Siège de Metz (suite). — Propos de Charles-Quint. — Mesures de défense. — Projets et lettres de Henri II. — Arrivée de l'avant-garde ennemie commandée par le duc d'Albe. — Discours de Guise aux assiégés. — Sa conduite à l'égard d'un esclave. — Sortie conduite par la Roche-sur-Yon contre le margrave de Brandebourg. — Arrivée de Charles-Quint devant Metz. — Insuccès des assiégeants. — Nouveau discours de Guise. — Charles-Quint manifeste son découragement. — Saint-André et Nevers à Toul et à Verdun. — Souffrances endurées par les assiégeants et par les assiégés. — Ambroise Paré pénètre dans Metz. — Dernier effort tenté par Charles-Quint. — Ses soldats ne veulent pas aller à l'assaut. — Lettre de Guise au cardinal son frère. — Charles-Quint lève le siège. — Guise force le marquis de Brandebourg à lever son camp. — Magnanime conduite des Français à l'égard des Impériaux. — Triomphe du duc de Guise. — Mariage de Diane d'Angoulême avec le duc de Castro. — La guerre reprend dans le Nord. — François de Montmorency rend Thérouanne. — Hesdin capitule aussi. — Le connétable reprend l'offensive sur les bords de la Somme. — Les escadres française et ottomane dans la Méditerranée. — Brissac en Piémont. — Le roi prend le commandement de l'armée du Nord. — Guise le suit. — Mort d'Édouard VI. — Avènement au trône d'Angleterre de Marie Tudor. — Négociations du cardinal Pool. — L'armée française dans le Cambrésis et dans le Hainaut. — Bataille de Renty. — Inaction du connétable. — Première rivalité entre Guise et Coligny. — Conséquences de la bataille de Renty. — Montluc à Sienne. — Magnifique conduite de Brissac en Piémont. — Paul IV. — Alliance conclue entre la France et le Saint-Siège. — D'Aumale en Piémont.Charles-Quint ne manquait pas d'une certaine fanfaronnade ; il en avait fait preuve maintes fois dans ses discours contre François Ier. On rapporte qu'en parlant de la ville qu'il allait assiéger avec toutes les forces de l'Empire, il se proposoit de la battre de façon à la mettre sur la tête de M. de Guyse, faisant aussi peu d'estat de toutes les autres places que le roi pouvoit avoir par deçà. Le 15 septembre, Guise était prévenu que l'Empereur, avec toute son armée, était à quinze lieues de Metz, sur le territoire de Deux-Ponts (Bavière rhénane). Guise fit alors évacuer les troupes de cavalerie commandées par d'Entragues, de la Brosse et Biron, et les fit rentrer dans la ville après avoir donné ordre d'emporter tout le fourrage qui se trouvait dans le pays et de brûler le reste des récoltes ainsi que les granges, pour que rien ne tombât aux mains de l'ennemi. Toutes ces mesures, ainsi que celles qu'il prit plus tard pour faire pénétrer de nouveaux défenseurs dans la ville, lui méritèrent les vives félicitations de Henri II. Le roi, du reste, nourrissait le secret dessein de se porter de sa personne au-devant de l'Empereur. J'ai mandé mes pensionnaires, écrivait-il à Guise qui lui avait demandé des renforts, les deux cents gentilshommes de ma maison et les archers de ma garde, et dépesché vers mon cousin le duc de Vendômois, pour lui faire retirer son armée en France, affin de faire acheminer mes forces du costé où vous estes, en délibération de m'y trouver moy-même en personne. Guise reçut enfin, fort à propos, un envoi d'argent qui lui était devenu d'urgente nécessité. Au commencement d'octobre, la ville était en état complet de défense, et, bien qu'elle dût être assaillie par une armée de plus de cent mille fantassins et de vingt-trois mille chevaux, de cent vingt pièces de canon et de sept mille pionniers, Guise avait pris ses dispositions de telle sorte, que sur chaque point Charles-Quint allait trouver devant lui d'énergiques et vaillants défenseurs. La place était vaste et le nombre de ses défenseurs très limité. Afin que le trouble et l'incertitude dans l'action ne lui fissent rien perdre de ses forces, il avait d'avance divisé avec précision le soin de la défense entre ses principaux officiers : le duc d'Enghien et le prince de Condé commandaient depuis la porte Saint-Thibaut jusqu'à la Seille ; le prince de la Roche-sur-Yon garantissait le bas du pont de Bar ; le duc de Nemours, tout l'espace au delà de la Seille jusqu'à la Moselle ; le grand prieur avec d'Elbeuf protégeait le terrain borné par les moulins construits -sur la première de ces rivières ; Strozzi, Montmorency et Durville défendaient la porte Moselle ; Gounor, le retranchement pratiqué à l'intérieur ; au duc de Castro était confié l'intervalle de la porte Champenoise à celle de Saint-Thibaut ; au comte de la Rochefoucauld et à Rendon les boulevards de la porte Moselle ; enfin, François de Vendôme, vidame de Chartres, avait sous sa garde le côté opposé, depuis la porte Champenoise jusqu'à Pontiffroy. La compagnie du duc de Lorraine et de Guise, ainsi que celle du sieur de Rendon, devaient, en cas d'alarme, se rendre, à pied et la pique au poing, à la place du Change, pour être employées selon le besoin[1]. Ce fut le 19 octobre que le duc d'Albe, avec une armée d'avant-garde de vingt-quatre mille hommes, vint camper à une lieue de Metz, au village de Sainte-Barbe. Ce fut à peu près vers cette époque que Guise adressa les paroles suivantes à ses soldats : Nous avons rempli la plus grande partie de notre tâche. Il était plus malaisé de construire en deux mois la place d'armes où nous sommes, qu'il ne nous le sera de la défendre pendant dix mois. Plus l'armée de l'Empereur se grossit, plus il est près du moment où les vivres lui manqueront. Une nouvelle armée lui arrive des Pays-Bas. Près de cent mille hommes seront sous ses ordres ; mais quelle saison a-t-il choisie pour les mettre en campagne ? Comment pourra-t-il les vêtir, les nourrir et les solder ? Je me suis bien informé de ses moyens et j'en connais les bornes. Le roi vient de me faire demander dans quel temps je croyais nécessaire qu'il vînt à mon secours avec toute son armée. Avant de répondre j'ai parcouru encore une fois les lignes de cette place, j'ai visité mes magasins ; quant à votre courage, il m'est connu ; voici quelle a été ma réponse : Je n'ai pas besoin d'être secouru avant dix mois. Aussitôt arrivé devant les murs de Metz, d'Albe, avec sa précision et son habileté ordinaires, voulut reconnaître la place en poussant une vigoureuse reconnaissance à une faible distance de la ville. Strozzi et le capitaine Favart, avec huit cents arquebusiers et deux cents chevau-légers, allèrent à sa rencontre et forcèrent l'ennemi à déguerpir de la montagne de Belle-Croix, après une escarmouche qui ne dura pas moins de six heures. Dès cette première rencontre, les ennemis teindrent nos soldats en bonne réputation, ne leur ayant veu pour aucun danger reculer ou advancer le pas qu'en gens de guerre et bien asseurés ; qui fut un advantage, lequel monsieur de Guyse connoissoit estre requis, qu'un chef au commencement d'une guerre taschoit le plus qu'il lui seroit possible de gaigner[2]. On rapporte que ce fut alors qu'un esclave appartenant à Louis d'Avila, général de la cavalerie espagnole, se réfugia dans la ville assiégée sur un magnifique cheval appartenant à son maître. Cet esclave venait-il réellement chercher sa liberté dans le camp français, ou n'était-ce qu'un espion envoyé dans la ville ? Toujours est-il que quelque temps après le général d'Avila écrivait au duc de Guise pour réclamer l'esclave et le cheval. Guise fit rechercher le cheval et le renvoya au noble espagnol avec la lettre suivante : J'ai fait chercher votre cheval, et je me fais un plaisir de vous le renvoyer. Quant au transfuge, il ne peut vous être rendu : tout esclave devient libre dès qu'il entre dans le royaume de France. J'exécute avec scrupule une loi si digne des chrétiens[3]. Avant l'arrivée de Charles-Quint, les Français firent encore de brillantes sorties contre les troupes du duc d'Albe et contre celles du marquis Albert de Brandebourg. La Roche-sur-Yon fit une sortie si terrible contre ce dernier, que, dans sa fureur, le marquis menaça de tuer à coups de poignard le duc d'Aumale, qu'il tenait prisonnier. Le 20 novembre, Charles-Quint se présenta à son tour devant Metz. Malade de la goutte, il ne pouvait se tenir sur ses jambes. Il avoit le visage fort pâle et défait, les yeux enfoncés, la tête et la barbe blanches. A sa venue il se feist une grandissime salve d'arquebuses, artillerie ; le bruit desquelles fut cause de faire mettre toute la ville en armes[4]. L'arrivée de l'Empereur fut le signal de l'attaque. L'artillerie de siège tira contre la ville, en une seule journée, quatorze mille coups de canon. Cette vive canonnade ne produisit pas toutefois les effets auxquels s'attendaient les assiégeants. Charles-Quint et le duc d'Albe avaient surtout dirigé les coups de leur artillerie sur une vieille muraille située entre la porte Champenoise et la plate-forme Sainte-Marie. Le 26 du mois de novembre, la vieille muraille s'écroulait dans le fossé, ouvrant ainsi une large brèche aux assiégeants. Espagnols et Allemands font entendre alors de bruyantes exclamations de joie et se préparent à l'assaut. Mais lorsque la poussière que cette muraille, en s'écroulant, avait soulevée se fut dissipée, les ennemis s'aperçurent avec stupéfaction que derrière le vieux rempart se dressait une nouvelle fortification élevée comme par enchantement. Aux cris de triomphe qu'avait d'abord poussés l'ennemi, les Français répondirent par des cris de raillerie tels que : Au régnard ! au régnard ! et par des injures que Guise fit cesser aussitôt, dans la crainte que quelque traître ne profitât de ce tumulte pour transmettre des avis aux assiégeants. Guise poussait encore les travaux de défense, excitant les travailleurs par des paroles d'encouragement et par de brillantes promesses. Il communiquait à tous son entrain, sa confiance et sa gaieté. Si l'Empereur nous envoie des pois, avait-il dit, nous lui enverrons des fèves. Lorsque les Impériaux eurent fait brèche dans la vieille muraille, Guise, au lieu d'être affecté, montra, par les paroles suivantes, combien était grande sa confiance en lui-même et 'dans les troupes qu'il commandait : Je me réjouis, dit-il en désignant la brèche large de quatre-vingt-dix pieds, je me réjouis de voir que les ennemis ont enfin renversé cette barrière qui arrestoit votre valeur et qui leur estoit plus utile qu'à vous. Il est bien juste qu'après que vous les avez esté si souvent chercher jusque dans leur camp, ils viennent du moins une fois recognoître ceste ville qu'ils s'estoient vantés d'emporter si facilement. Voici une occasion d'acquérir de la gloire qu'ils ne vous offriront pas souvent. Profitez -en, et apprenez à toute l'Europe, dont les yeux sont maintenant ouverts sur vous, qu'il n'a pas été impossible à un. petit nombre de François d'arrester un empereur qui les assiégeoit avec trois armées, et qui se vantoit de n'avoir pu être arresté par les colonnes d'Hercule[5]. Ces paroles mirent à son comble l'enthousiasme des combattants ; et lorsque Charles-Quint fit porter ses troupes en avant, celles-ci n'osèrent plus avancer en voyant l'énergie avec laquelle elles étaient attendues par les Français, à la tète desquels il était facile de distinguer le duc de Guise en personne. En vain Charles-Quint, pour rallumer le courage de ses soldats, s'était-il porté au milieu de leurs rangs. Mais ils n'écoutent plus la voix de leur empereur, et au lieu d'avancer ils reculent. J'ai été autrefois suivi dans les combats, dit Charles-Quint le cœur navré ; mais je vois que je n'ai plus d'hommes autour de moi ; il me faut dire adieu à l'Empire et me confiner dans quelque monastère ; avant trois ans je me rendrai cordelier. Tandis que Guise, toujours sur la brèche, faisait face à tous les dangers, déjouant toutes les ruses de l'ennemi pour tenir en échec la puissante armée de Charles-Quint, le connétable de Montmorency quittait la Lorraine et venait en Artois pour s'emparer d'Hesdin, qui était retombé au pouvoir des Flamands. Mieux défendues, Toul et Verdun, que commandaient le duc de Nevers et le maréchal de Saint-André, étaient toujours en notre possession. De ces deux places fortes, Nevers, Saint-André et Vieilleville faisaient, à la tête de leur cavalerie, de vigoureuses charges contre les Impériaux, dont ils interceptaient les convois et auxquels ils faisaient nombre de prisonniers. Les paysans lorrains, de leur côté, accueillaient à grands coups de faux les maraudeurs du marquis de Brandebourg, qui, poussés par la famine, désertaient leur camp pour ravager les pays voisins. Le froid, là maladie, le manque de vivres décimaient chaque jour l'armée de Charles-Quint. Mais les assiégés, eux non plus, n'étaient pas exempts de misères. Les vins commençaient à diminuer, et les blessés mouraient presque tous faute de soins nécessaires. Guise put faire parvenir au roi une lettre dans laquelle il lui peignait sa situation ; et en retour le roi lui envoya l'habile Ambroise Paré, ainsi que l'apothicaire Dègues. Saint-André et Vieilleville achetèrent pour une somme de 1500 écus un capitaine italien qui, d'accord avec quelques officiers de la compagnie du duc de Guise, fit pénétrer dans la nuit Ambroise Paré et son bagage médical[6]. L'Empereur résolut de tenter un dernier effort pour s'emparer de cette ville qu'il s'était flatté de mettre sur la tête du duc de Guise, et qui était si grande et si à fleur des fossés qu'il ne pouvait s'expliquer comment on n'y entrait point. (Mémoires de Vieilleville.) Cette fois c'est du côté de la tour d'Enfer qu'il tourne les foudroyantes décharges de sa puissante artillerie. Guise défend la tour en faisant combler sa première voûte et en contreminant les travaux des assiégeants. Il lance ensuite contre les Impériaux la Brosse, Saint-Luc et le capitaine Langue avec cent cinquante hommes d'armes et une compagnie d'arquebusiers. C'est le ter décembre, par le pont des Morts et par le pont Tiffroy, que se fit cette vigoureuse sortie. Les hardis capitaines, à la vue des trois camps, poussèrent leurs troupes jusque dans les tentes du marquis de Brandebourg. Les Français arrivèrent comme une avalanche ; Albert fut atteint d'un coup de lance par le baron de Torsy, et un convoi de vivres destiné au marquis fut enlevé et emmené dans Metz. Deux cents ennemis périrent dans cette charge vigoureuse. Au même instant, Vieilleville, avec ses cavaliers, faisait éprouver une sanglante défaite aux autres troupes du margrave retirées dans le village de Rougerieules. Le lendemain, 2 décembre, l'Empereur Charles fit mettre sur pied soixante mille hommes de son armée et résolut de tenter l'assaut. Le grand empereur d'Allemagne se fit transporter de sa personne au milieu de ses soldats, autant pour leur donner lui- même les ordres de l'attaque que pour les encourager de sa présence. Guise, qui prévoyait que le moment était décisif, fit ranger à son tour son armée en bataille et la plaça sur les remparts de la ville. Princes et capitaines étaient debout à leurs postes, la pique ou l'épée au poing. Guise était au milieu d'eux, calme et intrépide, défiant l'Empereur. Une embuscade était préparée du côté de la porte Moselle. Le prince lorrain la déjoua en faisant opérer par sa cavalerie une vigoureuse sortie de ce côté. Quand les soixante mille hommes que commandait Charles-Quint se trouvèrent sous les remparts, et qu'ils virent devant eux l'armée française couverte d'armures étincelantes, pleine d'ardeur martiale et joyeuse de livrer bataille, ils se sentirent sans force et sans courage. En vain Charles-Quint traverse leurs rangs, exhortant les uns, menaçant les autres ; tous restent immobiles. Le puissant monarque, comprenant l'inutilité de ses efforts, courbe la tête et retourne dans son camp la mort dans le cœur. Ce fut le dernier acte de cette brillante épopée. Cependant Guise ne pouvait croire encore à son succès définitif. Les canons continuaient à battre les remparts, et, bien que sans effet, leur feu était assez nourri. On m'a assuré, écrivait-il
le 5 décembre au cardinal son frère, qu'ils sont
sous terre, qu'ils la veulent miner ; nous sommes en beaucoup d'endroits,
attendans, et trouvons de l'eau presque partout qui leur sera très contraire
à leur entreprise... Conclusions, nous ne
dormons pas plus qu'eulx ; plus on va en avant, et se cognoist que ce
vieillard[7]
est obstiné ; mais j'ai espérance en Dieu et aux
gens de bien qui sont icy, qu'il n'y fera non plus que devant Metz,
qui est l'ancien mot du païs. — Je vous
supplie, disait-il ensuite, monstrer ceste
lettre au roy et luy présenter mes très humbles recommandations à sa bonne
grâce. Vous en prendrez, s'il vous plaist, votre part, et monsieur le
connestable aussi ; le pouvez asseurer ses enfants estre en bonne santé, et
que Danville sçait aussi bien porter la hotte et mieulx qu'escripre...
Nostre mère aura sa part de ceste lettre et les très
humbles recommandations de ses trois enfants qui sont icy, esquelles ne
voulons oublier nos femmes. Nostre frère d'Aumale a esté mené par les gens du
marquis en une de ses villes[8]. La saison était rude et les vivres manquaient dans le camp des Impériaux, qui, malades et découragés, désespéraient de prendre d'assaut ou autrement la place de Metz, si énergiquement et si prudemment défendue par son intrépide général. Le 26 décembre, Charles-Quint reconnut la nécessité d'abandonner son entreprise et fit transporter son camp, ainsi que son artillerie, de l'autre côté de la Moselle. En prenant cette résolution, qui était pour lui l'aveu d'une honteuse défaite, il laissait échapper ce cri de douleur : Je vois bien que la fortune ressemble aux femmes : elle préfère un jeune roi à un vieil empereur[9]. Le duc d'Albe et Marignan levèrent aussi leur camp, mais dans la nuit et en silence, et presque chassés de punition divine, dit François Rabutin. Ils abandonnèrent toutes leurs munitions et leurs tentes, ce que nous avons peine à nous expliquer, surtout de la part du duc d'Albe. Guise avait écrit à son frère que tant que l'Empereur auroit vie il ne voudroit recevoir cette honte de partir avant qu'il en voie la fin. Le lendemain du jour où il écrivit ces lignes, il eut la joie de voir, du haut des remparts de Metz, que les Espagnols et les Italiens avaient entièrement évacué leurs positions. Il ne restait devant la ville que le marquis de Brandebourg. Le farouche huguenot ne pouvait se résoudre à battre en retraite. Guise l'y contraignit en balayant son camp à coups de coulevrines et de fauconneaux, qu'il plaça dans une petite île de la Moselle, au-dessus du pont des Morts, nommée pré de l'Hôpital. Le 8 janvier, le margrave levait le camp à son tour et allait rejoindre les épaves de l'armée de Charles-Quint. François de Guise venait d'attacher son nom à l'histoire et de se placer au premier rang des grands capitaines de son époque, par la bravoure et les hautes capacités militaires dont il avait fait preuve pendant ce siège mémorable. Mais, s'il eut la gloire de vaincre le grand empereur Charles-Quint et le grand duc d'Albe, il attacha à son nom et fit rejaillir sur toute la France une réputation de magnanimité qui rehausse encore son prestige et celui de notre patrie. Dans leur précipitation à lever leur camp, les Impériaux avaient abandonné des blessés et des malades à une mort certaine. Guise aussitôt leur fait prodiguer tous les soins que réclame leur situation, et les entoure de la même sollicitude dont il était si prodigue envers ses soldats. Quand il les eut ainsi soignés et guéris, il fit plus encore : il leur donna de l'argent pour regagner leur patrie. Le duc d'Albe traînait à sa suite une longue file de malades et de blessés. Guise fit offrir au général espagnol des bateaux pour transporter ses blessés à Thionville. La Roche-sur-Yon, frère puîné du duc de Montpensier, poursuivait avec sa cavalerie, forte seulement de trois à quatre. mille hommes, l'armée de Charles-Quint, réduite à cinquante mille fugitifs ; à la queue de l'armée était un détachement de cavaliers allemands, protégeant une longue file de chariots chargés de malades et de blessés. Se voyant attaqué et se sachant incapable de résistance, le capitaine allemand sortit des rangs et s'écria : Seigneurs français, n'est-ce pas pour l'honneur que vous combattez ? — Oui ! répondirent officiers et soldats. — Eh bien, reprit le capitaine, s'il en est ainsi, retirez-vous, car vous n'auriez nul honneur à combattre contre des mourants. Les Français le laissèrent passer et retournèrent sur leurs pas. Nous pouvons répéter avec Lacretelle : Lorsque toutes les nations de l'Europe auraient fait l'énumération de ce qu'elles avaient inventé à cette grande époque de créations merveilleuses, les Français auraient pu dire : Nous avons inventé, nous, l'art d'adoucir les maux de la guerre. Plus de trente mille ennemis étaient morts sous les murs de Metz. La ville avait soutenu un siège de soixante-cinq jours, et arrêté devant ses murs une armée de cent vingt mille hommes qui devaient envahir la France. Guise, en cette occasion, déploya toutes les ressources de son génie et toutes les nobles qualités de son cœur. Après la levée du siège, voulant rendre grâce à Dieu de la protection qu'il lui avait accordée, il ordonna, pour le dimanche 15 janvier, une procession du clergé, des couvents et des collèges, à laquelle il assista lui-même, suivi des princes, seigneurs et gens de guerre, en toute dévotion, et qui se termina par un feu de joie où furent consumés les livres de la doctrine de Luther trouvés dans la ville. Le 7 janvier 1553, aussitôt qu'il fut instruit du départ de l'Empereur, Henri II voulut faire savoir à Guise l'ayse et le plaisir qu'il en a eus et le contentement qui lui demeure de ce digne et notable service, en attendant qu'il le puisse veoir pour le lui déclarer plus avant[10]. Les poètes du temps ont chanté à l'envi cette page glorieuse de notre histoire. Ronsard, le gracieux conteur du lire siècle, fait ainsi parler le duc de Guise sur les remparts de Metz : Sus, courage, soldats, sus, sus, monstrez-vous or De la race d'Hercule et de celle d'Hector : Hercule, après avoir l'Espagne surmontée, Vint en Gaule espouser la reine Galatée, Dont vous estes issuz ; puis le Troien Francus, Seul héritier d'Hector, quittant les murs vaincus D'Ilion cent ans après, avec l'Herculienne. Pour ce, amis, prenez cœur, imitez vos aïeux. Encore Dieu nous aime, encore Dieu ses yeux N'a détourné de nous ny de nostre entreprise. Un soudard a chanté ainsi : Pour conclusion ont levé Devant Metz l'artillerie Et tout le camp ont fait marché, Qui leur est grande moquerie. Le noble seigneur de Guise Sur la queue leur fit aller Grand nombre de cavallerie Pour les apprendre à cheminer. La levée du siège de Metz fut le signal en France de réjouissances publiques. Pour perpétuer le souvenir de ce haut fait d'armes, diverses médailles furent frappées, les unes en l'honneur de Henri II et du duc de Guise, les autres dans un style satirique et tournant Charles-Quint en dérision. Le roi écrivit de sa propre main des lettres de félicitation à tous les officiers qui avaient soutenu Guise dans sa vaillante entreprise ; et lorsque ce dernier reparut à la cour, le roi voulut venir à sa rencontre et lui dit, après l'avoir embrassé et l'avoir nommé son frère : Vous m'avez vaincu aussi bien que l'Empereur, par les obligations où vous m'avez engagé. Le parlement, où il s'était rendu le 20 février avec le cardinal son frère, le remercia solennellement de tout ce qu'il avait fait pour la défense de Metz, pour repousser l'armée de l'Empereur et pour le service du roi et de la république. Guise voyait ainsi son nom entouré d'une popularité presque sans exemple. En arrêtant l'armée de Charles-Quint sous les murs de Metz, il avait préservé la France d'une nouvelle invasion ; il avait assuré la possession des places conquises par l'armée royale au début de la campagne, et replacé la Lorraine sous la protection des rois de France. Depuis Marignan, jamais campagne ne fut plus brillante pour nos armes ni suivie de plus heureux effets. Charles-Quint, irrité de l'échec qu'il venait de subir, se préparait à une éclatante revanche. Tandis qu'en France la cour était en fête à l'occasion du mariage de Diane d'Angoulême, fille naturelle du roi, avec Horace Farnèse, duc de Castro, les Impériaux faisaient le siège de Thérouanne. François Ier avait coutume de dire que Thérouanne en Flandre et Acis dans la Guyenne étaient les deux oreillers sur lesquels il pouvait tranquillement se reposer. Trop enivré du succès que Guise venait de remporter dans la Lorraine, Henri II ne se rendit pas compte suffisamment des dangers qu'il courait dans le Nord, et se borna à envoyer dans Thérouanne quelques renforts insuffisants, sous la conduite de François de Montmorency, fils du connétable, jeune capitaine plus brave qu'expérimenté. Ce fut au mois d'avril 1553 que le comte de Rœux, à la tête des Impériaux, se présenta devant Thérouanne. Le vieux d'Essaix, qui s'était illustré à Landrecies et pendant la guerre d'Écosse, défendait cette place, communiquant à sa trop faible garnison son courage et son indomptable énergie. Mais, dans un assaut qui fut repoussé avec vigueur, le valeureux d'Essaix tomba frappé à mort, et François de Montmorency prit le commandement de la place. Le comte de Rœux, désespérant de prendre la ville de force, fit miner ses remparts, et les effets de la poudre furent tels, que le 20 juin on eût pu y pénétrer à cheval. Dès lors toute résistance devenait impossible, et François
de Montmorency dut songer à capituler ; mais, dans son inexpérience, ayant
négligé de demander une trêve, pendant qu'il discutait les termes de la
capitulation, les Impériaux se ruèrent dans la ville, tuant sans pitié tout
ce qui se présentait sous leurs coups, sans égards pour l'âge ni pour le
sexe. Le carnage devenait horrible, et toute la population eût été immolée
par cette soldatesque altérée de sang et de pillage, lorsque quelques
officiers espagnols, se souvenant de la noble conduite du duc de Guise,
arrêtèrent le massacre en s'écriant : Bonne guerre,
compagnons ! souvenez-vous de la courtoisie de Metz ! Ainsi, par sa
grandeur d'âme et sa chevaleresque attitude à l'égard des vaincus, des
malades et des blessés, Guise forçait l'ennemi à suivre son exemple et
servait à son tour d'égide à ses compatriotes malheureux. L'Empereur, qui était à Bruxelles lorsqu'il apprit la prise de Thérouanne, ordonna, en signe de réjouissance, qu'on fît des feux de joie dans toute la Flandre, qu'on sonnât les cloches et qu'on tirât le canon. Rabutin dit que la prise de cette ville l'enivra comme si c'eust esté l'empire de Constantinople. Thérouanne fut, dans l'espace d'un mois, dévastée, démolie et rasée. Le vieux Hesdin, où commandait le maréchal de Lamarque, capitaine sans valeur et sans talents, subit le même sort que Thérouanne[11]. C'était ensuite sur Doullens que le prince Philibert-Emmanuel de Piémont se dirigeait, lorsque fort heureusement le connétable de Montmorency, vaillamment soutenu par le duc de Nemours, le prince de Condé et le maréchal de Saint-André, attaqua les Impériaux sur les bords de la Somme et les força à battre en retraite. Il était temps que l'armée française sortit de son inertie et reçût les renforts que les Suisses avaient promis. Pas plus que ses prédécesseurs Charles VIII et Louis XII, et que son père François Ier, Henri II n'avait renoncé à conquérir le Milanais et le royaume de Naples. En Italie, comme dans le Nord de la France, la guerre se poursuivait donc avec un implacable acharnement. Sur la Méditerranée l'amiral Dragut, avec quatre-vingts galères ottomanes, aidait les Français qui, après avoir ravagé les côtes de la Calabre, s'étaient jetés sur la Corse, dont ils conquirent une partie et d'où ils se retirèrent après s'être chargés de butin. Blaise de 'Montluc défendit pendant neuf mois la ville de
Sienne, qu'assiégeaient les Impériaux. Cette défense énergique lui valut plus
tard le bâton de maréchal. En Piémont, le maréchal de Brissac
s'immortalisait, moins peut-être par ses succès, quoiqu'ils fussent éclatants
vu l'insuffisance de ses troupes, que par l'austère discipline qu'il établit
dans son armée et par la noblesse de son caractère. Pour lé récompenser, le
roi lui envoya sa propre épée en lui écrivant : L'idée
que j'ai de votre mérite a passé jusque chez les étrangers. L'Empereur dit
qu'il se feroit monarque du monde entier s'il avoit un Brissac pour seconder
ses desseins. Ses troupes pourtant se mutinèrent un jour, se plaignant
de ne point recevoir de solde. Vous trouverez
toujours du pain chez moi, leur dit-il ; et avec la dot de sa fille il
paya la dette de la France. Les chances de revers et de succès se balançaient avec d'égales alternatives en Italie et dans les Flandres, lorsque le roi, laissant la régence à Catherine de Médicis, vint de sa personne prendre le commandement de l'armée du Nord, ayant pour principaux lieutenants Guise, le prince de la Roche-sur-Yon, le duc de Ferrare, le maréchal de Saint-André et l'amiral de Coligny. Guise, qui avait sous ses ordres, avec deux régiments de gendarmerie, environ mille à douze cents chevaux, tant de cavalerie légère que des nobles et dix enseignes d'infanterie française, partit le 2 septembre pour descouvrir et escumer les lieux suspects et dangereux[12]. Arrivé dans d'Artois, il espérait forcer l'Empereur à livrer bataille ; mais Charles-Quint, qui avait attiré les Français du côté où il voulait, se retira quand ils furent arrivés, et les troupes des deux monarques furent obligées de rentrer dans leurs quartiers d'hiver. Le roi avait hâté ses préparatifs de guerre sur la nouvelle des événements qui se passaient de l'autre côté de la Manche. Le jeune Édouard VI venait de mourir sans avoir régné, laissant la couronne d'Angleterre à. sa sœur, la trop célèbre Marie Tudor, que les auteurs protestants, pour innocenter la cruelle Élisabeth, ont surnommée la Sanglante. Marie était fille de Henri VIII et de Catherine d'Aragon, et avait plus de trente-huit ans lorsqu'elle monta sur le trône. Elle tenait de son père un caractère dur et hautain. Proche parente de Charles-Quint, elle rechercha l'alliance de l'Espagne en donnant sa main à Philippe, son neveu à la mode de Bretagne et fils de l'Empereur. Philippe avait douze ans de moins que sa femme et était veuf de Marie de Portugal, qui donna le jour au malheureux don Carlos. Le cardinal Pool, frère d'Édouard IV, fut en cette occasion envoyé à la cour de Rome, afin d'aider la reine dans le rétablissement de la religion catholique en Angleterre. Dans le cours de sa mission auprès du pape, le cardinal entreprit aussi de négocier la paix entra Charles et Henri II. Il se transporta auprès de chacun des souverains, et il en tira la promesse qu'il conviendrait d'une trêve en attendant la paix. Cette nouvelle causa en France la plus vive allégresse ; mais le roi ne vit dans l'empressement que mit l'Empereur à accepter cette trêve, que l'intention dans laquelle il était d'en profiter pour attendre le moment où son fils, solidement assis sur le trône d'Angleterre, pourrait lui envoyer de puissants secours en hommes et en argent. Pour prévenir l'Empereur, le roi mit sur pied ses trois armées, donnant à chacune une destination différente. Le prince de la Roche-sur-Yon, qui commandait la première, pénétra dans d'Artois ; le connétable vint assiéger Avesnes ; et le duc de Nevers se jeta dans les Ardennes afin de protéger la Champagne. Ce dernier, après avoir défait les Impériaux, rejoignit le connétable, qui, quittant Avesnes, s'était porté rapidement sur Marienbourg, bâtie par la gouvernante, et s'en était emparé en trois jours d'une attaque très vive[13]. Les trois armées commirent de sanglantes représailles dans le Cambrésis et le Hainaut, pour punir la reine de Hongrie des ravages que ses troupes avaient faits l'année précédente dans la Picardie[14]. L'armée royale, suivie à distance par les Impériaux, qui n'osaient livrer combat, vint menacer tour à tour Mons en Hainaut, Avesnes, Landrecies, le Quesnoy, Valenciennes et Cambrai. Le 4 août, l'armée revenant de Crèvecœur, près de Cambrai, passa devant Bapaume, où elle fut saluée à coups de canon. Le roi n'entreprit point le siège de cette place ; et, quatre jours plus tard, le 8 août, laissant Doullens et Hesdin à gauche, et Thérouanne à droite, il vint camper à Fruges, à quelque distance du château de Renty. Par sa position, ce château commandait à la fois la frontière de l'Artois et une partie du Boulonnais. Construit au milieu de marais, et défendu par une petite rivière nommée l'Aa et par le bois Guillaume, il pouvait opposer une sérieuse résistance. Quand le roi fit sommer le gouverneur de se rendre, celui-ci répondit qu'il ne se rendrait jamais, assuré qu'il était des secours que l'Empereur lui amènerait bientôt. En effet, Charles-Quint, se décidant enfin à livrer bataille, venait d'ordonner à Gonzague, son principal lieutenant, de mettre ses troupes en ligne entre Merque et Fauquemberg, afin de pénétrer dans le bois Guillaume. C'était le seul point par lequel le château fût abordable ; c'était aussi le seul point que le connétable de Montmorency eût négligé de défendre. Trois semaines avant, le duc d'Aumale[15], à la tête de sa cavalerie légère, avait sauvé l'armée d'une embuscade que le connétable n'avait pas su prévoir. Guise comprit, avec sa grande sûreté de coup d'el, la nouvelle faute que le connétable venait de commettre et résolut de la réparer. L'Empereur avait fait avancer ses troupes dans le bois ; mais Guise, qui avait veillé toute la nuit, ainsi que le prince de Ferrare, le duc de Nevers, l'amiral de Coligny, et le maréchal de Saint-André, avait placé environ trois cents arquebusiers, embusqués dans de petits ravins. A l'avant de ces arquebusiers, il avait mis à découvert une petite troupe de corselets, chargée d'attirer l'ennemi dans l'embuscade qu'il lui préparait. Les Impériaux s'engagèrent dans le bois, qu'ils croyaient peu défendu, tombèrent en plein dans l'embuscade que Guise leur avait ménagée, et furent obligés de battre en retraite en laissant un grand nombre des leurs. Le 13 août, à midi, l'Empereur fit décharger une volée d'artillerie pour prévenir les assiégés de sa présence et des secours qu'il leur apportait. Contre l'avis de plusieurs de ses capitaines, il se prépara dès lors à gagner le bois Guillaume. Il lança dans ce bois toutes les compagnies de gens de pied qu'il croyait les plus expérimentées, c'est-à-dire environ quatre mille arquebusiers, quelques corselets et piquiers pour les soutenir, deux mille chevaux et trois ou quatre pièces de campagne, portées sur quatre roues pouvant promptement tourner à toutes mains, et qu'on appela depuis pistolets de l'Empereur. La cavalerie légère, qui devait soutenir l'infanterie était sous les ordres du duc de Savoie, et les arquebusiers sous le commandement de Gonzague. Le long du coteau, près de ce bois, descendant vers Fauquemberg, marchaient un bataillon d'Allemands et environ deux mille reîtres, conduits par le comte de Nassau et par le maréchal de Clèves. Ces troupes d'élite avaient promis à l'Empereur de passer ce jour-là sur le ventre de la gendarmerie du roi. Les arquebusiers espagnols, en entrant dans le bois, se rencontrèrent avec trois cents des nôtres, qui les reçurent, dit un naïf historien, avec autant de bonne volonté que la première fois. Cependant Guise jugea prudent de donner avis au roi que, d'après la fureur avec laquelle les Impériaux étaient venus au combat, la journée ne se passerait pas sans bataille. Il fit ensuite retirer ses arquebusiers, et, s'adressant à ses compagnons, il s'écria : Que Dieu leur faict veoir le jour auquel ils peuvent faire un bon service à leur roy, là présent, qui ne manquera pas de les recoignoistre à l'advenir ; qu'ils ont en main une occasion très favorable de terminer cette longue guerre par une belle victoire, et que par ce moien leurs noms se rendront formidables à toutes les nations, et leur mémoire sera célébrée par la postérité à jamais. Le roi lui avait fait répondre que si l'occasion se présentait de recevoir la bataille, il ne la refusât point. Le connétable venait de passer la rivière de l'autre côté de la forêt, et Henri II avait fait informer les Suisses, chargés de l'attaque du fort, qu'il les soutiendrait de sa personne à la tête de sa cavalerie pour vaincre ou mourir avec eux. L'attaque du côté du bois, où l'ennemi venait de s'engager, fut soudaine et terrible. Guise chargea lui-même avec sa compagnie d'hommes d'armes, soutenu par le comte de Tavannes, tandis que le duc de Nemours attaquait l'ennemi en flanc. Mais à cette première charge, les nôtres se voient repoussés de tous côtés, laissant sur le champ de bataille grand nombre de morts et de blessés. Il allaient battre en retraite, lorsque Guise les rallie et les ramène au combat. Son frère, le grand prieur, le prince de Ferrare, Tavannes, le duc d'Aumale et Coligny secondent ses efforts et retournent à l'ennemi avec une rare impétuosité. Coligny surtout, avec sa cavalerie légère, charge avec une telle vigueur, qu'il met en complète déroute ces fameux reîtres allemands, qui, avec leur visage barbouillé de noir pour se rendre plus terribles, devaient passer sur le ventre à la gendarmerie française. Les pertes de l'ennemi furent d'environ deux mille morts. Espagnols et Français se sont attribué la victoire : les Français, parce qu'ils restèrent maîtres du champ de bataille ; les Espagnols, parce qu'ils parvinrent à faire pénétrer des renforts dans le château de Renty. Si la victoire, en effet, ne fut point décisive de notre côté, ce fut la faute du connétable, qui, jaloux de la gloire de Guise, n'envoya point à ce dernier les renforts qui lui auraient été nécessaires pour poursuivre l'armée de Charles-Quint et achever de la tailler en pièces. C'est de la bataille de Renty que date une inimitié dont les suites devaient être si funestes à la France. Certes, Coligny fit preuve, en cette affaire, d'une grande bravoure que nul ne songeait à lui contester, le duc de Guise moins que tout autre. Mais le connétable, jaloux de la renommée du prince lorrain, voulut encore, devant le roi, faire rejaillir sur son neveu toute la gloire de cette journée. Brantôme a dit : C'est une chose assez certaine et publique que M. de Guise fut le principal auteur de la victoire, autant pour sa belle conduite et sagesse que pour sa vaillance. Ç'a esté le premier et seul des nôtres qui commença à bien cognoistre et estriller les reytres, et monsieur son fils, le dernier et seul. Ce fut sous la tente du roi que les dissentiments éclatèrent entre Coligny et François de Lorraine. L'amiral, chose surprenante étant connue la droiture de son caractère, insinua et répandit le bruit que pendant le combat Guise n'avait pas été à la place où il aurait dû se trouver. Le duc, ayant appris ces calomnies, regardant l'amiral avec une noble fierté : Ah ! mordieu ! s'écria-t-il, ne me veuillez point oster mon honneur. — Je ne le veux point, répondit l'amiral. — Et vous ne le sçauriez, répliqua Guise en mettant l'épée à la main. Coligny en fit autant, et des menaces ils allaient passer aux actes, lorsque les assistants les continrent et que le roi, pour apaiser les deux combattants, les força à s'embrasser devant lui, et leur fit jurer de vivre désormais en bonne intelligence. Mais il n'y eut plus, dès ce jour, aucune amitié entre les deux puissants rivaux. Ainsi que le dit de Bouillé, l'intimité qui existait entre eux depuis leur jeunesse, au point qu'ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre, portant les mêmes couleurs et s'habillant de la même manière, fit place aux sentiments d'une rancune profonde que les événements devaient développer et porter au comble de la haine. On sait combien cette haine a été fatale à la France. Doués l'un et l'autre de qualités éminentes et d'une grande supériorité, ils ne tardèrent pas à devenir les chefs des factions qui déchirèrent le sein de la patrie. Guise, dans cette journée, dont l'honneur lui est resté tout entier dans l'histoire, non seulement se distingua par ses talents et par sa bravoure, mais encore eut l'occasion de montrer un des beaux côtés de son caractère si chevaleresque. Entraîné par son courage pendant l'attaque, un jeune gentilhomme nommé Saint-Fal était, malgré les ordres de son chef, sorti des rangs pour attaquer plus tôt l'ennemi. Guise, emporté par un brusque mouvement, ramena le bouillant gentilhomme dans les lignes qu'il devait occuper, en lui donnant un coup de plat d'épée sur l'épaule. Après la bataille, Guise apprit que Saint-Fal se plaignait de la façon humiliante dont il avait été traité. Le prince lorrain fit venir le gentilhomme dans la tente du roi, et, devant tous les officiers réunis, il fit ainsi ses excuses : Vous ne devez pas estre fascié, lui dit-il publiquement, du coup d'épée qu'il m'est échappé de vous donner, puisque, bien loin de vous estre désavantageux, il fait voir combien vous aviez d'ardeur pour aller au combat. J'en prends à témoin tous ces messieurs qui sont icy, et je vous prie que nous vivions amis comme auparavant. Une autre fois, Guise n'hésita pas à offrir à un officier sous ses ordres, qui se croyait également offensé, la réparation que celui-ci réclamait. La bataille de Renty ne fut qu'une brillante escarmouche, un beau fait d'armes inutile. La place fut secourue, et, quelques jours après, Henri II ramenait son armée en Picardie. Pour n'avoir point l'air de battre en retraite, Henri envoya un héraut à Charles-Quint pour le sommer de livrer bataille. L'Empereur fit répondre : Cette bataille, je l'ai gagnée ; ne suis-je point entré dans la ville que vous assiégiez ? La campagne des Pays-Bas avait fait négliger à Henri l'armée de Piémont. Sienne, qui s'était livrée aux Français avec une confiance absolue, et qui avait vu arriver avec joie dans ses murs les deux nobles Toscans Pierre et Léon Strozzi, était assiégée par le marquis de Marignan, qui commandait les troupes de Côme de Médicis, allié de Charles-Quint. Léon Strozzi avait été blessé mortellement dans une légère escarmouche, qui avait eu lieu au début du siège. Pierre écrivit au roi de France pour l'informer qu'il ne pouvait tenir campagne et le servir efficacement ; en conséquence, il le suppliait très humblement de faire élection de quelque personnage, de qui Sa Majesté pût se fier tant qu'il serait en campagne. Après avoir reçu cette dépêche, Henri II appela le duc de Guise, le connétable de Montmorency et le maréchal de Saint-André pour nommer chacun un gouverneur. Le cardinal de Lorraine assistait au conseil. Après que chacun des trois personnages eut fait son choix, le roi dit : Vous n'avez point nommé Montluc. Le duc de Guise répondit : Il ne m'en souvenoit point. Le maréchal de Saint-André fit de même, et Guise ajouta : Si vous nommez Montluc, je me tais, et ne parleray plus de celui que j'ay nommé. — Ny moy aussi, dit le maréchal, qui rapporta cette conversation à Montluc, et que celui-ci a relatée dans ses commentaires. Le connétable seul résista au choix de ce brave officier, alléguant que Montluc estoit trop bizarre, fâcheux et colère. — Nous ne l'avons jamais ouï dire, répliquèrent le prince et le maréchal. Le connétable ne se tenait pas pour battu ; mais le cardinal de Lorraine appuya à son tour Montluc, et ce dernier fut désigné pour aller remplacer Strozzi dans Sienne. Cet incident, peu grave en apparence, indique cependant les sentiments que commençaient à nourrir, l'un contre l'autre, Guise et Montmorency. Mais ce n'est qu'à de rares intervalles que François de Lorraine et l'irascible connétable laissaient percer leur jalouse inimitié. Les affaires de l'État les retrouvaient presque toujours d'accord. Leur correspondance témoigne de l'empressement qu'ils mettaient à se tenir mutuellement au courant de ce qui pouvait les intéresser. C'était par le prince lorrain que le connétable était instruit des dispositions de la reine de Hongrie en faveur de la paix, et des intrigues de Charles-Quint avec l'Angleterre contre la France et contre l'Écosse. Lorsque Pierre Strozzi quitta Sienne, laissant le commandement de la ville à Montluc, celui-ci sut se montrer digne de la haute confiance dont il venait d'être investi. Intelligent et intrépide, il communiqua aux Siennois son énergie par son humeur gasconne et son esprit enjoué. Il n'est sorte de ressources dont il n'usa pendant dix mois que dura ce siège, pour déjouer les ruses de l'ennemi et pour faire prendre patience à la population. La ville cependant dut capituler, n'ayant pu être secourue ni par Henri II ni par Pierre Strozzi, ce dernier s'étant fait battre par le marquis de Marignan, qu'il avait attaqué dans son camp de Marciano. Montluc ne prit aucune part à la capitulation, ne voulant pas attacher son nom à un pareil acte, se réservant, si les conditions ne lui convenaient point, de sortir à la désespérade, et montrant ainsi qu'il était issu de ces belliqueux Romains, dont une colonie avait été envoyée en Gascogne, près des Pyrénées, et dont il était natif. Au nom du duc de Toscane, le marquis de Marignan signa les conditions les moins rigoureuses pour les habitants de Sienne, et les plus honorables pour les Français, qui évacuèrent la ville avec armes et bagages, si petits qu'ils ne faisaient point nombre, tambours battants et enseignes déployées. (22 avril 1555.) Montluc alla rejoindre Strozzi, et ensuite revint en France, où il craignait fort la disgrâce du roi. Avant de se présenter à Henri II, il voulut voir Guise, qui l'accueillit les bras ouverts et ne pouvait se lasser de l'embrasser. Après cette entrevue si affectueuse, le prince conduisit Montluc dans la chambre du roi en s'écriant avec gaieté : Sire, voilà votre homme perdu. Henri II reçut Montluc avec bienveillance, lui reprochant de s'être laissé réduire à une extrémité si grande qu'il n'espérait plus le revoir. En récompense de sa noble conduite dans Sienne, Montluc reçut le collier de l'ordre. Les Guises et la duchesse de Valentinois ne furent point étrangers à cette flatteuse distinction. Nous avons dit que le maréchal de Brissac opérait en Piémont. Si de ce côté encore l'implacable jalousie de Montmorency ne s'était pas fait sentir, le brave maréchal aurait pu venir au secours de Sienne. Mais, ne recevant qu'à de rares intervalles de très faibles renforts, et complètement dépourvu d'argent, il se voyait dans l'impossibilité matérielle de livrer une bataille en règle, dont le résultat eût compromis le fruit de toutes ses conquêtes. Avec ces illustres volontaires qui s'appelaient les princes d'Enghien et de Condé, les ducs de Nemours et d'Aumale, le vidame de Chartres, Bonnivet, Boissy, il ne cessait de remporter de brillants avantages sur les plus grands capitaines de Charles-Quint, d'Albe et le duc de Savoie. Cette campagne de Piémont, où tant de héros se signalèrent, voudrait être chantée par un Arioste ; les croisés de Lusignan et de Godefroy de Bouillon ne furent pas plus héroïques ni plus chevaleresques que cette poignée de héros dont le beau Brissac était le chef. Force nous est d'omettre les détails de cette campagne, qui nous éloigneraient trop de notre sujet, pour suivre en France les événements qui vont s'accomplir, et que les Guises, le cardinal de Lorraine surtout, vont diriger au gré de leur ambition. Lorsque le roi revint en France, après la bataille de Renty, il emmena avec lui Guise et Montmorency, et laissa le commandement de l'armée à Antoine de Bourbon, qui empêcha les Impériaux de passer la Somme. Après la prise de Sienne, le pape Jules III résolut de tenter par de nouveaux efforts de ramener la paix entre les puissances belligérantes. Aidé avec intelligence et désintéressement par le cardinal Pool, il avait déjà obtenu des souverains que des conférences seraient ouvertes sous sa médiation et sous celle de l'Angleterre au bourg de la Marcq, près de Calais. Peut-être Jules III eût mené à bonne fin sa pacifique entreprise, si la mort n'était venue le surprendre. Marcel Cevina (Marcel II), qui mourut vingt-deux jours après son élection, n'eut pas le temps de continuer les négociations de son prédécesseur. Le conclave tenu après la mort de Marcel II avait fixé son choix sur le cardinal Jean-Pierre Caraffa, dont la vie austère semblait être le présage d'un pontificat de concorde. Mais à peine le célèbre fondateur de l'ordre des Théatins fut - il monté sur le trône de Saint-Pierre, sous le nom de Paul IV, que le moine, jusqu'alors si modeste, fit place au souverain magnifique et avide de puissance et de gloire. Napolitain d'origine et fidèle aux traditions de sa famille, il était resté attaché à la maison d'Anjou et avait juré une haine implacable à l'Espagne. Paul IV rêvait donc de chasser les Espagnols et leurs alliés de l'Italie et de rendre Naples à la France, tout en se réservant d'augmenter le territoire de l'Église sur les débris des possessions de l'Autriche et de l'Espagne, et de donner les autres territoires aux Caraffa. Tout ce plan était concerté d'avance entre le pape, le cardinal Caraffa, son neveu, et le cardinal Charles de Lorraine. La trêve un moment convenue entre Henri II et l'Empereur fut rompue par les intrigues du légat romain, vivement secondé dans son entreprise par la duchesse de Valentinois, la reine Catherine de Médicis et par les Guises. Seul, le connétable de Montmorency, devinant les secrets desseins des princes lorrains et de la favorite, inclinait pour la paix ; mais la jeune cour voulait la guerre. Henri II, dont l'ambition était flattée à l'idée de ceindre la couronne de Naples, désirait aussi la guerre. Pour l'y déterminer, Paul IV lui fit remettre, par son neveu Caraffa, une riche épée et un bonnet orné de perles, en reconnaissance des services rendus au Saint-Siège par les rois de France. Voici quel était le plan des alliés, plan conçu tout entier par le cardinal Charles de Lorraine, et dont l'exécution reposait sur la bravoure et sur le génie militaire du duc de Guise. Les Espagnols et les Autrichiens chassés de l'Italie, la Toscane devenait une république dans laquelle les Caraffa se seraient faillé des principautés. Le duc d'Aumale, gendre de la duchesse de Valentinois, devait avoir la Lombardie, avec Milan pour capitale ; les ducs d'Este auraient arrondi leurs principautés de Ferrare ; Catherine de Médicis eût fait retourner en Italie, avec un beau commandement et peut-être avec un duché, Strozzi, son parent, et se fût assuré ainsi un allié de plus dans son pays natal. Quant à Guise, il avait la part du lion. Si l'expédition lui était confiée, ainsi qu'il en était certain, et s'il chassait les Espagnols de Naples, ainsi qu'il l'espérait, il jetait le masque et faisait valoir ses droits à l'héritage de la maison d'Anjou comme arrière-petit-fils d'Yolande, fille du roi René. Des circonstances heureuses pouvaient l'aider encore pour rentrer en possession de cet héritage tant convoité. Le cardinal de Lorraine voulait la tiare ! On peut dire que le cardinal était l'aine de sa famille. Si François de Guise avait hérité de toutes les brillantes qualités de ses ancêtres, Charles de Lorraine en conservait toutes les prétentions. 'Le plus désintéressé était Claude, et il en donna la preuve en Piémont, où Montmorency l'avait envoyé pour servir sous les ordres de Brissac. Le loyal maréchal, qui au début de la campagne semblait avoir manifesté quelque froideur à l'égard de d'Aumale, ne cessa depuis de lui témoigner toute son amitié et toute sa confiance. D'Aumale, de son côté, était envers lui rempli de soumission et de respect, et il le prouvait par l'empressement qu'il mettait à le tenir au courant de toutes ses opérations et à lui demander constamment son avis. A son retour en France, le roi, en reconnaissance des services qu'il avait rendus à l'État et à la monarchie, lui fit une réception solennelle, dans laquelle il le traita en ami et en triomphateur. |
[1] René de Rouillé.
[2] Le Siège de Metz, par Salignac.
[3] Solignac.
[4] Bref discours du siège de Metz.
[5] Allusion à l'emblème adopté par Charles-Quint, savoir : deux colonnes (allégoriques de celles d'Hercule) avec le mot ultra, signifiant qu'il les avait dépassées en portant an delà de Cadix ses armes conquérantes en Afrique.
[6] Ambroise Paré a laissé de son voyage à Metz un récit dans lequel nous avons puisé plusieurs documents pour écrire cette histoire.
[7] Charles-Quint.
[8] MM. Gaignières, V, 338, fol. 47.
[9] Selon d'autres historiens, il dit : La fortune ressemble aux femmes, elle n'aime pas les cheveux blancs.
[10] MM. Gaignières, V, 405, fol. 89.
[11] Ce fut au siège d'Hesdin que mourut Horace Farnèse, duc de Castro, marié depuis un mois à peine.
[12] Rabutin.
[13] Anquetil.
[14] Rabutin raconte dans ses commentaires que, le 27 juillet, l'armée française ayant commencé à faire son entrée dans le Hainaut si furieusement, que toute la contrée fut ruinée et mise à perdition ; cependant, dans le village de Jametz, le roi fit un acte d'un vertueux et très chrétien prince. Un guidon de la compagnie de M. de Nevers lui apprit qu'une pauvre femme, son hôtesse, avait accouché d'un beau fils. Le roi voulut lui-même tenir l'enfant sur les fonts baptismaux et lui donner son nom. M. le révérendissime cardinal de Lorraine fit le baptême. Je ne puis, ajoute Rabutin, assurer du présent que Sa Majesté luy fict, seulement je açay et vey qu'à la porte du logis fut escrit que c'estoit la maison où le roy avait chrestienté l'enfant, à ce qu'elle ne fust destruite et ruinée.
[15] D'Aumale venait enfin d'être rendu à la liberté, en vertu d'un traité signé le 4 avril 1554, et moyennant une rançon de six mille écus. Ce fut la duchesse de Valentinois, sa belle-mère, qui paya cette somme avec l'argent qui lui était revenu des confiscations opérées sur les réformés.