XVII. — LE CONNÉTABLE DE BOURBON EN ITALIE. - SAC DE ROME PAR LES
HUGUENOTS. - CALVIN ET LA DUCHESSE D'ÉTAMPES.
1526-1537.
Aucune popularité ne fut comparable à celle du connétable
de Bourbon parmi les gens d'armes, les aventureux de toutes nations et les
soldats de tous camps, malgré le discrédit qu'on avait voulu jeter sur sa
personne par sa défection : la gloire qu'il avait acquise à Pavie n'était pas
la seule cause de cette popularité, il la devait encore à ce caractère hardi,
batailleur, un peu sans foi ni loi, qui plaisait tant aux soudards et
compagnons de guerre au moyen-âge : les Espagnols eux-mêmes chantaient sous
la tente le connétable de Bourdon :
Calla, calla, Julio César, Annibal,
Scipion,
Viva la fama de Borbon[1].
La chanson des gens d'armes sur le duc de Bourbon
retentissait dans les batailles, comme celle de Rolland parmi les preux :
Louange à Dieu qui donne la
victoire
Belle à César[2] par le duc de
Bourbon ;
Noble Bourbon, puis mil ans
telle gloire
Ne acquit quelqu'un que ton
bruit et renom
Par tel façon a érigé ton nom
A toujours, mais, n'est besoin
en douter.
Tu as dompté superbe nation
Qui prétendait le monde surmonter[3].
Ce chant faisait allusion à la bataille de Pavie et à la
gloire que le duc de Bourbon y avait acquise ; on put bien faire des légendes
en France sur les dédains dont le connétable fut entouré en Espagne : nul
grand de Castille ne lui tourna le dos, nul ne brûla sa maison après que le
connétable l'avait habitée ; nobles fables pour réchauffer le dévouement des
gentilshommes au roi de France. La renommée de Bourbon pouvait inspirer
jalousie, jamais un tel dédain ; sa place, au reste, était au milieu des reîtres
et des lansquenets que lui amenait d'Allemagne, Fronsberg, plus mécréant
encore que Bourbon, et à son côté le prince d'Orange, tout épris de la gloire
des aventuriers.
A la tête de cette armée moitié allemande et flamande,
moitié aragonaise, le corps espagnol surtout était mécontent, car il n'était
pas payé ; les soldats disaient dans leur rodomontades ; que si no les pagavan, revolverian todo el mondo : y por
mostrar en la obro sus intenciones sacquevavan y robovan todo[4]. Le connétable,
avec une merveilleuse activité pour les satisfaire, faisait des emprunts,
imposait les populations et mettait ainsi au courant leur solde. Il leur
promettait surtout le pillage de l'Italie : de belles villes à dépouiller,
les trésors des églises, les sous d'or de la bourgeoise commerçante[5] ; et tous ces braves gens comme dit Brantôme en étaient
ravis de joie : Si les Espagnols pouvaient se faire quelques scrupules
sur une expédition contre le pape et les églises, il n'en était pas ainsi des
reîtres et des lansquenets qui pratiquaient les enseignements de Luther. La
réformation en Allemagne était restée bien peu de temps dans l'état de simple
doctrine ; elle s'était transformée en agitation et en guerre violente. C'est
le côté par lequel on n'a pas assez étudié la réformation, quand on veut
s'expliquer les mesures sévères qui furent prises pour la contenir et la
réprimer. Le premier droit d'un gouvernement et d'une société est de se
défendre, et le luthéranisme jetait au milieu du monde la guerre sociale des
paysans et des grandes compagnies glorieusement comprimés par les Guises.
Le sentiment le plus profond, le plus vivace, j'ai presque
dit le plus brute, au cœur des reîtres, c'était la haine contre le pape et
Rome ; cette haine, Luther l'avait suscitée avec une telle persévérance et
une telle rudesse[6]
qu'elle était passée dans le corps et dans les os de tous ces soldats de la
réformation, parmi les féodaux surtout qui considéraient les abbayes et les
terres monacales comme une proie facile offerte à leur avidité : la guerre
éternelle entre la force matérielle et la puissance morale se renouvelait
avec une nouvelle énergie au XVIe siècle.
Le type de ces féodaux était toujours Fronsberg, le baron
de la Souabe,
qui avait franchement accepté la supériorité militaire du connétable. Tout
glorieux de son passé, Bourbon promettait à toutes ces bandes noires et
grises le sac de Rome, la chute du pape, la dispersion des cardinaux ; il
s'engageait à donner à chaque chef de bons établissements en Italie.
L'occasion était toute trouvée ; Charles-Quint lui-même avait des griefs
contre le pape, car avec cette inconstance qui le caractérise, le peuple
italien était passé d'un système à un autre ; l'Italie devait son
indépendance à l'Empereur et par son épée elle s'était délivrée des Français
et des Suisses ; mais cette épée protectrice, l'Italie capricieuse voulait la
briser pour agir et s'organiser seule, ce qui fut toujours sa pensée,
d'autres diraient son rêve.
Les Vénitiens, le pape, les Florentins, en concluant une
alliance bien fragile contre Charles-Quint, mettaient sur pied une armée de la Ligue
italienne[7]. C'était aussi la
prétention de ces souverainetés de s'armer entre elles pour un but commun
qu'elles ne pouvaient atteindre, l'esprit d'unité leur manquant. Us voulaient
former une armée italienne, se grouper par des ligues nationales ; presque
aussitôt la faiblesse des moyens, la division des chefs amenaient la
dissolution de cette armée.
Cette ligue italienne, le connétable s'était chargé de la
combattre et de la vaincre ; à cet effet, il avait lancé ses Allemands et ses
Espagnols sur le centre même de l'Italie ; ses lieutenants, Fronsberg[8] et le prince
d'Orange[9], tous deux braves
aventuriers, le secondaient de tous leurs moyens : La ligue italienne fut
bientôt dispersée ; le connétable et ses deux lieutenants envahirent les
légations romaines, Ferrare se rendit aux lansquenets. Là, mourut le gros
capitaine Fronsberg dans une orgie huguenote, en avalant une grande coupe de
vin dans un calice : c'était pourtant un rude homme, à la taille haute, aux
larges épaules, à la figure épaisse et enluminée ; nul ne connaissait mieux
le langage de guerre qui convenait à ses soudarts ; le connétable donna de
grands regrets à Fronsberg ; puis il dit aux lansquenets, ne suis-je pas un pauvre sire comme lui, sans bien ni
terre, et ne me faut-il pas gagner ville et état ?
Rome se levait devant les aventuriers avec ses richesses
infinies : il y avait alors une opinion répandue, c'est que Rome avait hérité
des trésors du vieux monde, opinion qu'on voit se répandre dès le Ve siècle
chez les Goths, les Vandales et après la chute de Constantinople, ces richesses
avaient dû s'accroître. On disait que des tonnes d'or étaient enfouies dans
les caveaux des basiliques ; tout était riche à Rome : reliquaires, vases
sacrés, chandeliers, ornements des autels, chappes et tiares ; les mécréants
se faisaient joie de ces profanations, et ils saluèrent Rome de leur chant de
guerre, de leurs clameurs de victoire[10].
Presque aussitôt, l'assaut fut donné par les deux côtés
des vastes murailles, qui s'étendaient sur un espace de près de cinq lieues,
assaut terrible, bravement soutenu et fortement accompli. Un coup d'arquebuse
frappa le connétable en pleine poitrine, et il tomba, blessé à mort. S'il
faut en croire l'artiste un peu hâbleur, Benvenuto Cellini[11], ce fut lui qui
lança ce grand coup : il ne faut pas en vouloir aux artistes fantasques de ces
petits mensonges, de ces vanteries fréquentes ; leur imagination travaille
ardemment ; elle charpente avec naïveté un roman dont ils se croient les
héros et qui devient pour eux de bonne foi, la vérité absolue. La mort
glorieuse du connétable de Bourbon fit une impression profonde de tristesse
et de colère parmi les bandes d'aventuriers ; en langue espagnole ou
allemande ils poussaient ces cris sauvages : Il faut
venger Bourbon par la chair et le sang[12].
Un chant de geste et de guerre demeura longtemps parmi les
aventuriers, en souvenir de la mort du connétable, leur chef bien-aimé.
Quand le bon prince d'Orange
Vist Bourbon qui était mort,
Criant : Saint Nicolas !
Il est mort, saincte Barbe !
Jamais plus ne dist mot,
A Dieu rendit son âme.
Sonnez, sonnez, trompette.
Sonnez tous à l'assaut,
Approchez vos engins,
Abbattez les murailles
Tous les biens des Romains
Je vous donne au pillage[13].
Cet ordre fut cruellement exécuté. La description que fait
Brantôme du sac de Rome par les lansquenets et les volontaires espagnols,
soulève de tristes réflexions sur les mœurs des gens de guerre de cette
époque, que plus tard Callot a dessinés. Il y a sans doute un peu
d'exagération dans le récit du sire de Bourdeille qui n'était pas témoin
oculaire des faits qu'il raconte par ouï dire : Brantôme n'était pas au siège
de Rome ; mais il avait écouté, entendu ce récit de la bouche même de
quelques-uns de ces soudards, compagnons d'armes de sa jeunesse ; le souvenir
en était resté en sa mémoire : Rome vaincue,
dit Brantôme, ils se mirent à tuer, desrober, tuer
et violer femmes sans tenir aucun respect ni à l'âge ni à dignité, sans
respecter les saintes reliques des temples, ni les vierges, ni les moniales,
jusques là que leur cruauté ne s'estendit pas seulement sur les personnes,
mais encore sur les marbres et antiques statues : les lansquenets qui étaient
imbus de la nouvelle religion, s'habillaient en cardinaux, en evesques en
leurs habits pontificaux et se promenaient ainsi parmi la ville, au lieu
d'estaffier, fesaient ainsi marcher ces pauvres ecclésiastiques, à côté ou en
devant en habits de laquais, les uns les assommaient de coups, les autres se
contentaient de leur donner des horions, les autres se moquaient d'eux et en
tiraient des risées en les habillant en bouffons et maltassins ; les uns leur
levaient les queues de leur chappes en fesant leur procession par la ville et
disant les litanies ; bref ce fut un vilain scandale.
Brantôme ajoute comme un souvenir : Les huguenots en nos guerres en ont bien fait autant et
mesme à la prise de Cahors, car, tant que dura leur séjour, les palefreniers
tous les matins et soirs qui allaient abreuver leurs chevaux, s'habillaient
de chapes des églises qu'ils avaient prises et montés sur leurs chevaux,
allaient en l'abreuvoir et entournaient ainsi vestus en chantant les litanies
et un qui avait trouvé la mitre allait derrière fesant l'office de l'évêque[14]. Je rapporte ce
passage de Brantôme, pour expliquer et justifier les réactions populaires
contre les calvinistes.
Il serait impossible de suivre plus loin les récits trop
naïfs du sire de Bourdeille, dans la description du sac de Rome par les
lansquenets et les compagnies d'aventuriers espagnols ; Brantôme ne s'épargne
pas la licence des tableaux et la franchise des expressions. L'opinion qu'il
a des dames romaines (comtesses, marquises, baronesses),
est un peu conforme à sa manière de conter les galanteries des dames à la
cour de Henri 11 et de Charles IX. Il faut prendre Brantôme comme un charmant
hâbleur, une espèce de Boccace français qui lance un peu au hasard des noms
propres à côté des récits de galanterie souvent inventés ; il les conte si
bien, avec tant de naturel, qu'on ne distingue pas ses imaginations de la
vérité, et qu'on se laisse doucement bercer par ses agréables aventures.
Pendant le sac de Rome, la dévastation des basiliques, le
saccagement de la tombe des Apôtres[15], par les reîtres
plus cruels que les Huns et les Alains, le pape et les cardinaux s'étaient
réfugiés au château Saint-Ange, où ils subirent un siège régulier ; du haut
de cette vaste tour (le Môle d'Adrien),
ils purent contempler ces processions moqueuses, dans lesquelles les
Huguenots, montés sur des ânes, transportaient les reliques et même le pain
consacré. Les prédications de Luther avaient préparé ces excès de la
soldatesque allemande.
L'empereur Charles-Quint, tout en désavouant le sac de
Rome, n'en faisait pas moins assiéger le souverain pontife dans le château
Saint-Ange, et le forçait à se rendre prisonnier en l'environnant de respect,
et en s'agenouillant devant lui ; l'empereur aimait les grands captifs. Il
mêlait un respect affecté à sa politique d'invasion et de conquête ; c'était
sa seule hypocrisie.
Pour rester juste et impartial, il faut dire que les
opinions de la
Réforme s'étaient produites, en majorité jusqu'ici en
France, dans des conditions plus calmes, plus modérées que les jacqueries
luthériennes de l'Allemagne. Ces opinions purent mériter la protection de
mademoiselle d'Heilly (la duchesse d'Étampes),
comme elles avaient trouvé des partisans dans les classes scientifiques et
universitaires. Le calvinisme, quoique plus hardi, plus dessiné comme
doctrine, avait quelque chose de plus doux dans la parole et dans
l'expression. Calvin, né à Noyon, loin de lutter contre la puissance royale,
s'adressait à elle dans les formes les plus obséquieuses, pour demander sa
protection ; il dédiait à François Ier ses livres et ses œuvres[16]. Calvin avait
pour protectrice avouée Marguerite de Valois (depuis
duchesse d'Alençon), cette tendre sœur du roi, puis madame Marie de
France, duchesse de Ferrare[17] et enfin la
duchesse d'Étampes, toute puissante à la cour de François Ier. Ce fut sur les
instances de la maîtresse bien-aimée de François Ier que Clément Marot
traduisit les psaumes en français, que le soir on récitait dans le
Pré-au-Clerc, ce beau rendez-vous de la cour[18]. Qu'on se
représente au delà de la Seine,
les prés fleuris en face du Louvre, ombragés de grands arbres et s'étendant
jusqu'au village de Grenelle, L'université avait là ses jardins, ses allées,
ses vergers en espaliers, sa fruiterie, et ses beaux treillis de vigne. Le
soir, le Pré-au-Clerc retentissait d'une douce musique qui accompagnait les
psaumes de David : chacun y mettait son air favori, et la popularité de
l'œuvre de Marot fût si grande, que le roi en accepta enfin la dédicace :
Puisque voulez que je poursuive,
ô Sire,
L'œuvre royale du psautier
commencé,
Et que tous ceux aimant Dieu le
désire,
D'y besogner m'y tient tout
disposé ;
S'en sente donc qui voudra
offensé ;
Car ceux à qui un tel bien ne
peut plaire
Doivent penser, si jà ne l'ont
pensé.
Qu'en vous plaisant me plaît de
leur déplaire[19].
Ainsi le Roi lui-même commandait cette traduction des
psaumes que f Église condamnait : ce fut parla duchesse d*Étampes, que
Clément Marot obtint toutes les grâces de la cour ; esprit fantasque,
exigeant, tapageur, plus d'une fois le poète avait eu des démêlés avec la
justice ; ses vers sur le Châtelet le constatent.
Les ennemis, que Marot dénonçait dans ses jeux de mots
versifiés, étaient les catholiques ardents, les docteurs de la Sorbonne, les
magistrats des cours de justice qui maintenaient les principes de la vieille
société. Ce parti avait pour expression Diane de Poitiers, unie intimement
aux Guise, la rivale de la duchesse d'Étampes, esprit politique qui voulait
défendre les lois antiques de la chevalerie et de la société du moyen-âge.
On était, en effet, à une époque de transition
scientifique ; le moyen-âge s'affaiblissait, l'esprit de la chevalerie était
son dernier souffle jeté sur le siècle de François Ier : son guerre civile,
les dissensions universitaires allaient se substituer aux belles joutes et
aux tournois ; et la preuve que ce vieil esprit s'en allait, ce fut la façon
presque ridicule, dont se termina le grand cartel envoyé par Charles-Quint à
François Ier !
XVIII. — CARTEL DE CHARLES-QUINT À FRANÇOIS Ier.
1526-1527.
Un des épisodes les plus étranges dans l'histoire
sérieuse, ce fut de voir le grave et politique Charles-Quint, oubliant les
lois générales de son système habituellement plein de calme et de réflexion (comme l'esprit monacal de l'Espagne), pour
se jeter dans les aventures d'un cartel de chevalerie. Le sang des ducs de
Bourgogne lui était-il monté au cerveau ? la colère d'avoir été trompé, joué
par François Ier, lui faisait-elle oublier les lois de la prudence générale ?
Vainqueur partout au moyen de ses armées, comment se jetait-il en chevalier
errant dans les hasards d'un combat singulier ? C'est que lorsqu'une forte
déception arrive, lorsqu'on a travaillé à l'accomplissement d'un système et
que le but échappe, on ne raisonne plus, on agit avec sa colère et non point
avec la réflexion. L'Empereur venait d'apprendre que le parlement de Paris
avilit déclaré nul l'acte scellé des armes royales de France, en vertu de ce
principe du droit romain, qui exigeait la liberté, la spontanéité dans tous
les actes légaux de la vie de l'homme ; or, François Ier captif n'avait pu
agir librement[20].
L'Empereur considérait cette façon de résonner comme une
grande déloyauté. Ce n'était pas le roi de France qui avait négocié et
préparé le traité, mais des plénipotentiaires librement choisis par lui ; il
n'avait fait que ratifier leur œuvre discutée, réfléchie ; et, d'ailleurs,
n'avait-il pas engagé sa parole de gentilhomme et de chevalier, d'exécuter
fidèlement les clauses du traité de Madrid ? Cheminant tout à côté de
l'Empereur depuis Burgos jusqu'à la Bidassoa, François V' n'avait-il pas pris à
témoin l'image de la croix, et ne se parjurait-il pas comme un félon en
oubliant cette promesse ? Comme il avait manqué à sa foi de chevalier,
Charles-Quint le provoquait en cartel. Peut-être aussi, par un de ces
caprices qui arrivent quelquefois aux esprits politiques, Charles-Quint
voulait-il se jeter dans les aventures pour montrer son courage personnel et
enlever à son rival, l'autorité et le prestige de roi chevalier.
Après la signature du traité de Madrid, François Ier avait
envoyé pour le représenter auprès de Charles-Quint un ambassadeur ; c'était
un chevalier très en avant dans la confiance de la duchesse d'Angoulême,
Henri de Calvimont, et plusieurs fois en sa présence, l'Empereur s'était
exprimé en paroles aigres et colères sur la conduite du roi de France,
jusqu'à la provocation. Les instructions de l'ambassadeur lui recommandaient
beaucoup de calme, la nécessité de prolonger et d'attendre : en ce moment,
François Ier négociait avec le roi d'Angleterre, et l'on était à la veille de
la signature d'un traité offensif et défensif. Le traité avait pour but de
forcer Charles-Quint à rendre les deux jeunes princes, fils de François Ier,
moyennant une juste rançon, ce qui était dans le droit chrétien.
Le pape invitait tous les peuples à une croisade, et il
fallait pour cela un durable système de conciliation[21].
L'empereur Charles-Quint était instruit de ces négociations
et de ces actes[22]
; impatienté des délais et de ces paroles évasives ou de cette mauvaise
volonté, il s'écria tout haut en présence de l'ambassadeur de France,
Calvimont : Le roi, votre maître, a manqué
déloyalement à la foi de chevalier qu'il m'avait donnée, et s'il osait le
nier, je le soutiendrais seul à seul avec lui les armes à la main !
Dans les lois de la chevalerie c'était un véritable défi d'armes. Une dépêche
de Calvimont informa François Ier de cet appel à un combat singulier :
l'ambassadeur, n'exprimant aucune opinion, racontait les faits tels qu'ils
s'étaient passés dans l'audience de l'Empereur.
A l'époque toute de négociation et de diplomatie où l'on
se trouvait, François I" avait tout à gagner en retardant une réponse.
Le conseil était d'avis qu'en poursuivant la guerre en Italie, l'empereur
Charles-Quint avait brisé lui-même le traité de Madrid, et qu'il n'y avait
plus d'engagement de la part du roi de France, puisque la paix n'était pas
observée, opinion partagée par le roi Henri VIII. Les deux conseils de France
et d'Angleterre résolurent donc d'envoyer des hérauts-d'armes à
Charles-Quint, pour lui déclarer solennellement la guerre. Ce n'était point
ici un défi de chevalerie, la provocation d'un cartel, pour un combat corps à
corps, les hérauts d'armes représentaient le suzerain, chef de la nation ; ce
qu'ils dénonçaient, c'était la guerre et non pas un combat de chevalerie[23] en champ-clos.
Le défi de Charles-Quint, au contraire, était une
provocation individuelle, à laquelle tout chevalier devait répondre. Le
héraut-d'armes de France s'appelait Guyenne, celui d'Angleterre Clarence ;
tous deux partirent donc couverts d'armures avec le blason de leur maître sur
la poitrine et le gonfanon à la main, précédés de deux trompettes également
aux armes royales, s'acheminant à travers les terres de France et d'Espagne[24] ; ils trouvèrent
l'empereur Charles-Quint qui tenait sa cour plénière à Burgos. Ils
s'annoncèrent comme messagers d'armes de France et d'Angleterre portant les
paroles des rois leurs seigneurs ; après trois appels au son de trompe,
Guyenne, le héraut-d'armes de France, s'écria : A
toi, empereur Charles le cinquième, nous déclarons au nom des rois de France
et d'Angleterre, que tu as forfait à l'honneur en retenant notre Saint-Père
le pape captif au château de Saint-Ange, en gardant comme des serfs les
enfants du roi de France qui n'étaient qu'otages, en refusant de payer à
Henri, roi d'Angleterre, les sommes dont tu lui es débiteur[25].
En entendant ces paroles hardies du héros-d'armes,
l'empereur Charles-Quint, tout rouge de colère, répliqua d'une voix terrible
: En vérité, Guyenne, ton maître en a menti par la
gorge, François de Valois, quoique libre, n'a pas cessé d'être mon prisonnier
; il a violé sa parole de chevalier, car n'avait-il pas promis de venir se
remettre en mes mains, si le traité de Madrid n'était pas exécuté, et il ne
l'a pas été. Ton maître, ayant forfait à l'honneur, n'a plus qu'à répondre au
défi d'un combat singulier que je lui porte à la lance, à l'épée, à la hache
d'armes, ainsi que je lui ai envoyé dire par l'ambassadeur Calvimont. A
présent part, je te donne congé.
Les hérauts-d'armes, remettant leur casque et haulme sur
leur chef, s'acheminèrent donc à travers l'Espagne et la France vers la cour de
Fontainebleau, où ils trouvèrent le roi François Ier au milieu des fêtes et
des plaisirs de ses nouvelles amours pour la duchesse d'Étampes : Guyenne
répéta mot à mot les paroles fières et dédaigneuses de Charles-Quint.
François, le visage en feu, dicta le cartel suivant : A toi, élu empereur d'Allemagne, tu en as menti par la gorge, quand tu
soutiens que j'ai manqué à ma foi de gentilhomme ; j'accepte ton défi,
assigne un lieu de combat, promets-moi la sûreté du camp et terminons par
l'épée ce qui s'est trop continué par l'écriture[26].
Dans la loi de la chevalerie, assurer le camp, c'était
donner un sauf-conduit solennel, de manière qu'en aucun cas il pût y avoir
saisie de corps de l'un des deux combattants, car François Ier craignait
toujours quelque piège tendu par Charles-Quint, et de voir ainsi recommencer
sa captivité. Le héraut-d'armes Guyenne s'achemina une seconde fois pour les
terres d'Espagne, portant le royal cartel dans une aumônière de soie.
Charles-Quint tenait alors sa cour à Monco en Aragon : quand le héraut-d'armes
eut achevé son défi et sonné ses trois coups de trompette, l'Empereur lui dit
: Rapporte au roi ton maître que j'accepte le
cartel, le lieu fixé pour le combat sera l'île de la Bidassoa, la place même
où François Ier m'a donné sa foi de gentilhomme d'exécuter le traité, et où
il me remit ses enfants en otages ; ce lieu placé entre les deux États,
n'est-il pas sûr ? nous enverrons de part et d'autre un prud'homme en
chevalerie pour procurer la sûreté du camp et décider le choix des armes que
je prétends m'appartenir, car je suis l'insulté[27].
Charles-Quint prenait ce cartel si parfaitement au sérieux
qu'il avait fait choix du chevalier qui devait l'accompagner comme témoin et
second dans le duel, c'était don Baltazar Castiglionne, le plus loyal des
paladins dans la grandesse d'Espagne, l'auteur du beau livre chevaleresque la Cortezia
(la Courtoisie), parfait miroir d'honneur et
de bravoure ; ce choix ainsi fait, Bourgogne, le héraut-d'armes de
Charles-Quint, s'achemina portant le défi en règle ; il espérait trouver à la
frontière un sauf-conduit tout préparé pour voyager en France, mais, par un
concours de circonstances que l'on ne peut expliquer, ce sauf-conduit se fit
attendre jusqu'au 18 août[28]. Voilà donc
Bourgogne, voyageant à travers la
France précédé de son écuyer, le blason d'Autriche sur la
poitrine ; il arriva à Fontainebleau le 6 septembre et se fit annoncer à son
de trompe comme le messager de l'Empereur : le héraut Guyenne vint au devant
de lui :
— Que demandes-tu, chevalier ?
— Le roi, ton maître.
— Il est impossible que tu le
voies aujourd'hui, il est à Longjumeau à courre le cerf et j'ai ordre de t'y
conduire.
Le héraut d'armes Bourgogne se mit en marche accompagné de
Guyenne pour atteindre François Ier à la chasse dans la forêt ; quand ils
virent les tours de Longjumeau, Guyenne ayant distancé Bourgogne revint
bientôt en disant : Le roi est encore à la chasse
avec la duchesse d'Étampes et je n'ai pu les rejoindre. Après bien des
allées et des venues, le roi de France enfin fit dire qu'il recevrait le
message de Charles-Quint dans le château des Tournelles à Paris, et Bourgogne
se hâta de s'y rendre conduit par le grand-maître de Montmorency, montrant
partout une vive impatience de remplir son office. Dès que le Roi l'aperçut,
il s'écria :
— Héraut Bourgogne m'apportes-tu
l'assurance du camp[29] ?
— Permettez, sire, que je fasse
mon office et que je lise le cartel que l'Empereur mon maître m'a chargé de
porter à votre majesté.
— Héraut Bourgogne, je te le
répètes, m'apportes-tu la sûreté du camp ?
Le héraut Bourgogne, au lieu de répondre, se mit en mesure
de lire le cartel dans son entier. Le Roi l'interrompit :
— Assez, Bourgogne ! donne-moi
d'abord la patente de sûreté du champ-clos, et tu harangueras ensuite tant
que tu voudras.
— J'ai ordre de lire à votre
majesté le cartel et de vous le remettre en main.
— Je ne le permettrai pas ; ton
maître voudrait-il donner des lois dans mon royaume ?
— Sire, je ne puis remplir mon
office ainsi qu'il m'a été donné : constatez votre refus par écrit et
donnez-moi un sauf-conduit pour le retour.
— Montmorency, qu'on le lui
donne donc, dit le Roi impatienté.
Le héraut Bourgogne répéta à deux fois au grand-maître
Montmorency :
— Monseigneur, vous voyez bien
qu'on n'a pas voulu m'entendre, et cependant je dois vous dire que le cartel
contenait la sûreté du camp.
Alors le héraut fit encore sonner trois fois de la
trompette, provoqua le roi de France au nom de son maître en combat singulier
et reprit la route d'Espagne à travers F Orléanais, la Guyenne et la Gascogne[30].
XIX. — LA PAIX DE
CAMBRAI OU DES DAMES[31].
1528.
Quand on lit le procès-verbal minutieux du héraut-d'armes
Bourgogne, tout en faisant même une grande part à sa passion personnelle pour
l'empereur Charles-Quint, son maître, on serait tenté de croire à un manque
de cœur et de courage du côté de François Ier. Il semble en résulter, en
effet, que Charles-Quint cherchait très-sérieusement un duel corps à corps, même
à outrance, à la lance, à l'épée, au poignard, et que François Ier l'éluda par
des prétextes et des délais qui tinrent évidemment à des causes particulières
qu'on expliquerait difficilement au point de vue de la chevalerie.
On ne peut croire néanmoins que François Ier, si brave, si
déterminé, le vainqueur de Marignan, le héros de Pavie, qui, seul, combattait
à pied, l'épée brisée, une multitude d'ennemis, eût cherché un prétexte pour
éviter le champ-clos, si exalté par les chansons de gestes du moyen-âge ; les
romans de chevalerie fournissaient des exemples d'empereurs et de rois rompant
une lance au carrefour d'une forêt avec une intrépidité incomparable contre
un chevalier inconnu, et Charlemagne lui-même, le grand empereur, n'avait pas
dédaigné de se mesurer avec Sacripan et Ferragus, comme on le lisait dans le
poème de l'Orlando furioso[32].
Il eût été difficile de croire à un piège de la part de
Charles-Quint : on devait se battre en terre neutre sur l'extrême frontière,
et il était si aisé de prendre ses précautions ! Il faut donc penser que ce
refus ou ces délais tenaient aune cause générale et politique ; la question
d'honneur et de courage restait en dehors. Le conseil de François P'avait
jugé que tout ce qui s'était fait à Madrid était nul et que Charles-Quint
lui-même avait brisé le traité par des entreprises nouvelles qui en modifiaient
singulièrement l'esprit et la tendance. Selon le conseil du roi de France la
conséquence immédiate du traité de Madrid, devait être la paix absolue ;
François Ier avait tant cédé pour apaiser l'ambition de Charles-Quint !
Comment arrivait-il donc que la guerre continuât en Italie et que l'Empereur
combattit encore les Florentins, les Milanais et notre saint-père le Pape
lui-même ? Toutes les conditions étaient donc changées ; la domination
suprême de l'Italie était convoitée par Charles-Quint en violation manifeste
du traité. Il est vrai que cette Italie méritait peu d'intérêt de la part de la France : les Milanais
secouaient tout gouvernement régulier dans la guerre civile, sous les Sforza
et les Visconti. Les Florentins, capricieusement, exilaient ou rappelaient
les Médicis ; les Romains s'agenouillaient devant les papes ou les chassaient
: Bologne, Ferrare, étaient en pleine révolution, et les Vénitiens, naguère
si puissants, s'affaiblissaient dans l'excès de leur propre ambition
conquérante[33]
dans l'Orient.
Au milieu de ces agitations intestines, se révélait le
caractère ambitieux de la maison de Savoie. Au passage de François Ier avant
la triste bataille de Pavie, le duc Charles III, lié à la France, avait reçu du roi
des subsides et des promesses d'agrandissement depuis le Piémont jusqu'à la
frontière de Gênes ; après les malheurs de la France, le duc brisait
presque avec éclat cette alliance, sans s'arrêter même à la question de
famille : car la régente, mère du roi de France, était la tante du duc
Charles III[34].
L'empereur eut désormais la clef des Alpes et le concours des forces des ducs
de Savoie.
La république de Gênes elle-même avait abandonné la cause
de la France
en péril ; la désertion éclatante d'André Doria, le célèbre marin, mettait le
sceau à cette politique d'oubli et d'abandon.
Le conseil de François Ier soutenait donc qu'il y avait
rupture ou modification dans le traité de Madrid, et par conséquent liberté
pour le roi de s'en affranchir ou de prendre tous les moyens pour le rendre moins
lourd. L'habile diplomatie de la
France d'ailleurs avait déjà obtenu quelques résultats
d'alliance et de concours efficaces : durant même la captivité de François
Ier à Madrid, la régente, Madame de Savoie, avait ouvert des négociations
avec Henri VIII d'Angleterre, inquiet lui-même des empiétements de
Charles-Quint ; elles avaient abouti à des stipulations secrètes[35], et le cardinal
Wolsey, après la délivrance du roi de France, était venu négocier sur le
continent : un traité de mariage fut conclu entre le second fils du roi de
France et Marie, princesse d'Angleterre. Celte alliance assurait le concours
de Henri VIII dans une guerre, si Charles-Quint persistait à garder les deux
fils de François Ier en captivité et à persécuter notre Saint-Père. Dans les
caprices de sa puissance, Charles-Quint s'agenouillait devant le pape et le
gardait captif ; l'Empereur respectait la papauté, mais il voulait avoir son
pape. On rencontre souvent de ces esprits dans l'histoire qui ménagent les
institutions pourvu qu'elles se ploient à leur caprice.
Dans l'état où se trouvait l'Europe menacée par les Turcs,
il était difficile qu'une longue guerre pût se renouveler entre les princes
chrétiens, sous un simple prétexte d'ambition et de querelles personnelles ;
les esprits étaient tournés vers la croisade en Orient. Tout ce qui avait un
cœur élevé songeait donc à combattre le Turc ; et, sous l'influence de Diane
de Poitiers, il s'était formé un ordre de chevalerie, dont le premier vœu
était de combattre les infidèles avec les braves chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem. Il fallait donc assurer une paix définitive et sans esprit de
retour entre Charles-Quint et François Ier : comme il était difficile de les
rapprocher personnellement après tant d'irritation et d'injures, deux femmes
encore se chargèrent de ménager la réconciliation des princes. En France, ce
fut la prudente et active duchesse d'Angoulême[36], la mère de
François Ier ; elle avait négocié avec l'Angleterre et se croyait assez
puissante pour conclure une seconde paix avec Charles-Quint. Pour l'Empereur,
la femme choisie pour négocier fut Marguerite, archiduchesse d'Autriche,
gouvernante des Pays-Bas, princesse d'une intelligence supérieure, la fille
de l'empereur Maximilien et de Marie de Bourgogne ; enfant, elle avait été
fiancée à Charles VIII, roi de France, puis à l'infant d'Espagne, mort avant
son mariage[37],
enfin veuve presqu'aussitôt de Philibert-le-Beau, duc de Savoie ; elle vit à
peine son mari qu'elle pleura toute sa vie. Dès ce moment, Marguerite se
consacra au gouvernement des Pays-Bas ; une des héritières de la maison de
Bourgogne, elle en avait gardé la hardiesse, la fierté ; elle protégeait les
lettres et les arts, et son gouvernement fut aimé et admiré : l'industrie des
villes de Bruges, de Gand, de Malines, grandit sous ses lois : il n'y eut pas
de révolte mais des libertés. Du gouvernement de Marguerite, datent la
plupart de ces hôtels-de-ville à horloge, à clochetons qui couvrent les
Flandres : les corporations libres et heureuses purent bâtir leur maison
commune, se grouper dans la salle des festins, processionner au son des
cloches à carillon. Les Flandres sont aujourd'hui encore les gardiennes de
l'esprit de corporation au moyen-âge ; c'est ce qui fait leur joie, leur
liberté et leur grandeur !
La protection artistique de Marguerite d'Autriche
s'étendit sur les domaines de Savoie, la patrie de l'époux pleuré ; elle y
fit construire la charmante église de Brou qui fait encore l'admiration des
artistes. Maîtresse de toute la confiance de Charles-Quint, ce fut à elle que
le pape s'adressa pour obtenir son intervention : il s'agissait d'une grande
trêve pour tourner les armes chrétiennes contre les Turcs. Ainsi, deux femmes
allaient présider à des négociations délicates que la colère des princes
avaient rendu impossibles ; elles allaient donner à l'esprit chevaleresque
une autre direction, celle de la croisade contre les Turcs. A Cambrai, furent
réunies toutes les dames de la cour de Fontainebleau, de Gand, de Malines et
de Bruxelles. Diane de Poitiers, la duchesse d'Étampes, suivirent la reine
régente, comme attachées à sa personne, et pour présider aux fêtes de la
chevalerie.
Les premières gravures de la Renaissance nous
donnent, comme pour le camp du Drap-d'Or, la reproduction des solennités qui
accompagnent les négociations de Cambrai : une surtout témoignait du mélange
de l'esprit français et de la grande piété flamande. Dans une haute tour, est
dame l'Église vêtue de blanc, toute en pleurs, assiégée par des mécréants
tout noirs, Sarrasins et Turcs ; elle implore le secours des chevaliers qui
accourent de toute part, la croix sur la poitrine. Dans une miniature, on
voit Constantinople et Jérusalem : les règles de la perspective n'y sont
nullement gardées, les maisons semblent se refouler sur les maisons, les
cités sont pleines de Sarrasins, mais sur l'horizon apparaît un ange à l'épée
flamboyante qui montre aux chrétiens les cités captives.
L'esprit des croisades suffirait-il pour apaiser les
colères politiques de Charles-Quint et de François Ier ? Néanmoins les deux
négociatrices en profitèrent pour signer la paix de Cambrai[38], que Brantôme,
le premier, appelle la paix des dames.
Ce traité modifiait sous quelques points de vue l'inflexible convention de
Madrid : moyennant le mariage accompli de François Ier et d'Éléonore de
Portugal, le roi de France gardait le duché de Bourgogne, sous la condition
expresse qu'il serait donné en apanage à un des fils du roi, sous un simple
hommage ; le dauphin devait épouser une infante, car l'empereur Charles-Quint
semblait mettre un grand prix à reconstituer l'illustre maison de Bourgogne,
dont il était l'héritier et le représentant. La Flandre, l'Artois avec
Tournai étaient réunis aux Pays-Bas sous le gouvernement de Marguerite
d'Autriche. Le roi de France rendait aux héritiers du connétable de Bourbon,
tous les fiefs confisqués, pour les tenir sous simple hommage, sans qu'on pût
invoquer les arrêts prononcés par le parlement. La principauté d'Orange était
reconstituée au profit de Philibert de Châlons[39], le compagnon si
brave du connétable de Bourbon au siège de Rome, vaillant chevalier resté
fidèle à la cause de Charles-Quint. La principauté d'Orange était enclavée
dans les terres pontificales du comtat d'Avignon ; plus tard elle passa dans
la famille protestante des ducs de Nassau qui prirent le titre, depuis si
glorieux, de prince d'Orange. Charles-Quint voulait ainsi entourer le royaume
de France de principautés indépendantes et libres, afin d'en empêcher le
développement territorial.
L'article de ce traité qui dut coûter durement à François
Ier, ce fut la renonciation absolue à tous les droits, à toutes prétentions
sur l'Italie, cette terre pour lui toute de prédilection. Le roi donnait sa
parole sous la garantie du pape, de ne jamais plus revendiquer ses héritages
du Milanais, de Naples et de Gênes, ces terres qu'il avait tant aimées.
L'histoire des premiers Valois révèle l'amour immense de ces rois pour l'Italie
; tous l'avaient traversée, les armes à la main, en la revendiquant comme
leur patrimoine ; il en fut ainsi jusqu'à la réformation qui annula l'action
diplomatique de la France
pendant un siècle.
XX. — DÉLIVRANCE DES ENFANTS DE FRANCE. - TOURNOI DE LA RUE SAINT-ANTOINE.
- DIANE DE POITIERS. - LA DUCHESSE
D'ÉTAMPES.
1529-1530.
La signature du traité de Cambrai faisait cesser la bien
triste captivité des pauvres enfants du Roi, donnés comme otage pour
l'exécution du traité de Madrid ; ils avaient passé de cruels jours et subi
bien des dures épreuves en Espagne ! L'empereur Charles-Quint dans sa colère
avait reporté sur eux ses ressentiments. Les enfants de France, exilés de
Madrid, furent relégués dans un couvent de moines à Valladolid ; là, gardant
leur fierté et leur honneur, ils ne se plaignirent jamais ; ils ne firent
aucune démarche pour appeler le roi leur père aux sacrifices de sa couronne
et de son pouvoir.
Une fois le traité de Cambrai conclu, les otages
devenaient libres moyennant rançon, selon l'usage ; elle fut fixée à deux
millions d'écus d'or que la régente recueillit avec des peines infinies par
un système d'économie, d'emprunt et d'impôt : ces sacs d'écus furent chargés
sur des mulets[40]
et conduits jusqu'à la
Bidassoa. Comme le chancelier Duprat qui les conduisait
était fort retord et que les Espagnols le savaient très-habile pour l'alliage
des monnaies, ils envoyèrent des commissaires avec charge de vérifier le
poids et l'aloi des écus, opération qui dura quatre mois ; on reconnut un
déficit dans le poids, il fallut ajouter quarante mille écus dans les
balances pour le complément de la somme promise ; les caisses chargées sur
des mules pimpantes prirent la route de la frontière. En ce moment on vit
paraître sur les rives de la
Bidassoa un royal cortège[41] : en tête dix
alcades, leurs bâtons blancs à la main ; à la suite, le connétable de
Castille, Fernandès Velasco, suivi de la reine douairière de Portugal, grave
de contenance, suivie de ses duègnes et de ses filles d'honneur ; à ses côtés
et faisant disparate à sa gravité, les deux enfants de France, le Dauphin et
le duc d'Orléans, alertes et forts contents de s'en revenir : les mœurs
espagnoles étaient si différentes des coutumes vives et légères de la nation
française ! Le connétable de Montmorency conduisait à la fois la reine de
Portugal et les princes : François Ier se porta à leur rencontre jusqu'à Bayonne
; il accueillit ses enfants avec des transports de tendresse et de joie ;
l'un et l'autre s'étaient conduits avec tant de dignité dans leur
malheur !
Le royal cortège se dirigea sur Bordeaux, qui salua la
nouvelle reine par des fêtes, des festins, comédies, ballets et passes
d'armes : les Espagnols récitèrent quelques joyeuses saynètes à l'occasion
des noces qui furent accomplies par l'archevêque d'Embrun[42] ; on suivit la
route de la Guyenne,
du Languedoc, lentement, entouré de peuples et de fêtes ; chaque cité était
en joie, et l'on vit bientôt se dessiner les tours et le vaste bâtiment du
château d'Amboise. Dans cette royale demeure, les deux époux devaient
attendre les préparatifs du couronnement de la nouvelle reine à Saint-Denis[43]. L'empereur
Charles-Quint avait exigé cette cérémonie royale, afin qu'en aucun cas il put
y avoir séparation ou divorce. La vieille abbaye se para de toutes ses reliques
et du chef ou tête de Charlemagne enchâssé dans son reliquaire d'or. A
l'occasion de ce couronnement de la reine Eléonore, un tournoi fut indiqué
dans la rue Saint-Antoine, le lieu habituel de ces passes-d'armes : depuis
deux mois, les messagers, écuyers, hérauts, varlets suivant l'usage,
s'étaient dirigés vers tous les châteaux de France pour annoncer à son de
trompe, la belle et joyeuse fête ; on devait combattre à la lance, à l'épée (fer émoulu), à la masse d'armes, à la joute
et à la lutte, et ce fut une grande joie dans toutes les châtellenies. Quel
chevalier pouvait manquer à l'appel de François Ier ?
A l'extrémité, vers la porte Saint-Antoine, se trouvait la Bastille dont les
jardins et les fossés s'étendaient jusqu'à la rivière[44] : un espace
couvert de verdure et de prairies séparait la Bastille du château des
Tournelles entouré de ses vergers, treillis[45] et d'un petit
bois de cerisiers s'étendant jusqu'au bastillon et à la petite colline de
Montreuil ; entre ces jardins et la
Seine, était la large rue Saint-Antoine se développant
jusqu'au couvent des Célestins. C'était entre l'hôtel Saint-Paul et la ménagerie
des Lyons que se donnaient les tournois.
Il devait être splendide ce tournoi donné par le roi
François Ier à l'occasion de son mariage avec la reine de Portugal !
Au jour indiqué par les prud'hommes et experts en
chevalerie, on prépara de grandes lices sablées et bien arrosées d'eaux de
senteur entre les échafaudages parés de couleurs brillantes, destinés aux dames
et aux juges des tournois. La veille, à la passe d'armes, les champions
suspendirent à des piquets dorés leurs gonfanons et leurs écus ornés de leurs
armoiries, afin que les juges d'armes pussent apprécier et décider la loyauté
et l'origine des tenants du tournois, car il ne fallait pas qu'un félon et
discourtois chevalier pût se mêler dans les rangs de cette fleur des paladins
de France[46].
Le chroniqueur Belleforest[47] a décrit le
tournoi de la rue Saint-Antoine avec de longs et heureux détails ; historien
d'imagination, d'une naïveté charmante, Belleforest[48] n'est pas, comme
le fut après lui De Thou, un esprit fort, un parlementaire sérieux et chagrin,
subissant le joug de l'idée politique et passionné pour son parti. Belleforest,
gardant les traditions du moyen-âge, se complaît à la description des fêtes
de chevalerie ; il réfléchit peu, il raconte !
Belleforest a donc décrit ce tournoi de la rue
Saint-Antoine avec des couleurs vives, comme celle d'une miniature de
manuscrits. Il raconte les lances brisées en l'honneur des dames et les
carrières fournies. Après les honneurs rendus à la reine Éléonore, la lice
fut ouverte pour disputer le prix de la beauté ; les deux héroïnes furent la
duchesse d'Étampes et Diane de Poitiers, déjà rivales de grâces et de pouvoir
: des chevaliers croisèrent l'épée pour elles et vinrent leur offrir le gage
de bataille. Le roi était alors sous la puissance de la jeunesse et de la
grâce ; la duchesse d'Étampes l'exerçait avec un charme si en dehors même des
formules de respect que, dans sa correspondance, elle donne à François Ier le
simple titre de Monsieur ; enfant gâtée, elle semble compter sur l'amour
qu'elle inspire à un roi déjà avancé dans la vie ; elle lui commande avec
grâce ses moindres caprices. Autour d'elle, se groupait le parti huguenot ;
Jean Calvin la choisit pour sa protectrice ; Clément Marot lui adressait ses
psaumes versifiés et ses plus jolis rondeaux. A une époque de parti, les
opinions ardentes ne discutent pas le genre, la nature et même la moralité
des protections qu'ils invoquent, pourvu que ces protections les servent et
les fassent triompher.
A la cour de François Ier, sous la toute-puissance de la
duchesse d'Étampes, on vit le duc d'Orléans, le second fils du roi, à treize
ans, s'éprendre aussi comme un jeune et fou chevalier de Diane de Poitiers
qui comptait déjà trente ans. Si on en croit Brantôme et les traditions qu'il
avait recueillies sur Diane de Poitiers à cet âge, elle était la belle parmi
les belles ; et plus elle prenait des années, plus cette beauté jetait de
l'éclat, si bien qu'on croyait qu'elle avait recours à la magie[49]. Cette magie
était le résultat d'une vie active, du soin qu'elle prenait d'elle-même.
Debout à cinq heures du matin, elle se trempait dans un bain d'eau froide,
puis à cheval, elle s'élançait dans les forêts comme la Diane de la mythologie, la
divinité dont elle avait pris le nom ; elle chassait deux ou trois heures au courre, à la pique, le cerf, le sanglier, puis
elle revenait se coucher sur son lit de repos, où elle passait la matinée à
lire des romans de chevalerie, des livres d'astrologie et d'histoire, jusqu'à
ses repas qu'elle prenait substantiels et légers.
L'amour un peu étrange qu'elle inspirait à un jeune homme
de quatorze ans avait sans doute sa source dans les bontés que Diane avait
témoignées aux jeunes princes captifs lors de leur triste départ pour
l'Espagne ; à Bayonne, lors de leur retour, Diane de Poitiers avait élevé
Henri sur ses genoux et dans ses bras, elle l'avait caressé avec une
affection de mère ; aussi, quand Henri fit son gracieux début d'armes au
tournoi de la rue Saint-Antoine, son premier coup de lance fut pour Diane de
Poitiers ; il ne la quittait plus dans ses courses des bois, à la chasse ; on
disait même que le petit amour que le Primatice avait placé à côté de Diane
dans son admirable portrait n'était autre que Henri, duc d'Orléans. Il se
rattachait peut-être à cette affection une idée de parti. Diane de Poitiers
était rapprochée des Guise[50] et des
Montmorency[51]
— la maison de Lorraine toute dévouée aux catholiques et les Montmorency
expression de la haute féodalité — ; ces deux maisons supportaient
impatiemment l'influence de la duchesse d'Étampes, et Diane de Poitiers était
sa rivale.
Après les fêtes des tournois vinrent les deuils : par une
circonstance curieusement triste, les deux princesses, qui avaient signé le
traité de Cambrai, la paix des dames,
moururent à la distance à peine d'une année l'une de l'autre. La duchesse
d'Angoulême, mère de François Ier qui suivit Marguerite d'Autriche dans la
tombe, avait exercé une influence de bien et de mal sur le règne de François
Ier ; généreusement dévouée, elle avait servi sou fils avec amour, mais en
même temps très-passionnée, elle avait été un obstacle à l'apaisement des
partis ; elle avait blessé, heurté bien des caractères, et on pouvait lui
attribuer la défection du connétable de Bourbon[52]. Marguerite
d'Autriche[53],
tête à la fois politique et doucement chevaleresque, dévouée aux lettres,
avait agi avec une grande prudence dans le gouvernement des Pays-Bas, en même
temps qu'elle passait les plus tendres loisirs de sa vie à pleurer son
dernier mari, Philibert de Savoie, qu'elle avait tant aimé ; elle légua son
corps à l'église de Brou, où l'on voyait son tombeau au milieu des merveilles
de la Renaissance
qui alors se réveillait au palais de Fontainebleau avec les chefs-d'œuvre de
l'art.
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