Le 31 janvier 1561, les états généraux furent prorogés pour ère repris au mois de mai de la même année. Seulement, pour éviter des dépenses, il fut décidé qu'il n'y aurait qu'un député par province, au lieu d'un député par bailliage, et que cc député serait muni d'instructions nécessaires pour éteindre la dette royale. Il fut convenu, en outre, que ce serait dans la prochaine assemblée que la requête du comte de Rochefort serait étudiée.

Le cardinal de Lorraine quitta immédiatement Orléans pour retourner à Reims, sous le prétexte spécieux, dit de Thou, de visiter son troupeau. Que le prétexte fût spécieux ou nom, le cardinal, pendant tout le séjour qu'il fit dans son diocèse, donna l'exemple de grandes vertus chrétiennes, et prêcha avec une éloquence admirable. II apporta aussi de sages réformes dans l'administration de son clergé. Le cardinal de Lorraine se serait fait une place à côté des Massillon, des Fléchier, des Fénelon, si, moins entraîné par la politique, il n'avait consacré son immense talent qu'à l'exercice de son saint ministère.

Après la clôture des états généraux, et pour attendre leur réouverture, qui devait avoir lieu à Pontoise, la cour retourna à Fontainebleau. Elle fut troublée par un douloureux accident pendant le séjour qu'elle fit à Orléans. Presque en même temps que la maison royale de France perdait, dans la personne du roi François II, le chef de sa famille, le dernier des princes de cette race, un enfant de quinze ans, Henri de Bourbon, marquis de Beaupréau, faisait une chute de cheval, et était tué par Robert de la Marck, qui, accourant derrière lui et n'ayant pu arrêter sa monture à temps, l'écrasait sous les fers de son cheval. Le jeune prince donnait les plus brillantes espérances, et sa mort, qui mit toute la cour en deuil, coïncidant avec celle du roi, fut considérée comme un sombre présage d'avenir.

Au commencement de l'année 1561, le conseil décida qu'il serait apporté de notables réductions dans les dépenses. Les gages des gentilshommes de la chambre et des autres officiers furent réduits à moitié, et les pensions précédemment accordées furent réduites d'un tiers. Exception fut faite toutefois pour les pensions viagères accordées aux étrangers. Cette exception fut l'objet d'une requête adressée au roi de Navarre, dans laquelle étaient vivement attaqués les Suisses, et principalement les Italiens. Le roi de Navarre ne présenta point ce mémoire à la reine dans la crainte de l'offenser.

Quand la cour fut arrivée à Fontainebleau, le roi écrivit au prince de Condé pour le rappeler près de lui. Le prince quitta la gère avec une escorte de sept à huit cents cavaliers. Il semblait vouloir aussi imposer par la force les conditions qu'il avait mises à son retour, et qui étaient le départ immédiat du duc de Guise et de ses frères de la résidence royale. Catherine s'effraya d'un tel déploiement de forces, et ordonna à Guise de prendre des mesures en conséquence. Le prince lorrain, ayant posté ses troupes, vint se joindre aux seigneurs et gentilshommes qui devaient aller à la rencontre de Condé. Mais le chef turbulent des huguenots, ayant renoncé à ses projets belliqueux, se sépara de son escorte et fit son entrée à Li cour, accompagné seulement du comte de la Rochefoucauld et de Senarpont. Le lendemain, le prince fut admis au conseil privé. Après s'être justifié des imputations qui pesaient sur lui, il demanda au chancelier s'il existait quelques preuves de sa culpabilité. « Non, » répondit le chancelier ; et le prince fut déclaré innocent par l'acte que signèrent tous les membres du conseil. Cela se passait le 15 mars. Le 13 juin, le parlement de Paris confirma cette déclaration.

Le 24 août, en présence du roi et de toute la cour, eut lieu encore une scène de comédie dans le genre de celle d'Amboise. Charles IX ayant interpellé Guise au sujet de l'emprisonnement de Condé, celui-ci protesta de n'avoir jamais mis en avant chose qui fût contre l'honneur du prince. Il ajouta qu'il n'avait été ni auteur ni instigateur de son emprisonnement. Monsieur, dit Condé, je tiens pour méchant et malheureux celui ou ceux qui en ont été cause. — Je le crois ainsi, Monsieur, répondit Guise, mais cela ne me touche en rien. Cette scène, inspirée sans doute par Catherine de Médicis, fut appelée acte de réconciliation ; et après que Bourbon et Guise se furent embrassés, il en fut dressé procès-verbal.

Mais tandis que Condé faisait semblant de se réconcilier avec les Guises, le roi de Navarre, chez qui l'ambition se réveillait, poussé à la fois par sa femme et par les Châtillon, dénonçait les princes lorrains à Catherine de Médicis. Il reprochait à la reine de les avoir sans cesse auprès d'elle, de le sacrifier à leurs rancunes, et voulait exiger que les clefs du château lui fussent remises. Catherine de Médicis lui fit observer que les Guises ne faisaient que remplir à la cour les charges dont ils étaient investis ; que tant que Montmorency avait été maître des cérémonies il avait eu les clefs des appartements, et que c'était maintenant au tour de François de Guise à les avoir en sa qualité de grand maître. Guise répondit aux prétentions du roi de Navarre en disant qu'il se ferait plutôt tuer que de lui céder sans un ordre exprès de la reine. Catherine crut trancher le différend en ordonnant qu'à l'avenir ces clefs fussent remises au capitaine de ses gardes, qui aurait soin de les lui rapporter chaque soir. Cette demi-mesure ne satisfit personne. Le roi de Navarre résolut de quitter Fontainebleau, en laissant clairement à entendre qu'il allait à Paris pour se faire nommer par le parlement régent du royaume, charge dont il voulait être investi. Les princes du sang, le connétable de Montmorency et les Châtillon avaient aussi préparé leurs équipages et s'apprêtaient à suivre Bourbon. Le roi appela auprès de lui le connétable, dont il connaissait le dévouement absolu à sa personne, et lui intima l'ordre de ne pas l'abandonner. Le vieux connétable n'osa pas désobéir aux ordres de son jeune roi. Le roi de Navarre et les princes privés de l'appui du brave guerrier, craignant, du reste, de ne pas obtenir du parlement ce qu'ils désiraient, et que la reine ne s'habituât à se passer d'eux, firent dételer leurs équipages et ne parlèrent plus de s'en aller.

Les états des provinces étaient assemblés. Ceux de l'Île-de-France, qui siégeaient à Paris, faisaient grand bruit au sujet de la question soulevée à Orléans concernant la restitution des sommes que le roi Henri II avait trop libéralement accordées à la duchesse de Valentinois, aux Montmorency, aux Guises, au maréchal de Saint-André et autres grands seigneurs.

Les états des autres provinces devaient suivre l'exemple de ceux de l'Île-de-France, et exiger de plus que la régence du royaume fût confiée au roi de Navarre. Catherine de Médicis se montra vivement émue de ces résolutions, et jugea prudent de faire immédiatement la paix avec le roi de Navarre par l'entremise du connétable.

Dès lors il fut convenu qu'Antoine de Bourbon serait déclaré dans toutes les provinces lieutenant général du royaume, et que la reine mère ne ferait rien sans son consentement. Un acte fut dressé de leurs conventions par les secrétaires d'État, et signé par les parties contractantes et par les princes du sang appelés exprès de Paris.

François de Montmorency, fils du connétable, qui était gouverneur de l'Île-de-France, fut chargé de se rendre aux états qu'il devait présider, pour qu'ils ne fussent composés que d'hommes sages et modérés, incapables de se mêler des choses du royaume qui ne les regardaient pas. Le duc s'acquitta de cette mission de façon à ne se point rendre suspect au roi de Navarre[3].

Les Guises ayant aussi contre signé cet acte, la reine se flattait d'avoir mis désormais tout le monde d'accord. Le jour de Pâques, le roi, les ducs d'Orléans, de Montpensier, de Guise, le connétable et la reine mère devaient sceller leur réconciliation en assistant tous ensemble à la messe, et en recevant la communion des mains du cardinal de Tournon. Mais, fidèle à son système de bascule, Catherine désigna Montluc pour prononcer le sermon. Ce prélat, qui devait plus tard faire l'apologie de la Saint-Barthélemy, était alors fort empreint d'hérésie, et avait le privilège de déplaire surtout au vieux connétable, qui se montra choqué de ce choix. Guise aussi s'en plaignit hautement.

C'est ici que la politique artificieuse de Catherine de Médicis apparaît sous son aspect le plus ténébreux. C'est aussi à cette politique de compromis et d'expédients qu'il faut faire remonter la première cause qui détermina l'alliance conclue entre François de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André, alliance connue dans l'histoire sous le nom de triumvirat, et qui, marquant la scission entre les catholiques et les huguenots, fut le point de départ de la Ligue.

Lorsque Catherine de Médicis-se crut à la veille d'être dépossédée de la régence, elle mit tout en œuvre pour se réconcilier avec le roi de Navarre ; cette réconciliation, on vient de le voir, se fit par l'intermédiaire du connétable de Montmorency. Comme preuve de sa sincérité dans le pacte qu'elle venait de conclure, et pour complaire à Bourbon et aux réformés, elle écrivait au pape Pie IV une lettre où chaque mot, selon l'expression de de Thou, devait faire frémir le chef de l'Église. Feignant d'ignorer et de respecter-les mystères de la théologie, la reine affectait le savoir d'un docteur de la nouvelle école et en décelait les opinions. Elle demandait an pontife la suppression des images condamnées par Dieu même (sic) et désapprouvées par saint Grégoire ; la suppression de plusieurs fêtes, et particulièrement de la Fête-Dieu, nouvellement introduite ; enfin la liberté d'employer le français dans les prières publiques. Cette lettre fut écrite, il est probable, sous l'inspiration de Montluc, évêque de Valence. Mais en même temps, fidèle son système, elle en écrivait une seconde au souverain pontife, où elle démentait tout ce qu'elle avait dit dans la première, mettant cette palinodie sur le compte de la politique.

De son côté, Antoine de Bourbon pressé de plus en plus par Jeanne d'Albret sa femme, par Condé et par Coligny, prenait au sérieux son rôle de chef de la secte protestante, ne rêvant rien moins que l'écrasement complet de la religion catholique en Europe. Les ambassadeurs de toutes les puissances venaient d'arriver à la cour, pour adresser au roi leurs compliments de condoléance au sujet de la mort de son frère, et le féliciter de son avènement à la couronne. Parmi eux se trouvait Georges Glück, ambassadeur du roi de Danemark. Le lieutenant général du royaume lui témoigna une affection toute particulière, et dans un entretien qu'ils eurent ensemble il lui assura qu'avant la fia de l'année la religion calviniste aurait triomphé. L'ambassadeur alors l'engagea à professer la confession d'Augsbourg, l'assurant que cette préférence ferait plaisir aux rois de Danemark et de Suède, ainsi qu'aux princes protestants d'Allemagne, dont les domaines n'étaient pas moins étendus que ceux des rois et des princes soumis au pape. On dit que le roi de Navarre répliqua que Luther et Calvin étaient opposés à Rome sur quarante chefs, et qu'ils convenaient entra eux sur trente-huit. Qu'ainsi, comme il n'en restait que deux en litige, son avis était de réunir les forces et les troupes de l'un et de l'autre parti, pour accabler l'ennemi commun ; qu'étant une fois abattu, il serait aisé de se concilier, et de rendre ainsi à l'Église son ancienne pureté et son premier éclat[4].

Déjà une fois, Condé et la Renaudie n'avaient pas hésité à se mettre en rapport avec les princes luthériens allemands et avec la reine d'Angleterre pour les aider dans leur entreprise. Ici encore appel est fait à l'étranger pour écraser, au besoin, les catholiques de France ; de plus, les bases d'une immense conjuration sont posées pour assurer par le fer, dans toute l'Europe, le triomphe du protestantisme. Si, plus tard, les catholiques ont commis de tristes et sanglants excès en repoussant la violence par la violence, si même ils eurent besoin de s'appuyer sur l'Espagne, n'y furent-ils pas contraints par leurs ennemis eux-mêmes ?

Au milieu des haines, des passions, des conflits de toutes sortes, soutenus par l'ambition des uns, par le fanatisme des autres, les consciences effra3ées cherchaient un chef autour duquel elles pussent se grouper, et n'en trouvaient qu'un : c'était le duc de Guise. Catholique par conviction, digne héritier de son père, qui avait repoussé les bandes protestantes d'Érasme Gerbert, fidèle aux sentiments que sa sainte et noble mère avait inculqués dans son cœur, il était destiné d'avance, par son courage, par sa foi et par son génie, à être le chef des catholiques et à combattre et à mourir pour la religion de ses pères.

A côté de Guise, sur un plan moins élevé, mais occupant cependant une des premières places dans l'histoire des événements qui se sont produits à cette époque, se dressent le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André.

Le Vieux connétable, qui tenait de sa race illustre entre lés plus illustres, noble entre les plus nobles, cette devise : Dieu conserve le premier chrétien, était un soldat qui ne se piquait point de théologie. Rude d'aspect et de caractère, hargneux même envers ses mitres, il gardait dans le fond de son cœur deux cultes également sacrés pour lui : sa religion et Son roi. Lorsque, revenant de son château, où le tenait emprisonné, en quelque sorte, la puissance des Guises, il vint saluer, à Orléans, le jeune roi Charles IX, ce fut en pleurant que le vieux soldat, durci à tant de guerres, baisa la main de son jeune maître. Les questions de rivalité, d'ambition personnelle l'avaient fait, jusque-là, le rival et souvent l'ennemi de François de Guise ; mais, lorsqu'il vit que le protestantisme était sur le point de gagner toute la France, que les prédicants étaient partout tolérés et même protégés, que des prêches étaient faits à la cour par ordre de la reine, et que, même dans des églises catholiques, les évêques, comme Montluc, enseignaient des doctrines empreintes d'hérésie, et, pour complaire à la reine mère, prenaient des airs de ministres protestants, il ne voulut pas davantage prêter son appui à une politique si tortueuse et rompit brusquement avec ses neveux les Châtillon, et même avec son fils le maréchal de Montmorency. Résolu à vivre et à mourir en restant fidèle jusqu'au bout à la religion de ses ancêtres et de son roi, oubliant ses rancunes passées, il vint faire alliance avec le duc de Guise. Ce fut sous l'empire de ces sentiments qu'il reçut le maréchal de Saint-André lorsque celui-ci vint lui proposer l'alliance connue sous le nom de triumvirat.

Jacques d'Albon, maréchal de Saint-André, appartenait à une excellente famille du Lyonnais. Il possédait de grands talents militaires ; mais c'était surtout un habile et rusé négociateur. Homme de plaisir et de luxe, il avait, par la duchesse de Valentinois, réellement abusé des libéralités royales. Craignant d'avoir à rendre un compte trop sévère de sa fortune aux états généraux, il se rangea du côté de Guise et de Montmorency, sachant qu'ils se trouvaient, eux aussi, dans une situation à peu près identique à la sienne ; car c'était surtout contre les princes lorrains que la proposition de la reddition des comptes avait été émise par Antoine de Bourbon. Ce fut donc, il faut le reconnaître, dans un but exclusif d'intérêt personnel qu'il se fit le négociateur entre Guise et Montmorency, et qu'il posa les conditions de leur alliance.

Que le triumvirat ait existé de fait, cela est indiscutable. Son action a été trop prépondérante, et les faits qu'il a produits trop éclatants, pour que son existence puisse faire l'objet d'un doute. Mais, ce qui est moins certain, c'est l'existence authentique du pacte conclu à cette occasion par les trois puissants personnages que nous venons de nommer, bien qu'il se trouve relaté tout au long dans les mémoires-journaux du duc de Guise.

Ce plan, dit Anquetil, peu suspect de partialité envers les ligueurs, paraît n'avoir été, pour lors, qu'une de ces pièces qu'on accrédite afin de noircir ceux qu'on veut rendre odieux.

C'était au roi Philippe que devait être confiée la surintendance de toute l'affaire. C'était lui aussi, d'un commun consentement, le chef et le conducteur de l'entreprise.

Le roi d'Espagne devait commencer par faire quelques remontrances au roi de Navarre, sur les dangers que la nouvelle religion faisait courir au jeune roi son pupille. Pour engager le lieutenant général à changer sa politique à l'égard des huguenots, Philippe devait lui faire espérer la prochaine restitution du royaume de Navarre. Si Bourbon ne se rendait ni aux prières ni aux menaces du roi Philippe, la guerre alors serait déclarée.

Le roi de Navarre devait d'abord avoir à lutter contre le roi d'Espagne, qui le prenait à l'improviste. Si, cependant, il était assez soutenu par les huguenots pour opposer une résistance sérieuse, le duc de Guise se déclarerait chef de la confession catholique et entrerait à son tour en ligne, et, très certainement alors, Antoine de Bourbon serait chassé de France, étant mis hors d'état de tenir tête à deux chefs si puissants.

L'empereur d'Allemagne et les autres princes allemands qui étaient encore catholiques devaient, de leur côté, boucher les passages qui vont en France, de peur que les princes protestants ne fassent passer quelques forces et envoient secours audit roi de Navarre ; de peur aussi que les cantons suisses ne lui prêtent aide, faut que les cantons suisses qui suivent encore l'autorité de l'Église romaine dénoncent la guerre aux autres. Le pape devait fournir sous main l'argent nécessaire. Le duc de Savoie devait anéantir Genève. Le pape et les princes d'Italie devaient reconnaître pour chef de leur armée le duc de Ferrare ; cette armée devait se joindre à celle du duc de Savoie, augmentée encore de quelques compagnies de gens de pied et de cheval envoyées par l'empereur Ferdinand.

Une fois les protestants écrasés en France, l'armée catholique devait envahir l'Allemagne, et, avec l'aide de l'Empereur et des évêques, la rendre et restituer au Saint-Siège apostolique. La guerre menaçant d'être longue, le duc de Guise devait prêter à l'Empereur et aux princes d'Allemagne tout l'argent ramassé, provenant des confiscations et dépouilles des nobles et bourgeois de la nouvelle religion. Guise devait prendre suffisantes cautions pour être remboursé sur les dépouilles des luthériens allemands. Les évêques et les cardinaux devaient aussi se priver d'une notable partie de leurs revenus pour la donner de franche volonté à l'entretènement de la guerre conduite pour extirper la secte des luthériens et calvinistes, et restablir l'Église romaine jusqu'à ce que la chose soit conduite à heureuse fin.

Ce plan, il est vrai, devait mettre toute l'Europe à feu et à sang ; mais il n'est, en somme, que la contrepartie de la conjuration entreprise par le roi de Navarre et les Coligny, avec le concours des princes luthériens allemands. Nous le répétons, le document qui relate les faits que nous venons d'exposer n'est rien moins qu'authentique, tandis, au contraire, que l'alliance des calvinistes de France avec les luthériens d'Allemagne et les anglicans est dûment constatée.

Pour cimenter leur union, le connétable et les princes lorrains entendirent la messe et communièrent ensemble. Le soir, le connétable invita Guise et le maréchal de Saint-André à un souper de grand apparat, auquel assista aussi le jeune prince Henri de Joinville, qui, sous le nom du Balafré, devait devenir plus tard le chef des ligueurs.

Le lendemain, le connétable de Montmorency se rendait à Chantilly, pour assister au mariage de Guillaume de Tauret, son fils, avec Éléonore d'Humières. Quelques jours après, Guise quittait également Fontainebleau pour se rendre à sa terre de Nanteil, située à quelques lieues de Chantilly. Pendant les quelques jours qu'ils passèrent dans leurs domaines, le connétable et le duc de Guise eurent de fréquentes entrevues et se firent mille compliments et politesses par les courriers qu'ils s'envoyaient sans cesse l'un à l'autre[5].

La reine mère, ne se croyant en sûreté que tant que la haine et la division régneraient entre les grands du royaume, ne vit pas sans effroi l'intimité qui s'établissait entre Guise et Montmorency.

Cependant, tout en cherchant à savoir quel serait le résultat de cette alliance, la reine s'occupait des préparatifs du sacre de son fils.

La cour quitta Fontainebleau pour se rendre à une maison de plaisance appartenant à Catherine de Médicis et située à Monceaux-en-Brie. De Monceaux elle prit la route de Reims, où le jeune roi devait être sacré par les mains du cardinal de Lorraine. dais Catherine de Médicis, qui voulait savoir à quoi s'en tenir sur le triumvirat, s'arrêta à Nanteil, sous le prétexte de prendre le duc de. Guise en route ; mais, en réalité, pour avoir une conférence avec lui et pénétrer ses desseins. Elle demanda à Guise s'il était vrai qu'il eût formé une conjuration dans le but de maintenir la religion ainsi que l'autorité du roi et la sienne propre. Fort de sa conscience, Guise répondit par l'affirmative et se déclara prêt à comparaître devant le parlement de Paris pour rendre compte de ses actions. Voulant s'assurer alors jusqu'à quelle extrémité Guise pouvait porter ses résolutions, elle lui demanda, si, par aventure, elle et le roi embrassaient la religion réformée, s'il leur refuserait son obéissance. La réponse de Guise fut franche et catégorique. Il déclara que, tant que le roi et elle suivraient les traces de leurs prédécesseurs, il était prêt à mourir pour leur service, ne prétendant à autre chose qu'à maintenir la foi dans le royaume et la couronne sur la tête de son souverain. Mais il déclara aussi que si le roi reniait la religion de ses pères, il se perdait et perdait un royaume auquel il avait tant d'obligations.

Dès lors Catherine comprit combien était puissante et résolue dans ses desseins la ligue qui venait de se former, et qui avait placé à sa tête un chef aussi énergique et aussi dévoué aux intérêts de la religion.

Quand la cour arriva à Reims, Jacqueline de Rohan, veuve de François d'Orléans, écrivit à la reine pour la supplier que son fils, le duc de Longueville, remplît au sacre les fonctions de grand chambellan. Il y avait cent vingt ans environ, c'est-à-dire depuis Charles VII, qu'en récompense de leurs services les descendants du fils naturel de Louis, duc d'Orléans, jouissaient de cette prérogative. Mais, depuis les deux règnes précédents, ils s'en étaient vus frustrés au bénéfice des princes lorrains. Guise répondit qu'il voulait bien consentir, pour cette fois seulement, à céder ses fonctions au jeune duc de Longueville, mais sous la condition expresse que cela ne créerait pas un précédent, et ne serait considéré de sa part que comme un acte de courtoisie. Jacqueline de Rohan refusa la grâce qu'on prétendait lui faire, et son fils, le duc de Longueville, ne voulut plus consentir désormais à épouser la fille du duc de Guise, à laquelle il était fiancé depuis longtemps. Du reste, le duc de Longueville avait déjà embrassé la religion réformée, et n'avait pas voulu entendre la messe avec le duc de Guise. Ce fut le jeune prince de Joinville qui aida son père dans les fonctions de chambellan à la cérémonie du sacre. Le duc de Guise prit rang parmi les pairs après le roi de Navarre. Sur la volonté de Catherine de Médicis, ce fut Henri, le frère du roi, qui eut le premier rang.

Pendant le séjour de la cour à Reims, le cardinal de Lorraine fit, dans le conseil, de chaleureux et éloquents discours pour le maintien de la religion catholique. Il signala avec force les dangers que la réforme faisait courir au royaume, et ses observations, assure-t-on, contribuèrent puissamment à déterminer le chancelier à lancer plus tard l'édit de juillet.

La cour était revenue à Saint-Germain, et chaque jour la reine et son conseil apprenaient que de nouvelles agitations venaient d'éclater à Paris et dans les provinces. Ce n'étaient, d'un bout à l'autre de la France, que sombres et terribles pronostics de guerre civile. L'orage grondait sourdement et n'attendait qu'une occasion pour éclater. Lorsque le ciel est noir et roule de lourds nuages, on voit fréquemment leurs flancs déchirés par de sinistres éclairs, avant-coureurs de la tempête.

Par moments, catholiques et protestants, après s'être traités de papistes et de huguenots, se laissaient aller à quelques déplorables excès, et le sang coulait de part et d'autre. Ici c'était un prédicant, là un prêtre, qui tombaient victimes des fureurs populaires. Ces exécutions sommaires étaient les éclairs précurseurs de la grande tempête qui allait passer sur la France et la ravager.

François de Lorraine était retourné à Guise. La reine, qui avait vu avec joie son éloignement de la cour et qui s'était de plus en plus livrée aux Coligny, était maintenant toute tremblante, constatant chaque jour avec effroi l'impuissance où elle se trouvait de prévenir les troubles dont le pays était menacé. Dans son entourage elle ne voyait personne dont le nom fût assez populaire et assez aimé pour contenir la populace de Paris et éviter d'horribles massacres, si les protestants, ainsi qu'on le craignait, voulaient s'opposer à la procession de la Fête-Dieu. Guise seul pouvait remplir ce grand rôle de pacificateur, par l'ascendant qu'il exerçait sur les catholiques et par l'effroi que son nom seul inspirait aux protestants. Catherine n'hésita pas à le rappeler auprès d'elle, et lui écrivit, à cet effet, plusieurs lettres qui l'informaient de la situation. Guise était bien résolu à attendre les événements et à ne pas se mêler de politique. Mais c'était à son zèle pour la religion que l'on faisait appel, il ne pouvait manquer d'y répondre : Puisque c'est pour l'honneur de Dieu, dit-il, j'y vais ; et qui voudra y entreprendre, j'y mourrai, ne pouvant mieux mourir. Deux jours après, la veille de la Fête-Dieu, il faisait dans Paris son entrée triomphale. Sa venue relevait le courage des catholiques et jetait la consternation dans le camp des huguenots. À peine installé dans son hôtel, il manda près de lui les principaux magistrats de la ville, pour leur donner ses ordres et leur dicter les mesures propres à assurer la tranquillité publique. Le lendemain, à son lever, il fut salué par une foule immense de seigneurs, de gentilshommes et de capitaines qui venaient lui présenter leurs hommages et briguaient l'honneur de lui faire escorte. Ce fut à la tête d'un cortège vraiment royal qu'il traversa Paris. Le duc montait un magnifique cheval noir appelé le Mores, caparaçonné d'une grande housse de velours noir avec des broderies en argent. Selon l'usage de l'époque, François de Lorraine portait les couleurs d'une dame qu'il avait aimée dans sa jeunesse et qui étaient en satin cramoisi. Le manteau était de velours noir. Sa toque était de la même étoffe que le manteau et surmontée d'une haute plume rouge. Il avait la dague à la ceinture, et portait au côté une belle et bonne épée qu'il avait lui-même choisie entre trois.

Ce fut à la tête de trois cents gentilshommes volontaires qu'il traversa Paris aux acclamations de la foule, pour se rendre à Saint-Germain, où Charles IX et sa mère étaient logés. Les solennités religieuses de la Fête-Dieu eurent lieu sans accident regrettable. Du reste, Condé, qui aurait pu seul susciter quelques désordres, était occupé, en ce moment, à obtenir du parlement de Paris l'enregistrement de l'acte qui le justifiait du crime de lèse-majesté. Ce fut à cette époque aussi qu'eut lieu la réconciliation de Condé et de Guise, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent.

Mais le duc de Guise ne pouvait exercer partout sa salutaire influence. Redoutant de terribles explosions en province, Catherine et le chancelier lancèrent, au nom du roi, une ordonnance adressée aux gouverneurs et non aux parlements, afin qu'elle fût immédiatement exécutée.

Par cette ordonnance, défense était faite d'employer les noms odieux de huguenots et de papistes, de troubler la sûreté et la tranquillité publiques, d'opérer des perquisitions dans les maisons sous prétexte d'assurer l'exécution des anciens édits. La liberté devait être rendue à ceux qui étaient en prison pour cause de religion. La seule réserve était que chacun devait vivre en catholique et sans scandale. Ceux qui ne voulaient pas se résoudre à cette condition, cependant bien facile à éluder, pouvaient vendre leurs biens et se retirer hors du royaume.

Le parlement ne voulut pas enregistrer cette ordonnance, qui avait été lancée en dehors de toutes les formes légales, qui ouvrait la porte à toutes les dissensions civiles et religieuses, et qui, en fin de compte, allait contre les lois du royaume, d'après lesquelles il était défendu de porter l'argent de la France à l'étranger et surtout à l'ennemi. Le parlement de Paris défendit, par un arrêt, la publication de cette ordonnance, qui n'en fut pas moins exécutée dans la plus grande partie du royaume.

Il fallait pourtant prendre des mesures pour sortir du chaos dans lequel on se trouvait. Ce fut à cet effet que le roi, la reine mère, les princes et les seigneurs du royaume, parmi lesquels le prince de Condé et les conseillers d'État, se rendirent au parlement. Ce fut le chancelier de l'Hôpital qui, dans un discours très bref, exposa les motifs de cette réunion, et demanda au nom du roi que de promptes résolutions fussent prises, le parlement n'étant pas assemblé pour entrer dans des controverses religieuses, mais pour rétablir la paix et la tranquillité publiques.

Trois sortes de propositions furent faites : la première était de suspendre l'exécution des édits lancés contre les protestants ; la seconde, de les poursuivre et de les punir avec la dernière rigueur ; la troisième, bien que votée à une majorité douteuse, fut acceptée et reconnue sous le nom de l'Édit de juillet. Par cet édit, au nom du roi ordre fut donné à tous les sujets de vivre en bonne intelligence ; défense était faite aux prédicateurs, sous peine de mort, de se servir dans leurs sermons de termes trop vifs ; aucune assemblée ne devait être tenue avec ou sans armes ; les sacrements devaient être administrés selon les usages de l'Église romaine ; la connaissance du crime d'hérésie était réservée aux juges ecclésiastiques ; mais les gouverneurs des provinces et des sièges présidiaux devaient prononcer en dernier ressort, et les juges royaux ne pouvaient prononcer que la peine du bannissement contre ceux qui seraient livrés au bras séculier. Ces ordonnances devaient avoir force de loi temporairement, et jusqu'à ce que le concile national eût fait connaître sa décision. Une amnistie générale fut toutefois accordée à tous ceux qui avaient causé des troubles au sujet de la religion, à la seule condition qu'ils vivraient en bons catholiques.

On assure que Guise dit tout haut, en sortant du parlement : Pour soutenir cet édit, mon épée ne tiendra jamais au fourreau.

Ce fut aussi dans cette assemblée qu'il fut délibéré et arrêté que tous les prélats de France se réuniraient à Poissy pour y tenir des conférences ou colloques au commencement du mois d'août, et que des sauf-conduits seraient envoyés aux ministres et théologiens protestants de Genève, pour qu'ils pussent y prendre part. Plusieurs prélats, parmi lesquels le cardinal de Tournon, primat des Gaules, ne voulaient point admettre les protestants dans leurs réunions. Leur permettre de discuter les doctrines de Calvin, c'était reconnaître d'avance que ses doctrines n'étaient point si hérétiques qu'on l'avait dit, puisqu'elles méritaient la peine d'une sérieuse controverse. Mais le cardinal de Lorraine, accusé par les uns de rechercher avant tout les succès que devait lui attirer sa grande éloquence, et par les autres d'avoir pour la religion catholique un zèle plus d'apparat que de conviction, fut d'avis qu'il fallait convoquer les protestants afin de les confondre publiquement. Il fut donc résolu que les ministres protestants assisteraient aux colloques.

Cependant les états généraux, qui avaient été convoqués pour le mois de mai, ayant été prorogés jusqu'au mois d'août, à cause des difficultés dans lesquelles la cour se débattait, venaient de s'assembler à Pontoise (1er août). Sur les instances du roi de Navarre, les états du royaume confirmèrent purement et simplement le traité conclu entre la reine mère et lui.

A cause des colloques de Poissy, les états généraux n'étaient composés que de la noblesse et du tiers état. On sait qu'il avait été décidé, en outre, à Orléans, que, dans un but d'économie, il n'y aurait qu'un délégué par province de chacun des ordres du royaume. Les états généraux furent ouverts par le roi, ayant à sa gauche la reine mère, au-dessous Madame, sa sœur, et plus bas le roi de Navarre ; devant eux, à droite, le connétable de Montmorency, et à gauche le chancelier Michel de l'Hôpital. Le duc de Guise, avec le bâton à fleurs de lis d'or, remplissait les fonctions de sa charge de grand maître de la maison du roi. Les princes du sang eurent le pas sur les cardinaux ; ce qui amena une contestation très vive entre le cardinal de Tournon et le cardinal de Lorraine, d'une part, et les cardinaux de Châtillon et d'Armagnac, d'autre part, ces derniers s'étant rendus aux ordres de Catherine de Médicis[6]. Selon la coutume, ce fut le chancelier de l'Hôpital qui ouvrit la séance. Il exposa très brièvement les raisons qui avaient fait différer la convocation des états, et, au nom du roi, exhorta les députés à parler avec une entière franchise et liberté.

Il y avait en ce moment, par toute la France, comme un déchaînement de colère contre le clergé. C'était sur lui que le peuple et la noblesse faisaient retomber tous les maux dont souffrait le royaume. Les accusations, comme il arrive toujours en pareil cas, dépassant les limites de la justice, atteignirent les proportions d'une indigne diffamation. Les députés des deux ordres devaient. apporter dans les conseils généraux l'expression de ces sentiments, que l'on pourrait croire dictés par une haine aveugle, si nous n'en trouvions la véritable cause dans les excitations que répandaient dans le pays les calvinistes et leurs prédicants. Il y avait sans doute des abus à corriger et des injustices à réparer, il y avait surtout des licences à réprimer ; mais, les haines et les fureurs s'en mêlant, les récriminations dégénérèrent en accusations outrageantes. Jean Bretagne, juge d'Autun, qui parla pour le tiers état, après avoir félicité la reine mère et le roi de Navarre de leur union, qui était pour tous un gage de concorde, continua son discours par une diatribe des plus violentes contre le clergé. Comme conclusion, l'orateur du tiers demanda que toute juridiction fût enlevée aux prélats, que leurs biens fussent saisis, qu'un concile national fût tenu, que le roi le présidât en personne ou le fit présider par un des princes de son sang, et que des sauf-conduits fussent accordés aux théologiens protestants qui voudraient y prendre part. En attendant la décision de ce concile national, il voulait que permission fût accordée aux réformés de tenir leurs assemblées sous la surveillance des gouverneurs et magistrats de province, afin qu'il ne s'y passa rien de contraire au bien du roi et de l'État.

L'orateur de la noblesse parla absolument dans le même sens.

Furent ensuite agitées les questions financières, qui soulevèrent des discussions non moins ardentes que les questions religieuses. Le tiers et la noblesse demandaient que les deux tiers des biens du clergé fussent mis en vente, ce qui produirait une somme de cent vingt millions, somme qui suffirait à payer toutes les dettes de l'État, et qui devait permettre encore de diminuer les impôts. L'autre tiers, bien administré devait suffire à l'entretien des ministres du culte. Les états demandèrent la révocation de l'édit de juillet, et d'ôter aux ecclésiastiques toutes leurs juridictions pour les réunir aux domaines. Le clergé, bien conseillé en cette circonstance, offrit, de son propre mouvement, de payer au roi quatre décimes pendant six ans, ce qui faisait environ quinze millions. Cette offre généreuse et toute gratuite apaisa la colère des grands. Il fut encore résolu aux états, malgré l'opposition de la noblesse, qu'un subside de douze cent mille livres serait prélevé sur les boissons. Le duc de Guise et le connétable s'étaient fait les conciliateurs entre les états et le clergé, et ce fut Dandelot et Coligny qui furent envoyés par la cour pour négocier auprès des états.

Tandis que les états tenaient leurs séances à Pontoise, les cardinaux, les évêques, les prélats, ainsi que les ministres, les docteurs et les théologiens protestants, affluaient déjà à Saint-Germain, où était la cour, pour se rendre ensuite à Poissy. Les protestants et les catholiques tenaient séparément de fréquentes assemblées pour régler l'ordre de la discussion, et arrêter les points principaux de la controverse.

Calvin, à qui un sauf-conduit avait été envoyé pour qu'il pût assister librement au colloque et y exposer sa doctrine, craignant, malgré la parole royale, que ses jours ne fussent en danger dans ce pays où il avait semé tant de discordes et de divisions, se fit représenter par Théodore de Bèze, qu'il considérait comme le plus digne de continuer son œuvre.

Théodore de Bèze était né à Vézelay, en 1519, et appartenait à une excellente famille de la Bourgogne. Doué d'une figure agréable, d'un esprit vif et cultivé, possesseur en outre d'une grande fortune, il se livra dans sa jeunesse à toutes sortes d'excès ; ce qui ne l'empêcha point, au milieu de son libertinage, de publier en 1548 les Juvenilia, poésies licencieuses, mais non sans mérite littéraire. A la suite d'une grave maladie, occasionnée par les désordres de sa vie, il rentra en lui-même, et, ayant fait connaissance à Genève avec Calvin, il suivit la doctrine des réformés. Calvin reconnut tout de suite chez le jeune néophyte une intelligence d'élite, et, malgré son caractère ombrageux et peu endurant, s'éprit pour lui d'une grande affection, et le désigna comme son successeur.

Lorsque Théodore de Bèze arriva à la cour, le cardinal de Lorraine lui fit l'accueil le plus sympathique et même le plus flatteur : Vous êtes Français, lui dit-il, votre amour pour les lettres semble un indice heureux de votre amour pour la paix. J'espère que le moment où vous rentrez dans votre patrie sera aussi utile à ce royaume que le moment où vous en êtes sorti a été funeste à sa tranquillité.

Ces paroles et une discussion courtoise sur l'Eucharistie, que le prélat et le ministre eurent ensuite devant le roi et la reine, firent bien augurer des débats qui allaient s'ouvrir, et permirent d'espérer que tout rapprochement n'était pas impossible entre les catholiques et les-protestants.

Il venait d'arriver aussi à la cour un personnage qui a rempli un grand rôle : c'était le célèbre Laynez, général des jésuites, le disciple le plus ardent qu'eût formé saint Ignace de Loyola, et son digne successeur. Déjà, au concile de Trente, Laynez s'était distingué, entre le cardinal de Tournon et le cardinal de Lorraine, par son ardeur à combattre les luthériens.

Le mardi 9 septembre 1561, à une heure de l'après-midi, le roi, venant de Saint-Germain, entra dans la grande salle, où étaient réunis plus de quarante évêques et les ministres protestants. Le roi était accompagné de la reine mère, du duc d'Orléans, son frère, de Marguerite de France, sa sœur, des princes du sang et des conseillers d'État. Étaient réunis dans la salle du colloque : les cardinaux de Bourbon, de Tournon, de Châtillon, de Lorraine, d'Armagnac et de Guise, et presque tous les évêques de France, s'élevant au nombre de quarante-deux. Y étaient également le cardinal de Ferrare, légat du pape ; Laynez, général des jésuites ; Claude Despense, Claude de Saintes, et grand nombre de docteurs de la Sorbonne et des universités.

Du côté des protestants se trouvaient : Théodore de Bèze, que, dans son Histoire catholique du XVIe siècle, le père Hilarion de Ceste appelle le gonfalonier du calvinisme ; Augustin Marrolat, François de Saint-Paul, Jean Malo, Pierre Vermilly, plus connu sous le nom de Pierre Martyr, et plusieurs autres théologiens de l'Église réformée. Du reste, l'édit de convocation portait que tous les sujets du roi pouvaient assister au colloque.

Lorsque le silence se fut rétabli, le roi prononça quelques paroles pour rappeler les motifs de cette assemblée, et quelles étaient les espérances qu'elle avait fait concevoir. Il souhaitait qu'elle ne fût point dissoute avant qu'on eût fait tous les efforts pour rétablir parmi tous ses sujets la paix, la concorde et l'amitié. Il termina en les assurant tous qu'ils pouvaient compter de trouver dans sa personne et dans ses magistrats la protection que les rois ses prédécesseurs leur avaient toujours accordée.

Le chancelier prit ensuite la parole, pour exposer avec plus de détails les idées sommairement exprimées par le roi. Il élargit même tellement le cadre de la discussion, les points qu'il indiqua comme devant être traités étaient si nombreux, que le cardinal de Tournon, qui présidait l'assemblée en sa qualité de doyen des cardinaux et de primat des Gaules, après les compliments d'usage adressés au roi, à la reine et aux princes, se crut obligé de demander la copie du discours que l'on venait d'entendre, afin que chacun le méditât et pût préparer sa réponse. Le cardinal de Lorraine appuya la motion du cardinal de Tournon. Mais Michel de l'Hôpital vit dans cette demande un motif pour retarder les conférences et refusa de livrer son discours, disant que tout le monde l'avait suffisamment entendu. Les protestants voulaient : 1° que les prélats ne fussent pas juges du débat ; 2° que ce fût le roi, avec l'aide de son conseil, qui présidât le colloque ; 3° que la seule parole de Dieu résolût et terminât les difficultés et controverses ; que tout ce qui serait décidé fût écrit par des notaires, greffiers et secrétaires dont les parties conviendraient, et dont les actes feraient foi[7].

La reine leur donna satisfaction presque sur tous les points, excepté sur le dernier, ne voulant leur accorder qu'un des quatre secrétaires d'État, les laissant libres de tenir leurs registres à leur guise. Sur le second point elle leur donna sa parole, mais ne voulut pas s'engager par écrit.

Les questions à traiter par l'assemblée avaient été résumées par les cardinaux en deux propositions : 10 de l'autorité de l'Église, et de l'interprétation des Écritures et des Pères ; 90 de la Cène et de l'existence réelle et substantielle du corps et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie..

C'était à Théodore de Bèze à ouvrir la discussion. L'orateur protestant commença par se mettre à genoux, et tous ses coreligionnaires l'imitèrent. Dans cette position, il récita d'une voix émue une fervente prière, et fit l'exposé de sa confession. Cet exorde produisit un grand effet sur son auditoire. Mais lorsqu'il entra dans le cœur de son sujet, se laissant emporter par trop de fougue, il prononça ces paroles qui soulevèrent les protestations de tous les catholiques : J'avoue, dit-il, en parlant du mystère de l'Eucharistie, et je reconnois que dans la réception du sacrement les fidèles participent au corps et au sang du Christ, d'une manière ineffable et aussi véritablement que s'ils voyoient les sacrements des yeux, qu'ils les touchoient de la main, et les approchoient de leur bouche. Cependant, ayant égard à la distance des lieux (comme il est nécessaire, lorsqu'il s'agit de la présence du corps et de l'humanité même du Christ, considérée séparément), je soutiens que le corps du Christ est aussi éloigné du pain et du vin que-le plus haut des cieux l'est de la terre. »

Ce fut du côté des catholiques, quand l'orateur eut achevé dé prononcer ces paroles, une soudaine et indescriptible émotion. Plusieurs prélats se levèrent indignés, résolus à ne pas entendre davantage de semblables blasphèmes, et supplièrent la reine de ne pas exposer plus longtemps le roi à écouter des hérésies qui pouvaient exercer sur sa jeune imagination les influences les plus néfastes. Le cardinal de Tournon adressa ses supplications au roi et à la reine d'une voix tremblante et presque avec des larmes dans les yeux, tant était profonde et sincère l'indignation dont son âme était saisie[8].

Il fut question, après cette séance, de ne plus continuer les conférences, à moins que les protestants ne signassent une formule de foi sur les deux points principaux, qui étaient l'Église et la Cène, et de les condamner sans plus de délai s'ils n'y souscrivaient point. Cependant il fut convenu qu'Une seconde réunion serait fixée au 16 septembre, pour permettre au cardinal de Lorraine de répondre à Théodore de Bèze.

Le discours que l'éminent prélat prononça à l'ouverture de cette séance est resté un des monuments de l'éloquence française au XVIe siècle. Prononcé d'une voix sonore, souligné par des gestes expressifs, l'élégance et la pureté de la forme le disputent à l'élévation des pensées et à l'érudition. Ce fut devant le même auditoire que le cardinal prit la parole. Il préluda en affirmant l'obéissance qui est due au roi. Mais Théodore de Bèze ayant rappelé dans son discours que Constantin avait présidé au concile de Nicée, le cardinal dit que les rois n'étaient point les chefs, mais les membres de l'Église. Les rois sont fils de l'Église, et comme tels assujettis à ses lois, et doivent être les premiers à lui témoigner leur obéissance dans les causes de la foi. Nos premiers et nos plus illustres évêques ont maintes fois osé écrire et protester en pleine face, aux plus puissants et aux plus redoutables empereurs, sans que ceux-ci l'aient trouvé mauvais.

Ayant ainsi établi l'autorité de l'Église, il ajouta qu'elle ne pouvait errer, et il appuya son dire par de nombreuses preuves à l'appui, tirées des appréciations des Pères et des décrets de conciles généraux. Si quelque Église particulière tombait dans l'erreur, il fallait s'en remettre aux décisions de l'Église de Rome, c'est-à-dire au Saint-Père ou aux conciles généraux. Si Arius et ses sectateurs s'étaient jetés dans les erreurs, c'était pour n'avoir point suivi cette règle, et que le même abîme était ouvert pour engloutir ceux qui, ne voyant pas une poutre qui est dans leurs yeux, aperçoivent une paille qui est dans les yeux des autres.

Venant ensuite, par une heureuse transition, à la présence du corps et du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, il s'exprima en ces termes : Un mystère adorable, ajouta-t-il, que Dieu a institué pour nous unir plus intimement à lui, deviendroit une source de disputes sans fin, et les liens de la charité, qui doivent nous attacher très étroitement les uns aux autres, pourroient entièrement se rompre, en effet, si les protestants persévèrent avec opiniâtreté dans leurs opinions, s'ils pensent que Jésus-Christ depuis son ascension n'est pas autrement au milieu de nous qu'il y étoit auparavant son incarnation ; qu'il n'a point à présent d'autre corps que celui qui est visible ; qu'il n'est pas plus particulièrement dans la Cène que dans la prédication ; que de se revêtir de Jésus-Christ dans le baptême, c'est la même chose que de recevoir son corps et son sang dans l'Eucharistie ; qu'il est tellement dans le ciel qu'il n'est plus sur la terre, et qu'ainsi il n'est pas plus dans la Cène que dans une scène de tragédie, ou même dans la boue[9] ; s'ils ne renoncent pas à ces erreurs, on ne pourra jamais s'accorder avec eux, ni se réconcilier : s'ils n'ont rien autre chose à répondre, je me servirai de leurs propres paroles pour leur dire que le haut du ciel n'est pas plus éloigné de la terre que je le suis de leurs sentiments.

Son exorde fut plus pathétique encore. Il engagea les protestants, s'il voulaient absolument se séparer des croyances catholiques à cause de la haine que leur inspire l'Église romaine, de s'en rapporter aux décisions de l'Église grecque, devant laquelle le différend serait porté. Mais, leur dit-il, si vous ne pouvez convenir sur le point de ce précieux sacrement avec ceux qui sont séparés de nous, si vous aimez mieux votre opinion, ainsi seule, devenez, par effets, solitaires. Si de notre foi vous voulez si peu approcher, soyez aussi de nous plus éloignés, et ne troublez plus les troupeaux, desquels vous n'avez nulle charge ni nulle légitime administration. Et, donnant loisir à vos nouvelles opinions de vieillir, autant, si Dieu le permet, comme ont fait nostre doctrine et nos traditions, cela sera cause de restituer la paix à tant de consciences troublées, et laissez notre patrie en repos. » Il termina son discours en se tournant du côté du roi, de la reine et des princes du sang pour les supplier de rester fidèles à la religion de leurs ancêtres, et jura, au nom de tous les évêques présents, que l'Église gallicane ne se départirait jamais de la sainte et vraie croyance, de la répandre et de la soutenir au prix de la vie, tout en se dévouant à la personne du roi et au maintien de sa couronne.

Pendant tout ce discours les prélats, transportés d'enthousiasme et d'admiration, avaient à maintes reprises fait éclater leurs bravos. Quand Charles de Lorraine eut cessé de parler, cardinaux et évêques quittèrent leurs places et vinrent entourer le roi pour jurer qu'ils souscrivaient à tout ce qui venait d'être dit, et qu'ils étaient disposés à vivre et à mourir dans cette foi et à la sceller de leur sang s'il en était besoin.

L'effet de ce discours fut si foudroyant, que Théodore de Bèze, ne voulant pas laisser l'assemblée sous cette impression, proposa de répondre immédiatement. Mais la nuit approchait, et, soit par lassitude, soit pour tout autre motif, la reine n'y voulut pas consentir.

Huit jours après eut lieu une nouvelle séance, à laquelle le roi n'assista pas à cause de son jeune âge. La controverse cette fois fut poursuivie par Théodore de Bèze et par Claude Despense sans amener aucun résultat sur le point principal, qui était l'Eucharistie. Cette séance, qui n'était pas publique, menaçait de dégénérer en querelle, lorsque le cardinal de Lorraine, pour y mettre fin, demanda aux ministres protestants s'ils étaient prêts à signer la confession d'Augsbourg. Ici une contestation s'éleva encore entre Théodore de Bèze et le cardinal de Lorraine. L'Espagnol Laynez, général des jésuites, prononça un discours si violent contre les protestants et 'Dème contre la reine mère, que celle-ci en versa des larmes. Cependant des commissions furent nommées de part et d'autre, pour rédiger en commun une profession de foi que tous devaient signer. Voici quelle était cette profession de foi : Nous confessons que Jésus-Christ dans la Cène nous donne et nous représente véritablement la substance de son corps et de son sang par l'opération du Saint-Esprit, et que nous prenons et mangeons spirituellement, et par la foi, ce vrai corps, qui a été offert et immolé pour nous ; pour être os de ses os, et chair de sa chair, et afin d'en être vivifiez, et en recevoir tout ce qui est nécessaire pour notre salut, et parce que la foi, appuyée sur la parole de Dieu, nous rend présentes les choses reçues, et que par cette foi nous recevons réellement et de fait le vrai et naturel corps et sang du Christ par la vertu du Saint-Esprit ; par cette raison, nous reconnaissons dans la Cène la présence de son corps et de son sang.

En lisant cette profession de foi, Despense déclara net qu'il n'y souscrirait point, affirmant qu'elle serait rejetée par toutes les Églises catholique, latine et grecque, et même par les protestants d'Allemagne. Le jésuite Laynez et le cardinal de Tournon dirent qu'elle était captieuse et hérétique, et les théologiens, réunis en séance le 9 octobre, en rédigèrent une autre, qui était tout le contraire de celle de Théodore de Bèze. Elle se terminait par ces mots : Nous recevons réellement et de fait le vrai et naturel corps et sang du Christ ; par cette raison nous confessons et reconnoissons dans la Cène la présence de son corps et de son sang.

Le cardinal de Lorraine, accusé déjà de tiédeur envers l'Église romaine et même d'inclination pour les luthériens allemands avec lesquels il s'était allié pendant qu'il était au pouvoir, approuva hautement la seconde formule, en ajoutant que qui croit autrement, anathema esto, et que de telles gens ne doivent plus être dorénavant entendus. Les protestants, de leur côté, avaient rédigé une autre profession de foi plus conforme aux doctrines exposées par Calvin et par de Bèze.

Les conférences furent dissoutes, et les deux partis se séparèrent en s'attribuant chacun la victoire.

Paris vit également arriver dans ses murs le disciple de Calvin et le cardinal Charles. Le premier, pendant quelque temps, essaya d'attirer à ses prêches la jeunesse tumultueuse des écoles, tandis que, du haut de la chaire de Notre-Dame, le prélat s'efforçait par son éloquence de retenir les fidèles dans la foi de leurs pères.

Le colloque de Poissy n'eut d'autres résultats que de marquer la scission irrémédiable désormais entre les protestants et les catholiques. Tout espoir d'entente, tout retour à une unité de foi était désormais chimérique.

Il eut cependant un effet auquel nul ne s'attendait. A l'issue des conférences, le premier prince du sang après les frères du roi, Antoine de Bourbon, roi de Navarre, abandonna le protestantisme pour retourner à la religion de ses pères. Le prince fit au cardinal de Lorraine l'honneur de sa conversion. Mais plusieurs historiens ont pensé que c'était moins l'éloquence du prélat qui avait touché l'âme et le cœur d'Antoine de Bourbon que l'irritation qu'il ressentait de voir les protestants prendre pour chef son frère, le prince de Condé. D'autres ajoutent que ce ne fut pas seulement l'envie, mais l'ambition, qui opéra la conversion du prince.

Hippolyte d'Este, cardinal de Ferrare, légat du pape, et don Juan Henriquez, ambassadeur d'Espagne, avaient fait luire depuis longtemps aux yeux d'Antoine de Bourbon les promesses les plus séduisantes. Le roi Philippe, lui disaient-ils, se reconnaissait usurpateur du royaume de Navarre, et ne demanderait pas mieux que de le rendre à son roi légitime s'il n'en était empêché par ses sujets. Mais il pouvait en échange offrir à Antoine de Bourbon l'île de Sardaigne, à la seule condition que le roi de Navarre se montrerait favorable aux intérêts de l'Église catholique.

De leur côté les Guises, qui n'avaient pu faire épouser leur nièce Marie Stuart[10] à don Carlos, cherchaient, assure-t-on, à la marier maintenant avec le roi de Navarre, qui en était profondément épris. Ils lui faisaient espérer que le pape consentirait à son divorce avec Jeanne d'Albret, et que par cette union avec leur nièce non seulement il serait roi d'Écosse, mais qu'il pourrait prétendre un jour à la couronne d'Angleterre.

Tout ceci est fort obscur et fort douteux. Le pape n'aurait jamais consenti à ce divorce que rien ne justifiait, et, si peu d'intelligence politique que l'on puisse prêter au roi de Navarre, il est impossible de croire qu'il fut séduit un seul moment par la perspective d'aller régner dans l'île de Sardaigne.

Quel que soit le motif de cette conversion, qu'il faut attribuer surtout à la divergence de croyances dont le prince était frappé de la part des sectes protestantes, elle eut un immense retentissement, surtout dans le camp des huguenots, qui, selon Brantôme, ne traitaient plus Bourbon que de beau diable.

Il est vrai, selon le même auteur, que lui, de son côté, se montra le plus animé, échauffé, colère et prompt à les faire pendre.

Les triumvirs venaient de faire, en la personne d'Antoine de Bourbon, une recrue qui rendait leur puissance plus redoutable que Catherine de Médicis n'eût osé l'entrevoir, et qu'ils ne l'eussent eux-mêmes espéré. Aussi la reine mère, dès ce moment, songea-t-elle sérieusement à faire alliance avec les protestants.

 

 

 



[1] De Thou.

[2] De Thou.

[3] De Thou.

[4] De Thou.

[5] De Thou.

[6] Dans son irritation de n'avoir pu obtenir le pas sur les princes du sang, le cardinal de Lorraine lança cette apostrophe aux prélats qui avaient souscrit à cette dérogation aux usages reçus : Il est des cardinaux qui honorent leurs chapeaux, il en est d'autres que leurs chapeaux honorent.

[7] De Thou.

[8] Le cardinal de Lorraine dit, après avoir entendu le discours de Théodore de Bèze : Plût à Dieu que cet homme-là eût été muet ou que nous eussions été sourds ! Ces paroles ne semblent-elles pas témoigner, ainsi que le fait observer l'historien Lacretelle, de l'horreur que l'hérésie inspirait au cardinal et l'admiration qu'il n'avait pu s'empêcher de ressentir pour l'éloquence de son adversaire ?

[9] Il prononça ces paroles en latin de peur des infirmes, dit-il : in Cœna quam in scena, imo quam in cœno.

[10] Marie Stuart, après avoir cherché un refuge au couvent où sa tante était abbesse, s'était rendue à Nancy, puis à Joinville. Ce fut dans cette dernière ville que des ambassadeurs vinrent la solliciter d'aller prendre sans retard l'administration des affaires de son royaume si elle ne voulait s'exposer à perdre la couronne. Catherine de Médicis, de son côté, pressait le cardinal de Lorraine pour qu'il hâtât le départ de sa nièce, malgré les avis contraires de ses oncles d'Aumale et d'Elbeuf.

La jeune reine vint une dernière fois à la cour (juillet 1561) pour faire ses adieux au roi et à sa belle-mère ; ensuite, accompagnée du cardinal de Lorraine, du duc de Guise, de ses autres oncles et d'un grand nombre de gentilshommes, elle prit la route de Calais, où elle arriva le 12 août. La tristesse qu'elle éprouva pendant ce voyage, les larmes qu'elle versa en disant adieu à la terre de France, semblaient lui être inspirées par le pressentiment du sort qui l'attendait.