Toutes les scènes de la société galante de Louis XIII
s'entrelacent et se dénouent dans le beau quartier, qui alors s'étendait du
vieux palais des Tournelles avec ses jardins en espaliers, treillis de vignes,
bosquets de cerisiers[1], jusques au delà
de Henri IV, grand ordonnateur de bâtiments, avait achevé l'Arsenal, où demeurait l'avide et maussade Sully, que souvent il visitait ; derrière l'Arsenal était le bel hôtel du trésorier Zamet, merveille florentine et vénitienne : d'élégantes constructions contenaient de somptueux appartements ornés de meubles en bois des îles, ébène, ivoire, épaisses tentures de cuir, et surtout ces sofas d'Orient si doux pour la sieste tant aimée par Marie de Médicis. Les jardins de Zamet étaient presque publics ; sous l'épais massif de tilleuls coulaient de murmurants ruisseaux à travers des tapis de verdure ; ils entouraient de belles volières, serres de fleurs odorantes, où gazouillaient mille rares oiseaux[3] venus d'Orient et d'Amérique, qu'on disait la terre des prodiges. Dans ce beau quartier Saint-Antoine, Henri IV avait ordonné la construction d'une place régulièrement carrée ; les hôtels tout autour, sur galeries de pierre, étaient bâtis en moellons rouges artistement bariolés. A l'origine, Henri IV avait destiné la nouvelle place à un riche bazar de marchandises, à l'imitation de la place Saint-Marc de Venise : boutiques de glaces, miroirs, drap d'or et d'argent, points de Flandres, riches orfèvreries, les verroteries du Lido ; avec des maisons de baigneurs, lieu de repos à l'orientale. La mode bientôt s'était éprise de la place Royale : les hauts gentilshommes, les beautés les plus célèbres y avaient pris demeure. Quand le mauvais temps ne forçait pas la foule à s'abriter sous les galeries, elle serpentait dans de jolies allées d'ormes taillés avec soin, et des plates-bandes de buis dessinées en chiffres amoureux, à la manière des villas de la campagne de Rome et de Florence. De braves gentilshommes, hardis cavaliers, couverts de leur large chapeau de feutre à plumes rouges et flottantes, portaient une casaque courte sur une blanche fraise, laissant voir la braye ou culotte qui s'effaçait dans de larges hottes en peau de daim, ouvertes en entonnoir, éperonnées d'acier. Ce costume grandissait la taille, à ce point que chaque cavalier paraissait haut de six pieds ; le manteau noir ou gris le drapait merveilleusement à la façon espagnole. Louis XIII, tout jeune homme, avait donné l'exemple de couper la barbe huguenote portée sous Henri IV, pour ne plus laisser sous la lèvre inférieure et au menton qu'une petite barbiche ou barbichon, qui allongeait d'une façon élégante l'ovale de la figure (on l'appelait royale parce que Louis XIII l'avait mise à la mode). Mais ce qui rendait incomparable l'aspect de ces braves rodomonts, c'était la façon de porter la rapière, la main sur la garde à côté de la hanche, la pointe en l'air, de manière à relever le manteau comme une menace continuelle de croisement d'épée en duel et rencontre à deux pas sur le pré de la Bastille[4]. Ces fiers cavaliers, à la désinvolture si hardie, se
mêlaient aux groupes charmants de jeunes femmes si remarquées dans leurs
coquets atours : la ravissante princesse de Condé, pour qui le vieux fou
Henri IV avait fait tant d'extravagances[5], portait sur son
beau front de petites frisures en boucles disséminées, et au-dessus des
rouleaux de cheveux entrelacés de rubans ; à son cou brillait un long collier
de grosses perles mates ; sa robe montante était semée de pierreries de
formes ovales, carrées, rubis, diamants ; Mme Les belles promeneuses de la place Royale demeuraient dans
les nouveaux hôtels, sous les arcades ou dans le voisinage aux rues des
Tournelles, des Beaux-Treillis, de Au delà des murs se prolongeait le faubourg Saint-Antoine,
peuplé des premières colonies d'ouvriers allemands, habiles travailleurs sur
bois et ébène (ébénistes), presque tous
nés sur les bords du Rhin, Strasbourg, Cologne, Nuremberg, la ville des
joujoux et poupées, des chefs-d'œuvre de tabletterie et tonnellerie ; les
colonies allemandes aimaient de prédilection le village de Reuilly, tout
plein de jardins potagers. Naguère un petit bois, Charenton, avait été
défriché par les religieux minimes qui possédaient de merveilleuses méthodes
d'agriculture. Au village de Reuilly l'on voyait déjà s'élever et grandir ce
qu'on appelait L'île Saint-Louis devait servir de lien entre le Marais et
le village Saint-Marceau ; dans le plan dressé en d'Uzez, Bussy-Rabutin, tous richement vêtus de costumes étranges, couverts de plumes rouges, bleues, flottant au vent : de vastes chars traînés par des monstres fabuleux, apparaissaient au milieu des carrousels, et les personnages mythologiques venaient dire les hauts faits d'armes et les prouesses amoureuses du roi Louis XIII, le véritable prince des gentilshommes. |
[1]
D'où sont venus les noms des rues Beautreillis,
de
[2] La concession est dans le Recueil des ordonnances du Louvre, d'où est venu le nom de Pont-Marie.
[3] L'hôtel Zamet était tout près du couvent des Célestins, non loin de l'Arsenal.
[4] Callot reproduit ainsi les cavaliers du règne de Louis XIII. Comparez avec la collection des gravures. (Bibliothèque impériale, 1615-1620.)
[5] On peut en lire le récit dans un livre fort rare, sous le titre : l'Enlèvement innocent ou la retraite clandestine de Monseigneur le Prince, 1600-1610.
[6] M. de Monmerqué a publié ces portraits dans sa dernière édition de Tallemant des Réaux. La collection des émaux de Petitot en contient un certain nombre.
[7] L'hôtel Lesdiguières a laissé son nom à toute une rue ; il n'en reste pas de débris. La famille du connétable est éteinte. L'hôtel Sully est presque conservé.
[8]
Les gravures de ce carrousel existent encore dans la grande collection de