Il avait éclaté une vive et populaire joie autour du berceau d'un dauphin, fils de Louis XIII et d'Anne d'Autriche ; si les pamphlets hollandais et des réfugiés en Angleterre racontaient sur la fécondité de la reine de puérils et d'odieux épisodes[1], les multitudes faisaient retentir l'air d'enthousiastes acclamations. Le roi, à l'occasion de ce joyeux événement, consacra son royaume à la vierge Marie et le mit sous sa protection ; un tableau mystique peint à la manière de la belle école espagnole de Murillo avec des roses et des lis, représente le roi Louis XIII et la reine Anne d'Autriche, agenouillés aux pieds de Marie, offrant le royal berceau à la Vierge[2]. Le roi avait esquissé lui-même ce grand ex-voto, car il dessinait au trait parfaitement et lavait les plans d'architecture avec distinction. A l'occasion de la naissance du dauphin, on jeta les premiers fondements de l'église Saint-Paul-Saint-Louis de la rue Saint-Antoine ; la vieille chapelle où Henri III avait versé des pleurs si abondants à la mort de ses mignons ne paraissait plus assez riche pour le brillant Marais. La nouvelle église Saint-Paul[3] prit la forme élégante, élancée du Val-de-Grâce sous une coupole merveilleusement ornée avec des nefs et des tribunes de marbre de toute couleur. Les jésuites qui durent desservir cette église avaient un goût parfait d'ornementation ; ils n'aimaient pas le genre sérieux et sévère des oratoriens. Artistes par les habitudes des légendes vives et colorées, les jésuites aimaient les images ; leurs églises étaient comme des musées catholiques où tout réjouissait la vue : marbres de mille couleurs, statues, tableaux, tentures à demi-jour, rose, jaune, bleu, vitraux où les rayons du soleil se reflétaient sur les autels et les sanctuaires d'une façon ravissante. Les jésuites étaient en harmonie avec ce siècle de Louis XIII, si plein de nobles artistes dont la galerie se déploie encore majestueuse à nos yeux ravis. Rubens[4], le premier
peintre exubérant de formes et de chairs, esprit du monde avant d'être
artiste, négociateur habile, homme politique discret, s'était voué à Marie de
Médicis dont il avait servi la régence. Pour elle il avait peint les toiles
historiques de son règne destinées au Luxembourg, et qui reproduisaient les
époques de sa vie. Rubens, reconnaissant, avait offert à la reine mère
disgraciée un asile à Cologne, dans la maison qu'il avait fait construire
pour lui-même. Louis XIII et Richelieu lui en surent gré, et le cardinal,
grand amateur de belles toiles, lui offrit dix mille pistoles pour son
admirable tableau Si le dévouement de Rubens pour Marie de Médicis et son patriotisme flamand ne permettaient pas au cardinal de l'attacher à son service, il n'en était pas ainsi de Nicolas Poussin[5], arrivé récemment de Rome, et que Richelieu embrassait publiquement dans son palais au milieu de la foule des courtisans ébahis de tant d'honneur ! Qu'on se représente le château de Saint-Germain tout rempli de brillants gentilshommes à un retour de chasse. Louis XIII, confondu avec cette multitude si noble, si bien parée, avait voulu laisser à Nicolas Poussin le soin de reconnaître le roi au milieu de tous. L'artiste, sans se laisser éblouir, fléchit le genou devant le monarque, qui le nomma son premier peintre. Il le méritait bien. Nul plus que Poussin n'avait étudié l'art antique à son berceau, dans son long séjour à Rome ; sa petite villa était située à côté de Salvator Rosa et de Claude Lorrain, les grands paysagistes. Poussin s'était comme eux consacré à peindre la campagne de Rome, belle encore dans sa douleur et son abandon : les arbres, si rares au milieu d'une plaine nue semée de tombeaux, de temples ombragés de cyprès ; les horizons de Rome lui étaient familiers, sous ce ciel bleu qui se confond avec les vapeurs des marais, d'où le buffle vous contemple de son œil triste et maladif. Nicolas Poussin, fixé désormais à Paris, employé aux grandes décorations de châteaux et d'églises, fut le peintre aimé du cardinal de Richelieu, actif et libéral protecteur des arts[6]. Le pieux et tendre Philippe de Champagne travaillait à
côté de Poussin pour l'embellissement du Luxembourg. Né à Bruxelles, élève de
la meilleure école flamande, il était venu à Paris, car la renommée de Marie
de Médicis attirait les peintres pour l'ornementation des palais[7]. Il en fut
distingué presque aussitôt quand il eut peint les six beaux tableaux pour
l'église des Carmélites du faubourg Saint-Jacques, et le crucifix du plafond,
chef-d'œuvre de perspective. Le cardinal lui confia les peintures du dôme de Tandis que Philippe de Champagne achevait son christ
merveilleux pour l'église des Carmélites, un de ses camarades d'atelier qu'il
avait connu à Rome, Eustache Lesueur, commençait ses suaves compositions pour
le cloître des chartreux, La belle école de Louis XIII se complète par cet artiste bruni à la poussière et au soleil, d'une désinvolture un peu bohémienne, François Callot[10], qui s'était habitué par le dessin et la gravure à reproduire la société vivante et réelle de ces temps de guerre et de dévastation. Voyez ces cavaliers à la haute stature, moustaches en croc, la plume au vent, avec leurs rapières si longues qu'elles pourraient transpercer trois hommes en brochette : ici une troupe de soldats en marche, le mousquet sur le dos, à pied, à cheval, sans oublier les charrettes chargées de pillage où se groupaient les ribaudes des camps : les villages brûlent, les cabarets s'emplissent, les brocs se vident comme dans une fête flamande ? Là est reproduit la dure discipline de l'armée[11] : entre quatre tambours siège le prévôt, et dans le lointain on voit les enfilades de pendus, les pieds hauts du sol, le corps livré aux oiseaux de proie ; quelques squelettes secoués par le vent semblent craquer comme des vieilles crécelles : sur ce plan du tableau se groupe une troupe de bohémiens au visage intelligent et bizarre, souvenir d'enfance de Callot qui avait vécu au milieu d'eux. Pour anoblir ces spectacles, l'artiste jette au milieu une troupe de gentilshommes brillants et riches, qui boivent et chantent, sans s'inquiéter des guerres de désolation. Louis XIII avait pris Callot en grande amitié, et à travers quelques scrupules de l'artiste, fidèle sujet des ducs de Lorraine, Callot servait les goûts du roi, goût sévère, mais d'une fine intelligence. Rien de plus sérieusement beau qu'une chambre ornée sous Louis XIII et par son ordre : tapisserie de cuir doré, noire ou orange avec baguette d'argent, chaises et fauteuils en chêne sculptés, drapés également en cuir, des bahuts[12] d'ébène incrustés de nacre à mille compartiments, colonnes torses entremêlées de tiroirs et de portes antiques en ivoire, des coffrets de bois des îles incrustés d'or, des glaces de Venise et des petits lustres entourés d'argent, des portières lourdes à la manière turquoise, toutes semées de fleurs de lis ; un christ beau et simple comme ceux d'un monastère, des armures d'acier, des portraits à la manière de Philippe de Champagne, des flambeaux qui tournaient en spirale éclairés de bougies jaunes ou d'un blanc mat ; au fond de la salle un prie-Dieu couvert de velours noir avec un livre d'heure du moyen âge, relié en bois de chêne à fermoirs de fer ouvré, antique missel qu'on dirait avoir appartenu à Charlemagne. |
[1] Quelques historiens ont accepté avec une joie grossière les récits des pamphlets comme la vérité. J'ai donné la preuve dans mon livre sur Anne d'Autriche que les lettres de la reine qu'on a publiées sont insignifiantes ou altérées.
[2] Ce tableau a été gravé. (Collection des estampes, Bibliothèque impériale.)
[3] Les églises Saint-Paul-Saint-Louis de la rue Saint-Antoine, contiennent encore deux plaques de marbre qui rappellent quelles furent commencées sous Louis XIII et achevées sous Anne d'Autriche.
[4] Rubens, d'une famille noble styrienne, née en 1577 avait gardé tous les sentiments d'un gentilhomme ; il ne pardonnait pas au cardinal de Richelieu ses persécutions contre Marie de Médicis. Il lui écrivit plusieurs lettres touchantes. (Voir mon livre sur Marie de Médicis.)
[5] Nicolas Poussin, gentilhomme normand, d'une famille originaire de Soissons, était plus jeune que Rubens de quatorze ans.
[6] Les plus belles toiles du Louvre viennent des libéralités du cardinal de Richelieu, qui les laissa au roi par testament.
[7] Philippe de Champagne, né à Bruxelles en 1602, était venu à Paris à l'âge de dix-neuf ans.
[8]
Lesueur était né à Paris en
[9] Lesueur contribua, comme Lebrun, à la peinture de l'hôtel Lambert et aux églises Saint-Paul et Saint-Louis du Marais.
[10] François Callot, né à Nancy en 1593, fils d'un gentilhomme, héraut d'armes de Lorraine. On doit remarquer que presque tous les artistes alors étaient nés de la race noble et avaient manié le mousquet et l'épée.
[11] Les admirables dessins de Callot commencent à devenir rares ; la collection est même impossible ; on ne peut plus trouver les portraits des ducs de Lorraine et les beaux blasons du nobiliaire de cette province.
[12] Nous possédions dans la famille un de ces bahuts bien admirable. Un de mes oncles en fit présent au comte de Barras (l'ex-directeur), qui vivait alors en disgrâce au château des Aygalades. Il est passé dans la famille Castellane.