Après la mort de Louis XIV, il ne fut plus question du
Marais, de la place Royale, même comme lieu de distraction et de mode. Le faubourg
Saint-Germain venait de s'élever avec ses larges rues et ses splendides
hôtels. Sous tard s'éleva la chaussée d'Antin, les rues de Provence et d'Artois sous Louis XVI[1]. Le Marais, solitaire toujours, conservait son caractère de
gravité, de grandeur : au centre brillait l'hôtel de Rohan-Soubise, antique
manoir des Glissons, et que le prince de Soubise, si brave, si élégant, avait
orné de la plus belle cour du monde, entouré d'une colonnade à la façon de la
place Saint-Pierre de Rome, et puis de jardins magnifiques. La rue des
Francs-Bourgeois et les rues environnantes comptaient les hôtels
Caumont-Laforce, Lamoignon, Mole, de Mesme, Lepelletier de Saint-Fargeau ; le
couvent des Blancs-Manteaux s'étendait jusqu'à Non loin du Temple se développait la rue Saint-Louis,
nouvellement bâtie, la grande voie du Marais ; les remparts étaient démolis
depuis 1735, des maisons s'élevaient sur le nouveau boulevard entre les rues
du Pas-de-la-Mule et du Pont-aux-Choux. Un de ces hôtels devint célèbre par
la demeure de Cagliostro, l'être étrange qui enivrait tout Paris[2]. Les philosophes
attaquaient la vieille foi et ils croyaient aux prodiges des charlatans ; la
croyance est au fond de toutes les âmes ; c'est un besoin de notre nature ;
on niait les miracles et l'on s'agenouillait devant les prodiges ; on
rejetait les paroles des apôtres pour accourir aux parades des bateleurs. En
prolongeant le boulevard on trouvait la maison originale de Beaumarchais, une
longue voûte conduisait à un jardin suspendu sur le boulevard jusqu a Sur l'autre côté du boulevard, avec façade sur la rue des
Tournelles, se conservaient les vestiges de l'appartement de Ninon de Lenclos
; quelques vieilles dévotes philosophiques y faisaient cercle autour des
robes antiques, des fleurs fanées qui jadis avaient orné la courtisane morte incrédule,
et les maximes d'Épicure aux lèvres[3]. La philosophie a
ses ermitages et ses reliques ; les voyageurs qui passaient à Ferney
n'allaient-ils pas cueillir les feuilles des arbres que Voltaire avait
plantés ? et longtemps l'Ermenonville de Rousseau devint un lieu de
pèlerinage. De cette maison des Tournelles, Ninon de Lenclos descendait
chaque jour à la place Royale pour visiter ses plus anciennes amies, Mlle de
Scudéry, Mme de Sévigné, Mme de Par l'une des petites arcades de la place Royale on
arrivait à la rue Saint-Antoine, aussi embellie de vastes hôtels avec les
noms de Guise, Sully, d'Ormesson, etc., jusqu'au couvent des filles Sainte-Marie,
lieu de retraite pour les précieuses de la place Royale et qui abritait les
cercueils de leur famille. Ces cercueils (ceux
des Sévigné par exemple) sont pêle-mêle dans les caves de l'église,
aujourd'hui temple réformé ; à quelque foi qu'on appartienne, le culte des
morts devrait être respecté. Hélas ! un jour que je recherchais les vestiges
de D'une de ses fenêtres[5], je contemplais à l'extrémité de l'île Saint-Louis, l'hôtel Lambert, propriété moitié parlementaire, moitié financière, pleine de peintures de maîtres renommés, et en tête de tous, Lebrun. L'île Saint-Louis s'était peuplée ; elle comptait autant de maisons que les plus antiques rues du Marais, et par le nouveau pont Marie, les riches bourgeois de l'île pouvaient aller s'asseoir aux bancs de l'œuvre à Saint-Paul, à Saint-Gervais. Un jour, toute cette population paisible fut secouée par
le tocsin et le canon : une multitude de clercs de basoche, de gardes
françaises débandées, avocats sans cause, foule effrénée, s'était jetée sur Durant Sous l'Empire, le Marais fut délaissé comme une terre
d'ancien régime ; les promeneurs ne dépassaient pas le jardin Turc, les
théâtres gais et forains du boulevard du Temple, le Cadran bleu chéri de l'officier. Dès qu'on
entrait dans la rue Boucherat, l'herbe croissait dans la rue, la mousse
s'entremêlait aux escaliers et aux portes fermées : un fiacre toutes les
heures, quelques rares voitures bourgeoises d'un autre siècle, des groupes de
femmes et d'enfants à la place Royale, la chèvre broutant comme en pleine
campagne dans les fossés de Quand la nuit a jeté ses ombres sur Paris, je me surprends
seul à visiter les quartiers du Marais en partant des Tournelles, de la place
Royale, les rues des Beautreillis, des Lions-Saint-Paul, l'Arsenal jusqu'aux
Blancs-Manteaux et à la rue de l'Homme - Armé ; mille ombres gracieuses
apparaissent devant moi, Cinq-Mars accourant à cheval au rendez-vous de
Marion Delorme, Ninon recevant de beaux gentilshommes : Sévigné aux grands
coups d'épée, Saint-Évremont, Bussy-Rabutin, et Scarron, le pauvre malade de
la reine, Scudéry, FIN DE L'OUVRAGE |
[1]
En
[2] Cet hôtel avec terrasse a été récemment démoli.
[3] La maison de Ninon conserve des sculptures et peintures ; elle est encore belle parmi les constructions modernes.
[4] De la famille d'Argenson.
[5] Ces fenêtres avaient alors des balcons à moitié ruinés.