A travers les éclats de Ces sentiments de liberté se retrouvent dans toute la
littérature de Jamais surintendant n'a trouvé de cruelles, disait plus tard Boileau, pour irriter Louis XIV contre Fouquet, depuis captif et malheureux. A cette littérature vive, ardente, succédait l'école des flatteurs prosternés devant le pouvoir de Louis XIV, et à sa tête il faut citer Molière. Par sa charge de tapissier du roi, Poquelin appartenait à la domesticité[3], et par sa vie bohémienne et vagabonde avec les histrions et les comédiens de campagne (si bien décrite par Scarron), le sieur Molière[4] ne pouvait inspirer qu'une très-faible considération dans le monde. Quand sa troupe vint s'installer au théâtre du Petit-Bourbon, il dut conquérir la faveur royale par une suite de petites adulations adressées à Louis XIV, dont il servait les caprices. Les Précieuses ridicules ne furent qu'une raillerie jetée à la vieille société de la place Royale et de l'hôtel Rambouillet ; Monsieur de Pourceaugnac fut l'apologie de l'ingratitude du roi envers la noblesse provinciale ; ces braves gentilshommes méridionaux qui autrefois formaient les mousquetaires, et qu'un comédien accablait de ridicules. Quand Louis XIV, enivré de jeunesse et d'amour, dédaigna les enseignements de l'Église, Molière donna le Tartuffe, pour souffleter le parti religieux, qui subissait avec tristesse les débordements de la cour : tout homme pieux, austère, fut un Tartuffe. L'Amphitryon du sieur de Molière fit l'éloge de l'adultère, et Sosie jetait le ridicule sur Amphitryon (M. de Montespan, le type de l'honneur), pour ne pas souffrir patiemment les visites de Jupiter (Louis XIV) à sa femme, et ne pas se glorifier de voir naître un fils des Dieux dans sa famille (M. le duc du Maine)[5]. Le seigneur Jupiter sait dorer la pilule. Ce qu'il y a de plus abaissé dans le génie, c'est de servir les passions des princes ou du peuple aux dépens de la morale et de l'honneur. Né dans le sein de la bourgeoisie et de la basoche, Boileau fut le second des flatteurs courbés devant le pouvoir absolu de Louis XIV ; il ne vivait, il n'écrivait que par sa volonté. Dans ses vers hyperboliques, Boileau s'écrie : Grand roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire. Il travaille par les ordres du monarque et pour servir
chacun de ses caprices. Si l'on pénètre bien dans l'esprit de sa satire sur
les Embarras de Paris, ce n'est qu'une critique contre cette cité
mécontente et naguère révoltée. Boileau sert et exalte cette répugnance que
Louis XIV eut toujours pour la capitale, et sa résolution invariable
d'habiter Versailles. L'Art poétique[6] n'est qu'une
satire contre la littérature de Le tendre Racine (comme on
le nomme encore aujourd'hui) étudie constamment toutes les faiblesses
du roi pour y adapter ses héros de planches et de tréteaux : depuis Agamemnon
jusqu'à Assuérus, c'est toujours Louis XIV. A côté dune correction parfaite
et de vers admirables, il n'y a ni vérité locale, ni étude sérieuse des temps
de La tragédie, à ce point de vue, avait quelque chose de faux, et le cothurne romain allait mal au talon rouge de Versailles. Chez les anciens les représentations scéniques avaient pour objet de rappeler les traditions et les souvenirs de la patrie ; elles intéressaient ainsi tout un peuple. Chez les nations modernes, qui pouvait s'attendrir aux déclamations sur la vengeance des Atride, les ruines de Troie, les mœurs de Lacédémone ou de Rome, reproduites par des acteurs en cuirasse de fer-blanc et en casaque de laiton ? Ces drames ne pouvaient donc intéresser la cour de Louis XIV que par des allusions à des personnages contemporains, à des situations connues. La comédie elle-même ne pouvait plaire que comme une raillerie, une complaisance, une lâcheté contre les disgraciés de cour. Tout ce qu'il y avait d'attrayant était emprunté aux types éternels de la comédie italienne, aux intrigues amoureuses des saynètes espagnoles : tout ce qui ruisselait de gaieté dans les paroles de Marinette, de Scapin, de Léandre, d'Isabelle, d'Arnolphe, de Sganarelle, venait du théâtre de Bologne, de Naples, de Rome ou de Florence. En comparant ces œuvres à la littérature de Louis XIII, on
reconnaîtra que cette littérature était plus française, réellement supérieure
parla couleur et la fantaisie : un esprit vif, étincelant, se révélait dans
Bussy-Rabutin, Balzac et Mme de Sévigné ; les inimitables Mémoires de
Gramont, écrits par Hamilton, en conservaient l'empreinte sous le règne
de Louis XIV[7].
On trouve cet esprit ravissant chez Mme Deshoulières, tant mêlée à Dans ces prés fleuris Qu'arrose Cherchez qui vous mène. Mes chères brebis. J'ai fait, pour vous rendre Le destin plus doux, Ce qu'on peut attendre D'une amitié tendre ; Mais son long courroux Détruit, empoisonne Tous mes soins pour vous. Et vous abandonne Aux fureurs des loups. Cette gracieuse bergerie, toute politique, était pleine d'allusions aux proscriptions royales : Mme Deshoulières, sous la tendre image des brebis dispersées, s'adresse à ses enfants dont le patrimoine avait été dévoré par les loups (le fisc sous Louis XIV)[8]. Fière encore dans sa disgrâce, Mme Deshoulières s'en vengeait quelquefois par des épigrammes contre les poètes favoris de la nouvelle génération, les mendiants versificateurs de Versailles, heureux et fiers de la protection de Louis XIV ; et rien n'est plus spirituel que le jugement en jolis vers qu'elle lançait contre la monotone Phèdre de Racine, ses dialogues, ses récits langoureux, ses situations fastidieuses ou ridicules. Dans un fauteuil doré, Phèdre, tremblante et blême, Dit des vers où d'abord personne n'entend rien ; Sa nourrice lui fait un sermon fort chrétien Contre l'affreux dessein d'attenter à soi-même. Hippolyte la hait presque autant qu'elle l'aime : Rien ne change son cœur, ni son chaste maintien ; La nourrice l'accuse, elle s'en punit bien ; Thésée a pour son fils une rigueur extrême. Une grosse Aricie au cuir rouge, aux crins blonds, N'est là que pour montrer deux énormes tétons, Que malgré sa froideur Hippolyte idolâtre. Il meurt enfin, traîné par des coursiers ingrats ; Et Phèdre, après avoir pris de la mort-aux-rats, Vient en se confessant mourir sur le théâtre[9]. Qu'on s'imagine, maintenant, l'effet d'indignation que devait produire sur cette société de poètes satisfaits, et d'heureux pensionnés de cour, cette ingénieuse critique que lançait sur Phèdre les dernières ombres de l'hôtel Rambouillet. Aussi Boileau ne se tint pas de colère : attaquer le chef-d'œuvre de son ami, ne pas trouver admirables les vers sonores, imitatifs : A peine nous sortions des portes de Trézène, c'était un crime : comment ne pas proclamer amusantes ces entrées, ces sorties des confidents qui venaient raconter les aventures et la mort d'Hippolyte : c'était l'erreur littéraire de l'antique hôtel de Rambouillet, et Boileau s'en vengea par quelques épigrammes. Dans les arts, est-ce que la même supériorité
n'appartenait pas au règne de Louis XIII ? Est-ce que les colossales toiles
de Lebrun, ces tapisseries peintes des batailles d'Alexandre valaient les
couleurs de Poussin et de Rubens ? Les portraits léchés de Mignard
pouvaient-ils se comparer aux graves œuvres de Philippe de Champagne, aux
splendides ressemblances qui font réfléchir et penser ? Le capricieux Callot
était relégué par Louis XIV parmi ce qu'il appelait les magots de l'école
flamande, les plus belles toiles du monde ; et l'on faisait à peine attention
à Van Dick, le mélancolique peintre des Stuarts, et à Rubens, le divin
artiste de Si l'idée morale de la charité n'est pas morte dans la
société moderne, une grandeur particulière doit se rattacher au règne de
Louis XIII[11].
Les deux quartiers Saint-Jacques et le faubourg Saint-Antoine virent s'élever
partout des asiles pour les enfants trouvés, des hospices confiés aux sœurs
grises pour le service des malades ; les missions étrangères furent destinées
à porter le nom de France en Orient, en Amérique, dans les Indes. L'esprit
cavalier de cette génération intrépide après les guerres civiles s'était jeté
dans les découvertes aux lointaines contrées ; les flibustiers n'étaient que
des vaillants hommes entraînés par le goût des aventures ; avec ces francs
tireurs partaient des missionnaires qui donnaient un but régulier et
définitif à la colonisation ; presque toujours en rapport avec les tribus
errantes, les jésuites parvenaient à les éclairer, à les civiliser[12], tandis que les
pères de Telle était l'œuvre extérieure de cette société ! Il y
avait aussi des solitudes studieuses ouvertes au chrétien pour réfléchir sur
lui-même, et parmi ces fondations, Port-Royal, séjour de prédilection des
hautes intelligences. Sous Louis XIII se multipliaient aussi les couvents
pour l'éducation des jeunes filles et pour les Madeleines qui revenaient à la
morale, à la pénitence. L'état religieux s'étendait ; les œuvres et la prière
étaient les profondes préoccupations de cette époque dont la grande pensée
fut le salut. Les saintes filles vivaient et mouraient à l'abri des passions
du monde, et une des plus heureuses fut Mlle de |
[1] Cinna et les Horaces furent représentés sur les théâtres de Paris de 1643 à 1646.
[2] Les grenouilles se lassant
De l'état démocratique,
Par leur clameur firent tant,
Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
[3] Poquelin avait obtenu la survivance de son père en 1637.
[4]
Il avait suivi les Béjards dans tout le midi de
[5]
Le marquis de Montespan avait subi son malheur avec dignité ; il fut exilé,
persécuté, et cette dignité, Molière la tournait lâchement en ridicule. (Voyez
mon livre sur Mlle de
[6] Art poétique, chant III.
[7] Les mémoires de Gramont et les lettres de Mme de Sévigné, publiés sous Louis XIV, n'eurent de succès qu'au milieu du dix-huitième siècle.
[8] Œuvres de Mme Deshoulières.
[9] L'analyse de Phèdre est parfaitement exacte.
[10] On peut voir quelques-unes de ces tombes à Saint-Gervais, Saint-Paul, Saint-Louis. Les tombes de Saint-Roch sont postérieures.
[11] Saint Vincent de Paul assista Louis XIII dans ses derniers moments ; il avait inspiré la plupart de ses bonnes œuvres. Saint Vincent de Paul fut sous ce règne un homme politique très-important.
[12] L'établissement connu sous le nom de Missions dans le Chili fut un modèle de colonisation. L'ingénieux romancier M. Gustave Aymard en a rendu témoignage.