Sentiment de colère du roi après l'élection de Charles-Quint. — Démarche des électeurs. — Popularité du nouvel empereur. Tentative d'alliance avec l'Angleterre. — Entrevue à Douvres. — Démarches du roi de France. — Négociations secrètes avec les séditieux d'Aragon et de Castille. — Manifeste de ses griefs. — Proposition d'une entrevue avec Henri VIII. — Le camp du Drap d'or. — Fêtes. — Tournois. — Renouvellement du traité. — Couronne de Navarre. — Les communeros. — Guerre de Navarre. — Idée d'une alliance avec les Turcs. — Déclaration de guerre entre François Ier et Charles-Quint.1519-1520. Il suffit de se rappeler la préoccupation si vive que l'élection d'un empereur avait jetée dans les esprits, et de juger les sacrifices qu'elle avait occasionnés y pour comprendre le dépit violent de François Ier, lorsque les dépêches de l'amiral Bonnivet annoncèrent le triomphe de Charles-Quint : combien d'espérances déçues ! lui qui avait rêvé le sceptre et la couronne d'or, il allait les voir aux mains d'un rival habile ! Tout s'était fait sans doute dans les formes, mais François Ier ne pouvait comprendre qu'on préférât un prince pacifique au vainqueur de Marignano, lorsque l'Europe entière était' menacée par une invasion de barbares. Le roi ne voulut pas y croire d'abord, et quand la
nouvelle fut confirmée il entra dans une indicible colère, menaçant de se
jeter en fou de gloire sur L'Allemagne, pour obliger, par la force, les
électeurs à briser leur ouvrage. Les griefs de guerre ne lui manquaient pas :
tandis que ses envoyés auprès de la diète revenaient de Francfort, le
terrible Sickinghen, le héros des sept montagnes et de Le nouvel empereur Charles-Quint, alors en Aragon,
attendait plein d'impatience le résultat de la diète de Francfort, et lorsque
le scrutin fut dépouillé, Guillaume de Bavière partit d'Allemagne, suivi
d'une noble troupe de chevalerie i il prit son itinéraire par Ces griefs, renouvelés avec aigreur, n'étaient que des prétextes pour cacher les rivalités profondes que l'élévation de Charles-Quint à l'Empire avait suscitées : quoi ! pendant trois années d'amitié et de mutuelle confiance, il avait été à peine question de ces plaintes qui éclataient tout à coup après l'élection ; c'est que François Ier blessé au cœur, s'indignait de la préférence de la diète, tandis que Charles-Quint conservant, au milieu de ces orages de colère, un esprit de modération habile[3], devinait, avec sa sagacité habituelle, que la guerre, inévitablement éclaterait entre lui et François Ier ; il se préparait à la soutenir, et pour cela, il groupait autour de lui des auxiliaires à sa cause. Le nouvel empereur, en préférant la voie de la mer pour son itinéraire, comptait encore visiter l'Angleterre et saluer son bon oncle Henri VIII ; s'il n'espérait pas un secours de ce prince efféminé, tout occupé de querelles théologiques, il voulait le détacher au moins d'une alliance avec François Ier. La pensée de Charles-Quint s'élevait à la monarchie universelle, et néanmoins l'empereur voulait montrer, par sa modestie personnelle, qu'il n'avait aucune volonté d'agrandissement ; ainsi, pèlerin politique, il visita lui-même Douvres, Londres et la cour de Henri VIII ; admirablement accueilli par le roi et les grands, comme un prince d'origine flamande et un parent de race, Charles-Quint flatta les vanités théologiques de Henri VIII, tout glorieux du titre de défenseur de la foi qu'il venait de recevoir pour son livre contre Luther. Léon X avait appelé ce livre la perle du ciel, la merveille céleste, et la gloire du roi était devenue de l'orgueil littéraire. Charles-Quint promit à son bon oncle qu'à peine salué empereur, il réunirait toutes ses forces pour chasser de l'Allemagne ce monstre d'hérésie, et briser Luther, cette bête fauve, expression de Charles-Quint qui remplit de joie toute la cour de Henri VIII. Quel temps de brillantes fêtes et de grands coups de lances dans les tournois ! Ces deux monarques se donnèrent les témoignages de la plus vive amitié. Selon l'usage des temps chevaleresques, on s'accabla de présents ; Charles-Quint offrit à Henri VIII cinq chevaux andalous richement caparaçonnés : aussi fiers qu'oncques chevaliers, aussi doux qu'oncques pucelles ; le roi d'Angleterre lui donna cinq montres d'horloges, ouvrages flamands, qui jouaient maints airs doux et carillon sonnant. On se quitta plein de bonnes paroles. L'empereur vint débarquer en Flandre, alors gouvernée par cette Marguerite d'Autriche, sa tante, digne femme de capacité et d'énergie. Enfin, en grande pompe, il salua la cité du couronnement, Aix-la-Chapelle. Ce fut là qu'à la face du tombeau de Charlemagne, sous le vieux lustre de Frédéric Barberousse, Charles-Quint Jeta quelques paroles de grandeur et d'un avenir mystérieux, lorsque la couronne toucha son front royal[4]. Décidé à frapper un coup décisif de politique ou de guerre
contre Charles-Quint (le rival heureux qui
venait de s'élever à l'Empire), François Ier dut d'abord examiner la situation
des intérêts et des forces en Europe. Sous le point de vue matériel, le roi
de France restreint dans ses domaines, ne pouvait lutter contre un ennemi si
puissant qui réunissait sous sa main tant de terres riches en hommes et en
revenus ; l'Espagne, Naples, l'Allemagne, Les troubles d'Espagne avaient-ils été inspirés par François V, lui-même, ou bien étaient-ils motivés par le seul amour de la liberté et de la nationalité espagnoles ? peu importe. Presque aussitôt on voit la chevalerie française aux frontières d'Espagne pour porter aide et secours aux dignes Castillans et Aragonais, appelant un roi national. C'est un des plus curieux épisodes dans l'histoire
d'Espagne que ce soulèvement des communeros. Vers Pâques 1520, Charles-Quint,
élu empereur, quittait sa monarchie en confiant l'administration et le gouvernement
au cardinal Adrien[6],
son précepteur et son ami, Flamand d'origine et commensal de la maison de
Bourgogne. Depuis longtemps Le premier soin des insurgés fut de tourner les yeux vers Les grands de Castille, un moment étonnés de ce mouvement
de peuple, s'aperçurent bientôt que les communeros cachaient une pensée
démocratique contre les ricoshombres. La duchesse de Médina-Sidonia, toute
dévouée à Charles, Quint, donna le signal de la répression, et défendit avec
énergie la cause de l'empereur. Ainsi trois femmes se mettaient à la tête du
mouvement des Espagnes. Juana la folle, dont le front assombri se chargeait
d'une couronne ; Maria de Pacheco, la reine du peuple, qui exerçait une
puissante dictature ; enfin la duchesse de Médina-Sidonia, investie des
pleins pouvoirs de Charles-Quint, pour commander les grandesses. L'Espagne
fut donc en feu, et François Ier, aigri par la colère, promit des secours à En ce moment François Ier était préoccupé d'une alliance plus haute et plus politique. L'insurrection est de sa nature capricieuse, et le roi pouvait la dédaigner, car, fier et hautain gentilhomme, devait-il tendre la main aux communeros de Castille et d'Aragon ? Ce qui inquiétait plus profondément l'esprit du roi de France, c'est qu'il venait d'apprendre dans tous ses détails l'entrevue intime de Henri VIII et de Charles-Quint, impatient de ceindre la couronne à Aix-la-Chapelle. Cette présence de Charles-Quint à Douvres, dans le palais de Windsor et de Westminster, avait-elle un but d'alliance et de mutuelle garantie ? Charles d'Espagne était le neveu de la reine Catherine, la femme de Henri VIII, et les deux princes s'étaient donné des gages de tendresse. François Ier voulut essayer son crédit sur l'esprit du roi des Anglais dans une entrevue qui aurait pour but ou pour prétexte la croisade contre les infidèles. C'était comme défenseur de la foi, désigné par Léon X, que Henri VIII était appelé par le roi de France, fier lui-même d'avoir reçu la sainte bannière des mains du pontife : irait-il à Londres comme Charles-Quint, ou bien Henri VIII viendrait-il sur le continent ? La maison de Bourgogne était hautaine, mais Charles-Quint n'avait pas hérité de son faste. Le nouvel empereur savait qu'en politique l'étiquette n'est que le costume et souvent l'embarras d'une négociation : aussi n'avait-il pas hésité d'aller à Londres, partout où le bien de sa cause pouvait l'appeler sans se soucier des préséances. Il n'en fut pas ainsi de François Ier, si fier de la dignité de sa couronne. Henri VIII à son tour de la vieille race d'Anjou, vassale de la couronne de France, possédait des cités en Flandre, et à quelques lieues de l'Amiénois, se déployait le gonfanon de l'Angleterre ; il pouvait donc passer sur le continent sans sortir de ses terres domaniales. Dans les correspondances qui précédèrent l'entrevue royale, le cérémonial fut réglé[9], le but de François Ier était de réveiller les ressentiments de Henri VIII contre Charles-Quint : qui, par une indigne traîtrise, s'était fait élire empereur d'Allemagne ; cette couronne d'or ne revenait-elle pas aussi bien à Henri VIII, si digne de la porter. Au retour des ambassadeurs anglais, après l'élection impériale, le rapprochement s'accomplit entre les deux couronnes de France et d'Angleterre ; ces envoyés rapportèrent le bon accueil qu'ils avaient reçu de François Ier, et la félonie des actes de Charles, Quint pour obtenir la pourpre impériale ; d'où l'on conclut qu'il fallait se réunir pouf arrêter l'ambition d'un ennemi aussi redoutable. Le lieu de l'entrevue fut bientôt désigné par les hérauts d'armes ; Henri VIII désirant visiter ses terres de Flandre, ses villes d'extrême frontière, François Ier devait se faire un honneur et un devoir de l'accueillir, sous des belles tentes mi-parties France et Angleterre, entre Ardres et Guines ; Ardres appartenait à la couronne de France ; Guines était une possession du domaine d'Angleterre. Entre les deux cités, distantes de trois lieues à peine, était une vaste plaine couverte de riches moissons, de petits bois, de ravissantes bruyères, et là fut le lieu désigné par les hérauts d'armes. Les noblesses de France et d'Angleterre devaient se
montrer dans tout l'éclat des cours plénières, et c'était depuis longtemps
une rivalité non-seulement de coups de lances, mais encore de luxe, de
puissance et de grandeur. On avait choisi le plus beau temps de l'année, le
mois de juin, lorsque les fleurs s'épanouissent sous l'épais ombrage des bois
; les princes avaient pris jour ainsi pour faire la meilleure chère possible.
Le roy de France fist faire à Ardres trois maisons[10], l'une dedans la dicte ville, qu'il fist tout bas tir de
neuf, et estoit assez belle pour une maison de ville, et avoit assez grand
logis, et en cette maison feust festoyé le roy d'Angleterre ; et en fist
faire le dict seigneur roy une autre hors de la ville, couverte de toille,
comme le dessin de Ce luxe merveilleux des tentes de France et d'Angleterre était destiné à laisser une bonne et glorieuse opinion des gentilshommes des deux pays. Nul digne châtelain n'hésitait à se ruiner quand il s'agissait de paraître en sa splendeur dans les cours plénières et de montrer sa supériorité. Le camp du Drap d'or fut marqué par toutes les fêtes de la chevalerie, passes d'armes, tournois, représentations théâtrales, et tout cela avec un faste qui ne calculait rien ; la chevalerie d'Angleterre rivalisa de luxe avec celle de France, et plusieurs y portèrent leurs moulins, leurs forêts, leurs prés sur les épaules, comme le dit maître Martin du Bellay. Et qu'importait aux chevaliers d'avoir vendu leurs terres, leurs champs, si le rival ou l'adversaire rapportait dans ses manoirs bonne idée de son opulence et de sa grandeur. A travers tous ces témoignages d'une vive amitié, les rois conservèrent même publiquement des craintes et des méfiances ; on régla comment les deux monarques pourraient se voir, et l'on ne trouva pas de meilleur moyen que les otages. On régla que les roynes festoycroient les roys, et les roys les roynes, et quand le roy d'Angleterre viendroit à Ardres veoir la royne de France, que le roy de France partiroit quant et quant pour aller à Ghines veoir la royne d'Angleterre, et par ainsi ils estoient chascun en ostages l'ung de l'aultre. Le roy de France qui n'estoit pas homme soupçonneux estoit fort marri de quoi on se fioit si peu en la foi l'ung de l'aultre. Il se leva un jour bien matin, qui n'est pas sa coustume, et print deux gentilshomme et un page, les premiers qu'il trouva, et monta à cheval sans estre houzé, avec une cape à l'espaignolle, et vint devers le roy d'Angleterre au chasteau de Ghines, et quand le roy feust sur le pont du chasteau tous les Anglois s'émerveillèrent fort, et ne sçavoient qu'il leur estoit advenu, et y avoit bien deux cents archers sur le dict pont, et estoit le gouverneur de Ghines avec les dicts archers, lequel feust bien estonné, et en passant parmi eulx le roy leur demanda la foy, et qu'ils se rendissent à lui, et leur demanda la chambre du roy son frère, laquelle lui feust enseignée par le dict gouverneur de Ghines, qui lui dict : Sire, il n'est pas éveillé. Il passe tout oultre, et va jusques à la dicte chambre, heurte à la porte, l'éveille et entre dedans, et ne feust jamais homme plus esbahi que le roy d'Angleterre, et lui dict : Mon frère, vous m'avez faict meilleur tour que jamais homme fist à aultre, et me monstre la grande fiance que je dois avoir en vous, et de moi je me rends vostre prisonnier dès cette heure, et vous baille ma foy ; et deffist de son col un collier qui valloit quinze mille angelots, et pria au roi de France qu'il le voullust prendre, et porter ce jour-là pour l'amour de son prisonnier ; et soudain le roy qui lui voulloit faire mesme tour, avoit apporté avec lui un bracelet qui valloit plus de trente mille angelots, et le pria qu'il le portast pour l'amour de luy, laquelle chose il fist, et le lui mist au bras, et le roy de France print le sien à son col, et a donc le poy d'Angleterre voullust se lever, et le roy de France lui dict qu'il n'auroit point d'aultre valet de chambre que luy, et lui chauffa sa chemise, et lui bailla quand il feust levé. Le roi de France s'en voullust retourner, nonobstant que le roi d'Angleterre le voullust retenir à disner avec lui ; mais pour ce qu'il falloit jouxter après dîner, s'en voullut aller, et monta à cheval, et s'en revint à Ardres ; il rencontra beaucoup de gens de bien qui venoient au devant de luy, et entre autres l'Adventureux, qui luy dict : Mon maistre, vous estes un fol d'avoir faict ce que vous avez faict, et suis bien aise de vous reveoir icy,et donne au diable celui qui vous l'a conseillé. Sur quoi le roy lui fist réponse, et lui dict que jamais homme ne lui avoit conseillé, et qu'il sçavoit bien qu'il n'y avoit personne en son royaume, qui lui eust voullu conseiller[11]. Ainsi, au milieu de la méfiance générale, les deux rois se donnaient, à la face de leur cour, les témoignages de la plus vive cordialité, et cela pour éviter les jalousies, les rivalités entre blason de même race. Les gentilshommes de France firent tant qu'ils se montrèrent plus magnifiques que les Anglais ; mais ceux-ci eurent beaucoup plus de goût dans leurs armes de tournois et vêtements de cours plénières ; tandis que les femmes de France, les nobles dames des manoirs brillèrent beaucoup au delà des Anglaises. Leurs modes furent adoptées à Londres ; toutes décolletées, on voyait leur sein très-frais, ce qui fit jalousie aux dames d'Angleterre, qui portaient robes montantes. L'entrevue du camp du Drap d'or ne produisit pas une
situation complètement amicale entre les rois de France et d'Angleterre. On
parla de tout, de l'hérésie de Luther, de l'invasion des Turcs ; et quant à
la question territoriale, il ne fut rien décidé. Les deux princes se virent
une dernière fois pour signer un nouveau traité d'alliance et de politique. Ils se vindrent embrasser tout à cheval y et se fisrent
merveilleusement bon visage, et broncha le cheval duroy d'Angleterre, en
embrassant le roy de France, et chascun avoit son laquais qui prindrent les
chevaulx, et entrèrent dedans le pavillon tout à pied, et se recommencèrent
de rechef à embrasser, et faire plus grande chère que jamais, et quand le roi
d'Angleterre feust assis, print lui, même les articles, et commença à les
lire, et quand il eust leu ceulx du roi de France qui doit aller le premier,
il commença à parler de lui ; et y ayoit, je Henry roy, il voulloit dire de
France et d'Angleterre, mais il laissa le titre de France, et dict au roy, je
ne le mettray point, puisque vous estes ici, car je mentirois ; et dict, je
Henry roi d'Angleterre ; et estoient lesdicts articles fort bien faicts et
bien escripts, s'ils eussent esté bien tenus. Ce faict, lesdicts princes se
partirent merveilleusement bien contens l'ung de l'aultre, et en bon ordre,
comme ils estoient venus, s'en retournèrent le roy de France à Ardres, le roy
d'Angleterre à Ghines[12]. L'entrevue au camp du Drap d'or fut célèbre dans l'histoire de ce temps. La chevalerie n'avait alors d'autre distraction que les pompes des cours plénières ; et les plaines d'Ardres et de Guines voyaient le plus bel appareil de fêtes chevaleresques, telles que le roi René les avait décrites dans son livre des Tournois. Aussi la peinture, la tapisserie ont-elles recueilli le souvenir de cette entrevue du Drap d'or. On était en pleine renaissance ; l'art de réunir et de grouper les personnages avait fait des progrès notables, et le tableau qui retrace r entrevue entre les rois de France et d'Angle* terre put atteindre un caractère de haute perfection : au loin y on aperçoit Ardres et Guines, avec leurs mille tours où se déploient les gonfanons de France et d'Angleterre, au milieu brillent des tentes fleurdelisées sur fond d'or, comme dans les peintures byzantines ; la forme de ces tentes est élégante et façonnée comme au moyen âge ; toutes les diverses journées des festoyements royaux sont reproduites dans les couleurs et la broderie : Henri VIII vient d'abord visiter les tentes de France avec ses chevaliers et ses barons richement caparaçonnés ; sonnez, sonnez, trompettes et bucines, Henri VIII s'avance vers François Ier ; on le reconnaît à la proéminence de son ventre, à sa grosse tête, à ses yeux pleins de désirs charnels ; le roi de France vient au-devant de lui, jeune encore, son œil est vif, ouvert. Les batailles de lances qui le suivent sont conduites par le capitaine Bayard, le parrain du roi, selon les lois de la chevalerie, car il tient de lui l'accolade. Alors se dessine en belles couleurs l'entrevue royale : Henri et François se prennent dans les bras l’un de l’autre ; fasse le ciel qu'ils concluent une longue et bonne paix entre eux ! On les voit au conseil avec les cardinaux et les clercs, pour juger de ce qu'il faut faire dans le bien de la chrétienté. L'heure du tournoi approche, les cartels sont de part et d'autre envoyés : quel chevalier ne se croit appelé à soutenir l'honneur des deux couronnes et des deux nations ! Vous portez un blason normand, angevin ou saxon, vous êtes Anglais ; ma foi, défendez-vous, caries coups seront rudes. Les dames sont là sur les estrades parées d'étoffes bariolées de points de Flandre. Et qui ne veut rompre une lance pour elles ! qui ne se glorifierait d'en obtenir un sourire ! Les rois aiment à se festoyer noblement comme dans les cours plénières, par les banquets, la chasse au cerf et au sanglier. Faut-il s'étonner si la peinture, la tapisserie, l'orfèvrerie ont gardé souvenir de cette entrevue d'Ardres et de Guines et du camp du Drap d'or, belle fête des vieux temps, dernière scène du moyen âge[13] ? Les entretiens politiques entre les rois de France et
d'Angleterre avalent-ils porté sur la question de l'Empire soulevée par l'élection
de Charles-Quint ? on doit le croire, car Henri VIII était un des candidats
repousses, comme François Ier de la grande couronne impériale. Mais ce que le
roi de France voulait surtout pénétrer, c'est le rôle de Henri VIII durant la
guerre, que cette élection de Charles-Quint allait entraîner. Les nouvelles
d'Aragon et de Castille n'étaient pas rassurantes pour l'empereur ;
l'insurrection grandissait, et sous prétexte d'assurer l'exécution du traité
qui restituait C'était la guerre contre Charles-Quint, car quels hommes,
quelles troupes allaient combattre le seigneur de Lesparre ? évidemment les Espagnols,
les bandes noires de l'empereur ; jusqu'ici on s'excusa sur ce que Lesparre,
parent de la maison de Navarre, se battait en aventurier pour sa race. En
vain prenait-on des prétextes ; la guerre commençait sur ce point comme elle
aurait commencé sur un autre, parce qu'elle était dans la situation. Le
seigneur de Lesparre attaqua Pampelune, la clef de De quelque manière qu'on envisageât la campagne de
Lesparre en Navarre, elle était une hostilité contre la monarchie espagnole,
et François V put dès lors se considérer comme en état de guerre, prendre les
précautions indispensables et son premier soin fut de se créer des alliances
de famille ou de politique. L'entrevue du camp du Drap d'or, avait eu ce
dessein à l'égard de Henri d'Angleterre ; si le roi n'avait pu obtenir une
adhésion complète à son système de la part de Henri VIII, il pouvait au moins
compter sur une neutralité parfaitement conforme au caractère paisible du roi
des Anglais, dissertateur d'université, avide de plaisirs sensuels. Pour
mieux le contenir encore, François Ier renouvela les vieilles alliances de L'alliance des Suisses était scellée et complète par les
conventions perpétuelles signées à Fribourg. Dans les clauses de ce traité,
il avait été convenu que jamais les cantons fédérés ne porteraient les armes
contre Le progrès peut-être le plus hardi en dehors de la pensée
religieuse fut la première tentative essayée par le roi de France d'un traité
de paix, d'une alliance politique avec les Turcs. Après les guerres civiles
qui avaient agité l'empire ottoman, l'épée terrible des osmanlis fut confiée
au bras fort et puissant de Soliman II, fils unique de Sélim[16]. Élevé à peine
sur le trône ottoman, il assiégea Belgrade, et cette place qui avait résisté
si longtemps à tous les efforts de l'islamisme venait de succomber sous
l'implacable vainqueur[17]. Soliman avait lu
dans les grandes histoires quelle était l'antique puissance des empereurs
romains et grecs, et son ambition se complaisait à renouveler cette vaste
domination des Césars. Son empire était calme ; les séditions de FIN DU PREMIER VOLUME |
[1] Charles-Quint, dès son avènement au trône d'Espagne, avait porté le nombre des chevaliers à cinquante ; ils n'étaient que trente, selon la première institution. Dans les vingt promotions nouvelles, on remarquait François Ier roi de France.
[2] Le nouvel empereur s'efforçait néanmoins de calmer François Ier, comme on le voit par la lettre suivante (autographe) :
Lettre de la main de Charles-Quint au maréchal Anne de Montmorency (1520). — Mss. de Béthune, vol. coté 8505, fol. 37.
Mon cousin ; par le rapport du
s. de
[3] Réponse de Charles-Quint à un message de François Ier (1524). — Mss. de Béthune, vol. coté 8489, fol. 54.
Clérencieulx j'ay vu la lettre de créance que le roy votre maistre m'a escripte et entendu ce que vous m'avez dit et déclaré de sa part par vertu d'icelle, et pour ce que m'avez dit est en créance comme dit est, je vous y feray response de bouche et par créance sur vous, laquelle vous direz et déclarerez au roy vostre maistre par vertu de la lettre credencialle que je vous bailleray de la manière qui s'ensuit.
Premièrement vous lui direz que j'ai bien entendu tout ce que vous m'avez dit et déclaré de sa part et que jusques icy lui et autres ont peu veoir et clerement congnoistre que j'ai gardé, entretenu et observé les traictés promesses et cappitulations que j'ay faictes sans icelles enfraindre, et qu'on ne doit trouver estrange si après les paines et travaulx que j'ay pris et soustenus depuis mon advènement à la couronne pour establir et mectre en seureté mon royaume et nos estats en Itally, j'ay entretenu quelque nombre de gens de pyé estrangiers et que pour non demeurer à la discrétion de ceulx qui seroyent peut estre bien aises de me veoir en affaire et nécessité. J'ay donné ordre d'entretenir ung bon nombre et pour ung que j'ay vouldroye en avoir deux, aussy ay donné provision au fait du navire de mon royaume et à le dresser et équipper. Et en ce faisant n'ay fait, n'entens faire tort à personne, car grâces à Dieu je n'ay pour l'eure présente guerre ne division avecques prince ou potentat quelqu'il soit, mais suit avecques eulx en toute bonne paix et amytié, par quoy j'en ay fait et faicte est pour le bien et seureté de mes amys et l'entretenement de la d. paix et aussi pour la faire tenir à ceulx qui la vouldroient rompre et violer.
[4] Couronnement de l'empereur Charles-Quint, 21 octobre 1520. — Mss. de Béthune, Bibl. du Roi, vol. coté 8505, page 51.
[5] Don Antonio Osorio d'Acuña, né vers 1460, fut fait évêque de Zamora, par Ferdinand le Catholique, après quelques missions importantes.
[6] Adrien Florent, né à Utrecht en 1459, avait été successivement chanoine de Saint-Pierre, professeur de théologie, doyen de l'église de Louvain, et enfin vice-chancelier de l'université quand l'empereur Maximilien le choisit pour précepteur de son petit-fils ; envoyé en ambassade auprès de Ferdinand le Catholique, ce prince le nomma évêque de Tortose, et Charles d'Espagne, devenu roi, la fit élever au cardinalat en 1547. Il devint pape après la mort de Léon X, sous le nom d'Adrien VI.
[7] Lettre d'un envoyé de France en Espagne. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, n° 8494, fol. 190.
[8]
Mort à Tours en 1504, Ferdinand, né dans
[9]
Articles pour l'entrevue du roi de France et de Henri VIII, roi d'Angleterre,
qui se fit au camp du Drap d'or, près d'Ardres. — Bibl. du Roi, Mss. de M. de
[10] Comment le roy de France et le roy d'Angleterre se virent ensemble entre Ardres et Ghines. Mém. de Fleuranges.
[11] Mém. de Fleuranges.
[12] Mém. de Fleuranges.
[13]
Le tableau de l'entrevue du Drap d'or est à Windsor ; il en existe une belle
estampe coloriée à
[14]
Henri III, fils de Jean d'Albret, roi de Navarre, et de Catherine de Foix, né à
Sanguesa en avril 1503, avait succédé à son père en 1516.
[15] André de Foix, seigneur de Lesparre, était frère du maréchal de Lautrec et de Lescun.
[16] Sélim Ier mourut âgé de soixante-quatre ans, le 9 de schoual 926 (22 septembre 1520).
[17] Le 5 de ramadhan 927 (9 août 1521).