Un admirable aspect du règne de Louis XIII, c'est cette belle société de charité et de bienfaisance qui se révèle spontanément pour guérir les plaies profondes d'un temps agité. A côté de la vie de cour un peu dissipée, dans la vieille cité, s'élevaient mille retraites silencieuses où tout s'oubliait, excepté la pratique des vertus et de la prière. On peut encore aujourd'hui s'en faire une idée en descendant la rue d'Enfer, peuplée d'hospices à travers le quartier Saint-Marcel jusqu'au Marais, et au faubourg Saint-Antoine, couvert d'asiles charitables. L'affiliation des femmes de qualité aux ordres monastiques était une idée féconde pour les bonnes œuvres : le silence à côté du bruit, la bienfaisance organisée par associations volontaires[1] ; si les hommes graves trouvaient des abris sous les portiques de l'Oratoire, comme les philosophes sous les platanes et les acacias d'Athènes, les jeunes filles avaient des asiles contre les passions mondaines dans de vastes maisons entourées de jardins, plantés de fleurs, retraites toujours ouvertes aux cœurs fortement éprouvés. Beaucoup préféraient au mariage le voile virginal, la couronne de roses blanches pour se consacrer à Dieu, à la prière, aux pauvres surtout avec effusion et tendresse. Le plus illustre modèle de cette abnégation volontaire avait été sainte Thérèse, gracieuse fille d'une haute maison d'Avila[2] : elle avait aimé les danses, le bal, les beaux cavaliers des Castilles, les gais propos de galanterie, et revenue à ces dissipations mondaines, pleine de déceptions, elle avait fondé la plus sévère des institutions monastiques, l'ordre des Carmélites si populaire au dix-septième siècle. Anne d'Autriche, dans ses souvenirs mystiques de l'Espagne, avait pris sous sa protection cet ordre de travail, de prière et d'extase, la plus haute perfection de la nature humaine : le portrait de sainte Thérèse a été peint par Murillo, et Anne d'Autriche, la protectrice des carmélites, eut pour artiste Rubens. Il n'y a que la foi qui inspire les chefs-d'œuvre ! Toute l'institution de sainte Thérèse pouvait être définie par ces paroles simples et modestes : Nous ne sommes que des pauvres filles qui ne savons que filer et prier[3]. La rue, le faubourg Saint-Antoine, le vieux Marais, aimaient les couvents sous des invocations diverses et avec des missions de charité, sous le patronage des parlementaires et de la bourgeoisie alors d'une fervente piété : toutes les honorables familles avaient un couvent qu'elles choisissaient pour y faire leur retraite et leur examen de conscience. Si haut qu'on fût placé, il paraissait utile de donner chaque année quelques jours à la retraite, à la méditation sur soi-même, devoir philosophique. Anne d'Autriche aimait à se retirer chez les religieuses du Val-de-Grâce, monastère qu'elle avait fondé ou grandi ; après la vie active et bruyante du monde, la solitude avait ses enseignements[6] ! On avait vécu dans la dissipation, les bals, les fêtes et les carrousels ; on s'abritait pendant quelques huitaines au couvent sous les grands arbres entourés de hautes murailles : on vivait frugalement au réfectoire, table d'hôte du bon Dieu, en face d'un Christ en bois noir que faisaient ressortir les murailles blanches et nues éclairées par quelques cierges verts et jaunes ; le repas durait trois quarts d'heure, et encore occupés par de pieuses lectures : les récréations étaient douces et bonnes ; les joies des religieuses et des élèves sincères parce qu'elles étaient sans arrière-pensées et sans remords ; la tempête des passions n'avait jamais secoué ces douces fleurs. Les amitiés du couvent étaient longues, durables et survivaient aux vicissitudes du monde. Après Anne d'Autriche la famille la plus ardemment protectrice des institutions monastiques fut celle des Gondi[7], d'origine italienne si liée avec saint François de Salles. Les Gondi avaient recueilli dans leur hôtel un prêtre vénérable et modeste dont le nom retentissait déjà comme l'expression et le symbole de la charité même ; il s'appelait M. Vincent[8] : né au milieu des Landes près d'Acqs, aux Pyrénées, d'une pauvre famille, le jeune Vincent avait étudié chez les cordeliers, institution de pauvres capucins égalitaires, sans propriétés, même sans possessions légales. M. Vincent puisa parmi eux ses doctrines de charité immense après une jeunesse aventureuse et secouée ; pris par des corsaires, réduit à la condition d'esclave, par un miracle, Vincent s'était sauvé sur un petit esquif avec quelques-uns des compagnons qu'il prit sous sa sauvegarde ingénieuse. Il vint jusqu'à Avignon où le récit imagé de ses infortunes intéressa le légat qui avait pénétré sa vive intelligence. Vincent l'accompagna jusqu'à Rome ; il y connut le cardinal de Bérulle, lune des têtes les plus fortes du commencement du dix-septième siècle, le fondateur de l'Oratoire[9], l'ami, l'un des confidents du cardinal de Richelieu. C'était à son retour à Paris que Vincent était entré dans la maison de Gondi, et sous ses auspices, il avait commencé une suite de belles œuvres de charité : le rachat et l'éducation des esclaves, les missions destinées à instruire les gens de la campagne, à réunir dans une communauté les filles auxquelles il n'était plus possible de rester dans le monde sans s'y perdre, ni de se sanctifier dans la retraite si elles continuaient à n'y être pas bien conduites. M. Vincent mit la dernière main à toutes ces fondations charitables par l'institution des sœurs qui durent se consacrer aux pauvres malades et à recueillir les enfants trouvés. Pour arriver à son but de dévouement, M. Vincent s'adressait surtout aux femmes de condition, aux dames de la cour, aux filles d'honneur de la reine ravissantes et pieuses, il les groupait dans d'intimes assemblées pour leur dire quelques paroles d'une sensibilité brûlante de tous les feux de son cœur. Ce fut encore une femme qui seconda merveilleusement M. Vincent dans l'institution des saintes filles depuis connues sous le nom de sœurs grises : Mme Legras[10], née Marillac, de la famille qui comptait à la fois un garde des sceaux, un maréchal de France ; veuve bien jeune d'Antoine Legras, secrétaire des commandements de Marie de Médicis, comme Mme Chantal, elle ne voulut jamais se remarier ; première supérieure des sœurs de charité, elle considéra les pauvres comme ses enfants, et les malades comme sa famille. Les générations ingrates envers le passé, qui connaissent à peine le nom de Mme Legras, réservent le bruit et la renommée pour quelques charlatans de science ou de popularité, qui ne sauraient créer une sœur grise, comme le dit un jour Napoléon aux philosophes médisant du christianisme. Ce fut de l'influence de M. Vincent que se servit le
cardinal de Richelieu pour entraîner Mlle de Belle et touchante cérémonie que la prise de voile I et en
cette circonstance il s'agissait d'une fille d'honneur de la reine, de Mlle
de |
[1] On appelait les membres de cette affiliation le tiers ordre ; l'institution vit encore pour les communautés religieuses ; elle est secrète pour quelques âmes pieuses.
[2] Sainte Thérèse a écrit elle-même ses Mémoires, d'une candeur admirable ; elle était née en 1515, dans la vieille Castille. J'ai visité sa maison d'Avila avec un doux ravissement.
[3] Il n'est rien de plus naïf à lire que le texte espagnol : obres de santa Teresa de Jesus, par F. Diego de la compagnie de Jésus.
[4] Le premier couvent des Visitandines fut fondé à Annecy le 10 juin 1616.
[5]
Mme Chantal fut supérieure de
[6] Voir mon livre sur Anne d'Autriche.
[7] Le chef de la maison de Gondi était Albert de Gondi, maréchal de Retz.
[8] M. Vincent fut canonisé depuis sous le nom de saint Vincent de Paul.
[9] Le père Bérulle était de la famille parlementaire des Seguier ; il reçut le chapeau de cardinal des mains d'Urbain VIII et mourut en 1629.
[10] Louise de Marillac (Mme Legras), réunit la première congrégation des sœurs grises dans la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonet.
[11]
On sait que l'évêque de Meaux porta la parole pour la prise de voile de Mlle de