A cette époque, il courut un bruit de cour qui fit
grandement causer la place Royale. Le roi Louis XIII était enfin
très-amoureux, et d'une noble demoiselle du Marais : Louise Motier de C'est de cette famille d'hommes d'armes que descendait
Louise de A cette époque, le cardinal de Richelieu, après les efforts d'un pouvoir disputé, était arrivé à la plénitude de l'autorité suprême. Nul ministre n'avait plus profondément étudié l'esprit du roi : car on ne parvient à dominer un caractère qu'après avoir pénétré ses qualités et ses faiblesses. Le roi Louis XIII, souvent maladif, toujours ennuyé, avait besoin d'être distrait et conduit. Avec le sentiment extrême de son pouvoir absolu, il n'avait pas les conditions nécessaires pour l'exercer : volontaire, timide à la fois, il se plaçait naturellement sous une domination qui lui permît une certaine paresse d'esprit, une nonchalance d'affaires. On l'avait vu, sous la reine Marie de Médicis, et même sous Albert de Luynes, profondément convaincu que le connétable avait cette ferme et suprême volonté qui manquait à son pouvoir. Sévère pour lui, il l'était encore plus pour les autres, surtout dans les devoirs de la discipline, de l'obéissance ; et, avec ces défauts, un beau courage sous les armes, intrépide au feu comme le dernier de ses gentilshommes ; aimant les arts, l'industrie, les belles tapisseries de cuir doré, les bahuts d'ivoire et d'ébène, les tableaux, la musique, le chant italien et les suaves accents de l'église. Ainsi, avec la connaissance approfondie de ce caractère,
le cardinal de Richelieu avait compris qu'il fallait surveiller toutes les
affections que le roi pouvait former autour de lui : la plus légitime
assurément était celle d'Anne d'Autriche. Quoi de plus naturel que sa chaste
passion pour la jeune et gracieuse infante devenue reine ? Mais l'Espagne
était alors hostile à Le cardinal ne pouvait donc seconder l'influence légitime
de la reine que lorsque celle-ci aurait cessé d'être Espagnole ; il devait
lui inspirer un esprit national, assez puissant pour faire triompher sa
politique contre l'Espagne et sa propre famille. Jusque-là, il fallait
distraire et dominer le roi. Louis XIII s'était attaché d'abord à un jeune et
brave mousquetaire, du nom de Barradas, Gascon, rieur, prompt à la repartie
et tout entier consacré au service du roi. Barradas était devenu l'espion du
cardinal, et le roi s'en aperçut bientôt : à la première circonstance il fut
disgracié[7]. Ce que cherchait
le roi, c'était un confident sûr de ses pensées, sans les trahir, les
méconnaître ou les vendre, enfin un dépositaire, à qui il pût confier ses
griefs, ses soucis, si grand soulagement pour les âmes tristes et
préoccupées. Il voulait pouvoir se plaindre du cardinal, de sa mère, de son
frère, de la reine même en toute liberté. Le roi était constamment trahi ; il
n'est pas de situation plus déplorable que d'avoir toujours à se défier ! Ce
qui fit la force de Mlle de Louis XIII, loyal et pieux, était incapable d'une
séduction. Mlle de Ces délicatesses d'une jeune fille n'échappaient pas au
cardinal de Richelieu. Il avait compté sur l'intime influence de Mlle de Sur cette faveur affectueuse et souvent paternelle,
Tallemant des Réaux a bâti une ignoble historiette, qu'il raconte avec son
cynisme habituel. Le roi aimait éperdument M. le
Grand, dit-il. Fontailles racontait qu'étant
entré une fois, à Saint-Germain, fort brusquement dans la chambre de M. le
Grand, il le surprit comme il se faisait frotter depuis les pieds jusqu'à la
tête d'huile de jasmin. Un moment après on heurte, c'est le roi.... On m'a dit aussi que, en je ne sais quel voyage, le roi se
mit au lit dès sept heures. Il était fort négligé ; à peine avait-il une
coiffe à son bonnet : deux grands chiens sautent aussitôt sur le lit. Il envoya
déshabiller M. le Grand. Couche-toi, couche-toi. Il se contenta de
chasser les chiens sans refaire le lit. M. le Grand avait le cœur ailleurs ;
il lui disait : Mais, mon cher ami, qu'as-tu ? Que veux-tu ? Tu es tout
triste. De Niert, demande-lui ce qui le fâche ; dis-moi, as-tu jamais vu une
telle faveur ? Il le faisait épier pour savoir s'il allait en cachette
quelque part[11]. Tallemant des Réaux est une vilaine âme, qui ne voit
jamais les nobles et beaux sentiments dans le cœur humain ; il remue les
ordures à pleine main ; il a le langage ignoble de Mathurin Régnier. Il
vivait à l'époque de C'était surtout, je le répète, à la protection du cardinal
de Richelieu que le grand écuyer Cinq-Mars devait la douce confiance de Louis
XÏII. Jeune gentilhomme, il se montra quelque temps fort docile aux
instructions du cardinal ; il lui rapportait fidèlement toutes les
impressions du roi sur chaque événement, sur chaque mesure politique du
règne. Le cardinal opposa hardiment Cinq-Mars à Mlle de |
[1]
Né à la fin du quatorzième siècle. Les généalogistes contestent au célèbre
général
[2] Il s'était surtout distingué avec Lautrec dans la défense de Bologne contre les Vénitiens.
[3] Le 20 octobre 1428.
[4] Le 14 juillet 1429.
[5] Tel est le portrait recueilli par M. de Monmerqué.
[6] A cette époque, le marquis de Mirabel visitait incessamment la reine au nom du roi d'Espagne, son père.
[7] L'influence de Barradas n'avait pas échappé à l'ambassadeur marquis de Mirabel : De poco tiempo muestra tanto aficion a un gentilhomme casi de su misme edad, ilamade Barado. Lettre chiffrée. (Archives de Simancas. cot. A-90.)
[8]
Mlle de
[9] C'était une des grandes fonctions royales. Dans la hiérarchie, le grand écuyer n'avait de supérieur que le connétable.
[10] Le caractère de Cinq-Mars a été mal jugé, mal apprécié. Il y avait du sérieux dans son esprit ; on peut s'en convaincre par la correspondance qu'il suivait avec le cardinal de Richelieu (dans les manuscrits de Mesme. Biblioth. imp.).
[11] Cet ignoble récit est dans l'Historiette du roi Louis XIII.
[12] L'éditeur principal des Historiettes de Tallemant des Réaux, M. le conseiller de Monmerqué, était un esprit distingué ; mais, comme les érudits, un peu enclin aux récits des petites choses, aux aventures scandaleuses ; les Historiettes lui plaisaient d'affection, et on voit qu'il prend plaisir à les rapporter. Il a été trop, souvent influencé par une collaboration qui appartenait à une triste école.